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Annexes
- 1: i. A propos de Pie XI
- 2: ii. A propos de Pie XII
- 3: iii. A propos du terrorisme
- 4: iv. Violence et guerre dans le Catéchisme de l’Église catholique
- 4.1: a. La légitime défense
- 4.2: b. La paix
- 4.3: c. Eviter la guerre
- 5: v. L’influence de la théorie de la guerre juste ou de la théologie de la paix
i. A propos de Pie XI
On a reproché à Pie XI de s’être plus préoccupé du sort des catholiques que du sort des Juifs en Allemagne. On l’a même accusé de s’être réjoui d’avoir trouvé en Hitler un allié dans la lutte contre le communisme.[1] Mais à travers ces reproches, c’est surtout son Secrétaire d’État qui est visé : le cardinal Eugenio Pacelli, le futur Pie XII dont l’action, déjà sous Benoît XV, alors qu’il était sous-secrétaire aux affaires ecclésiastiques, aurait toujours cherché à favoriser l’Allemagne.
Un Décret de la Congrégation du Saint Office du 21-3-1928 dénonce déjà, et en des termes clairs, l’antisémitisme : « Parce qu’il réprouve toutes les haines et les animosités entre les peuples, [le Siège apostolique] condamne au plus haut point la haine contre le peuple autrefois choisi par Dieu, cette haine qu’aujourd’hui l’on a coutume de désigner communément par le mot d’« antisémitisme ». »[2]
Le 6 décembre 1929, à propos des missions, Pie XI fustige le nationalisme : « Les Missions ne doivent en aucune façon faire du nationalisme, mais seulement du catholicisme […]. Le nationalisme a toujours été un fléau pour les Missions, et même il n’est pas exagéré de l’appeler une malédiction. »[3]
En octobre 1930, Ludwig Maria Hugo[4], évêque de Mayence, condamne le national-socialisme dans ces termes : « Le programme national-socialiste contient des propositions inconciliables avec la doctrine et les principes catholiques. Il y a lieu notamment de considérer l’article 24 du programme[5], qu’aucun catholique ne peut accepter sans renier sa foi sur des points importants. […] La morale chrétienne est fondée sur l’amour du prochain. Les écrivains nationaux-socialistes ne reconnaissent pas ce commandement dans le sens enseigné par le Christ ; leur doctrine surestime la race germanique et sous-estime les races étrangères.
Les chefs du national-socialisme veulent un dieu allemand, un christianisme allemand, une Église allemande. Gottfried Feder[6]) économiste et homme politique. Un des premiers membres clés du parti nazi allemand. Il joua un rôle décisif dans la conception hitlérienne de l’économie et devint le théoricien économique du NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei). Hitler lui rend hommage dans Mein Kampf. Il lui doit ses idées sur le « capitalisme et la finance juive ».] dit : « Le peuple allemand trouvera certainement un jour son déisme pour sa vie religieuse, une forme telle que la réclament les aspirations de son sang nordique. La trinité du sang, de la foi et de l’État sera alors réalisée. »
Ces conditions impliquent la réponse que comportent ces questions : « Un catholique peut-il s’inscrire dans le parti d’Hitler ? Un prêtre peut-il permettre que les membres de ce parti assistent comme tels à un enterrement ou à toute autre cérémonie religieuse ? Peut-on admettre aux sacrements un catholique qui se réclame des principes de ce parti ? » Nous devons réponde négativement. »[7]
A la suite de cet évêque, tous les évêques allemands publièrent déclarations ou lettres pastorales qui allèrent dans le même sens.[8]
Le 23 janvier 1933, Mgr Gfoellner, évêque de Linz (Autriche) publie une lettre pastorale intitulée « Du véritable et du faux nationalisme »[9]. Tout en dénonçant l’influence funeste de l’ « athéisme juif » qui propage matérialisme, libéralisme, mammonisme[10], socialisme et communisme, l’auteur précise que cet « esprit juif international est autre chose que la nationalité juive et la religion juive » et dénonce les thèses du national-socialisme : son matérialisme racial, sa haine du peuple juif, sa volonté de nationaliser l’État, l’Église et la morale. Il condamne explicitement les thèses défendues par Hitler dans Mein Kampf et de Rosenberg dans Le mythe du XXe siècle. Cette lettre qui eut un retentissement considérable en Allemagne souleva les protestations des Israélites (les Allemands étant plus nuancés que les Autrichiens) et des nationaux socialistes (les Autrichiens étant, cette fois, plus nuancés que les Allemands).
1933 est une année importante. Des élections sont organisées. Hitler veut une consécration légale alors qu’il aurait pu s’en passer comme il le reconnaîtra cyniquement[11] L’Église, le parti catholique Zentrum, les associations catholiques vont devoir prendre position avant et après les élections.
Pour le Carême 1933, le cardinal von Faulhaber, archevêque de Munich publie une lettre sur les « Droits et devoirs des gouvernants et des gouvernés dans l’État ». le prélat y développe la doctrine traditionnelle de l’Église s’appuyant sur l’enseignement de Léon XIII (Immortale Dei et Sapientiae christianae) et de Pie XI (Lettre aux évêques argentins, 4 février 1931). La presse national-socialiste interprétant ce document de doctrine générale comme un ralliement à la politique d’Hitler, le secrétaire du cardinal publia le 2 mars 1933 une mise au point claire précisant qu’en fonction des principes rappelés, « les catholiques consciencieux ne peuvent pas faire profession de national-socialisme dans sa forme actuelle ».[12]
Tandis que les associations catholiques publient un Manifeste, le 17 février 1933 qui clairement rejette l’ « extrémisme de droite et de gauche » signalant qu’ « il peut y avoir un bolchevisme sous le signe national », Mgr Kaas qui dirige le Zentrum pense qu’ « au nouveau dynamisme de la politique allemande, résultat de l’entrée de l’opposition national-socialiste dans le pacte, doit se joindre le frein de la modération et de la pondération de la politique positive, représentées par le Centre »[13] La publication du Manifeste provoqua la suspension des journaux qui l’avaient publié).
Après les élections du 5 mars 1933, qui portent au pouvoir une coalition entre les national-socialistes et les nationaux-allemands, le chancelier Hitler demande au Reichstag réuni à Postdam, les pleins pouvoirs (21 mars 1933) ; alors que les sociaux-démocrates protestent, Mgr Kaas au nom du Zentrum déclare laisser « en arrière des objections qui, en temps normaux, s’imposeraient à lui et seraient presque insurmontables » et faire « abstraction de toute objection de politique de parti ou autre, en cette heure où il faut imposer le silence aux considérations mesquines et étroites ». Dès lors, le Zentrum (malgré de nombreuses voix opposées) tend la main « à tous, même au adversaires d’hier, pour assurer la continuation de l’œuvre de salut national ». qu’est-ce qui pousse le Zentrum à ce ralliement ? L’illusion de pouvoir modérer et pondérer la nouvelle politique comme il a été dit plus haut mais aussi « la détresse critique où se trouvent actuellement la nation et l’État », « la mission gigantesque qu’est […] la reconstruction allemande » et surtout « les sombres nuages qui annoncent en Allemagne et autour de l’Allemagne la tempête ».
Mgr Kaas perdra très vite l’illusion de pouvoir jouer un rôle modérateur : le 5 mai il démissionne de son poste de chef du Zentrum et le 6 juillet, le Zentrum se dissout.
Les évêques aussi veulent croire en la bonne foi de Hitler, à l’abandon de l’anti-christianisme manifesté précédemment, puisqu’il déclare dans son discours-programme de ce 21 mars 1933 : « Le gouvernement national voit dans les deux confessions chrétiennes des facteurs d’une importance capitale pour la préservation de notre valeur en tant que nation. Il respectera les conventions que ces communautés ont conclues avec les États. Leurs droits seront respectés. Mais il escompte et il espère que, réciproquement, sera apprécié le travail de relèvement national et moral de notre peuple que le gouvernement s’est donné pour tâche. Son attitude envers les autres confessions sera celle d’une justice objective. […] Le gouvernement du Reich, estimant que le christianisme forme les assises inébranlables de la vie morale de notre peuple, est convaincu qu’il est nécessaire de continuer et de développer les rapports amicaux avec le Saint-Siège. »
Dans la Déclaration de la conférence épiscopale de Fulda, 29 mars
1933, les évêques, sans abroger les avertissements et les condamnations
précédentes, reconnaissent que le chancelier Hitler « a fait des
déclarations publiques et solennelles qui tiennent compte de
l’inviolabilité de la doctrine de la foi catholique et des missions et
des droits immuables de l’Église et dans lesquelles le gouvernement du
Reich assure expressément que les traités d’État conclus entre l’Église
et certains pays allemands conserveront leur vigueur »[14] Et
l’Osservatore romano approuve cette attitude prudente et confiante:
« Dans sa déclaration, l’épiscopat allemand pouvait donc tirer les
légitimes conséquences que de telles assurances autorisaient. La
condamnation des erreurs doctrinales reste entière, mais on se croit
obligé de faire confiance aux nouvelles et solennelles promesses, qui en
empêchent présentement l’application. »[15]
De plus, le catholique Franz von Papen[16] nommé vice-chancelier par Hitler convainc
celui-ci de signer un concordat avec Rome pour que les catholiques
apportent leur soutien au nouveau régime vu comme un rempart contre le
bolchevisme. Un accord global avec l’ensemble de l’Allemagne était
souhaité en vain depuis de nombreuses années par
Rome.[17].
Dans les tribulations du temps, un des soucis de Pie XI fut de signer
des concordats ou des accords (il en signa une quarantaine) avec de
nombreux pays et quel que soit le régime, pour protéger les catholiques,
la famille
chrétienne, le mariage, l’éducation des enfants et préserver les
institutions de
l’http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_(institution)[Église] (en
évitant notamment l’ingérence des états dans les nominations d’évêques).
On se souvient du Traité du Latran signé avec Mussolini en 1929. (Cf.
ONORIO Joël-Benoît d’, La papauté, de la romanité à l’universalité, in
BONNEFOUS E., ONORIO Joël-Benoît d’, FOYER J., La papauté au XXe
siècle, Fondation Singer-Polignac, Cerf, 1999, pp. 23-24) On se
souviendra aussi que Mgr Pacelli qui ne peut être soupçonné de sympathie
pour le communisme tenta, en vain, dans les années 20 d’obtenir un
concordat avec l’USSS. Personne n’a jamais songé à le lui reprocher.
‘Cf. CHENAUX Philippe, L’Église catholique et le communisme en Europe,
De Lénine à Jean-Paul II, Cerf, 2009, pp. 43-50.
] La situation était délicate pour
l’Église catholique minoritaire dans un pays protestant et toujours
menacée, depuis le Chancelier impérial
Otto von Bismarck par le
Kulturkampf, le catholicisme étant considéré comme un corps étranger
en Allemagne[18], idée que les nazis
reprirent dès l’origine du mouvement.
L’initiative allemande[19], en 1933, fut donc une heureuse surprise[20]. Pie XI dira de cet accord signé le 20 juillet, qu’il était « inattendu et inespéré ».[21]
Comme les députés du Zentrum, les évêques devront vite
déchanter.[22] En Allemagne comme en Italie,
bien des clauses de cet accord seront violées par les autorités
politiques[23] d’autre part, le gouvernement
s’attaque dès 1933 aux associations et à la presse catholiques d’autant
plus que l’Église va essayer le plus longtemps possible de renforcer son
action. Elle réunit encore en juin 1934 un Katholikentag à Hoppegarten
qui groupe 60.000 hommes mais qui va engendrer la campagne
anti-catholique : on forcera les jeunes catholiques à entrer à la
Hitlerjugend. On prend des mesures contre les écoles catholiques, en
particulier on supprime les écoles confessionnelles. Enfin on s’attaque
aux congrégations et à un certain nombre de prêtres, sous le prétexte,
vrai ou faux, d’affaires de mœurs et de devises ». L’auteur note encore
que « la lutte contre les catholiques est plus sévère » que la lutte
contre les protestants. Par ailleurs, la déconfessionalisation ne porte
vraiment de fruits qu’au sein du Reichstag : « plus de la moitié se
déclarent déistes en 1943 […] alors qu’en 1933, 646 sur 664 étaient
soit catholiques (144) soit protestants (502) » (Archives des sciences
sociales des religions, 1966, vol. 22, n° 22, pp. 231-232).
Voir aussi le Discours au Sacré Collège du 2 juin 1945, où Pie XII
évoque la persécution religieuse, en Allemagne et dans les pays soumis
au Reich, la violation du Concordat et l’emprisonnement des chrétiens,
clercs et laïcs dans les bagnes, les camps de concentration et les
prisons.
]. Le pouvoir nazi, comme le
pouvoir fasciste, n’avait nulle intention de respecter sa signature.
C’était une manœuvre pour désarmer une résistance.[24] Se met en place une
« persécution perfide et astucieuse », dira Pie XII[25]. Dans l’encyclique Mit
brennender Sorge, Pie XI écrira que le gouvernement allemand a
« adopté comme norme permanente de ses actions, la falsification du
traité, l’élusion du traité, l’évacuation du traité, et finalement, plus
ou moins en public, la violation du
traité. »[26]
En tout cas, Rome reste méfiante et vigilante.[27]
Le 14 juillet 1933, la loi allemande sur la stérilisation va obliger l’Église d’Allemagne, les associations catholiques à prendre position dans la mesure où une contradiction existe entre cette loi et ce que dit l’encyclique Casti connubii[28].
Prenant le mal à la racine, vont se succéder des condamnations prononcées par la Congrégation du Saint-Office à l’encontre d’ouvrages propageant les théories racistes.
Le Saint-Office mettra à l’index des ouvrages développant les
principales thèses nazies.[29] Ainsi le livre
d’Alfred Rosenberg, Der Mythus des 20 Jahrhunderts (Le Mythe du xx°
siècle)[30] et de Paul
de Lagarde. Il influença Otmar von Verschuer
(1896-link : 1969)
médecin eugéniste et
Steweart Houston Chamberlain (1855-1927) anglais naturalisé allemand qui
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ludwig_Schemann#cite_note-rider-1 épousa
Eva, fille de Richard
Wagner. Dans son livre
Fondements
du XIXe siècle (1899), Chamberlain soutient que la
race supérieure décrite par
Gobineau, race
indo-européenne que
Chamberlain désigne sous le terme de «
race aryenne » est
l’ancêtre de toutes les classes dirigeantes
d’http://fr.wikipedia.org/wiki/Europe[Europe] et
d’http://fr.wikipedia.org/wiki/Asie[Asie], qu’elle subsiste à l’état
pur en Allemagne. Il adhéra au
pangermanisme, doctrine
irrédentiste défendant l’idée que devraient être annexés tous les
territoires de langue allemande. Cette théorie apparut en Italie vers
1870. Chamberlain consacra plusieurs monographies à des personnalités
allemandes telles que
Richard Wagner,
Heinrich
von Stein, Kant et
Goethe. Il inspira
Alfred Rosenberg et
Adolf Hitler qui fut
présent à ses funérailles en 1927. Hitler le cite dans Mein Kampf,
1925-1926, p. 141 (texte disponible sur
www.radioislam.org)
A propos du pangermanisme, Hitler écrit que l’Église catholique est
« un obstacle au pangermanisme » (Mein Kampf, op. cit., pp. 58-59).
] condamné (Décret du 7 février
1934) en ces termes : « Ce livre traite avec mépris et rejette
absolument tous les dogmes de l’Église catholique, voire les fondements
de la religion chrétienne elle-même ; il proclame qu’il est nécessaire
d’instituer une nouvelle religion ou religion allemande, et formule le
principe suivant : « Une foi mythique nouvelle surgit aujourd’hui : la foi
mythique du sang ; foi par laquelle on croit que la nature divine de
l’homme peut être défendue par le sang ; foi appuyée sur une science
très claire par laquelle il est établi que le sang nordique représente
le mystère qui se substitue aux sacrements antiques et les dépasse. »
Alfred Rosenberg (1893-1946) est l’idéologue du parti nazi. Pendant
l’emprisonnement d’Hitler en 1924, il le remplace à la tête du parti et
aurait influencé Hitler dans la rédaction de certains chapitres de Mein
Kampf. Il sera condamné et pendu, en 1946, pour crimes de guerre et
crimes contre l’humanité.
En 1934 est condamné le livre d’Ernest Bergmann, Die deutsche Nationalkirche (L’Église nationale allemande) : « L’auteur nie la religion chrétienne ; le fait de la révélation ; la nécessité de la rédemption par Jésus-Christ crucifié, et celle de la grâce divine. Il affirme que la religion chrétienne, et spécialement le catholicisme, n’est rien autre qu’une création de la culture sémitique et romaine, opposée en conséquence au tempérament allemand. L’auteur assure en outre que l’Ancien Testament représente un péril moral pour la jeunesse allemande ; que le concept de la charité chrétienne est partout une cause de dégénérescence pour les peuples, parce qu’elle prend soin des infirmes et des débiles et qu’elle les autorise à procréer des enfants. L’auteur s’efforce de démontrer que le sang et l’espèce, dénommée vulgairement la « race », sont l’unique facteur du progrès culturel. Il estime qu’une nouvelle religion doit être instituée qui substitue l’athéisme pur — à savoir le panthéisme — à la foi au Dieu personnel. L’auteur préconise en outre un nationalisme exagéré et absolument radical, tout à fait contraire à la doctrine et à la culture chrétiennes. » (Décret du 9 février 1934).[31]
Un an plus tard, c’est le livre An die Dunkelmaenner unserer Zeit. Eine Antwort auf die Angriffe gegen den « Mythus des 20 Jahrhun-derts ». Aux obscurantins de notre temps. Réponse aux attaques contre le « Mythe du XX siècle », d’Alfred Rosenberg qui subit les foudres du Saint-Office (Décret du19 juillet 1935).
