Des auteurs divers ont pensé que l’économie pouvait être un facteur décisif dans l’instauration de la paix.
Nous avons déjà eu l’occasion, par exemple, d’évoquer le célèbre poème de Voltaire, Le Mondain, où de manière provocante, l’auteur fait l’éloge de la richesse et du luxe qui, entre autres effets, assurent par le commerce l’entente universelle:
« Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
Ces nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ! »
La philosophie épicurienne et antichrétienne qui se développe dans ce texte attribue à la richesse le pouvoir de rendre les hommes heureux et pacifiques.
Nous avons aussi eu l’occasion de nous attarder à la pensée de P.-J. Proudhon qui, un siècle plus tard, va se poser le problème de la paix[1].
Voici, en bref, la pensée que développe Proudhon.
L’homme est un être dialectique, il est à la fois animal consommateur et être industrieux, travailleur, producteur. C’est par le travail qu’il s’élève mais tandis que la capacité de consommation est illimitée, sa capacité de produire est limitée. Si production et consommation sont symétriques, nous connaissons ce que Proudhon appelle la pauvreté, c’est-à-dire « cette limitation réciproque, rigoureuse, de notre production et de notre consommation »[2]. Si, entre production et consommation, il y a dissymétrie, nous sommes dans la richesse, la cupidité, l’inégalité, c’est-à-dire dans la guerre [3]. C’est ce que Proudhon appelle cette fois le « paupérisme » qui est la cause du double visage de la guerre. Si la guerre ne peut être éliminée, peut-elle être transformée ? Eh bien, il faut remplacer l’héroïsme guerrier par l’héroïsme industriel, reconnaître et constituer le droit économique[4]. La lutte, doit se dérouler désormais sur le champ du travail : « l’antagonisme, que nous acceptons comme loi de l’humanité et de la nature, ne consiste pas essentiellement pour l’homme en un pugilat, en une lutte corps à corps. Ce peut être tout aussi bien une lutte d’industrie et de progrès (…) »[5].
Ainsi, « Le socialisme de Proudhon consiste à établir le nouveau droit économique qui provoquera la révolution intellectuelle et morale grâce à laquelle on en finira avec la guerre. »[6]
L’histoire contemporaine tend à contredire ces deux visions qui nous paraissent à la foi réductrices et optimistes. Réductrices car elles semblent n’envisager que l’aspect économique du développement et en accordant une telle importance à ce facteur, elles relèvent de cette idéologie « économiste » que Jean-Paul II a dénoncée dans Laborem exercens. De plus, ces deux visions que l’on pourrait appeler libérale et socialiste peuvent paraître utopiques. Nous avons connu à travers les dix-neuvième et vingtième siècle un développement considérable des richesses et des échanges mais il n’a pas pour autant éliminer la guerre physique. Sans parler de la guerre que les pauvres peuvent faire aux riches, il faut constater que des nations puissantes et riches ont été à l’origine de nombreux conflits. Le développement économique, le dynamisme industriel ou commercial, l’accroissement des échanges n’ont pas apporté la paix escomptée par Voltaire ou transformé la guerre.
Pour nous en tenir à Proudhon qui a longuement expliqué sa thèse, on peut relever quelques difficultés. Ainsi, pourquoi la dynamique industrielle n’entraînerait-elle pas les hommes dans la richesse et le mépris du travail ? Philonenko répond en affirmant : « Sans une morale rigoureusement ascétique, la dynamique de la paix sombrera dans celle de la violence pure ». Par ailleurs, « comment concilier cette orientation ascétique -qui fut, selon Proudhon, vécue à l’origine- et le dynamisme physique supposé par le développement de l’industrie et la fabrication de produits de consommation, et des biens divers ? »[7]. De toute façon, l’histoire passée et récente semble contredire le rêve proudhonien qui, comme le rêve voltairien, s’inscrit dans une vision antireligieuse.[8]
La perspective de l’Église est moins simpliste et plus susceptible de conduire à un monde pacifié en s’attachant au développement intégral et solidaire des peuples.
