⁢a. Les messages pour la Journée mondiale de la paix.

d’emblé, Benoît XVI inscrit son enseignement dans le sillage de ses prédécesseurs immédiats. Il prolonge notamment la pensée de Jean XXIII à propos des quatre piliers de la paix : la vérité, la liberté, l’amour et la justice⁠[1]. Mais il se réfère aussi à saint Benoît et à Benoît XV dont il a choisi le nom : « J’ai ainsi à la fois voulu me référer à la fois au Saint Patron de l’Europe, inspirateur d’une civilisation pacificatrice dans le continent tout entier, et au Pape Benoît XV, qui condamna la Première Guerre mondiale comme « un massacre inutile » [Appel aux Chefs des peuples belligérants, 1er août 1917] et qui a tout mis en œuvre pour que les raisons supérieures de la paix soient reconnues par tous » .

Avec saint Augustin et la Constitution Gaudium et spes, le pape rappelle que la paix qui correspond « à une aspiration profonde et à une espérance qui vivent en nous de manière indestructible »[2] est « le fruit d’un ordre qui a été implanté dans la société humaine par son divin Fondateur », un ordre « qui doit être mené à la réalisation par des hommes aspirant sans cesse à une justice plus parfaite »[3]. On peut aussi la définir comme « la convivialité des citoyens dans une société gouvernée par la justice ». La paix, « pour être authentique et durable, […] doit être construite sur le roc de la vérité de Dieu et de la vérité de l’homme. Seule cette vérité peut sensibiliser les esprits à la justice, les ouvrir à l’amour et à la solidarité, encourager tous les hommes à travailler pour une humanité réellement libre et solidaire. » Le premier obstacle à la paix est le mensonge comme le montrent l’Écriture, de la Genèse à l’Apocalypse[4]qui occulte la vérité sur l’homme et sur le plan de Dieu. Celle-ci s’impose même lorsqu’un conflit a éclaté. C’est pourquoi le droit humanitaire dont s’est dotée la Communauté internationale est un bien précieux à soutenir. Aujourd’hui, la « vérité de la paix » est niée par le terrorisme qu’il soit inspiré par le nihilisme qui nie l’existence d’une vérité ou par le fondamentalisme qui veut imposer une vérité. Dans les deux cas, c’est l’homme, sa vie et Dieu qui sont méprisés. Les autorités devraient veiller à ne pas fomenter « chez les citoyens des sentiments d’hostilité » ni compter sur les armes nucléaires qui ne donnent la victoire à personne mais ne font que des victimes. « Un désarmement nucléaire progressif et concordé » reste d’actualité d’autant plus qu’il serait tout profit pour les pays pauvres. (2006) d’une manière générale, la course aux armements et le commerce des armes doivent être combattus. (2008)

La paix est, en même temps, don de Dieu par la création et la rédemption et tâche des hommes invités à répondre au plan divin, à respecter la dignité de tout homme, de ses droits à la vie, à la liberté religieuse (2011), dans la reconnaissance de l’égalité essentielle de toutes les personnes, quels que soient l’âge, le sexe, la culture. Le respect doit s’étendre à toute la création, à la terre et ses ressources, l’eau particulièrement (2010). On ne peut donc admettre des visions réductrices, idéologiques de l’homme et de Dieu ni l’indifférence vis-à-vis de la nature de l’homme et de ses droits fondamentaux, objectifs, inaliénables qui doivent être la préoccupation première des Organisations internationales. (2007)

Le premier lieu de paix, « premier lieu d’’humanisation’ de la personne et de la société »[5], c’est la famille qui jouit de droits spécifiques et qui doit inspirer par ses valeurs toutes les communautés jusqu’à la communauté des peuples « appelés à former une grande famille » dans une « maison commune », la terre (2010) et sous une loi morale commune, la loi naturelle qui doit marquer les législations des États. (2008)

Benoît XVI n’oublie pas non plus ce que Paul VI nous a enseigné : que « le développement est le nouveau nom de la paix »[6]. Il faut donc, dans la solidarité, combattre toutes les formes de pauvretés qui sont autant de « facteurs d’instabilité, de tension et de conflit ». Avec la doctrine sociale de l’Église, il faut réévaluer les activités économiques (2010), commerciales, financières. « Combattre la pauvreté, c’est construire la paix ». (2009)

Tout ce programme, le souci de la vérité et de la vraie liberté, de la justice et de la paix, doit être au centre de l’éducation de la jeunesse, dans les familles, dans les écoles et les media. (2012)

