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Chapitre 4 : Pie XII et la seconde guerre mondiale

Reine de la paix, priez pour nous et donnez au monde
la paix après laquelle soupirent les peuples,
la paix dans la vérité, dans la justice, dans la charité du Christ.
Donnez-lui la paix des armes et la paix des âmes,
afin que dans la tranquillité de l’ordre s’étende le règne de Dieu.
— Pie XII

Le 2 mars 1939, le cardinal Pacelli, juriste et canoniste de formation, qui a servi le Saint-Siège sous Léon XIII⁠[1], Pie X⁠[2], Benoît XV⁠[3] et Pie XI⁠[4], devient le pape Pie XII dans un contexte international très grave.⁠[5]

Dans son premier radio-message, le lendemain de son élection, après les salutations d’usage, c’est à la paix qu’il pense : « Nous disons la paix, celle que Notre prédécesseur de pieuse mémoire recommanda avec tant d’insistance aux hommes et qu’il implora avec de si ardentes prières jusqu’à faire à Dieu l’offrande spontanée de sa vie pour obtenir la concorde entre les hommes. La paix, le don le plus beau de Dieu, qui dépasse tout sentiment ; la paix que tous les hommes sensés et sages ne peuvent pas ne pas désirer ; la paix enfin qui est le fruit de la justice et de la charité ».⁠[6]

Nous avons vu que Benoît XV, face à la guerre, et Pie XI, face au menaces de guerre, ne reprennent plus dans leurs discours les références traditionnelles à la notion de guerre juste sauf en ce qui concerne la guerre d’Ethiopie. La « grande guerre » a bouleversé les paramètres traditionnels et les souverains pontifes ont consacré tous leurs efforts et leurs réflexions à la nécessité d’établir ou de rétablir la paix. Pie XII s’inscrit dans cette ligne⁠[7] et parce qu’il est juriste de formation, parce qu’il a une grande expérience diplomatique, il va jeter les bases d’une véritable théologie de la paix qui tient compte des réalités nouvelles. A l’époque moderne, le « jus ad bellum » ne faisait pas problème dans la mesure où la guerre était déclarée et menée par l’autorité publique. Tous les efforts des moralistes, des théologiens, des hommes politiques portaient sur le « jus in bello ». A partir de 1914, c’est le « jus ad bellum » qui fait problème et c’est sur ce point précis, fondamental, que Pie XII va réfléchir. L’innovation n’est pas totale puisqu’il est sûr que Taparelli, en particulier, a exercé une influence sur Benoît XV mais plus encore sur Pie XI qui en recommandait la lecture⁠[8] . Il est vraisemblable que Pie XII qui fut au service de Benoît XV et de Pie XI, en a aussi été nourri. Il a dû aussi connaître l’œuvre de Don Sturzo et le manifeste des théologiens de Fribourg.

Nous savons que Pie XII durant tout son pontificat a développé ses réflexions principalement à l’occasion de rencontres particulières. Nous n’avons donc pas un traité ni même une encyclique qui soit consacrée au thème de la paix et de la guerre mais une dissémination de pensées qui, rassemblées, peuvent constituer une théologie cohérente.

Voyons comment le nouveau souverain pontife réagit face à la seconde guerre mondiale.

Comme rappelé plus haut, Eugène Pacelli a consacré, tout au long de sa carrière, maints efforts diplomatiques pour restaurer ou maintenir la paix

Comme ses prédécesseurs, Pie XII s’interroge⁠[9] sur les causes du manque de paix qu’il définit comme saint Augustin : « la tranquillité dans l’ordre ». Sont dénoncés, le chômage et les inégalités scandaleuses, les divisions politiques nationales et internationales, le non respect des pactes. Seul Dieu peut accorder la paix et d’abord la paix intérieure qui conditionne la tranquillité extérieure. Lui obéir, le prier, rechercher la justice⁠[10] associée à la charité sont les voies de l’entente entre les hommes et les peuples. C’est seulement sur les valeurs spirituelles « que peuvent se bâtir la grandeur, la prospérité et le bonheur durables des peuples. »[11] Dans cet effort pour la paix, le Pape a un rôle à jouer : « les devoirs sacrés de Notre ministère apostolique ne peuvent admettre que ni les obstacles extérieurs, ni la crainte de voir mal interprétés ou incompris Nos intentions et Nos desseins, toujours orientés vers le bien, Nous empêchent d’exercer ce salutaire office de pacification, qui est propre à l’Église. »[12] Un peu plus tard, il ajoutera que pour tout prêtre, « il s’agira maintenant, plus que jamais de savoir s’élever au-dessus des passions politiques et nationales, de réconforter, de rendre courage, de secourir, d’exhorter à la prière et à la pénitence et de prier lui-même et de faire pénitence »[13] On reconnaît sans peine, dans ce discours, la pensée de Benoît XV.

Le 24 août, le Pape, dans son Radiomessage au monde entier, appelle à la paix et à la négociation entre gouvernements⁠[14], le 31, veille de l’agression allemande contre la Pologne, il « supplie » les deux gouvernements de trouver « une solution juste et pacifique » et prie les gouvernements anglais, français et italien d’appuyer sa demande. Il promet : « Nous ne cesserons pas d’épier attentivement, pour les seconder de tout Notre pouvoir, les occasions qui s’offriraient, avant tout, d’acheminer à nouveau les peuples, aujourd’hui soulevés et divisés, vers la conclusion d’une paix honorable pour tous, en conformité avec la conscience humaine et chrétienne, une paix qui protège les droits vitaux de chacun et qui sauvegarde la sécurité et la tranquillité des nations »[15]

Tout au long de l’année, Pie XII demandera que l’on prie pour la paix (Lettre au Secrétaire d’État, 20 avril 1939 ; Discours aux membres du Sacré Collège, 2 juin 1939 ; Allocution à des pèlerins allemands, 26 septembre 1939 ; encyclique Summi pontificatus, 20 octobre 1939 ; Allocution à la population de Castelgandolfo, 22 octobre 1939) et, en plusieurs occasions, laissera s’exprimer sa profonde douleur face aux souffrances encourues comme dans son Allocution au Cardinal Hlond et aux Polonais résidant à Rome⁠[16]

La première encyclique Summi pontificatus à l’occasion de la fête du Christ-Roi⁠[17] revient sur les causes des malheurs du temps et de la guerre mondiale qui se prépare. Dénonçant le « gigantesque tourbillon d’erreurs et de mouvements antichrétiens », le Pape épingle « la méconnaissance et l’oubli […] de la loi naturelle » qui ébranlent la « base de la moralité » et font réapparaître « un paganisme corrompu et corrupteur ». Cet « agnosticisme religieux et moral » colporte de nombreuses erreurs mais il en est deux que le Souverain Pontife développe. A travers elles, c’est l’essentiel du national-socialisme qui est visé. La première erreur est de ne pas considérer que tous les hommes sont frères, qu’ils forment une « grande famille », parce qu’ils ont la même origine, la même nature, la même fin surnaturelle, le même rédempteur, la même mission, « à quelque peuple qu’ils appartiennent ». Les différences nationales, sociales, culturelles ne détruisent pas « l’unité du genre humain » mais sont destinées « à l’enrichir et à l’embellir ». « Mais le légitime et juste amour de chacun envers sa propre patrie ne doit pas faire fermer les yeux sur l’universalité de la charité chrétienne, qui enseigne à considérer aussi les autres et leur prospérité dans la lumière pacifiante de l’amour ». Et voilà pour le racisme et le nationalisme. La seconde erreur est de « délier l’autorité civile de toute espèce de dépendance à l’égard de l’Etre suprême ». A ce moment, « le pouvoir civil […] tend à s’attribuer cette autorité absolue qui n’appartient qu’au Créateur et Maître suprême et à se substituer au Tout-Puissant, en élevant l’État ou la collectivité à la dignité de fin ultime de la vie, d’arbitre souverain de l’ordre moral et juridique, et en interdisant de ce fait tout appel aux principes de la raison naturelle et de la conscience chrétienne. » Dès lors, « soit quand un tel empire illimité est attribué à l’État, considéré comme mandataire de la nation, du, peuple, de la famille ethnique ou encore d’une classe sociale, soit quand l’État y prétend en maître absolu, indépendamment de toute espèce de mandat », la famille « risque d’être considérée exclusivement sous l’angle de la puissance nationale » et non plus comme antérieure à l’État. L’ « absolutisme » ruine l’autorité et détruit les activités privées. La famille perd ses droits, la conscience perd ses droits, la jeunesse est menacée et même l’ordre international est bouleversé. La « volonté autonome des États », sans référence au droit divin, est livrée « au funeste dynamisme de l’intérêt privé et de l’égoïsme collectif, uniquement tourné à la mise en valeur de ses propres droits et à la méconnaissance de ceux des autres. » On en arrive à « considérer par principe les traités comme éphémères et s’attribuer tacitement la faculté de les annuler unilatéralement le jour où ils ne conviendraient plus ». Et voilà pour la conception nazie de l’État mais aussi pour l’État fasciste⁠[18] ou communiste.

Les remèdes ? Le respect du droit naturel, l’évangélisation, l’Action catholique, la vitalité des familles et la liberté de l’Église⁠[19]

Répondant sans les citer aux « suspicions » des autorités allemandes qui persécutent l’Église en l’accusant de vouloir jouer un rôle politique et violer ainsi le concordat, Pie XII affirme « que de pareils desseins sont entièrement étrangers à l’Église, laquelle tend ses bras maternels vers ce monde, non pour dominer, mais pour servir. Elle ne prétend pas se substituer, dans le champ qui leur est propre, aux autres autorités légitimes, mais leur offre son aide à l’exemple et dans l’esprit de son divin Fondateur qui « passa en faisant du bien » (Ac 10, 38). »

Eclairé par ce qui est advenu à Benoît XV et à Pie XI dans leur action en faveur de la paix, Pie XII reprécise son rôle : « Nous avons considéré comme un devoir -auquel Nous ne pouvions Nous soustraire- de Notre ministère apostolique et de l’amour chrétien, de mettre tout en œuvre pour épargner à l’humanité entière et à la chrétienté les horreurs d’une conflagration mondiale, même au risque de voir Nos intentions et Nos buts mal compris. »[20]

Mais Pie XII, dont les « avertissements, s’ils furent respectueusement écoutés, ne furent pourtant pas suivis », pense à l’avenir, à l’après-guerre, à la lumière de ce qu’il a constaté après la première guerre mondiale : « Cet avenir sera-t-il vraiment différent, sera-t-il surtout meilleur ? Les traités de paix, le nouvel ordre international à la foin de cette guerre, seront-ils animés de justice et d’équité envers tous, de cet esprit qui délivre et pacifie, ou seront-ils une lamentable répétition des erreurs anciennes et récentes ? Attendre un changement décisif exclusivement du choc des armées et de son issue finale est vain, et l’expérience le démontre. L’heure de la victoire est une heure de triomphe extérieur pour le camp qui réussit à la remporter ; mais c’est en même temps l’heure de la tentation, où l’ange de la justice lutte avec le démon de la violence ; le cœur du vainqueur s’endurcit trop facilement ; la modération et une prévoyante sagesse lui semblent faiblesse ; le bouillonnement des passions populaires, attisé par les souffrances et les sacrifices supportés, voile souvent la vue aux dirigeants eux-mêmes et les rend inattentifs aux conseils de l’humanité et d l’équité, dont la voix est couverte ou teinte par l’inhumain vae victis. Les résolutions et les décisions prises dans de telles conditions risqueraient de n’être que l’injustice sous le manteau de la justice. »

Le 24 décembre, dans son Message de Noël, Pie XII évoque « le sol ensanglanté de la Pologne et de la Finlande »[21] dénonce le pacte de non-agression signé en 1932 avec la Finlande alors qu’elle avait, encore le 17 septembre, promis de respecter la neutralité finlandaise. Le 30 novembre les troupes soviétiques envahissent la Finlande et bombardent Helsinki sans déclaration de guerre. La guerre se termine le 12 mars 1940 après 105 jours de combat.] et aussi « l’agression préméditée contre un petit peuple laborieux et pacifique sous le prétexte d’une menace inexistante, ni voulue ni même possible »[22]. Il dénonce « une série d’actes aussi inconciliables avec les prescriptions du droit international positif, qu’avec les prescriptions du droit naturel et même avec les sentiments d’humanité les plus élémentaires ; actes qui Nous montrent en quel cercle vicieux chaotique s’enlise le sens juridique dévoyé par des considérations purement utilitaires. » Il dénonce encore « les atrocités (de quelque côté qu’elles aient été commises) et l’usage illicite de moyens de destruction, même contre des non-combattants et des fugitifs, contre des vieillards, des femmes, des enfants ; le mépris de la dignité, de la liberté et de la vie humaine, d’où découlent des actes qui crient vengeance devant Dieu […]  ; la propagande antichrétienne et même athée, toujours plus étendue et méthodique, surtout parmi la jeunesse. »[23] Face à l’inéluctable, il rappelle son rôle : « Nous employer […] à alléger les malheurs découlant de la guerre ». Autant que faire se peut, évidemment.

Mais, comme précédemment, Pie XII pense déjà à l’après-guerre, « quand le monde fatigué de guerroyer voudra rétablir la paix ». Instruit par ce qui s’est passé après la première guerre mondiale, il est conscient du « travail immense qui sera nécessaire […] pour abattre les murs cyclopéens de l’aversion et de la haine qui ont été élevés dans la chaleur de la lutte », pour s’opposer « au ténébreux instinct de basse vengeance » Et de proposer, dès ce message de Noël 1939, un plan, en cinq points, pour établir « une paix juste et honorable » :

\1. La reconnaissance du « droit à la vie et à l’indépendance de toutes les nations grandes et petites, puissantes et faibles. »

\2. L’abandon de « la course aux armements » et le « désarmement mutuellement consenti, organisé, progressif, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre spirituel ». Le rôle de la force est « de servir à garantir le droit » et non d’établir une tyrannie par la violence.

\3. « La création ou la reconstruction des institutions internationales » qui tireraient les leçons de l’inefficacité passée. Pour que les traités de paix soient loyaux, honorables et respectés, il faudra veiller à « l’établissement d’institutions juridiques ».

\4. L’attention bienveillante, sage et équitable en ce qui concerne « les vrais besoins et les justes requêtes des nations et des peuples, comme aussi des minorités ethniques. »

\5. Le développement d’un esprit de justice et d’amour, du sens de la responsabilité, sans lesquels tous les règlements resteront « lettre morte ».

Reprenant le cri des anciens croisés, « Dieu le veut », Pie XII invite les « cœurs purs et magnanimes » à une nouvelle croisade, mais cette fois, à une croisade de paix dont il n’ignore pas les difficultés.

Dès les premiers mois de son pontificat, Pie XII nous présente, sur la grave question de la guerre et de la paix, les axes essentiels de sa pensée, qu’il répétera et précisera tout au long du conflit et après la guerre. Les axes de son action et de l’action à laquelle tous doivent participer :

-Dénoncer les causes profondes de la guerre. En bref, l’oubli, voire le mépris de Dieu, de sa Loi et de son Évangile.⁠[24]

-Prier.⁠[25]

-Soutenir toutes les victimes de la guerre.⁠[26]

-Rappeler, en toute circonstance, le bien et le juste.⁠[27]

-Travailler à maintenir ou rétablir la paix⁠[28] en dépit des incompréhensions et des calomnies.⁠[29]

Pour bien comprendre l’attitude de Pie XII pendant toutes ces années de guerre, il faut, bien sûr, rappeler ce que fit Benoît XV, son modèle, mais conserver à l’esprit ces lignes directrices qu’il compte suivre avec impartialité⁠[30] et qu’il invite à suivre avec impartialité.⁠[31] Il n’y est pas question prioritairement ni secondairement d’accuser les responsables.⁠[32] Jésus a-t-il dénoncé l’occupation romaine ? Jésus a-t-il condamné la femme adultère et ceux qui voulaient la lapider ? Identifier les coupables n’est pas le rôle du Vicaire du Christ.⁠[33] Se préoccuper du corps et de l’âme de tout un chacun, oui. Se pencher, tel le bon Samaritain, sur toute souffrance, oui.⁠[34] Et il l’a fait, quoi que certains aient prétendu. Son souci ne s’est pas limité au sort des catholiques en Allemagne et dans les pays occupés, mais il s’est étendu à toutes les victimes réelles et potentielles, y compris les Juifs.⁠[35]

Ajoutons encore que, chaque fois que Pie XII évoque la guerre, c’est avec une très « profonde émotion » exprimée directement par l’aveu de sa tristesse mais aussi à travers le vocabulaire employé pour décrire, « suivant les impulsions de [son] cœur » le malheur du temps.⁠[36]

Quant aux chrétiens, ils sont invités à être plus que jamais chrétiens, quels que soient les périls.⁠[37] On voit, en effet, parfois, des chrétiens, « peut-être sans qu’ils s’en aperçoivent, devenir les victimes et les intermédiaires de conceptions et de théories, de pensées et de préjugés, qui, issus de milieux étrangers et hostiles au christianisme, viennent menacer les âmes des fidèles. »[38]

Enfin, Pie XII sait aussi que l’Église, dans ses prises de position, ne sera pas mieux comprise que le Christ ne l’a été lui-même.⁠[39] Pire encore, le bien qu’elle cherche peut, sans qu’elle le veuille, engendrer le mal.⁠[40]

La paix est le souci majeur de Pie XII à cause des destructions physiques, spirituelles, familiales et matérielles que la guerre entraîne inéluctablement. Dans son message de Noël 1939, Pie XII évoquait des mesures juridiques nécessaires à l’établissement d’une paix durable. Dans son message ce Noël 1940, ce sont les réformes morales personnelles et sociales indispensables à la création d’un « ordre nouveau »[41] sans lequel toute réorganisation de la vie internationale sera vaine :

\1. Vaincre la haine et  renoncer « à des systèmes et pratiques que la haine ne cesse d’entretenir ». A la place, vivifier « les idéaux naturels de la véracité, de la justice, de la courtoisie et de la coopération au bien » et par-dessus tout, celui de « l’amour fraternel apporté dans le monde par le Christ ».

\2. Vaincre la défiance par la fidélité aux pactes.

\3. Vaincre l’idée que « l’utilité est la base et la règle des droits » et que « la force crée le droit ».

\4. Vaincre les inégalités trop criantes dans le domaine de l’économie mondiale pour que tous aient un mode de vie convenable.

\5. Vaincre l’égoïsme qui attente à la liberté des citoyens, à l’honneur et à la souveraineté des États au nom de la solidarité juridique et économique et de la collaboration fraternelle entre les peuples.

Ce programme doit être reconnu le plus tôt possible même si, comme le reconnaît le pape, « dans l’état actuel des choses, il n’y aurait guère de chances de succès à formuler des propositions concrètes en vue d’une paix juste et équitable ».⁠[42]

Néanmoins, progressivement, de fête de Noël en fête de Noël, se dessine des propositions qui anticipent la Charte atlantique (14-8-1941), la Charte des Nations-Unies (26-6-1945) et la Déclaration des Droits de l’homme (1948).

Dans son Radio-message de Noël 1941, revient sur les causes de cette « guerre d’extermination », qui a été engendrée par « la progressive déchristianisation individuelle et sociale »[43]. Le remède est donc bien de revenir à la foi et d’entamer une reconstruction matérielle et morale réfléchie, prudente et courageuse car l’ivresse de la victoire peut entraîner sur de fausses pistes, celles d’une paix trompeuse. A cet endroit, Pie XII reprend les propositions présentées dans les deux massages de Noël précédents : d’abord rétablir « la loi morale, manifestée par le Créateur lui-même au moyen de la loi naturelle et inscrite par lui dans le cœur des hommes en caractères ineffaçables » ; ensuite, restaurer un ordre international qui se construira sur le respect de la liberté, de l’intégrité et de la sécurité de tous les États, grands ou petits, le respect des minorités culturelles et linguistiques, une équitable répartition des richesses⁠[44], la « limitation progressive et adéquate des armements », le respect des traités, enfin, le respect de Dieu et de l’Église, en effet, « l’incrédulité qui se dresse contre Dieu ordonnateur de l’univers est la plus dangereuse ennemie d’un équitable ordre nouveau ».⁠[45]

Il faut donc travailler aux conditions juridiques et morales de la paix.⁠[46]

Le message de Noël 1942 sera consacré à l’ordre intérieur des nations puisqu’il y a « des rapports étroits et essentiels qui existent entre l’équilibre économique, social et intellectuel dans chaque État et la paix internationale ».⁠[47]

Le Pape va-t-il prendre parti pour telle ou telle structure politique ? Certes non. L’Église « n’entend point prendre parti pour l’une ou l’autre des formes particulières et concrètes par lesquelles les divers peuples ou États tendent à résoudre les problèmes gigantesques de leur organisation intérieure comme de la collaboration internationale, si ces solutions respectent la loi divine ». C’est donc sur le plan des principes fondamentaux, « des « lois inviolables à protéger contre toute déformation, contre toute obscurité, contre toute corruption, contre toute erreur ou contre toute fausse interprétation » que l’attention du Souverain Pontife va se porter.

Quels sont donc ces principes fondamentaux, ces lois inviolables indispensables à la construction d’un ordre national et international qui serait bénéfique pour l’humanité ? L’ordre international étant tributaire de l’ordre intérieur des nations : « il est impossible d’établir un front de paix vers l’extérieur solide et assuré, à moins qu’un front de paix à l’intérieur n’inspire confiance. »

En ce qui concerne tout d’abord « la paix sociale », Pie XII, reprenant à la suite de saint Thomas⁠[48], la célèbre définition que saint Augustin avait donnée de la paix comme la « vie tranquille dans l’ordre »[49], développe les « deux  éléments primordiaux » de la vie sociale : la « communauté dans l’ordre » et la « communauté dans la tranquillité ».

qu’entend-il par là ?

Une « communauté dans l’ordre » n’est pas une communauté qui s’est vu imposer un ordre factice mais une communauté cherche son « unité interne » en conformité avec la nature des « êtres intelligents et moraux » qui la composent. Une communauté qui reconnaît, à la suite de « groupements larges et influents »[50] que Dieu est la cause première et l’ultime fondement de la vie individuelle et sociale. Une communauté dont « le but essentiel doit être la conservation, le développement et le perfectionnement de la personne humaine » et qui n’exclut pas « les différences qui résultent de la réalité et de la nature. » La fin de la société n’est donc pas économique ou politique mais fondamentalement morale et religieuse. Economie et politique sont au service « du bien commun, c’est-à-dire de ces conditions extérieures nécessaires à l’ensemble des citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse. » Ce bien commun doit être soutenu par un ordre juridique qui permette, oriente et protège « le développement des valeurs personnelles de l’homme qui est image de Dieu ». L’ordre juridique assure aussi la « concorde » entre les individus, les sociétés et à l’intérieur de celles-ci mais ne relève pas du « positivisme juridique » qui exalte des lois purement humaines ni d’un « instinct juridique » qui se prétendrait infaillible ni d’une conception absolue de l’État. Malgré les faiblesses humaines et les difficultés de la vie, le droit a pour fonction d’ouvrir « la route à l’amour », à la concorde qui est, étymologiquement,  l’union des cœurs. Et l’amour, de son côté, « tempère le droit et le sublimise ». Matérialisme et impérialisme, au contraire, tuent « l’amour et la justice ».

Une « communauté dans la tranquillité » n’est pas une communauté paresseuse, peureuse ou passive, c’est une communauté qui agit pour la vérité, les droits de Dieu, la dignité et les fins de la personne humaine. Dans le monde du travail en particulier, ce ne sont pas les « divers systèmes du socialisme marxiste » qui assureront la tranquillité ni la « servitude économique » engendrée par « l’omnipotence du capital privé ou du pouvoir de l’État », mais la reconnaissance du « droit à l’usage des biens de la terre », du droit à l’usage juste d’une « propriété privée », des droits et de la liberté de la personne humaine. 

Dès lors, pour l’ordre et la pacification de la société humaine, « pour cette croisade nécessaire et sainte » qui s’impose vu les tragédies de l’heure⁠[51], cinq « maximes » fondamentales doivent inspirer l’action des « membres les meilleurs de l’élite de la chrétienté » :

La reconnaissance de la dignité inhérente à la personne humaine qui n’est pas destinée à se fondre dans une masse, à s’agiter dans l’instabilité, l’amoralisme, l’anarchie instinctive mais à vivre de manière responsable dans l’ordre. De cette dignité découlent les droits fondamentaux à la vie, à l’éducation, à la religion, au mariage, à la famille, au travail, au choix libre d’un état de vie, à l’usage des biens matériels « dans la conscience des devoirs propres et des limitations aussi sociales ».

