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e. Benoît XV, le pape de la paix

Ce pontificat⁠[1] est marqué, bien sûr par la guerre mais aussi, dans cette circonstance, par un vrai divorce entre Rome et les Églises locales.⁠[2]

Elu le 3 septembre 1914, Benoît XV va s’employer, tout au long de la guerre, à prêcher la paix et il va œuvrer dans ce sens épouvanté par le spectacle effroyable des ruines physiques, matérielles, psychologiques, morales et spirituelles que la guerre accumule.⁠[3]

Son engagement pour la paix sera mal accueilli par les Français, à l’exception de Charles Maurras⁠[4], chef de file de l’Action française[5].

Léon Bloy⁠[6] surnommera le pape : « Pilate XV » et Georges Clémenceau⁠[7] l’appellera « le pape boche ». Du côté des puissances alliées, l’opinion est particulièrement choquée par la non-condamnation de l’invasion de la Belgique et des atrocités allemandes qui s’ensuivirent⁠[8].

Du côté allemand, pour Eric Ludendorff⁠[9] Benoît XV sera « le pape français ». Les puissances centrales alliées à l’Allemagne ne comprennent pas pourquoi le pape refuse de soutenir officiellement l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Autriche-Hongrie[Autriche-Hongrie], seul pays officiellement catholique, et l’Allemagne, qui compte en son sein les très catholiques Bavière et Rhénanie, qui a aussi un important parti catholique (Zentrum) contre des États visiblement anti-catholiques : la protestante Angleterre, « oppresseur » de l’Irlande, la Russie, schismatique, « oppresseur » quant à elle de la Pologne⁠[10], mais aussi la France, « foyer de l’athéisme ».

On soupçonna aussi le Saint-Siège d’agir dans l’intérêt de ceux qui peuvent soutenir ses revendications temporelles.⁠[11]

Voyons de plus près la position de Benoît XV.⁠[12]

Dès le 8 septembre 1914, 5 jours après son élection, Benoît XV envoie une Exhortation aux catholiques du monde entier (Ubi primum) où il s’avoue « frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien. » Et d’emblée s’exprime dans ce court message l’essentiel de ce que sera l’attitude du saint Père durant toute la guerre : comme Pie X, au tout début de la guerre, il réaffirme « son amour et sa sollicitude pour le genre humain »[13], il prie et demande que l’on prie et supplie pour que Dieu « dépose le fléau de sa colère »[14], prie et conjure les dirigeants « d’incliner désormais leurs cœurs à l’oubli de leurs différends en vue du salut de la société humaine. […] qu’ils se résolvent à entrer dans les voies de la paix et à se tendre la main. »

Le 1-11-1914, il publie l’encyclique Ad beatissimi apostolorum principis.

Le pape commence par rappeler l’universalité de l’Église et de sa mission. Son affection englobe le « troupeau immense » qui lui est confié, c’est-à-dire, « sous un aspect ou sous un autre, l’universalité des hommes. Tant qu’ils sont, en effet, ils ont été rachetés de la servitude du péché par Jésus-Christ, qui a offert pour eux le prix de son sang, et il n’en est aucun qui soit exclu des bienfaits de cette rédemption. » La mission du pape est donc de « travailler au salut de tous les hommes ». « Père commun de tous les hommes », il a « le cœur violemment déchiré au spectacle que présente l’Europe et même le monde entier, spectacle assurément le plus affreux et le plus désolant qui se soit jamais vu de mémoire d’homme ». Et de décrire ce spectacle désolant : « De tous côtés domine la triste image de la guerre […]. Des nations - les plus puissantes et les plus considérables - sont aux prises : faut-il s’étonner si, munis d’engins épouvantables, dus aux derniers progrès de l’art militaire, elles visent pour ainsi dire à s’entre-détruire avec des raffinements de barbarie ? Plus de limites aux ruines et au carnage : chaque jour la terre, inondée par de nouveaux ruisseaux de sang, se couvre de morts et de blessés. »[15] Or, « ces peuples armés les uns contre les autres » « descendent d’un même Père, […] ont la même nature et font partie de la même société humaine ».