Le principe de ce qu’on appellera plus tard la « solidarité » a été affirmé par Léon XIII dans son encyclique Rerum novarum[9]. Il y rappelle l’enseignement de saint Thomas : « Il est permis à l’homme de posséder en propre et c’est même nécessaire à la vie humaine » (II IIae qu.66 a. 2). Mais fait remarquer Léon XIII : « si l’on demande en quoi il faut faire consister l’usage des biens, l’Église répond sans hésitation : « Sous ce rapport, l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu’il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. c’est pourquoi l’Apôtre a dit : Ordonne aux riches de ce siècle… de donner facilement, de communiquer leurs richesses. » (1 Tm 6, 18) (II IIae qu. 65 a. 2) "
Cette conception de l’usage des biens est conditionné par un fait fondamental : « … la grande loi de l’amour et de la fraternité humaine, qui embrasse toutes les races et tous les peuples et les unit en une seule famille sous un seul Père qui est dans les cieux… »[10]. Principe que Pie XI répétera encore dans son encyclique sur le communisme : « »… la vraie et universelle fraternité de tous les hommes, à quelque race ou condition qu’ils appartiennent … »[11]
Cette fraternité se vit d’abord à l’intérieur de la nation par une « charité mutuelle » entre les classes sociales car « rien n’est plus propre à assurer le bien général de la concorde et la bonne harmonie entre toutes les classes » que « la charité chrétienne » qui « en est le meilleur trait d’union ».[12] Mais cette concorde assurée par la charité chrétienne doit s’étendre au monde entier puisque nous formons une même famille : « …dans les rapports des peuples entre eux, que l’on s’applique instamment à supprimer les entraves artificielles de la vie économique, effets d’un sentiment de défiance et de haine ; et qu’on se rappelle que tous les peuples de la terre forment une seule famille de Dieu. »[13]
L’idée d’un développement intégral, sans que de nouveau cette expression ait été employée avant l’époque contemporaine, n’est pas neuve non plus car elle était au cœur de la mission de l’Église.[14]
En effet, dans le passé, c’est la mission et la colonisation qui ont marqué les régions considérées traditionnellement comme « peu développées ».
La mission est antérieure à la colonisation dans la mesure où le christianisme est, par nature missionnaire et qu’elle n’est pas nécessairement liée à l’expansion politique.
Toutefois, à partir du XVIe siècle, c’est-à-dire, à partir de la conquête de l’Amérique, l’évangélisation qui est le propre de la mission est associée à la prise de possession des territoires découverts. Les motivations sont à la fois religieuses et politiques comme on le voit dans certains documents pontificaux[15] ou encore dans le témoignage des conquérants[16]. C’est le mérite des prêcheurs dominicain comme Antonio de Montesinos puis de Las Casas d’avoir œuvré, peut-être en vain, pour que la mission soit détachée de la colonisation. Il n’empêche que son engagement et l’enseignement que Vitoria va construire sur la question, fondent une véritable théologie de la mission telle qu’elle doit s’exercer dans le cadre d’une colonisation dont les fondements sont réévalués. Mettant en question le pouvoir temporel du pape et le droit de l’empereur de s’emparer des biens des Indiens[17], il affirme l’égalité de nature chez tous les hommes[18], la nécessité de respecter les droits de tous, mais aussi le droit de circuler, la destination universelle des biens, le droit de mettre en valeur les richesses non exploitées au profit de tous[19], le droit d’évangélisation mais sans recours à la force[20], « le droit d’intervention pour raison d’humanité ».[21] C’est dans ce cadre qu’il établit le droit des Espagnols d’aller en Amérique et d’y commercer. C’est le principe qu’il résume dans cette formule : « ius communicationis ac societatis mutuae »[22] qui est un droit pour tous les êtres humains, soumis à une condition: « de ne pas porter préjudice aux barbares, et ceux-ci ne peuvent les en empêcher ».[23]
Ces avancées doctrinales ne furent pas nécessairement suivies d’effets positifs en tout cas dans les empires portugais et espagnol où les souverains catholiques fort des concessions antérieures papales organisent les églises locales selon le principe du padroado ou patronat.[24]
Au XVIIe siècle, le pape Grégoire XV va tenter de rendre les missions indépendantes en créant, dans la suite du concile de Trente, par la bulle « Inscrutabili divinae providentiae », le 22 juin 1622, la Sacra congregatio de propaganda fide, Congrégation pour la propagation de la foi dans l’univers entier. Elle distingue nettement mission et conquête coloniale.[25] L’idée est de garantir l’autorité du pape sur les missions et de donner toutes les indications pratiques nécessaires à la formation des missionnaires destinés à partir dans des territoires non catholiques.
Echappent à cette volonté, les territoires soumis au « patronat » de même que les nouvelles colonies françaises marquées par le gallicanisme du pouvoir royal qui les place sous son protectorat. Concrètement, peu de territoires dépendront directement de Rome.