La reconnaissance de la société comme « unité interne » construite sur la collaboration et non comme troupeau manipulable. Et donc, reconnaissance de la famille « cellule irremplaçable du peuple » et de tout ce qui est nécessaire à ses missions et à son développement.

La reconnaissance de la dignité et de l’importance du travail et de tout ce qu’il implique : juste salaire, ordre et esprit social, formation, solidarité entre puissants et faibles.

La reconnaissance de l’ordre juridique voulu par Dieu et qui protège les « droits imprescriptibles de l’homme » et le défende contre l’arbitraire à l’intérieur d’un système judiciaire indépendant et du « sentiment populaire » et de l’État.

La reconnaissance de l’État serviteur de la société, respectueux de la personne humaine, de la vérité et de la morale.

Tel est, en bref, le programme dont certains points se retrouveront plus tard dans la déclaration universelle des Droits de l’homme.

Le Message de Noël 1943 est aussi consacré au « monstre apocalyptique » que la civilisation moderne a produit, perfectionnant toujours davantage ses moyens de destruction en même temps que s’abaisse son sens moral, que disparaît son sentiment d’humanité et que s’obscurcissent sa raison et son esprit.

Pie XII va s’adresser aux « déçus », aux « désolés » et aux « fidèles ».

Les « déçus » sont ceux qui ont mis leur « confiance dans l’expansion mondiale de la vie économique » ou qui « plaçaient le bonheur et le bien-être uniquement dans le monde de science et de culture qui se refusait à reconnaître le Créateur de l’univers. »

Les « désolés » sont « ceux dont la vie avait pour but le travail » sans préoccupation religieuse ou morale, ceux pour qui le bonheur espéré était « la jouissance d’une vie passagère et terrestre » ou encore ceux qui « aspirèrent à posséder la force et à dominer ».

La guerre a fait voler en éclats tous ces rêves mais le retour à Dieu est toujours possible.

Quant aux « fidèles », plongés aussi dans les malheurs du temps, ils peuvent compter sur l’action du pape et sur leur foi sans oublier leur responsabilité dans les épreuves, du fait de leur péché. Ils sont invités à prier et à agir « pour reconstruire un nouveau monde social au Christ ». Tourmentés ou non par la guerre, tous ceux qui le peuvent sont invités à la pratique solidaire de la charité, au relèvement matériel et spirituel des peuples et des États. Ils doivent, en vue de la paix ne pas oublier « qu’une paix conforme à la dignité de l’homme et à la conscience chrétienne ne peut jamais être durement imposée par l’épée, mais elle doit être le fruit d’une justice prévoyante et d’une équité envers tous ceux dont ils portent la responsabilité ». Et s’ils ont eu à souffrir d’une manière ou d’une autre de la guerre, ils ne peuvent « pourtant pas ternir demain cette paix et rendre injustice pour injustice ou commettre peut-être une injustice plus grande encore. »

Enfin, le Saint Père s’adresse aux responsables politiques, inquiet de la manière dont la paix pourrait être établie⁠[52]. La vraie paix durable réclame un esprit nouveau, objectif, sans haine vengeresse, sans volonté de représailles même si des garanties et des sanctions sont « nécessaires contre tout attentat de la force contre le droit ». La force doit servir à protéger et défendre le droit et non le restreindre ou l’opprimer.

Quelques mois plus tard, Pie XII précisera que la paix doit se construire sur « cette idée que les guerres, aujourd’hui, non moins que dans le passé, peuvent difficilement être mises au compte des peuples regardés comme tels comme coupables ». De plus, pour le Saint Père, « toute solution correcte du conflit mondial doit considérer comme bien distinctes deux questions importantes et complexes : d’un côté la culpabilité dans la déclaration ou la prolongation de la guerre, de l’autre côté la forme ou la physionomie de la paix et sa sécurité. Cette distinction laisse naturellement intacts les postulats, aussi bien d’une juste punition des actes de violence commis contre les personnes ou les choses et non réellement exigés par la conduite de la guerre, que des garanties nécessaires pour défendre le droit des attentats toujours possible de la force ». Cette mise au point est importante car le pape sait par expérience que le vainqueur a toujours la « possibilité physique de dicter une paix injuste » qui ne pourra être que précaire car rien n’est plus dommageable que d’enlever « l’espérance à la partie belligérante vaincue ».⁠[53]

Désormais, sentant que la fin de la guerre approche⁠[54], Pie XII, à toute occasion, plaide pour que tous ses interlocuteurs, journalistes alliés⁠[55], militaires anglais⁠[56], aumôniers américains⁠[57] , militaires canadiens⁠[58], militaires anglais, écossais et irlandais⁠[59], militaires britanniques⁠[60], prisonniers italiens⁠[61], ambassadeur de Colombie⁠[62], ministre plénipotentiaire des Pays-Bas⁠[63], soldats membres de la société du Saint-Nom⁠[64], Tchèques résidant à Rome⁠[65], membres du Collège pontifical germanico-hongrois⁠[66], au personnel de la radiodiffusion italienne⁠[67], à toutes les victimes de la guerre⁠[68], à un groupe de représentants du Congrès des États-Unis⁠[69], aux enfants de familles réfugiées⁠[70], à l’ambassadeur d’Equateur⁠[71] n’aient qu’un but : la paix, l’amour fraternel, la fidélité à Dieu et à l’Église. Aux délégués de l’armée et du peuple polonais qui ont particulièrement souffert de la guerre il dira : « Nous avons la conviction que l’amour du Christ saura vous inspirer ce que déjà la sagesse politique vous suggère ; il vous fera planer bien au-dessus des calculs purement humains et dédaigner les âpres satisfactions des représailles et de la vengeance pour leur préférer la sublime tâche de faire valoir vos légitimes revendications, de relever et reconstituer votre patrie, de travailler en commun avec toutes les âmes droites, qui sont nombreuses en toutes les nations, à rétablir les relations fraternelles entre les membres de la grande famille de Dieu. »[72]

Le 1er septembre 1944⁠[73], il va développer les principes qui doivent servir de base à la reconstruction économique et sociale et à l’entraide internationale.

L’espoir du pape est de voir « surgir un monde nouveau plus sain, mieux ordonné, plus en harmonie avec les exigences de la nature humaine » construit, dans le respect de l’originalité de chaque peuple, sur « la loi morale inscrite par le Créateur au cœur de tous les hommes (cf. Rm 2, 15), le droit naturel qui dérive de Dieu, les droits fondamentaux et l’intangible dignité de la personne humaine. » Quelles que soient ses collaborations, le chrétien doit rester scrupuleusement fidèle à ces principes.

Très concrètement, il s’attachera « aux normes que l’expérience, la saine raison, la morale sociale chrétienne lui indiquent comme les fondements et les principes de toute saine réforme. » Pie XII rappelle alors l’importance sociale et morale de la propriété privée telle que l’Église la conçoit. Il n’oublie pas non plus les urgences de l’heure. Face à tant de ruines et de détresses, il insiste sur l’urgence de secours pour pourvoir aux besoins essentiels et la nécessité d’une entraide internationale. Il termine en évoquant son message de Noël 1939 où il exprimait le désir d’une « institution universelle de paix »  et en souhaitant que, avec la prudence nécessaire, les prisonniers et les internés civils puissent dans la mesure du possible, rentrer rapidement chez eux.

La saint Père sait aussi que les hommes sortiront de cette terrible épreuve, bouleversés, avides de nouveauté, d’évolution ou de révolution. L’Église, elle, doit rester fidèle à sa mission miséricordieuse et, par-dessus tout, à la vérité face aux erreurs.⁠[74]

Dans son dernier radio-message de Noël du temps de guerre, Pie XII, après avoir évoqué les conditions morales et juridiques de la paix, les principes d’une reconstruction sociale et économique, complète sa réflexion par la présentation des conditions d’un renouveau politique. Après l’expérience du « pouvoir dictatorial, incontrôlable et intangible », les peuples aspirent à « un système de gouvernement qui soit plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens ». C’est donc l’occasion de présenter les conditions requises pour le bon fonctionnement d’une démocratie. Conditions que nous avons analysées précédemment qui distinguent peuple et masse, absolutisme d’État et juste autorité de l’État. Mais il ne faut pas seulement penser à l’ordre démocratique intérieur des peuples, il faut aussi se soucier, pour garantir la paix, d’« une société des peuples » démocratique qui ait une certaine autorité sur les États. Son but étant « de faire tout ce qui est possible pour proscrire et bannir une fois pour toutes la guerre d’agression comme solution légitime des controverses internationales et comme moyen de réalisation des aspirations nationales. » Pas une génération n’a plus que la présente le désir de crier « guerre à la guerre »

Cette « société des États » serait donc « un organisme chargé du maintien de la paix, investi d’un commun accord d’une autorité suprême et qui aurait aussi dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective ». En effet, « la théorie de la guerre, comme moyen apte et proportionné de solution pour les conflits internationaux, est désormais dépassée. » A la reconnaissance de l’immoralité de la guerre d’agression doit s’ajouter « la menace d’une intervention juridique des nations et d’un châtiment infligé à l’agresseur par la société des États, en sorte que la guerre se sente toujours sous le coup de la proscription et toujours sous la surveillance d’une action préventive. »

Toutefois, une condition doit être respectée : « que l’organisation de la paix à laquelle les garanties mutuelles et, si besoin est, les sanctions économiques et même l’intervention armée devant donner force et stabilité, ne consacre définitivement aucune injustice, ne lèse aucun droit au détriment d’aucun peuple (qu’il appartienne au groupe des vainqueurs, des vaincus ou des neutres), ne perpétue aucune imposition ou charge, en dehors de celles qui sont seules temporairement permises comme réparation des dommages de guerre. »[75]

L’objectif étant que, sorti de la lutte et de la haine, on revienne à une « solidarité qui ne se limite pas à tels ou tels peuples, mais qui soit universelle, fondée sur la connexion intime de leurs destinées et sur les droits qui appartiennent également à chacun d’eux. »

Ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse punir les délits. « Personne, certes, ne pense à désarmer la justice à l’égard de qui a profité de la guerre pour commettre des délits réels et prouvés de droit commun ; les soi-disant nécessités militaires pouvaient tout au plus y servir de prétexte ; elles ne sauraient jamais les justifier. Mais si elle prétendait juger et punir, non plus les individus, mais collectivement des communautés tout entières, qui pourrait ne pas voir dans un pareil procédé une violation des règles qui président à n’importe quel jugement humain ? »[76]

Enfin, dans ce travail de reconstruction démocratique nationale et internationale, l’Église a « un rôle de premier ordre » par l’enseignement qu’elle dispense et les forces surnaturelles qu’elle communique.

La paix se dessinant petit à petit, le « spectre satanique exhibé par le national-socialisme » reculant, le « délire fou d’une hégémonie de la force »[77] s’évanouissant, Pie XII va insister sur la nécessité de faire surgir un monde nouveau mieux ordonné, plus équitable, plus sain, plus juste, plus fraternel⁠[78] construit sur la vérité⁠[79] et la charité⁠[80]. d’où de plus en plus de discours et d’allocutions qui relèvent de l’enseignement social de l’Église⁠[81]. Le pape applique ainsi la leçon du Psaume 85 qui invite à pratiquer la justice pour avoir la paix⁠[82].

A propos de l’ensemble de ses discours durant la guerre, Pie XII explique sa position : « Continuant l’œuvre de Notre prédécesseur, Nous n’avons pas cessé, Nous-même, durant la guerre, spécialement dans Nos messages, d’opposer les exigences et les règles indéfectibles de l’humanité et de la foi chrétienne aux applications dévastatrices et inexorables de la doctrine nationale-socialiste, qui, en arrivaient à employer les méthodes scientifiques les plus raffinées pour torturer ou supprimer des personnes souvent innocentes. C’était là, pour Nous, le moyen le plus opportun et, pourrions-Nous dire, le seul efficace de proclamer devant le monde les principes immuables de la loi morale et d‘affermir, parmi tant d’erreurs et de violences, les esprits et les cœurs des catholiques allemands dans l’idéal supérieur de la vérité et de la justice. Cette sollicitude ne resta pas sans effet. Nous savons, en effet, que Nos messages, surtout celui de Noël 1942, malgré toutes les défenses et tous les obstacles, furent pris comme sujets dans les conférences diocésaines du clergé en Allemagne et ensuite exposés et expliqués au peuple catholique. »[83]

Regardant vers l’avenir, Pie XII que l’humanité, « victime d’une exploitation impie, d’un cynique mépris de la vie et des droits de l’homme, […] n’a qu’un désir, […] n’aspire qu’à une seule chose: mener une vie tranquille et pacifique dans la digité et l’honnête labeur. » Pour y arriver, il faut que cesse la destruction de la famille malmenée durant les années de guerre.⁠[84] Cette faute « a créé les multitudes de déracinés, de déçus, de désolés, sans espoir qui vont grossir les masses de la révolution et du désordre, à la solde d’une tyrannie non moins despotique que celle qu’on a voulu abattre. »⁠[85]

Il faut aussi que soit reconnu le droit des petites et moyennes nations à « prendre en main leurs propres destins ».

Bref, il ne suffit pas que les armes se soient tues pour que la paix règne. Pour y parvenir, « le chemin sera ardu et long »[86], « la haine, la défiance, les excitations d’un nationalisme extrême » devront céder la place à la sagesse, à la sérénité, la compréhension mutuelle, la sincérité, la loyauté, la justice⁠[87] et la charité⁠[88]. Ces dispositions peuvent être le fruit du malheur et de la prière.

Dans son Discours au Sacré Collège du 24 décembre1945, Pie XII revient sur les trois présupposés fondamentaux d’une paix vraie et durable :

\1. Etablir la collaboration confiante de tous les peuples et de tous les États pour la sécurité qui ne peut se construire que sur la sauvegarde de la famille, des enfants, du travail, dans l’amour fraternel.

\2. Construire sur la vérité et non sur le mensonge ou la force

\3. Construire une vraie démocratie sur les principes chrétiens à la place de l’État totalitaire fondé sur leur mépris.

*

Toutes ses années de guerre ont permis au Saint Père de vérifier la pertinence de la sagesse déployée par ses prédécesseurs. L’après-guerre va lui permettre de développer et consolider doctrinalement cette nouvelle théologie de la paix en gestation depuis le pontificat de Léon XIII.

Cette théologie a été décrite par René Coste sous le titre Le problème du droit de la guerre dans la pensée de Pie XII[89], L’auteur offre une synthèse de la pensée de Pie XII à travers toutes ses interventions. Ce livre, dont nous allons reprendre quelques points forts, constitue un guide sûr et bien documenté même si l’ouvrage, écrit en 1962, est surtout marqué, comme bien des réflexions de Pie XII, par l’actualité, c’est-à-dire la « guerre froide ».

Au fondement de la pensée de Pie XII se trouve constamment la référence à 6 valeurs essentielles : la personne humaine, l’unité du genre humain, le bien commun, l’État, le droit naturel, Dieu.

Toute personne humaine parce que créée par Dieu, à son image, doit être respectée dans toutes ses dimensions, corporelle et spirituelle et jouir des droits inhérents à sa nature.⁠[90]

L’humanité forme une seule famille par l’origine, l’égalité de nature et le sacrifice du Christ Cette interdépendance individuelle et collective, nationale et internationale, fonde « la loi de solidarité humaine et de charité ».⁠[91]

Le bien commun peut se définir comme l’ensemble des droits de la personne tant au plan national qu’au plan universel.⁠[92] Il est la fin de toute société, de la famille à la société des États et donc le garant de son avenir.⁠[93] Tous les intérêts particuliers lui sont subordonnés.⁠[94]

La nature humaine établit le droit naturel qui fonde et mesure tout droit positif⁠[95] et offre à tous les peuples et États une base commune de discussion et d’entente.⁠[96]

L’État soumis au droit naturel, jouit d’une souveraineté mitigée pour assurer le développement du corps social, promouvoir le bien commun national et être « l’unité organique et organisatrice d’un vrai peuple »[97]. Comme la personne, il possède des droits⁠[98].

Enfin, Dieu créateur, cause et fin, et donc norme absolue de toute l’activité humaine fonde le droit naturel, l’unité du genre humain rend chaque homme responsable de ses actes devant Lui.⁠[99]

Tels sont les principes rationnels indispensables à la formation d’une société pénétrée de l’esprit de Jésus-Christ mais aussi à une réflexion qui dépasse les émotions changeantes qui risquent d’occulter l’injustice radicale de la guerre.⁠[100]

Rappelons que Pie XII entend par « guerre », principalement, la guerre internationale telle qu’elle s’est déroulée sous ses yeux à deux reprises, guerre qui tente d’établir le droit du plus fort⁠[101], guerre totale et sans loi, « monstre apocalyptique » dira-t-il⁠[102]. Mais il pense aussi à la guerre qui menace, « guerre ABC », atomique, bactériologique, chimique.⁠[103] Guerres qui peuvent prendre des dimensions géographiques démesurées.

Ceci dit, Pie XII rompt-il avec la « doctrine classique » de l’Église ? Certains l’ont pensé⁠[104] mais, en réalité, le Souverain pontife, on va le voir, en adapte les fondements aux réalités contemporaines. Mais auparavant, on peut se poser la question de savoir si l’Église a le droit de prendre position sur le problème « de la moralité de la guerre, de son caractère légitime ou illégitime dans les conditions où on la fait de nos jours, de la possibilité d’y collaborer pour l’homme qui a des principes religieux ; des engagements et des liens moraux qui s’établissent entre les nations et régissent leurs relations. » La réponse est bien sûr affirmative. Rappelons-nous ce qui a été établi dans le premier volume : toutes les questions sociales, sous leur angle moral, sont de la compétence de la hiérarchie.⁠[105]

Ceci dit, on peut rassembler l’essentiel de sa pensée en 10 points :

\1. On ne peut exalter la guerre.

« …toute apothéose de la guerre est à condamner […] vouloir provoquer la guerre parce qu’elle est l’école des grandes vertus et une occasion de les pratiquer devrait être qualifié de crime et de folie. » ⁠[106]

« La guerre, pour l’Église n’est pas « creuset de vertus viriles » et moins encore « stimulatrices d’initiatives fécondes ; la guerre ne coopère pas du tout au progrès de la civilisation, même si elle est parfois une occasion et un stimulant pour le développement de la science et de la technique. »[107]

« En dehors du principe de la légitime défense , les guerres matérielles avec rencontres armées, effusion de sang, destruction de vies et de biens, sont exécrées par l’Église ».⁠[108]

\2. Il faut récuser « toute doctrine qui estime que la guerre est un effet nécessaire de forces cosmiques, physiques, biologiques ou économiques. »

« L’Église n’accepte pas la doctrine de ceux qui croient que l’humanité est gouvernée par la loi du bellum omnium contra omnes ». ⁠[109]

\3. La guerre « n’est pas un droit juridique qui demeure tel dans n’importe quelle hypothèse » : elle n’est pas un moyen normal de règlement des différends internationaux.⁠[110]

Pie XII dénonce « l’absurdité de la doctrine qui a régné dans les écoles politiques de ces dernières décades à savoir : que la guerre est une des nombreuses formes admises de l’action politique, l’issue nécessaire, et quasi naturelle, des incurables dissensions entre deux pays ; que la guerre est donc un fait étranger à toute responsabilité morale. »[111]

L’Église « rejette la théorie qui considère la force comme unique fondement des relations entre les États. »[112]

« Quel signe plus éloquent, plus épouvantable de l’anéantissement progressif et du renversement des valeurs spirituelles que la dissolution croissante des règles du droit, remplacé par la force qui comprime, enchaîne et étouffe les réactions éthiques et juridiques ? »[113]

Une telle conception découle d’un dogme : celui de la souveraineté absolue de l’État qui ne reconnaît au-dessus de lui ni loi, ni autorité.

\4. Est condamnée la guerre d’agression⁠[114].

« Parce que le christianisme considère l’humanité comme une unique grande famille, il doit être fermement contraire à la guerre d’agressions ; ce sera toujours une horrible nouvelle que des frères tuent leurs frères ; et celui qui l’annonce, comme celui qui l’apprend, doit nécessairement en être rempli d’effroi. »⁠[115]

« Toute guerre d’agression contre ces biens que l’ordonnance divine de la paix oblige sans condition à respecter et à garantir, et donc aussi à protéger et à défendre, est péché, délit et attentat contre la majesté de Dieu, créateur et ordonnateur du monde. »[116]

Le Pape dénonce « le crime d’une guerre moderne que n’exige pas la nécessité inconditionnée de se défendre et qui entraîne […] des ruines, des souffrances et des horreurs inimaginables. […] La guerre injuste est à placer au premier rang des délits les plus graves […].  »⁠[117]

Pourquoi le pape la condamne-t-il ? A ses yeux, elle est immorale, non pas simplement en fonction des horreurs qu’elle entraîne, mais parce qu’elle nie la primauté de la morale, de ses lois absolues et du droit. Elle est le fruit de « l’esprit d’orgueil, d’ambition et de convoitise »[118] de l’égoïsme. Quels que soient ses mobiles⁠[119], elle est injuste car la fin ne peut jamais justifier les moyens.⁠[120]

Elle est un crime contre l’humanité, contre les personnes et les États qui sont des groupements de personnes car elle nie l’ordre moral du décalogue particulièrement dans ses 5e et 7e commandements elle viole les droits fondamentaux de la personne⁠[121]. Elle nie les droits des personnes mais aussi les droits des États à la vie, à l’indépendance, à l’intégrité, à la dignité. Crime contre l’humanité aussi parce qu’elle porte atteinte au genre humain, au bien commun universel, rompt « la loi de solidarité et de charité universelles » et affirme le primat de « la force contre le droit ».⁠[122]

Elle est un crime contre Dieu, un « péché », le plus grand péché, puisqu’elle attente à la fraternité universelle ; par l’orgueil, l’ambition, la convoitise, elle est révolte contre Dieu, contre « l’ordonnance divine de la paix », contre sa Providence. En s’attaquant aux « biens de l’humanité », on s’attaque aux  « biens du Créateur » qui est leur vrai propriétaire⁠[123]. La guerre d’agression manifeste « l’esprit du mal qui se dresse contre l’esprit de Dieu »[124]

Les fauteurs d’agressions sont responsables « de toutes les morts occasionnées par la guerre, non seulement dans les rangs de l’adversaire, mais encore dans leur propre peuple » mais aussi « de tout le déchaînement passionnel de haine, de luxure, de cupidité, d’ambition que la guerre va provoquer […], de la déperdition de leurs biens, de la misère… ».⁠[125]

\5. Est condamnée la guerre préventive.

La guerre préventive est une guerre d’agression. Certains⁠[126] ont cru détecter, à ce point de vue, une restriction dans le jugement porté par Pie XII sur l’ « immoralité » de la guerre d’agression puisqu’il évoque l’ « action préventive » d’un organisme international, son « intervention juridique » et l’imposition d’un châtiment.⁠[127] Notons que Pie XII parle d’un organisme international et non d’un pays, qu’il parle d’ »action préventive » et non de guerre préventive, ce que confirme l’expression « intervention juridique ». De même, on a cru que la citation « Si vis pacem, para bellum » dans le radio-message de Noël 1948, donnait raison à ceux qui à l’époque pensaient qu’il serait opportun dans l’intérêt de la civilisation que les États-Unis profitent de leur avantage militaire sur l’URSS pour attaquer ce pays. Or, Pie XII dit bien que le célèbre dicton cité « dont on a souvent abusé » n’est pas entièrement faux mais « se prête à être mal compris ». Il précise ensuite que cette « préparation de la guerre » en vue de défendre la paix, préparation qui se traduit par l’accroissement des armements et des armées, met la paix en danger, suscitant la méfiance. Tout le contexte montre que l’objectif du pape, est de « conjurer le fléau de la guerre par une prévention efficace et non pas le déclencher »[128].

\6. Est condamnée la guerre totale.

« Dans toutes les nations s’accroît l’aversion pour la brutalité des méthodes d’une guerre totale qui conduit à dépasser toute limite de l’honnêteté et toute règle de droit divin et humain. Plus torturant que jamais pénètre dans l’esprit et le cœur des peuples et les ronge ce doute : la continuation de la guerre, et d’une telle guerre, est-elle et peut-elle encore être jugée conforme aux intérêts nationaux, raisonnable et justiciable devant la conscience humaine et chrétienne. »[129]

\7. Pie XII reconnaît, à contrecœur⁠[130], et sous conditions déterminées, la légitimité de certaines guerres défensives.