Entre temps, les évêques allemands, suite à la Conférence de Fulda des 5-7 juin 1934, publient une Lettre collective qui, d’une part, dénonce le « néo-paganisme allemand » et, d’autre part, proteste contre « les facilités laissées aux païens », les « entraves » imposées à l’Église catholique, les « formules fausses » que l’on répand, le « reproche de faire de la politique », « les accusations et les insultes ».[32] C’est en dénonçant le paganisme, le néo-paganisme, que les évêques allemands entendent s’attaquer à l’idéologie régnante sans la nommer de son véritable nom. Le cardinal Faulhaber, le 8 septembre 1934, prononce un important discours où il oppose la lumière du christianisme face aux ténèbres du paganisme.[33]
Le Saint-Père, dans une allocution devant le Consistoire secret du 1er avril 1935 se dit épouvanté à l’idée qu’une nouvelle guerre pourrait éclater mais espère encore qu’il n’en sera rien.[34]
Le 28 avril 1935, lors de la clôture du jubilé de la Rédemption à Lourdes, le cardinal Pacelli, légat du Pape, déplore que beaucoup d’hommes ne comprennent plus le sens de la Croix et même sont scandalisés par cette « folie ». Il ajoute : « Ce qu’il y a de tragique, en effet, c’est que cette aversion pour la croix soit portée à son comble par ceux-là qui, niant le dogme fondamental du péché, rejettent l’idée même de rédemption comme injurieuse à la dignité humaine. Avec l’illusion de préconiser une nouvelle sagesse, ils ne sont en réalité que de lamentables plagiaires qui recouvrent de nouveaux oripeaux des erreurs bien vieilles. Peu importe qu’ils se massent autour du drapeau de la révolution sociale, qu’ils s’inspirent d’une fausse conception du monde et de la vie, qu’ils soient possédés par la superstition de la race ou du sang, leur philosophie aux uns comme aux autres repose sur des principes essentiellement opposés à ceux de la foi chrétienne, et, de tels principes, à aucun prix l’Église ne consent à pactiser avec eux. »[35]
En 1935 toujours, à plusieurs reprises, Pie XI demande que l’on prie pour la paix.[36]
Suite à la conférence annuelle de l’épiscopat allemand, à Fulda, du 19 au 23 août 1935, les évêques publient une lettre pastorale[37] qui ne sera pas diffusée dans la grande presse contrôlée par le pouvoir. Dans la presse catholique, elle ne fut pas publiée partout ou elle parut avec des coupures. Malgré ces interventions de la police d’État elle fut lue en chaire le 1er septembre. La lettre dénonce le nouveau « catéchisme » établi par les « ennemis de la foi », invite les fidèles à rester fermes dans la foi leur interdisant « de lire les revues et les livres, […] de fréquenter les réunions où notre foi et notre Église sont diffamées et où est blasphémé tout ce qui est sacré pour l’homme religieux » mais en leur ordonnant « de fréquenter et d’écouter les prédications de l’Église ». Le document rappelle que la « foi est le fondement de l’ordre moral dans le monde », qu’il « serait moralement fatal de ne considérer le mariage, contrairement aux lois chrétiennes, que sous l’angle de la pureté de la race à maintenir », qu’« on ne peut pas, comme homme privé, s’unir au Christ, et comme employé de l’État, combattre contre le Christ », que la liberté religieuse s’étend à l’espace public, que les parents ont le droit de choisir l’éducation qu’ils désirent pour leurs enfants[38], que la jeunesse catholique restera fidèle à ses associations. Les évêques recommandent enfin de ne pas rendre le mal pour le mal mais de prier pour les ennemis, de conserver leur unité entre eux et avec le Saint-Père. Bref, tout le texte est une invitation à résister fermement mais pacifiquement à toutes les attaques idéologiques et physiques du pouvoir nazi.[39]
A cette même conférence, il fut décidé de faire lire à tous les fidèles un texte qui avait été rédigé le 1er mars 1934, expliquant la prestation de serment civil auquel étaient contraints les prêtres considérés comme fonctionnaires de l’État. Ce serment de fidélité au Führer perturbait la conscience de nombreux catholiques qui y voyaient un changement de convictions religieuses. Ce serment devait être prêté « sans réserves et sans restrictions »[40]. Les évêques précisent : « Le chrétien catholique n’a pas besoin de ces réserves et restrictions. Car c’est et ce fut de tout temps la doctrine catholique qu’un serment, en tant qu’il est un acte solennel de respect envers Dieu, ne peut contenir rien qui soit en contradiction avec les devoirs envers Dieu et la fidélité due à la vérité. Une obligation qui, d’après la doctrine de la foi et des mœurs catholiques, est en contradiction avec les lois de Dieu, ne peut pas être l’objet d’un serment. En contradiction avec le respect dû à Dieu, elle ne peut faire l’objet d’un serment. Telle est la doctrine catholique que l’Église a le droit de proclamer en vertu de sa mission divine, droit qui lui est aussi reconnu dans le Concordat du Reich. »[41]
En 1935 toujours, « l’agression fasciste contre l’Abyssinie suscita l’irritation de Pie XI qui exprima son désaccord de manière voilée le 27 août 1935 à l’occasion d’un discours devant le congrès international des infirmières catholiques. le journal intime de Mgr Tardini, à cette époque substitut de la Secrétairerie d’État pour les affaires ordinaires, nous apprend que le texte publié par l’Osservatore romano, avait en réalité fortement atténué les propos originaux du pape, à l’initiative de Mgr Pizzardo, chargé des affaires ecclésiastiques extraordinaires (c’est-à-dire extérieures) qui craignait des réactions du gouvernement fasciste italien. Selon le témoignage de Tardini, Pie XI accepta à contrecœur la formulation alambiquée choisie pour la publication, non sans répéter à ses collaborateurs qu’à ses yeux cette guerre était injuste car le fait de se trouver à l’étroit chez soi ne donnait pas à un peuple le droit d’aller s’installer chez son voisin. »[42]
A partir de 1936, la Documentation catholique va publier des dossiers reprenant, à partir du 1er janvier 1935, presque au jour le jour « les principaux faits et gestes dont les catholiques allemands ont été tantôt les auteurs et tantôt les victimes »[43] .
Le 21 mai 1936, les évêques des Pays-Bas déclarent « que ceux qui, à un degré important, accordent leur appui [au parti national-socialiste] ne peuvent pas être admis à la réception des saints sacrements. »[44]
Le14 mars 1937, paraît l’encyclique Mit brennender
Sorge[45] après avoir vainement essayé toutes les
voies de la persuasion, [Pie XI] se vit de toute évidence aux prises
avec les violations délibérées d’un pacte officiel et d’une persécution
religieuse, dissimulée ou manifeste, mais toujours durement menée, le
dimanche de la Passion 1937, dans son encyclique Mit brennender Sorge,
il dévoila au regard du monde ce que le national-socialisme était en
réalité : l’apostasie orgueilleuse de Jésus-Christ, la négation de sa
doctrine et de son œuvre rédemptrice, le culte de la force, l’idolâtrie
de la race et du sang, l’oppression de la liberté et de la dignité
humaine.
Comme un coup de trompette qui donne l’alarme, le document pontifical,
vigoureux -trop vigoureux, comme le pensait déjà plus d’un- fit
sursauter les esprits et les cœurs.
Beaucoup -même hors des frontières de l’Allemagne- qui, jusqu’alors
avaient fermé les yeux sur l’incompatibilité de la conception
nationale-socialiste et de la doctrine chrétienne, durent reconnaître et
confesser leur erreur.
Beaucoup, mais pas tous ! d’autres, dans les rangs mêmes des fidèles,
étaient trop aveuglés par leurs préjugés ou séduits par l’espoir
d’avantages politiques. L’évidence des faits signalés par Notre
prédécesseur ne réussit pas à les convaincre, encore moins à les décider
à changer de conduite/ Est-ce une simple coïncidence ? Certaines
régions, qui furent ensuite les plus durement frappées par le système
national-socialiste, furent précisément celles où l’encyclique Mit
brennender Sorge avait été le moins ou même n’avait été aucunement
entendue.
Aurait-il été possible alors de freiner une fois pour toutes, par des
mesures politiques opportunes et adaptées, le déchaînement de la
violence brutale et de mettre le peuple allemand en état de se dégager
des tentacules qui l’étreignaient ? Aurait-il été possible d’épargner de
cette manière à l’Europe et au monde l’invasion de cette immense marée
de sang ? Personne n’oserait se prononcer avec certitude. En tout cas,
pourtant, personne ne pourrait reprocher à l’Église de n’avoir pas
dénoncé et indiqué à temps le vrai caractère du mouvement
national-socialiste et le danger auquel il exposait la civilisation
chrétienne. » (Discours au Sacré Collège, 2 juin 1945).
] dont les deux principaux rédacteurs
sont le cardinal Pacelli et l’archevêque de Munich von
Faulhaber.[46]
Pie XI y explique que l’Église a donné son consentement à la proposition de concordat faite par le gouvernement allemand « en dépit de nombreuses et graves considérations » pour épargner aux « fils et filles d’Allemagne, dans la mesure des possibilités humaines, les angoisses et les souffrances que, dans l’autre hypothèse, les circonstances du temps faisaient prévoir avec pleine certitude. » L’Église, patiente ne voulait pas « risquer d’arracher, avec l’ivraie, quelque plante précieuse ». Mais ce concordat a été unilatéralement trahi par « des intrigues qui, dès le début, ne visaient qu’à une guerre d’extermination. » Force est donc à l’Église de s’opposer « à un parti-pris qui cherche, par l’emploi ouvert ou dissimulé, de la force, à étrangler le droit garanti par les traités. »
Suit une série de condamnations de divers concepts nazis : du panthéisme[47], du paganisme, du « Mythe du sang et de la race », de la divinisation de la race, du peuple, de l’État, de son chef[48], de l’idée d’une religion et d’une église nationales qui tentent d’emprisonner Dieu « dans les frontières d’un seul peuple, dans l’étroitesse de la communauté de sang d’une seule race. » Une nouvelle Église se construit par la persécution des fidèles or une « Église nationale allemande […] n’est autre chose qu’un reniement de l’unique Église du Christ, l’évidente trahison de cette mission d’évangélisation universelle à la quelle, seule, une Église mondiale peut suffire et s’adapter. » Cette Église manipule et détourne le langage religieux : la révélation ne peut s’identifier aux « suggestions du sang et de la race », ni la foi n’être que « la joyeuse et fière confiance dans l’avenir de son peuple ». L’immortalité n’est pas « la continuation ici-bas de la vie collective dans la durée de son peuple ». Quant à la grâce, elle est rejetée « au nom d’un prétendu caractère allemand ». Le Saint Père s’insurge aussi contre les railleries dont sont l’objet, le péché originel, la Croix du Christ ou encore l’humilité.
Le pape dénonce comme blasphème la volonté de « voir bannies de l’Église et de l’école l’histoire et la sagesse des doctrines de l’Ancien testament ». Il rappelle que l’Église ne fait pas de discrimination entre les peuples, les ethnies, qu’elle est plus sensible à « la richesse de la variété » qu’au « péril des divergences ». Sont condamnées enfin « des lois humaines qui sont en contradiction insoluble avec le droit naturel ». Réduire le droit à « l’utilité du peuple », c’est décréter « l’état de guerre » dans la vie internationale et, dans la vie nationale, récuser « le fait fondamental que l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger. »
Le pape plaide donc pour le droit à liberté religieuse[49], pour le droit des parents « à régler l’éducation des enfants »[50] face à « l’iniquité des mesures de contrainte ».
Il invite, en conséquence, les chrétiens à la cohérence, au « courage héroïque », « à la défense courageuse de la vérité et à sa franche application à la réalité », « à dévoiler et à réfuter l’erreur ». Chaque chrétien a le « devoir de dégager nettement sa responsabilité de celle du camp adverse, de libérer sa conscience de toute coopération coupable à une telle machination et à une telle corruption. » Il doit « opposer à la force matérielle des oppresseurs de l’Église l’intrépidité d’une foi profonde, la fermeté inébranlable d’une espérance sûre de l’éternité, l’irrésistible puissance d’une charité agissante. »
« Une chrétienté ayant repris conscience d’elle-même dans tous ses membres, rejetant tout partage, tout compromis avec l’esprit du monde, prenant au sérieux les commandements de Dieu et de l’Église, se conservant dans l’amour de Dieu et l’efficace amour du prochain, pourra et devra être pour le monde, malade à mort, mais qui cherche qu’on le soutienne, et qu’on lui indique sa route, un modèle et un guide, si l’on ne veut qu’une indicible catastrophe, un écroulement dépassant toute imagination ne fonde sur lui. »[51]
En mai 1937, l’archevêque Groeber de Fribourg dénonce l’utilisation perverse faite par le régime de certains procès contre des prêtres accusés d’immoralité.[52]
Le 15 septembre 1937, l’Osservatore romano analyse le IXe Congrès de Nuremberg (7-13 septembre 1937) et dénonce son anti-christianisme. Il conclut : « qui pourrait garantir aux maîtres actuels de l’Allemagne que la semence de haine et de dénigrement de toute chose sacrée qui monte toujours plus en puissance sous les yeux des autorités, ne produira pas aussi en terre allemande des fruits qui doivent inspirer l’épouvante à tout véritable ami du peuple allemand et de son avenir. »[53]
A l’occasion des Vœux de Noël et de Nouvel An, en décembre 1937[54], Pie XI déclare : « Il y a en fait la persécution en Allemagne. Depuis longtemps, on et on fait croire qu’il n’y a pas de persécution. Nous, Nous savons au contraire qu’elle existe, et que c’est une persécution grave et même comme il y en a rarement eu d’aussi terrible et pénible, d’aussi triste dans ses conséquences les plus profondes. C’est une persécution à laquelle ne manquent ni la prépondérance de la violence, ni la pression de la menace, ni les tromperies de l’astuce et de la fiction. » Il dénonce les calomnies contre sa personne et contre les évêques accusés de répandre une religion non catholique mais politique. A quoi le pape répond en disant « Nous ne faisons pas de politique […] Nous faisons de la religion et […] Nous ne voulons rien faire d’autre. […] Nous voulons ensuite que même dans la vie civique, dans la vie humaine et sociale, soient toujours respectés les droits de Dieu, qui sont aussi les droits des âmes. »
Le Saint-Office ne reste pas inactif : tous les livres d’Ernest Bergman sont condamnés par le Décret du 25 novembre 1937. Sont aussi condamnés, les livres de Raoul Françè (Décret du 30 décembre 1937), un « Sénèque raciste » dira l’Osservatore romano (10-11 janvier 1938). Sont condamnés ensuite les livres de Gustave Mensching, « partisan des courants religieux unitaires du troisième Reich » (Décret du 22 janvier 1938).
Le 12 mars 1938 a lieu l’Anschluss, le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne. Le 10 avril, un referendum entérinait cette annexion à la grande satisfaction des catholiques. Ici aussi Franz von Papen joua un rôle important. Ambassadeur à Vienne depuis 1934, en excellente relation avec le cardinal Theodor Innitzer archevêque de Vienne, il « avait dit et redit que l’Anschluss serait le meilleur moyen de mettre fin à la persécution qui sévit en Allemagne contre le catholicisme et de faire reculer le racisme dans le parti national-socialiste lui-même. » [55] Le cardinal Innitzer[56]. En signe de protestation, le 7 octobre 1938, à l’appel d’Innitzer, des milliers de jeunes gens viennent se rassembler pour prier et méditer dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Dans son sermon, le cardinal affirme alors : « Il n’y a qu’un seul guide (Führer en allemand): Jésus Christ. » Le lendemain, une centaine de nazis envahissent et saccagent la résidence de l’archevêque. (Wikipedia) ] suivi par presque la totalité des catholiques autrichiens acceptèrent avec enthousiasme mais très vite ils déchantèrent devant la persécution qui s’installa immédiatement comme en Allemagne.[57]
Le 13 avril 1938, La Sacrée congrégation des séminaires et universités publie à la demande de Pie XI un Syllabus condamnant les théories racistes qui est adressé aux établissements catholiques du monde entier. Il est déclaré dans le préambule que « les maîtres devront s’appliquer de tous leurs moyens, à emprunter à la biologie, à l’histoire, à la philosophie, à l’apologétique, aux sciences juridiques et morales, des armes pour réfuter avec solidité et compétence les assertions insoutenables qui suivent :
l°) Les races humaines, par leurs caractères naturels et immuables,
sont tellement différentes que la plus humble d’entre elles est plus
loin de la plus élevée que de l’espèce animale la plus haute.
2°) Il faut, par tous les moyens, conserver et cultiver la vigueur de la
race et la pureté du sang ; tout ce qui conduit à ce résultat est, par le
fait même honnête et permis.
3°) C’est du sang, siège des caractères de la race, que toutes les qualités intellectuelles et morales de l’homme dérivent comme de leur source principale.
4°) Le but essentiel de l’éducation est de développer les caractères de la race et d’enflammer les esprits d’un amour brûlant de leur propre race comme du bien suprême.
5°) La religion est soumise à la loi de la race et doit lui être adaptée.
6°) La source première et la règle suprême de tout l’ordre juridique
est l’instinct racial.
7°) Il n’existe que le Cosmos ou l’Univers être vivant ; toutes les
choses, y compris l’homme, ne sont que les formes diverses s’amplifiant
au cours des âges de l’universel vivant.
8°) Chaque homme n’existe que par l’État et pour l’État. Tout ce qu’il possède de droit dérive uniquement d’une concession de l’État.