On se souvient aussi que les Jésuites, de 1603 à 1767 organisèrent des « réductions » pour que les indigènes échappent à la colonisation. Cette initiative contredisait certes l’action de l’État colonial et donc ne pouvait durer indépendamment du fait que l’œuvre de civilisation et l’adhésion religieuse cohabitaient sous un pouvoir clérical cette fois.[26]
Au XIXe siècle de nouveaux pays européens, à la suite de l’Angleterre se lancent dans l’aventure coloniale. Cette nouvelle vague de colonisation s’accompagne de missions catholiques et protestantes suivant la fameuse règle des « trois C » : Christianisation, Commerce et Civilisation. Cette règle attribuée à l’explorateur, médecin et missionnaire David Livingstone[27] considère que la religion chrétienne et le commerce amélioreraient la condition des Africains en leur apportant une civilisation calquée sur le modèle britannique. A ces trois « C » correspondent trois acteurs : le missionnaire, le marchand et le militaire. Même s’ils ne marchent pas ensemble, ils finissent par se rejoindre : « quand bien même la mission précède la colonisation, la seconde n’est jamais très loin ».[28] Même lorsque les missionnaires arrivent à préserver certaines régions du contact avec les colons, ce n’est jamais que pour un temps dans la mesure où la logique coloniale finit par l’emporter partout et les missionnaires préféreront la négociation à la résistance. Les protestations face aux exactions perpétrées par les administrations et les États ne remettent pas en question l’aide et la protection que le pouvoir colonial offre. Et celui-ci a besoin des missions qui accomplissent de nombreuses tâches et font entrer les populations dans l’ère moderne.[29]
L’ère coloniale ranime l’utopie d’un monde nouveau pacifié grâce à l’essor colonial : « des penseurs libéraux ou rationalistes annoncent une ère de paix et de prospérité fondée sur le développement du commerce et la diffusion de la science ».[30]
Du côté de l’Église, si Rome rappelle régulièrement aux missionnaires leurs devoirs d’évangélisateurs, elle n’offre pas de réflexion en profondeur sur le fait de la colonisation. Elle se réjouit de ce mouvement[31] d’autant plus qu’en Europe, l’Église perd de son influence.[32] Ajoutons encore que l’attitude de l’Église est peut-être aussi influencée par l’obéissance aux autorités légitimes qu’elle demande, à la suite Paul.
Il faut attendre Taparelli d’Azeglio dans son Essai théorique de droit naturel paru en 1857 pour retrouver l’écho de la pensée de Vitoria.[33]
Après lui, seuls, dans le domaine francophone, Joseph Folliet[34] et Joseph-Thomas Delos[35] proposent, durant l’entre-deux-guerres, une réflexion en profondeur sur le problème prolongeant et actualisant les avancées de leurs illustres prédécesseurs.
Même si, « la mission reste à terme irréductible à la colonisation »[36], ces auteurs vont insister sur le droit de décolonisation dans la mesure où toute colonisation a été « entachée du péché de colonialisme »[37], c’est-à-dire dans la mesure où les États colonisateurs n’ont pas d’abord cherché le bien des populations concernées[38] ou, plus simplement encore, parce qu’elles ont négligé le but de la vraie colonisation qui ne peut être que la décolonisation.[39]
Joseph Folliet ne conteste pas le droit de colonisation qui est, dit-il, « une modalité particulière de collaboration internationale » à condition qu’elle ne soit pas fondée sur la force, la supériorité raciale ou la « convenance économique » mais plutôt sur ces trois principes fondamentaux : « la destination providentielle des biens de ce monde » sur lesquels le colonisateur exerce une « tutelle »[40], une gérance, ou une « curatelle », en attendant que, par l’éducation, les indigènes soient aptes à les gérer eux-mêmes ; « l’intervention au nom de la charité » pour secourir les faibles, les esclaves, etc. ; et « l’action civilisatrice » pour que les colonisés accèdent au bien commun de l’humanité qui l’emporte toujours sur le bien commun de la métropole. Il s’agit de communiquer, non les valeurs particulières, historiques, des colonisateurs mais les valeurs universelles, « tout ce qui relève du Vrai, du Bien et du Beau » et sans « violenter la nature ».[41] Folliet reformule ainsi le principe déjà établi par Vitoria: « La nation colonisatrice recherchera d’abord le bien de son pupille colonial et, à travers lui, indirectement le bien commun de l’humanité… Mais le bien de la métropole ne se placera encore qu’après le bien commun de l’humanité, parce qu’elle est, vices gerens, gérante de l’humanité, et que le gérant, compte tenu de son gain légitime, œuvre pour celui dont il administre les biens pour lui-même. »[42] Toute colonisation doit répondre à « la loi d’amour », à la « bienveillance » chère à Taparelli, elle est « un service ».