Ce programme parfaitement conforme aux enseignements des papes précédents est tout entier repris dans le message du 1er janvier 2013 à partir du commentaire de la 7e béatitude : « Heureux les artisans de paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9). Le point le plus important est que le caractère naturel et surnaturel de la paix y est de nouveau clairement affirmé et approfondi : tout effort efficace et durable en vue de la paix ne peut se passer d’une imprégnation et d’une perspective eschatologique : « La béatitude de Jésus dit que la paix est à la fouis don messianique et œuvre humaine. En effet, la paix présuppose un humanisme ouvert à la transcendance. Il est fruit du don réciproque, d’un enrichissement mutuel, grâce au don qui jaillit de Dieu et permet de vivre avec les autres et pour les autres. L’éthique de la paix est une éthique de la communion et du partage. Il est alors indispensable que les différentes cultures contemporaines dépassent les anthropologies et les éthiques fondées sur les présupposés théorico-pratiques surtout subjectifs et pragmatiques, au nom desquels les relations de cohabitation sont inspirés par des critères de pouvoir ou de profit, où les moyens deviennent des fins et vice-versa, où la culture et l’éducation sont seulement centrées sur les instruments, sur la technique et sur l’efficacité. Le démantèlement de la dictature du relativisme et de l’adoption d’une morale totalement autonome qui interdit la reconnaissance de l’incontournable loi morale naturelle inscrite par Dieu dans la conscience de chaque homme est une condition nécessaire de la paix. La paix est construction d’un vivre-ensemble en termes rationnels et moraux, s’appuyant sur un fondement dont la mesure n’est pas créée par l’homme mais par Dieu même. « Le Seigneur donne la puissance à son peuple, le Seigneur bénit son peuple dans la paix », rappelle le psaume 29 (v. 11). »[7]

Jean-Paul II avait, nous l’avons vu, insisté  « sur le fait qu’il n’y a pas de paix sans justice, qu’il n’y a pas de justice sans pardon »[8]  Benoît XVI reprend la formule et la commente : « La notion de pardon a besoin de trouver une place dans les débats internationaux sur les résolutions des conflits, afin de transformer le langage stérile des récriminations réciproques qui n’aboutissent à rien. Si la créature humaine est faite à l’image de Dieu, un Dieu de justice qui est « riche en miséricorde » (Ep 2, 4), alors ces qualités doivent se refléter dans la conduite des affaires humaines. C’est la combinaison de la justice et du pardon, de la justice et de la grâce, qui réside au cœur de la réponse divine aux mauvaises actions de l’homme (cf. Spe salvi, n° 44), en d’autres termes, au cœur de l’ « ordre établi par Dieu » (Pacem in terris, 1). Le pardon n’est pas la négation du mal, mais une participation à l’amour guérissant et transformant de Dieu qui restaure et réconcilie. […] Les torts et les injustices historiques ne peuvent être surmontés que si des hommes et des femmes sont inspirés par un message de guérison et d’espérance, un message qui offre une voie pour aller de l’avant, pour sortir de l’impasse qui emprisonne si souvent les personnes et les nations dans un cercle vicieux de violence. » Benoît XVI se réjouit que depuis 1963, « certains conflits qui semblaient insolubles à l’époque font désormais partie de l’histoire ». Il y voit un signe réconfortant pour poursuivre avec confiance sur cette voie de recherche de l’ordre établi par Dieu.⁠[9]

Telle est en bref et confirmée la théologie de la paix que l’Église a établi tout au long d’un siècle de conflits.

Et face à ces violences qui continuent à secouer bien des régions du monde, quelles positions concrètes seront prises par Benoît XVI en fonction de cette théologie de la paix ?

Aucun endroit du monde où sévit une forme ou l’autre de violence n’échappe à la compassion et à la prière de Benoît XVI. Partout il souhaite que les armes se taisent, que le dialogue reprenne, que l’on travaille à réconcilier les parties, que l’on se soucie des réfugiés, des minorités, que l’on encourage la diplomatie, que la communauté internationale prenne ses responsabilités, au Liban, en Libye⁠[10], en Irak⁠[11], au Pakistan, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Myanmar, au Darfour, en République démocratique du Congo, en Somalie, en Côte-d’Ivoire⁠[12]etc.⁠[13] Benoît XVI a été aussi confronté à un phénomène de plus en plus inquiétant : les violences contre les chrétiens. En Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique, ils sont l’objet d’actes terroristes qui révèlent combien est précieux le respect de la liberté religieuse pour le maintien de la paix.⁠[14]