Benoît XV rappelle aux dirigeants qu’« il y a sans nul doute, d’autres voies, d’autres moyens, qui permettraient de réparer les droits, s’il y en a eu de lésés. » Puis, il dénonce « la véritable cause de la terrible guerre » : l’abandon par les États des préceptes et des règles « de la sagesse chrétienne »[16], abandon qui se manifeste par « quatre chefs de désordre » : l’« absence de bienveillance mutuelle dans les rapports » alors que « nous sommes tous frères » ;  le « mépris de l’autorité » alors que « l’origine de tout pouvoir humain » est « en Dieu » et non « dans la libre volonté de l’homme » qui entraîne « le mépris des lois », « l’insubordination des masses », la contestation de tout pouvoir ; les « luttes injustes des différentes classes de citoyens », la « haine de classe », les grèves, les soulèvements, les agitations ; enfin, l’« appétit désordonné des biens périssables » qui révèle « une racine plus profonde » à ces maux : la cupidité alors que les biens véritables sont les biens éternels.

Le Pape ajoute à ce tableau : les dissensions entre catholiques et notamment les « monstrueuses erreurs du modernisme »[17] ainsi que la désobéissance aux évêques.

Le rétablissement de la paix est nécessaire pour que l’Église « aille sur tous les rivages et en toutes les parties du monde apporter aux homes le secours et le salut ». Mais le pape souhaite aussi, et la demande est importante, qu’il puisse retrouver la « pleine liberté » qui lui a été enlevée lors de l’annexion des États pontificaux.⁠[18] Ubi nos, ne veut accepter une loi unilatérale qui va à l’encontre à son sentiment anti-démocratique et conservateur. Pour ce motif, il utilise une expression utilisée dans les actes des Apôtres, non possumus (« nous ne pouvons pas »). En signe de protestation, lui et ses successeurs se refuseront de sortir du Vatican jusqu’à la conclusion des accords de Latran en 1929.
   En 1874, Pie IX, puis Léon XIII demandèrent aux catholiques italiens de ne pas se rendre aux urnes. Avec le fameux non expedit (« il ne convient pas »), il leur est même interdit, pendant plus de trente ans, de participer activement à la vie politique du pays.
   Les pontificats de Pie X, de Benoit XV et de Pie XI (les dix premières années du XXe siècle) voient un renversement progressif. En fait, l’affirmation des socialistes provoque l’alliance entre les catholiques et les libéraux modérés. L’http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclique[encyclique] de 1905 Il fermo proposito, est le signe de ces changements. Si d’une certaine manière elle maintient le non expedit, elle permet la participation aux élections dans des circonstances spéciales reconnues par les évêques, de sorte que de nombreux catholiques entrent au parlement à titre seulement personnel.
   Immédiatement après la fin de la Première Guerre mondiale, les premiers contacts entre le Saint Siège et le royaume d’Italie se mettent en place en 1919 par l’intermédiaire de Mgr Bonaventura Cerretti et du président du conseil Vittorio Emanuele Orlando. La même année, les catholiques réintègrent la vie politique avec la fondation du Parti populaire par don Luigi Sturzo, prêtre sicilien. À la mort de Benoit XV, pour la première fois, dans toute l’Italie, les drapeaux sont mis en berne.
   Lors de la montée du fascisme, une ouverture décisive envers l’Église se produit au lendemain de la marche sur Rome en 1922, avec l’introduction de la religion catholique dans les écoles (1923) et l’autorisation d’apposer le crucifix dans les salles. Ceci se traduit aussi par la réforme des lois ecclésiastiques entre 1923 et 1925, favorables à l’Église, et par l’élimination des syndicats catholiques.
   La « question romaine » est définitivement résolue seulement en 1929 avec les accords du Latran, signés le 11 février par Mussolini et par le pape Pie XI représenté par le Mgr Gasparri. (Wikipedia) ]

Comme nous le disions plus haut, seul Charles Maurras applaudit à la publication de cette encyclique. Pourquoi ? C’est apparemment d’autant plus étonnant que Charles Maurras est incroyant. Il s’explique dans le journal L’Action française du 17 novembre⁠[19]. Après avoir déclaré que l’Église catholique est « la seule Internationale qui tienne », l’auteur s’en prend aux « pacifistes du monde entier » et particulièrement aux socialistes qui font non seulement « si peu de cas de cette paix catholique romaine » mais, qui plus est, « veulent plus ou moins » détruire cet élément. Il s’étonne que les socialistes qui s’amusent à « manger du curé » négligent « une propagande en faveur de la paix universelle, en faveur du désir de tempérer la concurrence économique par un esprit de cordialité et d’équité ». La prise de position de Maurras est essentiellement d’ordre politique. A preuve son adhésion à l’analyse faite par Benoît XV des causes de la guerre : « l’injustice dans les relations des classes inégales », « le mépris de l’autorité » qui pour lui s’identifie à « l’élément d’anarchie et de lutte intestine inclus dans le libéralisme ». Il dénonce « la faillite du pacifisme humanitaire » d’une « monstrueuse irréalité » et encense « tout à rebours, le pacifisme catholique et pontifical [qui] se présente comme une doctrine intelligible, liée, rationnelle, supérieure aux réalités, mais en accord avec toutes les lois des choses ».  Pourquoi ? Parce que le Pape « conseille de déraciner l’avarice ».