Enfin, puisqu’il s’agit d’une tutelle, elle doit normalement se terminer avec l’émancipation du pupille[43], dans l’ordre et dans la paix : « la colonisation n’a de sens que dans et par l’histoire. Elle remet en marche des peuples attardés. Elle travaille pour l’unité du monde ». De plus, comme l’État colonisateur travaille pour le bien commun de l’humanité, la communauté internationale « jouit d’un droit de regard sur les colonies des nations » et peut intervenir dans les relations entre colonies et métropoles.[44]
A la même époque, on trouve, dans le Code de morale internationale, cette définition : « Coloniser, c’est civiliser : civiliser, c’est émanciper. sous peine de mentir à sa mission, la puissance coloniale tiendra compte des légitimes revendications de ses sujets coloniaux parvenue à un niveau supérieur de vie individuelle et collective et associera toujours davantage les colonisés au gouvernement de leur pays. tout comme l’éducation, la colonisation doit viser à se rendre superflue ! »[45]
Joseph Folliet reprendra même les principes de la guerre juste pour justifier la révolte : « Un peuple colonial a le droit de se révolter: quand il y a tyrannie de la métropole, c’est-à-dire quand la métropole, au lieu d’administrer en vue du bien commun, gouverne exclusivement dans son propre intérêt et lorsque cette tyrannie est vraiment insupportable ; quand les sujets coloniaux ont essayé tous les moyens d’arrangement pacifiques : remontrances, pétitions, pourparlers, etc. ; quand l’opinion publique ou tout au moins l’opinion des sages se prononce pour la révolte ; quand les révoltés ont la certitude morale du succès »[46]
Dans son Message de Noël 1955, Pie XII, conscient des velléités d’indépendance comme des menaces communistes ou nationalistes dans les colonies, accrédite l’idée de la décolonisation au nom d’une « espèce de pacification préventive » et ajoute : « De toute façon, qu’une liberté juste et progressive ne soit pas refusée à ces peuples, et qu’on n’y mette pas d’obstacle ».[47]
C’est surtout à partir des années 60 que l’Église va se pencher sur le vaste problème du développement des peuples et constituer une théologie du développement. Ce sont les mouvements de décolonisation qui s’accélèrent et se répandent à partir de 1945[48] qui ont entraîné cette réflexion qui va profiter des grands principes constitutifs de la paix proclamés par Pie XII.
Jean XXIII, dans l’encyclique Mater et magistra (MM), en 1961 reprend et prolonge les réflexions de son prédécesseur. il y reviendra plus brièvement dans l’encyclique Pacem in terris (PT) en 1963. Son enseignement sera résumé dans la Constitution pastorale Gaudium et spes (GS) en 1965. Tous ces documents serviront de base à la première encyclique consacrée au problème du développement des peuples: Populorum progressio (PP) signée par Paul VI en 1967.
Avant d’aborder cette encyclique historique, faisons rapidement la synthèse des trois documents précédents.[49]
Ce qui interpelle l’Église, sur le plan mondial, c’est le déséquilibre entre les pays économiquement développés et les pays en voie de développement économique, déséquilibre d’autant plus choquant que, d’un côté, « on agite le spectre de la misère et de la famine » mais, de l’autre, « on utilise largement les inventions scientifiques, les réalisations techniques et les ressources économiques pour produire de terribles instruments de ruine et de mort »[50] alors que « les techniques nouvelles et les ressources économiques accrues dont dispose le monde pourraient et devraient corriger ce funeste état de choses. »[51]
Le déséquilibre se manifeste aussi à l’intérieur d’un pays entre régions développées et régions sous-développées, entre terre et peuplement: « dans certains pays, les hommes sont rares et les terres cultivables abondent ; en d’autres régions à l’inverse les hommes abondent et les terres cultivables sont rares. »[52] On remarque aussi que « malgré la richesse des ressources potentielles, le caractère primitif des cultures ne permet pas de produire des biens en suffisance » tandis qu’« ailleurs, la modernisation très poussée des cultures entraîne une surproduction de biens agraires… »[53] A cela s’ajoutent « le déséquilibre de la productivité entre secteur agricole , d’une part, secteur industriel des services, d’autre part… »[54] et, au niveau du peuplement, « un exode des populations rurales vers les agglomérations et les centres urbains »[55].
Tous ces déséquilibres constituent « le problème le plus important de notre époque »[56] qui perdure alors que le monde colonial a disparu et que « toutes les nations ont constitué ou constituent des communautés politiques indépendantes »[57]
Comme l’avait déjà souligné à maintes reprises Pie XII, deux faits nous invitent à ne pas accepter ces disproportions qui sont une menace pour la paix[58] : le fait que nous formons une seule famille et l’interdépendance croissante des peuples : « tout problème humain de quelque importance, quel qu’en soit le contenu, scientifique, technique, économique, social, politique, culturel, revêt aujourd’hui des dimensions supranationales et souvent mondiales ».[59] La solidarité « impose » « le devoir » de ne pas être indifférent et la paix ne peut « être durable et féconde » si de trop grands écarts existent entre les peuples.[60]
Venir en aide à l’indigent est une exigence évangélique fondamentale [61] et une exigence de justice[62]. Il faut éliminer ou réduire les déséquilibres au nom de la « solidarité humaine » et de la « fraternité chrétienne »[63]. Car la justice « implique la reconnaissance des droits mutuels et l’accomplissement des devoirs correspondants ».[64]
En effet, « une étape importante sur la route conduisant à une communauté humaine » a été franchie avec la propagation de « l’idée de l’égalité naturelle de tous les hommes »[65]. Ce qui vaut pour les hommes vaut aussi pour les communautés humaines et comme tous les hommes sont « d’égale noblesse », il n’y a aucune inégalité de dignité naturelle entre les communautés[66].
