Tâchons de résumer la pensée de Jean-Paul II.
La guerre reste, hélas, omniprésente dans l’histoire des hommes mais on ne peut s’en accommoder : « On a le sentiment que la guerre a été déclarée à la paix ! Mais la guerre ne résout rien, elle ne fait que provoquer plus de souffrances et une propagation de la mort ; les rétorsions et les représailles ne servent à rien. La tragédie est vraiment grande : personne ne peut rester silencieux et inactif ; aucun responsable politique ou religieux ! qu’après les dénonciations suivent des actes concrets de solidarité qui aident tous les hommes à revenir au respect mutuel et à la négociation loyale. »[1]
Certes il faut tout faire pour éviter la guerre et privilégier sans cesse le dialogue mais on ne peut non plus rester indifférent à l’injustice et au malheur infligés aux populations innocentes. Un nouveau concept s’impose, celui d’« ingérence humanitaire » : « Bien souvent, des situations où la paix est absente, où la justice est bafouée, où le milieu naturel est détruit, mettent des populations entières en grand danger de ne pouvoir satisfaire leurs besoins alimentaires premiers. Il ne faut pas que les guerres entre nations et les conflits internes condamnent des civils sans défense à mourir de faim pour des motifs égoïstes ou partisans. Dans ces cas, on doit de toute façon assurer les aides alimentaires et sanitaires, et lever tous les obstacles, y compris ceux qui viennent de recours arbitraires au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. La conscience de l’humanité, désormais soutenue par les dispositions du droit international humanitaire, demande que soit rendue obligatoire l’ingérence humanitaire dans les situations qui compromettent gravement la survie de peuples et de groupes ethniques entiers : c’est là un devoir pour les nations et la communauté internationale […]. »[2] Mais cette ingérence humanitaire peut-elle être armée ? Jean-Paul II répond : « Une fois que toutes les possibilités offertes par les négociations diplomatiques, les processus prévus par les Conventions et organisations internationales, ont été mis en œuvre, et que, malgré cela, des populations sont en train de succomber sous les coups d’un injuste agresseur, les États n’ont plus le « droit à l’indifférence ». Il semble bien que leur devoir soit de désarmer cet agresseur, si tous les autres moyens se sont avérés inefficaces. Les principes de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans leurs affaires internes - qui gardent toute leur valeur - ne sauraient toutefois constituer un paravent derrière lequel on pourrait torturer et assassiner »[3]
Il va de soi que cette intervention humanitaire souhaitable doit respecter les règles du jus in bello telles qu’elles ont été depuis longtemps édictées et établies dans d’innombrables règlements militaires et conventions internationales.[4] Toutefois, Jean-Paul II note avec satisfaction que : « Parmi les signes d’espérance, il faut […] inscrire, dans de nombreuses couches de l’opinion publique, le développement d’une sensibilité nouvelle toujours plus opposée au recours à la guerre pour résoudre les conflits entre les peuples et toujours plus orientée vers la recherche de moyens efficaces mais « non violents » pour arrêter l’agresseur armé. »[5]
On le constate, la notion de « guerre juste n’a plus du tout le statut privilégié qui fut le sien durant des siècles. Comme le note les meilleurs observateurs, elle s’inscrit désormais dans le cadre dominant d’une théologie de la paix. La pensée des papes depuis Benoît XV s’affirme de plus en plus comme « une théologie de la paix dont la « guerre juste » n’est qu’une partie ». La guerre juste est de plus en plus « subordonnée à cette théologie de la paix » [6].
En témoignent sa condamnation du trafic d’armes[7], de la course aux armements[8], du recours non nécessaire à la peine de mort[9], de l’acquisition d’armes de destruction massive[10], de l’immersion des déchets nucléaires[11] et finalement son souhait « d’échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations. » [12]
En témoigne, de manière particulièrement éclairante, la réflexion que Jean-Paul II nous a offerte sur le terrorisme[13]. Sa condamnation est bien sûr traditionnelle et sans appel puisqu’il s’agit d’une « blessure douloureuse » motivée par « l’intention de tuer le peuple, de détruire la propriété aveuglément et de créer un climat de terreur et d’insécurité, en incluant souvent des prises d’otages ».[14] Rien ne peut justifier le terrorisme, aucune injustice, aucune pauvreté d’autant plus que les pauvres sont les premières victimes du chaos économique et politique recherché par les terroristes.[15]
Mais comment réagir devant ce phénomène extrême, brutal et aveugle, devant lequel, il est vain, évidemment, de parler de dialogue, de négociation ?
Le Message pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 2002[16], nous plonge au cœur de cette théologie de la paix indispensable, incontournable désormais et qui est confrontée à la violence la plus sauvage et la plus irrationnelle qui risquerait de la mettre en question dans l’esprit de nombreux contemporains affolés devant une nouvelle et inouïe barbarie. Ce qui se révèle face au paroxysme de la violence couvre ipso facto toutes les autres manifestations traditionnelles de la méchanceté des hommes.