« … que l’on punisse sur le plan international toute guerre qui n’est pas exigée par la nécessité absolue de se défendre contre une injustice très grave atteignant la communauté, lorsqu’on ne peut l’empêcher par d’autres moyens et qu’il faut le faire cependant, sous peine d’accorder libre champ dans les relations internationales à la violence brutale et au manque de conscience. »[131]

Pas de pacifisme absolu donc chez Pie XII : « Les uns reprennent l’antique dicton, non entièrement faux, mais qui se prête à être mal compris et dont on a souvent abusé : « Si vis pacem, para bellum : Si tu veux la paix, prépare la guerre. » d’autres pensent trouver le salut dans la formule : « La paix à tout prix. » Les uns et les autres veulent la paix, mais les uns et les autres la mettent en danger ; les uns parce qu’ils suscitent la méfiance, les autres parce qu’ils encouragent l’assurance de ceux qui préparent l’agression ».⁠[132]

« L’Église croit à la paix et ne se fatiguera pas de rappeler aux hommes d’État responsables et aux politiciens que même les complications politiques et économiques actuelles peuvent se résoudre à l’amiable moyennant la bonne volonté de toutes les parties intéressées. d’autre part, l’Église doit tenir compte des puissances obscures qui ont toujours été à l’œuvre dans l’histoire. C’est aussi le motif pour lequel elle se défie de toute propagande pacifiste dans laquelle on abuse du mot paix pour déguiser des buts inavouables. »[133]

L’Église « est tout aussi opposée à admettre que la guerre soit toujours condamnable. Puisque la liberté humaine est capable de déclencher un conflit injuste au détriment d’une nation, il est certain que celle-ci peut, dans des conditions déterminé&es, se dresser en armes et se défendre. (…) aucune nation qui veut pourvoir, comme c’est son droit et son devoir imprescriptibles, à la sécurité de ses frontières, ne peut se passer d’une armée proportionnée à ses besoins, à laquelle ne manque rien de ce qu’exige une action hardie, prompte et vigoureuse pour défendre la patrie, si elle était injustement menacée et attaquée. »[134]

« Un peuple menacé ou déjà victime d’une injuste agression, s’il veut penser et agir chrétiennement, ne peut demeurer dans une indifférence passive ».⁠[135]

« … si les autres peuples désirent protéger leur existence et leurs biens les plus précieux et s’ils ne veulent pas laisser les coudées franches aux malfaiteurs internationaux, il ne leur reste qu’à se préparer pour le jour où ils devront se défendre. Ce droit à se tenir sur la défensive, on ne peut le refuser, même aujourd’hui, à aucun État. »[136]

« Aucune nation qui veut pourvoir, comme c’est son droit et son devoir imprescriptible, à la sécurité de ses frontières, ne peut se passer d’une armée proportionnée à ses besoins à laquelle ne manque rien de ce qu’exige une action hardie, prompte et vigoureuse, pour défendre la patrie, si elle était injustement menacée et attaquée. »[137]

Et le saint Père élargit le principe d’assistance à personne en danger : « à plus forte raison la solidarité de la famille des peuples interdit-elle aux autres de se comporter comme de simples spectateurs dans une attitude d’impassible neutralité. »[138] On parlera plus tard du principe d’ingérence.

Ce que Pie XII dit de la guerre, au sens commun, vaut aussi pour la « guerre froide »⁠[139] : « Le jugement moral qu’elle mérite sera le même analogiquement, que celui de la guerre au sens du droit naturel et international. L’offensive, quand il s’agit de la guerre froide, doit être condamnée sans condition par la morale. Si elle se produit, l’attaqué ou les attaqués pacifiques ont non pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se défendre. Aucun État ou aucun groupe d’États ne peut accepter tranquillement la servitude politique et la ruine économique. Au bien commun de leurs peuples ils doivent assurer sa défense. Celle-ci tend à enrayer l’attaque et à obtenir que les mesures politiques et économiques s’adaptent honnêtement et complètement à l’état de paix qui règne au sens purement juridique entre l’attaquant et l’attaqué. »[140]

Pie XII donc affirma bien le « droit de l’État de se défendre contre d’injustes agresseurs, jusqu’à ce qu’on ait trouvé une formule efficace pour imposer à tous le respect des frontières et des biens d’autrui. »[141]

Sur un plan plus général, Pie XII, comme il est de tradition dans l’Église, considère que « la loi et l’ordre peuvent avoir parfois besoin du bras puissant de la force : certains ennemis de la justice ne sauraient être amenés à en accepter les conditions que par la force. La force doit toujours être tenue en respect par la loi et par l’ordre et n’être exercée que pour les défendre. Et nul homme n’est à soi-même sa propre loi. Si ce principe était accepté et pratiqué partout, il ya aurait un plus grand sentiment de sécurité parmi les peuples à l’heure actuelle. »⁠[142]

Dans un autre texte, il précise ce qu’il entend par « la loi et l’ordre » qui doivent mesurer la force : « La véritable fonction de cette force sera de protéger et défendre les droits donnés à l’homme par Dieu et de justes lois, non de les déchirer et de les piétiner. »[143]

Quant aux « conditions déterminées » qui n’entachent pas la légitimité de certaines guerres défensives, elles sont classiques, comme dit plus haut. Il faut tout essayer avant de décider une guerre : « La bonne volonté réciproque permet toujours d’éviter la guerre comme ultime moyen de régler les différends entre les États. » Il faut une injustice grave : « il ne suffit donc pas d’avoir à se défendre contre n’importe quelle injustice pour utiliser la méthode violente de la guerre » _Il faut se souvenir de la règle de proportionnalité : _« Lorsque les dommages entraînés par celle-ci ne sont pas comparables à ceux de l’ »injustice tolérée », on peut avoir l’obligation de « subir l’injustice ». »[144] Sont condamnables évidemment certains procédés de guerre même pour une juste cause : « même dans une guerre juste et nécessaire, les procédés efficaces ne sont pas tous défendables aux yeux de qui possède un sens exact et raisonnable de la justice. »[145]

Et qu’en est-il si un pays est injustement confronté à une guerre ABC (atomique, biologique et chimique), peut-il recourir à une guerre défensive « ABC » ? Pie XII répond tout d’abord en posant une autre question : « n’est-il pas possible, par des ententes internationales de proscrire et d’écarter efficacement la guerre ABC ? »[146] puis renvoie aux principes qui justifie une guerre défensive avant de les appliquer au problème de la licéité de la guerre ABC : « Il ne peut subsister aucun doute, en particulier à cause des horreurs et des immenses souffrances provoquées par la guerre moderne, que déclencher celle-ci sans juste motif (c’est-à-dire sans qu’elle soit imposée par une injustice évidente et extrêmement grave, autrement inévitable) constitue un délit digne des sanctions nationales et internationales les plus sévères. L’on ne peut même pas en principe poser la question de la licéité de la guerre atomique, chimique et bactériologique, sinon dans le cas où elle doit être jugée indispensable pour se défendre dans les conditions indiquées. » Il ajoutera plus tard ces précisions : « Même alors cependant il faut s’efforcer par tous les moyens de l’éviter grâce à des ententes internationales ou de poser à son utilisation des limites assez nettes et étroites pour que ses effets restent bornés aux exigences strictes de la défense. Quand toutefois la mise en œuvre de ce moyen entraîne une extension telle du mal qu’il échappe entièrement au contrôle de l’homme, son utilisation doit être rejetée comme immorale. Ici il ne s’agirait plus de « défense » contre l’injustice et de la « sauvegarde » nécessaire de possessions légitimes, mais de l’annihilation pure et simple de toute vie humaine à l’intérieur du rayon d’action. Cela n’est permis à aucun titre. »[147]

\8. Le mieux est de mettre sur pied une organisation politique mondiale impartiale et d’utiliser des procédures d’entente directe par négociations diplomatiques.

Le pape souhaite un organisme international « qui aurait […] dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective ». Il ajoute : « personne ne pourrait saluer cette évolution avec plus de joie que celui qui a défendu depuis longtemps le principe que la théorie de la guerre, comme moyen apte et proportionné de solution pour les conflits internationaux, est désormais dépassée. » La monstruosité des moyens de lutte moderne manifeste « toujours plus évidente l’immoralité de cette guerre d’agression. Et si maintenant, à la reconnaissance de cette immoralité s’ajoute la menace d’une intervention juridique des nations et d’un châtiment infligé à l’agresseur par la société des Etas, en sorte que la guerre se sente toujours sous le coup de la proscription et toujours sous la surveillance d’une action préventive, alors, l’humanité sortant de la nuit obscure où elle est restée si longtemps submergée, pourra saluer l’aurore d’une nouvelle t meilleure époque de son histoire. 

A une condition toutefois : c’est que l’organisation de la paix à laquelle les garanties mutuelles et, si besoin est, les sanctions économiques et même l’intervention armée devant donner force et stabilité, ne consacre définitivement aucune injustice, ne lèse aucun droit au détriment d’aucun peuple (qu’il appartienne au groupe des vainqueurs, des vaincus ou des neutres), ne perpétue aucune imposition ou charge, en dehors de celles qui sont seules temporairement permises comme réparation des dommages de guerre.

Que certains peuples aux gouvernants desquels ou peut-être aussi à eux-mêmes en partie, on attribue la responsabilité de la guerre aient à supporter durant quelque temps les rigueurs de mesures de sécurité, jusqu’au moment où les liens de confiance mutuelle violemment brisés se seront peu à peu renoués, est chose humainement explicable et, selon toute probabilité, pratiquement inévitable. Néanmoins, ces peuples devront avoir, eux aussi, l’espoir bien fondé, dans la mesure de leur loyauté et de leur coopération effective aux efforts pour la résolution pour la restauration future, de pouvoir devenir, tout comme les autres États, avec la même considération et les mêmes droits, associés à la grande communauté des nations. Leur refuser cet espoir serait le contraire d’une sagesse prévoyante, assumer la grave responsabilité de barrer le chemin à une libération générale de toutes les conséquences désastreuses, matérielles, morales et politiques du gigantesque cataclysme qui a secoué jusque dans ses dernières profondeurs la pauvre famille humaine mais qui en même temps lui a indiqué la route vers de nouveaux buts. »[148]

Le pape souhaite_« que l’on punisse sur le plan international toute guerre qui n’est pas exigée par la nécessité absolue de se défendre contre une injustice très grave atteignant la communauté, lorsqu’on ne peut l’empêcher par d’autres moyens »[149]

« … le droit de se défendre étant toujours sauf […] la loi divine de l’harmonie dans le monde impose strictement à tous les gouvernements des peuples l’obligation d’empêcher la guerre par des institutions internationales capables de placer les armements sous une surveillance efficace, d’effrayer par la solidarité assurée entre les nations qui veulent sincèrement la paix celui qui voudrait la troubler. »[150]

\9. En attendant cet organisme international capable d’empêcher une guerre d’agression, il faut compter sur l’opinion publique.⁠[151]

La « conception catholique de l’opinion publique et du service que rend la presse est aussi une solide garantie de paix ». Elle peut réagir « efficacement contre le climat de guerre ». Comment et à quelles conditions ?

Le pape souligne tout d’abord l’importance de l’opinion publique qui, bien formée, bien orientée, est un rempart contre le totalitarisme, la dictature et le bellicisme. « L’opinion publique est, en effet, l’apanage de toute société normale composée d’hommes qui, conscients de leur conduite personnelle et sociale, sont intimement engagés dans la communauté dont ils sont les membres. Elle est partout, en fin de compte, l’écho naturel, la résonance commune, plus ou moins spontanée, des événements et de la situation actuelle dans leurs esprits et dans leurs jugements ». L’absence ou l’étouffement de l’opinion publique doit être considéré comme « un vice, une infimité, une maladie de la vie sociale. »

L’opinion publique est indispensable et elle est, on vient de le lire, « plus ou moins spontanée ». qu’est-ce à dire ?

La vraie opinion publique ne doit pas se confondre avec « le conformisme aveugle et docile des pensées et des jugements » fruit du scepticisme, de l’insouciance, du blasement, de l’instinct, de la passion, de l’étroitesse de vue, des préjugés, du découragement, de la pusillanimité ou encore de la manipulation, d’une « propagande astucieuse ».

La vraie opinion publique est guidée et éclairée par des hommes de raison, responsables, aux fortes convictions, des hommes dociles « aux préceptes de la loi morale, du droit naturel et de la doctrine surnaturelle contenue dans la révélation du Christ ». Dans la constitution de cette vraie opinion publique, la presse « a un rôle éminent à jouer dans l’éducation de l’opinion, non pour la dicter, ou la régenter, mais pour la servir utilement. » La servir et non la « faire ». Cela demande de la part du journaliste « l’amour profond et l’inaltérable respect de l’ordre divin, qui embrasse et anime tous les domaines de la vie ».⁠[152]

A ces conditions peut se  frayer « le chemin de la vérité, de la justice, de la paix. » La vraie opinion publique « prend fait et cause pour la juste liberté de penser et pour le droit des hommes à leur jugement propre, mais elle les regarde à la lumière de la loi divine. Ce qui revient à dire que quiconque veut se mettre loyalement au service de l’opinion publique, que ce soit l’autorité sociale ou la Presse elle-même, doit s’interdire absolument tout mensonge ou toute excitation. N’est-il pas évident qu’une telle disposition d’esprit et de volonté réagit efficacement contre le climat de guerre ? »[153]

\10. Et donc, à la racine de cette vraie opinion publique, nous retrouvons l’Évangile et ses exigences, nous retrouvons la nécessité d’évangéliser : « Accomplir cette œuvre de régénération, en adaptant ses moyens au changement des conditions de temps et aux nouveaux besoins du genre humain, c’est l’office essentiel et maternel de l’Église. Prêcher l’Évangile, somme son Divin Fondateur lui en a commis le soin, en inculquant aux hommes la vérité, la justice et la charité, faire effort pour en enraciner solidement les préceptes dans les âmes et dans les consciences : voilà le plus noble et le plus fructueux travail en faveur de la paix. »⁠[154]

Sans Dieu, sans prière, pas de paix véritable.

En 1954, Pie XII, dans son Radio-message de Noël, note qu’à la « guerre froide » s’est substituée une « paix froide » qui marque certes un progrès mais qui n’est pas encore la véritable paix. La « paix froide », en effet, est un « calme provisoire », une « pure coexistence de divers peuples, entretenue par la crainte mutuelle et la désillusion réciproque ». C’est une pure « juxtaposition » sans « lien d’ordre spirituel » alors que la paix de Dieu « est fondée sur l’union des esprits dans la même vérité et dans la charité ». Et « le Christ est le seul qui puisse et veuille unir les esprits humains dans la vérité et dans l’amour ».⁠[155]

Neutralité ou intervention ?

L’histoire nous montre que le souci de l’indépendance des États réclamait de ne pas intervenir dans la politique d’une nation tandis que l’esprit de solidarité incitait à l’intervention. Ainsi, nous l’avons vu, Vitoria prêchait pour que l’on défende les droits fondamentaux brimés dans certains pays. Les croisades ont été organisées suivant ce principe et, plus tard, par exemple, Clément XIII⁠[156] demanda à l’empereur d’Autriche Joseph II d’intervenir en Pologne où l’Église catholique était persécutée et Pie VI⁠[157] sollicita l’empereur d’Autriche Léopold Ier contre la révolution française. Pie IX, quant à lui, condamna officiellement le principe de non-intervention dans le Syllabus.⁠[158]

A l’opposé, la théorie de la neutralité impose l’abstention et l’impartialité.

Quelle est la position de Pie XII ?

Comme le fait remarquer R. Coste, la pensée du Saint Père, en la matière, peut paraître contradictoire mais ce n’est qu’une « anomalie apparente »[159].

d’une part, nous avons vu que Pie XII, le 10 mai 1940, le jour même de l’invasion allemande en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, envoyait 3 télégrammes à leurs chefs d’État où il affirme le droit à la neutralité et à l’indépendance de ces pays.⁠[160]

d’autre part, nous l’avons lu également, le Souverain Pontife, en 1953, élargit le principe d’assistance à personne en danger en écrivant : « à plus forte raison la solidarité de la famille des peuples interdit-elle aux autres de se comporter comme de simples spectateurs dans une attitude d’impassible neutralité. »[161]

La différence dans le discours s’explique par le contexte historique. La neutralité de la Belgique, par exemple, a été reconnue avant la guerre par la France, l’Angleterre et l’Allemagne, conformément au droit naturel et au droit international. L’Allemagne en envahissant la Belgique violait la neutralité légitime du pays et violait son propre engagement. Il est donc normal que dans cette circonstance, le pape s’indigne comme il s’indignera de l’envahissement des pays baltes par l’URSS. Par ailleurs, Pie XII se rend bien compte que les petits pays sont dans une situation différente de celle des grands pays. Enfin, dans une société internationale inorganisée, un grand pays ne peut forcer un petit pays à le suivre et même si « tout État est soumis au devoir de la solidarité interhumaine, même s’il n’est pas sanctionné par le droit des gens, […] sa décision de garder la neutralité ne sera valable au regard du droit naturel que si elle n’est pas inspirée par l’égoïsme national. »[162]

Envisageant l’avenir, il déclare dans son Radio-message de Noël 1941: « s’il est inévitable que les grands États, à cause de leurs plus grandes possibilités et de leur puissance, tracent le chemin pour la constitution de groupes économiques entre eux et les nations plus petites et plus faibles, on ne peut cependant contester, dans le domaine de l’intérêt général, le doit de celles-ci comme de tous au respect de leur liberté dans le champ politique, à la conservation efficace, dans les contestations entre les États, de la neutralité qui leur est due, en vertu du droit naturel et du droit des gens, et à la défense de leur développement économique, puisque c’est seulement de cette manière qu’elles pourront atteindre de façon adéquate le bien commun, le bien-être matériel et spirituel de leur propre peuple. » S’il insiste encore sur le principe de neutralité, c’est évidemment en pensant à la situation présente des petits pays envahis par les nazis ou les soviétiques. Mais le jour où sera installé l’organisme super-étatique que souhaite le pape, cette instance internationale supérieure garante de la sécurité et de la solidarité pourrait contraindre un pays à participer à une action.

Ainsi, à partir de 1944, Pie XII va insister de plus en plus sur la nécessité d’organiser la société internationale et, dans cette perspective, de mettre en avant la solidarité et le devoir d’intervention juridique, économique, armée, s’il le faut, tous les hommes appartenant à la même famille et pour la défense du bien commun universel.⁠[163] Ce devoir d’assistance et d’intervention « ne s’impose pas tant aux États individuels qu’à la société interétatique qu’ils constituent, au moins sociologiquement. »[164] Les États sont invités à se grouper et à organiser leur défense collective. La signature du Traité de l’Atlantique Nord, en 1949, va dans ce sens.⁠[165] Toutefois l’organisation défensive ne se justifie que dans le contexte d’un mode divisé comme moyen de défense solidaire mais ne peut être considérée comme une force de guerre contre les États menaçants, contre l’URSS, par exemple, à l’époque de la guerre froide.⁠[166] Solidarité et paix sont indissociable et constituent l’idéal à réaliser par le truchement d’institutions internationale qui préviennent les conflits mais qui veillent aussi au respect des droits humains, au développement économique, culturel, politique de tous les peuples, à leur entente, à leur collaboration⁠[167] pour que l’ « harmonie divine » règne dans le monde.⁠[168]

Tout ce qui précède concerne la guerre « classique » mais il y a, contre la paix, d’autres menaces que les armes : la guerre psychologique (par la manipulation des foules, par la propagande)⁠[169] que la prétendue opinion publique est dictée, imposée, de gré ou de force, que les mensonges, les préjugés partiaux, les artifices de style, les effets de voix et d gestes, l’exploitation du sentiment viennent rendre illusoire le juste droit des hommes à leurs propres convictions, alors se crée une atmosphère lourde, malsaine, factice qui, au cours des événements, à l’improviste, aussi fatalement que les odieux procédés chimiques aujourd’hui trop connus, suffoque ou stupéfie ces mêmes hommes et les contraint à livrer leurs biens et leur sang pour la défense et le triomphe d’une cause fausse et injuste. En vérité, là où l’opinion publique cesse de fonctionner librement, c’est là que la paix est en péril. »
   Cf. également l’Allocution aux membres du Congrès international de « Pax Christi » : l’Église « se défie de toute propagande pacifiste, dans laquelle on abuse du mot de paix pour déguiser des buts inavoués. » ], la guerre économique (utiliser la révolte des pauvres contre les riches)⁠[170]
   Le voilà le grand problème social, celui qui se dresse à la croisée des chemins à l’heure présente ! qu’on l’achemine vers une solution favorable, fût-ce aux dépens d’intérêts matériels, au prix de sacrifices de tous les membres de la grande famille humaine : c’et ainsi qu’on éliminera un des facteurs les plus préoccupants de la situation internationale, celui qui, plus qu’aucun autre, alimente aujourd’hui la ruineuse « guerre froide », et menace de faire éclater, incomparablement plus désastreuse, la guerre chaude, la guerre brûlante. » ], le terrorisme (par la peur)⁠[171] qui dépersonnalisent l’homme et qui sont donc condamnés au nom des mêmes principes.

Et le citoyen, quelle est sa responsabilité ?

Nous avons, jusqu’à présent, examiné les moyens de construire la paix que Pie XII propose aux États. Mais qu’en est-il de la réaction du simple citoyen lorsqu’il est confronté à la guerre ou, plus précisément, lorsqu’il est invité par l’autorité publique à prendre les armes ?

