Elu le 6 février 1922, le nouveau Pape publie, le 23
décembre l’encyclique Ubi arcano, dans laquelle
se trouve tout le programme de son pontificat. d’emblée Pie XI s’inscrit dans la ligne
tracée par son prédécesseur : « L’état de choses n’a pas changé qui a
préoccupé, durant tout son pontificat […], il est donc logique que
Nous fassions Nôtres ses initiatives et ses vues en ce qui concerne ces
questions ». L’élément le plus préoccupant est que « ni les individus,
ni la société, ni les peuples n’ont encore, après la catastrophe d’une
pareille guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité active et
féconde que le monde appelle n’est pas encore rétablie ». Et de citer
ces paroles des prophètes « qui s’appliquent et conviennent
merveilleusement à notre époque : « Nous attendions la paix et nous
n’avons rien obtenu de bon ; le temps du remède, et voici la
terreur ; le temps de la guérison, et voici
l’épouvante ». « Nous attendions la lumière,
et voici les ténèbres […] ; le jugement, et il n’y en a pas ; le
salut, et il s’est éloigné de nous ». En fait,
« dans tous les pays qui ont participé à la dernière guerre, les
vieilles haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de
s’affirmer ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme
dans les fluctuations du change, ou sur le terrain découvert de la
presse quotidienne et périodique ; elles ont même envahi des domaines
qui, de par leur nature, sont fermés aux conflits aigus, tels que l’art
et la littérature. » Les pays vaincus accusent les vainqueurs de les
opprimer et dépouiller, et les vainqueurs se traitent entre eux en
ennemis. Même les pays qui n’ont pas participé au conflit sont accablés.
La crise est générale et s’aggrave « d’autant plus que les multiples
échanges de vues auxquels les hommes politiques ont procédé jusqu’ici,
et leurs efforts pour remédier à la situation ont donné un résultat nul,
et pire même qu’on ne prévoyait. » Dans cette ambiance menaçante, les
nations se sentent obligées de vivre « sur pied de guerre » ruineux et
délétère. A l’intérieur de nations, la situation n’est pas meilleure :
lutte des classes, grèves, soulèvements, révoltes, répressions,
terrorisme, politiques partisanes et intéressées, désagrègent la
société. La famille déjà en décadence avant guerre et les églises sont
bouleversées par la guerre. Faut-il s’étonner que les âmes soient
« devenues inquiètes, aigries et ombrageuses », que la paresse,
l’insubordination, l’impudeur et la misère s’étendent ? Bref, le chaos
s’installe, « l’humanité semble retourner à la barbarie ».
Pascendi de la même année où il
énumère les tares du modernisme : agnosticisme, immanentisme,
évolutionnisme, subjectivisme, relativisme]
Comment expliquer un tel bouleversement ? La réponse est dans
l’Évangile : « Tous ces maux procèdent du dedans », la paix, en effet, « n’a pas été gravée dans les cœurs. » Au
contraire, des années de haine ont occulté la dignité de la personne
humaine et fait du prochain « un étranger et un ennemi ». Seuls
comptent la force et le nombre. Seuls comptent les biens terrestres que
l’on se dispute à l’envi, dédaignant les biens éternels. L’apôtre
jacques avait donc raison d’écrire : « d’où viennent les guerres et les
conflits parmi vous ? N’est-ce pas de vos convoitises ? » Le Souverain Pontife développe cette idée : « C’est à ces
convoitises déréglées, se dissimulant, pour donner le change, sous le
voile du bien public et du patriotisme, qu’il faut attribuer sans
contredit les haines et les conflits qui s’élèvent périodiquement entre
les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissant
de multiples, vertus et d’actes d’héroïsme lorsqu’il est réglé par la
loi chrétienne, n’en devient pas moins un germe d’injustices et
d’iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du
droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent dan cet
excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant
que membres de l’universelle famille humaine, sont liés entre eux par
des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et
à la prospérité, mais encore qu’il n’est ni permis ni utile de séparer
l’intérêt de l’honnêteté : la justice fait la grandeur des nations, le
péché fait le malheur des peuples. » Pourquoi
donc, au fond, la paix est-elle absente ? La Parole de Dieu nous
révèle que : « Ceux qui abandonnent le Seigneur seront réduits à
néant » Et Jésus nous a avertis : « Sans moi,
vous ne pouvez rien faire », « celui qui ne
recueille point avec moi dissipe ». Quels que
soient les efforts des hommes, s’ils se séparent de Dieu, s’ils
l’excluent de la vie publique, de la société, de la famille, de
l’éducation, les « germes de discorde » éclosent en guerre et la
guerre par sa cruauté renforce les haines.
