Sa position est plus restrictive que celle des anciens théologiens. En effet, il applique à toute guerre, offensive ou défensive, les restrictions qui avaient été établies, jadis, pour la guerre offensive. d’autant plus que le pays agressé l’est peut-être en fonction d’une ancienne injustice qu’il a commise. Aux notions de guerres offensive ou défensive, notions qui trouvent chez les théologiens passés et contemporains, des définitions mouvantes[1], Pie XII, comme nous l’avons vu, substitue les notions de guerres d’agression[2] ou de légitime défense. En fait, Pie XII qui ne définit pas clairement la guerre d’agression, ne veut sans doute pas d’une formule trop rigide qui ne rencontrerait pas telle ou telle situation réelle.[3]
De plus, s’il existe un organisme supérieur aux États qui puisse rendre justice, le prince est dépouillé du droit de guerre qu’il avait à une époque d’inorganisation internationale. L’injustice à laquelle on peut répondre, doit être « très grave, atteignant la communauté », « évidente et extrêmement grave » et ne peut être corrigée ni par négociations directes ni par l’autorité supranationale. L’injustice extrêmement grave est une atteinte aux biens supérieurs : la dignité de la personne et ses droits inaliénables, la servitude politique et la ruine économique. Si l’on recourt finalement à la guerre, encore faut-il que les avantages l’emportent sur les dommages et que l’on ait une possibilité de victoire, que la guerre soit un « moindre mal »[4]. L’évaluation est toujours, évidemment difficile[5]. Et peut-on blâmer une résistance purement spirituelle à l’envahisseur injuste ou, a contrario, le sacrifice consenti d’un peuple qui préférerait risquer de mourir, à l’instar des martyrs, plutôt que de perdre un bien supérieur aux biens matériels et à la vie elle-même ?
Finalement, le droit de guerre -de guerre de légitime défense- implique-t-il, ipso facto, le devoir de l’exercer ? Le rôle d’un État est certes de défendre son peuple, mais en fonction de ce devoir, il peut décider une résistance armée ou non.
Plus qu’ailleurs, le problème, on s’en rend compte, par sa gravité, doit être soumis à la vertu de prudence que nous étudierons dans le dernier volume.
Pie XII face à la perspective d’une communauté organique des États
Non seulement, Pie XII, nous l’avons vu, a réagi, tout au long de son pontificat aux événements tragiques et menaçants de l’actualité mais il a aussi, et dès le début[6], envisagé ce que deviendrait le débat sur la guerre si, à l’avenir, les États se regroupaient dans une communauté capable de faire face au danger de conflits.
Comment le problème devrait-il se poser à partir du moment où les États, puissants et faibles, collaboreraient dans la vérité et la justice, la fidélité et la confiance, pour que règne « une sincère solidarité juridique et économique »[7] Cette communauté est hautement souhaitable et va dans le sens du projet de Dieu sur l’humanité. Cette communauté a été souhaitée par Léon XIII, Benoît XV et Pie XI. Pie XII veut aller plus loin dans ce sens et en tenant compte des erreurs du passé[8]. Aux membres du Congrès du Mouvement universel pour une confédération mondiale, il déclare : « Votre Mouvement […] s’attache à réaliser une organisation politique efficace du monde. Rien n’est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l‘Église, ni plus adapté à son enseignement sur la guerre légitime ou illégitime, surtout dans les conjonctures présentes. » Le mode d’organisation doit être « fédéraliste », se construire sur des valeurs objectives et, en évitant le « mécanisme unitaire, elle ne jouira d’une autorité effective que dans la mesure où elle sauvegardera et favorisera la vie propre d’une saine communauté humaine, d’une société dont tous les membres concourent ensemble au bien de l’humanité tout entière. »[9]
Pie XII souhaite donc « une communauté juridique d’États libres ». Alors que « l’histoire universelle qui présente une suite ininterrompue de luttes pour le pouvoir pourrait sans aucun doute faire apparaître comme une utopie » cette communauté, « cette fois, au contraire, c’est précisément la volonté de prévenir des conflits menaçants qui pousse vers une communauté juridique supranationale ; les considérations utilitaires qui, sans aucun doute, pèsent aussi notablement, sont orientées vers des œuvres de paix ; et finalement, c’est peut-être précisément le rapprochement technique qui a réveillé la foi sommeillant dans l’esprit et dans le cœur des individus, en une communauté supérieure des hommes, voulue par le Créateur et s’enracinant dans l’unité de leur origine, de leur nature et de leur fin. »[10]