Qui plus est, du point de vue chrétien, « une commune origine, une égale rédemption, un semblable destin unissent tous les hommes et les appellent à former ensemble une unique famille chrétienne » [67]
Dès lors, puisqu’il y a une « égalité naturelle de toutes les communautés politiques en dignité humaine »[68], « les communautés politiques ont, entre elles, des droits et des devoirs réciproques »[69] et « chacune a droit à l’existence, au développement, à la possession des moyens nécessaires pour le réaliser, à la responsabilité première de leur mise en œuvre »[70]
Quant aux différences « de savoir, de vertus, de capacités intellectuelles et de ressources matérielles » elles ne donnent « aux plus favorisés aucun droit d’exploiter les plus faibles », elles leur créent « à tous et à chacun, un devoir plus pressant de collaborer à leur élévation réciproque ».[71] Une fois encore, ce qui est vrai pour les personnes, est vrai pour les communautés et donc la supériorité de certaines « oblige à contribuer plus largement au progrès général. »[72]
L’objectif est donc clair : « réduire les déséquilibres entre les divers secteurs de production, entre les différentes zones à l’intérieur des communautés politiques, entre les divers pays sur le plan mondial ».[73]
Des mesures d’urgence doivent être prises[74] et sont prises par divers organismes internationaux[75], régionaux ou privés, par des initiatives particulières, des fondations, etc., mais même si ces mesures doivent s’amplifier[76], elles ne suppriment pas les causes parmi lesquelles « un régime économique primitif ou arriéré »[77]. Comment y remédier sinon « par diverses organisations coopératives qui donneront aux habitants aptitudes et qualifications professionnelles, compétence technique et scientifique. elles mettront à leur disposition les capitaux indispensables pour mettre en route et accélérer le développement économique suivant les normes et les méthodes modernes. »[78]
Comme les biens de la terre sont destinés à tous les hommes, il faut procurer « aux peuples les moyens qui leur permettront de s’aider eux-mêmes et de se développer. »[79] Ces moyens sont l’éducation et l’argent, les deux nerfs du développement.
La croissance dépend des hommes et donc de « l’éducation et la formation professionnelle » avec l’aide d’« experts étrangers » qui agiront comme des « assistants » et des « collaborateurs ».[80]
La croissance dépend aussi bien sûr de l’argent : des dons, des prêts des investissements financiers, tous « services rendus généreusement et sans cupidité d’un côté, reçus en toute honnêteté de l’autre ». [81] A ce propos, « on doit […] avoir toujours en vue les besoins pressants des nations et des régions économiquement moins avancées. par ailleurs, en matière monétaire, il faut se garder d’attenter au bien de son propre pays ou à celui des autres nations. On doit s’assurer en outre que ceux qui sont économiquement faibles ne soient injustement lésés par des changements dans la valeur de la monnaie. »_[82]
Toutefois, un certain nombre de règles doivent être respectées.
Le développement doit être intégral.
En effet, « la richesse économique d’un peuples ne résulte pas seulement de l’abondance globale des biens, mais aussi et plus encore de leur distribution effective suivant la justice, en vue d’assurer l’épanouissement personnel des membres de la communauté : car telle est la véritable fin de l’économie nationale. »[83] Autrement dit, « le progrès social doit accompagner et rejoindre le développement économique. »[84]De plus, ce développement économique et social doit être « graduel et harmonieux entre les secteurs de production : agriculture, industrie, services. »[85]
Le développement doit respecter l’individualité du peuple.
Dans le but « de faire disparaître le plus rapidement possible les énormes inégalités économiques qui s’accompagnent de discrimination individuelle et sociale » et « pour répondre aux exigences de la justice et de l’équité, il faut s’efforcer vigoureusement, dans le respect des droits personnels et du génie propre de chaque peuple… »[86]
Ainsi, « fréquemment, dans des sociétés économiquement moins développées, la destination commune des biens est partiellement réalisée par des coutumes et des traditions communautaires, garantissant à chaque membre les biens les plus nécessaires. certes, il faut éviter de considérer certaines coutumes comme tout à fait immuables, si elles ne répondent plus aux nouvelles exigences de ce temps ; mais, à l’inverse, il ne faut pas attenter imprudemment à des coutumes honnêtes qui, sous réserve d’une saine modernisation, peuvent encore rendre de grands services. »[87]
Il faut donc viser « le plein épanouissement humain », en comptant sur soi-même, sur son travail, son savoir-faire, ses ressources, sa culture, ses traditions propres.[88] C’est dans ce sens-là que les nations développées doivent aider.[89] Souvent, il faut refondre les structures économique et sociales mais prudemment et en respectant l’épanouissement intégral des personnes et leur valeurs spirituelles.[90]
Le développement doit respecter la hiérarchie des valeurs.
Ce respect de la hiérarchie des valeurs est le « fondement de civilisation vraie ». De meilleures conditions de vie sont des « moyens » et non des biens supérieurs. Notons que cette hiérarchie est souvent respectée dans les pays en voie de développement.[91]
L’aide doit être désintéressée.