Quels remèdes apporter à tant de maux si graves ? La réponse du pape est
lucide et précise : « Il y a bien peu à attendre d’une paix
artificielle et extérieure qui règle et commande les rapports
réciproques des hommes comme ferait un code de politesse ; ce qu’il
faut, c’est une paix qui pénètre les cœurs, les apaise et les ouvre peu
à peu à des sentiments réciproques de charité universelle. Une telle
paix ne saurait être que la paix du Christ
[…]. » Il n’y a pas d’autre paix. Il nous a
révélé que nous étions tous frères, que nous
devions nous aimer les uns les autres et porter les fardeaux les uns des
autres. Certes, « la paix est œuvre
de justice » mais « encore cette justice ne
doit-elle pas adopter une brutale inflexibilité de fer ; il faut qu’elle
soit dans une égale mesure tempérée par la charité ». Or, la charité
est une « vertu qui est essentiellement destinée à établir la paix
entre les hommes ». Et, comme le montre Paul, la Rédemption est
« moins une œuvre de justice -elle l’est certes- qu’une œuvre divine de
réconciliation et de charité ». Le Christ est notre paix « puisque,
en même temps que dans sa chair il satisfaisait sur la croix à la
justice divine, il tuait en lui-même les inimitiés, réalisant la
paix, et en lui réconciliait les hommes et le
monde avec Dieu. » Saint Thomas le confirme : « la paix véritable et
authentique est plus de l’ordre de la charité que de la justice, cette
dernière ayant mission d’écarter les obstacles à la paix tels que les
torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout
spécialement un acte de charité ».
Comment cette paix s’établit-elle ? En s’attachant d’abord aux
« réalités spirituelles et éternelles »,
par « la persévérance et la fermeté d’âme », en mettant « un frein
aux convoitises ». En reconnaissant en Dieu, le Créateur et le Maître
du monde, on respectera l’ordre, la loi et l’autorité, la dignité de la
personne humaine, la pureté des mœurs, le sacrement de mariage et la
sainteté de la famille.
C’est la mission de l’Église catholique d’apporter ces remèdes par son
enseignement pour pacifier le monde et conjurer « les menaces
imminentes de nouvelles guerres ». « Il ne saurait y avoir aucune paix
véritable -cette paix du Christ si désirée- tant que tous les hommes ne
suivront pas fidèlement les enseignements, les préceptes et les exemples
du Christ, dans l’ordre de la vie publique comme de la vie privée ; il
faut que, la famille humaine régulièrement organisée, l’Église puisse
enfin, en accomplissement de sa divine mission, maintenir vis-à-vis des
individus comme de la société tous et chacun des droits de
Dieu. »
Selon la formule de Paul, il faut donc « tout restaurer dans le
Christ », les individus, les familles, les
sociétés. En effet, « le jour où États et gouvernements se feront un
devoir sacré de se régler, dans leur vie politique, au-dedans et au
dehors, sur les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ, alors,
mais alors seulement, ils jouiront à l’intérieur d’une paix profitable,
entretiendront des rapports de mutuelle confiance, et résoudront
pacifiquement les conflits qui pourraient surgir. »
Cette restauration ne peut être purement une œuvre civile mais surtout
une œuvre d’Église.
Dans ce travail de restauration, le Souverain Pontife va prendre sa
part.