Epinglons quelques dossiers particuliers…​


1. A l’occasion du cinquantenaire de l’encyclique Pacem in terris, Benoît XVI dira que le contexte politique a changé depuis 50 ans mais que « les perspectives offertes par le pape jean XXIII peuvent encore nous apprendre beaucoup de choses tandis que nous nous battons pour faire face aux nouveaux défis pour la paix et la justice dans l’ère de l‘après-guerre froide, dans la prolifération continue des armes. » L’encyclique dont l’inspiration est accessible à tous car la vérité est accessible à tous, est et reste « une exhortation puissante à s’engager dans le dialogue créatif entre l’Église et le monde, entre les croyants et les non-croyants », un message d’espérance pour établir la justice et la paix dans le monde. Pacem in terris est un « important document de la doctrine sociale de l’église », une vision de l’homme qui invite au dialogue. (Message à l’Académie pontificale des sciences sociales, 27 avril-1er mai 2012, in DC n° 2491, 3 juin 2012.)
2. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la paix, 2004.
3. GS 77-78.
4. Gn 1, Jn 8, 44, Ap 22, 15.
5. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique, Christifideles laici, 1988.
6. PP, n° 87.
7. Message pour la Journée mondiale de prière pour la paix, 1er janvier 2013 in DC n° 2503, 6 janvier 2013, p. 3. 
8. Message pour la journée mondiale de la paix, 1er janvier 2002, in DC, n°2261, 6 janvier 2002.
9. Message à l’Académie pontificale des sciences sociales, 27 avril-1er mai 2012, in DC n° 2491, 3 juin 2012.
10. Mgr MARTINELLI, Vicaire apostolique de Tripoli déclare : « du fait que les bombardements ont été autorisés par l’ONU (cela) ne signifie pas que l’ONU, l’OTAN ou l’Union européenne aient l’autorité morale pour décider de bombarder. Je ne veux certes pas interférer avec l’action politique de quiconque mais il est de mon devoir d’affirmer que les bombardements sont immoraux. (…) Bombarder ne constitue pas un acte dicté par la conscience civile et morale de l’Occident ou plus généralement de l’humanité. Bombarder constitue toujours un acte immoral. Je respecte les Nations Unies, je respecte l’OTAN, mais je dois cependant déclarer que la guerre est immorale. S’il existe des violations des droits de l’homme quelque part, je ne peux pas utiliser la même méthode pour les faire cesser. En tant que chrétien, je dois recourir à des méthodes pacifiques, au premier rang desquelles le dialogue. Je rappelle que le Pape Jean-Paul II a établi des relations diplomatiques avec la Libye alors qu’elle se trouvait soumise à un embargo. Ceci afin de démontrer que la méthode pour résoudre les problèmes ne consiste pas dans les guerres ni même dans les embargos mais dans le dialogue diplomatique. » (Cf. Zenit, 6-5-2011).
   La rencontre de la Commission mixte Méditerranée-Maghreb-Europe a eu lieu du 2 au 4 mai à Tunis. Dans le texte de la note conclusive, envoyée à l’Agence Fides, les Evêques réunis dans la capitale tunisienne indiquent « concernant la Libye l’appui des interventions du Pape Benoît XVI et de Mgr Giovani Martinelli, Vicaire apostolique de Tripoli, sur la priorité du dialogue politique : personne ne pourra maîtriser les conséquences des interventions armées qui frappent aussi des victimes innocentes ». (Agence Fides 05/05/2011).
11. Le Saint-Siège a réagi ainsi à l’annonce de l’exécution de Saddam Hussein le 3 décembre 2006: « Une exécution capitale est toujours une nouvelle tragique, motif de tristesse, même s’il s’agit d’une personne qui s’est rendue coupable de graves délits. La position de l’Église catholique -contre la peine de mort- a été de nombreuses fois réaffirmée. L’exécution du coupable n’est aucunement la voie qu’il convient d’emprunter pour rétablir la justice et réconcilier la société. Au contraire, le risque est bel et bien d’alimenter la vengeance et de semer à nouveau la violence. En cette période sombre de la vie du peuple irakien, il ne reste plus qu’à souhaiter que tous les responsables fassent réellement leur possible pour que de cette situation dramatique naisse enfin quelque espoir de réconciliation et de paix. » (In DC n° 2371, 21 janvier 2007)
12. Le 30 mars et le 6 avril 2011, le pape a lancé un appel en faveur de la population ivoirienne « traumatisée par de douloureuses luttes internes et de graves tensions sociopolitiques » à la suite d’affrontements internes suite à des élections controversées. Benoît XVI ne s’est pas contenté de paroles puisqu’il a demandé au cardinal Peter K. Turkson de se rendre sur place. (Cf. DC n° 2467, 1er mai 2011, p. 421).
13. Cf. Discours au Corps diplomatique, 11 janvier 2007, in DC n°2373, 4 février 2007 ; Discours au Corps diplomatique, 7 janvier 2008, in DC n° 2395, 3 février 2008.
14. Discours au Corps diplomatique, 10 janvier 2011, in DC n° 2462, 20 février 2011.