L’État est, par nature, le gardien du bien commun dont chaque citoyen profite et auquel chaque citoyen collabore. Lorsque ce bien commun est menacé, le citoyen est tenu par reconnaissance et solidarité d’accepter les sacrifices nécessaires⁠[172]. En effet, dans une vraie démocratie, « la liberté idéale est celle-là seule qui s’écarte de tout dérèglement, qui unit à la conscience de son propre droit le respect envers la liberté, la dignité et le droit des autres, et reste consciente de sa propre responsabilité envers le bien général. »[173]

Cette définition implique le devoir d’obéissance à l’autorité légitime⁠[174] mais aussi le droit et le devoir de désobéissance cette autorité attente à la liberté, à la dignité et aux droits des autres personnes⁠[175]. De plus, l’État démocratique, au contraire de la dictature, n’est pas « une agglomération amorphe d’individus ». « Exprimer son opinion personnelle sur les devoirs et les sacrifices qui lui sont imposés ; ne pas être contraint d’obéir sans avoir été entendu, voilà deux droits du citoyen qui trouvent dans une démocratie, comme le nom l’indique, leur expression ».⁠[176]

Cette prise de position s’appuie sur le caractère précieux de la conscience individuelle⁠[177] et rejoint ce que Pie XII a développé à propos de la juste formation de l’opinion publique. Mais cette conscience doit tenir compte de l’obéissance due a priori à l’autorité légitime agissant moralement⁠[178] et aussi de son devoir de solidarité. On ne peut donc se réfugier derrière une objection de conscience qui serait simplement motivée par des intérêts personnels.⁠[179]