Maurras a donc perçu l’importance, sur le chemin de la paix, d’un renouveau moral mais il a bien compris aussi pourquoi le Pape veillait, malgré les pressions, les critiques et les incompréhensions des croyants, à sauvegarder sa neutralité : « Pour conserver à l’homme de tous les pays et de tous les temps l’avantage de son bienfait (position internationale, paternité universelle, juridiction œcuménique) la papauté doit se résoudre à commencer par s’abstraire même de sentiments qui sont pour nous non seulement légitimes, mais obligatoires. Et il lui faut se résigner à ne pas correspondre à tous les recours nationaux qui, s’élançant de divers théâtres de guerre, s’annulent les uns par les autres. Surtout enfin, il lui faut procéder avec autant de lenteur et de précaution que les peuples armés mettent de promptitude et de rage à se massacrer. » Une autre attitude de la papauté serait suicidaire : « Il doit suffire de nous représenter une papauté tenant une autre conduite pour vérifier aussitôt que son pouvoir international deviendrait national, qu’elle tomberait de l’état de juge à celui de plaideur et du rang de père pacifique et silencieux au rang de fils armé et belliqueux : changer ainsi serait disparaître. Les aveugles qui souhaitent que la papauté disparaisse souhaitent cela. »

Malgré donc son nationalisme, Maurras se montre attaché à ce qu’il appelle « le dernier signe terrestre de l’unité du genre humain ». L’existence de cette autorité spirituelle « à elle seule, est un bienfait immense, parce qu’elle représente l’unité de centaines et de centaines de millions d’esprits et de cœurs. Elle incarne l’internationalité dans un siècle où les rivalités des nations se déchaînent et se déchaîneront de plus en plus. Avant qu’elle ait rien fait ni rien dit, comprenons qu’il faut la remercier d’être. »[20]

En tout cas, durant toute la durée de la guerre, Benoît XV restera fidèle à la ligne de conduite déclarée en 1914. Il n’est plus question ici de guerre juste ou injuste, il s’agit d’œuvrer pour la paix dans l’intérêt exclusif des personnes⁠[21], des jeunes gens morts, des mères, des épouses veuves, des orphelins, de l’Église universelle qui lui est plus chère que son propre sang. Le Vicaire du Christ n’est-il pas « venu continuer l’œuvre de Jésus-Christ, prince de la paix » ?⁠[22]

Le 22 janvier 1915, dans une Allocution au consistoire, Benoît XV explique : « Nous réprouvons de toutes nos forces, toutes les violations du droit partout où elles ont été commises. Mais mêler l’autorité pontificale aux disputes des belligérants, ne serait ni convenable ni utile. Quiconque juge sagement la situation voit clairement que, si dans ce débat, le Pontife romain ne peut pas ne pas avoir les plus grands soucis, il ne doit cependant être d’aucun parti. Le Pontife romain qui tient la place de Jésus-Christ, mort pour tous et pour chacun des hommes, doit embrasser dans sa charité tous ceux qui combattent. Père du monde catholique, il a de chaque côté de très nombreux fils et c’est du salut d’eux tous qu’il doit se préoccuper. Il ne doit donc pas considérer les motifs particuliers qui les divisent, mais le bien commun de la foi qui les unit. Agir autrement non seulement n’apporterait aucune aide à la cause de la paix, mais encore introduirait la jalousie dans la religion et exposerait la paix et la concorde intérieure de l’Église à de grandes perturbations. N’étant d’aucun parti, Nous nous préoccupons cependant de l’un et de l’autre […]. » Toutefois, le Saint Père estime qu’« il est bien naturel que l’âme et le cœur du Père commun de l’Église s’occupe avec plus de soin de tous ceux, où qu’ils soient, dont la piété envers lui est plus connue. » Et de citer comme exemple, « le cher peuple belge ».⁠[23]