⁢b. La guerre de 39-45

A propos de l’engagement des Alliés lors de la seconde guerre mondiale, le futur Benoît XVI rappelle le devoir d’intervention humanitaire : « S’il y a eu jamais, dans l’histoire, un bellum justum, c’est bien ici, dans l’engagement des Alliés, car l’intervention servait finalement aussi au bien de ceux contre le pays desquels la guerre a été menée. Une telle constatation me paraît importante, car elle montre, sur la base d’un événement historique, la caractère insoutenable d’un pacifisme absolu »[1]

De visite en Grande-Bretagne, le pape rendra hommage à ceux qui se sont opposés au nazisme : « …nous pouvons nous rappeler combien la Grande-Bretagne et ses dirigeants ont combattu la tyrannie nazie qui cherchait à éliminer Dieu de la société, et qui niait notre commune humanité avec beaucoup de personnes jugées indignes de vivre, en particulier les juifs. »[2]


1. Cardinal RATZINGER Joseph, A la recherche de la paix, in Communio, n° XXIX, 4, juillet-août 2004, pp. 107-118.
2. Discours lors de la rencontre avec la Reine à Holyroodhouse, 16 septembre 2010, in DC n° 2454, 17 octobre 2010, p. 866.

⁢c. Le conflit israélo-palestinien

Benoît XVI, constamment préoccupé par la situation en terre sainte, confirme la position de l’Église : « L’État d’Israël doit pouvoir y exister pacifiquement, conformément aux normes du droit international ; le peuple palestinien doit également pouvoir y développer sereinement ses institutions démocratiques pour un avenir libre et prospère. »[1]

« Une fois de plus, je voudrais redire que l’option militaire n’est pas une solution et que la violence d’où qu’elle provienne et quelque forme qu’elle prenne, doit être condamnée fermement. Je souhaite […] que soient relancées les négociations de paix en renonçant à la haine, aux provocations et à l’usage des armes. Il est très important que, à l’occasion des échéances électorales cruciales qui intéresseront beaucoup d’habitants de la région dans les prochains mois, émergent des dirigeants capables de faire progresser avec détermination ce processus et de guider leurs peuples vers la difficile mais indispensable réconciliation. On ne pourra parvenir à celle-ci sans adopter une approche globale des problèmes de ces pays, dans le respect des aspirations et des intérêts légitimes de toutes les populations intéressées. »[2]

En 2013, « suite à la reconnaissance de la Palestine comme État observateur non membre des nations-Unies, je renouvelle le souhait que, avec le soutien de la communauté internationale, Israéliens et palestiniens s’engagent pour une coexistence pacifique dans le cadre de deux États souverains, où le respect de la justice et des aspirations légitimes des deux peuples sera préservé et garanti. »[3]


1. Discours au Corps diplomatique, 9 janvier 2006, in DC n° 2351, 5 février 2006, p. 103. Le Pape « évoque aussi l’attitude du régime envers des pasteurs et des religieux chrétiens qui ont défendu la vérité dans l’amour en s’opposant aux nazis et qui l’ont payé de leurs vies. »
2. Discours au Corps diplomatique, 8 janvier 2009,in DC n° 2412, 1er février 2009.
3. Discours au Corps diplomatique, 7 janvier 2013, in DC n° 2505, 3 février 2013.