1. En 1901, il entre à la Congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires, chargée des relations internationales du Vatican. Il portera les condoléances du Vatican après le décès de la reine Victoria (1901).
2. Il sera son camérier secret (chargé des audiences privées). Il rencontrera Winston Churchill et représentera le Saint-Siège au couronnement du roi Georges V en 1911, année où il devient sous-secrétaire aux Affaires ecclésiastiques extraordinaires puis secrétaire en 1914. Le 24 juin de cette année, il conclut un concordat avec la Serbie.
3. Il sert la politique pacifiste du pape. En 1917, c’est lui qui remet un message de paix à l’empereur Guillaume II. Cette année-là, il est nommé nonce apostolique en Bavière et est reçu par le roi Louis III qui abdique en 1918.
4. A partir de 1922, il négocie de nombreux concordats (Lettonie, Bavière, Pologne, Roumanie, Prusse). Il sert d’intermédiaire entre le Vatican et l’URSS. Il devient secrétaire d’État en 1930. Il négocie encore d’autres concordats (Bade, Autriche, Yougoslavie, Portugal, Allemagne). Il voyage en Argentine, en France, aux États-Unis où il rencontre Franklin Delano Roosevelt, et en Hongrie où il rencontre le Régent Miklos Horthy. Il rédige avec le cardinal Faulhaber l’encyclique Mit brennender Sorge (1937).
5. Dès ce mois de mars, le Reich allemand commence à annexer villes et régions de l’Est européen. En avril, l’Italie envahit l’Albanie et en septembre l’Allemagne attaque la Pologne.
6. 3 mars 1939. Pie XII choisit comme devise : « Opus justitiae pax »
7. Sauf peut-être en ce qui concerne la guerre d’Espagne où, face à une guerre civile, il réagit « à la manière ancienne », saluant « la victoire tant désirée de l’Espagne catholique » (Télégramme au Général Franco, 1er avril 1939), « les desseins de la Providence [qui] se sont manifestés une fois encore sur l’héroïque Espagne », « la nation choisie par Dieu comme principal instrument d’évangélisation du Nouveau Monde et comme rempart inexpugnable de la foi catholique » contre l’ « athéisme matérialiste », les « ennemis de Jésus-Christ ». Saluant aussi ceux qui « ont scellé de leur sang leur foi en Jésus-Christ et leur amour pour la religion catholique : […] « il n’y a pas de plus grande preuve d’amour » (Jn, 15, 13) ». Notons toutefois que Pie XII appelle une pacification qui applique les « principes de justice concernant le crime et de bienveillante générosité envers ceux qui se sont trompés » et qui doivent être ramenés « dans le sein régénérateur de l’Église » avec « patience et mansuétude ». Il demande aussi qu’on enseigne au peuple « les principes de justice individuelle et sociale, contenus dans le saint Évangile et dans la doctrine de l’Église, sans lesquels la paix et la prospérité des nations, si bien établies qu’elles soient, ne peuvent subsister. » (Radiomessage à la nation espagnole, 16 avril 1939). Recevant 3000 phalangistes, le Saint-Père leur dira qu’il voit en eux « les défenseurs éprouvés, courageux et loyaux de la foi et de la culture » de leur patrie. (Discours à des soldats espagnols, 11 juin 1939). A des marins espagnols, il rappellera : « la lutte héroïque et les grands sacrifices par lesquels vous avez mérité de défendre, contre le grave danger qui le menaçait, le patrimoine sacré de votre piété et de votre foi catholique ». (Allocution aux membres d’une mission navale espagnole, 6 mars 1940). Difficile de ne pas penser que ce combat était juste voire saint ! Il saluera encore plus tard es « fils de la catholique Espagne » qui « savent se sacrifier jusqu’à l’Héroïsme pour la défense inaliénable de Dieu et de la religion. » (Allocution à un groupe de hautes personnalités espagnoles, 7 mars 1941). Le communisme établi en Espagne aurait « servi comme base de départ pour agir sur d’autres nations européennes et sur l’Afrique » mais il est sûr que le Pape n’approuvait pas toutes les motivations ni toute les méthodes de guerre et de répression. (Cf. COSTE R., Le problème du droit de guerre dans la pensée de Pie XII, Aubier, 1962, p. 134.)
8. Allocution du 18 décembre 1927. Cf. MAYEUR, J.-M., Les papes, la guerre et la paix, de Léon XIII à Pie XII in Dissuasion nucléaire et conscience chrétienne, Les Quatre Fleuves, Cahiers de recherche et de réflexion religieuses, 1984, no19, pp. 23-33 : « Les orientations majeures de la papauté, de Léon XIII à Pie XII face aux problèmes de la paix et de la guerre s’inscrivent dans une remarquable continuité. Fidèles à l’enseignement du P. Taparelli, les papes affirment la nécessité d’un ordre international fondé sur le droit naturel face à la souveraineté absolue des États et au « droit nouveau » né de la Renaissance et de la Révolution. Dès la fin du XIX s., la papauté prit position en faveur du désarmement. Un approfondissement doctrinal considérable conduisit de la notion de « juste guerre » à celle de « légitime défense ». »
9. Homélie de Pâques prononcée à la messe pontificale, à Pâques, le 9 avril 1939.
10. qu’implique la justice ? « Que les lois soient faites avec sagesse pour le bien commun et que tous les observent par devoir de conscience. La justice demande que tous reconnaissent et respectent les droits sacrés de la liberté et de la dignité humaines ; que les innombrables ressources et richesses que Dieu a répandues dans le monde entier soient réparties, pour l’utilité de tous ses enfants, d’une façon équitable et avec droiture. La justice veut enfin que l’action bienfaisante de l’Église catholique […] ne soit ni attaquée ni empêchée. »
11. Allocution à un groupe de pèlerins allemands, 23 avril 1939.
12. Discours aux membres du Sacré Collège, 2 juin 1939. On se souvient que Pie XII a été témoin privilégié dont a été entourée l’action de Benoît XV durant la première guerre mondiale.
13. Allocution à des pèlerins allemands, 26 septembre 1939.
14. « Rien n’est perdu avec la paix ; tout peut être perdu avec la guerre ».
15. Allocution à l’Ambassadeur de Belgique.
16. 30 septembre 1939.
17. 20 octobre 1939.
18. Dans son Allocution à l’ambassadeur d’Italie, le 7 décembre 1939, Pie XII reprend l’essentiel de ce qu’il a dit dans Summi pontificatus : « …les idées fondamentales de justice et d’amour, qui font non seulement le bonheur des individus, amis aussi la noblesse et le progrès de la vie sociale, sont tombées, sous bien des aspects -par un faux processus de pensée et d’action qui humanise le divin et divinise l’humain- dans un oubli et un mépris qui, en certains endroits, se manifestent dans une mesure toujours plus préoccupante. Un si faux développement, ou plutôt un tel renversement des principes de la justice et des devoirs de la morale a entendu et voulu substituer à la conception chrétienne de la vie, de la communauté et de l’État, des doctrines et des pratiques dissolvantes et destructrices qui placent le progrès civil et humain dans le rejet des obligations du droit naturel et de la révélation divine, dont la lumière éblouissante resplendit de cette sacrée sur le monde entier. » Pie XII poursuit en prophétisant que « chacune de ces erreurs […] a ses périodes : son temps de croissance et son temps de décadence […]. Deux périodes : l’une, quand l’enivrant poison des doctrines séductrices emporte et rend folles les masses et les enchaîne à son pouvoir ; l’autre, quand les fruits amers mûrissent, quand les yeux des masses, ou du moins des hommes plus sensés et réfléchis les considèrent, atterrés, se souvenant des calculs et des promesses, qui s’avèrent fallacieux, par lesquels ils ont été attirés dans l’erreur. »
19. « Ce travail d’apaisement suppose qu’on ne mette pas de traverses à l’exercice de la mission confiée par Dieu à son Église, qu’on ne restreigne pas le champ de son activité, qu’on ne soustraie pas les masses, et spécialement la jeunesse, à son influence bienfaisante ».
20. Dans une Lettre autographe au cardinal Suhard, 21 novembre 1939, Pie XII, revient sur la leçon donnée dans Summi pontificatus : « Ce devoir, Nous l’avons accompli sans Nous laisser influencer par des considérations terrestres, ni arrêter par des défiances et des oppositions, par des refus et des incompréhensions. »
21. Rappelons quelques faits : le 28 avril, Adolf Hitler dénonce le pacte de non-agression germano-polonais et envahit ce pays, sans déclaration de guerre, le 1er septembre. Le 23 août, est signé le Pacte germano-soviétique, pacte de non-agression pour dix ans. Un protocole secret détermine les zones d’influence soviétique et allemande en Europe de l’Est et notamment le partage de la Pologne. Le 1er septembre, les armées allemandes attaquent la Pologne. Le 17 septembre, les troupes soviétiques, à leur tour, envahissent la Pologne orientale avant de faire la jonction, le 19 septembre, avec les Allemands à Brest-Litovsk et de procéder à un défilé commun des troupes victorieuses. Le 27 novembre, l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_des_r%C3%A9publiques_socialistes_sovi%C3%A9tiques[URSS
22. Il s’agit de l’Albanie envahie 7 avril par les troupes italiennes.
23. Pie XII, en plusieurs endroits, accuse « idées qui […] obscurcissent et déforment la vérité », « les doctrines et les œuvres d’une politique qui ne tient pas compte de la loi de Dieu. »
24. « La concorde entre les peuples est misérablement brisée ; les traités solennellement stipulés par engagement réciproque sont parfois bouleversés ou violés unilatéralement sans échange préalable de motifs réciproques expressément exposés ; on n’entend plus la voix de l’amour et des devoirs fraternels. » (Homélie pascale, 24 mars 1940). Ailleurs, Pie XII rappellera qu’on n’a pas écouté « depuis d’un demi-siècle, la voix de l’Église et spécialement les avertissements réitérés des papes, Nos vénérés prédécesseurs ? L’enchaînement des causes et des effets se fait jour même dans certains esprits, qui jusqu’ici considéraient avec indifférence la croissante déchristianisation de la vie publique et privée […]. » (Allocution à l’Ambassadeur de France, 9 juin 1940).
25. Cf. Lettre au Secrétaire d’État demandant des prières pour la paix entre les peuples, 15 avril 1940 ; la longue et belle prière pour la paix du Saint Père dans son Sermon en l’honneur de saint François d’Assise et de sainte Catherine de Sienne, patrons primaires de l’Italie, 3 mai 1940 ; la prière à saint Michel, in Discours aux jeunes époux et aux petits chanteurs à la Croix de bois, 8 mai 1940. Cf. aussi le Motu proprio du 24 novembre 1940 prescrivant des prières publiques ou l’homélie de la messe pour la paix et les victimes de guerre du 24 novembre 1940 ; le Message pascal du 13 avril 1941 ; la Lettre au Secrétaire d’État du 20 avril 1941, du 15 avril 1942, du 15 avril 1943, du 5 août 1943, du 25 novembre 1943, du 24 avril 1944 ; Lettre au cardinal vicaire du pape pour le diocèse de Rome du 24 octobre 1944. Le 15 avril 1945, c’est par une encyclique (Communium interpretes) qu’il prescrit des prières publiques pour obtenir la paix entre les peuples.
   « Pour guérir l’humanité si cruellement blessée, il faut le remède de la foi qui rend les hommes frères, il faut le baume de la prière à Dieu qui guérit les cœurs des puissants et des faibles. » (Discours à l’Archiconfrérie de la Très Sainte Trinité des pèlerins et convalescents de Naples, 27 mars 1941).
26. « Le misereor super turbam est pour Nous un mot d’ordre sacré, inviolable, qui vaut et qui stimule en tout temps, dans toutes les situations humaines, tout comme il était la devise de jésus. Et l’Église se renierait elle-même, elle cesserait d’être mère si elle demeurait sourde au cri d’angoisse que ses enfants de toutes les classes de l’humanité font monter à ses oreilles. » (Message de Noël 1942).
   Le 10 mai 1940, l’Allemagne attaque la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Aussitôt, Pie XII envoie un message moral et spirituel aux trois souverains un message où il souligne que c’est « contre sa volonté et son droit » que chaque peuple est entraîné dans la guerre.
   Le Pape dénonce « les traitements infligés aux non-combattants [qui] sont loin d’être conformes aux règles de l’humanité. »  Il rappelle le droit des gens et des populations civiles : « le bien des populations des territoires occupés ne cesse d’être une règle obligatoire pour ceux qui exercent le pouvoir. La justice et l’équité requièrent qu’elles soient traitées comme la puissance occupante désirerait qu’en un cas analogue fussent traités ses propres compatriotes ». Il énonce ensuite, pour la circonstance, les « principes élémentaires » de justice : « le respect de la vie, de l’honneur et de la propriété des citoyens, le respect de la famille et de ses droits ; et au point de vue religieux, la liberté de l’exercice privé et public du culte divin et de l’assistance spirituelle qui convient à chaque peuple et à sa langue, la liberté de l’instruction et de l’éducation religieuse, la sécurité des biens ecclésiastiques, la faculté laissée aux évêques de correspondre avec leur clergé et avec les fidèles dans tout ce qui concerne le bien des âmes. » (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1940). Le Pape exprime aussi toute sa compassion dans sa Lettre au Cardinal Van Roey du 31 juillet 1940.
   Plus concrètement, le Pape encourage les œuvres de charité en faveur des victimes de la guerre et spécialement des enfants : « Si, du fait de bien des obstacles, on ne peut, dans les circonstances présentes, songer à une vraie et propre organisation générale de bienfaisance en faveur des victimes de la guerre, et si, bien souvent, il est fort difficile de se servir des institutions spéciales déjà existantes pour faire arriver les secours là où le besoin s’en fait plus cruellement sentir, que chacun fasse le bien qu’il peut, où il peut, comme il peut ! qu’on multiplie partout les initiatives de bienfaisance, qu’on suscite, qu’on suscite l’énergie des bons ; qu’ils se fassent un point d’honneur de remporter, même à distance, une victoire sur les maux : « Vaincs le mal par le bien » (Rm 12, 21). » (Lettre au Secrétaire d’État, 21 décembre 1940).
   On peut lire aussi le récit que fait Pie XII de l’aide apportée aux Romains et aux réfugiés lors de la terrible disette de 1944 (Discours au Sacré Collège, 2 juin 1944). Les habitants et les réfugiés vinrent manifester, place Saint-Pierre, pour remercier le pape d’être intervenu pour défendre la Cité (Exhortation au peuple romain, 6 juin 1944) de même que le Conseil municipal de Rome (12 juillet 1944).
   La colonie polonaise de Rome remercia aussi le Saint-Père pour son assistance généreuse donnée à ce pays pendant la guerre (cf. Discours du 15 novembre 1944).
   De son côté, le saint Père remerciera les familles nobles de Rome pour leur générosité (Remerciements du 11 juillet 1944) puis, il saluera, un peu plus tard, de nouveau, « l’œuvre immense d’assistance déployée » par les États-Unis, mais aussi la générosité de l’Espagne, l’Irlande, l’Argentine, l’Australie, la Bolivie, le Brésil, le canada, le Chili, l’Italie, la Lituanie, le Pérou, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie, l’Uruguay (Radio-message de Noël, 24 décembre 1944)
27. « Nous conjurons de nouveau toutes les parties adverses de se souvenir toujours de ces devoirs d’humanité qui ne perdent rien de leur valeur même en face du droit et de la morale de la guerre. » Et il ajoute : « Aucun peuple n’est à l’abri du danger de voir quelques-uns de ses fils se laisser mener par leurs passions et sacrifier au démon de la haine. Ce qui importe surtout, c’est le jugement que porte l’autorité publique sur de telles déviations et dégénérescences de l’esprit de lutte, et sa promptitude à y mettre fin. » (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1940). Rappel, avec deux références à saint Augustin, du jus in bello, lui-même dépassé et mesuré par « les devoirs d’humanité ». Ainsi appelle-t-il au respect des faibles (civils, femmes, enfants, malades, vieillards) et à l’humanisation de la guerre en évitant « l’aggravation croissante des moyens d’attaque ». (Message pascal, 13 avril 1941). Et aux occupants de ne pas imposer aux populations « des poids que vous -mêmes, dans des cas semblables, avez ressenti ou ressentiriez comme injustes ». (Message pascal, 13 avril 1941). Il revient sur les lois morales et les principes d’humanité à respecter dans les opérations de guerre guerres, le 2 juin 1943 (Allocution devant le sacré Collège).
28. Dès le 24 août 1939, Pie XII dans un radiomessage lançait la phrase célèbre : « Rien n’est perdu avec la paix. Tout peut être perdu avec la guerre ! » .« Comme Vicaire sur terre du Dieu de la paix, dès le début de Notre pontificat, Nous avons consacré Nos efforts et Nos initiatives, d’abord au maintien de la paix, puis à son rétablissement. Insouciant des insuccès et des difficultés, Nous poursuivons Notre marche sur la voie tracée par Notre mission apostolique. […] chemin souvent aride et épineux. » Et cette paix, « sérieuse, saine, conforme aux règles de la justice et de l’équité, ce n’est que ceux qui joignent au pouvoir politique la claire compréhension des besoins de l’humanité et un profond respect pour les règles de l’Évangile qui pourront trouver la voie juste. » (Réponse à S. Exc. M. Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis, 7 janvier 1940). « A la prière auprès de Dieu, Nous avons en tout temps joint Notre action. Tout ce qui pouvait être fait ou tenté pour éviter ou abréger le conflit, pour rendre humaines les méthodes de guerre, pour alléger les douleurs qui en dérivent, pour porter aide et réconfort aux victimes de la guerre, Nous l’avons accompli jusqu’à l’extrême limite de Notre pouvoir et avec le souci attentif de l’impartialité inhérente à Notre charge apostolique. » (Message pascal, 13 avril 1941).
29. « …une propagande d’esprit antireligieux s’en va semant parmi le peuple, et surtout dans les milieux ouvriers, le bruit que le pape a voulu la guerre, que le pape entretient la guerre et fournit l’argent pour la continuer, que le pape ne fait rien pour la paix. Jamais peut-être ne fut lancée calomnie plus monstrueuse et plus absurde que celle-là ! ». Le pape renvoie aux documents qui seront publiés plus tard et qui éclaireront cette « sottise » malveillante. Ils ont été, en effet publiés en 1962 par Mgr Alberto Giovannetti in Roma, città aperta, Ed. Ancora, Milan.
30. « Ni Notre parole ni Notre œuvre ne sont partisanes ; Nous accomplissons un devoir que Nous dictent la vérité et l’amour, que Nous imposent le bien et la prospérité de tous, que Nous commande le Siège de Père commun des rachetés par le Christ ; et Nous contribuons de Notre côté, par les moyens qui Nous sont fournis par Notre ministère apostolique, à ne pas laisser les regards se détourner des normes idéales et des principes essentiels d’une paix qui veut être juste, honorable et durable. […] Nous ne sommes poussé ni par l’esprit de parti ni par la considération de qui que ce soit. Le jugement moral d’une action ne peut être appuyé sur des considérations personnelles. » Plus précisément encore : « Nous adressons Notre amour paternel à tous Nos fils et filles, soit des populations germaniques, qui Nous sont toujours chères, au milieu desquelles Nous avons passé de longues années de Notre vie, soit des États alliés à qui Nous lient de même de pieux et doux souvenirs, Nous souvenant aussi avec une sollicitude constante de la nation polonaise si éprouvée et tant aimée de Nous, comme d’autres nobles peuples aux souffrances tragiques desquelles Nous prions le Très-Haut d’envoyer sans tarder le réconfort souhaité. » (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1940).
   Très concrètement, le Pape, dans son Message de Noël 1940, évoquera son action matérielle et morale en faveur des prisonniers mais si elle fut, de son propre aveu, plus limitée et plus contrariée que celle qu’il entreprit « au nom auguste du Souverain Pontife Benoît XV ». Néanmoins il put faire parvenir une aide à une partie des prisonniers polonais, plus largement « aux prisonniers et internés italiens, spécialement en Égypte, en Australie et au Canada ». Il put aussi envoyer encouragement et bénédiction « aux prisonniers anglais et français en Italie, aux prisonniers allemands en Grande-Bretagne, aux prisonniers grecs en Albanie et aux prisonniers italiens dispersés dans diverses régions de l’Empire britannique, spécialement en Égypte, en Palestine, aux Indes […] ». Le pape pense aussi aux familles dans l’anxiété, recherchant et transmettant « des nouvelles partout où il est possible et permis de la faire ». Le pape ajoute encore qu’« un nombre immense de réfugiés, d’expatriés, d’émigrés, même parmi les « non-aryens » » a pu être consolé « par l’aide morale et spirituelle de Nos représentants, ou par l’obole de Nos subsides ». Pie XII salue l’aide matérielle apportée par les États-Unis.
   Il approuve la même attitude chez, par exemple, les cardinaux et archevêques de France : « Nous aimons tout particulièrement à vous féliciter de votre ferme décision de vous tenir sur le plan religieux et de vous appliquer avant tout au bien spirituel des fidèles et au soulagement des infortunés, de ceux surtout qui, plus pauvres, ont davantage à souffrir. » (28 février 1941).
   Il enverra des messages de compassion aux villes bombardées, aux évêques d’Angleterre et du pays de Galles (29 juin 1942) aussi bien qu’au Cardinal archevêque de Gênes (16 novembre 1942) ou encore au cardinal archevêque de Turin (30 novembre 1942), de Milan (2 décembre 1942 et 7 août 1943), de Naples (8 décembre 1942), de Palerme (25 janvier 1943), de Bologne (9 septembre 1943).
31. « … de quelque origine, langue, ou race » que l’on soit. (Message pascal, 13 avril 1941). Au cardinal vicaire du Pape pour le diocèse de Rome, il écrit, après le bombardement de la ville : « Nous avons rappelé aux belligérants, de quelque côté qu’ils combattent, que, s’ils voulaient tenir bien haut la dignité de leurs nations et l’honneur de leurs armes, ils eussent à respecter la vie des citoyens pacifiques et les monuments de la foi et de la civilisation. » (20 juillet 1943). Rome fut bombardée le 19 juillet et le 13 août. Pie XII écrivit deux lettres au président Roosevelt. Quant au gouvernement italien, il déclara Rome ville libre (14 août) enlevant ainsi aux alliés toute raison de bombarder la ville. (Cf. Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, 1943, Ed. Saint-Augustin, 1962, p. 282.). Cela n’empêcha pas un aviateur fasciste de bombarder la Cité du Vatican le 6 novembre 1943 sur l’ordre, semble-t-il, de l’ultra-fasciste Roberto Farinacci (1892-1945) considérant que le Vatican était complice de l’Amérique. (Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, 1943, Ed. Saint-Augustin, p. 285). Scandalisé, Pie XII évoque cet incident symptomatique, dira-t-il, dans son Allocution au Sacré Collège, le 24 décembre 1943. Voir aussi son appel aux chefs des nations belligérantes pour qu’ils respectent la ville de Rome (Allocution aux fidèles de Rome, 12 mars 1944) ou encore son Discours au Sacré Collège, 2 juin 1944.
32. Quand il en parle, c’est pourquoi mettre en évidence leur erreur essentielle et leur responsabilité mais aussi leur possible conversion : « De nombreux peuples aujourd’hui ont perdu la paix parce que leurs prophètes et leurs chefs se sont éloignés de Dieu et de son Christ. Les uns, propagandistes d’une politique areligieuse, se renfermant dans l’orgueil de la raison humaine, cum fores essent clausae, ont fermé la porte à l’idée même du divin et du surnaturel, chassant de la création le Créateur, exilant des écoles et des prétoires l’image du divin Maître crucifié, éliminant des institutions nationales, sociales, et familiales toute mention de l’Évangile, tout en ne pouvant cependant en effacer les traces profondes. Les autres se sont enfui, loin du Christ et de sa paix, en reniant des siècles de civilisation lumineuse, bienfaisante et fraternelle, pour s’enfoncer dans les ténèbres du paganisme antique ou des idolâtries modernes. Puissent-ils reconnaître leur erreur et comprendre que le Christ sauveur, malgré leurs défections, leurs reniements, leurs outrages, reste encore et toujours auprès d’eux, les mains tendues, le cœur ouvert, prêt à leur dire : pax vobis, si, de leur côté, dans un élan sincère et confiant, ils veulent bien tomber à ses pieds, avec ce cri de foi et d’amour : Dominus meus et Deus meus, « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28). » (Discours aux jeunes époux et à d’autres groupes de pèlerins, 27 mars 1940). Dans un autre style, un peu plus tard, il dira : « Le monde actuel menace de périr dans la violence, parce trop d’hommes n’ont pas de cœur : ce reproche, adressé par saint Paul au paganisme antique (Rm, 1, 31 et 2 Tm 3,3), on peut le retourner aux néo-païens, idolâtres de l’or, du plaisir et de l’orgueil. Le cœur, c’est le courage de la force, oui, mais au service du droit et de la justice ; le cœur c’est aussi la pitié envers les faibles, la tendresse qui se penche vers la douleur, le pardon qui surpasse l’offense. Le cœur s’insurge contre tout mal, mais condescend à tout bien. -Vous qui avez un cœur, ouvrez-le tout grand, aux grandes causes de Dieu, aux grandes misères des hommes ! Agissez et priez ; peut-être ne pouvez-vous pas toujours agir beaucoup : mais vous pouvez beaucoup prier. » (Allocution à l’occasion de la béatification de la Vénérable Philippine Duchesne, 15 mai 1940).
33. « Nous n’avons jamais eu l’intention d’articuler un acte d’accusation, mais bien plutôt de ramener les hommes aux sentiers de la vérité et de la rédemption. » Comme l’ont fait « Nos saints et éclairés prédécesseurs ». (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1943).
34. On peut lire, entre autres, le radio-message au monde entier pour le IVe anniversaire du commencement de la guerre, 1er septembre 1943. Ou encore son Discours au Sacré Collège du 2 juin 1944 : « une seule préoccupation oriente Nos pensées jour et nuit, à savoir comment il Nous sera possible d’affronter une si terrible épreuve, en venant au secours de tous, sans distinction de nationalité ou de race, et comment il Nous sera donné de travailler à rendre enfin la paix au monde torturé par la guerre ? »
35. Sur cette question, voir l’annexe 2.
36. Un exemple, parmi d’autres. Dans son Allocution au Sacré Collège, le 2 juin 1940, on trouve expressions suivantes : « afflictions », « menaces », « indicibles épreuves et souffrances », « périls spirituels incessants », « cours cruel des événements », « la bataille fait rage », « ravages sur les champs ensanglantés », « mers perfides », « foudres des navigateurs volants », « semaines agitées », « violence », « se déchirant par le fer et le feu », « destructions et ruines immenses », « souffrances cruelles », « tristes effets », « dures répercussions », « cruelle aggravation », « vision affligeante et aggravante », « intensité de chocs sanglants et de progrès destructeur », « ruines » aux « proportions gigantesques », « destruction du patrimoine », « anéantissement progressif », « renversement des valeurs », « dissolution croissante des règles », etc.. On peut lire aussi son Radio-message au monde entier du 29 juin 1941 où il se livre à une description très précise de tous les maux de la guerre. Aux évêques d’Angleterre et du pays de Galles auxquels il écrit suite aux bombardements aériens, il avoue : « Notre âme est dans l’horreur… » (29 juin 1942). 
37. « …si le chrétien, fort de sa foi, intrépide dans l’accomplissement de son devoir, doit être prêt à prendre part aux événements, aux tâches et aux sacrifices du jour, il ne doit pas être moins attentif et prêt à en récuser les erreurs ; de manière que plus il voit s’épaissir les ténèbres de l’incrédulité et du mal, plus aussi il doit redoubler de courage et d’élan, même au milieu des épreuves, pour faire resplendir la brillante lumière du Christ, afin qu’elle soit pour ceux qui se trompent un guide qui les dirige et les accompagne vers un retour au patrimoine spirituel oublié et abandonné par tant de gens ! Inaccessible aux influences des autres, le chrétien marchera et avancera sans dévier dans la nuit ténébreuse d’ici-bas […]. Si plus durs et plus pesants sont les sacrifices demandés à l’humanité, c’est aussi avec plus de vigueur et d’efficacité qu’il alimentera et développera dans son âme la force jaillissante du précepte divin de l’amour et désir anxieux d’en faire le pôle de ses intentions et de ses actions. Il ne se pliera pas ni ne se soumettra dans la pusillanimité devant l’âpreté des temps […]. » (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1940).
38. Le pape continue : « Des caractères de cette sorte souffrent, certes, en voyant l’Église -à laquelle au fond d’eux-mêmes ils voulaient rester fidèles- incomprise devant le prétoire de Pilate ou parmi les serviteurs d’Hérode affublés d’habits de comédie. Ils croient au mystère de la Croix, mais ils oublient de le méditer et de ’appliquer à nos jours. Aux heures éblouissantes et consolantes du Thabor, ils se sentent près du Christ ; aux heures tristes et obscures de Gethsémani, ils imitent trop facilement les disciples qui dormaient. Et lorsque les autorités de la terre leur font sentir leur puissance comme firent les ministres du Sanhédrin avec Jésus, les voilà qui se dérobent par une fuite timide ou qui, ce qui revient au même, esquivent les résolutions franches et courageuses. » (Message de Noël, 24 décembre 1940).
39. « En plaçant la volonté du Père au-dessus de toute autre volonté, le Christ, Prince de la paix, a suscité l’opposition, cachée ou ouverte, ainsi que l’incompréhension de ceux qui, poussés par une idée purement terrestre de la mission de leur peuple, ont vu dans le miroir de toute justice, bonté et miséricorde, un « signe de contradiction » (Lc 2, 34). L’Église pourrait-elle donc s’étonner si son sort est celui-là même du divin Maître et prend une forme qui répond au caractère agité et bouleversé du monde actuel ? ». (Discours au Sacré Collège et à la Curie romaine, 24 décembre 1942).
40. « Vous n’attendez pas que Nous vous exposions ici, même partiellement, tout ce que Nous avons tenté et essayé d’accomplir pour diminuer leurs souffrances, pour adoucir leur situation morale et juridique, pour défendre leurs droits religieux imprescriptibles, pour subvenir à leur défense et à leurs nécessités 
   Toute parole de Notre part, dressée à ce propos aux autorités compétentes, toute allusion publique devaient être sérieusement pesées er mesurées par Nous, dans l’intérêt même de ceux qui souffrent pour ne pas rendre, malgré Nous, leur situation encore plus grave et plus insupportable. Hélas ! les améliorations manifestement obtenues sont loin de répondre à l’immense sollicitude maternelle de l’Église penchée sur ces groupes particuliers, soumis aux plus cruelles vicissitudes ; et comme Jésus devant sa ville devait s’écrier avec douleur : Quoties volui ! … et noluisti ! (Lc 13, 34), ainsi son Vicaire, bien qu’il demandât seulement pitié et retour sincère aux lois élémentaires du droit et de l’humanité, s’est trouvé souvent devant des portes qu’aucune clé ne pouvait ouvrir. » (Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1943)
41. Pie XII emploie délibérément une expression très à la mode à l’époque mais en modifiant complètement le sens. L’expression popularisée par la propagande nazie désigne la nouvelle organisation de l’Europe à laquelle prétend le mouvement de Hitler.(Cf. De ROOY Paul-Edouard op, L’ordre nouveau de Hitler, Cahiers de l’Ecole des sciences sociales, politiques et économiques de Laval, 1943 ou DURAND Yves, Le nouvel ordre européen nazi, La collaboration dans l’Europe allemande, Edition Complexe, 1990). L’ordre nouveau, selon Pie XII est un ordre moral diamétralement opposé à celui-là : c’est avec les principes chrétiens proclamés par l’Église « qu’on pourra verser dans la séduisante expression d’ »ordre nouveau » un contenu beau, digne, stable, appuyé sur les règles de la morale. C’est à ces conditions seulement que sera évité le péril de concevoir et de former cet ordre nouveau comme un mécanisme purement extérieur, imposé par la force, un ordre sans sincérité, sans plein consentement, sans joie, sans paix, sans dignité, sans valeur. » (Message de Noël 1940). En bref, un « ordre nouveau » fondé sur la Sagesse divine. (Discours au Sacré Collège, 24 décembre 1941). Notons qu’entre les deux guerres, a existé en France un mouvement « Ordre nouveau » qui fut durant quelques années un mouvement anti-conformiste où se retrouvèrent des personnalités telles que Raymond Aron, Daniel-Rops, Denis de Rougemont. Ce mouvement n’avait rien à voir avec les mouvements fascistes. Il se définissait comme anti-fasciste, anti-communiste, anti-capitaliste, anti-nationaliste, anti-internationaliste, anti-parlementariste. (Cf. ARON Raymond, L’ordre nouveau, Mission ou démission de la France, Réponse à Hitler, Fustier, 1936). Pour être tout-à-fait complet, disons encore qu’après la guerre est apparu en France un mouvement d’extrême-droite appelé « Ordre nouveau » qui est à l’origine du parti Front National.
42. Radio-message au monde entier, 13 mai 1942. Le Saint-Père explique : « chaque fois que l’on prononce une parole de paix, on risque de heurter l’une ou l’autre partie ; de fait, tandis que les uns se prévalent des résultats obtenus, les autres placent leur espérance dans les batailles à venir. Cependant, si la comparaison actuelle des forces, des gains et des pertes dans le domaine politique te militaire ne laisse entrevoir pour le moment aucune possibilité immédiate de paix, il n’en est pas moins vrai que les ruines semées par la guerre entre les peuples dans le domaine matériel et spirituel ont fini par s’accumuler à tel point qu’elles appellent, pour enrayer leur progrès, tout effort capable d’aboutir à une rapide conclusion du conflit. » Pie XII termine son message en lançant un appel « aux hommes d’État afin qu’ils ne laissent échapper aucune occasion capable d’entrouvrir la voie à une paix honorable de justice et de modération, à une paix issue d’une entente libre et féconde, alors même qu’elle ne devrait pas répondre de tous points à leurs attentes. »
43. « …les hommes se sont révoltés contre le christianisme vrai et fidèle au Christ et à sa doctrine ; ils s e sont forgé un christianisme à leur guise, une nouvelle idole qui ne sauve pas, qui ne s’oppose pas aux passions de la concupiscence de la chair, à l’avidité de l’or et de l’argent qui fascinent les yeux, à l’orgueil de la vie, une nouvelle religion sans âme ou une âme sans religion, un masque de christianisme mort privé de l’esprit du Christ  […] ».
44. Nous développerons ce point dans la partie suivante.
45. Dénonçant avec force la propagande et l’action présentes contre l’Église, Pie XII justifie cette dénonciation : « Dieu Nous est témoin que Nous aimons d’une égale affection tous les peuples, sans aucune exception ; et c’est pour éviter jusqu’à l’apparence d’être guidé par l’esprit de parti que Nous Nous sommes imposé jusqu’ici la plus grande réserve ; mais les dispositions prises contre l’Église et les fins qu’elles se proposent sont maintenant telles que Nous Nous sentons obligé, au nom de la vérité, de parler pour empêcher qu’il ne s’ensuive par malheur u n trouble dans les âmes des fidèles. » Ailleurs, il dénoncera « l’athéisme sectaire, l’antichristianisme systématique, le froid indifférentisme » ou encore la « chaîne ininterrompue de soupçons et d’injures, d’évictions et d’ostracisme, de déchéance des droits personnels et des mérites acquis, de tracasseries et de tourments, de pauvreté et de souffrances, de misères, de détriments et de dommages corporels et spirituels » qui accablent en certains endroits les chrétiens. (Radio-message, 13 mai 1942).
46. Quand l’heure de la paix sonnera, « ce sera pour le droit et la conscience morale des peuples, le moment de l’épreuve décisive. Cette conscience juridique et morale sera alors d’autant plus vive, sûre et nette, qu’elle se maintiendra plus éloignée de la trompeuse illusion d’un égoïsme effréné et qu’elle acceptera avec plus d’empressement de venir se ranger dans le cadre d’une solidarité sociale qui naît de la loi divine naturelle et trouve son achèvement dans la doctrine et la loi du Christ. » (Allocution au nouveau Ministre d’Haïti, 12 septembre 1942).
47. Discours au Sacré Collège et à la Curie romaine, 24 décembre 1942.
48. Somme théologique, IIa IIae, qu. 29, art. 1, sol. 1.
49. La cité de Dieu, Livre XIX, chap. XIII : « Ainsi la paix du corps réside dans le juste tempérament de ses parties, et celle de l’âme sensible dans le calme régulier de ses appétits satisfaits. La paix de, l’âme raisonnable, c’est en elle le parfait accord de la connaissance et de l’action ; et celle du corps et de l’âme, c’est la vie bien ordonnée et la santé de l’animal. La paix entre l’homme mortel et Dieu est une obéissance réglée par la foi et soumise à la loi éternelle ; celle des hommes entre eux, une concorde raisonnable. La paix d’une maison, c’est une juste correspondance entre ceux qui y commandent et ceux qui y obéissent. La paix d’une cité, c’est la même correspondance entre ses membres. La paix de la Cité céleste consiste dans une union très réglée et très parfaite pour jouir de Dieu, et du prochain en Dieu ; et celle de toutes choses, c’est un ordre tranquille. »
50. Nous verrons plus tard l’importance de cette notion lorsque Pie XII analysera ce que devrait être une vraie démocratie.
51. Qui s’impose et dont la nécessité apparaît clairement dans le désastre de la guerre où des chrétiens ont une part de responsabilité : « …un grand nombre même de ceux qui se disent chrétiens, partagent en quelque façon leur part de la responsabilité collective du développement des erreurs, des maux et du manque d’élévation morale de la société actuelle. Cette guerre mondiale avec tout ce qui s’y rattache, qu’il s’agisse de ses causes lointaines ou proches, ou de son déroulement et de ses effets matériels, juridiques et moraux, que signifie-t-elle d’autre que la faillite inattendue peut-être des esprits superficiels, mais prévue et redoutée par tous ceux dont le regard pénétrait à fond un ordre social qui, derrière un décor trompeur ou sous un masque de formules conventionnelles, cachait sa faiblesse fatale et son instinct effréné de lucre et de puissance ? […] Les peuples veulent-ils demeurer témoins inactifs d’un si désastreux progrès ? ou ne faut-il pas plutôt que, sur les ruines d’un ordre public qui a donné les preuves si tragiques de son incapacité à procurer le bien du peuple, s’unissent tous les cœurs droits et magnanimes dans le vœu solennel de ne s’accorder aucun repos jusqu’à ce que, dans tous les peuples et toutes les nations de la terre ; devienne légion la troupe de ceux qui, décidés à ramener la société à l’inébranlable centre de gravitation de la loi divine aspirent à se dévouer au service de la personne humaine et de la communauté ennoblie par Dieu ? » Ce vœu, continue le Pape, l’humanité le doit aux innombrables morts, aux veuves, mères, orphelins, exilés, aux non-combattants bombardés, au « fleuve de larmes et d’amertumes, à l’accumulation de douleurs et de tourments causés par la ruine meurtrière de l’horrible conflit ». Elle le doit « aux centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive. »  Le 2 juin 1943, devant le Sacré Collège, il répète : « Notre cœur répond avec une sollicitude toute prévenante et émue aux prières de ceux qui tournent vers Nous un regard d’anxieuse imploration, tourmentés comme ils le sont, à cause de leur nationalité ou de leur race, par des malheurs plus grands, par des douleurs plus pénétrantes et plus lourdes, et livrés, même sans faute de leur part, à des mesures d’extermination. »
52. Pie XII redoute l’alternative « victoire complète ou totale destruction ». Il ajoute : « Là où ce dilemme tranchant a une fois pénétré dans les esprits par sa funeste influence comme un stimulant à prolonger la guerre, même chez ceux qui, par une inclination intérieure ou par des considérations réalistes, pencheraient pour une paix raisonnable. » Pie XII plaide donc pour la sagesse et la modération. Que la clémence l’emporte sur la cruauté. (Discours au Sacré Collège, 2 juin 1944).