A ces propositions si détestables, on pourra d’ailleurs en ajouter facilement d’autres. »[58]
Chacune de ces propositions condamnées correspond à une thèse défendue par Hitler dans Mein Kampf ou dans son Discours devant le Reichstag du 30 janvier 1937 ou encore par Rosenberg dans le Mythe du Vingtième siècle.[59]
Le 30 avril 1938, Pie XI prenait ses quartiers d’été, comme d’habitude, à Castel-Gandolfo. Or, le 3 mai, Hitler arrivait à Rome, le jour même où l’Église fête l’Invention de la vraie Croix[60]. L’Osservatore romano (2 mai) précise que le pape quitte Rome non « par mesquine diplomatie, mais simplement parce que l’air de Castel-Gandolfo lui fait du bien tandis que celui d’ici lui fait mal. » On glosa évidemment sur cet air mauvais de Rome. On constata que les musées du Vatican furent fermés durant toute la visite d’Adolf Hitler, que le nonce accrédité auprès du roi d’Italie était absent aux réceptions, que l’Osservatore romano ne publia pas un mot sur cette visite, le Pape quant à lui avait interdit aux institutions religieuses d’arborer la croix gammée comme le prescrivaient les autorités italiennes. Enfin, le 4 mai, le Pape déclarait devant une assemblée venue le saluer : « De tristes choses se produisent, de tristes choses, de loin et de près. Et parmi ces tristes choses, il y a celle-ci : à savoir qu’on ne trouve pas qu’il soit trop déplacé ni intempestif de dresser à Rome, le jour de la sainte Croix, l’insigne d’une autre croix qui n’est pas la Croix du Christ. C’est faire assez comprendre jusqu’à quel point il est nécessaire de prier, prier, prier, afin que la miséricorde de Dieu soit faite et descende elle aussi dans toute son étendue. Nous sommes en vérité les premiers à avoir besoin de cette infinie miséricorde qui s’est étendue, dès le principe, jusqu’à ceux qui crucifièrent Notre-Seigneur. »[61]
Le 14 juillet 1938, d’éminents ( ?) universitaires fascistes publiaient un manifeste raciste, explicitement antisémite reproduit et salué par la presse.[62] Un éminent jésuite y répondit dans deux numéros de la Civiltà Cattolica (16 juillet et 6 août), reproduits dans l’Osservatore romano des 21 juillet et 13 août sous le titre « Autour de la nationalité ». Les conclusions de ce long article scientifiquement rigoureux sont courageuses, vu le contexte, et sans équivoque : « … étant donné une telle incertitude, une telle obscurité, aussi absolue, dans le concept de race, il est non seulement antiscientifique, mais tout à fait monstrueusement illogique de vouloir fonder sur lui une théorie quelconque sur la nation. Bien que les fanatismes idéologiques puissent violenter les données de la science et de l’histoire, tout homme de bon sens ne pourra faire moins que de repousser dédaigneusement ces acrobaties de la pensée, véritables aberrations mentales collectives. L’honneur de la science et de l’humanité réclame qu’une bonne fois on relègue parmi les rebuts de telles conceptions arbitraires, qui n’ont aucun fondement sérieux.[…]…ni la race, ni la langue, ni la religion, ni le territoire, ne constituent l’essence de la nation, et, […]en conséquence, celle-ci doit être recherchée dans quelque autre élément, qui ramène à l’unité les individus marqués par tous ces caractères distinctifs. »[63]
Le 15 juillet 1938, Pie XI condamne de nouveau le « nationalisme exagéré » comme « contraire à l’esprit du Credo », « contraire à la foi », contraire à la catholicité de l’Église.[64]
A cela, on peut ajouter son Discours aux assistants ecclésiastiques de la jeunesse italienne de l’Action catholique du 21-7-1938, où Pie XI réaffirme l’unité du genre humain et condamne le nationalisme, le racisme, le séparatisme : « il y a quelque chose de bien pire que l’une ou l’autre formule de racisme et de nationalisme : l’esprit qui les dicte. Il faut dire, en effet, qu’il y a quelque chose de particulièrement détestable, c’est cet esprit de séparatisme, de nationalisme exagéré qui, précisément, par ce qu’il n’est pas chrétien, parce qu’il n’est pas religieux, finit par n’être même pas humain. »
Huit jours plus tard, le 28 juillet 1938, devant les élèves du Collège pontifical urbain de la Propagande, jeunes clercs de 37 nations différentes, il reprend le thème et l’amplifie dans un discours « violemment antiraciste » écrira le ministre Ciano le 30, dans son Diario. Pie XI rappelle que « catholique veut dire universel, non raciste, non nationaliste, au sens séparatiste de ces deux attributs. […] Nous ne voulons rien séparer dans la famille humaine ; car Nous considérons ici -c’est clair- le racisme et le nationalisme exagéré, ainsi qu’on en parle communément, c’est-à-dire comme des barrières élevées entre hommes et hommes, entre peuples et peuples. » S’attardant ensuite au mot race que certains estiment plus approprié pour parler des animaux, le Pape nuance : « De même que l’on dit genre, on peut dire race ; et l’on doit dire que les hommes sont avant tout un grand et seul genre, une grande et seule famille d’êtres vivants, engendrés et générateurs. Ainsi le genre humain est une seule race, universelle « catholique ».
On ne peut toutefois nier que dans cette race universelle il y ait place pour les races spéciales, comme pour tant de variations diverses, comme pour beaucoup de nationalités qui sont encore plus spécialisées. Et de même que dans les vastes compositions musicales il y a de grandes variations dans lesquelles, toutefois, l’on voit le même motif général qui les inspire revenir souvent, mais avec des tonalités, des intonations, des expressions diverses, de même dans le genre humain, il existe une seule grande race humaine universelle, catholique, une seule grande et universelle famille, et, avec elle, en elle, des variations diverses. »[65]
Continuant à jouer avec les mots, et prenant en exemple ces jeunes clercs de la « Propagande », appartenant à 37 nations différentes, Pie XI évoque alors « la vraie juste et saine pratique d’un racisme répondant à la dignité et à la réalité humaines ; car la réalité humaine c’est d’être des hommes et non des bêtes sauvages, des existences quelconques ; la dignité humaine, c’est d’être une seule et grande famille, le genre humain, la race humaine. […] voici ce qu’et pour l’Église le vrai racisme, le racisme proprement dit, le racisme sain, digne de chacun des hommes dans leur grande collectivité. Tous de même, tous faisant l’objet de la même affection universelle, tous appelés à la même lumière de vérité, de bien, de charité chrétienne ; appelés à être tous dans leur propre pays, dans les nationalités particulières de chacun, dans la race particulière, les propagateurs de cette idée si grande et si magnifiquement maternelle, humaine, avant même d’être chrétienne. »[66]
Le 28 août 1938 est rendue publique une lettre pastorale de l’épiscopat allemand[67] qui prend la défense du pape et se livre à une longue critique sans concession du régime et de son idéologie. Sont dénoncées non seulement les attaques contre le Pape mais aussi les entraves à la vie catholiques, la volonté d’expulser la religion de l’espace public, la manipulation de l’histoire, le pacte secret que l’Église entretiendrait avec le communisme, les encouragements aux apostasies, l’accusation d’incivisme catholique. Les évêques montrent en fait que le régime « a déclaré aux religions une guerre d’extermination parce que l’on soutient qu’elles créent une fissure dans l’âme de la nation allemande et qu’elles tendent à diminuer les forces mêmes de la patrie. »[68] Et les évêques ajoutent : « Cela ne peut être que la pensée d’un insensé, qui ne connaît pas l’histoire du christianisme ni sa lumière et sa chaleur -lesquelles demeurent intégralement,- et qui ignore la tendance innée de l’homme vers la Vérité dernière et la paix intime. » Un « novateur » a imaginé un « Dieu allemand » qui n’est pas le Dieu créateur, personnel et supraterrestre. Dès lors, « la spiritualité et l’au-delà sont un fantôme ». Finalement, cette nouvelle religion ouvre la porte au naturalisme et à l’athéisme. Et de se poser la question : « L’Allemagne est-elle donc en sûreté en face des cavaliers de l’Apocalypse ? »[69]
Il condamne de nouveau l’antisémitisme dans son Discours aux pèlerins rassemblés par la Radio catholique belge, le 6-9-1938. Après avoir lu, dans un missel offert par la délégation belge, la prière eucharistique « Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisédech ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance, accepte-la », le Pape avoue : « L’antisémitisme n’est pas compatible avec la pensée et la réalité sublimes qui sont exprimées dans ce texte. C’est un mouvement antipathique, un mouvement auquel nous ne pouvons, nous chrétiens, avoir aucune part. »[70] « La promesse a été faite à Abraham et à sa descendance. Le texte ne dit pas, remarque saint Paul, in seminibus tamquam in pluribus, sed in semine, tamquam in uno, quod est Christus. La promesse se réalise dans le Christ et par le Christ en nous qui sommes les membres de son Corps mystique. Par le Christ et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham.
Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre, de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes. Mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des sémites. »[71]
Le 20 octobre 1938, recevant les membres d’un Congrès international d’archéologie chrétienne, le pape dénonce à nouveau et avec violence les persécutions en Allemagne et en Autriche en évoquant Julien l’Apostat et Néron. Mais il se montre aussi optimiste en rappelant le sort de Napoléon III, Bismarck et Guillaume II.[72]
Le 20 décembre 1938, la Documentation catholique publie un long dossier intitulé Le mystère du sang dans l’économie du salut.[73] Il s’ouvre avec un important discours du cardinal Van Roey suivi des prises de position des cardinaux Verdier (Paris), Schuster (Milan), Cerejeira (Lisbonne) et Faulhaber (Munich), condamnant le racisme, l’antisémitisme, le totalitarisme.
Le 24 décembre 1938, lors de sa présentation des vœux de Noël et di Nouvel An, Pie XI exprime ses « amères tristesses », les attaques contre l’Action catholique, l’Église et le mariage chrétien en Italie. Il revient sur « la récente apothéose préparée dans cette Rome même pour une croix ennemie de la Croix du Christ, à cette blessure portée au Concordat », sans égards, ajoute-t-il, pour ses « cheveux blancs ». [74]
Le 10 février 1939, Pie XI devait prononcer un discours devant les évêques d’Italie. Pie XI ne le prononça pas car la mort le saisit alors qu’« il était encore en train d’écrire les mots de son discours par lesquels il prenait congé de ses évêques d’Italie »[75]. Toutefois, le 26 janvier 1959, Jean XXIII révéla, quelques extraits de ce message. Notamment ces « lignes pleines d’enseignements utiles pour tous les temps » :
« Ce que Nous estimons devoir dire à vous et de vous, Nous devons le dire d’abord à Nous-même et de Nous-même.
Vous savez, très chers et vénérables Frères, comment souvent on traite la parole du pape. On s’occupe de Nous et non seulement en Italie, de Nos allocutions, de Nos audiences, le plus souvent pour en altérer le sens et même en inventant du commencement à la fin, pour Nous faire dire des sottises et des absurdités. Il y a une presse qui peut tout dire contre Nous et Nos affaires, même en rappelant et en interprétant faussement et perversement l’histoire proche et lointaine de l’Église, jusqu’à nier opiniâtrement toute persécution en Allemagne, négation qu’accompagne l’accumulation fausse et calomnieuse de politique, comme la ; persécution de Néron s’accompagnait de l’accusation de l’incendie de Rome. Et on laisse dire, puisque’ notre presse ne peut même pas contredire ou rectifier.
Vous ne pouvez vous attendre à ce que votre parole soit mieux traitée, même quand il s’agit de la parole des pasteurs sacrés divinement établis, parole prêchée ou écrite ou imprimée, pour éclairer, avertir, sauver les âmes.
Prenez garde, très chers Frères dans le Christ, et n’oubliez pas que bien souvent il y a des observateurs et des délateurs (dites des espions et vous direz la vérité) qui, par zèle ou pour avoir été chargés, vous écoutent pour vous dénoncer sans avoir compris rien de rien ; cela va sans dire, ou en ayant compris, au besoin, tout le contraire : tout en ayant en leur faveur (il faut s’en souvenir comme Notre-Seigneur pour ses bourreaux) la grande, la souveraine excuse de l’ignorance.
Bien pire encore quand cette excuse doit faire place à cette circonstance aggravante de la folle présomption de celui qui croit et dit tout savoir, alors qu’évidemment il ne sait même pas ce qu’est l’Église, ce qu’est le pape, ce qu’est un évêque, ce qu’est le lien de foi et de charité qui nous unit tous dans l’amour et le service de jésus, notre Roi et Seigneur. Il y a malheureusement des pseudo-catholiques qui semblent heureux quand ils croient découvrir une différence, un désaccord, d’après eux (s’entend), entre un évêque et un autre, mieux encore entre un évêque et le Pape. »
Le 10 février 1939, Pie XI meurt donc. De toutes
tendances[76] Le pape Pie XI n’avait donc pas changé : son
pontificat s’achevait comme il avait commencé. Alors pourquoi était-il
dénoncé par les dictatures totalitaires ? Pourquoi la presse allemande
imprime-t-elle qu’avec lui le plus dangereux adversaire du nazisme
disparaît ? Pourquoi lui-même, au cours de ces dernières années,
avait-il pris contre le nazisme hitlérien une position de combat ?
Il avait charge d’âmes. Il avait dû défendre l’Église catholique et
romaine contre la persécution matérielle. Il avait dû préserver le dogme
chrétien, la pensée chrétienne contre cet incroyable retour de paganisme
élémentaire qui restera une des stupeurs des historiens d e l’avenir.
Tout cela est clair, tout cela est vrai. Mais en agissant comme il l’a
fait, le pape Pie XI prenait aussi la défense de cette cause de la paix
qui restait à ses yeux primordiale, car il avait compris que le racisme
hitlérien, comme aussi le fascisme mussolinien, constituent contre la
paix des menaces permanentes et, si je puis dire, des dangers
organiques.
La cause de la paix est inséparable de la cause de la liberté, de
l’égalité entre les hommes. Le despotisme absolu d’un homme trouble la
paix. L’oppression dirigée contre une catégorie d’hommes en raison de
leurs opinions ou de leur origine trouble la paix. La négation des
vertus morales et des « valeurs » spirituelles trouble la paix. La
résolution proclamée d’user de la force pour satisfaire aux besoins ou
aux appétits nationaux, la préparation systématique du recours à la
force troublent la paix. L’idolâtrie organisée autour des hommes qui
détiennent la force trouble la paix. Un grand Pape pacificateur a donc
pu, a donc dû considérer comme son devoir -comme son devoir envers la
paix- de borner ou de combattre l’ambition des puissances racistes, la
propagation des théories racistes dans le monde. Voilà en quoi l’effort
serein et magnifique du pape Pie XI a pu converger avec l’effort des
grandes démocraties universelles. Voilà pourquoi quelque chose de plus
que le respect dû à son grand rôle et à son grand courage nous incline
devant son cercueil. » (Cf. D.C. n° 892, 5 mars 1939, col. 335-336).
Il est sûr que, jusqu’au dernier instant de sa vie intellectuelle, Pie
XI fut obsédé par la paix. Son dernier discours jamais prononcé (cf.
plus haut), se termine par une invocation ou plutôt une « exultation »
des « ossements glorieux » des apôtres venus fonder à Rome l’Église
universelle : « Prophétisez, ossements chers et vénérés, la venue ou le
retour à la religion du Christ de tous les peuples, de toutes les
nations, de toutes les races, toutes unies et devenus consanguines dans
le lien commun de la grande famille humaine. Prophétisez, enfin,
ossements des apôtres, l’ordre la tranquillité, la paix, la paix pour
tout ce monde, qui, tout en semblant pris d’une folie d’homicide et de
suicide des armements, veut la paix, à tout prix, et, avec Nous,
l’implore du Dieu de la paix et a confiance de l’obtenir. »
], les autorités des différents
pays et la presse du monde entier, à l’exception de l’URSS qui ne fit
aucun commentaire, saluèrent le « pape de la paix ». C’est
l’expression qui revint le plus souvent. Il convient de mettre en
exergue la réaction des autorités israélites qui virent en lui un
défenseur face au racisme et à
l’antisémitisme.[77]
Le 2 mars 1939, Pie XII est élu Pape. Le 19 mars, Mgr Kerkhofs, évêque de Liège, fait lire, dans les églises des cantons de l’Est, un mandement condamnant le racisme et le national-socialisme, « des hérésies extrêmement dangereuses ». Il se réfère à l’encyclique Mit brennender Sorge mais aussi à un sermon de l’évêque italien de Cremone qui résume très bien les causes de la condamnation : « La condamnation de la chimère racique allemande intervient parce qu’il s’agit d’un système proprement religieux -philosophique qui nie en principe la foi catholique et la civilisation chrétienne. Ce système matérialiste voit dans le sang les causes initiales dirigeantes pour la vie spirituelle. Il nie tout ordre surnaturel, l’unité d’origine de la race humaine, le péché originel, la Rédemption et la divinité du Christ. Il nie l’existence d’un Dieu personnel et la fondation de l’Église et ne conçoit l’immortalité que dans la survivance racique du sang dans les générations qui se suivent. »[78]
Von Papen mentait donc lorsque, immédiatement après la signature, il déclara devant l’Association des universitaires catholiques à Maria-Laach, que « le pape, en considération de la lutte du national-socialisme contre le bolchevisme et le mouvement des sans-Dieu, s’est déclaré prêt à soutenir le mouvement national-socialiste. » (Cité par André Saint-Denis, op. cit., p. 103.) Von Papen se faisait des illusions sur son propre pouvoir réel. Il comptait, en août, participer au traditionnel Katholikentag de Munich qui devait être consacré au Concordat dont il avait été un des artisans. Mais le congrès fut annulé par son président, le prince Alois de Löwenstein, les nazis ayant refusé de donner les autorisations nécessaires suite aux refus des responsables du Katholikentag de prêter allégeance à Adolf Hitler (Cf. Thomas Grossmann, Note d’information sur le Katholikentag de Sarrebrück (http://osnabrueck.katholikentag.de/data/text_kt_franz_050815.pdf).
Notons que sur le plan politique, Hitler voudra rassurer les grandes puissances sur ses bonnes intentions pacifiques comme en témoigne le Pacte de Rome, pacte d’entente et de collaboration entre le Reich, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, signé le 7 juin 1933. L’Église allemande n’est pas la seule à avoir été dupée. Il n’y a pas que les hommes d’Église à avoir, un temps, très court, cru au respect des accords conclus. Le 1er janvier 1935, devant le corps diplomatique et s’adressant au nonce apostolique qui, dans son discours, s’était inquiété de l’avenir de la paix mondiale, Hitler déclarera : « Nulle part ailleurs le besoin de paix ne peut se faire plus fort qu’en Allemagne […] l’Allemagne sera toujours un garant sûr de la paix.[…] Je ne vois dans les relations entre les peuples, aucun problème qui ne puisse trouver une solution amiable si on le traite avec compréhension. Je ne puis croire que la bonne volonté fasse aujourd’hui défaut dans l’esprit de n’importe quelle autorité responsable de l’étranger. En tout cas, le peuple allemand et son gouvernement sont résolus à contribuer pour leur part à l’établissement de relations entre les peuples qui assurent une collaboration loyale sur la base de l’égalité des droits de tous et qui, seule, puisse garantir le bien-être et le progrès de l’humanité. » (DC, n° 732, 12 janvier 1935, col. 73-74 ; voir aussi le discours d’Hitler du 1er janvier 1936, DC, n° 780, 25 janvier 1936, col. 198)). Le 29 septembre 1938 sont signés les accords de Munich entre la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne. L’annexion du pays des Sudètes (en Tchécoslovaquie) par l’Allemagne est reconnue avec l’espoir ou la certitude que la guerre serait évitée. Dès mars 1939, Hitler viola les accords, « convaincu que les démocraties abdiqueraient de nouveau devant le risque d’une guerre » (Mourre). Le 6 décembre 1938, France et Allemagne signent une déclaration de bonne entente…
Plus interpellant encore, le 30 janvier 1939, prononce un long discours devant le Reichstag, Hitler dénonce « la presse et la propagande juives » et précise que « seuls ces éléments s’acharnent à espérer une guerre » et déclare : « Mais moi, je crois en une longue paix ». Il se réjouit des bonnes relations avec l’Angleterre et la France, d’avoir à ses frontières des « États neutres, véritablement amis » et de citer, entre autres la Belgique, la Hollande, le Danemark et la Norvège qui seront envahis…(DC n° 895, 20 avril 1939, col. 506-507).