La nouveauté prometteuse vient donc du désir de paix porté par une opinion publique marquée par la guerre et, d’autre part, du fait d’ « une interdépendance mutuelle croissante des peuples »[11] De nombreuses organisations internationales témoignent de cette volonté de rapprochement et de solidarité. Mais il y a aussi et surtout, ne l’oublions pas, et c’est pour cela que Pie XII rappelle la volonté du Créateur : « l’action plus pénétrante d’une loi immanente de développement »[12]. En effet, « la tendance à former des Communautés de peuples » est née d’« une impulsion intime, dérivant de leur unité d’origine, de nature et de fin, et qui doit manifestement servir au plein développement voulu par le Créateur, de chacun des individus, des peuples, de la famille humaine entière moyennant une collaboration croissante, respectueuse cependant des patrimoines culturels et moraux de chaque groupe. »[13]
Il ya un bien commun universel qui doit être protégé et enrichi par l’ensemble de la communauté humaine : « …le bien commun, fin essentielle » de toutes les sociétés, famille, État ou Société des États, « ne peut ni exister ni être conçu, sans leur relation intrinsèque avec l’unité du genre humain. Sous cet aspect, l’union indissoluble des États est un postulat naturel, un fait qui s’impose à eux et auquel, bien que parfois avec hésitation, ils se soumettent comme à la voix de la nature, s’efforçant d’ailleurs de donner à leur union un règlement extérieur stable, une organisation.
L’État et la Société des États avec son organisation -par leur nature, selon le caractère social de l’homme, et malgré toutes les ombres, comme l’atteste l’expérience de l’histoire- sont donc des formes de l’unité et de l’ordre entre les hommes, nécessaires à la vie humaine et coopérant à son perfectionnement. Leur concept même dit la tranquillité de l’ordre, cette tranquillitas ordinis qui est la définition que saint Augustin donne de la paix ; elles sont essentiellement une organisation pour la paix. »[14]
La communauté juridique supranationale dont rêve Pie XII n’élimine pas mais suppose d’autres communautés régionales comme autant de corps intermédiaires[15]. « Ce sont des Communautés dans lesquelles les États souverains, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas subordonnés à aucun autre État, s’unissent en une communauté juridique afin de poursuivre des buts juridiques déterminés. Ce serait donner une fausse idée de ces communautés juridiques que de les comparer aux empires du passé ou du présent où des races, des peuples et des états sont fondus de gré ou de force en un complexe unique. En ce cas-ci, au contraire, les États restent souverains et s’unissent librement en communauté juridique. »[16]
La souveraineté de l’État n’est pas et d’ailleurs n’a jamais été sans limites dans la mesure où « chaque État est immédiatement sujet du droit international ».[17] Il est donc logique qu’il y ait par-dessus les États « un organisme investi de commun accord d’une autorité suprême »[18] qui n’enlève pas aux communautés intermédiaires ni aux États leurs responsabilités. Au contraire : « Le droit positif des peuples, indispensable lui aussi dans la Communauté des États, a pour tâche de définir plus exactement les exigences de la nature et de les appliquer aux circonstances concrètes et de prendre en outre, par une convention qui, librement contractée est devenue obligatoire, des dispositions ultérieures, toujours ordonnées à la fin de la communauté. »[19] d’ailleurs, « aucune organisation du monde ne saurait être viable si elle ne s’harmonise avec l’ensemble des relations naturelles, avec l’ordre normal et organique qui régit les rapports particuliers des hommes et des divers peuples. Faute de quoi, qu’elle qu’en soit la structure, il lui sera impossible de tenir debout et de durer. »[20]
La tâche est difficile et l’autorité supranationale devra faire preuve de vertu, de sagesse et de créativité : « Quelle dose de fermeté morale, d’intelligence prévoyante, de souplesse d’adaptation devra posséder cette autorité mondiale, nécessaire plus que jamais dans les moments critiques où face à la malveillance, les bonnes volontés ont besoin de s’appuyer sur l’autorité. […] En vérité, il est impossible de résoudre le problème de l’organisation politique mondiale sans consentir à s’écarter parfois des chemins battus, sans faire appel à l’expérience de l’histoire, à une saine philosophie sociale, et même à une certaine divination de l’énergie créatrice. »[21]