Les pays développés qui apportent leur aide doivent « ne pas chercher […] leur avantage politique, en esprit de domination »[92]ce qui entraînerait une « colonisation d’un genre nouveau »[93]. Leur aide doit plutôt, comme il a été dit, « avoir pour objet de mettre les communautés en voie de développement économique à même de réaliser par leur propre effort leur montée économique et sociale ».[94] Et Jean XXIII insiste : « l’aide apportée à ces peuples ne peut s’accompagner d’aucun empiètement sur leur indépendance. ils doivent d’ailleurs se sentir les principaux artisans et les premiers responsables de leur progrès économique et social. »[95] Il faut « reconnaître et respecter les valeurs morales et les particularités ethniques de ceux-ci, et de s’interdire à leur égard le moindre calcul de domination. »[96] Et le Concile renchérit : pour un « véritable ordre économique mondial », il faut « en finir avec l’appétit de bénéfices excessifs, avec les ambitions nationales et les volontés de domination politique, avec les calculs des stratégies militaristes ainsi qu’avec les manœuvres dont le but est de propager ou d’imposer une idéologie ».[97] On doit prioritairement se soucier du bien des nations en voie de développement .[98]
Les pays en voie de développement ont aussi des responsabilités.
Non seulement ils doivent être les artisans majeurs de leur propre développement mais ils doivent aussi veiller à toute une série de mesures
Et tout d’abord veiller à une « solidarité efficace » pour la sauvegarde du « bien commun national, lequel assurément est inséparable du bien de toute la communauté humaine ».[99] C’est pour cela que « chaque communauté politique doit favoriser en son sein les échanges de toute sorte, soit entre les particuliers, soit entre les corps intermédiaires »[100]. En effet, « les hommes ont en commun des éléments essentiels et sont portés par nature à se rencontrer dans le monde des valeurs spirituelles, dont l’assimilation progressive leur permet un développement toujours plus poussé. il faut donc leur reconnaître le droit et le devoir d’entrer en communauté les uns avec les autres ».[101] Tous les citoyens doivent « mettre en commun leurs projets et leurs ressources pour atteindre les objectifs qui leur seraient autrement inaccessibles ».[102] Il faut respecter les droits de tous les citoyens et condamner un développement qui serait préjudiciable, par exemple, à une partie de la population[103] : « toute politique tendant à contrarier la vitalité et l’expansion des minorités constitue une faute grave contre la justice, plus grave encore quand ces manœuvres visent à les faire disparaître ».[104]
Sur le plan intérieur, Jean XXIII fait une proposition très concrète pour lutter contre la disproportion entre la terre cultivable et la population, la richesse du sol et l’équipement, il faut faciliter « la circulation des biens, des capitaux et des personnes »[105]. A ce point de vue, l’idéal serait « que le capital se déplace pour rejoindre la main-d’œuvre et non l’inverse », ainsi on évite les difficultés et les souffrances de l’expatriation.[106]
Quant au Concile il abordera un autre problème très concret, celui des latifundia[107] qui mettent en péril le bien commun : « Dans plusieurs régions économiquement moins développées, il existe des domaines ruraux étendus et même immenses, médiocrement cultivés ou mis en réserve à des fins de spéculation, alors que la majorité de la population est dépourvue de terres ou n’en détient qu’une quantité dérisoire et que, d’autre part, l’accroissement de la production agricole présente un caractère d’urgence évident. Souvent, ceux qui sont employés par les propriétaires de ces grands domaines, ou en cultivent des parcelles louées, ne reçoivent que de salaires ou des revenus indignes de l’homme ; ils ne disposent pas de logement décent et sont exploités par des intermédiaires. dépourvus de toute sécurité, ils vivent dans une dépendance personnelle telle qu’elle leur interdit presque toute possibilité d’initiative et de responsabilité, toute promotion culturelle, toute participation à la vie sociale et politique. Des réformes s’imposent donc, visant, selon les cas, à accroître les revenus, à améliorer les conditions de travail et la sécurité de l’emploi, à favoriser l’initiative, et même à répartir les propriétés insuffisamment cultivées au bénéfice d’homme capables de les faire valoir. en l’occurrence, les ressources et les instruments indispensables doivent leur être assurés, en particulier les moyens d’éducation et la possibilité d’une juste organisation de type coopératif. Chaque fois que le bien commun exigera l’expropriation, l’indemnisation devra s’apprécier selon l’équité, compte tenu de toutes les circonstances. »[108]
Le problème démographique
Jean XXIII aborde le problème « des rapports entre l’accroissement démographique , le développement économique et les moyens de subsistance disponibles «[109]. Beaucoup pensent qu’il faut « empêcher ou freiner la natalité » dans la mesure où « le rendement des régimes économiques ne croît par en proportion » du taux de natalité élevé. Pour le Saint Père, il s’agit plutôt de compter sur les « ressources inépuisables » de la nature, sur l’intelligence et le génie inventif des hommes, sur une bonne organisation économique et sociale et la solidarité internationale dans le respect de la famille fondée sur le mariage et des lois de la vie. Dans cette perspective, il convient de donner surtout aux nouvelles générations une formation culturelle et religieuse et de développer leur sens des responsabilités.