53. Et de citer Cicéron (Pro M. Marcello, n. 3) : « se vaincre soi-même, maîtriser la colère, épargner le vaincu, relever l’adversaire qui est à terre, celui qui fera ces choses, je ne le compare pas aux plus grands hommes mais je le regarde comme très ressemblant à un dieu. » (Discours au Sacré Collège, 2 juin 1944.)
54. Le 4 juin 1944, les armées alliées entrent à Rome.
55. « …que le but suprême qui inspirera vos écrits soit la paix. La guerre peut exister et elle ne devrait être qu’un moyen de s’acheminer vers la paix. » (Allocution, 8 juin 1944).
56. Pie XII bénit 4000 soldats de la VIIIe armée anglaise le 20 juin.
57. Allocution du 30 juin 1944.
58. Allocutions du 4 juillet et du 6 juillet 1944.
59. Allocution du 9 juillet 1944.
60. Allocution du 1er août 1944.
61. Radio-message aux populations d’Afrique du Sud et aux prisonniers italiens détenus dans ces régions (80.000), 3 août 1944.
62. Allocution du 13 août 1944.
63. Allocution du 16 août 1944.
64. Allocution du 17 septembre 1944.
65. Allocution du 28 septembre 1944.
66. Allocution du 12 octobre 1944.
67. Allocution du 3 décembre 1944.
68. Message du 13 décembre 1944. Le Saint-Père eut une attention spéciale pour les prisonniers des États-Unis et de l’Australie, les internés en Allemagne et la population de Varsovie.
69. Allocution du 15 décembre 1944.
70. Allocution à l’occasion de la distribution des cadeaux de Noël aux enfants des familles réfugiées à Rome, 25 décembre 1944. 2000 enfants étaient présents à l’Université grégorienne. Pendant ce temps-là, 12000 colis étaient distribués dans tous les quartiers de Rome.
71. Allocution du 27 décembre 1944.
72. Discours du 28 juillet 1944. La Pologne n’est pas au bout de ses misères. Les Allemands réprimèrent à partir du 4 août avec une extrême sauvagerie l’insurrection de Varsovie. (Voir la réponse de Pie XII à l’appel du président Raczkiewicz, le 14 septembre 1944 et son Allocution aux membres de l’armée polonaise du 15 septembre 1944). Cette répression fut facilitée par l’attitude de Staline.
73. Radio-message au monde entier à l’occasion du Ve anniversaire du début de la présente guerre mondiale.
74. Discours au sacré Collège, 24 décembre 1944.
75. Pensant visiblement à l’heure présente, Pie XII précise encore : « Que certains peuples aux gouvernants desquels ou peut être à eux-mêmes en partie, on attribue la responsabilité de la guerre aient à supporter durant quelque temps les rigueurs de mesures de sécurité, jusqu’au moment où les liens de confiance mutuelle violemment brisés se seront peu à peu renoués, est chose humainement explicable et, selon toute probabilité pratiquement inévitable. Néanmoins, ces peuples devront avoir, eux aussi, l’espoir bien fondé, dans la mesure de leur loyauté et de leur coopération effective aux efforts pour la restauration future, de pouvoir devenir, tout comme les autres États, avec la même considération et les mêmes droits, associés à la grande communauté des nations. Leur refuser cet espoir serait le contraire d’une sagesse prévoyante, assumer la grave responsabilité de barrer le chemin à une libération générale de toutes les conséquences désastreuses, matérielles, morales et politiques du gigantesque cataclysme qui a secoué jusque dans ses dernières profondeurs la pauvre famille humaine, mais qui en même temps lui a indiqué le route vers de nouveaux buts. » Il reviendra plusieurs fois sur ce thème. Ainsi, le 13 septembre 1952, il dira : « On peut aussi condamner sans réserve l’injustice, la violence et la cruauté, même quand elles sont imputables à des compatriotes. Mais tout d’abord, chacun doit s’en persuader : qu’il s’agisse de sa propre nation, ou d’une autre, il ne faut pas tenir rigueur aux générations actuelles des fautes du passé.[…] autant que possible, que l’on rejette la responsabilité sur les coupables, mais qu’on les distingue, avec justice et netteté, du peuple dans son ensemble. […] La haine des peuples en tout cas est toujours une injustice cruelle, absurde et indigne de l’homme. » (Allocution aux membres du Congrès international de « Pax Christi »).
76. Dans sa Lettre aux évêques de Bavière (15 août 1945), Pie XII salue les  « héros », les « vaillants », les millions de catholiques qui « ont courageusement lutté contre les forces du mal » et assure « encore une fois qu’il n’est ni juste ni conforme à la réalité et à la vérité d’imputer à la nation tout entière les crimes perpétrés par les gens d’un parti. » Voir aussi sa Lettre à l’évêque d’Eichstaett (Allemagne), 30 octobre 1945. Il ne faut « pas punir à la fois les innocents et les coupables », qu’ « on ne confonde pas avec les vrais coupables qui, par conséquent, méritent un châtiment, des catégories de citoyens qui, en Allemagne comme dans d’autres pays, ne sont pas responsables de la guerre et ne se sont souillés d’aucun crime. » Pensant plus particulièrement aux citoyens de l’Allemagne de l’Est, le Saint-Père ajoute : « Puisse la commune foi catholique, qui compte un grand nombre d’adhérents de part et d’autre, réprimer et apaiser les instincts de haine et de rancune qui montent partout à un degré effrayant, et frayer ainsi la voie à l’esprit de pacification et de charité. Telle est Notre exhortation ; telle est Notre espérance et tel aussi Notre désir le plus vif. » (Lettre aux évêques allemands, 1er novembre 1945). Ailleurs encore : « Qui donc exige l’expiation des fautes par la juste punition des criminels, à cause de leurs délits, doit apporter tous ses soins à ne pas faire lui-même ce qu’il condamne chez les autres comme faute ou comme délit. Qui veut des réparations doit les demander en se basant sur l’ordre moral, sur le respect des droits naturels inviolables, qui subsistent même chez ceux qui se sont rendus sans conditions au vainqueur. » (Discours au Sacré Collège, 24 décembre 1945). Visiblement, Pie XII veut qu’on évite les erreurs qui ont été commises au lendemain de la guerre 14-18.
77. Discours au Sacré Collège, 2 juin 1945.
78. Cf. Lettre aux évêques de France, 6 janvier 1945 ; Allocution au patriciat et à la noblesse romaine, 14 janvier 1945 ; Allocution à l’ambassadeur de France, 10 mai 1945 ; Lettre aux évêques de Hollande, 12 mai 1945. Ou encore dans l’émotion de la fin de la guerre : « Il nous semble qu’eux, les morts, donnent un avertissement aux survivants du terrible fléau et leur disent : que de nos ossements et de nos tombeaux, et de la terre où nous avons été jetés comme grains de blé, surgissent les architectes et les bâtisseurs d’une Europe nouvelle et meilleure, d’un univers nouveau et meilleur, fondé sur la crainte filiale de Dieu, sur la fidélité aux saints commandements de Dieu, sur le respect de la dignité humaine, sur le principe sacré de l’égalité des droits pour tous les peuples et tous les États, grands et petits, faibles et forts. » (Radio-message du 9 mai 1945).
79. Pie XII écrit aux évêques allemands : « Mais ce qui, à juste titre, vous angoisse et vous préoccupe plus que les innombrables ruines de votre patrie, ce sont les dommages bien plus funestes causés aux âmes par les doctrines impies qui, au mépris de la loi évangélique, ont voulu instituer les droits et les impératifs de la race, du sang et de l’orgueil. Aussi, est-ce à bon droit que vous vous promettez de ne rien négliger qui puisse ramener les égarés dans la bonne voie, et relever, mettre à nu et faire disparaître les préjugés et les erreurs qui se sont multipliés ces dernières années concernant le Christ, Verbe de dieu fait homme, l’Église qu’il a fondée, ses commandements et ses préceptes divins. Car ce sont uniquement ces préceptes, bien mis en lumière et pratiqués courageusement et avec soin, qui peuvent procurer un jour le bonheur éternel, et même la prospérité et le bonheur temporel que l’on peut obtenir ici-bas. » Et le pape d’inviter à faire revivre les organes de presse catholique, à réorganiser le monde ouvrier suivant la doctrine sociale de l’Église, restaurer les écoles confessionnelles et les associations catholiques.
80. Id..
81. Allocution aux travailleurs chrétiens d’Italie, 11 mars 1945 ; Allocution aux membres de l’Action catholique italienne, 29 avril 1945
82. Cf. Encyclique Communium interpretes, 15 avril 1945.
83. Pie XII continue : « Mais si les dirigeants de l’Allemagne avaient résolu de détruire aussi l’Église catholique dans l’ancien Reich, la providence en avait disposé autrement. Les tribulations infligées à l’Église par le national-socialisme se sont terminées avec la fin soudaine et tragique du persécuteur ! » (Discours au Sacré Collège, 2 juin 1945).
84. Voir aussi le Radio-message aux familles de France, 17 juin 1945. L’importance de la famille se manifeste aussi dans les innombrables messages que le pape n’a cessé d’adresser aux fiancés, aux jeunes époux et aux femmes.
85. Un autre totalitarisme envahissant menace : l’impérialisme soviétique. Un autre type de guerre va apparaître : la « guerre froide ». Nous y reviendrons. Ailleurs, le pape déclare : « Personne ne sera surpris qu’une forte et même violente réaction souffle parmi les masses dans les pays qui ont été entièrement dévastés par une guerre qui n’aurait jamais dû être commencéeMais la paix ne se trouve pas dans cette direction, ni la prospérité, ni le bonheur. » (Allocution à M. Jean Brunner, commandant en chef des vétérans de la « Foreign Wars », 26 juin 1945). Dans sa Lettre aux évêques de Pologne, Pie XII expose un programme de reconstruction chrétienne particulièrement intéressant, (29 juin 1945). Voir aussi, dans le même esprit, la Lettre aux évêques tchécoslovaques, 28 août 1945.
   Face au communisme qui gagne l’Europe de l’Est et l’Europe centrale, l’attitude de Pie XII ne changera pas. La condamnation a déjà été portée sur l’idéologie en cause comme elle avait été portée sur le national-socialisme. Reste à rappeler quelle conduite les chrétiens de l’Est doivent avoir. Sans surprise, la consigne est de bannir la violence et de s’en tenir au droit et aux principes chrétiens. « Comme Nous connaissons bien les tristes événements qui sont survenus ces derniers mois en Allemagne orientale, Nous exhortons avec insistance toutes les victimes à ne pas répondre à la violence par la violence, mais à s’appuyer plutôt sur la force du droit. » (Lettre aux évêques allemands, 1er novembre 1945). Pie XII invite tous les chrétiens de l’Est à résister avec courage et fidélité. Voir, par exemple, son émouvant message à l’église ruthène unie particulièrement persécutée en Ukraine, in Encyclique Orientales omnes, 23 décembre 1945.
86. Le Pape ajoute : « Il est inévitable qu’il en soit ainsi. Et peut-être aussi préférable ».
87. Y compris la justice sociale : « Nous Nous sommes fait un devoir, au fort même des hostilités, d’avertir les peuples et leurs chefs qu’après de pareils bouleversements, ils auraient à édifier un ordre économique et social plus adéquat à la fois aux lois divines et à la dignité humaine… » (Lettre au Président des Semaines sociales de France, 14 juillet 1945).
88. Une charité qui doit être universelle non seulement parce qu’elle est nécessaire à la reconstruction de l’Europe ravagée mais aussi en raison de l’unité du genre humain. Voir les nombreux messages adressés en 1945 à des visiteurs américains ou à des représentants de l’Administration des Nations-Unies pour le secours et la réhabilitation (UNRRA). (Allocutions des 3 juin, 26 juin, 2 juillet, 8 juillet, 21 août, 25 août, 27 août, 13 septembre, 17 septembre, 27 septembre, 7 octobre, 22 octobre, 2 novembre).
89. Aubier, 1962.
90. Cela explique l’impartialité de Pie XII qui s’inquiète des blessures, des manipulations, dans quelque camp qu’elles se manifestent et se soucie, la paix revenue, du sort des prisonniers de guerre, des détenus politiques (voir, par exemple, le Discours au Sacré Collège, 24 décembre 1945) ou encore des réfugiés ou des personnes déplacées (voir, par exemple, Lettre à Mgr Nichols, 24 décembre 1948).
   Le droit à la vie de la personne innocente est intangible mais ce caractère sacré de même que la hiérarchie des droits expliquent en même temps que la personne puisse préférer risquer la mort physique pour éviter la mort spirituelle. (Discours aux membres de l’Union médico-biologique Saint-Luc d’Italie, 12 novembre 1944 et Radio-message du 24 décembre 1948).
91. Cette idée est longuement développée dès 1939 dans l’encyclique Summi pontificatus. Ainsi sont condamnés le racisme, le marxisme, le nationalisme exclusif aussi bien que l’individualisme.
92. Radio-message du 1er juin 1941 et Allocution aux participants au Congrès des études humanistes, 25 septembre 1949.
93. Radio-message du 24 décembre 1951.
94. Allocution à l’Ambassadeur de Bolivie, 16 juin 1939.
95. Radio-message du 1er juin 1941.
96. Discours aux membres de l’Institut international pour l’unification du droit privé, 20 mai 1948 ; Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953 ; Discours au Centre italien d’études pour la réconciliation internationale du 13 octobre 1955.
97. Radio-message du 24 décembre 1944.
98. Que l’État soit petit ou grand, il jouit de l’égalité juridique (Radio-message du 9 mai 1945),), à l’indépendance (Summi pontificatus, Radio-message du 24 décembre 1953) à la liberté, à l’intégrité, à la sécurité, à la neutralité (Radio-message du 24 décembre 1941), à « la possibilité d’une évolution progressive dans les voies de la civilisation » au droit à l’existence, c’est-à-dire, au « respect et à la bonne réputation de son peuple » à « l’observation des traités internationaux et autres conventions similaires », au développement et à l’expansion, au droit « d’user des biens de la terre pour la conservation de la vie », ), à « un caractère et à une culture propres », (Summi pontificatus, Discours à des juristes italiens du 6 décembre 1953, Discours au Centre italien d’études pour la réconciliation internationale du 13 octobre 1955), il a le droit  « de participer équitablement aux ressources mondiales » ( Homélie au cours de la messe pour la paix et les victimes de la guerre du 24 novembre 1940).
99. Discours aux curés et prédicateurs de Carême à Rome, 22 février 1944 ; Radio-message du 24 décembre 1947 ; Discours aux juristes catholiques italiens, 6 novembre 1949 ; Radio-message du 24 décembre 1954.
100. Radio-message du 24 décembre 1948.
101. Par contre, dans la guerre révolutionnaire, c’est le plus faible qui, par les techniques de subversion, tente d’établir son droit. Ainsi en a-t-il été dans les mouvements révolutionnaires communistes ou nationalistes. Pie XII n’en parle pas expressément mais il est possible, à partir des principes qu’il développe, de porter un jugement sur cette sorte de guerre.
102. Radio-message du 24 décembre 1943.
103. Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953 et Discours à la VIIIe assemblée de l’Association médicale mondiale, 30 septembre 1954. Voir aussi l’hallucinante description des effets d’une explosion nucléaire dans le Radio-message du 24 décembre 1955.
104. R. Coste évoque ce débat in op. cit., pp. 152-163.
105. Discours à l’épiscopat, 2 novembre 1954.
106. Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953.
107. Discours aux assistantes spirituelles des forces armées d’Italie, 21 mai 1958.
108. Allocution aux jeunes filles de l’Action catholique italienne, 2 octobre 1955.
109. Discours aux assistantes spirituelles des forces armées d’Italie, 21 mai 1958.
110. Et, en 1950, lorsque les communistes accusent « le Pontife Romain de vouloir la guerre, de s’employer à fomenter et à provoquer la guerre, et de se mettre en cela au service d’un État considérable et puissant », c’est-à-dire  des États-Unis (Discours aux évêques, 2 novembre 1950), il repousse l’accusation répandue dans les milieux ouvriers et s’écrie : « Non ! Non ! Ce n’est pas vrai ! L’Église déteste la guerre avec ses horreurs ; elle veut la paix, la paix intérieure, au milieu des peuples, parmi les fils d’une même patrie, la paix parmi les nations, parmi les membres de la grande famille humaine. » (Allocution au personnel des transports urbains de Rome, 19 novembre 1950). Même pour combattre une idéologie anti-chrétienne, qu’elle soit nazie ou communiste, la guerre ne peut se justifier : « Si nous avons rejeté et condamné certaines idéologies, Nous ne l’avons pas fait contre certaines nations ou contre aucun État en tant que tel, mais Nous avons protesté contre des opinions erronées qui s’efforcent de détruire la notion même de Dieu et la foi chrétienne et usent dans ce but infâme du pouvoir des partis politiques ? Nous n’avons rien dit ni rien fait, sinon ce que la conscience de Notre devoir, qui est pour Nous un ordre, a demandé de Nous ». (Discours aux évêques, 2 novembre 1950).
111. Radio-message de Noël, 24 décembre 1954.
112. Discours aux assistantes spirituelles des forces armées d’Italie, 21 mai 1958.
113. Allocution au Sacré Collège, 2 juin 1940.
114. Il s’agit, bien sûr, d’une agression armée. On sait aussi, notamment en consultant les traités de droit international, que la notion d’agression est une notion complexe difficile à définir exactement.
115. Discours aux assistantes spirituelles des forces armées d’Italie, 21 mai 1958.
116. Radio-message du 24 décembre 1948.
117. Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953.
118. Allocution aux fidèles de Rome, 13 mars 1945.
119. On se souvient que, le 23 août 1939, a été signé le pacte germano-soviétique qui incluait, entre autres, une clause de non-agression entre les deux pays. Or, le 22 juin 1941, l’Allemagne envahit l’URSS. Rome va-t-elle réagir et dans quel sens ? Le 31 octobre 1942, dans une prière à Marie, Pie XII demande : « Aux peuples séparés par l’erreur et la discorde, spécialement à ceux qui vous ont voué une particulière dévotion, tellement qu’il n’était chez eux aucun foyer où ne brillât votre vénérable icône (maintenant parfois cachée et réservée pour des jours meilleurs), donnez la paix et reconduisez-les à l’unique troupeau du Christ, sous l’unique vrai Pasteur. Obtenez la paix et la liberté complète à la Sainte Église de Dieu ; contenez le déluge matérialiste du néo-paganisme » (Radio-message au peuple portugais). Quels sont ces peuples où il y a une icône dans chaque foyer, icône cachée souvent, peuples religieux séparés de Rome et qui subit « le déluge matérialiste du néo-paganisme », c’est-à-dire, selon l’expression consacrée bien avant la guerre : le nazisme ? Quels sont-ils sinon les peuples de l’URSS ? Pour le P. FESSARD (Journal de la conscience française, in Etudes, 1945, t. CCXLIV, p. 185, cité in COSTE R., op. cit., pp. 225-226), cela ne fait aucun doute. En 1946, Pie XII confirme cette analyse et justifie le langage « codé » employé alors : « Nous avons eu la préoccupation constante d’enrayer un conflit si funeste à la pauvre humanité. C’est pour cela, en particulier, que Nous Nous sommes gardé, malgré certaines pressions tendancieuse, de laisser échapper de Nos lèvres ou de Notre plume une seule parole, un seul indice d’approbation ou d’encouragement en faveur de la guerre entreprise contre la Russie en 1941. Assurément, nul ne saurait compter sur Notre silence dès lors que sont en jeu la foi ou les fondements de la civilisation chrétienne. Mais, d’autre part, il n’est aucun peuple à qui Nous ne souhaitions, avec toute la sincérité de Notre âme, de vivre dans la dignité, dans la paix, dans la prospérité, à l’intérieur des frontières. Ce que Nous avons toujours en vue dans toutes les manifestations de Notre pensée et de Notre volonté, c’était de reconduire les peuples du culte de la force au respect du droit et de promouvoir entre tous la paix, paix juste et solide, paix apte à garantir à tous une paix au moins tolérable. » (Discours au Corps diplomatique, 25 février 1946 ; on peut lire aussi la Lettre apostolique Sacro vergente anno adressée à tous les peuples de Russie, 7 juillet 1952). Il est clair, à travers cet exemple, que toute guerre d’agression, aux yeux du pape, est immorale, même si le pays agressé véhicule une idéologie anti-chrétienne.
120. Il n’en est pas de même, par exemple, pour Mao-Tsé-Toung que cite COSTE R. (op. cit., pp.229-230). A propos de l’invasion soviétique en Pologne en 1939, il écrit : « …la guerre menée par l’URSS est une guerre juste, […] elle n’est pas une guerre de conquête, mais une guerre libératrice aidant à la libération des petites nationalités, à la libération des masses populaires ». A propos du déclenchement de la 2de guerre mondiale : « la guerre qui a maintenant éclaté est aussi bien du côté de l’Angleterre et de la France que du côté de l’Allemagne, une guerre injuste, une guerre de conquête, une guerre impérialiste. Les partis communistes et les peuples de tous les pays du monde doivent intervenir contre cette guerre ». Sur un plan plus général, le leader chinois déclare : « Toutes les guerres de l’histoire se divisent en deux sortes : les guerres justes et les guerres injustes. Toutes les guerres de progrès sont justes et toutes les guerres faisant obstacle au progrès sont des guerres injustes. Nous autres communistes, nous luttons contre toutes les guerres injustes qui font obstacle au progrès, mais nous ne sommes pas contre les guerres de progrès, les guerres justes. » (Œuvres choisies, Editions sociales, t. II, pp. 59, 55, 173).
121. « N’est-il pas vrai que sans ces liens, la libre volonté est plus dangereuse et plus audacieuse que l’instinct naturel des animaux sauvages ou féroces ? » (Discours aux curés et prédicateurs de carême de Rome, 22 février 1944).
122. COSTE R., op. cit., p. 243.
123. Radio-message, 24 décembre 1948.
124. Allocution aux fidèles de Rome, 18 mars 1945. Tout le passage est intéressant : « Pour qui prétend rester sourd aux appels divins, se raidir contre les accents persuasifs des pasteurs des âmes, contre la voix sévère et poignante de la conscience, une autre voix, une voix sauvage, celle des cruels événements, celle de l’atroce réalité s’élève pour leur annoncer et les avertir que la guerre est le fruit et le châtiment du péché. Le pécheur pourra bien chercher à s’étourdir, l’impie pourra s’obstiner à suivre les entiers du mal, loin de Dieu ; la voix tragique retentira chaque fois plus sonore, chaque fois plus terrible, et, par-delà les causes et les responsabilités immédiates de l’effroyable conflit, par-delà les faits extérieurs et les paroles sensibles, elle pénétrera jusqu’au fond silencieux des cœurs pour détecter et révéler la cause profonde qui a suscité et alimenté l’horrible incendie, l’esprit qui a provoqué et exaspéré la discorde, l’esprit d’orgueil, d’ambition et de convoitise. C’est l’esprit du mal qui se dresse contre l’esprit de Dieu, qui veut proscrire sur terre le règne du Christ pour diviniser la force matérielle, pour détruire dans la vie des peuples et surtout dans les relations internationales toute distinction essentielle entre le bien et le mal, entre le juste et l’injuste. » 
125. COSTE R., op. cit., p. 238.
126. Cf. COSTE R., op. cit., pp. 289-293.
127. Radio-message de Noël 1944.
128. COSTE R., op. cit., p. 293. L’auteur évoque la mise au point ferme de l’Osservatore romano du 16 avril 1949 qui s’indigne de l’interprétation belliqueuse de la pensée du pape. Il ne prêche pas plus la croisade contre le communisme qu’il ne l’a fait contre le nazisme.
129. Radio-message du 1er septembre 1943.
130. « N’est-il pas triste de penser qu’une telle défense est nécessaire ? Que l’on voudrait dépouiller l’homme de ces droits qui ne sont que la floraison naturelle de la dignité innée de la personne, infiniment surélevée par la valeur que lui a attachée le divin Rédempteur ? Ne s’attendrait-on pas à ce que tous les membres de la vaste famille humaine soient heureux de partager en commun leur droit personnel, antérieur à tout État, d’accomplir leurs devoirs sacrés envers leur Créateur, aussi bien que leur droit national de développer leur culture et leur caractère, libérés du spectre de la force hostile ? » (Discours aux dirigeants du « NATO Defence College », 16 mai 1958).
131. Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953.
132. Id..
133. Allocution aux membres du Congrès international de « Pax Christi », 13 septembre 1952.
134. Discours aux assistantes spirituelles des forces armées d’Italie, 20 mai 1958..
135. Radio-message du 24 décembre 1948.
136. Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953.
137. Allocution à l’assistance spirituelle des forces armées d’Italie, 20 mai 1958
138. Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953.
139. On désigne par cette expression, l’opposition idéologique, stratégique, politique, économique entre l’URSS et les USA et leurs alliés respectifs, de 1945 à 1989. Le pape emploie aussi l’expression « paix froide » : « Ainsi la paix froide, avec ses propres incohérences et ses inconvénients, semble s’orienter vers la reconnaissance de la doctrine de l’Église sur la guerre juste et injuste, sur la licéité et l’illicéité du recours aux armes ». (Radio-message du 24 décembre 1954).
140. Allocution aux membres du Congrès international de « Pax Christi », 13 septembre 1952.
141. Allocution à des soldats italiens, 6 novembre 1955.
142. Allocution à la Commission militaire du Congrès américain, 8 octobre 1947.
143. Il continue : « Un sage philosophe romain de l’ancien temps a dit, non entièrement sans raison, que la peur même de la guerre est pire que la guerre elle-même. Cette crainte pourtant ne disparaîtra jamais tant qu’au sein de la grande famille des nations il y aura ne serait-ce qu’un seul membre pour rejeter le sens moral des droits inaliénables de l’homme, pour se servir d’une force sans frein pour réduire ses citoyens à la condition d’esclaves sous la dépendance d’un État qui ne reconnaît aucun pouvoir au-dessus ni en dehors de lui-même. » (Allocution à un groupe de sénateurs des États-Unis, 17 novembre 1949).
144. Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953.
145. Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953. Le pape donne quelques exemples : fusillade d’innocents, camps de concentration, déportations en masse, violences contre les femmes, travail forcé de civils, justice arbitraire, etc..
146. Question posée in Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953.
147. Discours à la VIIIe Assemblée de l’Association médicale mondiale, 30 septembre 1954. Dans son Message de Noël du 23 décembre 1956, il dira : « Quand brûlant pour ainsi dire les étapes de tractations et de médiations possibles, on menace d’utiliser les armes atomiques pour l’obtention d’exigences concrètes, que celles-ci soient justifiées ou non, il est manifeste que dans les circonstances présentes peut se vérifier dans une nation le cas où, une fois devenu vain tout effort pour la conjurer, la guerre, pour se défendre efficacement et avec espoir de succès contre d’injustes attaques, ne pourrait être considérée comme illicite. »
148. Radio-message du 24 décembre 1944.
149. _Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19 octobre 1953.
150. Radio-message de Noël, 22 décembre 1957.
151. Nous suivrons ici le Discours aux journalistes catholiques du 18 février 1950.
152. Pie XII ajoute que le journaliste doit aussi manifester amour et respect vis-à-vis de l’Église telle qu’elle est, en évitant le « servilisme muet » comme  la « critique sans contrôle », le « spiritualisme illusoire et irréel » comme le « réalisme défaitiste et matérialisant ». Ainsi, il « pourra éluder toutes les idées fausses, par excès ou par défaut, sur le rôle et sur les possibilités de l’Église dans le domaine temporel et, de nos jours, surtout, dans la question sociale et le problème de la paix ».
153. Le Pape continue : « Dès lors, au contraire, que la prétendue opinion publique est dictée, imposée, de gré ou de force, que les mensonges, les préjugés partiaux, les artifices de style, les effets de voix ou de gestes, l’exploitation du sentiment viennent rendre illusoire le juste droit des hommes à leurs propres convictions, alors se crée une atmosphère lourde, malsaine, factice qui, au cours des événements, à l’improviste, aussi fatalement que les odieux procédés chimiques aujourd’hui trop connus, suffoque ou stupéfie ces mêmes hommes et les contraints à livrer leurs biens et leur sang pour al défense et le triomphe d’une cause fausse et injuste. En vérité, là où l’opinion publique cesse de fonctionner librement, c’est la que la paix est en péril. »
154. Summi pontificatus, 20 octobre 1939. Sous le pontificat de Léon XIII, le cardinal Rampolla traduisait bien la même pensée au nom du Souverain Pontife, dans une notre diplomatique adressée au ministre des Affaires étrangères du tsar Nicolas II : « Pour que cessent les défiances et les motifs réciproques d’offensive et de défensive et pour qu’un esprit de paix, se répandant à travers les peuples de l’univers, les amène à se regarder comme des frères, il faut que la justice chrétienne ait pleine vigueur dans le monde, que les maximes de l’Évangile rentrent en honneur, et que l’art difficile de gouverner les peuples ait pour facteur principal cette crainte de Dieu qui est le commencement de la sagesse. Aujourd’hui encore, le Pape ne cesse pas d’employer sa force morale, avec un constant souci, pour faire pénétrer dans les esprits des peuples l’idée chrétienne de justice et d’amour, pour rappeler les nations aux devoirs réciproques de fraternité… et pour opposer au droit de la force la force du droit, conformément aux principes de l’Évangile ». (15 septembre 1898) (cité in COSTE R., op. cit., p. 270).
155. La coexistence dans la crainte conserve à la guerre « tout son crédit comme si elle était l’unique expédient pour subsister et l’unique régulatrice des rapports internationaux. » Mais la crainte peut devenir « frein à la guerre et stimulant à la paix », s’il s’agit « de la crainte salutaire de Dieu, qui défend et garantit l’ordre moral ». A ce moment, le problème de la guerre devient « une question de conscience devant Dieu » et la guerre d’agression devient un « crime affreux ».
   De plus, la coexistence des deux « blocs » nourrie par la crainte, repose, de part et d’autre, sur deux erreurs. La première consiste à donner la première place à l’économie alors qu’ « il faut se persuader que les relations économiques entre les nations seront d’autant plus des facteurs de paix qu’elles obéiront davantage aux règles du droit naturel, qu’elles s’inspireront de la charité, auront égard aux autres peuples et seront source d’entraide. » La seconde erreur concerne les principes qui font l’unité des deux parties. L’une rêve d’un « paradis terrestre » à partir de l’organisation sociale, l’autre (l’Europe) rêve aussi d’unité mais est gangrénée encore par le nationalisme.
   Pour que « la coexistence actuelle rapproche de la paix l’humanité », il faut qu’elle soit une « coexistence dans la vérité », une vérité, chrétienne spécialement, « vécue, communiquée, appliquée dans tous les domaines de la vie », avec charité, souci de la justice et du bien-être général.
156. Lettre De periculis, 30 avril 1767.
157. Lettre Post peractam, 3 mars 1792.
158. N° 62, 8 décembre 1864. Condamnation reprise de son Allocution Novos et ante du 28 septembre. 1860.
159. Op. cit., p. 304.
160. Il confirme, le 2 juin 1943 : « Notre pensée et Notre affection s’élancent vers les petites nations, celles qui, par leur position géographique ou géopolitique, dans l’inobservance actuelle des lois morales et juridiques internationales, sont exposées facilement à être entraînées dans les conflits des grandes Puissances, jusqu’à assister dans leurs terres, devenues le théâtre de luttes dévastatrices, à d’indicibles horreurs, n’épargnant pas les non-combattants et fauchant la fleur de leur jeunesse et de leurs classes intellectuelles. » (Allocution au Sacré Collège).
161. Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953.
162. COSTE R., op. cit., p. 310.
163. Cf. Radio-message du 24 décembre 1944 ; Allocution à des parlementaires américains, 21 août 1945 ; Radio-message du 24 décembre 1948 : « La doctrine catholique sur l’État et la société civile s’est toujours fondée sur le principe que selon la volonté divine les peuples forment ensemble une communauté ayant un but et des devoirs communs ».
164. COSTE R., op. cit., p. 315.
165. Cf. Allocution au NATO College, 1er novembre 1955.
166. On le voit dans son Radio-message du 10 novembre 1956 après l’écrasement de la révolution hongroise. L’anticommunisme de Pie XII n’est ni simpliste ni aveugle. Ainsi, Dans le Message de Noël du 24 décembre 1955, il demande aux chrétiens « de ne pas se contenter d’un anticommunisme fondé sur le principe et la défense d’une liberté vide de contenu ». Il les exhorte « bien plutôt à édifier une société dans laquelle la sécurité de l’homme repose sur cet ordre moral » dont il a souvent parlé. A l’Est comme à l’Ouest, on s’attache à une fausse sécurité par la puissance de la science, de la technique, de l’industrie, dans « l’oubli ou la méconnaissance de la présence du Christ dans le monde. »
167. Radio-message du 24 décembre 1948.
168. Radio-message, 22 décembre 1957 : « Mais le projet sur lequel finalement les défenseurs de l’harmonie divine dans le monde sont invités à appliquer le meilleur de leurs efforts, c’est le problème de la paix. […] La loi divine de l’harmonie dans le monde impose strictement à tous les gouvernants des peuples l’obligation d’empêcher la guerre par des institutions internationales capables de placer les armements sous une surveillance efficace d’effrayer par la solidarité assurée entre les nations, qui veulent sincèrement la paix celui qui voudrait la trouble. »
169. Discours aux journalistes catholiques, 18 février 1950 : « Dès lors […
170. Discours au Congrès international des études sociales, 3 juin 1950 : « Arrière les préoccupations égoïstes de nationalités et de classes, qui puissent gêner le moins du monde une action loyalement entreprise et vigoureusement menée, dans la conspiration de toutes les forces et de toutes les possibilités sur toute la surface du globe, dans le concours de toutes les initiatives et de tous les efforts des individus et des groupes particuliers, dans la collaboration universelle des peuples et des États, chacun apportant sa contribution respective de richesses : en matières premières, en capitaux, en main-d’œuvre. […
171. Radio-message du 24 décembre 1954.
172. Non seulement, l’Église peut se prononcer sur la question « de la moralité de la guerre, de son caractère légitime ou illégitime dans les conditions où on la fait de nos jours » mais aussi sur la question « de la possibilité d’y collaborer pour l’homme qui a des principes religieux ». (Discours à l’épiscopat, 2 novembre 1954).
173. Radio-message du 24 décembre 1953.
174. Après avoir évoqué la répression de l’insurrection hongroise puis la menace de guerre atomique, Pie XII rappelle les principes : « Il est manifeste que dans les circonstances présentes peut se vérifier dans une nation le cas où, une fois devenu vain tout effort pour la conjurer, la guerre pour se défendre efficacement et avec espoir de succès contre d’injustes attaques, ne pourrait être considérée comme illicite.
   Si donc une représentation populaire et un gouvernement élus au suffrage libre, dans une nécessité extrême, avec les moyens légitimes de politique extérieure et intérieure, établissent des mesures de défense et exécutent les dispositions qu’ils jugent nécessaires, ils se comportent également d’une manière qui n’est pas immorale, en sorte qu’un citoyen catholique ne peut faire appel à sa propre conscience pour refuser de prêter les services et de remplir les devoirs fixés par la loi. En cela, Nous Nous sentons pleinement en harmonie de pensée avec Nos prédécesseurs Léon XIII et Benoît XV, lesquels n’ont jamais nié cette obligation, mais ont déploré profondément la course effrénée aux armements et les périls moraux de la vie dans les casernes, et indiqué comme remède efficace, ainsi que Nous le faisons, le désarmement général.
   Il y a donc des cas et des moments dans la vie des nations, où seul le recours à des principes supérieurs peut établi nettement les limites entre le droit et le tort, entre le licite et l’immoral, et apaiser les consciences en face de graves résolutions. » (Message de Noël du 23 décembre 1956). Tous les mots de ce passage sont importants car ils montrent bien les limites du pouvoir de la conscience personnelle. On retrouve ici, dans le contexte d’une guerre défensive les règles de la guerre juste.
175. « …aucune instance supérieure n’est habilitée à commander un acte immoral ; il n’existe aucun droit, aucune obligation, aucune permission d’accomplir un acte en soi immoral, même s’il est commandé, même si le refus d’agir entraîne les pires dommages personnels… » Ainsi, le pape rappellera-t-il la condamnation de la torture, il réaffirme la condamnation portée déjà par le pape Nicolas Ier (de 858-867) en 866. (Discours au VIe Congrès international de droit pénal, 3 octobre 1953). Il réaffirme sa condamnation dans son Allocution à la Commission internationale de la police criminelle du 15 octobre 1954. Dans le même ordre d’esprit, il montrera dans son Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, le 19 octobre 1953, que les médecins ne peuvent participer à la guerre « ABC ».
176. Radio-message du 24 décembre 1944.
177. « La conscience est comme le noyau le plus intime et secret de l’homme. C’est là qu’il se réfugie avec ses facultés spirituelles dans une solitude absolue : seul avec lui-même, ou mieux, seul avec Dieu - dont la voix se fait entendre à la conscience - et avec soi-même. C’est là qu’il se détermine pour le bien ou pour le mal ; c’est là qu’il choisit entre le chemin de la victoire ou de la défaite. Même s’il le voulait, l’homme ne réussirait jamais à s’en débarrasser ; avec elle, soit qu’elle l’approuve, soit qu’elle le condamne, il parcourra tout le chemin de la vie, et avec elle encore, témoin véridique et incorruptible, il se présentera au jugement de Dieu. La conscience est donc, pour prendre une image antique mais tout à fait juste, un αδυτον, un sanctuaire, sur le seuil duquel tout doit s’arrêter ; tous, même le père et la mère, lorsqu’il s’agit d’un enfant. » (Radio-message à l’occasion de la « Journée de la famille », 23 mars 1952).
178. « …la personne, l’État, le pouvoir public avec leurs droits respectifs se trouvent tellement liés et unis entre eux qu’ils se soutiennent ou s’écroulent tous ensemble. Et comme cet ordre absolu [des êtres et des fins], aux yeux de la saine raison et surtout de la foi chrétienne, ne peut avoir d’autre origine qu’en un Dieu personnel, notre Créateur, il suit de là que la dignité de l’État est la dignité de la communauté morale voulue par Dieu, que la dignité de l’autorité politique est la dignité de sa participation à l’autorité de Dieu ». (Radio-message du 24 décembre 1944).
179. Le P. FESSARD a abordé cette question dans un article consacré intitulé « Face à la crise internationale » (Etudes, t. CCXXXIX, p. 162) écrit : « Puisque, à chaque fois, de près ou de loi, c’est le tout de sa vie qui est en jeu, que peut donc faire de mieux l’homme de la rue pour sauvegarder sa vie et ses raisons de vivre que de se faire lui-même juge ? Juge des événements à mesure qu’ils se produisent et finalement des décisions qui s’imposent. Mais juge d’abord des principes invoqués et des arguments présentés par ceux qui sollicitent sa prise parti pour la paix ou pour la guerre. Et surtout, d’un bout à l’autre du conflit, juge toujours au nom de l’idéal le plus haut qu’il puisse trouver dans sa conscience et dans le monde. »
   Puis, dans un autre article consacré précisément à « La guerre de 1939 et la conscience française » (Etudes, t. CCXL, p. 510), il précise : « chacun de nous, en présence d’un litige entre nations, doit s’efforcer de se faire juge ; et il doit être prêt en face de toute agression à devenir, au risque de sa vie et même de l’existence de sa nation, « agent de la paix ». »