En effet, les problèmes sont nombreux. Il faut tenir compte de l’extrême diversité des peuples, des mœurs, des cultures, des systèmes sociaux, économique et politiques mais aussi des tendances contraires à l’uniformisation ou à l’exclusion, à l’individualisme ou à la domination, à l’égoïsme ou à la générosité. Face à cette hétérogénéité, « il est facile de déduire le principe théorique fondamental du traitement de ces difficultés et tendances : dans les limites de ce qui est possible et permis, promouvoir ce qui facilite et rend plus efficace l’union, endiguer ce qui la trouble ; supporter parfois ce qu’on ne peut aplanir et ce pour quoi d’autre part on ne pourrait laisser sombrer la communauté des peuples à cause du bien supérieur que l‘on attend d’elle. La difficulté réside dans l’application de ce principe. »[22]
Dans cette tâche, la communauté internationale peut, si elle le désire, compter sur la collaboration d’une autre société supranationale qui a l’expérience de la diversité : l’Église catholique qui est même « le modèle le plus achevé de la société universelle »[23] car elle a le sens du particulier et de l’universel. d’une part, « l’Église, du fait de sa mission, a trouvé et trouve devant elle des hommes et des peuples d’une merveilleuse culture, d’autres d’une inculture à peine compréhensible, et tous les degrés intermédiaires possibles : diversité de races, de langues, de philosophies, de confessions religieuses, d’aspirations et de particularités nationales ; peuples libres et peuples esclaves, peuples qui n’ont jamais appartenu à l’Église et peuples qui se sont détachés de sa communion. L’Église doit vivre parmi eux et avec eux ; elle ne peut jamais, en face d’aucun, se déclarer « non intéressée ». »[24] Mais « le sens principal de la supranationalité de l’Église est de donner, d’une manière durable, figure et forme au fondement de la société humaine, au-dessus de toutes les diversités, au-delà des limites de l’espace et du temps ». Comment s’y prend-elle et quel est le fondement ? « Elle embrasse et sanctifie tout ce qui est vraiment humain ; elle fait converger et elle ordonne les multiples aspirations et les fins particulières vers le but total et commun de l’homme, qui est sa ressemblance la plus parfaite possible avec Dieu. » Ainsi, l’Église « cherche en premier l’homme lui-même ; elle s’efforce de former l’homme, de modeler et de perfectionner en lui la ressemblance avec Dieu. Son travail s’accomplit au fond du cœur de chacun, mais il a sa répercussion sur toute la durée de la vie, dans tous les champs de l’activité des individus. Dans ces hommes ainsi formés, l’Église prépare à la société humaine une base sur laquelle elle peut reposer avec sécurité. » C’est « au plus intime de l’homme, de l’homme dans sa dignité personnelle de créature libre, dans sa dignité infiniment plus haute d’enfant de Dieu » que l’Église agit. L’Église ne vise donc pas à constituer « comme un gigantesque empire mondial ». S’adressant prioritairement à chaque personne en particulier, elle fait le contraire de l’impérialisme moderne : « L’Église […] n’est pas un empire, surtout dans le sens impérialiste que l’on donne ordinairement aujourd’hui à ce mot. Elle suit dans son progrès et dans son expansion une marche inverse d celle de l’impérialisme moderne. Elle progresse avant tout en profondeur, puis en extension et en étendue. […] L’impérialisme moderne, au contraire, suit une route opposée. Il procède en extension et en étendue. Il ne cherche pas l’homme en tant que tel, mais les choses et les forces auxquelles il le fait servir ; par suite, il porte en lui des germes qui mettent en danger le fondement de la communauté humaine. »
Non seulement le chemin de l’Église est inverse mais il est aussi tout autre sur le plan pratique comme Pie XI l’a montré dans Quadragesimo anno que Pie XII rappelle bien à propos : « ce que les particuliers peuvent faire par eux-mêmes et par leurs propres moyens ne doit pas leur être enlevé et transféré à la communauté ; ce principe vaut également pour les groupements plus petits et d’ordre inférieur par rapport aux plus grands et d’un rang plus élevé. Car, poursuivait le sage Pontife, toute activité sociale est de sa nature subsidiaire ; elle doit servir de soutien aux membres du corps social et ne jamais les détruire ni les absorber. »[25]
L’ONU n’est-elle pas cette organisation supranationale souhaitée par Pie XII ?
