Paul VI a donc souhaité qu’à partir du 1er janvier 1968 soit célébrée une Journée de la paix.[1] Ce sera l’occasion, désormais, pour chaque Souverain Pontife de développer un thème en rapport avec la paix.
Ces messages seront désormais l’occasion d’approfondir la pensée de l’Église sur le thème de la paix ou plus exactement sur les conditions de la paix.[2]
Remarquons préalablement que « la proposition de consacrer à la paix le premier jour de l’année nouvelle ne se présente pas, dans l’idée de Paul VI, comme exclusivement religieuse et catholique ». Elle s’adresse, comme l’encyclique Pacem in terris, au monde entier, aux « hommes sages », gouvernants, organisations internationales, institutions religieuses, mouvements culturels, politiques, sociaux, aux diplomates, philosophes, hommes de science, syndicalistes, industriels, publicistes, maîtres d’école aux artistes, aux jeunes, « qui voient combien la paix est aujourd’hui à la fois nécessaire et menacée ». Le rôle de l’Église catholique est, « dans un esprit de service et d’exemple » de « simplement ’lancer l’idée’ ». Néanmoins, la partie finale du message sera distinctement et explicitement destinée aux catholiques.[3] (1968).
Dans le monde, depuis toujours, la lutte est partout présente à tel point que qu’elle peut ancrer « la conviction secrète et sceptique [que la paix] est pratiquement impossible » (1974). De plus, il faut reconnaître qu’elle peut être nécessaire, être « l’arme de la justice », un « devoir magnanime et héroïque », et qu’elle peut même être couronnée de succès (1970).
Il n’empêche qu’elle ne peut être l’idéal de notre vie. Ne fût-ce que parce qu’elle entraîne désordre, ruines et carnages, discriminations, exploitations et dominations, haine, lutte des classes (1971), révolutions et misère (1974). Elle se nourrit des nationalismes et des idéologies « exclusivistes et dominatrices ». Elle engendre des engins meurtriers et terrifiants (1975)[4], pousse à l’acquisition d’armements préventifs. La lutte est aussi la conséquence d’une organisation capitaliste, égoïste (1976).
A côté de la violence de la guerre, il y a aussi la violence « privée » parfois « organisée en groupes clandestins et factieux » comme dans les maffias. Mais « la violence n’est pas la véritable force », elle sourd d’une « énergie aveugle » et est « antisociale » (1978). Considérer la lutte comme une exigence sociale est une erreur et un « délit virtuel et permanent contre l’humanité » (1974). Ni la délinquance, ni le terrorisme, ni la torture policière ne peuvent être admis (1977).
L’idéal de notre vie est la paix.
Elle est nécessaire (1971), nous allons le voir, et elle est possible (1973) même si, après les bonnes résolutions qui ont suivi la deuxième guerre mondiale et ses horreurs on est revenu à la violence présentée encore parfois comme « la cuirasse de la justice », à la « haine déclarée légitime » (1973). « La paix est possible ! Elle doit être possible », c’est ce que crie « la voix mystérieuse et formidable des soldats morts au champ d’honneur et des victimes des conflits passés ». Des signes encourageants apparaissent de plus en plus : des institutions internationales ont été crées en vue de la paix, comme l’ONU, on accorde de plus en plus d’importance aux négociations comme en témoignent les accords d’Helsinki en 1975, en de nombreux endroits s’est manifestée une volonté de désarmement, de limiter les armes nucléaires, d’aider les pays en voie de développement, s’est répandue largement la condamnation du terrorisme, de la torture, des camps de concentration, des répressions. L’opinion publique est aujourd’hui plus mûre et plus sage, des relations de plus en plus nombreuses et étroites se sont tissées entre les hommes. S’est créée une véritable solidarité internationale. Les hommes découvrent leur complémentarité, leur interdépendance. Les échanges commerciaux se multiplient et se répand une même vison de l’homme grâce à la facilité de voyager et aux moyens de communication sociale.(1970, 1973,1978).
La paix est donc possible mais il faut la vouloir, « et si la paix est possible, elle est objet de devoir » (1973).
Mais est-elle un « pur équilibre » ? Peut-elle être le fruit de la crainte ? Non, elle ne peut être imposée par la force, elle ne se construit pas sur le mensonge, ni sur la tyrannie, ni par la violence (1971). Elle ne peut même pas se confondre avec « des moments de tranquillité », une trêve, un armistice. (1973) Elle n’est ni faiblesse, ni renonciation au droit et à la justice, ni « fuite du risque et du sacrifice », ni résignation (1974) elle ne se construit pas sur la méfiance, la défiance (1975).
La paix est un idéal qui ne se confond pas non plus avec le pacifisme[5]. Alors, quelle est la vraie nature de la paix et comme se construit-elle ?