Le 28 juillet 1915[24], Benoît XV lance sa première tentative de paix négociée, interpellant les responsables qui devront « rendre compte des entreprises publiques » comme de leurs actes privés. « Ce cruel conflit » peut être « apaisé sans la violence des armes ». Le Pape propose de « peser, dès maintenant, avec une conscience sereine, les droits et les justes aspirations des peuples » et de « commencer, avec une volonté sincère, un échange de vues, direct ou indirect, à l’effet de tenir compte, dans la mesure du possible, de ces droits et de ces aspirations, et d’arriver ainsi à la fin de cette horrible lutte, comme il est advenu en d’autres circonstances ». Et le Saint Père rappelle un principe qui trouvera beaucoup plus tard un large écho : « l’équilibre du monde, la tranquillité prospère et assurée des nations reposent sur la bienveillance mutuelle et sur le respect des droits et de la dignité d’autrui, beaucoup plus que sur la multitude des hommes d’armes et sur l’enceinte formidable des forteresses. »[25]

Le 1er août 1917, dans son Exhortation apostolique « Dès le début » adressée « Aux chefs des peuples belligérants », Benoît XV va formuler très concrètement les principes d’un règlement international du conflit.⁠[26]

Benoît XV commence par rappeler les trois engagements qu’il a pris dès le début de son pontificat : rester absolument impartial, travailler « à faire à tous le plus de bien possible » sans acception de personnes⁠[27]. Encore après la guerre, Benoît XV s’inquiétera notamment du sort des enfants éprouvés par la guerre (cf. Lettre encyclique Annus iam plenus, du 1er décembre 1920), de la situation « effroyable » et « intolérable » où se trouve l’Autriche dépecée, en proie à l’inflation et au chômage (Lettre La singolare, 24 janvier 1921), de la situation de l’Irlande qui, en grande partie à cause de la guerre, « est livrée aujourd’hui aux horreurs du pillage et des massacres » (Lettre au Cardinal Logue, 27 avril 1921), de la misère régnant en Palestine (Allocution au Consistoire, 13 juin 1921).] et tenter d’amener peuples et dirigeants « aux délibérations sereines » d’une paix juste et durable.

Uniquement soucieux du bien de tous, inquiet pour l’avenir de l’Europe, sans « aucune visée politique particulière », voici ce que le Pape propose :

Premièrement et fondamentalement, substituer la force du droit à la force matérielle, c’est-à-dire s’accorder sur « la diminution simultanée et réciproque des armements » puis instituer un arbitrage avec force contraignante ;

Ensuite, rétablir les voies de communication et assurer « la vraie liberté et communauté des mers » ;

Pour les dommages à réparer et les frais de guerre, poser le principe général d’une « condonation entière et réciproque ». Le texte officiel qui est en français, emploie ce terme « condonation » qui est un mot anglais employé uniquement dans le langage du droit conjugal dans le sens de « pardon ». Mais, vu le contexte qui évoque « les bienfaits immenses à retirer du désarmement » et l’indécence de continuer « un pareil carnage uniquement pour des raisons économique », on peut penser qu’il s’agit, au-delà du pardon, de réparations matérielles réciproques. « Condonation » est sans doute une adaptation française issue du verbe latin « condonare » qui signifie bien sûr « pardonner » mais d’abord (pensons à l’étymologie) « donner », « abandonner », « livrer », sacrifier ».

Plus concrètement encore, les territoires occupés doivent être restitués, de part et d’autre. La Belgique doit être entièrement évacuée « avec garantie de sa pleine indépendance politique, militaire et économique, vis-à-vis de n’importe quelle puissance » ; de même, le territoire français doit être évacué. De l’autre côté, les colonies allemandes seront restituées.

Pour toutes les autres questions territoriales, entre l’Italie et l’Autriche, l’Allemagne et la France, celles qui concernent l’Arménie, les États balkaniques et l’ancien Royaume de Pologne, « les parties en conflit » les examineront dans un esprit conciliant, « tenant compte, dans la mesure du juste et du possible, […] des aspirations des peuples » et du bien commun universel.⁠[28]

Telles sont pour Benoît XV, « les bases sur lesquelles […] doive s’appuyer la future réorganisation des peuples. »

Cette proposition de paix, 5 mois avant que le président Wilson⁠[29] ne publie la sienne, fut qualifiée par les Français de « paix allemande »[30].