Dès les travaux préparatoires, c’est-à-dire dès 1944, Pie XII exprima ses encouragements[26] car la gestation ne fut pas simple. Et lorsque la Charte des nations-Unies, fut signée, des lacunes apparurent immédiatement. Notamment le fait que la question du maintien de la paix incombait d’abord au Conseil de sécurité fragilisé par le droit de veto des grandes puissances. Réaliste, Pie XII conscient des imperfections, se réjouit malgré tout ce qui éatit un progrès par rapport à l’ancienne Société des Nations : « Dans l’aréopage mondial des Nations Unies et à côté de grandes puissances, a été érigée, même pour les nations plus petites, une tribune publique d’orateurs […], laquelle, par sa vaste résonnance, mériterait bien d’être mise au service d’une digne et juste paix.
Il est vrai que, après les désillusions et les expériences souvent humiliantes de l’après-guerre, aucune intelligence clairvoyante et raisonnable ne se sentira poussée à donner plus de valeur qu’il ne faut aux immédiates et palpables possibilités de cette tribune mondiale.
Cependant, il ne reste pas moins vrai qu’aucun de ceux qui ont pris çà cœur, comme un devoir sacré, de lutter pour une paix digne, doive renoncer à se servir de cette possibilité, si limitée qu’elle soit, pour secouer la conscience du monde à partir d’un lieu si haut placé et si en évidence, même dans le cas où d’innombrables indices sembleraient démontrer que leurs raisons risquent de n’être -pour un temps plus ou moins long - qu’une simple « voix dans le désert ». »[27]
Cette position n’empêchera pas le Souverain Pontife de critiquer certaines attitudes, certaines carences de l’Organisation. Ainsi, lors des affaires du canal de Suez et de Hongrie en 1956, l’ONU se montre sévère vis-à-vis de l’intervention de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël d’une part et indulgente vis-à-vis de l’URSS d’autre part, Pie XII déclare : « Bien que le programme qui est à la base des Nations Unies se propose d’assurer les valeurs absolues dans la vie en commun des peuples, le passé récent a toutefois montré que le faux réalisme réussit à prévaloir chez un bon nombre de ses membres, même quand il s’agit de rétablir le respect de ces mêmes valeurs de la société humaine qui se trouvent ouvertement foulées aux pieds. Les vues unilatérales qui tendent à faire agir selon les circonstances uniquement en fonction de l’intérêt et de la puissance ont pour effet que les cas d’accusation pour perturbation de la paix se trouvent traités de façon diverse, si bien que l’importance respective qu’ils ont à la lumière des valeurs absolues se voit purement et simplement inversée. » Le Saint Père continue : « Personne n’attend nui ne réclame l’impossible, pas même des nations Unies ; mais on aurait pu s’attendre à ce que leur autorité ait eu quelque poids, au moins par l’intermédiaire d’observateurs dans les lieux où les valeurs essentielles pour l’homme sont dans un péril extrême. Si juste qu’il soit de reconnaître que l’ONU condamne des violations graves des droits des hommes et de peuples entiers, on pourrait cependant désirer que, dans des cas semblables, des États qui vont jusqu’à refuser d’admettre des observateurs - montrant ainsi qu’ils ont de la souveraineté de l’État une notion qui mine les fondements mêmes de l’ONU - ne soient pas autorisés à exercer leurs droits de membres de l’Organisation elle-même. Celle-ci devrait aussi avoir le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d’un État dans un autre, sous quelque prétexte qu’on entende le faire, non moins que d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé. » Malgré ces critiques, Pie XII estime que l’institution est importante et a un rôle déterminant à jouer en faveur de la paix : « Si Nous faisons allusion à ces aspects défectueux, c’est parce que Nous désirons voir renforcer l’autorité de l’ONU, surtout pour