Notons que la presse allemande national-socialiste ou non sera très critique vis-à-vis de concordat signé le 1er mai 1934 entre de Saint-Siège et l’Autriche. Elle estime que la part faite à l’Église catholique est trop belle. (DC, n° 730, 29 décembre 1934, col. 1251-1326).
« Un État raciste doit donc, avant tout, faire sortir le mariage de l’abaissement où l’a plongé une continuelle adultération de la race et lui rendre la sainteté d’une institution, destinée à créer des êtres à l’image du Seigneur et non des monstres qui tiennent le milieu entre l’homme et le singe » (p. 210)
« Il est tout à fait conforme à la ligne de conduite actuelle de nos Églises qu’elles pèchent contre le respect dû à l’homme, image du Seigneur, ressemblance sur laquelle elles insistent tant ; elles parlent toujours de l’Esprit et laissent déchoir au rang de prolétaire dégénéré le réceptacle de l’Esprit. Puis on s’étonne avec un air stupide du peu d’influence qu’a la foi chrétienne dans son propre pays, de l’épouvantable « irréligion » de cette misérable canaille dégradée physiquement et dont le moral est naturellement tout aussi gâté ; et l’on se dédommage en prêchant avec succès la doctrine évangélique aux Hottentots et aux Cafres. Tandis que nos peuples d’Europe, à la plus grande louange et gloire de Dieu, sont rongés d’une lèpre morale et physique, le pieux missionnaire s’en va dans l’Afrique centrale et fonde des missions pour les nègres, jusqu’à ce que notre « civilisation supérieure » ait fait de ces hommes sains, bien que primitifs et arriérés, une engeance de mulâtres fainéants. Nos deux confessions chrétiennes répondraient bien mieux aux plus nobles aspirations humaines si, au lieu d’importuner les nègres avec des missions dont ils ne souhaitent ni ne peuvent comprendre l’enseignement, elles voulaient bien faire comprendre très sérieusement aux habitants de l’Europe que les ménages de mauvaise santé feraient une œuvre bien plus agréable à Dieu, s’ils avaient pitié d’un pauvre petit orphelin sain et robuste et lui tenaient lieu de père et de mère, au lieu de donner la vie à un enfant maladif qui sera pour lui-même et pour les autres une cause de malheur et d’affliction. » (p. 211)
« De temps en temps, les journaux illustrés mettent sous les yeux de nos bons bourgeois allemands le portrait d’un nègre qui, en tel ou tel endroit, est devenu avocat, professeur, ou pasteur, ou même ténor tenant les premiers rôles ou quelque chose de ce genre. Pendant que nos bourgeois imbéciles admirent les effets miraculeux de ce dressage et sont pénétrés de respect pour les résultats qu’obtient la pédagogie moderne, la Juif rusé y découvre un nouvel argument à l’appui de la théorie qu’il veut enfoncer dans I’esprit des peuples et qui proclame l’égalité des hommes. Cette bourgeoisie en décadence n’a pas le plus léger soupçon du péché qu’on commet ainsi contre la raison ; car c’est une folie criminelle que de dresser un être, qui est par son origine un demi-singe, jusqu’à ce qu’on le prenne pour un avocat, alors que des millions de représentants de la race la plus civilisée doivent végéter dans des situations indignes d’eux. On pèche contre la volonté du Créateur quand on laisse les hommes les mieux doués étouffer par centaines de milliers dans le marais du prolétariat actuel, tandis qu’on dresse des Hottentots et des Cafres à exercer des professions libérales. Car il ne s’agit là que d’un dressage, comme pour un caniche, et non d’une « culture » scientifique. » (p 224)
Voici comment Pie XII la présente, après la guerre, sa réception et son influence : « Lorsque […
On trouvera aussi d’autres réactions nationales-socialistes ou encore françaises et vaticane dans DC n°837-838, 10-17 avril 1937, col.922-936.
Aussitôt, à Rome, Radio Vatican dénonce la diffusion de ce texte ; le pape Pie XI et le cardinal Pacelli convoquent Innitzer au Vatican et lui demandent de s’expliquer devant eux. Le 6 avril, avant de rencontrer le pape, Innitzer s’entretient avec le Cardinal Pacelli qui lui ordonne de rédiger un document, au nom de tous les évêques d’Autriche, à paraître dans l’link : Osservatore Romano, affirmant que : « La déclaration solennelle des évêques autrichiens […] n’avait pas pour but d’être une approbation de quelque chose qui est incompatible avec la loi de Dieu », et précisant également que cette première déclaration avait été faite sans l’link : accord de Rome.
Pendant les mois qui suivent, les Allemands abrogent le régime concordataire autrichien et interdisent les organisations et journaux dépendant de l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Catholicisme[Église catholique
(http://www.orleans.catholique.fr/cathedrale/index.php?2006/12/14/7-histoire-de-la-sainte-croix).
En s’écartant donc de lui, en s’appuyant sur la race et le sang, on a affirmé que la personne et la vie de Jésus-Christ s’opposent à la nature de l’homme allemand, que les enseignements principaux de sa doctrine, spécialement le dogme du péché originel et de la Rédemption, de la récompense et du châtiment après la mort, ne sont autre chose que des superstitions de l’Asie mineure, imposées aux populations germaniques après que celles-ci eurent été subjuguées. »
On peut se demander quelle fut l’attitude des Églises luthériennes. La plupart furent fidèles aux dirigeants nazis et cette attitude suscita une réaction : la constitution d’une Église confessante qui regroupe d’éminentes personnalités comme Karl Barth (expulsé d’Allemagne), Martin Niemoller (sympathisant du régime envoyé à Dachau) et Dietrich Bonhoeffer (mort en camp de concentration) mais qui ne resta pas unie.
On sait aussi que Pie XI, malade, cardiaque et diabétique, prévoyait une encyclique sur l’unité du genre humain (Humani generis unitas, 1938-1939) où de nouveau seraient dénoncés l’étatisme, le nationalisme, le racisme et l’antisémitisme. Travaillèrent à ce projet lancé en juin 1938, trois jésuites dont le P. Gustav Gundlach, théologien allemand « antinazi convaincu et décidé » qui sera le théologien préféré de Pie XII en matière politique et sociale. Pie XI meurt en février 1939 sans avoir eu le temps évidemment de parachever l’ouvrage proposé. (Cf. PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, L’encyclique cachée de Pie XI, Préface de Emile Poulat, Ed. La Découverte, 1995).
A cet hommage se joint celui du grand rabbin de Paris Julien Weill : « La mort de Pie XI m’émeut profondément et douloureusement. A la vénération universelle qui entourait l’auguste Pontife, le judaïsme s’associait de tout cœur, admirant et honorant en lui un grand serviteur de Dieu, un véritable apôtre de la justice sociale, de la paix et de la fraternité humaine. A plusieurs reprises, Pie XI dénonça avec une fermeté et une netteté lumineuse les pernicieuses erreurs du paganisme raciste, et il a condamné l’antisémitisme comme inconciliable avec la loi chrétienne et comme fauteur d’iniquités et de violences odieuses. Je suis sûr d’être l’interprète des sentiments de tous mes coreligionnaires en saluant avec respect la grande figure de Pie XI et en donnant dans nos prières une expression religieuse à notre hommage de regret et de gratitude envers ce grand serviteur du Dieu de justice et d’amour. » (Epoque, 11 février 1939).
Ces deux témoignages ont été publiés in D. C. n° 892, 5 mars 1939, col. 290.
On parle aussi, à propos d’animaux, de « codes raciques » (cf. www.swissherdbook.ch)
ii. A propos de Pie XII
Le lecteur peut consulter le site http://www.pie12.com/index.php?category/Actualites consacré à Pie XII. On y trouve une foule de renseignements et une abondante bibliographie tenue à jour.[1]
Nous ne ferons donc ici que mettre en exergue quelques événements.
En évoquant de nouveau le pontificat de Pie XI, nous avons vu l’action menée par le futur Pie XII. Nous avons aussi précédemment suivi presque pas à pas ses efforts en tant que souverain pontife au service de la paix. Efforts pour empêcher le « pacte d’acier » entre l’Allemagne et l’Italie, efforts pour préserver la Pologne, efforts pour empêcher Italiens et Espagnols de s’associer aux nazis, efforts pour tenter d’empêcher la guerre, de l’arrêter, de préparer la paix.[2]
Il n’empêche que beaucoup encore aujourd’hui considèrent ce pape comme coupable de silence face au génocide juif et même de collusion avec l’hitlérisme.
Il n’est donc pas inutile de rappeler quelques faits.
Ce qu’on peut appeler la « légende noire » a pris corps dans le grand public[3] en 1963, date à laquelle le dramaturge allemand d’extrême-gauche Rolf Hochhuth produit une pièce intitulée « Le Vicaire »[4]. C’est cette pièce qui va ternir la réputation d’un pape que le monde entier, à l’exception des nazis et des communistes, avait loué jusque là.[5] L’autorité de Pie XII a été « discréditée par les secteurs communistes pendant la période la guerre froide ».[6]
Evoquant la pièce, et avec beaucoup d’indulgence, le cardinal Montini, le futur pape Paul VI, écrira : « On ne joue pas avec des sujets et des personnages historiques portés à la connaissance du public par l’imagination créatrice de gens de théâtre insuffisamment doués de discernement historique et -Dieu veuille que cela ne soit pas le cas ici- d’honnêteté humaine ».[7] En tout cas, la conclusion de spectacle c’est que « seuls les communistes et l’Union soviétique ont été efficaces » contre le génocide juif.[8] Peut-être cherchaient-ils à faire oublier l’antisémitisme stalinien ?[9]
Nous avons suivi l’action du Nonce Pacelli puis du Pape Pie XII avant, pendant et après la guerre.
Rappelons que nonce apostolique en Bavière, le futur Pie XII assiste dès 1923 à la montée de la droite nationaliste qui assimile les jésuites, les juifs et les protestants à des ennemis de l’Allemagne. Il dénonce auprès de Pie XI le caractère anti-catholique de la tentative de coup d’État par Hitler. En mai 1924, il écrit que le nazisme « est peut-être la pire hérésie de notre époque ».[10]
Des quarante-quatre discours prononcés comme nonce en Allemagne entre 1917 et 1929, quarante dénoncent un aspect ou un autre de l’idéologie nazie.[11] et il est titulaire d’une licence de l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Californie_%C3%A0_Berkeley[université de Californie à Berkeley], une maîtrise et un doctorat à l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_Brandeis[Université Brandeis] et a reçu l’http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Ordination_rabbinique&action=edit&redlink=1[ordination rabbinique] au séminaire théologique juif des États-Unis d’Amérique.]
En août 1929, il décrit, au nonce apostolique autrichien, Hitler comme « un redoutable agitateur politique ». Il ajoute : « ou bien je me trompe vraiment beaucoup, ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Cet être-là est entièrement possédé de lui-même : tout ce qu’il dit et écrit porte l’empreinte de son égoïsme ; c’est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin - je n’arrive pas à comprendre que tant de gens en Allemagne, même parmi les meilleurs, ne voient pas cela, ou du moins ne tirent aucune leçon de ce qu’il écrit et dit. Qui parmi tous ces gens, a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu’est Mein Kampf ? »[12]
Entre 1933 et 1939, le cardinal Pacelli envoie 55 notes de protestation au gouvernement allemand qui ne respecte pas le concordat.
En mars 1935, dans une lettre ouverte à l’évêque de Cologne, il traite les nazis de « faux prophètes, orgueilleux tel Lucifer » et la même année, devant des pèlerins à Lourdes, il dénonce les idéologies « possédées par la superstition de la race et du sang ». A sœur Pasqualina, sa secrétaire, il déclare que « Hitler est tout à fait obsédé. Il détruit tout ce dont il n’a pas besoin et est capable de piétiner des cadavres. »[13]
En 1935 encore, devant des milliers de pèlerins à Lourdes, il dénonce les idéologies « possédées par la superstition de la race et du sang »[14]
En 1935 toujours, lors d’une réunion avec Dietrich von Hildebrand[15] il déclare que la réconciliation entre la chrétienté et le racisme nazi est impossible puisqu’ils sont aussi différents que l’eau et le feu.[16]
En 1937, il rédige avec le cardinal Faulhaber l’encyclique Mit brennender Sorge et, à Notre-Dame de Paris, il qualifie l’Allemagne de « nation puissante et noble que de mauvais bergers fourvoient vers une idéologie de race. »[17]
Lors de l’élection du Pape, l’Humanité souligne que la brièveté du Conclave et le choix de Mgr Pacelli « prennent plus de sens encore quand on sait quelles insolences exclusives lancèrent Hitler et Mussolini contre sa personne et ce qu’elle signifie pour eux. »[18]
En 1938, l’approbation de l’Anschluss par l’épiscopat autrichien va être très mal reçue au Vatican. Le 27 mars, cette déclaration collective de l’épiscopat d’Autriche est lue dans toutes les Églises du territoire autrichien : « (…) Nous reconnaissons avec joie que le mouvement national-socialiste a fait et fait encore œuvre éminente dans le domaine de la construction nationale et économique comme aussi dans le domaine de la politique sociale pour le Reich et la nation allemande, et notamment pour les couches les plus pauvres de la population… Au jour du plébiscite, il va sans dire que c’est pour nous un devoir national, en tant qu’Allemands, de nous déclarer pour le Reich allemand, et nous attendons également de tous les chrétiens croyants qu’ils sauront ce qu’ils doivent à leur nation. ». Aussitôt, à Rome, Radio Vatican dénonce la diffusion de ce texte ; le pape Pie XI et le cardinal Pacelli convoquent le cardinal-archevêque de Vienne Innitzer au Vatican et lui demandent de s’expliquer devant eux. Le 6 avril, avant de rencontrer le pape, Innitzer s’entretient avec le Cardinal Pacelli, qui lui ordonne de rédiger un document, au nom de tous les évêques d’Autriche, à paraître dans l’Osservatore Romano, affirmant que : « La déclaration solennelle des évêques autrichiens […] n’avait pas pour but d’être une approbation de quelque chose qui est incompatible avec la loi de Dieu », et précisant également que cette première déclaration avait été faite sans l’link : accord de Rome.[19] Pendant les mois qui suivent, les Allemands abrogent le régime concordataire autrichien et interdisent les organisations et journaux dépendant de l’Église catholique. En signe de protestation, le 7 octobre 1938, à l’appel d’Innitzer, des milliers de jeunes gens viennent se rassembler pour prier et méditer dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Dans son sermon, le cardinal affirme alors : « Il n’y a qu’un seul guide (Führer en allemand) : Jésus Christ. » Le lendemain, une centaine de nazis envahissent et saccagent la résidence de l’archevêque. Le cardinal Innitzer se rétracte alors complètement et écrit : « On nous a misérablement trompés. L’Allemagne venait à nous comme une mère à ses enfants ; nous savons maintenant ce que cela signifie. La haine du national-socialisme, égale à celle du communisme, s’est ici déchainée sans retenue contre l’Église. On veut faire de l’Autriche un champ d’expérience pour voir jusqu’où peut aller l’anéantissement du christianisme. Cela ne peut plus durer. On ne répond même pas à nos protestations incessantes. Il faudra voir bien en venir à la lutte ouverte. Les évêques ont été loyaux et confiants, on les a systématiquement abusés. Il faut qu’on sache... » Les relations ambigües entre Innitzer et le régime nazi suscitèrent de nombreuses critiques après la Seconde Guerre mondiale.
Le 28 octobre 1939, le New York Times salue, en première page, l’encyclique Summi pontificatus par ce titre : « Le pape condamne le racisme, les dictateurs et ceux qui violent les traités. »[20] Des milliers de copies seront larguées par avion au-dessus du sol allemand.[21]
En 1939 et 1940, il met en contact les opposants d’Hitler et les Britanniques et avertit les alliés de la prochaine invasion des Pays-Bas, Belgique et France.[22]
Durant la guerre, l’attitude Pie XII face aux nazis sera comparable à celle de Jean XXIII face aux régimes communistes[23]. Il ne fit pas pression sur le Congrès pour augmenter l’accueil des réfugiés juifs. Pendant la guerre, le président américain n’a pas cherché à aider les Juifs d’Europe, considérant que le principal objectif devait être l’écrasement du régime nazihttp://fr.wikipedia.org/wiki/Franklin_Delano_Roosevelt#cite_note-145[[\]\]. Malgré la pression des Juifs américains, de sa femme et de l’opinion publique américaine, le président ne dévia pas de cette direction. Il ne fut pas mis au courant des projets de bombardements d’http://fr.wikipedia.org/wiki/Auschwitz_(camps)[Auschwitz] ou des voies ferrées.] : prudente. Comme l’explique Alexis Curvers : « Approuvée, recommandée et pratiquée par le pape, une telle politique exigeait évidemment de lui et de toute l’Église officielle une grande modération de langage. Et cette modération qu’on blâme chez Pie XII est précisément celle que les mêmes critiques admirent chez Jean XXIII, parce que celui-ci en a usé, et probablement pour les mêmes raisons, dans ses rapports avec les régimes communistes. On ne peut à la fois demander grâce pour les victimes, qu’elles soient juives ou chrétiennes, et lancer l’anathème à la face des bourreaux tout-puissants. »[24] Le cardinal Montini confirme : « Une attitude de condamnation et de protestation comme celle qu’il [Hochhuth] reproche au pape de n’avoir pas adoptée, eût été non seulement inutile, mais encore nuisible. […] Si, par hypothèse, Pie XII avait fait ce que Hochhuth lui reproche de n’avoir pas fait, il en serait résulté de telles représailles et de telles ruines que, une fois la guerre finie, le même Hochhuth aurait pu, avec une plus grande objectivité historique, politique et morale, écrire un autre drame beaucoup plus réaliste.. »[25]
Si pour les raisons dites, Pie XII est prudent, l’Osservatore romano qui n’est pas tenu par la même réserve se montre sévère dans ses condamnations.[26] Il en est de même pour Radio Vatican : en janvier 1940, le pape demande que à la station « de rendre publiques les épouvantables cruautés de la tyrannie barbare ».[27]
Selon le New York Times du 14 mars 1940, « face à Ribbentrop, le Pape a pris la défense des Juifs allemands et polonais » et a rappelé les atrocités commises par les nazis.[28]
Le 13 mai 1940, devant l’ambassadeur italien Alfieri qui quittait le Saint-Siège pour Berlin, Pie XII déclare : « Nous devrions dire des paroles de feu contre ce qui se passe en Pologne et la seule raison qui Nous retienne de le faire est de savoir que, si Nous parlions, Nous rendrions la condition de ces malheureux encore plus dure ».[29]
Le 23 décembre 1940, le Time magazine publie cet hommage d’Albert Einstein : « Lorsque la révolution nazie survient en Allemagne, c’est sur les universités que je comptais pour défendre la liberté, dont j’étais moi-même un amoureux, car je savais qu’elles avaient toujours mis en avant leur attachement à la cause de la vérité ; mais non, les universités furent immédiatement réduites au silence. Alors je me tournai vers les grands éditeurs de journaux, dont les éditoriaux enflammés des jours passés avaient proclamé leur amour de la liberté ; mais eux aussi, en quelques courtes semaines et comme els universités, furent réduits au silence. Dans la campagne entreprise par Hitler pour faire disparaître la vérité, seule l’Église catholique se tenait carrément e n travers du chemin. Je ne m’étais jamais spécialement intéressé à l’Église auparavant l’Église, mais maintenant je ressens pour elle une grande affection et admiration, parce qu’elle seule a eu le courage et la persévérance de se poser en défenseur de la vérité intellectuelle et de la liberté morale. Je suis donc bien forcé d’avouer que, maintenant, c’est sans réserve que je fais l’éloge de ce qu’autrefois je dédaignais. »
En 1942, Pie XII envoie son nonce protester auprès du gouvernement français de Vichy contre « les arrestations inhumaines et les déportations de juifs depuis la France occupée vers la Silésie et certaines régions de Russie ». Le 6 août 1942, le New York Times titre : « On dit que le pape prend la défense des juifs déportés de France ». Trois Semaines plus tard, le Times écrit : « Vichy arrête les juifs ; le pape est ignoré ». A l’automne, Les services de Goebbels distribuent dix millions d’exemplaires décrivant Pie XII comme le « pape pro-juif » à cause de ses interventions françaises.[30]
Dans le radio-message de Noël 1942, Pie XII parle de ces « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive ». Le 26 décembre, le New York Times écrit : « La voix de Pie XII est un cri dans le silence et la nuit qui enveloppent l’Europe cet hiver. […] En appelant de ses vœux un « véritable nouvel ordre » fondé sur la liberté, la justice et l’amour […] le pape se place à l’opposé d’Hitler ». Une résistante célèbre, Malou Blum[31], dira : « Pour nous, le message de Noël 1942 était une condamnation claire du nazisme ».[32]
Le 2 juin 1943, Pie XII dénonce les exactions pour cause de nationalité ou de race[33] et explique la prudence agissante de l’Église[34].