⁢d. La Syrie

« Je suis avec beaucoup d’appréhension les épisodes dramatiques et croissants de violence en Syrie. Au cours des derniers jours, ils ont provoqué de nombreuses victimes. Je rappelle dans la prière les victimes, parmi lesquelles on compte également des enfants, les blessés et tous ceux qui souffrent des conséquences d’un conflit toujours plus préoccupant. Je renouvelle en outre mon appel pressant à mettre fin à la violence et à l’effusion de sang. Enfin, j’invite chacun — et avant tout les autorités politiques de Syrie — à privilégier la voie du dialogue, de la réconciliation et de l’engagement pour la paix. Il est urgent de répondre aux aspirations légitimes des différentes composantes du pays, ainsi qu’aux souhaits de la communauté internationale, préoccupée par le bien commun de la société tout entière et de la région. »[1]

« C’est avant tout aux autorités civiles et politiques qu’incombe la grave responsabilité d’œuvrer pour la paix. Elles sont les premières à être appelées à résoudre les nombreux conflits qui continuent d’ensanglanter l’humanité […]. Je pense d’abord à la Syrie, déchirée par des massacres sans fi n et théâtre d’effroyables souffrances parmi la population civile. Je renouvelle mon appel afin que les armes soient déposées et que prévale le plus tôt possible un dialogue constructif pour mettre fin à un conflit qui ne connaîtra pas de vainqueurs, mais seulement des vaincus s’il perdure, ne laissant derrière lui qu’un champ de ruines. »[2]

Outre la Syrie, il y a ou il y a eu, à travers le monde, des guerres civiles nombreuses, en Irlande, dans l’ex-Yougoslavie ou au Rwanda, en Somalie ou au Liberia. Dans ces pays, la cohabitation qui avait été réelle pendant un temps plus ou moins long, s’est désagrégée et le droit a cédé à la force. Les causes principales de cet effondrement sont les idéologies et l’intérêt spécialement « des grands marchés ».⁠[3]


1. Angélus, 12 février 2012, sur www.vatican.va.
2. Discours au Corps diplomatique, 7 janvier 2013, in DC n° 2505, 3 février 2013.
3. Cardinal RATZINGER Joseph, A la recherche de la paix, in Communio, n° XXIX, 4, juillet-août 2004, pp. 110-111.

⁢e. La terreur

La menace grandit dans la mesure où les forces terroristes et les organisations criminelles pourraient avoir accès aux armes nucléaires ou biologiques. Alors que les grandes puissances seules détentrices de ces armes ont, on l’espère, suffisamment de conscience pour ne pas les employer, les forces et organisations terroristes « ne veulent plus entendre raison, puisque un des éléments de base de la terreur repose sur le fait d’être prêt à l’autodestruction - une autodestruction qui est transfigurée en martyre et convertie en promesse. »

Que faire ? Il arrive que la force puisse et doive être employée pour défendre le droit. Un pacifisme absolu serait « une capitulation devant l’iniquité ». Mais l’utilisation de la force sans règles et par une seule puissance serait aussi source d’iniquité. Il faut lutte contre les injustices nourricières de violence, s’inscrire dans une logique de pardon et agir au nom d’un droit commun, un « jus gentium » et non un droit particulier, pour une liberté commune.⁠[1]


1. Id., pp. 111-112.

⁢f. Le commerce des armes et la prolifération des armes nucléaires

Déjà dans son premier Message pour la Journée mondiale de prière pour la paix, Benoît XVI s’inscrit avec force dans le mouvement lancé par Pie XII avant même que n’explose la première bombe nucléaire le 6 août 1945⁠[1]. Mouvement qui s’est renforcé après le premier bombardement nucléaire et a, depuis, développé ses raisons et principes dans nombre de documents magistériels.

Benoît XVI rappelle le grave défi « de l’augmentation des dépenses militaires ainsi que du maintien et du développement des arsenaux nucléaires. d’énormes ressources économiques sont absorbées à ces fins, alors qu’elles pourraient être destinées au développement des peuples, surtout des plus pauvres. » Il souhaite que « soient prises des décisions efficaces en vue d’un désarmement progressif, visant à libérer l a planète des armes nucléaires. Plus généralement, [il] déplore que la production et l’exportation des armes contribuent à perpétuer conflits et violences […]. A l’incapacité des parties directement impliquées à s’extraire de la spirale de violence et de douleur engendrée par ces conflits, s’ajoute l’apparente impuissance des autres pays et des organisations internationales à ramener la paix, sans compter l’indifférence quasi résignée de l’opinion publique mondiale. »[2]

Et plus précisément encore : « Que dire ensuite des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. En effet, dans une guerre nucléaire, il n’y aurait pas de vainqueurs, mais seulement des victimes.