l’obtention du désarmement général, qui Nous tient tant à cœur, et dont Nous avons déjà parlé d’autre fois. En effet, c’est seulement dans le cadre d’une Institution comme celle des nations Unies que l’engagement de chacun des États à réduire ses armements, et spécialement à renoncer à la production et à l’emploi de certaines armes pourra être pris de commun accord et transformé en obligation stricte de droit international. De même seules les Nations Unies sont présentement en état d’exiger l’observation de cette obligation, en assurant le contrôle effectif des armements de chacun sans aucune exception. Son application au moyen de l’observation aérienne, tout en évitant les inconvénients auxquels pourrait donner lieu la présence de commissions étrangères, assure la vérification effective de la production et du potentiel militaire avec une facilité relative. Il y a, en vérité, quelque chose de prodigieux dans ce que la technique a su obtenir dans ce domaine. »[28]
Outre le désarmement[29] et le contrôle par l’envoi d’observateurs qualifiés ou la surveillance aérienne, une autre tâche devrait être assumée par l’organisation superétatique : elle devrait veiller non seulement au contrôle, à l’application mais aussi à la révision éventuelle des accords internationaux. A plusieurs reprises, Pie XII va insister sur cette dernière fonction[30] mais en vain. R. Coste fait remarquer, à ce point de vue que la charte des Nations Unies est en retrait par rapport à ce que le pacte de la SDN avait reconnu[31].
L’organisation superétatique peut-elle disposer d’une force armée ? Il semble que oui même si de manière claire et explicite Pie XII ne se soit pas prononcé. Il y a dans ses discours quelques indices qui s’inscrivent bien dans la logique d’une action internationale. Ainsi, quand il évoque_« la formation d’un organisme pour le maintien de la paix, d’un organisme investi de commun accord d’une autorité suprême »_ il précise qu’il « aurait aussi dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective. » Comment « étouffer » cette menace sans un bras armé ? Il faut que la guerre, continue-t-il, « se sente toujours sous le coup de la proscription et toujours sous la surveillance d’une action préventive ». Quelle action ? Il répond : « si besoin est, les sanctions économiques et même l’intervention armée »[32]. Et si nous relisons le Message de Noël 1956 cité plus haut, nous voyons qu’il souhaite que l’ONU ait « le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d’un État dans un autre, sous quelque prétexte qu’on entende le faire, non moins que d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé. »
d’autres sanctions contre l’agresseur sont prévues : la perte des « droits de membres de l’Organisation elle-même »[33], les « sanctions économiques » comme nous venons de le voir[34], la réparation des dommages et l’imposition de mesures de sécurité après la défaite[35]. A chaque fois cependant, Pie XII demande la modération dans l’application de ces sanctions toujours provisoires et qui doivent tenir compte du fait que toute personne jouit de droits inviolables.[36]
L’organisation internationale doit encore ajouter à ces sanctions, comme nous l’avons déjà signalé précédemment, le châtiment des grands criminels de guerre. Les premiers coupables sont les hommes d’État qui ont préparé et ordonné l’agression. Ils doivent être l’objet de sanctions pénales[37]. Pie XII témoin de deux guerres, témoin surtout, pour la question qui nous intéresse ici, des procès de Nuremberg[38] et Tokyo[39] va longuement développer sa pensée lors du VIe Congrès international de droit pénal qui s’était tenu à Rome[40]. Il va insister sur l’élaboration d’un droit pénal international et la constitution d’un tribunal international, nécessaire vu la mobilité des citoyens et surtout à cause des guerres et des troubles politiques violents.