Le Concile répétera et précisera que la solution à ce problème se trouve dans la promotion de l’instruction, le passage prudent « de méthodes archaïques d’exploitation agricole à des techniques modernes », l’instauration d’un meilleur ordre social, le partage plus équitable de la propriété terrienne.[110] En plus d’une législation sociale et familiale adéquate, pour lutter contre l’exode des populations rurales vers les villes, il est important d’informer sur la situation et les besoins du pays et de poursuivre toutes les études universitaires utiles en la matière.[111] Bref, on ne peut admettre des solutions « en contradiction avec la loi morale ». Le droit au mariage, à la procréation, et le nombre d’enfants ne peuvent être laissés « à la discrétion de l’autorité publique ». L’essentiel est de former les consciences responsables qui tiennent compte des circonstances et de la loi divine et d’informer « des progrès scientifiques réalisés dans la recherche de méthodes qui peuvent aider les époux en matière de régulation des naissances, lorsque la valeur de ces méthodes est bien établie et leur accord avec la morale chose certaine. »[112]
Vers une communauté mondiale.
Le développement des peuples est le chemin qui conduit à la constitution d’« une communauté mondiale, dont tous les membres seront sujets conscients de leurs devoirs et de leurs droits, travailleront en situation d’égalité à la réalisation du bien commun universel ». [113]
« Le bien commun a […] des exigences sur le plan mondial : éviter toute forme de concurrence déloyale entre les économies des divers pays ; favoriser, par des ententes fécondes, la collaboration entre économies nationales ; collaborer au développement économique des communautés politiques moins avancées. »[114]
C’est pourquoi il est important que la communauté internationale coordonne, stimule les initiatives, distribue les ressources avec efficacité et équité et ordonne les rapports entre les parties selon les principes de subsidiarité et les normes de la justice.[115] Des institutions internationales sont nécessaires pour promouvoir et régler le commerce international en plus de l’aide technique, culturelle, financière.[116]
Enfin, le chrétien surtout dans un pays riche a une responsabilité particulière : il est invité à la pauvreté et à la charité, à la formation et à l’engagement[117]. Plus que quiconque, il doit se rendre compte de la « nécessité urgente d’entente et de collaboration » avec les pays en voie de développement et se sentir « obligé d’améliorer les institutions temporelles par respect pour la dignité humaine et pour éliminer les obstacles à la diffusion du bien »[118].
L’évangélisation a aussi son importance parce que celui qui devient chrétien se sent libéré de toute contrainte extérieure et « tout ce qui en lui a quelque valeur se renforce et s’ennoblit »[119]. De plus, elle seule est à même de vaincre la méfiance qui consume l’énergie des hommes et des ressources gigantesques. Ce manque de confiance découle de conceptions de vie différentes voire opposées, conceptions qui ne reconnaissent pas toujours « l’existence d’un ordre moral, d’un ordre transcendant, universel, absolu, d’égale valeur pour tous »[120]. Un tel un ordre ne peut s’édifier que sur Dieu[121]. Sans cette « pierre angulaire », comment s’entendre, sans violence, sur la « justice » et ses exigences ?[122]
L’antique sagesse avait entrevu ces vérités. Le christianisme posa le premier, d’une manière formelle, la loi de pauvreté, en la ramenant toutefois, comme c’est le propre de tout mysticisme, au sens de sa théologie (…). La pauvreté est décente ; ses habits ne sont pas troués comme le manteau du cynique ; son habitation est propre, salubre et close ; elle change de linge au moins par semaine ; elle n’est ni pâle, ni affamée. Comme les compagnons de Daniel, elle rayonne de santé en mangeant ses légendes ; elle a le pain quotidien, elle est heureuse. -La pauvreté n’est pas l’aisance ; ce serait déjà pour le travailleur de la corruption. Il n’est pas bon que l’homme ait ses aises ; il faut au contraire qu’il sente toujours l’aiguillon du besoin.