La vérité de la paix demande que tous - aussi bien les gouvernements qui, de manière déclarée ou occulte, possèdent des armes nucléaires depuis longtemps, que ceux qui entendent se les procurer- changent conjointement de cap par des choix clairs et fermes, s’orientant vers un désarmement nucléaire progressif et concordé. Les ressources ainsi épargnées pourront être employées en projets de développement au profit de tous les habitants et, en premier lieu, des plus pauvres.

Augmentation préoccupante des dépenses militaires ; commerce des armes toujours prospère ; le processus politique et juridique mis en œuvre par la Communauté internationale pour renforcer le chemin du désarmement stagne dans le marécage d’une indifférence quasi générale. Quel avenir de paix sera un jouir possible si on continue à investir dans la production des armes et dans la recherche employée à en développer de nouvelles ? […] Que la Communauté internationale sache retrouver le courage et la sagesse de relancer résolument et collectivement le désarmement, donnant une application concrète au droit à la paix, qui est pour tout homme et pour tout peuple. »[3]

Benoît XVI s’inscrit bien dans la ligne de ses prédécesseurs. Rien de nouveau apparemment si ce n’est, et c’est très important, l’insistance sur le lien qu’il établit entre la paix et le dialogue entre la foi et la raison : « il ne peut y avoir non plus de paix dans le monde sans paix véritable entre raison et foi ». Pourquoi ? Parce que « sans paix entre raison et religion, les sources de la morale et du droit tarissent. » C’est le terrorisme islamique qui inspire cette réflexion. Le danger serait, en effet, de considérer que nous sommes impliqués dans une confrontation entre le monde de la raison, le monde occidental, et le monde de la religion fondamentaliste. Or, il y a des « pathologies de la raison » et des « pathologies de la religion » qui sont des « dangers mortels » pour la paix et l’humanité entière.

La religion devient maladie lorsque Dieu est identifié à des intérêts particuliers, à une communauté particulière. Le bien et le droit deviennent mon bien et mon droit absolus servis par une volonté qui peut devenir fanatique. On peut penser à un certain islam comme à certaines sectes occidentales. La foi en Dieu manipulée devient destructrice.

La raison aussi peut devenir maladie lorsqu’elle se coupe totalement de Dieu et prétend construire un homme et un monde nouveaux. On pense à Hitler, aux adeptes de Marx, à Pol Pot mais on déplore aussi la réduction de ce qui est rationnel à ce qui est vérifiable, contrôlable expérimentalement, manufacturable et falsifiable. L’homme n’est plus qu’un produit et la morale comme la religion ne sont plus que des phénomènes subjectifs. Disparaît la possibilité de trouver des « critères communs, « objectifs », de la moralité. » On ne peut plus parler de bien ou de mal en soi. Le faire est assimilé au fondamentalisme. Ne peut être bien que ce qui sert à construire le monde nouveau en « déconstruisant » l’ancien, le monde de la dignité de la personne, le monde où même le faible, le malade, le handicapé est respecté.

Or, seule la raison, ratio et intellectus, dans toute sa capacité à pénétrer « les couches les couches les plus profondes de l’être », à percevoir le bien, « condition du droit et par là également présupposé de la paix dans le monde », à percevoir le bon, le sacré, le saint, une raison ouverte à Dieu, peut « parer la manipulation de la notion de Dieu et les maladies de la religion, et offrir des remèdes. »

Le monde, à la recherche de la paix, a besoin de Dieu Logos et Amour, Raison et Relation. Une raison créatrice qui a créé l’homme à l’image de Dieu, l’homme qui participe par le fait même « de la dignité inviolable de Dieu », fondement de ses droits. Un amour qui refuse catégoriquement « toute idéologie de la violence ». Mais Dieu est aussi le Juge auquel « tous les hommes devront rendre compte ». Enfin, le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde mais il « advient par la foi, l’espérance et la charité, et doit transformer le monde de l’intérieur » au sein d’un État laïc nécessaire à la cohabitation de gens différents mais non laïciste. L’Eta laïciste, bâti sur la seule raison, refusant son héritage historique ne peut « éviter le conflit avec les cultures […] hostiles » au christianisme.⁠[4]


1. Allocution à l’Académie pontificale des sciences, 21 février 1943.
2. Discours au Corps diplomatique, 11 janvier 2010, in DC n° 2439, 7 février 2010.
3. Message pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2006, op. cit..
4. A la recherche de la paix, Conférence prononcée à Caen, le 5 juin 2004, à l’occasion du soixantième anniversaire du débarquement allié. (in Communio, n° XXIX, 4, juillet-août 2004, pp. 107-118.