En 1942, Le Pape déclare à un visiteur : « Le danger communiste est bien réel mais en ce moment c’est le danger nazi qui m’inquiète le plus ».[35]
Le 30 avril 1943, Pie XII écrit à Mgr Konrad von Preysing, évêque de Berlin : « Jour après jour, parviennent à Notre connaissance des actes inhumains qui n’ont rien à voir avec les réelles nécessités de la guerre et qui Nous remplissent de stupeur et d’effroi » et félicite les prélats qui ont pris la défense de la personne humaine « que les victimes soient ou non les enfants de l’Église ».[36]
Le 21 janvier 1943, Pie XII écrit au cardinal Faulhaber : « Nous avons toujours caractérisé Notre’ attitude dans la guerre par le mot « impartialité » et non par le mot « neutralité ». Neutralité pourrait être compris dans le sens d’u ne indifférence passive, qui ne convient pas au chef de l’Église. Impartialité signifie pour Nous juger les choses selon la vérité et la justice. Mais en cela quand il s’est agi de déclarations publiques de Notre part, Nous avons eu tous les égards possibles à la situation de l’Église’ dans les différents pays pour épargner aux catholiques des lieux des difficultés que l’on pouvait éviter ».[37]
Le 16 octobre 1943, informé[38] de la déportation des Juifs de Rome, Pie XII demande à son secrétaire d’État, le cardinal Maglione de protester. Maglione avertit l’ambassadeur d’Allemagne que le Pape ne pourrait garder le silence s’ils arrêtaient des Juifs. Dans le même temps, Pie XII envoyait son neveu Carlo Pacelli demander à Mgr Alois Hudal, sympathisant allemand, d’intervenir. et protesta. Ces démarches restant vaines, Pie XII envoie son confident le plus proche, le père général des Salvatoriens, le P. Pfeiffer auprès du gouverneur militaire de Rome, le général Stahel, pour que cesse cette persécution sinon le pape lancerait une protestation publique. Stahel, par crainte d’une invasion du Vatican intervint immédiatement.[39] L’opération qui devait durer deux jours fut arrêtée le jour même et seuls 1000 des 8000 Juifs réclamés par Hitler furent déportés.[40]
C’est cette année-là que Cahim Weitzmann, le futur premier président israélien écrit que « le Saint-Siège prête son puissant soutien afin d’améliorer le sort de mes frères persécutés. »[41]
Le 22 juin 1944, le rabbin André Zaoui, aumônier capitaine du Corps expéditionnaire français adresse une lettre à Pie XII où il remercie le Saint-Père et les prêtres qui ont aidé les juifs persécutés. Il raconte qu’il a visité l’Institut Pie XI « qui a protégé pendant plus de six mois une soixantaine d’enfants juifs dont quelques petits réfugiés de France ».[42]
En 1944 toujours, le Grand Rabbin d’Israël Isaac Herzog déclare dans un message que « le peuple israélien n’oubliera jamais ce que le Pape et ses délégués font pour nos malheureux frères et sœurs dans les heures les plus sombres de notre histoire. Ils sont inspirés par les principes de la religion qui sont les fondements de la vraie civilisation. C’est la preuve de l’existence de la providence divine dans ce monde ».[43] Durant l’été 44, Rome étant libérée, Pie XII s’adresse à un groupe de juifs romains venus le remercier pour sa protection : « Pendant des siècles les juifs ont été traités injustement et méprisés. L’heure est venue de les traiter avec justice et humanité. Dieu le veut et l’Église le veut. Saint Paul nous dit que les juifs sont nos frères. qu’ils soient également nos amis. »[44]
Dans une Allocution à un groupe de 70 déportés juifs libérés des camps de concentration allemands et délégués par la United Jewish appeal au Vatican, le 29 novembre 1944, pour exprimer à Pie XII la reconnaissance des Juifs pour son action en leur faveur. Ils
viennent exprimer leur gratitude et leur reconnaissance au Pape pour sa sollicitude durant la guerre, « très honorés de pouvoir remercier personnellement le Saint-Père, pour la générosité qu’il leur a démontrée pendant la terrible période nazie », Pie XII dira : le Siège apostolique « n’a jamais, fût-ce aux moments les plus critiques, laissé le moindre doute que ses maximes et son action extérieure, n’admettaient ni ne peuvent admettre aucune des conceptions qui dans l’histoire de la civilisation seront rangées parmi les égarements les plus déplorables et les plus déshonorant de la pensée et du sentiment des hommes ». Il ajoutera : « Votre présence ici veut être un témoignage intime de gratitude de la part d’hommes et de femmes qui, en des temps angoissants pour eux et souvent même sous la menace d’un péril de mort imminent, ont expérimenté comment l’Église catholique et ses vrais disciples savent dans l’exercice de la charité s’élever au -dessus de toutes les limites étroites et arbitraires créées par l’égoïsme humain et par les passions raciales. »
On sait que les prises de position de Pie XII inspirèrent à Hitler le désir de « coffrer ce ramassis d’agitateurs ». Plusieurs plans d’enlèvement du pape et d’invasion du Vatican.[45]
A la fin de la guerre, Moshe Sharett, le second premier ministre israélien rencontre Pie XII et déclare : « mon devoir était de leur dire merci à lui et à l’Église catholique au nom de tous les juifs pour tout ce qu’ils avaient fait dans les pays occupés. »[46]
La guerre se terminant, Pie XII reprend clairement la parole. Aux fidèles de Rome, le 18 mars 1945, il déclare dans son Allocution : « A ceux qui se sont laissé séduire par les fauteurs de la violence et qui, après les avoir suivis inconsidérément, commencent enfin à revenir de leurs illusions, consternés de voir jusqu’où les a conduits leur servile docilité, il ne reste plus d’autre chemin de salut que de répudier définitivement l’idolâtrie des nationalismes absolus, les orgueils de la race et du sang, les convoitises d’hégémonie dans la possession des biens terrestres, et d’adopter résolument l’esprit de sincère fraternité, fondé sur le culte du Père divin de tous les hommes, et dans lequel les notions trop longtemps opposées de droit et de devoir, de profit et de charges, s’harmonisent dans la justice et dans la charité. » Et au Sacré Collège, le 2 juin 1945, il rappelle les douze années passées en Allemagne qui lui ont permis de découvrir les qualités de ce peuple qui lui permettront de se redresser « quand il aura repoussé de lui le spectre satanique exhibé par le national-socialisme et quand les coupables (comme Nous avons déjà eu l’occasion de l’exposer d’autres fois) auront expié les crimes qu’ils ont commis. » Pie XII explique ensuite quelle fut l’attitude l’Église durant cette période sombre.
En septembre 1945, Léon Kubowitzy, secrétaire général du Congrès juif mondial, remercie personnellement le pape pour ses diverses interventions et fait un don de 20.000dolars aux œuvres du Vatican « en reconnaissance de l’aide apportée par le Saint-Siège aux juifs persécutés par le fascisme et le nazisme ».[47]
1er novembre 1945, Pie XII dans sa Lettre aux évêques allemands, les félicite pour l’attitude qu’ils ont eue durant « la persécution perfide et astucieuse dont l’Église d’Allemagne a été victime ».
En 1945 toujours, Israel Zoller (Zolli), grand rabbin de Rome depuis 1940, se convertit, avec son épouse, au catholicisme. Pour prénom de baptême, il choisit de s’appeler « Eugenio Pio », et sa femme « Eugenia », en hommage au pape Pie XII, en raison de son action pour les Juifs de Rome pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon l’Ephéméride du journal Direct Matin du 13 février 2013, très impressionné par l’attitude du pontife pendant la guerre, il écrira : « Il n’existe pas de lieu de souffrances que l’esprit d’amour de Pie XII n’ait atteint… Au cours de l’Histoire, aucun héros n’a commandé une telle armée. Aucune force militaire n’a été plus combattante, aucune n’a été plus combattue, aucune n’a été plus héroïque que celle menée par Pie XII au nom de la charité chrétienne. » » Myriam, la fille du rabbin Zolli, écrit : « Pacelli et mon père étaient des figures tragiques dans un monde où toute référence morale avait disparu. Le gouffre du mal s’était ouvert, mais personne ne le croyait, et les grands de ce monde - Roosevelt, Staline, de Gaulle - étaient silencieux. Pie XII avait compris que Hitler n’honorerait de pactes avec personne, que sa folie pouvait se diriger dans la direction des catholiques allemands ou du bombardement de Rome, et il agit en connaissance de cause. Le pape était comme quelqu’un contraint à agir seul parmi les fous d’un hôpital psychiatrique. Il a fait ce qu’il pouvait. Il faut comprendre son silence dans le cadre d’un tel contexte, non comme une lâcheté, mais comme un acte de prudence[48]. »[49] Devenu professeur à l’Institut biblique pontifical, Eugenio Zolli mourut à Rome en 1956, à l’âge de 74 ans. Son autobiographie publiée en 1954, Prima dell’alba, décrit les circonstances de sa conversion et explique les raisons de son admiration envers Pie XII. On y lit notamment : « La rayonnante charité du Pape, penché sur toutes les misères engendrées par la guerre, sa bonté pour mes coreligionnaires traqués, furent pour moi l’ouragan qui balaya mes scrupules à me faire catholique. »[50]
Le7 septembre 1945, Giuseppe Nathan, commissaire de l’Union des communautés israélites, rend grâce « au souverain Pontife, aux religieux et aux religieuses qui n’ont vu dans les persécutés que des frères, selon les indications du Saint-Père ».[51]
Le 21 septembre 1945, le docteur Leo Kubowitski, secrétaire du Congrès Juif Mondial, est reçu par Pie XII afin de lui présenter ses remerciements pour l’œuvre effectuée par l’Église Catholique dans toute l’Europe en défense du peuple juif.[52]
Le 11 octobre 1945, le le Secrétaire général du Congrès juif mondial remercie personnellement le pape pour ses diverses interventions et fait un don de 20.000 dollars aux œuvres du Vatican « en reconnaissance de l’aide apportée par le Saint-Siège aux Juifs persécutés par le fascisme et le nazisme ».[53]
En 1955, à l’occasion des célébrations du 10e anniversaire de la Libération, l’Union des Communautés juives italiennes déclare que le 17 avril sera la « Journée de la reconnaissance » « pour l’aide apportée par le pape pendant la guerre ».[54]
Le 26 mai 1955, l’Orchestre philarmonique d’Israël avec 94 musiciens, sous la direction de Paul Kletzki se rend au Vatican pour y interpréter la VIIe symphonie de Beethoven « en reconnaissance de l’œuvre humanitaire grandiose accomplie par le Pape pour sauver un grand nombre de Juifs pendant la Seconde guerre mondiale »[55]
Sont intéressantes aussi les réactions à la mort de Pie XII survenue le 8 octobre 1958, publiées, pour la plupart et entre autres, par la Documentation catholique, n°1289, le 26 octobre 1958 :
« Au soir de ce grand et illustre pontificat, pendant lequel l’humanité a connu les plus terribles épreuves, j’évoque avec émotion et respect la haute figure de Pie XII, dont le fervent témoignage a inspiré à tant d’hommes le courage et l’espérance. » (Général De Gaulle, président du Conseil)
« Nous sentons tous que le monde s’est appauvri en perdant un homme qui a joué un tel rôle dans la défense des valeurs spirituelles et de la paix et qui s’est acquis le respect des représentants de toutes les confessions. » (Harold Mac Millan, premier ministre britannique)
« Nous avons à cœur d’exprimer notre profonde sympathie à l’Église catholique plongée dans le deuil par la mort du Pape Pie XII. » (Grand Rabbinat de France)
« Le monde est devenu plus pauvre du fait de la mort du pape Pie XII. Il avait consacré sa vie entière à la dévotion envers Dieu et au service de l’humanité. Ennemi déclaré et averti de la tyrannie, il avait toujours été un ami plein de sympathie et un bienfaiteur pour les opprimés, et sa main secourable se tendait toujours promptement pour secourir les malheureuses victimes de la guerre.
Il s’était fait opiniâtrement, sans peur et sans esprit partisan, le champion de la cause d’une paix juste entre les nations du monde. Doué d’une vision profonde, il a su demeurer à la mesure d’un monde changeant sans cesse et n’a jamais perdu de vue la destinée éternelle de l’humanité. » (Général Eisenhower, président des États-Unis)
« C’était un grand homme et un homme bon et je l’aimais. » (Maréchal Montgomery, Sunday Times).
« Nous partageons la douleur de l’humanité. Pie XII a servi l’idéal le plus noble de la paix et de la compassion ». « Pendant la décennie de terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre terrible, la voix du pape s’est élevée pour condamner les persécuteurs et pour invoquer la pitié envers leurs victimes. La vie de notre temps a été enrichie par une voix qui exprimait les grandes vérités morales au-dessus du tumulte des conflits quotidiens. Nous pleurons un grand serviteur de la paix ». (Golda Meir, ministre des Affaires étrangères d’Israël, le 9 Octobre 1958)
Les Juifs « se souviendront toujours de ce que l’Église catholique a fait pour eux sur l’ordre du Pape au moment des persécutions raciales. Quand la guerre mondiale faisait rage, Pie XII s’est prononcé souvent pour condamner la fausse théorie des races. » « De nombreux prêtres ont été emprisonnés et ont sacrifié leur vie pour aider les juifs » « Nous avons pu plus que tous les autres, bénéficier de la compassion, de la bonté et de la magnanimité du pape pendant les tristes années de persécution et de terreur alors que tout laissait à penser que nous ne pourrions pas nous en sortir ». (Dr Elio Toaff, grand rabbin de Rome, Le monde, 10 Octobre 1958.)[56] A l’agence Reuter, le même déclara : « Les Juifs se souviendront toujours de ce que l’Église a fait durant la seconde guerre mondiale, grâce au pape Pie XII. Ce dernier s’opposa toujours à la fameuse théorie de la discrimination raciale. Un grand nombre d’Israélites trouvèrent asile dans des couvents et le Pape promit d’aider les Juifs de Rome lorsque les occupants allemands leur demandèrent de leur verser 50 kilos d’or en 1944. Les communautés israélites portent le deuil du pape et prient Dieu de bénir la grande âme du disparu. »[57].
A partir de 1963, les condamnations se multiplient ressassant les mêmes critiques.
Mais, de plus en plus de témoignages vont contredire cette campagne de dénigrement. Et plus le temps passe et plus on constate que, malgré l’acharnement de certains et en raison même de leur persistance, nombre d’études très fouillées ont été suscitées par l’accumulation des mensonges. Ainsi, la vérité affleure de nouveau et finira par s’imposer.
En 1963, Pinchas Lapide, consul d’Israël à Milan du vivant de Pie XII, déclare au journal Le Monde : « Je peux affirmer que le pape, le Saint-Siège, les nonces et toute l’Église catholique ont sauvé de 150.000 à 400.00 juifs d’une mort certaine… L’église catholique sauva davantage de vies juives pendant la guerre que toutes les autres églises, institutions religieuses et organisations de sauvetage réunis ».[58]
En juin 1963 déjà, le bulletin des élèves de l’Athénée israélite de Bruxelles, Maïmonide consacre un article à Pie XII : « Les Juifs et le Vatican sous Pie XII », sous la plume d’Edith Mutz. On y lit que « la véritable raison du silence relatif de Pie XII n’était certes pas la crainte d’aller dans un camp de concentration, mais celle d’aggraver le cas de ceux qui s’y trouvaient. »[59] L’auteur rappelle qu’en 1937, les journaux allemands déclaraient : « Pie XI était à moitié juif ; le cardinal Pacelli, Pie XII, l’est complètement ». On trouve aussi dans le même article le témoignage du Dr Safran qui fut le grand rabbin de Roumanie durant la guerre : la médiation du Pape, écrit-il, « sauva les Juifs du désastre, à l’heure où la déportation des Roumains était décidée ». Il est aussi rappelé qu’en 1946, « on vite entrer au Vatican un groupe de Juifs au visage marqué par la souffrance : septante rescapés des fours crématoires venaient remercier Pie XII de son attitude pendant la guerre. […] Chaque année, des délégués de partout vinrent rendre hommage au Pape. Mme Golda Meïr, ministre des Affaires étrangères d’Israël, le remercia d’avoir élevé la voix en faveur des Juifs. »[60]
En 1964, Maurice Edelman, président de l’association anglo-juive et député travailliste déclare : « L’intervention du pape Pie XII a permis de sauver des dizaines de milliers de juifs pendant la guerre. » [61]
En 1964 encore, Albrecht von Kessel, collaborateur de M. von Weizsaecker, ambassadeur du 3ème Reich près le Vatican déclare : « Je romps le silence, en ces mois où se déroule l’action du « Vicaire » parce que j’étais membre de l’ambassade allemande près le Saint-Siège et parce que je crois, avec mon expérience de douze années de nazisme et de terreur, pouvoir contribuer à porter un jugement sur les faits romains.