Le 1er décembre1918, dans la Lettre encyclique Quod iam diu[31], il prescrit des prières publiques pour le Congrès de la paix. Se réjouissant, grâce à Dieu, de « l’armistice qui a interrompu l’effusion de sang et la dévastation sur la terre, dans les airs et sur mer », Benoît XV souhaite que tous les catholiques demandent au Seigneur « qu’il daigne compléter d’une certaine manière et porter à la perfection l’immense avantage accordé à l’humanité ». En effet, « vont se réunir ceux qui par la volonté populaire doivent concerter une paix juste et permanente entre tous les peuples de la terre. Les problèmes qu’ils devront résoudre sont tels qu’il ne s’en est jamais présenté de plus grands ni de plus difficiles en aucun congrès humain ». Le secours « des lumières divines » est donc nécessaire pour que « tous les accords pris pour la paix et la concorde perpétuelles dans le monde soient, par tous les nôtres, reçus de bon gré et inviolablement exécutés. »

Cependant, très vite, le Pape se rend compte que la paix qui vient d’être acquise est fragile et que plusieurs dangers la menacent.

S’adressant aux évêques allemands⁠[32], le 15 juillet 1919, Benoît XV, conscient de l’ « extrême dénuement » dans lequel se trouve le peuple allemand insiste pour que les catholiques allemands et les catholiques des autres pays veillent au ravitaillement de la population « en vue d’épargner à l’Allemagne les révolutions politiques qui entraîneraient pour [ce] pays et par suite, pour l’Europe même, la catastrophe qui menace, hélas ! d’autres nations. » Mais outre le soin des corps, faut-il encore veiller à « panser les blessures morales que la guerre a causées ou envenimées. Et plus spécialement, ajoute le Pape, il faut proscrire tout sentiment de haine, aussi bien à l’égard des étrangers contre lesquels on a combattu, qu’entre les concitoyens des divers partis. » Il rappelle que « la charité fraternelle, qui émane de Jésus-Christ […] ne connaît ni barrières, ni frontières, ni luttes de classes. »[33]

Il tiendra le même langage le 7 octobre à l’archevêque de Paris⁠[34] : « la charité pour le prochain […] doit s’étendre à tous, même aux ennemis, puisque nous sommes tous unis par des liens de fraternité, comme étant les enfants du même Dieu et rachetés par le même sang du Christ. » Le Pape sait que cette attitude très évangélique « ne plaît pas au monde, en sorte que ceux qui en affirment et en défendent le caractère sacré sont en butte à une interprétation perverse de leurs desseins et à toute sortes d’attaques. » Ainsi en fut-il du Christ lui-même : « il n’en sera jamais autrement pour quiconque prêchera l’oubli des injures et la charité envers ceux qui nous auront fait du mal ou auront attaqué notre patrie. »

Outre les haines persistantes, le nationalisme notamment des missionnaires fragilise la paix. Les missionnaires avaient pris parti au cours du conflit, et les ressortissants des pays vaincus sont expulsés par ceux des pays vainqueurs, en particulier les congrégations allemandes⁠[35]. Benoît XV réagit en condamnant, dans sa lettre apostolique Maximum illud du 30 novembre 1919, ce qu’il appelle « la peste la plus infectieuse ».

S’adressant aux missionnaires : « Convaincus au plus profond de vous-mêmes que c’est à chacun de vous que s’adressait le Seigneur quand il dit : « Oublie ton peuple et ta famille » (Ps 45, 11), rappelez-vous que votre vocation n’est pas d’élargir les frontières des empires humains mais celles du Christ, ni d’ajouter des citoyens à quelque patrie d’ici-bas, mais à la patrie d’en-haut.

Il serait certainement regrettable qu’il y eût des missionnaires si oublieux de la dignité de leur ministère qu’ils consacrent leurs efforts d’abord à l’élargissement et à l’exaltation de leur patrie, en attachant leur idéal et leur cœur aux patries terrestres plutôt qu’à leur patrie céleste. » Le missionnaire qui ne serait pas seulement un apôtre mais un agent d’intérêt nationaux rendrait immédiatement son travail suspect et ses interlocuteurs « convaincus que la religion chrétienne est la religion d’une nation penseraient que l’embrasser les entraînerait à abandonner leurs droits nationaux et à se soumettre à une tutelle étrangère ». Le missionnaire catholique doit être persuadé « que sa mission est une ambassade du Christ et non une légation patriotique », il est « le ministre d’une religion qui, sans exclusivismes de frontières, embrasse tous les hommes qui aiment Dieu en vérité et en esprit, « là, il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais Christ : il est tout en tous » (Col 3, 11). »[36]