La clé de voûte de cette théologie est l’« espérance fondée sur la conviction que le mal, le mysterium iniquitatis[17], n’a pas le dernier mot dans les vicissitudes humaines. » En effet, l’histoire du salut révélée par la sainte Écriture nous montre que tout au long de leurs tribulations, les hommes sont accompagnés « par la sollicitude miséricordieuse et providentielle de Dieu ». Ainsi, même si le mal semble l’emporter, il est sûr que la paix finira par prévaloir. En attendant, quelle réponse devons-nous apporter à la violence ? Ou plus précisément : « quel est le chemin qui conduit au plein rétablissement de l’ordre moral et social qui est violé de manière si barbare ? ». La réponse se trouve dans l’Écriture et il n’y en a pas d’autre même si elle déroute ou choque : la paix ne peut reposer que sur la justice et le pardon. Les deux termes ne sont pas antinomiques : « le pardon s’oppose à la rancune et à la vengeance, et non à la justice. »
Il faut d’abord travailler à établir la justice comme « vertu morale et garantie légale qui veille sur le plein respect des droits et des devoirs, et sur la répartition équitable des profits et des charges ». Ainsi, la communauté internationale unie dans la lutte contre le terrorisme doit aussi s’engager « sur les plans politique, diplomatique et économique pour résoudre avec courage et détermination les éventuelles situations d’oppression et de marginalisation qui seraient à l’origine des desseins terroristes. » En effet, le recrutement de terroristes est facilité par les injustices subies.
La justice étant toujours « fragile et imparfaite, exposée qu’elle est aux limites et aux égoïsmes des personnes et des groupe, elle doit s’exercer et, en un sens, être complétée par le pardon qui guérit les blessures et rétablit en profondeur les rapports humains perturbés », que ce soit sur le plan personnel, social ou international.
Le pardon doit d’abord se vivre personnellement, « dans le cœur de chacun », avant de devenir un fait social et juridique. Il s’agit d’abord, à l’image de Dieu[18], de réagir contre la propension spontanée à rendre le mal pour le mal. Mais l’expérience nous révèle aussi que lorsque nous agissons mal, nous souhaitons que les autres soient indulgents avec nous. Il est donc naturel que nous agissions avec eux comme nous aimerions qu’ils soient avec nous. Qui n’a rêvé d’une « seconde chance », « de ne pas demeurer à jamais prisonnier de ses erreurs et de ses fautes », « de pouvoir à nouveau lever les yeux vers l’avenir, pour découvrir qu’il a encore la possibilité de faire confiance et de s’engager » ?
Ce pardon naît dans notre cœur est nécessaire à tous les niveaux de la société humaine pour qu’elle soit « plus juste et plus solidaire » car il renoue « les liens rompus », permet de dépasser « les situations stériles de condamnations réciproques » et de « vaincre la tentation d’exclure les autres en leur refusant toute possibilité d’appel. » Par contre, « le refus du pardon […], surtout s’il entretient la poursuite de conflits, a des répercussions incalculables pour le développement des peuples » à cause de « la course aux armements », des « dépenses de guerre » ou encore des « rétorsions économiques ».
Accepter de pardonner ou accepter le pardon n’est certes pas facile, il faut pour cela « une grande force spirituelle et un courage moral à toute épreuve » car le pardon « comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu’à long terme, il assure un gain réel. La violence est exactement le contraire, elle opte pour un gain à brève échéance, mais se prépare pour l’avenir lointain une perte réelle et permanente. »
La nécessité du pardon, de la justice et de la réconciliation, ne signifie pas qu’on doive « surseoir aux exigences légitimes de réparation de l’ordre lésé » mais qu’il faut pour tendre à la plénitude de la justice guérir les blessures morales.
La nécessité du pardon ne signifie pas non plus qu’on ne peut se défendre mais « c’est un droit qui, comme tout autre droit, doit répondre à des règles morales et juridiques tant dans le choix des objectifs que dans celui des moyens. » Jean-Paul II précise que les culpabilités doivent être établies personnellement et prouvées, qu’on ne peut étendre les responsabilités à une nation, un peuple une religion. [19]
Enfin, Jean-Paul II lance un appel à tous les chefs religieux pour qu’ils s’engagent au service de la paix au nom de la justice, de la dignité de la personne et de l’unité du genre humain, pour qu’ils condamnent « l’assassinat délibéré de l’innocent » et s’engagent « dans la pédagogie du pardon, car l’homme qui pardonne ou qui demande pardon comprend qu’il y a une vérité plus grande que lui, et qu’en l’accueillant il peut se dépasser lui-même. » De plus, la prière est un élément essentiel, fondamental, dans la construction de la paix car Dieu peut rénover les cœurs et vaincre les obstacles les plus tenaces.
Pas de paix sans justice, pas de justice sans pardon ! Pas de paix sans prière.
Ainsi peut-on résumer la pensée ultime de Jean-Paul II.
Utilisant leurs adeptes comme armes à lancer contre des personnes sans défense et ignorantes du danger, ces organisations terroristes manifestent d’une manière déconcertante l’instinct de mort qui les nourrit. Le terrorisme naît de la haine et il engendre l’isolement, la méfiance et le repli sur soi. La violence s’ajoute à la violence, en une spirale tragique qui entraîne même les nouvelles générations, celles-ci héritant ainsi de la haine qui a divisé » les générations précédentes. Le terrorisme est fondé sur le mépris de la vie humaine. Voilà précisément pourquoi non seulement il est à l’origine de crimes intolérables, mais il constitue en lui-même, en tant que recours à la terreur comme stratégie politique et économique, un véritable crime contre l’humanité. » (Message pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2002, in DC, n° 2261, 6 janvier 2002, p. 5.)