La tâche de notre ambassade n’était pas facile. Hitler était capable dans son hystérisme de tout crime. Il avait toujours envisagé la possibilité de faire prisonnier le pape et de le déporter dans le « Grand Reich » -dans la période qui va de septembre 1943 à juin 1944- c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée des alliés. Si le pape s’était opposé à cette mesure, il était possible qu’on le fasse abattre « tandis qu’il tentait de s’enfuir » comme on l’a annoncé à ce moment-là à propos de certains morts…auf der Flucht erschossen !
Nous pensions que notre principal devoir était d’empêcher au moins ce crime (l’assassinat du pape), méfait qui aurait été perpétré au nom du peuple allemand.
M. von Weizsaecher devait lutter sur deux fronts : recommander au Saint-Siège -au Pape donc- de ne pas entreprendre d’action inconsidérée, c’est-à-dire d’action dont peut-être il ne percevait pas toutes les dernières et catastrophiques conséquences… d’autre part, il devait chercher à persuader les nazis au moyen de rapports diplomatiques faits avec art que le Vatican faisait preuve de « bonne » volonté et que les innombrables actions particulières du Saint-Siège en faveur des Juifs étaient choses insignifiantes à ne pas prendre au sérieux.
Nous tous membres de l’ambassade d’Allemagne près le Vatican, bien que nous fussions d’avis différents sur la situation, nous étions sans exception d’accord sur ce point : une protestation solennelle de pie XII contre la persécution des Juifs l’aurait probablement exposé, lui et toute la curie romaine, à un très grave danger et certainement alors en l’automne 43, celle-ci n’aurait sauvé la vie à aucun Juif. Hitler déchaîné, réagissait d’autant plus horriblement qu’il trouvait plus de résistance. »[62]
En 1975, le Dr Safran, Grand Rabbin de Roumanie, a estimé à 400.000, les juifs de Roumanie sauvés de la déportation par l’œuvre de St Raphaël organisée par Pie XII. « La médiation du Pape sauva les juifs du désastre, à l’heure où la déportation des Roumains était décidée » [63]
Le 11 septembre 1987, Jean-Paul II, devant 200 personnalités représentant presque toutes les organisations juives des États-Unis, rassemblées au Centre culturel de Miami, rappelait « les efforts énergiques et sans équivoque des papes contre l’antisémitisme et le nazisme au plus fort de la persécution contre les juifs ». Après avoir évoqué Pie XI déclarant le 6 septembre 1938 que « l’antisémitisme ne peut être accepté » et qu’il y avait « en outre l’opposition totale entre le christianisme et le nazisme en affirmant que la croix nazie était une « ennemie de la croix du Christ » (Allocution de Noël 1938) », Jean-Paul II se disait _« convaincu que l’histoire révélera d’une manière d plus en plus évidente et convaincante combien Pie XII ressentait profondément la tragédie du peuple juif et avec quel effort soutenu il oeuvra pour lui venir en aide efficacement pendant la Seconde Guerre mondiale. »[64]
En 1998, le P. Pierre Blet sj qui a travaillé à la publication des Actes et documents relatifs à la Seconde guerre mondiale[65] et à l’attitude de Pie XII, commente ses travaux dans un article intitulé « La légende à l’épreuve des archives ».[66] Il y décrit le travail accompli durant 15 ans et qui l’amène à conclure à l’ « inanité des attaques » contre le pape. Le travail du P. Blet et de ses collaborateurs étant mis lui-même en cause, le P. Blet dénonce, preuves à l’appui, le parti-pris et la malhonnêteté de certains journalistes.[67]
En 2001 paraît le livre d’Antonio Gaspari déjà cité dans lequel il cite le rabbin David Dalin (New York) : « Pie XII fut l’une des personnalités les plus critiques envers le nazisme. Sur 44 discours que Pacelli a prononcés en Allemagne entre 1917 et 1929, 40 dénoncent les dangers imminents de l’idéologie nazie. En mars 1935, dans une lettre ouverte à l’évêque de Cologne, il appelle les nazis « faux prophètes à l’orgueil de Lucifer ». […] Sa première encycliques en tant que pape, Summi pontificatus de 1939 était si clairement anti-raciste que les avions alliés en lâchèrent des milliers de copies sur l’Allemagne. »[68]
Attardons-nous un peu au cas de ce rabbin, éminent historien, spécialiste, entre autres, des relations entre juifs et chrétiens, appartenant à un courant conservateur du judaïsme.[69] A partir de 2001, il va apporter de nombreux témoignages en faveur de Pie XII. Dans un long article publié le 26 février 2001 dans The Weekly Standard Magazine[70], après avoir salué tout particulièrement les travaux sérieux du P. Blet, de Margherita Marchione[71], Ralph McInerny[72], surtout de Ronald Rychlak[73], D. Dalin dénonce les livres qui ont fait le plus de bruit dans la presse mais qui témoignent d’un « certain manque de compréhension de l’histoire »[74] et qui utilisent l’Holocauste pour attaquer l’institution papale et Jean-Paul II. A l’opposé, des auteurs juifs prennent la défense de Pie XII comme Pinchas Lapide déjà cité, Joseph Lichten[75], Livia Rotkirchen[76], Jeno Lavai[77]. Le rabbin appelle à la barre d’autres sommités juives, les historiens : Sir Martin Gilbert, spécialiste anglais de l’holocauste, Michael Tagliacozzo, rescapé de l’holocauste et qui possède un dossier « Calomnies à l’encontre de Pie XII »[78] et Richard Breitman, « seul historien a avoir eu accès aux dossiers d’espionnage américain de la Deuxième Guerre mondiale » qui déclare que des documents secrets prouvent que « Hitler se méfiait du Saint-Siège car il cachait des Juifs ».
Le rabbin conclut : « Pie XII ne fut pas le pape de Hitler, loin de là. Il fut l’un des soutiens les plus fermes de la cause juive, à un moment où elle en avait le plus besoin. […] On peut lire dans le Talmud que « celui qui sauve une seule vie sauve l’humanité ». Pie XII, plus qu’aucun autre homme d’État du XXe siècle, a accompli cela à l’heure où le destin des Juifs européens était menacé. Aucun autre pape n’avait été autant loué par les Juifs avant lui, et ils ne se sont pas trompés. Leur gratitude ainsi que celle de tous les survivants de l’Holocauste prouve que Pie XII fut véritablement et profondément un Juste parmi les Nations. »[79]
Le 20 juin 2008 sur les ondes de radio Vatican, Gary Krupp[80] fondateur de Pave the Way Foundation[81], affirme : « Pie XII a sauvé dans le monde plus de Juifs que toute autre personne dans l’histoire ».[82]
Le 13 septembre 2008 est organisé à Rome un symposium international sur le pontificat de Pie XII à l’initiative de la Fondation américaine Pave the Way Foundation de New York. Y participent des historiens et des rabbins ayant survécu à l’holocauste, témoins de l’œuvre d’assistance portée aux Juifs. Le fondateur et président de la fondation, Gary Krupp y a notamment projeté une video dans laquelle Mgr Giovanni Ferrofino qui était le secrétaire du nonce apostolique en Haïti, de 1939 à 1946, témoigne qu’il recevait deux fois par an des télégrammes cryptés lui demandant des visas à l’intention de Juifs devant fuir l’Europe occupée.[83]
Le 9 octobre 2008, le pape Benoît XVI prononçait une importante homélie pour le 50e anniversaire de la mort de Pie XII.[84] Salue son courage et sa patience, son action aux côtés de Benoît XV pour mettre fin à l’ « inutile massacre » de la Grande Guerre et le fait d’ « avoir décelé dès son avènement le danger constitué par la monstrueuse idéologie nationale-socialiste, avec ses pernicieuses racines antisémites et anticatholiques ». Durant la guerre, son amour pour Rome s’incarna dans une « intense œuvre de charité qu’il accomplissait envers les persécutés, sans tenir compte d’aucune distinction de religion, d’ethnie, de nationalité, d’appartenance politique ». Il refusa de quitter la ville menacée : « Je ne laisserai pas Rome et mon poste, même si je devais en mourir »[85] Pour partager le sort de la population, il se priva de nourriture, de chauffage, de vêtements, et de commodités. Benoît XVI rappelle les messages de 1942 et 1943 que nous avons cités, où Pie XII dénonce déportation et extermination et conclut cette période de la guerre en affirmant que Pie XII « a souvent agi dans le secret et le silence, parce qu’à la lumière des situations concrètes de la complexité de ce moment historique, il avait l’intuition que c’était seulement de cette manière que l’on pouvait éviter le pire et sauver le plus grand nombre possible de juifs. ». Rappelant l’éloge de Golda Meir, Benoît XVI regrette que le débat historique n’ait pas toujours été serein avant d’évoquer l’ « extraordinaire actualité » et la fermeté de nombre de ses enseignements qui en font un réel « précurseur du Concile Vatican II »[86]
Le 13 octobre 2008, plusieurs Juifs italiens ont témoigné devant les caméras de la télévision italienne avoir été sauvés par des membres de l’Église avec le soutien de Pie XII lors des persécutions nazies. Parmi eux se trouvait Emmanuele Pacifici[87], le fils de Riccardo Pacifici, rabbin de Gênes durant la guerre[88].
Le 27 octobre 2008, Arrigo Levi déclare que l’action discrète de Pie XII a pu « éviter la mort de milliers d’autres juifs ».[89]
En novembre 2008, le président de la république italienne Giorgio Napolitano, à la veille de visiter Israël et les territoires palestiniens, a accordé une interview au quotidien israélien Yedioth Ahronot et rappelé, à cette occasion la protection et l’aide apportée par les institutions religieuses à un grand nombre de juifs : « ce sont des milliers, entre vingt et trente mille, de Juifs italiens et même étrangers qui trouvèrent refuge et protection contre les persécutions en Italie ; et s’ils étaient souvent hébergés et protégés par de parfaits inconnus, un très grand nombre le furent dans des institutions religieuses. » Le 24 novembre, le Président a inauguré une plaque à la mémoire des « écoles d’urgence » (Scuole di emergenza) créées en 1938 pour accueillir les élèves et les enseignants juifs expulsés des écoles publiques en vertu des lois raciales.[90]
En juin 2009, le site Internet de l’Union des communautés juives italiennes fait état de « fausses accusations » contre Pie XII. Paolo Mieli, dont une partie de la famille a disparu dans la Shoah, qualifie d’ « absurdes » les accusations portées contre Pie XII et dénonce une « manipulation historique » qu’il faudrait analyser : « prendre pour argent comptant les accusations contre Pacelli, c’est comme traîner sur le banc des coupables présumés, avec les mêmes chefs d’accusation, Roosevelt et Churchill, en les accusant de na pas avoir parlé plus clairement des persécutions antisémites ». Il conclut : « Je refuse d’imputer la mort des miens à une personne qui n’en est pas responsable ». L’historien et journaliste juif Giogio Israel[91] parle d’une diabolisation de celui « qui ne suit pas certains clichés même lorsque cela est en vue d’un bien comme c’est le cas avec Pie XII dont les efforts pour sauver le plus grand nombre de juifs possibles ont été immédiatement reconnus par ceux qui en ont été les bénéficiaires directes et les témoins ». Il ajoute : « Ce ne fut pas tel ou tel couvent ou le geste de compassion de quelques-uns, et personne ne peut penser que toute cette solidarité dont témoignèrent les églises et les couvents, ait pu avoir lieu à l’insu du pape, voire sans son consentement. La légende de Pie XII est la plus absurde de toutes celles qui circulent ». Un autre historien, Roberto Pertici, souligne que les mérites du pape ont été « méconnus dans le monde anglo-saxon » et cachés dans le « monde soviétique, irrité par l’anti-totalitarisme de Pie XII et de l’Église en général ».[92]
Le samedi 2 janvier 2010, la revue Marianne[93]publiait, à la « une » et suite à la possible béatification de Pie XII : « Le pape qui garda le silence face à Hitler ». Le 11 janvier, dans la même publication, un de ses chroniqueurs, Roland Hureaux, prenait la défense de Pie XII en déclarant qu’il avait agi « en homme responsable plutôt qu’en donneur de leçons ». « Il aurait fallu, continue le chroniqueur, une immaturité inouïe à imaginer que le pape aurait pu prendre la parole à tort et à travers sans se préoccuper d’abord de cette responsabilité. »
Le 21 janvier 2010, le philosophe juif Bernard-Henri Lévy déclarait : « On s’étonnera que, dans le silence assourdissant qui marqua le monde entier lors de la shoah, l’on fasse porter tout le poids -ou presque- à celui qui, parmi les dirigeants d’alors, n’avait ni canons ni avions à disposition ; ne ménagea pas ses efforts pour partager, avec ceux qui avaient des avions et des canons des informations dont il avait connaissance ; sauva en personne, à Rome et ailleurs, un tr ès grand nombre de ceux dont il avait la responsabilité morale ».[94]
Le 29 juin 2010, la Fondation Pave The Way annonçait que l’historien Michael Hesemann, représentant la Fondation, avait découvert dans les archives du Vatican des lettres envoyées le 30 novembre 1938 et le 9 janvier 1939 par le cardinal Pacelli aux nonciatures et délégations apostoliques demandant 200.000 visas pour des « catholiques non-aryens » et « juifs convertis », langage propre à tromper les nazis qui, dans le concordat de 1933, autorisaient le Saint-Siège à aider les « catholiques non-aryens ». Le courrier précisait : « que l’on veille à ce que des sanctuaires soient mis à disposition pour sauvegarder leur vie spirituelle et protéger leur culte, leurs coutumes et leurs traditions religieuses. » Matteo Luigi Napolitano, professeur de sciences politiques à l’Université d’Urbino, attire notre attention toute particulière sur une lettre du 9 janvier 1939, envoyée à plus de 60 prélats, où, en latin, mais très explicitement, Pacelli recommande : « N’entreprenez pas de sauver seulement les Juifs mais aussi les synagogues, les centres culturels et tout ce qui appartient à leur foi : les rouleaux de la Torah, les bibliothèques, etc. ».[95] En terminant, Benoît XVI que la cause de béatification de Pie XII « ait une heureuse issue ».
En mai 2011, la Fondation Pave The Way, révélait que des documents découverts montraient que les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient exercé des pressions sur Pie XII pour qu’il se taise[96].
En juin 2011, l’ambassadeur d’Israël au Vatican, Mordechai Lewy, a reconnu l’action de Pie XII et du Vatican lors de la Seconde Guerre mondiale en déclarant : « Il y a tout lieu de penser que ces institutions religieuses catholiques ont recueilli des Juifs avec l’accord et le soutien de la plus haute hiérarchie vaticane » Et que « Ce serait donc une erreur de dire que l’Église catholique, le Vatican et le pape lui-même n’ont rien voulu faire pour sauver des Juifs. C’est le contraire qui est vrai. »[97] Il a également reconnu « La volonté vaticane de sauver les juifs » [98]
Le 14 mars 2012, Zenit répercutait une nouvelle émanant de la Fondation Pave the WXay qui, dans les archives de Yad Vashem, on avait découvert que le futur pape Pie PXII était favorable dès 1917 à la création d’un territoire juif en Israël.[99]
Le 30 janvier 2013, l’Osservatore romano publiait un compte-rendu de Luca M. Possati[100] relatant les recherches effectuées par Patricia M. McGolfrick, de la Middlesex University de Londres, dans les Archives nationales britanniques. Dans un article intitulé New Perspectives on Pius XII and Vatican Financial Transactions during the Second War, l’historienne révèle que Pie XII a combattu le nazisme par des investissements de millions de dollars réalisés aux États-Unis pour soutenir l’industrie de guerre, des actions humanitaires destinées aux troupes alliées, aux populations meurtries[101] et aux Églises persécutées.[102]
*
Toutes ces déclarations et manifestations[103] semblent corroborer ce que Paolo Mieli, directeur du Corriere della Sera écrivait : « L’aversion contre Pie XII est née dans le monde anglo-saxon et protestant[104], pas dans le monde juif qui, au contraire, s’est adapté dans le temps pour ne pas être pris à contrepied par une campagne internationale. »[105]
Reste la question de savoir pourquoi le mémorial Yad Vashem ne reconnaît pas l’œuvre de Pie XII en faveur des Juifs persécutés. Une photo de Pie XII s’y trouve non parmi les criminels mais en tant que personne qui n’a rien fait et avec des inscriptions offensantes pour les catholiques. Le P. Gumpel a publié, en 2008, une interview de Sir Martin Gilbert qu’il présente comme l’historien juif le plus fameux et le plus compétent sur la Shoah. Cet historien affirme que chaque phrase de l’inscription à Yad Vashem est une falsification de l’histoire. Le P. Gumpel conclut que « Yad Vashem manque de logique. d’un côté ils disent : « Tant que nous et nos chercheurs n’avons pas examiné tous les documents qui se trouvent dans les Archives secrètes du Vatican, nous ne pouvons pas juger ». C’est une chose. Mais malgré cela, ils ont déjà jugé et ils ont déjà condamné, ce qui est dépourvu de logique et tout à fait inacceptable du point de vue historique. »[106]
Quatre ans plus tard, en 2012, il semble, que la direction du musée de l’Holocauste ait entendu les protestations. Le mémorial Yad Vashem, tout en évoquant la controverse[107], a décidé de changer le texte accompagnant la photo de Pie XII. Faisant écho au message de Noël 1942 où le pape intervenait en faveur de « centaines de milliers de personnes qui, sans avoir commis de faute, mais pour des raisons de classe ou nationalité, sont destinées à la mort ou à des conditions progressives de dépérissement », le nouveau texte fait état du nombre considérable d’activités de secours entreprises par l’Église catholique pour sauver les Juifs et de l’intervention personnelle de Pie XII pour encourager ces activités et protéger les Juifs.[108]
*
On peut laisser la conclusion à Philippe Chenaux, professeur d’histoire à l’université du Latran : « Ce prétendu silence n’en était pas un, […] le pape en tant que « chef visible de l’Église » et par conséquent « Père commun » des nations et des peuples ne pouvait parler comme le responsable d’une Église locale (en l’occurrence l’Église polonaise). Il devait tenir compte, en pasteur responsable, des intérêts de toute l’Église, à commencer par ceux des quarante millions de catholiques allemands. S’il n’est plus possible de nier aujourd’hui « un certain silence » du pape, qui ne fut pas total, il convient de reconnaître dans le même temps que ce fut « un silence délibéré » et, comme tel, douloureux, dans l’intérêt même des victimes. Plus diplomate que prophète, Pie XII jugea, selon sa conscience, qu’il valait mieux rester prudent dans la dénonciation des crimes et tenter de faire tout ce qu’il était possible de faire pour sauver le plus de vies humaines. »[109]
Risquons enfin risquer une analogie.