Dans « un monde que la paix laisse en proie à de mortelles angoisses », Benoît XV⁠[37] rappelle « qu’on travaille en vain à rendre la paix aux individus et à la société si l’on ne se dirige à la lumière de l’esprit de foi ! ». Comment, en effet, établir la paix, cette « tranquillité de l’ordre » selon saint Augustin, sans « l’acceptation pratique du souverain domaine du Créateur sur toutes les œuvres de ses mains » c’est-à-dire l’acceptation des « droits de Dieu sur la société humaine », sans « l’affirmation de la suprématie de l’esprit sur les sens », et sans « l’amour sincère et pratique de nos semblables » ? Comment établir la paix lorsque les passions sont déchaînées, lorsque règnent l’irréligion, l’indiscipline, la paresse, la convoitise, l’ostracisme, le naturalisme, l’égoïsme, l’anarchie ? Ainsi, entre nations et entre concitoyens, « s’est déclarée, en attendant qu’elle éclate, une nouvelle et plus implacable guerre : guerre d’envie, de haine aveugle, qui va jusqu’à s’attaquer au droit, à la charité, au bien-être social des masses mêmes qu’elle livre aux convulsions. » Nous sommes en 1919 ! qu’est-ce qui rend Benoît XV si lucide si ce n’est la certitude que seul Jésus est « notre paix », l’ « unique Libérateur »

Un peu plus tard, dans son encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum du 23 mai 1920[38], le pape s’inquiète que « subsistent encore les semences de l’ancienne haine »[39]. Pour lui, la paix reste précaire tant que ne disparaît pas l’inimitié et que les injures ne sont pas pardonnées. A l’image du Christ en Croix et du bon Samaritain, il faut traiter les ennemis comme des frères et pratiquer envers eux, « étant saufs les principes de la justice » et « avec la plus grande efficacité possible, toutes les œuvres de la bienfaisance chrétienne ». Les causes de discorde chez les individus et entre les peuples doivent être éradiquées. Notamment les écrivains, les publicistes et les journalistes catholiques « doivent s’abstenir non seulement de toute fausse accusation, mais aussi de toute intempérance et injure dans le langage, parce que cette intempérance non seulement est contraire à la loi du Christ, mais en plus elle peut ouvrir des cicatrices mal fermées, surtout quand les esprits, exacerbés par des blessures encore récentes, ont une grande sensibilité pour les plus légères injures. » Les États et les nations n’échappent pas à la règle évangélique de l’amour et de la bienfaisance. Ils doivent renouer « entre eux les liens de quelques relations amicales » et « inciter les peuples à établir une conciliation universelle déterminée entre eux tous.[…] Que tous les États oublient leurs méfiances mutuelles et constituent une seule société ou, mieux, une famille de peuples, pour garantir l’indépendance de chacun et conserver l’ordre dans la société humaine. »[40] Cette union serait nécessaire pour « supprimer ou, au moins, réduire les énormes budgets militaires qui sont déjà insupportables pour les États, et en finir de cette manière pour toujours avec les désastreuses guerres modernes, ou, pour le moins, éloigner le plus complètement possible le péril de la guerre, et assurer à tous les peuples, dans de justes limites, l’indépendance et l’intégrité de leurs propres territoires. » L’Église, exemple de société parfaite et universelle, promet son adhésion et sa « collaboration active » à toutes les entreprises de justice et de charité qui iront dans ce sens. Elle est un guide sûr, comme le dit saint Augustin : « Cette cité céleste, pendant qu’elle chemine en ce monde, appelle en son sein les citoyens de tous les peuples, et avec toutes les langues, elle réunit une société en pèlerinage, sans se préoccuper de la diversité des lois, coutumes et institutions qui servent à obtenir et conserver la paix du monde, et sans annuler ou détruire, bien au contraire en respectant et conservant toutes les différences nationales qui sont ordonnées à la même fin de la paix sur terre, à condition qu’elles ne constituent pas un empêchement pour la pratique de la religion qui ordonne d’adorer Dieu comme vrai et suprême Seigneur. »[41]