Le 7 avril 1922, il avait encouragé la Conférence internationale de la
Paix bien conscient du danger des haines persistantes qui « tournent au
désavantage des peuples vainqueurs eux-mêmes et préparent pour tous un
bien redoutable avenir ; […] la meilleure garantie de tranquillité
n’est pas une forêt de baïonnettes, mais la confiance mutuelle et
l’amitié. »
d’année en année, il constate que la paix ne s’établit toujours pas et
s’inquiète de plus en plus : « l’Europe même est en proie à de
multiples et graves calamités. Sur le continent et dans les îles
importantes, des nations très florissantes jadis et foyers rayonnants de
civilisation, s’épuisent en des combats fratricides qui causent aux une
et aux autres des pertes incalculables, et menacent dès maintenant
d’entraîner l’ensemble de l’Europe et par voie de conséquence l’humanité
tout entière. » Et
si l’on n’écoute pas le pape, « ce qui nous est et sera toujours
possible, c’est de supplier le Dieu de la paix de rétablir et d’affermir
sa paix dans tous les esprits, d’inspirer à tous des sentiments de
justice et de charité, et de les amener peu à peu à la conclusion
d’ententes amicales. »
Attaché cependant à combattre le mal à la racine, il va dénoncer les
sources de la violence tout particulièrement dans les idéologies à la
mode et à la lumière des événements dramatiques qui vont se dérouler
durant tout son pontificat en Russie, en Allemagne, au Mexique, en
Italie et en Espagne,
tous pays où les chrétiens sont d’une manière ou d’une autre persécutés
ou discriminés, où la
religion est étouffée : « Le monde presque entier est à présent
fortement agité par des dissidences, des erreurs et des théories
nouvelles qui semblent donner à notre époque un caractère
d’exceptionnelle importance historique.
La doctrine et la vie chrétiennes sont elles aussi en péril dans bien
des parties du monde. Des idées douteuses ou entièrement malhonnêtes
qui, il y a quelques années, n’étaient que chuchotées dans certains
cercles avides d’innovations, sont aujourd’hui prêchées sur les toits et
ouvertement mises à exécution. La décadence des mœurs privées et
publiques a mené à l’érection, en beaucoup de lieux, de funestes
symboles de la révolte contre la Croix du Christ. […] seule l’auguste
et intègre doctrine chrétienne peut revendiquer pleinement les droits et
les libertés de l’homme parce que ce n’est qu’elle qui reconnaît à la
personne humaine sa valeur et sa dignité. C’est pourquoi les
catholiques, illuminés sur la nature et les qualités de l’homme, sont
nécessairement les champions de ses légitimes droits et de ses légitimes
libertés, et protestent au nom de Dieu contre la fausse doctrine qui
tente de dégrader la dignité de l’homme, en l’asservissant au bon
plaisir d’une tyrannie néfaste ou en le détachant cruellement du reste
de la famille humaine, comme ils rejettent aussi au nom de Dieu toute
doctrine sociale qui traite l’homme comme un simple instrument matériel
dans la compétition économique ou dans la lutte des
classe. »
Que ce soit contre le bolchevisme, le racisme, le nationalisme,
l’étatisme, « le mal essentiel est le
même : la divinisation d’une collectivité sociale, raciale ou
politique » au détriment de la dignité humaine et le Saint Père
précise, pour que tous sachent qu’elle appartient à tous les hommes sans
discrimination quelconque : « la dignité humaine consiste en ceci : que
tous font une seule grande famille, le genre humain, la race
humaine ».
Et tout cela n’est pas qu’une querelle d’idées mais une question de vie
ou de mort dans la lutte entre le bien et le mal. « En face de
l’armée du mal, qui, par ses méthodes de haine, de violence,
d’oppression des consciences, de méconnaissance de la dignité de l’âme
humaine, poursuit avec acharnement la lutte contre tout ce qui rappelle
le nom chrétien, en face de ces forces déchaînées qui travaillent à
soulever les hommes les uns contre les autres au risque de provoquer des
cataclysmes sanglants », il n’y a qu’une armée, celle qui ne dispose
que d’une seule arme, celle de la charité du Christ.
Le Saint Père se rend compte que les responsables des nations et
peut-être les nations elles-mêmes ne l’écoutent plus.