Lorsque 3 jeunes touristes belges qui s’étaient égarés sans le savoir dans une zone militaire, sont arrêtés, en septembre 2009, et incarcérés à la prison d’Evin à Téhéran, le ministère belge des Affaires étrangères demanda aux parents et amis la plus grande réserve et de s’abstenir de toute manifestation ou protestation publique. Dans la plus grande discrétion les autorités négocièrent et finirent par obtenir trois mois plus tard la libération des trois jeunes gens. Le ministre remercia publiquement les parents et amis pour leur patience.[110] Il en fut de même lorsque cinq employés de MSF, dont un Belge, furent capturés en Syrie, le ministère des Affaires étrangères demanda la même discrétion et même l’identité des cinq personnes ne fut communiquée.[111]
Personne n’a reproché au gouvernement belge de n’avoir pas dénoncé publiquement l’arbitraire du régime iranien ou sa paranoïa ni fustigé les kidnappeurs.
Le dossier n’est pas clos.
On sait, par l’ami juif du pape François, le rabbin Abraham Skorka, que le Saint-Père entend faire toute la lumière sur l’action de Pie XII durant la seconde guerre mondiale dès que toutes les archives du Vatican seront classées en vue d’une consultation.[112]
Et, en effet, le 2 mars 2020, a eu lieu l’ouverture des archives concernant le pontificat de Pie XII. Plus de deux millions de documents, couvrant la période de 1939 à 1958, dont beaucoup sont numérisés seront accessibles aux chercheurs. Ainsi pourra-t-on mieux connaître le rôle joué par Pie XII lors de la seconde guerre mondiale.
Suite à ces déclarations, le Père Peter Gumpel, rapporteur de la cause de béatification de Pie XII, a rappelé que l’œuvre originale, qui durait huit heures, avait été, selon les critiques de théâtre, « manifestement écrite par un débutant ». Pour améliorer la pièce et faire en sorte qu’elle puisse être jouée, Erwin Piscator, un habile metteur en scène et producteur, est venu en aide à Hochhuth. Selon le Père Gumpel, Erwin Piscator était « manifestement communiste. Réfugié en Union soviétique pendant la Deuxième guerre mondiale, il avait travaillé en Allemagne et aux États-Unis auprès de bureaux et d’universités notoirement procommunistes ». + Il est évident pour le Père Gumpel, éminent connaisseur de cette période et de la politique du Saint-Siège pendant les années dont parle l’ancien espion communiste, que « la réduction de la pièce à deux heures et le montage du texte avec les calomnies contre Pie XII sont dus à l’influence de Piscator ». + Quant à la responsabilité de l’Union soviétique dans cette opération, le Père jésuite explique qu’« au Vatican on savait depuis longtemps que la Russie bolchevique était à l’origine de cette campagne de discrédit contre Pie XII ». Et pour confirmer ses dires, le Père Gumpel ajoute que « dans les pays occupés par les communistes après la seconde guerre mondiale, ‘Le Vicaire’ de Hochhuth était obligatoirement représenté au moins une fois par an dans toutes les grandes villes ». Le Père Gumpel affirme encore que « les quotidiens et les revues communistes comme l’Unità en Italie et l’Humanité en France, ont fait et continuent de faire une grande propagande à l’œuvre de Hochhuth. Aucun doute donc quant à son influence communiste ». « Je ne peux affirmer que Hochhuth était un agent des russes, - affirme le Père Gumpel - mais il est évident que son œuvre a été fortement influencée par l’appareil communiste ». A ce propos, le Père Pierre Blet, historien de renom, lui aussi jésuite, a affirmé plus d’une fois que « le drame de Hochhuth ne fait pas partie de l’historiographie et que, par conséquent, c’est comme s’il n’existait pas. S’il a fait tant de bruit c’est parce qu’il s’agit d’un artifice monté de toutes pièces par Moscou pour guider la campagne contre PieXII et le discréditer ». Selon le Père Gumpel, « grâce au « Vicaire », Hochhuth a bénéficié de la propagande des communistes mais aussi de celle des ennemis de l’Église et il est intéressant de noter que la représentation de la pièce a été refusée non seulement à Rome mais également en Israël ». Quant à la crédibilité du général Ion Mihai Pacepa, le Père Gumpel a déclaré : « Il ne faut pas oublier qu’il est l’un des plus hauts fonctionnaires des services secrets des pays de l’Europe de l’Est à s’être enfui en Occident et que bon nombre de faits qu’il a rapportés exigent des précisions ».
Selon l’historien Giovanni Maria Van, la pièce relance nombre d’accusations portées par Mikhail Markovich Scheinmann dans son livre Der Vatican im Zweiten Weltkrieg, publié d’abord en russe par l’Institut historique de l’Académie soviétique des sciences, organe de propagande de l’idéologie communiste. (Zenit, 23 juin 2009).
En ce qui concerne les tentatives soviétiques d’infiltrer des agents au Vatican - des tentatives réussies selon l’ancien espion roumain -, le Père Gumpel a rappelé que dans deux institutions de la Compagnie de Jésus, à savoir l’Institut pontifical d’études orientales et le Collège pontifical Russicum, les soviétiques « ont tenté de faire entrer des séminaristes espions ». « Il s’agit d’une affaire que je connais directement, a-t-il souligné. Il a été facile de les démasquer car leur attitude a éveillé de tels soupçons qu’ils ont fini par être chassés. Il était évident qu’ils n’avaient pas la vocation ». Le Père Gumpel doute que des espions soviétiques aient pu avoir accès aux archives secrètes du Vatican et s’emparer de matériel pour monter les calomnies contre Pie XII, comme l’affirme le général roumain. Mgr Sergio Pagano, Préfet des Archives secrètes du Vatican, a écrit au Père Gumpel que « les documents relatifs à Pie XII, pendant la période dont parle l’ancien espion roumain, n’étaient pas encore aux Archives secrètes. Les documents qui les intéressaient se trouvaient aux Archives de la Secrétairerie d’État ». A ce propos, le Père jésuite a expliqué : « Ceux qui ne savent pas comment fonctionnent les choses au Vatican confondent facilement les Archives secrètes du Vatican et les archives de la Secrétairerie d’État ». Le Père Gumpel a donc confié que ces révélations « confirment ce que nous savions depuis longtemps et que le Père Pierre Blet a maintes fois souligné ». (Zenit, 19 février 2007)
Après le triomphe universel du « Vicaire », Rolf Hochhuth écrit et monte une autre pièce de théâtre, « Soldaten, Nekrolog auf Genf », (Soldats, une nécrologie pour Genève), en 1967. Il s’agit, pour lui, cette fois-ci, de démontrer que le Premier Ministre et général polonais Wladyslaw Sikorski, qui meurt dans un accident d’avion en 1943, fut en réalité assassiné par Winston Churchill. Cette pièce de théâtre s’appuie sur les thèses de l’historien anglais David Irving. Une profonde amitié unira désormais ces deux personnages. David Irving, est aujourd’hui déconsidéré, en tant qu’historien, car il est notoirement négationniste.
A propos des prises de position des Église locales, il écrit dans une lettre à l’évêque de Berlin où il cite Mgr LIchtenberg qui avait fait prier pour les Juifs dans la cathédrale Ste Edwige de Berlin et qui mourra pendant sa déportation à Dachau : « En ce qui concerne les déclaration épiscopales, Nous laissons aux pasteurs en fonction sur place le soin d’apprécier si, et en quelle mesure, le danger de représailles et de pression, ainsi que peut-être d’autres circonstances dues à la longueur et à la psychologie de la guerre, conseillent la réserve -malgré les raisons qu’il y aurait d’intervenir- afin d’éviter des maux plus grands. C’est l’un des motifs pour lesquels Nous-même Nous Nous imposons des limites dans Nos déclarations. L’expérience que Nous avons faite en 1942, en laissant reproduire librement à l’usage des fidèles des documents pontificaux, justifie Notre attitude, dans la mesure où Nous pouvons le voir. » (Lettre citée in ONORIO Joël-Benoît d’, Ecce sacerdos magnus, in Actes du Colloque d’Aix-en Provence, op. cit., p. 44. Lettre publiée in DC, n° 1417, 2 février 1964, col. 216.) Pie XII fait sans douta allusion à ce qui s’est passé aux Pays-Bas. (Cf. infra).
Cette politique rejoint la conclusion à laquelle le Comité international de la Croix-Rouge était arrivé : « Tout d’abord, les protestations ne servent à rien ; en outre, elles peuvent rendre un très mauvais service à ceux à qui on voudrait venir en aide. » (BLET P., Actes et documents Actes et documents relatifs à la Seconde guerre mondiale, 12 vol., Cité du Vatican, 1965-1981, IX, p. 133).
Si l’on veut des renseignements plus précis sur le fonctionnement d’un des réseaux clandestins créés par Pie XII, le « Raphaël Verein », on peut lire l’interview du dernier membre en vie (97 ans en 2010), le P. Giancarlo Centioni sur Zenit, 15 janvier 2010. Le P. Gumpel a deux documents écrits qui témoignent de l’action de Pie XII : une note de novembre 1943 extraite du Mémorial des religieuses Augustines du Monastère des Quatre Saints couronnés, disant : « Le Saint-Père veut sauver ses enfants, y compris les Juifs, et ordonne aux monastères d’accorder l’hospitalité aus persécutés » et l’autre adressée à l’évêque d’Assise Mgr Nicolini qui l’a montré à son collaborateur le P. Brugnazzi. Tous deux ont été déclarés « Justes parmi les Nations », Le site Yad Vashem sonsacre d’ailleurs une section au « réseau d’Assise ». (Zenit, 4 mars 2009)
Quant à la question de savoir si, aux excommunications de facto, l’excommunication nominative, publique de Hitler aurait servi à quelque chose, Don Luigi Sturzo, fondateur du Mouvement démocrate pendant la guerre, fit remarquer que de telles excommunications qui ont été prononcées contre Elisabeth Ire ou Napoléon, n’ont rien changé dans leur politique. (DALIN D., op. cit., p. 293.) En tout cas, le parti nazi a été excommunié par les évêques catholiques allemands dès 1930 (Révélé par Pave The Way, cf. Zenit, 6 octobre 2009).
Conscient de la menace, Pie XII avertit les cardinaux qu’ils devaient se tenir prêts à se réfugier dans un pays neutre. Lui-même signa une lettre de démission (fait confirmé par la secrétaire de Pie XII : Sr Pascalina Lehnert) et donna instructions aux cardinaux pour former un gouvernement en exil et élire le nouveau Pape. Le secrétaire d’État, quant à lui, ordonnait dans une lettre à la garde suisse de ne pas résister. (Découverte faite par la Fondation Pave the Way, cf. Zenit, 30 mai 2010).
Le 16 juin 2009, le quotidien Avvenire a confirmé l’intention qu’a eue Hitler de déporter ou tuer Pie XII et le roi pour se venger des Italiens qui avaient arrêté Mussolini. Le journaliste Diego Vanzi a pu visionner des documents auprès du fils d’un des protagonistes qui n’étaient pas du tout décidés à exécuter une telle mission. L’un fut pendu, un autre se suicida pour éviter l’arrestation et le troisième fut envoyé sur le front de l’Est.
« Que nous adhérions ou non aux principes de son Église, nous devons rendre hommage à sa personnalité et au bien qu’il a fait au monde libre et civilisé. La chrétienté vaut mieux que l’Antéchrist et la foi vaut mieux que le cynisme sans fondement. Lutter pour cela et triompher revient à faire beaucoup pour empêcher notre époque de sombrer dans le désespoir ». (Daily Mail)
« Le Saint-Père était devenu intensément hostile à toute forme de gouvernement démocratique, mais les progressistes du monde entier se rappelleront avec gratitude ses appels en faveur des Rosenberg, intervention sans précédent au Vatican ». (Daily Worker, communiste).
« Pie XII sera sans doute pour les catholiques « le pape des laïcs ». C’était un intellectuel, un homme actif, imbu de l’amour de Dieu et de compassion pour les hommes ». (Times).
« Conserver l’unité de son Église en face d’idéologies opposées dont chacune prétend s’imposer à toute l’humanité était une tâche qui réclamait un jugement politique, une finesse diplomatique et surtout le don d’exprimer la vérité chrétienne d’une façon qui faisait s’estomper les conflits temporels. » (Daily Telegraph).
« Par sa charité qui s’étendait bien au-delà de ceux qui sont en communion avec le Saint-Siège et par ses prodigieux efforts en vue de soulager les victimes de la guerre, il s’est montré un vrai Saint-Père et sa mort est pour nous un appauvrissement ». (The Dome, organe de l’Église anglicane).
« C’était un diplomate doué, et un administrateur accompli » (New York Times).
« Ascétique, cultivé, ayant voyagé, courageux, Pie XII a gagné le respect de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté de toutes les religions. Il était l’un des grands hommes d’État de l’Église catholique formé par l’expérience et pourvu du caractère indispensable pour tenir sa haute mission au cours d’une ère de conflit tragique et provocateur. » (New York Herald Tribune).
« Bien que ses déclarations en temps de crise n’aient pu que rarement modifier le cours des événements, sa voix calme fut de plus en plus reconnue comme celle de la conscience chrétienne s’élevant au-dessus du tumulte de la propagande et des confusions d la guerre. » (Washington Post).
« Le pontificat de Pie XII, dont les dernières années ont été marquées par un extraordinaire sursaut de vitalité spirituelle, invite au respect par la vigueur même de cette spiritualité. Cette vigueur a pris des formes intransigeantes que pouvait expliquer la lutte difficile que mène l’Église catholique romaine face au totalitarisme marxiste. Cette volonté de forger un instrument homogène a pu rendre difficiles les relations doctrinales avec les autres Églises chrétiennes mais personne ne contestera à Pie XII la grandeur de la mission dont l’a revêtu son pontificat. » (La tribune de Genève).
Par contre, aux Pays-Bas, en juillet 1942, les dirigeants catholiques (Mgr Johannes De Jong, archevêque d’Utrecht) et protestants envoient au commissaire du Reich un télégramme de protestation contre les mesures d’exceptions contre les Juifs et les déportations. Le texte de ce télégramme est lu dans les églises et dans les temples le 26 juillet 1942. En représailles, les nazis font arrêter les juifs convertis comme la philosophe Edith Stein (cf. MONTCLOS Xavier de, Les chrétiens face au nazisme et au stalinisme, l’épreuve totalitaire 1939-1945, Plon, 1983, p.229). A partir de ce moment, les Nazis durcissent leur attitude vis-à-vis des Néerlandais : des dirigeants socialistes sont arrêtés et des prêtres catholiques comme Titus Brandsma sont déportés en camps de concentration. A partir du 6 août 1942, un bataillon de la police hollandaise fut déployé pour arrêter les Juifs. (cf. HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe, T2, Gallimard, 2006, T2, pp.1047-1100). Pinchas Lapide témoigne : « Le plus triste et alarmant, c’est que plus le clergé hollandais protestait haut, fort et fréquemment -plus que la hiérarchie catholique et que tous les autres pays occupés- plus les nazis déportaient de juifs. 110.000 juifs, soit 79% de la communauté de ce pays, partiront vers les camps de la mort ». De son côté, l’évêque Jean Bernard du Luxembourg qui séjourna à Dachau de 1941 à 1942, déclara : « A chaque fois que des voix s’élevaient pour protester, les conditions de détention des prisonniers empiraient ». (Cités par DALIN D., Pie XII et les Juifs, in DC, n° 2266, 17 mars 2002, p. 294). Autre témoignage, celui de Richard M.W. Kempner, procureur-adjoint américain aux procès de Nuremberg : « Tout mouvement de propagande de l’Église catholique à l’encontre de Hitler et du Troisième Reich n’aurait pas seulement été pur « suicide », mais aurait accéléré l’exécution de juifs et de prêtres. » (Courrier des lecteurs de la revue Commentary, 1964, cité in DALIN D., op. cit., p. 293).
La légèreté de certains « historiens » est confondante. Le 3 février 2010, Zenit épinglait deux « chercheurs » qui prétendaient avoir trouvé un document prouvant l’indifférence de Pie XII lors de la rafle de Rome. Or leur document renfermait « une grave erreur de date de la part des chercheurs qui l’ont présenté : le et avait été écrit avant ces terribles faits. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirment les deux chercheurs qui ont fait ces « révélations », il ne s’agit pas d’un document inédit : le texte avait déjà été publié en 1964 et était largement connu des historiens ». Pie XII effectivement ne parlait pas de la rafle puisqu’elle n’avait pas encore eu lieu… Ces chercheurs n’en sont pas à leur première « légèreté » comme on peut s’en rendre compte sur le site : vaticanfiles.spindler.com
Par ailleurs, le journaliste Dimitri Cavalli, chercheur et collaborateur à la Fondation a trouvé des documents extrêmement significatifs de l’agence internationale JTA (Jewish Telegraph Agency). Ainsi, le 15 janvier 1943, la JTA reproduit la réponse du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon aux autorités nazies qui proposaient de laisser ne paix l’Église catholique si celle-ci se taisait sur le traitement réservé aux Juifs. Dans la réplique du cardinal au commandant nazi, on lit : « Vous ne savez pas que le Saint-Père a condamné les lois antisémites et toutes les mesures anti-juives. » Une dépêche du 28 juin 1943 fait état des accusations de Radio Vatican contre le traitement que recevaient les Juifs en France.
La revue Jewish Chronicle de B’nai B’rith (association juive d’action sociale) du 19 mai 1940 montre le pape en discussion avec des professeurs juifs expulsés des institutions italiennes. La même revue, du 9 septembre 1942, informait que Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie, avait imprimé dix millions d’opuscules en plusieurs langues distribués en Europe et en Amérique latine, condamnant Pie XII pour sa position en faveur des Juifs.
Le 5 février 1943, la revue juive Advocate fait écho à l’attaque du cardinal Jusztinian Györg Serédi, archevêque d’Esztergom-Budapest contre les théories raciales. Cette déclaration fut répercutée sur les ondes de Radio Vatican. Dans le même article, on annonce que Mussolini a rendu les lois raciales moins dures pour pouvoir reprendre les relations avec le Vatican.
iii. A propos du terrorisme
Nous l’avons vu au passage, la condamnation du terrorisme par les souverains pontifes est radicale et sans appel[1]. Reste, dans la perspective d’un monde non-violent, le problème de l’attitude qu’il faut adopter face à ce phénomène.