Notons que Benoît XV n’oublie pas sa propre situation temporelle⁠[42] et, dans le contexte des rapprochements qui s’opèrent dans cette après-guerre, « pour contribuer à cette union des peuples et ne pas se montrer étranger à cette tendance » le Pape a décidé « d’adoucir jusqu’à un certain point les rigoureuses conditions qui, à cause de l’usurpation du pouvoir temporel du Siège apostolique, furent justement établies par [ses] prédécesseurs, en interdisant les visites solennelles des chefs d’État catholiques à Rome. » Le Saint Père ajoute immédiatement que « cette indulgence conseillée et quasi exigée par les très graves circonstances que traverse l’humanité, ne doit être interprétée d’aucune manière comme une abdication tacite des droits sacrés du Siège apostolique (…). » Au contraire le Pape profite de l’occasion pour renouveler les protestations qui ont été répétées de nombreuses fois par ses prédécesseurs et demande avec insistance, « puisque la paix a été signée entre les nations, que cesse pour la tête de l’Église, cette situation anormale qui porte gravement atteinte, pour plus d’une raison à la même tranquillité des peuples. »

Pour en revenir au problème de la guerre et de la paix, on retiendra la position claire et radicale de Benoît XV qui, durant tout le conflit se refuse à prendre parti restant attentif à tous et militant constamment pour que les belligérants cessent les hostilités. Il n’est plus question ici de distinguer guerre juste ou injuste. C’est la guerre de toute façon qui est condamnée. On retiendra aussi la grande lucidité du Souverain Pontife qui sent venir un autre conflit étant donné que les conditions morales d’une paix authentique ne sont pas réunies. Loin de là. Enfin, la Pape indique clairement qu’en plus des efforts des hommes de bonne volonté, il faut compter sur Dieu qui seul, par la conversion des cœurs, peut accorder la paix véritable et durable.