L’aisance serait plus encore que la corruption, ce serait la servitude ; et il importe que l’homme puisse, à l’occasion, se mettre au-dessus du besoin et se passer même du nécessaire. Mais la pauvreté n’en a pas moins ses joies intimes, ses fêtes innocentes, son luxe de famille, luxe touchant, que fait ressortir la frugalité accoutumée du ménage. (…)
Si nous vivions comme l’Évangile le recommande, dans un esprit de pauvreté joyeuse, l’ordre le plus parfait régnerait sur la terre. Il n’y aurait ni vice, ni crime ; par le travail, par la raison et la vertu, les hommes formeraient une société de sages ; ils jouiraient de toute la félicité dont leur nature est susceptible. Mais c’est ce qui ne saurait avoir lieu aujourd’hui, ce qui ne s’est vu dans aucun temps, et cela par suite de la violation de nos deux grandes lois, la loi de pauvreté et la loi de tempérance. » (pp.329-341)
L’instrumentalisation de la religion explique aussi que les puissances européennes s’opposeront de diverses manières aux missions chrétiennes en pays musulmans. De leur point de vue, l’islam est là un « facteur d’ordre et de cohésion » parfaitement adapté (PRUDHOMME Claude, op. cit., pp. 87-88)
Quel contraste entre ce que dit Vitoria du « prince tuteur » et ce que feront les Etas colonisateurs ! Vitoria précise : « Un prince qui obtient le pouvoir chez les infidèles est tenu de faire les lois qui conviennent à leur État, de façon que leurs biens soient conservés et augmentés, et qu’ils ne soient pas dépouillés de leurs richesses… En cela, le prince ne doit pas tenir compte des avantages de ses autres sujets, mais seulement de ceux de cet État. Cela est évident puisque cette « respublica » n’est pas une partie de l’autre… En somme, ce roi est tenu de faire pour les barbares à qui il commande tout ce qu’il ferait dans l’intérêt de sa patrie… Il ne suffit à un prince de donner de bonnes lois aux Barbares, mais il est tenu de choisir des ministres capables de faire observer ces lois. Et un roi n’est pas exempt de reproches jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ce résultat, comme ceux par le conseil de qui les affaires de l’État sont administrées. Certains barbares pourraient répondre au prince chrétien les mêmes paroles que les Scythes à Alexandre : « Si tu n’es pas notre roi, par quel droit es-tu notre juge ? mais si tu es vraiment notre roi légitime, tu dois enrichir les tiens et non les dépouiller ». Confrontons ce texte avec les traités que l’explorateur Henry Morton Stanley (1841-1904) fit signer à des chefs indigènes : « Nous, soussigné, chef de Nzoungi, consentons à reconnaître la souveraineté de l’Association internationale africaine, en foi de quoi nous adoptons son drapeau » ; « les chefs de Ngambi cèdent à la dite Association internationale africaine, librement, de leur propre mouvement, pour toujours, en leur nom et au nom de leurs héritiers et successeurs, la souveraineté et tout droit de souveraineté sur tous les domaines ». (Textes cités par in Chérif DAHA BA, op. cit.).
1. Les États considèrent que la religion a une utilité sociale alors que les missionnaires sont surtout préoccupés par l’annonce du salut et l’implantation des Églises. Pour Benoît XV, « le missionnaire digne de ce nom de missionnaire catholique ne cesse de réfléchir que, n’étant en rien le missionnaire de sa patrie mais le missionnaire du Christ, il doit se comporter de telle manière que le premier venu n’hésite jamais à reconnaître en lui le ministre d’une religion qui n’est étrangère dans aucune action parce qu’elle embrasse tous les hommes qui adorent Dieu en esprit et en vérité. » Et encore en 1946, les Œuvres pontificales missionnaires recommandent : « S’il est humain de chérir sa patrie, c’est une inspiration divine qui fait rechercher le bien supérieur du peuple au milieu duquel les missionnaires sont les hérauts de l’Évangile. Or cet idéal est impossible à atteindre pour ceux d’entre eux qui montrent une excessive complaisance pour les intérêts politiques de leur patrie, en ruinant le travail de leurs compagnons au plus grand dommage des missions ».
2. Si les missionnaires apportent la culture occidentale et malmènent les traditions et coutumes locales, ils vont se rendre compte qu’une acculturation est nécessaire, qu’il faut connaître la langue, la culture, les croyances indigènes.
3. Dès 1659, la Congrégation pour la propagation de la foi de même que, plus tard, en 1845, par exemple, dans l’Instruction Neminem profecto,insistera sur la formation d’un clergé indigène et d’une hiérarchie indigène complète.
4. Les missionnaires insérés dans la vie sociale christianisent le champ social que l’État sécularisé et intéressé par ailleurs leur abandonne.
Les points 1 et 3 sont particulièrement l’objet de nombreux textes officiels du XXe siècle : Lettre apostolique Maximum illud, 1919 (Benoît XV), 1920, encycliques Rerum Ecclesiae (Pie XI), 1926, Summi pontificatus, 1939, Evangelii Praecones, 1951, Fidei donum, 1957 (Pie XII).
d’autre part, les peuples de l’Occident, spécialement de l’Europe, ne devraient pas, sur l’ensemble des questions dont il s’agit, demeurer passifs dans u n regret stérile du passé ou s’adresser des reproches mutuels de colonialisme. Ils devraient au contraire se mettre à l’oeuvre de façon constructive, pour étendre, là où cela n’aurait pas encore été fait, les vraies valeurs de l’Europe et de l’Occident, qui ont porté tant de bons fruits dans d’autres continents. Plus ils tendront à cela seulement, plus ils aideront les libertés des peuples jeunes, et plus ils demeureront eux-mêmes préservés des séductions du faux nationalisme. Celui-ci est en réalité leur véritable ennemi, qui les exciterait un jour les uns contre les autres, au profit d’un tiers. »