Le droit pénal doit sanctionner partout et, « si possible d’une manière également sévère » « au moins les délits les plus graves » « de sorte que les coupables ne puissent nulle part se soustraire ou être soustraits au châtiment ». Pour cela il faut « des règles juridiques claires et fermes » pour que la punition ne soit pas le fruit de « l’arbitraire et [de] la passion »[41]. Quels sont les délits les plus graves ? Le crime de guerre tout d’abord, c’est-à-dire le crime qu’est la guerre « qui n’exige pas la nécessité inconditionnée de se défendre et qui entraîne […] des ruines, des souffrances et des horreurs inimaginables ». Sont visés également certains procédés de guerre : fusillades de masse, massacres raciaux, camps de concentration, déportations, violences contre les femmes, les civils, travail forcé, chantage, etc.
Le droit doit aussi donner des garanties juridiques en matière d’arrestation, d’instruction judicaire[42], de défense des accusés.
Pour ce qui est du tribunal national ou international qui offre, entre
autres, une possibilité d’appel, il doit être composé de juges
impartiaux.[43]
L’impartialité du collège des juges doit être assurée aussi et surtout
quand les relations internationales sont engagées dans les procès
pénaux. En pareil cas, il peut être nécessaire de recourir à un tribunal
international, ou du moins de pouvoir en appeler du tribunal national à
un tribunal international. Celui qui n’est pas impliqué dans le
différend, ressent un malaise lorsqu’après la fin des hostilités, il
voit le vainqueur juger le vaincu pour des crimes de guerre, alors que
ce vainqueur s’est rendu coupable envers le vaincu de crimes analogues.
Les vaincus peuvent sans doute être coupables ; leurs juges peuvent
avoir un sens manifeste de la justice et la volonté d’une entière
objectivité ; malgré cela, en pareil cas, l’intérêt du droit et la
confiance que mérite la sentence demanderont assez souvent d’adjoindre
au tribunal des juges neutres, de telle manière que la majorité décisive
dépende de ceux-ci. Le juge neutre ne doit pas considérer alors comme de
son devoir d’acquitter l’accusé ; il doit appliquer le droit en vigueur
et se comporter d’après lui. Mais l’adjonction précitée donne à tous les
intéressés immédiats, aux tiers hors de cause et à l’opinion publique
mondiale une assurance plus grande que le « droit » sera prononcé. Elle
constitue sans aucun doute une certaine limitation de la souveraineté
propre ; mais cette renonciation est plus que compensée par
l’accroissement de prestige, par le surplus de considération et de
confiance envers les décisions judiciaire de l’État qui agit ainsi. »
Peut-on conclure sur cette base que Pie XII a réprouvé les procès
évoqués ? Non. Il en a souligné les imperfections mais n’ pas mis en
cause sa légitimité. Par ailleurs, il faut reconnaître la modération et
le sérieux manifestés à Nuremberg comme à Tokyo. Le nombre de témoins et
d’audiences en témoigne de même que le peu de condamnations capitales :
12 à Nuremberg sur 31 personnes et organisations accusées et 7 à Tokyo
sur 28 prévenus. Il y eut même trois acquittements à Nuremberg et un
condamné à mort fut acquitté à titre posthume par un autre tribunal
chargé de la dénazification en 1953.
]
« Aux garanties du droit se rattache comme un facteur essentiel, la composition impartiale de la cour de justice. Le juge ne peut être « parti », ni personnellement ni pour l’État. Un juge qui possède le sens véritable de la justice renoncera de lui-même à l’exercice de sa juridiction dans le cas où il devrait se considérer comme partie. […