Le P. Christian Mellon nous fournit quelques repères.[2]
Il faut tout d’abord bien définir le terrorisme pours saisir sa spécificité. Car, selon les circonstances, certains parlent de résistance là où d’autres parlent de terrorisme[3] et les acteurs peuvent être « légaux » ou « illégaux »[4]. Le P.Mellon propose de qualifier les actes terroristes comme des « actes de violence visant à faciliter la réalisation d’objectifs d’ordre politique, non pas à travers les effets directs de ces actes eux-mêmes, mais à travers l’un de leurs effets indirects, délibérément recherché : inspirer la peur de les voir se réitérer (attentats indiscriminés, détournements d’avion) ou le désir qu’un terme y soit mis (chantage par détention d’otages). » [5]
Chaque terme de cette définition est important. Ce ne sont pas les buts, justes ou injustes, qui déterminent le terrorisme, mais les moyens. Il s’agit de frapper au hasard et en assurant qu’il y aura d’autres actions pour que chacun se sente menacé et que sa volonté de résistance soit affaiblie. Un acte de guerre, au contraire, vise directement à affaiblir ou éliminer l’ennemi. Le terrorisme est « une stratégie indirecte, à laquelle ont recours précisément ceux qui ne peuvent -ou ne veulent- pas faire la guerre ».[6]
Le jugement moral est, comme nous le disions, radical et sans appel : le terrorisme est absolument immoral dans la mesure où la violence est une violence aveugle, indiscriminée exercée contre des personnes qui ne sont pas les agents directs de l’injustice dénoncée.[7]
Ce jugement moral est important dans la lutte contre le terrorisme car celui-ci essaye de se justifier en invoquant une juste cause qui mérite qu’on y sacrifie sa vie.
Ceci dit, il faut essayer de comprendre, non pas d’excuser[8], les terroristes. Comment en sont-ils arrivés là ? Quelles sont les causes politiques, culturelles économiques, sociales qui ont favorisé cette attitude ?[9] Pour une action à long terme.
En attendant et dans l’immédiat, pour « protéger la confiance des citoyens dans l’État de droit »[10], il est nécessaire, moral, d’écarter le risque de nouvelles agressions par des opérations policières et judiciaires en évaluant les conséquences qui peuvent affaiblir ou renforcer les forces terroristes. Que ces actions, en tout cas, respectent les droits de l’homme car la fin ne justifie jamais les moyens. Ainsi, « même dans les cas où, d’après les critères rappelés ici, la violence n’est pas justifiable, on ne saurait traiter comme des criminels de droit commun ceux qui, de bonne foi, ont cru qu’elle l’était. »[11]
Les citoyens ont eux aussi une responsabilité. En effet, comme le terrorisme a besoin des medias pour impressionner et qu’il n’est ni souhaitable ni vraiment possible que l’État de droit interdise toute diffusion d’information sur ce genre d’événement, il vaut mieux « inciter les citoyens à s’interroger sur leur propre fascination à l’égard des images de violence puisque c’est elle qui « donne des armes » au terrorisme. »[12]
Le terrorisme est-il un danger pour les démocraties ?[13]
A ce point de vue, il convient de « le restituer à sa juste place dans l’ensemble des problèmes de nos sociétés et de la planète ». Si l’on fait la vérité[14], on constatera vite que « ce n’est pas le grand problème de nos démocraties »[15]. Les victimes du terrorisme, par exemple, sont infiniment moins nombreuses que les victimes des guerres classiques.[16] Toutefois, « il est vrai que l’attitude à adopter face aux actes terroristes, les arbitrages à rendre entre divers types de politiques antiterroristes renvoient à des débats importants sur le fondements d’une société démocratique : privilégier plutôt la sécurité ou plutôt la liberté, accepter des risques plus ou moins importants, aller plus ou moins loin dans les « mesures d’exception », cela relève d’options véritablement politiques et éthiques. Tant qu’une démocratie en débat sereinement, on peut dire qu’elle relève avec succès le « défi terroriste ». »[17]
Ch. Mellon réagit en tant que moraliste. ? L’ancien archevêque de Milan, Carlo Maria Martini tente de trouver une réponse au problème du terrorisme dans les Évangiles.[18]
Il médite ce passage de l’évangile de Luc : « En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes. Prenant la parole, il leur dit : « Pensez-vous que, pour avoir subi leur sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement. Ou ces dix-huit personnes que la tour de Siloé a tuées dans sa chute, pensez-vous que leur dette fût plus grande que celle de tous les hommes qui habitent Jérusalem ? Non, je vous le dis ; mais si vous ne voulez pas vous repentir, vous périrez tous de même ». »[19]
Luc évoque ici deux événements inconnus par ailleurs mais d’après le contexte, il doit s’agir d’une part d’un acte politique qui a entraîné une répression de la part du représentant de l’empereur et, d’autre part, d’une catastrophe urbaine. Dans le premier cas, Jésus va-t-il prononcer une condamnation, invoquer le moindre mal ou la légitime défense ? Dans le second cas, va-t-il invoquer une négligence, désigner un coupable ou évoquer la fatalité ? La réaction de Jésus est tout à fait déroutante car il n’incrimine personne.[20]
Il y a certes des gens qui profitent de la faiblesse de certains pour les pousser au terrorisme mais ceux-là sont visés par Mt 18, 6 : « Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » ; ou encore par Mt 5, 22 : « Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s’il dit à son frère : « Crétin ! », il en répondra au Sanhédrin ; et s’il lui dit : « Renégat ! », il en répondra dans la géhenne de feu. »
Il y a aussi les opérations anti-terroristes dont il est difficile de dire si elles sont efficaces. Relèvent-elles de la légitime défense ? Sont-ce des représailles, une vengeance ? Les réponses échappent pour une bonne part à la compétence de l’Église. Dans ces cas, c’est la compétence de l’État qui est sollicitée. Et comme Ch. Mellon, le cardinal Martini souhaite un contrôle démocratique des actions entreprises et que l’opinion publique soit correctement informée.
Mais revenons à Jésus. Il s’élève au-dessus de nos questions et nous renvoie à la racine du mal : notre péché (« Si vous ne vous repentez pas… ») qui peut se traduire par notre « complicité avec l’injustice »[21]. Il nous renvoie à notre responsabilité. Détruire le mal par la force simplement n’a pas d’effet durable[22] car le mal vient de l’intérieur. Une conversion est nécessaire[23] et possible avec la grâce de Dieu. Par contre, si on ne se préoccupe pas de la solidarité, de la paix, du pardon, du dialogue, etc., la violence persistera.[24] On ne peut être indifférent à telle ou telle manifestation de violence car, dans le mal, le monde entier est concerné comme le révèle bien le passage de l’évangile de Luc cité.
On ne peut s’abstenir de travailler à la paix car elle « est le bien le plus précieux pour l’homme, parce qu’elle est la somme de tous les biens messianiques. […] La paix est le fruit de l’alliance durable et sincère […], fondée sur l’Alliance que Dieu a faite en Christ en pardonnant à l’homme, en le réhabilitant et en se donnant lui-même comme son partenaire, ami et interlocuteur, en vue de l’unité de tous ceux qu’il aime. »[25]
Pratiquement, la cardinal recommande de changer notre échelle de valeurs, de dialoguer, de connaître le judaïsme et l’islam, d’exercer une « tolérance zéro » vis-à-vis de toute parole ou geste d’hostilité. Ces exigences pacificatrices révèlent, en fin de compte, et une fois de plus, l’importance capitale de l’éducation.
Ainsi, la lutte contre le terrorisme s’inscrit dans le programme général de l’éradication de la violence.
Pour une information plus large le P. Mellon recommande la lecture de SOMMIER Isabelle, Le terrorisme, Flammarion, 2000 et de CHALIAND Gérard, Les stratégies du terrorisme, Desclée de Brouwer, 2002.
iv. Violence et guerre dans le Catéchisme de l’Église catholique
Après avoir, en maints endroits, souligné ici et là le caractère multiforme de la violence[1], le catéchisme aborde trois questions importantes :
a. La légitime défense
La défense légitime des personnes et des sociétés n’est pas une exception à l’interdit du meurtre de l’innocent que constitue l’homicide volontaire. « L’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur … L’un seulement est voulu ; l’autre ne l’est pas » (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 64, 7). (2263)
L’amour envers soi-même demeure un principe fondamental de la moralité. Il est donc légitime de faire respecter son propre droit à la vie. Qui défend sa vie n’est pas coupable d’homicide même s’il est contraint de porter à son agresseur un coup mortel :
Si pour se défendre on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, ce sera licite… Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 64, 7). (2264)
En plus d’un droit, la légitime défense peut être un devoir grave, pour qui est responsable de la vie d’autrui. La défense du bien commun exige que l’on mette l’injuste agresseur hors d’état de nuire. A ce titre, les détenteurs légitimes de l’autorité ont le droit de recourir même aux armes pour repousser les agresseurs de la communauté civile confiée à leur responsabilité. (2265)
L’effort fait par l’État pour empêcher la diffusion de comportements qui violent les droits de l’homme et les règles fondamentales du vivre ensemble civil, correspond à une exigence de la protection du bien commun. L’autorité publique légitime a le droit et le devoir d’infliger des peines proportionnelles à la gravité du délit. La peine a pour premier but de réparer le désordre introduit par la faute. Quand cette peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation. La peine, en plus de protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, a un but médicinal : elle doit, dans la mesure du possible, contribuer à l’amendement du coupable. (2266)
L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains.
Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine.
Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable « sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants » (Evangelium vitae, n. 56). (2267)
b. La paix
En rappelant le précepte : « Tu ne tueras pas » (Mt 5, 21), notre Seigneur demande la paix du cœur et dénonce l’immoralité de la colère meurtrière et de la haine. La colère est un désir de vengeance. » Désirer la vengeance pour le mal de celui qu’il faut punir est illicite « ; mais il et louable d’imposer une réparation « pour la correction des vices et le maintien de la justice » (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 158, 1, ad 3). Si la colère va jusqu’au désir délibéré de tuer le prochain ou de le blesser grièvement, elle va gravement contre la charité ; elle est péché mortel. Le Seigneur dit : « Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement » (Mt 5, 22). (2302)
La haine volontaire est contraire à la charité. La haine du prochain est un péché quand l’homme lui veut délibérément du mal. La haine du prochain est un péché grave quand on lui souhaite délibérément un tort grave. « Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi vous serez fils de votre Père qui est aux cieux… » (Mt 5, 44-45). (2303)
Le respect et la croissance de la vie humaine demandent la paix. La paix n’est pas seulement absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l’équilibre des forces adverses. La paix ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est « tranquillité de l’ordre » (S. Augustin, civ. 10, 13). Elle est œuvre de la justice (cf. Is 32, 17) et effet de la charité (cf. GS 78, §§ 1-2). 2304
La paix terrestre est image et fruit de la paix du Christ, le « Prince de la paix » messianique (Is 9, 5). Par le sang de sa croix, il a « tué la haine dans sa propre chair » (Ep 2, 16 ; cf. Col 1, 20-22), il a réconcilié avec Dieu les hommes et fait de son Église le sacrement de l’unité du genre humain et de son union avec Dieu. « Il est notre paix » (Ep 2, 14). Il déclare « bienheureux les artisans de paix » (Mt 5, 9). (2305)
Ceux qui renoncent à l’action violente et sanglante, et recourent pour la sauvegarde des droits de l’homme à des moyens de défense à la portée des plus faibles rendent témoignage à la charité évangélique, pourvu que cela se fasse sans nuire aux droits et obligations des autres hommes et des sociétés. Ils attestent légitimement la gravité des risques physiques et moraux du recours à la violence avec ses ruines et ses morts (cf. GS 78, § 5). (2306)
c. Eviter la guerre
Le cinquième commandement interdit la destruction volontaire de la vie humaine. A cause des maux et des injustices qu’entraîne toute guerre, l’Église presse instamment chacun de prier et d’agir pour que la Bonté divine nous libère de l’antique servitude de la guerre (cf. GS 81, § 4). (2307)
Chacun des citoyens et des gouvernants est tenu d’œuvrer pour éviter les guerres. Aussi longtemps cependant « que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifiques, le droit de légitime défense » (GS 79, § 4). (2308)
Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois :
– Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain.
– Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
– Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
– Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à élimine. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.
Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la « guerre juste » ». L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun. (2309)
Les pouvoirs publics ont dans ce cas le droit et le devoir d’imposer aux citoyens les obligations nécessaires à la défense nationale.
Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S’ils s’acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix (cf. GS 79, § 5). (2310)
Les pouvoirs publics pourvoiront équitablement au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l’emploi des armes, tout en demeurant tenus de servir sous une autre forme la communauté humaine (cf. GS 79, § 3). (2311)
L’Église et la raison humaine déclarent la validité permanente de la loi morale durant les conflits armés. « Ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient par le fait même licite entre les parties adverses » (GS 79, § 4). (2312)
Il faut respecter et traiter avec humanité les non-combattants, les soldats blessés et les prisonniers.
Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s’y soumettent. Ainsi l’extermination d’un peuple, d’une nation ou d’une minorité ethnique doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide. (2313)
« Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation » (GS 80, § 4). Un risque de la guerre moderne est de fournir l’occasion aux détenteurs des armes scientifiques, notamment atomiques, biologiques ou chimiques, de commettre de tels crimes. (2314)
L’accumulation des armes apparaît à beaucoup comme une manière paradoxale de détourner de la guerre des adversaires éventuels. Ils y voient le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer la paix entre les nations. Ce procédé de dissuasion appelle de sévères réserves morales. La course aux armements n’assure pas la paix. Loin d’éliminer les causes de guerre, elle risque de les aggraver. La dépense de richesses fabuleuses dans la préparation d’armes toujours nouvelles empêche de porter remède aux populations indigentes (PP 53) ; elle entrave le développement des peuples. Le surarmement multiplie les raisons de conflits et augmente le risque de la contagion. (2315)
La production et le commerce des armes touchent le bien commun des nations et de la communauté internationale. Dès lors les autorités publiques ont le droit et le devoir de les réglementer. La recherche d’intérêts privés ou collectifs à court terme ne peut légitimer des entreprises qui attisent la violence et les conflits entre les nations, et qui compromettre l’ordre juridique international. (2316)
Les injustices, les inégalités excessives d’ordre économique ou social, l’envie, la méfiance et l’orgueil qui sévissent entre les hommes et les nations, menacent sans cesse la paix et causent les guerres. Tout ce qui est fait pour vaincre ces désordres contribue à édifier la paix et à éviter la guerre.
Dans la mesure où les hommes sont pécheurs, le danger de guerre menace, et il en sera ainsi jusqu’au retour du Christ. Mais, dans la mesure où, unis dans l’amour, les hommes surmontent le péché, ils surmontent aussi la violence jusqu’à l’accomplissement de cette parole : « Ils forgeront leurs glaives en socs et leurs lances en serpes. On ne lèvera pas le glaive nation contre nation et on n’apprendra plus la guerre » (Is 2, 4) (GS 78, § 6). (2317)
v. L’influence de la théorie de la guerre juste ou de la théologie de la paix
a. Sur les conventions et traités internationaux
[1]
A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, vont apparaître des traités qui veillent d’abord à protéger les combattants blessés, les prisonniers, les civils ensuite à limiter ou interdire certaines méthodes de guerre et certaines armes. On peut citer : la Convention de Genève en 1864, la Déclaration de Saint-Petersbourg (1868)[2], les Conférences de la Paix de La Haye (1899 et 1907)[3], le Protocole de Genève, 1925[4].
A partir de 1945, ce sont les nations Unies et le Comité international de la Croix rouge qui vont développer le droit humanitaire et le droit général relatif à la guerre. Le texte le plus important est la Charte des Nations Unies (juin 1945)[5]. Le Conseil de sécurité veille au « règlement pacifique des différends »[6]. En cas de « menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », le Conseil de sécurité « fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises (…) pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »[7] : il peut « inviter les parties intéressées à se conformer aux mesure provisoires qu’il juge nécessaires ou souhaitables »[8], « décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises »[9], et si ces mesures sont inadéquates, « entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. »[10] La Charte reconnaît aussi, en cas d’agression, le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective »[11] mais exclut toute guerre d’agression[12].
Prolongeant cette Charte, l’Assemblée générale des États membres a établi les Principes de Nuremberg sur les crimes de droit international, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (1968).
Parallèlement à cette Charte, on relève les Conventions de Genève (1949) et les Protocoles additionnels (1977) pour la protection des combattants blessés, malades, naufragés, des prisonniers, des civils, de leurs biens indispensables et de l’environnement et l’interdiction de pratiques barbares. Notons aussi que le Protocole I reconnaît les mouvements de résistance à l’occupation ou de libération nationale.
Divers textes interdisent les armes biologiques et chimiques[13], interdisent ou limitent l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent produire des effets traumatiques excessifs ou qui frappent sans discrimination[14]. Quant aux armes nucléaires, elles tombent sous le coup des traités protégeant l’environnement et les populations. Rappelons aussi le Traité de non prolifération de 1968.
Malheureusement, nombre de ces traités n’ont pas été ratifiés par tous les pays et parfois par de grandes puissances…[15] Par ailleurs, plusieurs guerres importantes décidées ou entérinées par le Conseil de sécurité posent problème en fonction même de certains articles de la Charte ![16]
Aujourd’hui, se pose de plus en plus le problème des organisations de résistance ou mouvements terroristes qui sont soumis aux exigences de la Charte notamment en ce qui concerne la protection des civils mais qui agissent impunément. Certaines actions condamnables peuvent bénéficier de circonstances atténuantes.[17]
Enfin, on se demande comment lutter contre l’impunité des puissants et s’il ne faudrait-il pas, en plus des organisations de justice internationale, mettre en œuvre le principe de « compétence universelle »[18]
Les groupes résistants ou terroristes justifient leurs actions en invoquant 4 arguments principaux :
- La disproportion de moyens et les violations préalables commises par les États puissants
- La nécessité d’attirer l’attention de l’opinion internationale
- Les pertes civiles seraient des dommages collatéraux mais ne seraient pas visés en tant que tels
- Les populations visées sont en réalité des occupants ou des complices.
b. Sur les règlements militaires
En Belgique, la lecture de Carl Ceulemans, Ethique militaire, Ecole royale militaire, 2006, est particulièrement éclairante.
Pour la France, on peut se référer aux analyses de Serge Bonnefoi[1].
http://serge-bs.over-blog.com/
http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?f=37&t=7597,
http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?f=37&t=6477 et
http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?f=37&t=2956.