⁢i. Quelle est l’originalité de la pensée de Pie XII par rapport au passé ?

Sa position est plus restrictive que celle des anciens théologiens. En effet, il applique à toute guerre, offensive ou défensive, les restrictions qui avaient été établies, jadis, pour la guerre offensive. d’autant plus que le pays agressé l’est peut-être en fonction d’une ancienne injustice qu’il a commise. Aux notions de guerres offensive ou défensive, notions qui trouvent chez les théologiens passés et contemporains, des définitions mouvantes⁠[1], Pie XII, comme nous l’avons vu, substitue les notions de guerres d’agression⁠[2] ou de légitime défense. En fait, Pie XII qui ne définit pas clairement la guerre d’agression, ne veut sans doute pas d’une formule trop rigide qui ne rencontrerait pas telle ou telle situation réelle.⁠[3]

De plus, s’il existe un organisme supérieur aux États qui puisse rendre justice, le prince est dépouillé du droit de guerre qu’il avait à une époque d’inorganisation internationale. L’injustice à laquelle on peut répondre, doit être « très grave, atteignant la communauté », « évidente et extrêmement grave » et ne peut être corrigée ni par négociations directes ni par l’autorité supranationale. L’injustice extrêmement grave est une atteinte aux biens supérieurs : la dignité de la personne et ses droits inaliénables,  la servitude politique et la ruine économique. Si l’on recourt finalement à la guerre, encore faut-il que les avantages l’emportent sur les dommages et que l’on ait une possibilité de victoire, que la guerre soit un « moindre mal »⁠[4]. L’évaluation est toujours, évidemment difficile⁠[5]. Et peut-on blâmer une résistance purement spirituelle à l’envahisseur injuste ou, a contrario, le sacrifice consenti d’un peuple qui préférerait risquer de mourir, à l’instar des martyrs, plutôt que de perdre un bien supérieur aux biens matériels et à la vie elle-même ?

Finalement, le droit de guerre -de guerre de légitime défense- implique-t-il, ipso facto, le devoir de l’exercer ? Le rôle d’un État est certes de défendre son peuple, mais en fonction de ce devoir, il peut décider une résistance armée ou non.

Plus qu’ailleurs, le problème, on s’en rend compte, par sa gravité, doit être soumis à la vertu de prudence que nous étudierons dans le dernier volume.

Pie XII face à la perspective d’une  communauté organique des États 

Non seulement, Pie XII, nous l’avons vu, a réagi, tout au long de son pontificat aux événements tragiques et menaçants de l’actualité mais il a aussi, et dès le début⁠[6], envisagé ce que deviendrait le débat sur la guerre si, à l’avenir, les États se regroupaient dans une communauté capable de faire face au danger de conflits.

Comment le problème devrait-il se poser à partir du moment où les États, puissants et faibles, collaboreraient dans la vérité et la justice, la fidélité et la confiance, pour que règne « une sincère solidarité juridique et économique »[7] Cette communauté est hautement souhaitable et va dans le sens du projet de Dieu sur l’humanité. Cette communauté a été souhaitée par Léon XIII, Benoît XV et Pie XI. Pie XII veut aller plus loin dans ce sens et en tenant compte des erreurs du passé⁠[8]. Aux membres du Congrès du Mouvement universel pour une confédération mondiale, il déclare : « Votre Mouvement […] s’attache à réaliser une organisation politique efficace du monde. Rien n’est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l‘Église, ni plus adapté à son enseignement sur la guerre légitime ou illégitime, surtout dans les conjonctures présentes. » Le mode d’organisation doit être « fédéraliste », se construire sur des valeurs objectives et, en évitant le « mécanisme unitaire, elle ne jouira d’une autorité effective que dans la mesure où elle sauvegardera et favorisera la vie propre d’une saine communauté humaine, d’une société dont tous les membres concourent ensemble au bien de l’humanité tout entière. »[9]

Pie XII souhaite donc « une communauté juridique d’États libres ». Alors que « l’histoire universelle qui présente une suite ininterrompue de luttes pour le pouvoir pourrait sans aucun doute faire apparaître comme une utopie » cette communauté, « cette fois, au contraire, c’est précisément la volonté de prévenir des conflits menaçants qui pousse vers une communauté juridique supranationale ; les considérations utilitaires qui, sans aucun doute, pèsent aussi notablement, sont orientées vers des œuvres de paix ; et finalement, c’est peut-être précisément le rapprochement technique qui a réveillé la foi sommeillant dans l’esprit et dans le cœur des individus, en une communauté supérieure des hommes, voulue par le Créateur et s’enracinant dans l’unité de leur origine, de leur nature et de leur fin. »[10]

La nouveauté prometteuse vient donc du désir de paix porté par une opinion publique marquée par la guerre et, d’autre part, du fait d’ « une interdépendance mutuelle croissante des peuples »[11] De nombreuses organisations internationales témoignent de cette volonté de rapprochement et de solidarité. Mais il y a aussi et surtout, ne l’oublions pas, et c’est pour cela que Pie XII rappelle la volonté du Créateur : « l’action plus pénétrante d’une loi immanente de développement »[12]. En effet, « la tendance à former des Communautés de peuples » est née d’« une impulsion intime, dérivant de leur unité d’origine, de nature et de fin, et qui doit manifestement servir au plein développement voulu par le Créateur, de chacun des individus, des peuples, de la famille humaine entière moyennant une collaboration croissante, respectueuse cependant des patrimoines culturels et moraux de chaque groupe. »[13]

Il ya un bien commun universel qui doit être protégé et enrichi par l’ensemble de la communauté humaine : « …le bien commun, fin essentielle » de toutes les sociétés, famille, État ou Société des États, « ne peut ni exister ni être conçu, sans leur relation intrinsèque avec l’unité du genre humain. Sous cet aspect, l’union indissoluble des États est un postulat naturel, un fait qui s’impose à eux et auquel, bien que parfois avec hésitation, ils se soumettent comme à la voix de la nature, s’efforçant d’ailleurs de donner à leur union un règlement extérieur stable, une organisation.

L’État et la Société des États avec son organisation -par leur nature, selon le caractère social de l’homme, et malgré toutes les ombres, comme l’atteste l’expérience de l’histoire- sont donc des formes de l’unité et de l’ordre entre les hommes, nécessaires à la vie humaine et coopérant à son perfectionnement. Leur concept même dit la tranquillité de l’ordre, cette tranquillitas ordinis qui est la définition que saint Augustin donne de la paix ; elles sont essentiellement une organisation pour la paix. »[14]

La communauté juridique supranationale dont rêve Pie XII n’élimine pas mais suppose d’autres communautés régionales comme autant de corps intermédiaires⁠[15]. « Ce sont des Communautés dans lesquelles les États souverains, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas subordonnés à aucun autre État, s’unissent en une communauté juridique afin de poursuivre des buts juridiques déterminés. Ce serait donner une fausse idée de ces communautés juridiques que de les comparer aux empires du passé ou du présent où des races, des peuples et des états sont fondus de gré ou de force en un complexe unique. En ce cas-ci, au contraire, les États restent souverains et s’unissent librement en communauté juridique. »[16]

La souveraineté de l’État n’est pas et d’ailleurs n’a jamais été sans limites dans la mesure où « chaque État est immédiatement sujet du droit international ».⁠[17] Il est donc logique qu’il y ait par-dessus les États « un organisme investi de commun accord d’une autorité suprême »[18] qui n’enlève pas aux communautés intermédiaires ni aux États leurs responsabilités. Au contraire : « Le droit positif des peuples, indispensable lui aussi dans la Communauté des États, a pour tâche de définir plus exactement les exigences de la nature et de les appliquer aux circonstances concrètes et de prendre en outre, par une convention qui, librement contractée est devenue obligatoire, des dispositions ultérieures, toujours ordonnées à la fin de la communauté. »[19] d’ailleurs, « aucune organisation du monde ne saurait être viable si elle ne s’harmonise avec l’ensemble des relations naturelles, avec l’ordre normal et organique qui régit les rapports particuliers des hommes et des divers peuples. Faute de quoi, qu’elle qu’en soit la structure, il lui sera impossible de tenir debout et de durer. »[20]

La tâche est difficile et l’autorité supranationale devra faire preuve de vertu, de sagesse et de créativité : « Quelle dose de fermeté morale, d’intelligence prévoyante, de souplesse d’adaptation devra posséder cette autorité mondiale, nécessaire plus que jamais dans les moments critiques où face à la malveillance, les bonnes volontés ont besoin de s’appuyer sur l’autorité. […] En vérité, il est impossible de résoudre le problème de l’organisation politique mondiale sans consentir à s’écarter parfois des chemins battus, sans faire appel à l’expérience de l’histoire, à une saine philosophie sociale, et même à une certaine divination de l’énergie créatrice. »[21]

En effet, les problèmes sont nombreux. Il faut tenir compte de l’extrême diversité des peuples, des mœurs, des cultures, des systèmes sociaux, économique et politiques mais aussi des tendances contraires à l’uniformisation ou à l’exclusion, à l’individualisme ou à la domination, à l’égoïsme ou à la générosité. Face à cette hétérogénéité, « il est facile de déduire le principe théorique fondamental du traitement de ces difficultés et tendances : dans les limites de ce qui est possible et permis, promouvoir ce qui facilite et rend plus efficace l’union, endiguer ce qui la trouble ; supporter parfois ce qu’on ne peut aplanir et ce pour quoi d’autre part on ne pourrait laisser sombrer la communauté des peuples à cause du bien supérieur que l‘on attend d’elle. La difficulté réside dans l’application de ce principe. »[22]

Dans cette tâche, la communauté internationale peut, si elle le désire, compter sur la collaboration d’une autre société supranationale qui a l’expérience de la diversité : l’Église catholique qui est même « le modèle le plus achevé de la société universelle »[23] car elle a le sens du particulier et de l’universel. d’une part, « l’Église, du fait de sa mission, a trouvé et trouve devant elle des hommes et des peuples d’une merveilleuse culture, d’autres d’une inculture à peine compréhensible, et tous les degrés intermédiaires possibles : diversité de races, de langues, de philosophies, de confessions religieuses, d’aspirations et de particularités nationales ; peuples libres et peuples esclaves, peuples qui n’ont jamais appartenu à l’Église et peuples qui se sont détachés de sa communion. L’Église doit vivre parmi eux et avec eux ; elle ne peut jamais, en face d’aucun, se déclarer « non intéressée ». »[24] Mais « le sens principal de la supranationalité de l’Église est de donner, d’une manière durable, figure et forme au fondement de la société humaine, au-dessus de toutes les diversités, au-delà des limites de l’espace et du temps ». Comment s’y prend-elle et quel est le fondement ? « Elle embrasse et sanctifie tout ce qui est vraiment humain ; elle fait converger et elle ordonne les multiples aspirations et les fins particulières vers le but total et commun de l’homme, qui est sa ressemblance la plus parfaite possible avec Dieu. » Ainsi, l’Église « cherche en premier l’homme lui-même ; elle s’efforce de former l’homme, de modeler et de perfectionner en lui la ressemblance avec Dieu. Son travail s’accomplit au fond du cœur de chacun, mais il a sa répercussion sur toute la durée de la vie, dans tous les champs de l’activité des individus. Dans ces hommes ainsi formés, l’Église prépare à la société humaine une base sur laquelle elle peut reposer avec sécurité. » C’est « au plus intime de l’homme, de l’homme dans sa dignité personnelle de créature libre, dans sa dignité infiniment plus haute d’enfant de Dieu » que l’Église agit. L’Église ne vise donc pas à constituer « comme un gigantesque empire mondial ». S’adressant prioritairement à chaque personne en particulier, elle fait le contraire de l’impérialisme moderne : « L’Église […] n’est pas un empire, surtout dans le sens impérialiste que l’on donne ordinairement aujourd’hui à ce mot. Elle suit dans son progrès et dans son expansion une marche inverse d celle de l’impérialisme moderne. Elle progresse avant tout en profondeur, puis en extension et en étendue. […] L’impérialisme moderne, au contraire, suit une route opposée. Il procède en extension et en étendue. Il ne cherche pas l’homme en tant que tel, mais les choses et les forces auxquelles il le fait servir ; par suite, il porte en lui des germes qui mettent en danger le fondement de la communauté humaine. »

Non seulement le chemin de l’Église est inverse mais il est aussi tout autre sur le plan pratique comme Pie XI l’a montré dans Quadragesimo anno que Pie XII rappelle bien à propos : « ce que les particuliers peuvent faire par eux-mêmes et par leurs propres moyens ne doit pas leur être enlevé et transféré à la communauté ; ce principe vaut également pour les groupements plus petits et d’ordre inférieur par rapport aux plus grands et d’un rang plus élevé. Car, poursuivait le sage Pontife, toute activité sociale est de sa nature subsidiaire ; elle doit servir de soutien aux membres du corps social et ne jamais les détruire ni les absorber. »[25]

L’ONU n’est-elle pas cette organisation supranationale souhaitée par Pie XII ?

Dès les travaux préparatoires, c’est-à-dire dès 1944, Pie XII exprima ses encouragements⁠[26] car la gestation ne fut pas simple. Et lorsque la Charte des nations-Unies, fut signée, des lacunes apparurent immédiatement. Notamment le fait que la question du maintien de la paix incombait d’abord au Conseil de sécurité fragilisé par le droit de veto des grandes puissances. Réaliste, Pie XII conscient des imperfections, se réjouit malgré tout ce qui éatit un progrès par rapport à l’ancienne Société des Nations : « Dans l’aréopage mondial des Nations Unies et à côté de grandes puissances, a été érigée, même pour les nations plus petites, une tribune publique d’orateurs […], laquelle, par sa vaste résonnance, mériterait bien d’être mise au service d’une digne et juste paix.

Il est vrai que, après les désillusions et les expériences souvent humiliantes de l’après-guerre, aucune intelligence clairvoyante et raisonnable ne se sentira poussée à donner plus de valeur qu’il ne faut aux immédiates et palpables possibilités de cette tribune mondiale.

Cependant, il ne reste pas moins vrai qu’aucun de ceux qui ont pris çà cœur, comme un devoir sacré, de lutter pour une paix digne, doive renoncer à se servir de cette possibilité, si limitée qu’elle soit, pour secouer la conscience du monde à partir d’un lieu si haut placé et si en évidence, même dans le cas où d’innombrables indices sembleraient démontrer que leurs raisons risquent de n’être -pour un temps plus ou moins long - qu’une simple « voix dans le désert ». »[27]

Cette position n’empêchera pas le Souverain Pontife de critiquer certaines attitudes, certaines carences de l’Organisation. Ainsi, lors des affaires du canal de Suez et de Hongrie en 1956, l’ONU se montre sévère vis-à-vis de l’intervention de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël d’une part et indulgente vis-à-vis de l’URSS d’autre part, Pie XII déclare : « Bien que le programme qui est à la base des Nations Unies se propose d’assurer les valeurs absolues dans la vie en commun des peuples, le passé récent a toutefois montré que le faux réalisme réussit à prévaloir chez un bon nombre de ses membres, même quand il s’agit de rétablir le respect de ces mêmes valeurs de la société humaine qui se trouvent ouvertement foulées aux pieds. Les vues unilatérales qui tendent à faire agir selon les circonstances uniquement en fonction de l’intérêt et de la puissance ont pour effet que les cas d’accusation pour perturbation de la paix se trouvent traités de façon diverse, si bien que l’importance respective qu’ils ont à la lumière des valeurs absolues se voit purement et simplement inversée. » Le Saint Père continue : « Personne n’attend nui ne réclame l’impossible, pas même des nations Unies ; mais on aurait pu s’attendre à ce que leur autorité ait eu quelque poids, au moins par l’intermédiaire d’observateurs dans les lieux où les valeurs essentielles pour l’homme sont dans un péril extrême. Si juste qu’il soit de reconnaître que l’ONU condamne des violations graves des droits des hommes et de peuples entiers, on pourrait cependant désirer que, dans des cas semblables, des États qui vont jusqu’à refuser d’admettre des observateurs - montrant ainsi qu’ils ont de la souveraineté de l’État une notion qui mine les fondements mêmes de l’ONU - ne soient pas autorisés à exercer leurs droits de membres de l’Organisation elle-même. Celle-ci devrait aussi avoir le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d’un État dans un autre, sous quelque prétexte qu’on entende le faire, non moins que d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé. » Malgré ces critiques, Pie XII estime que l’institution est importante et a un rôle déterminant à jouer en faveur de la paix : « Si Nous faisons allusion à ces aspects défectueux, c’est parce que Nous désirons voir renforcer l’autorité de l’ONU, surtout pour l’obtention du désarmement général, qui Nous tient tant à cœur, et dont Nous avons déjà parlé d’autre fois. En effet, c’est seulement dans le cadre d’une Institution comme celle des nations Unies que l’engagement de chacun des États à réduire ses armements, et spécialement à renoncer à la production et à l’emploi de certaines armes pourra être pris de commun accord et transformé en obligation stricte de droit international. De même seules les Nations Unies sont présentement en état d’exiger l’observation de cette obligation, en assurant le contrôle effectif des armements de chacun sans aucune exception. Son application au moyen de l’observation aérienne, tout en évitant les inconvénients auxquels pourrait donner lieu la présence de commissions étrangères, assure la vérification effective de la production et du potentiel militaire avec une facilité relative. Il y a, en vérité, quelque chose de prodigieux dans ce que la technique a su obtenir dans ce domaine. »[28]

Outre le désarmement⁠[29] et le contrôle par l’envoi d’observateurs qualifiés ou la surveillance aérienne, une autre tâche devrait être assumée par l’organisation superétatique : elle devrait veiller non seulement au contrôle, à l’application mais aussi à la révision éventuelle des accords internationaux. A plusieurs reprises, Pie XII va insister sur cette dernière fonction⁠[30] mais en vain. R. Coste fait remarquer, à ce point de vue que la charte des Nations Unies est en retrait par rapport à ce que le pacte de la SDN avait reconnu⁠[31].

L’organisation superétatique peut-elle disposer d’une force armée ? Il semble que oui même si de manière claire et explicite Pie XII ne se soit pas prononcé. Il y a dans ses discours quelques indices qui s’inscrivent bien dans la logique d’une action internationale. Ainsi, quand il évoque_« la formation d’un organisme pour le maintien de la paix, d’un organisme investi de commun accord d’une autorité suprême »_ il précise qu’il « aurait aussi dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective. » Comment « étouffer » cette menace sans un bras armé ? Il faut que la guerre, continue-t-il, « se sente toujours sous le coup de la proscription et toujours sous la surveillance d’une action préventive ». Quelle action ? Il répond : « si besoin est, les sanctions économiques et même l’intervention armée »[32]. Et si nous relisons le Message de Noël 1956 cité plus haut, nous voyons qu’il souhaite que l’ONU ait « le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d’un État dans un autre, sous quelque prétexte qu’on entende le faire, non moins que d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé. »

d’autres sanctions contre l’agresseur sont prévues : la perte des « droits de membres de l’Organisation elle-même »[33], les « sanctions économiques » comme nous venons de le voir⁠[34], la  réparation des dommages  et l’imposition de mesures de sécurité après la défaite⁠[35]. A chaque fois cependant, Pie XII demande la modération dans l’application de ces sanctions toujours provisoires et qui doivent tenir compte du fait que toute personne jouit de droits inviolables.⁠[36]

L’organisation internationale doit encore ajouter à ces sanctions, comme nous l’avons déjà signalé précédemment, le châtiment des grands criminels de guerre. Les premiers coupables sont les hommes d’État qui ont préparé et ordonné l’agression. Ils doivent être l’objet de sanctions pénales⁠[37]. Pie XII témoin de deux guerres, témoin surtout, pour la question qui nous intéresse ici, des procès de Nuremberg⁠[38] et Tokyo⁠[39] va longuement développer sa pensée lors du VIe Congrès international de droit pénal qui s’était tenu à Rome⁠[40]. Il va insister sur l’élaboration d’un droit pénal international et la constitution d’un tribunal international, nécessaire vu la mobilité des citoyens et surtout à cause des guerres et des troubles politiques violents.

Le droit pénal doit sanctionner partout et, « si possible d’une manière également sévère » « au moins les délits les plus graves » « de sorte que les coupables ne puissent nulle part se soustraire ou être soustraits au châtiment ». Pour cela il faut « des règles juridiques claires et fermes » pour que la punition ne soit pas le fruit de « l’arbitraire et [de] la passion »[41]. Quels sont les délits les plus graves ? Le crime de guerre tout d’abord, c’est-à-dire le crime qu’est la guerre « qui n’exige pas la nécessité inconditionnée de se défendre et qui entraîne […] des ruines, des souffrances et des horreurs inimaginables ». Sont visés également certains procédés de guerre : fusillades de masse, massacres raciaux, camps de concentration, déportations, violences contre les femmes, les civils, travail forcé, chantage, etc.

Le droit doit aussi donner des garanties juridiques en matière d’arrestation, d’instruction judicaire⁠[42], de défense des accusés.