Reste la prière : « Que les peuples s’entredéchirent de nouveau, que
sur terre, sur mer et dans les airs, tous les moyens soient mis en œuvre
pour le massacre et la destruction totale, ce serait un crime si
monstrueux et un tel accès de folie que Nous ne croyons nullement qu’on
puisse en arriver là […] Que s’il se trouve quelqu’un -ce qu’à Dieu ne
plaise et Nous avons confiance que cela n’arrivera pas- qui ose méditer
et préparer un tel fléau, Nous ne pourrions Nous empêcher de renouveler
au Dieu tout-puissant cette prière : Seigneur, dissipez les peuples qui
veulent la guerre ».
Son Radio-message de Noël 1936, alors qu’il est déjà malade, est
marqué du même souci : « Cette année, la divine bonté Nous permet de
contribuer aux prières, aux œuvres, aux sacrifices de tous par
l’expérience personnelle de la souffrance, qui jusqu’ici Nous avait
étonnamment épargné. » Il prie le Seigneur d’accepter « cette offrande
que Nous lui faisons et qui veut être, maintenant et toujours, en pleine
conformité avec sa très sainte volonté, pour sa gloire aujourd’hui plus
sataniquement que jamais combattue, pour la conversion de tous les
égarés, pour la paix et pour le bien de l’Église tout entière, et d’une
façon toute particulière pour l’Espagne très éprouvée et qui, pour cela
même, Nous est très chère. »
Tous les fidèles sont invités à implorer le Ciel, dernier recours contre
la guerre qui menace : « Tandis que des millions d’hommes vivent dans
l’anxiété devant l’imminent danger de guerre et devant la menace de
massacres et de ruines sans exemple, Nous accueillons dans Notre cœur
paternel le trouble de tant de Nos fils et Nous invitons évêques,
clergé, religieux » fidèles à s’unir à Nous dans la prière la plus
confiante et la plus insistante pour la conservation de la paix, dans la
justice et dans la charité. Que le peuple fidèle recoure, encore une
fois, à cette puissance désarmée, mais invincible de la prière afin que
Dieu, dans les mains de qui est le sort du monde, soutienne chez tous
les gouvernants la confiance dans les voies pacifiques de loyaux
pourparlers et d’accords durables et inspire à tous, en harmonie avec
les paroles de paix souvent répétées, des sentiments et des œuvres aptes
à la favoriser et à la fonder sur les bases sûres du droit et des
enseignements évangéliques.
Reconnaissant, au delà de toute expression, de toutes les prières
qu’ont faites et que font encore pour Nous les fidèles de tout le monde
catholique, Nous offrons de tout cœur cette vie que, grâce à ces
prières, le Seigneur nous a accordée et pour ainsi dire renouvelée :
Nous offrons pour le salut, pour la paix du monde le don inestimable
d’une vie déjà longue, soit que le Maître de la vie et de la mort
veuille Nous l’enlever, soit qu’il veuille, au contraire, prolonger plus
encore les journées de labeur de l’ouvrier affligé et fatigué.
Nous avons d’autant plus la confiance de voir Notre offrande acceptée
avec bienveillance qu’elle est faite conjointement à la mémoire
liturgique du doux et héroïque martyr saint Wenceslas, et qu’elle va
préluder à la fête du saint Rosaire, à la célèbre supplique, au mois
consacré au saint rosaire, pendant lequel redoubleront dans tout le
monde catholique, comme Nous le recommandons aussi vivement, la ferveur
et l’assiduité à cette dévotion qui a déjà obtenu de si grandes et si
bienfaisantes interventions de la Très Sainte Vierge dans les destinées
de l’humanité troublée. »
Les hommes n’ont pas entendu ou ils n’ont pas écouté les paroles les
avertissements de Benoît XV et de Pie XI. Et quand ils les ont écoutés,
ils les ont mal compris ou n’ont pas voulu les comprendre. Nous l’avons
vu pendant et après la guerre de 1914-1918. Nous le constatons encore à
la veille de la guerre de la seconde guerre
mondiale.