Comme Jean XXIII l’a proclamé à la suite de Pie XII, elle repose sur les quatre fameux piliers : la vérité, la justice, la liberté, l’amour, « les plus hautes et universelles valeurs de la vie », autour desquelles, désormais, toute la réflexion de l’Église va s’organiser. (1968)
Certes, il faut travailler au désarmement, un désarmement « commun et général pour ne pas constituer une erreur impardonnable, conséquence d’un optimisme impossible et d’une naïveté aveugle, tentation pour la violence d’autrui » (1976) La formule « Si tu veux la paix, prépare la guerre » « n’est pas admissible sans des réserves radicales ». Car la course aux armements entraîne une « dépense incalculable de moyens économiques et d’énergies humaines […] au détriment du budget des écoles, de la culture, de l’agriculture, de la santé, de la vie sociale » (1977). Et il est regrettable que certains pays en voie de développement considèrent qu’il faut privilégier l’armement : « d’abord l’épée ; ensuite la charrue » (1973)
Il est nécessaire d’aller plus loin car elle ne se confond pas simplement avec, l’« inertie » ou l’ « apathie » d’hommes sans armes (1977), elle n’est pas « immobilisme » mais « dynamisme » (1972)[6] puisqu’elle est le principe et la fin du « développement normal et progressif de la société humaine » (1970). Elle doit être « active et progressive » (1973), elle doit être « faite », « continuellement engendrée et produite » de génération en génération (1975). Elle doit être « rationnelle et non passionnelle, magnanime et non égoïste » (1973)
La paix est sécurité et ordre, cause et effet du droit. La paix est donc un devoir pour tous les hommes, un devoir moral, universel et perpétuel, social et personnel dans la mesure où les conflits naissent de « carences de l’âme humaine » (1969), de nos égoïsmes (1970).
L’objectif est, grâce à une « nouvelle pédagogie », d’éduquer les jeunes à la paix en créant un « esprit nouveau ». (1968) Dès l’enfance, la paix doit imprégner tous les aspects de la vie (1978). La politique, l’économie, la culture, la pédagogie, etc. doivent être conçus en fonction de la paix. (1974) Et donc la paix dépend de chacun de nous et elle se fait d’abord à l’intérieur : « il faut désarmer les esprits » (1975) pour qu’elle entre dans la conscience. Ce sont, en effet, les idées qui mènent le monde. (1974)
Comment former la conscience des hommes sinon avec des « forces morales » comme le courage et l’amour (1973) et les « armes morales » : le respect des pactes, la justice et l’honnêteté. (1976). Il faut apprendre aux hommes « à parler un même langage », « à se comprendre, à partager les mêmes sentiments », à se réconcilier (1975) et, dans cette tâche, les femmes qui sont de plus en plus présentes dans la société, peuvent, en fonction de leurs qualités propres, jouer un rôle important (1975). Il faut sans cesse rappeler que tous les hommes sont frères, que nous sommes « tous responsables du bien commun », faits pour l’amour qui seul engendre la paix. Pour y arriver, il n’y a pas deux chemins, il faut mettre l’homme, sa dignité, son égalité et sa fraternité, au centre de ses préoccupations (1971). Défendre l’homme, c’est défendre la vie (1977). Paix et vie sont unis par un lien « métaphysique » (1978). La vie est « valeur et condition de la paix, […] tout crime contre la vie est un attentat contre la paix, surtout s‘il porte atteinte aux mœurs du peuple » comme dans le cas de l’avortement. La vie est « sacrée » c’est-à-dire « soustraite à tout pouvoir arbitraire de suppression » « intouchable, digne du plus grand respect, du plus grand soin, de tout sacrifice ». Attenter à la vie humaine innocente est un attentat contre la paix « c’est-à-dire contre la protection générale de l’ordre de la société humaine » (1977)
Ainsi, à propos de la justice, Paul VI fait remarquer que si elle implique les droits et les devoirs qui consignés dans des codes[7], elle exige aussi et surtout une conscience persuadée que tout homme est une personne, inviolable, libre, responsable. La justice est donc à la fois statique et dynamique, individuelle et collective (1972) : elle défend les faibles et punit les violents (1976).
Ceci dit, Paul VI s’adresse aux catholiques et leur montre qu’étant donné tout ce que réclame la construction de la paix, étant donné, en particulier, la nécessité d’aimer, comme il a été dit, l’homme, par ses seules forces, ne peut construire une paix solide et stable. Il a besoin de la paix du Christ qui enseigne optimisme, charité, justice (1969) et donne le sens de la « paternité divine » (1971). Pour que paix et vie fraternise, il faut la foi, la religion[8]. Pas de paix « véritable, stable et universelle » sans « l’éclairage et l’aide du Christ » (1978). De plus, l’histoire révèle l’importance du pardon pour que disparaisse toute volonté de revanche de la part du vaincu (1970)[9]. Les catholiques peuvent indiquer le chemin, sûr de la Providence, révéler que « toute vicissitude humaine peut être transformée en une histoire de salut » (cf. Rm 8, 28). Ils sont invités à soutenir les initiatives et institutions, prêcher l’amitié, pratiquer l’amour du prochain (1973) et former le sens de l’unité.
« Plus jamais la guerre ! » Tel est le cri qui résonne encore aujourd’hui dans les mémoires et que le Pape lança face aux représentants du monde réunis au siège des Nations Unies le 4 octobre 1965.[10]
La seule voie humaine acceptable pour la résolution des inévitables conflits est la négociation : « Pour faire régner la paix, il faut traiter, traiter sans se lasser, pour éviter cette humiliation suprême qui serait en même temps la suprême catastrophe : le recours aux armes ».[11] « La paix s’affirme seulement par la paix, celle qui n’est pas séparable des exigences de la justice, mais qui est alimentée par le sacrifice de soi, par la clémence, par la miséricorde, par la charité »[12].
Tel est l’essentiel de la philosophie de Paul VI.