Pour ce qui est du tribunal national ou international qui offre, entre autres, une possibilité d’appel, il doit être composé de juges impartiaux.⁠[43]
   L’impartialité du collège des juges doit être assurée aussi et surtout quand les relations internationales sont engagées dans les procès pénaux. En pareil cas, il peut être nécessaire de recourir à un tribunal international, ou du moins de pouvoir en appeler du tribunal national à un tribunal international. Celui qui n’est pas impliqué dans le différend, ressent un malaise lorsqu’après la fin des hostilités, il voit le vainqueur juger le vaincu pour des crimes de guerre, alors que ce vainqueur s’est rendu coupable envers le vaincu de crimes analogues. Les vaincus peuvent sans doute être coupables ; leurs juges peuvent avoir un sens manifeste de la justice et la volonté d’une entière objectivité ; malgré cela, en pareil cas, l’intérêt du droit et la confiance que mérite la sentence demanderont assez souvent d’adjoindre au tribunal des juges neutres, de telle manière que la majorité décisive dépende de ceux-ci. Le juge neutre ne doit pas considérer alors comme de son devoir d’acquitter l’accusé ; il doit appliquer le droit en vigueur et se comporter d’après lui. Mais l’adjonction précitée donne à tous les intéressés immédiats, aux tiers hors de cause et à l’opinion publique mondiale une assurance plus grande que le « droit » sera prononcé. Elle constitue sans aucun doute une certaine limitation de la souveraineté propre ; mais cette renonciation est plus que compensée par l’accroissement de prestige, par le surplus de considération et de confiance envers les décisions judiciaire de l’État qui agit ainsi. »
   Peut-on conclure sur cette base que Pie XII a réprouvé les procès évoqués ? Non. Il en a souligné les imperfections mais n’ pas mis en cause sa légitimité. Par ailleurs, il faut reconnaître la modération et le sérieux manifestés à Nuremberg comme à Tokyo. Le nombre de témoins et d’audiences en témoigne de même que le peu de condamnations capitales : 12 à Nuremberg sur 31 personnes et organisations accusées et 7 à Tokyo sur 28 prévenus. Il y eut même trois acquittements à Nuremberg et un condamné à mort fut acquitté à titre posthume par un autre tribunal chargé de la dénazification en 1953. ]


1. Cf. COSTE R., op. cit., pp. 273-280.
2. La notion d’agression elle-même est difficile à définir objectivement comme le montrent les pactes de la SDN ou Briand-Kellog ou encore la charte de l’ONU.
3. Le cardinal Ottaviani définit la guerre défensive comme celle « par laquelle un État s’efforce de repousser l’agression armée, injuste et actuelle d’un autre États. » (Institutiones juris publici ecclesiastici, 1947), cité in COSTE R., op. cit., p. 276.
4. « La volonté chrétienne de paix […] se garde bien de poursuivre avec la force des armes la revendication de droits qui, si légitimes soient-ils, ne compensent pas le risque de susciter un incendie avec toutes ses effrayantes conséquences spirituelles et matérielles ». ( Radio-message du 24 décembre 1948).
5. COMBLIN J. (op. cit., II, p. 47) voit une contradiction entre la pensée de Pie XII et celle du cardinal Ottaviani (1890-1979) alors assesseur à la Sacrée Congrégation du Saint-Office. Pour le cardinal Ottaviani, la guerre a tellement changé de nature à l’époque contemporaine qu’on ne peut plus appliquer tels quels les anciens principes régissant la guerre juste : « Ce n’est pas que nous rejetions les théories des éminents docteurs du droit international. En effet, la guerre dont parlent ces hommes est une réalité fort différente de cette autre réalité qu’est la guerre d’aujourd’hui. Et, en vérité, il ne s’agit pas seulement de différence concernant le nombre, ou la quantité, mais d’une différence authentique au point de vue de la substance même de la réalité à laquelle ces principes sont appliqués.  (cité in COMBLIN J., op. cit., II, p. 48) Dès lors, « en ce qui concerne le fait de mener une guerre, il ne peut jamais y avoir aujourd’hui de ces conditions qui, théoriquement, pourraient rendre une guerre juste et licite. De plus, il faut ajouter qu’il ne peut jamais y avoir de cause d’une nature ou d’une importance telle qu’elle puisse être considérée comme entrant en proportion avec tant de maux, de carnages, de destructions et avec une telle ruine de valeurs morales et religieuses. Ainsi donc, il ne sera jamais permis en pratique, de déclarer une guerre ; et même, il ne faudra pas entreprendre une guerre défensive, à moins que l’autorité légitime à qui il appartient d’en décider, ne possède avec la certitude de la victoire, des arguments sûrs, démontrant que le bien procuré au peuple par cette guerre défensive l’emporte sur les maux immenses qui résulteront de cette guerre pour ce même peuple et pour la terre entière. » (Institutiones juris publici ecclesiastici, Rome, 1947, § 86). On voit finalement que le texte du cardinal ne contredit pas la pensée de Pie XII. La guerre défensive peut être justifiée si les biens menacés l’emportent sur les maux à prévoir et s’il y a quelque chance de succès. C’est bien ce que répète Pie XII : « Parmi ces biens, il en est de telle importance pour la communauté humaine, que leur défense contre une agression injuste est, sans aucun doute, pleinement justifiée. » (Radio-message Noël 1948) ; « Ce droit à se tenir sur la défensive on ne peut le refuser même aujourd’hui à aucun État » ; « Si les autres peuples désirent protéger leur existence et leurs biens les plus précieux et s’ils ne veulent pas laisser les coudées franches aux malfaiteurs internationaux, il ne leur reste qu’à se préparer pour le jour où ils devront se défendre. » (Allocution aux membres du VIe Congrès international de droit pénal, 3/10/1953)
6. Il suffit de relire le Message de Noël du 24 décembre 1940.
7. Id..
8. Dès 1939, il déclarait : « En toute réorganisation de communauté internationale, il serait conforme aux maximes de l’humaine sagesse que toutes les parties en cause déduisissent les conséquences provenant des déficiences et des lacunes du passé. Et dans la création ou la reconstruction des institutions internationales (lesquelles ont une mission si haute, mais en même temps si difficile et si pleine de très graves responsabilités), on devrait faire état des expériences qui découlèrent de l’inefficacité ou du défectueux fonctionnement de semblables initiatives antérieures. » (Message de Noël, 21 décembre 1939).
9. Allocution aux membres du Congrès du Mouvement universel pour une Confédération mondiale, 6 avril 1951.
10. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
11. Discours au Centre italien d’études pour la réconciliation internationale, 13 octobre 1955.
12. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
13. Discours au Centre italien d’études pour la réconciliation internationale, 13 octobre 1955.
14. Radio-message au monde, 24 décembre 1951.
15. Pie XII appuya le projet d’une Communauté politique européenne. Cf. Discours au Congrès de l’Europe, 13 juin 1957.
16. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
17. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
18. Radio-message du 24 décembre 1944.
19. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
20. Allocution aux membres du Congrès du Mouvement universel pour une Confédération mondiale, 6 avril 1951.
21. Id..
22. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
23. Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946 : « L’Église est, en effet, la société parfaite, la société universelle, qui embrasse et unit entre eux tous les hommes dans l’unité du Corps mystique du Christ [….]. »
24. Discours à des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953.
25. Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946.
26. Cf. Radio-message au monde entier à l’occasion du Ve anniversaire du début de la présente guerre mondiale, 1er septembre 1944 : « Aujourd’hui que, à la lumière de tant des terribles expériences, le désir d’une telle institution universelle de paix s’impose de plus en plus à l’attention et à la sollicitude des hommes d’États et des peuples, Nous exprimons avec plaisir Notre satisfaction et Nous formons le vœu que la réalisation concrète corresponde vraiment dans la plus large mesure à la grandeur du but qui est le maintien, à l’avantage de tous, de la tranquillité et d la sécurité dans le monde. » Cf. aussi le Discours au Sacré Collège du 2 juin 1945 : « La pensée d’une nouvelle organisation de la paix a jailli -personne ne pourrait en douter- du vouloir le plus droit et le plus loyal. Toute l’humanité suit, anxieuse, le progrès d’une aussi noble entreprise. Quelle amère déception ce serait si elle venait à échouer, si tant d’années de souffrances et de privations étaient rendues vaines pour laisser triompher de nouveau cet esprit d’oppression dont le monde espérait se voir finalement libéré pour toujours. »
27. Discours au Ministre plénipotentiaire du Salvador, 28 octobre 1947.
28. Discours de Noël, 23 décembre 1956. Après avoir longuement décrit les perfectionnements techniques en matière de photographie arienne, le pape conclut : « Accepter le contrôle ; voilà le point crucial à franchir, sur lequel chaque nation montrera sa volonté sincère de paix ».
29. Voir aussi le Message de Noël, 24 décembre 1939.
30. Dès 1939, Pie XII après avoir rappelé la nécessité d’être fidèle « aux traités stipulés et sanctionnés conformément aux règles du droit des gens », fait remarquer : « Il est vrai qu’avec l’évolution des temps et les changements substantiels des circonstances, non prévus et peut-être impossibles à prévoir au moment de la stipulation, un traité, ou quelques-unes de ses clauses, peuvent devenir ou paraître injustes, ou irréalisables, ou trop lourdes pour l’une des parties ; et il est clair que, si cela arrivait, on devrait instituer à temps une loyale discussion pour modifier ou remplacer le pacte. Mais considérer par principe les traités comme éphémères et s’attribuer tacitement la faculté de les annuler unilatéralement le jour où ils ne conviendraient plus, ce serait détruire toute confiance réciproque entre les États. L’ordre naturel se trouverait renversé, des fossés de séparation impossibles à combler se creuseraient entre les peuples et les nations. » (Encyclique Summi pontificatus). La même année, il revient à cette idée : « Et comme il est si difficile à la nature humaine, on serait tenté de dire presque impossible, de tout prévoir et de tout assurer au moment des négociations de paix, alors qu’il est fort malaisé de se dépouiller de toute passion et de toute amertume, l’établissement d’institutions juridiques, qui servent à garantir la loyale te fidèle application des conventions et , en cas de besoin reconnu, à les revoir et corriger, est d’une importance décisive pour une honorable acceptation d’un traité de paix et pour éviter d’arbitraires et unilatérales atteintes et interprétations en ce qui regarde les conditions des traités eux-mêmes. » (Message de Noël, 24 décembre 1939). La même idée est reprise dans les Radio-messages de Noël 1941 et 1946).
31. En son article 19 : « L’Assemblée peut, de temps à autre, inviter les membres de la Société à procéder à un nouvel examen des traités devenus inapplicables, ainsi que des situations internationales dont le maintien pourrait mettre en péril la paix du monde. » Si l’ONU n’a pas repris d’une manière ou d’une autre cette possibilité, la faute en incombe, toujours selon R. Coste, à l’URSS, championne du statu quo. (Cf. op. cit., pp. 406-409).
32. Radio-message de Noël, 24 décembre 1944.
33. Message de Noël, 23 décembre 1956.
34. Radio-message de Noël, 24 décembre 1944.
35. Cf. Discours des 24 décembre 1945 et 1946.
36. Il faut éviter que l’organisation de la paix « ne consacre définitivement aucune injustice, qu’elle ne lèse aucun droit au détriment d’aucun peuple (qu’il appartienne au groupe des vainqueurs, des vaincus ou des neutres), qu’elle ne perpétue aucune imposition ou charge, en dehors de celles qui sont seules temporairement permises comme réparation des dommages de guerre. Que certains peuples, dont les gouvernements -ou peut-être aussi eux-mêmes en partie- portent l’imputation d’être responsables de la guerre, aient à supporter durant quelque temps les rigueurs des mesures de sécurité, jusqu’au moment où les liens de confiance mutuelle violemment visés se soient peu à peu renoués, c’est là chose humainement explicable et, selon toute probabilité, ce sera chose pratiquement inévitable. Néanmoins, ces peuples devront avoir, eux aussi, l’espoir bien fondé, dans la mesure de leur loyauté et de leur coopération effective aux efforts pour la restauration future, de pouvoir devenir, tout comme les autres États, avec la même considération et les mêmes droits, associés à la grande communauté des nations. Leur refuser cet espoir serait le contraire d’une sagesse prévoyante, assumer la responsabilité de barrer le chemin à une libération générale de toutes les conséquences désastreuses, matérielles, morales et politiques du gigantesque cataclysme qui a secoué jusque dans ses dernières profondeurs la pauvre famille humaine, mais qui en même temps lui a indiqué la route vers de nouveaux buts. » (Radio-message du 24 décembre 1944). « Qui veut des réparations doit les demander en se basant sur l’ordree moral, sur le respect des droits naturels inviolables, qui subsistent même chez ceux qui se sont rendus sans conditions au vainqueur » (Discours du 24 décembre 1945). Il faut éviter « une excessive restriction du niveau de vie et de la reprise économique chez les vaincus. » (Discours du 24 décembre 1946).
37. Cf. Radio-message d u 24 décembre 1944.
38. Du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946.
39. Du 19 janvier 1946 au 12 novembre 1948.
40. Discours aux participants reçus en audience à Castelgandolfo le 3 octobre 1953.
41. Pie XII donne cinq critères qui doivent servir à l’évaluation de la sanction : « 1° la valeur des biens lésés ; ce ne seront que les plus considérables ; 2° la force d’attrait qui pousse à léser ; 3° l’intensité de la volonté mauvaise que l’on déploie habituellement quand on commet ces délits ; 4° le degré de perversion de l’ordre juridique dans la personne du délinquant, au cas, par exemple, où ceux qui devraient être les gardiens du droit le violent eux-mêmes ; 5° la gravité de la menace qui pèse sur l’ordre juridique à cause de circonstances extraordinaires, qui d’une part accentuent le péril d’entreprises délictueuses, et d’autre part les rendent beaucoup plus redoutables dans leurs effets. qu’on songe, par exemple, aux situations d’exception, aux états de guerre et de siège ».
42. Le pape condamne la torture.
43. Il est clair que, dans le passage qui suit, Pie XII vise les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo du moins en ce qui concerne leur composition. A Nuremberg, le ministère public était composé par les vainqueurs : Américains, Anglais, Français et Soviétiques. A Tokyo, onze nations victimes sont représentées : Grande-Bretagne, Chine, Pays-Bas, France, Australie, Canada, Nouvelle Zélande, Inde, Philippines, USA et URSS. Le grand « ordonnateur étant le général Mac Arthur. Pie XII n’hésite pas non plus à évoquer les crimes impunis des vainqueurs. Souvenons-nous des bombardements alliés sur Berlin (30.000 morts en 1944), Hambourg (45.000 morts) et Dresde (100.000 morts en février 1945). Souvenons-nous aussi des 215.000 victimes d’Hiroshima (6 août 1945) et Nagasaki (9 août 1945).
   « Aux garanties du droit se rattache comme un facteur essentiel, la composition impartiale de la cour de justice. Le juge ne peut être « parti », ni personnellement ni pour l’État. Un juge qui possède le sens véritable de la justice renoncera de lui-même à l’exercice de sa juridiction dans le cas où il devrait se considérer comme partie. […

⁢ii. Conclusion

Nous avons pu constater combien la pensée de Pie XII a été marquée par les événements dramatiques de la première moitié du XXe siècle mais aussi par ses prédécesseurs Benoît XV et Pie XI qu’il a servis comme par les travaux de Vitoria, Taparelli et Don Sturzo.

La guerre moderne est devenue tellement horrible qu’il est devenu presque impossible de l’humaniser. Elle ne peut plus être un moyen de régler les différends internationaux. Ceux-ci peuvent être confiés à une autorité internationale qui, appuyée par un vrai sens religieux, serait garante de la paix mondiale.⁠[1]

En attendant, bien sûr, les États ont le droit de se défendre⁠[2] mais il faut travailler à la constitution d’une organisation supranationale qui enlèverait aux États même leur droit à la « guerre juste », expression qui ne peut que choquer tout être raisonnable et le chrétien en particulier. Dans un monde inorganisé, L’État est le « juge de sa propre cause » et le vainqueur ne sera pas nécessairement celui qui avait raison. De plus, les conditions imposées par le vainqueur ne seront pas nécessairement justes. Cette situation est irrationnelle et le droit devient aléatoire.⁠[3]

Pour que le droit soit respecté et que la guerre soit réellement ce qu’elle est, c’est-à-dire irrationnelle, la communauté organique des États est indispensable.

Encore faut-il que l’institution internationale fonctionne bien et ait les compétences politiques, juridiques et exécutives requises pour des actions préventives et répressives. Dans cette hypothèse, la « guerre » comme ultime moyen de préserver ou rétablir la paix devient « une opération de police internationale, exclusivement réservée à l’initiative et à la direction des organismes superétatiques »[4]. C’est, semble-t-il, ce que suggérait Pie XII lorsqu’il évoquait le droit de l’ONU « d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé »[5].

Tout au long de notre parcours, nous avons eu l’occasion de comprendre que l’Église a un rôle important à jouer à côté et en faveur des entreprises politiques et surtout dans la formation des consciences. Le Christ est le prince de la paix et la construction de la paix est une obligation morale puisque tous les hommes sont frères. Or, « le monde est bien éloigné de l’ordre voulu par Dieu dans le Christ, cet ordre qui garantit une paix réelle et durable. On dira peut-être que dans ce cas il ne valait pas la peine de tracer les grandes lignes de cet ordre et de mettre en lui la contribution fondamentale de l’Église à l’œuvre de la paix. On Nous objectera que de la sorte Nous stimulons le cynisme des sceptiques et aggravons le découragement des amis de la paix, si celle-ci ne peut être défendue que par le recours aux valeurs éternelles de l’homme et de l’humanité. On Nous opposera, enfin, que Nous donnons effectivement raison à ceux qui voient dans la « paix armée » le mot dernier er définitif dans la cause de la paix, solution déprimante s’il en est pour les forces économiques des peuples, exaspérante pour les nerfs. Et pourtant, Nous estimons indispensable de fixer le regard sur l’ordre chrétien, que trop de gens perdent de vue actuellement, si on veut, non seulement en théorie, mais aussi en pratique, se rendre compte de la contribution que tous, et en premier lieu l’Église, peuvent en vérité apporter, même en des circonstances défavorables et en dépit des sceptiques et des pessimistes. Avant tout, ce regard convaincra tout observateur impartial que le noeud du problème de la paix est présentement d’ordre spirituel, qu’il est déficience ou défaut spirituel. Trop rare dans le monde d’aujourd’hui  est le sens profondément chrétien, trop peu nombreux sont les vrais et parfaits chrétiens. De la sorte, les hommes eux-mêmes mettent obstacle à la réalisation de l’ordre voulu de Dieu. Il faut que chacun se persuade du caractère spirituel inhérent au péril de la guerre. Inspirer une telle persuasion est, en premier lieu, un devoir de l’Église. C’est aujourd’hui sa première contribution à la paix. »[6]

Quels sont donc les obstacles que les hommes opposent à l’ordre chrétien ? Nous les avons rencontrés au cours de nos lectures à travers les documents pontificaux. Rappelons-les brièvement : l’État totalitaire⁠[7], le nationalisme⁠[8], les rivalités politiques internes, le chômage et la misère, le déséquilibre économique et les inégalités exagérées dans les niveaux de vie⁠[9]. Qui ne voit que cet état de choses a pour effet de grouper des foules énormes dont la misère et le désespoir - qui forment un contraste si violent avec l’aisance excessive de ceux qui vivent dans le luxe sans fournir le moindre secours aux indigents - font des proies faciles pour ces propagandistes rusés et séduisants qui offrent aux intelligences trompées par les fausses apparences de la vérité, des doctrines dissolvantes. […] il n’est pas possible d’avoir la paix si les choses ne sont pas dans l’ordre, de même il ne peut pas y avoir d’ordre si l’on écarte la justice. Mais celle-ci exige que l’on donne à l’autorité légitimement établie le respecte t l’obéissance qui lui sont dus ; elle exige que les lois soient faites avec sagesse pour le bien commun et que tous les observent par devoir de conscience. La justice demande que tous reconnaissent et respectent les droits sacrés de la liberté et de la dignité humaines ; que les innombrables ressources et richesses que Dieu a répandues dans le monde entier soient réparties, pour l’utilité de tous ses enfants, d’une façon équitable et avec droiture. La justice veut enfin que l’action bienfaisante de l’Église catholique […] ne soit ni attaquée ni empêchée. » (Homélie de Pâques, 9 avril 1939).
   Pie XII dénonce « ces germes de conflit qui consistent dans les différences trop criantes dans le domaine de l’économie mondiale ». (Message du 24 décembre 1940). ], la conquête prioritaire des richesses naturelles et des marchés⁠[10],et encore le racisme, la peur, le mensonge, les erreurs philosophiques, le mépris des lois naturelles, le positivisme juridique, et fondamentalement l’athéisme et le matérialisme. Bref, « le nœud du problème de la paix est présentement d’ordre spirituel, […] il est déficience ou défaut spirituel ». Répandre dans le monde le sens chrétien est le service le plus précieux que puisse rendre l’Église à la cause de la paix : « La paix […] ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l’ordre de l’univers par Lui établi, dans la société dûment organisée des États, dans laquelle chacun d’eux réalise, à l’intérieur, l’organisation de paix des hommes libres et de leurs familles et à l’extérieur celle des peuples, dont l’Église dans son champ d’action et selon son office se fait garante. […] En attendant, l’Église apporte sa contribution à la paix en suscitant et en stimulant l’intelligence pratique du nœud spirituel du problème […].⁠[11]

Pie XII meurt en octobre 1958.


1. « Si l’humanité se conformant à la volonté divine, applique ce sûr moyen d salut qu’est le parfait ordre chrétien dans le monde, elle verra bien vite s’évanouir pratiquement jusqu’à la possibilité de la guerre, même juste, qui n’aura plus aucune raison d’être, du moment que sera garantie l’activité de la Société des États comme véritable organisation pour la paix. » (Radio-message du 24 décembre 1951).
2. L’article 51 de la Charte de l’ONU stipule « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portés à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »
3. COSTE R., op. cit., pp. 448-457.
4. Id., p. 471.
5. Message du 23 décembre 1956.
6. Radio-message du 24 décembre 1951.
7. L’État totalitaire, « d’un trait de plume, il change les frontières des États ; par une décision péremptoire, il soustrait l’économie d’un peuple, qui, pourtant, est toujours une partie de sa vie nationale, à ses possibilités naturelles ; avec une cruauté mal dissimulée, il expulse lui aussi des millions d’hommes , des centaines de milliers de familles, dans la misère la plus sombre, de leurs maisons et de leurs terres, en les déracinant et en les arrachant à une civilisation et à une culture que des générations entières avaient travaillé à former ; Lui aussi pose des limites arbitraires à la nécessité et au droit d’émigrer, au désir de coloniser. Tout cela constitue un système contraire à la dignité et au bien du genre humain. […] Comme in bacille dangereux, il infecte la communauté des nations et la rend incapable d’être garante de la sécurité des nations particulières. » (24 décembre 1945).
8. Il reste un danger pour l’Europe : « Il est clair que si la communauté européenne poursuivait dans cette voie, sa cohésion deviendrait bien fragile, en comparaison de celle du group qu’elle a en face d’elle. […] qu’on ne vienne pas dire que dans les circonstances nouvelles le dynamisme de l’État nationaliste ne représente plus un péril pour les autres peuples, du fait qu’il est privé, dans la majorité des cas, d’une véritable force économique et militaire ; en effet, le dynamisme d’une imaginaire puissance nationaliste, même exprimé par des sentiments plus que manifesté par des actes, choque également les esprits, alimente la méfiance et le soupçon dans les alliances, et il empêche la compréhension réciproque et par suite la collaboration loyale et l’aide mutuelle, ni plus ni moins que s’il était appuyé sur une effective puissance. » (Radio-message du 24 décembre 1954).
9. « Comment avoir la paix alors que tant d’hommes, des centaines de mille, manquent de travail […
10. « L’esprit, une fois entraîné dans le gouffre moral pour s’être éloigné de Dieu et de la pratique chrétienne, les pensées, les projets, les entreprises des hommes, leur estimation des choses, leur action et leur travail n’avaient plus d’autre issue que de se tourner et de regarder vers le monde matériel ; leurs fatigues et leurs peines, plus d’autre but que de se dilater dans l’espace pour grandir plus que jamais au-delà de toute limite dans la conquête des richesses et d la puissance, rivaliser de vitesse à produire plus et mieux tout ce que l’avancement et le progrès matériels semblaient exiger. d’où, dans la politique, la prévalence d’un élan effréné vers l’expansion et le pur crédit politique, sans souci de la morale ; dans l’économie, la domination des grandes et gigantesques entreprises et groupements ; dans la vie sociale, l’affluence et l’entassement des masses d’hommes, en pénible surabondance, dans les grandes villes et dans les centres d’industrie et de commerce et cette instabilité qui suit et accompagne toute multitude d’hommes qui change de maison et de résidence, de pays et de métier, de passions et d’amitiés. » (Radio-message du 24 décembre 1941).
11. Radio-message du 24 décembre 1951.