1. 1914-1922.
2. Nous suivrons principalement ici l’étude de JOBLIN Joseph sj, L’Église et la guerre, Desclée de Brouwer, 1988, pp. 226-24 et celle, plus exhaustive, de BENOTON-BEINE Nathalie, La colombe et les tranchées, Les tentatives de paix de Benoît XV pendant la Grande Guerre, Cerf Histoire, 2004. On peut aussi, pour se limiter à l’essentiel lire BECKER Jean-Jacques, Le Pape et la grande guerre, Bayard, 2006.
3. Lire par exemple son Exhortation apostolique Aux peuples belligérants du 28 juillet 1915.
4. 1868-1952.
5. Mouvement royaliste, nationaliste, contre-révolutionnaire fondé en 1898. Pie X avait déjà mis à l’étude la proscription de quatre livres de Charles Maurras et la revue bimensuelle, L’Action française (janvier 1914). Proscription reprise mais différée en raison de la guerre, par Benoît XV (14 avril 1915) jusqu’au Motu proprio de la Sainte Congrégation de l’Index, 25 mars 1917. Pie XI répète ces proscriptions et y ajoute le journal L’Action française (Cf. Lettre au cardinal Andrieu, 5 janvier 1927). Le principal reproche fait au maurrassisme par Rome est de subordonner la religion au politique et au nationalisme ; car Maurras, rationaliste, se définit comme agnostique, et ne soutient le catholicisme que comme le moyen d’unifier la Nation. L’Action française, aux yeux du Pape, dispose d’une trop grande influence sur la jeunesse catholique. Le 8 mars 1927, les adhérents de l’Action française sont interdits de sacrements. Beaucoup de membres quittent le mouvement comme Georges Bernanos ou Jacques Maritain. Maurras est néanmoins élu à l’Académie en 1938. Le 19 juin 1939, le Conseil de direction de l’Action française présente une lettre de soumission au pape Pie XII qui lèvera l’interdit le 10 juillet 1939. Durant la seconde guerre mondiale, Maurras soutient le régime de Vichy. Il sera condamné en 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. Il sera gracié pour raison de santé en 1952.
6. 1846-1917. Romancier, essayiste et polémiste catholique.
7. Homme politique, président du Conseil de 1906 à 1909 puis de 1917 à 1920.
8. Cf. HORNE John et KRAMER Alan,1914, les atrocités allemandes, la vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique, Tallandier, collection Texto, 2011. d’août à octobre 1914, près de 6 500 civils belges et français ont été intentionnellement assassinés, des centaines de villages (voire de villes) ravagés par l’armée allemande.
9. 1865-1937. Général en chef des armées allemandes de 1916 à 1918.
11. Cf. Allocution consistoriale, 6 décembre 1915. Voir aussi la note sur la « question romaine ».
12. Les textes principaux se trouvent sur www.vatican.va . On trouve davantage dans Actes de Benoît XV, 3 volumes, Maison de la bonne presse, 1924-1926.
13. Le 16 juillet 1921, Benoît XV rappellera encore que « le rôle du Pontife romain, Père commun de tous, est de ne favoriser aucun parti et de se réserver entièrement pour les uns et pour les autres. Telle est effectivement la ligne de conduite qu’ont toujours suivie les Pontifes romains ». Le Pape ajoute toutefois : « Mais si, dans la fougue des passions humaines, il arrive, comme l’expérience en offre trop d’exemples, que le droit d’autrui soi violé, alors le caractère sacré de Notre charge Nous oblige à désapprouver et à condamner cette violation, de quelque part qu’elle vienne ». (Lettre Ex iis Litteris). Certains demanderont : pourquoi alors n’avoir pas condamné la violation de la neutralité de la Belgique en 1914 ? Pour bien comprendre l’attitude de Benoît XV, face à une situation complexe et le rôle majeur joué par le cardinal Mercier (1851-1926), on lira avec profit De VOLDER Jan, La résistance d’un cardinal, Le cardinal Mercier, L’Église et la Guerre 14-18, Fidélité, 2014.
14. Le 10 janvier 1915, le cardinal Gasparri, secrétaire d’État, publiera à la demande de Benoît XV un Décret prescrivant des prières pour la paix, exhortant notamment « le clergé et le peuple à des œuvres de mortifications pour expier les péchés qui provoquent les justes châtiments de Dieu ».
15. Parmi les puissances alliées, on comptera 9.370.813 morts dont 3.674.757 civils et 123.809.280 blessés. Le bilan des victimes dans les empires centraux s’élève à 9.217.397 morts dont 5.193.000 civils et 8.419.533 blessés. (Mourre). Ce fut une guerre de la « démesure » où l’industrie s’ingénia à fournir les armes les plus destructrices qui soient. (CHALINE O., Mesure de la démesure-la première guerre mondiale, in Communio, n° XXXVIII, 3-4, mai-août 2013, p. 17.
16. « Le mépris des lois suprêmes qui règlent les rapports mutuels des peuples ». (Allocution consistoriale, 4 décembre 1916.)
17. Il s’agit d’une série d’erreurs condamnées par Pie X dans l’encyclique Pascendi en 1907. En voulant s’adapter à la mentalité contemporaine, certains avait dénaturé la doctrine. Ainsi les témoignages évangéliques et l’inspiration des Écritures étaient mis en cause de même que « l’intervention surnaturelle d’un Dieu transcendant à la conscience humaine ». (Cf. Bouyer).
18. Rappelons l’essentiel de ce que l’on appelle la « Question romaine ».
   En 1870, le Royaume d’Italie procède à l’annexion de ce qui reste des États pontificaux, c’est-à-dire la région du Latium. Le pape Pie IX, est contraint de se réfugier au Vatican et se considère alors comme prisonnier. Par la loi no 33 du 3 février 1871, la « Ville éternelle » devient officiellement la capitale du nouvel État italien.
   En 1871, le Parlement italien vote une « loi des Garanties » baptisée ainsi, parce qu’elle était destinée à garantir les prérogatives du pape, mais aussi à établir le statut du Vatican et à régler les relations entre celui-ci et l’État italien. La loi offre au pape un territoire en pleine propriété, constitué des sanctuaires, de palais et des couvents, mais à titre résidentiel uniquement. Sont également offertes une zone franche à Ostie, et la somme de deux milliards de lires à titre de dédommagements (cette somme sera placée par l’État italien et reversée par Mussolini à Pie XI en 1929, avec des intérêts considérables). Par cette loi, le pape Pie IX, devient sujet de l’État italien mais continue à bénéficier d’une série de privilèges.
   Le pape, par l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclique[encyclique
19. Cf. MARTY Albert, L’Action française racontée par elle-même, Nouvelles Editions Latines, 1968, pp.120-125 ou MAURRAS Charles, Les conditions de la victoire, Nouvelle librairie nationale, vol. 1, 1916, pp. 437-442 (Le catholicisme et la paix).
20. L’Action française, 2 février 1915 in Les conditions de la victoire, vol. 2, op. cit., p. 112 . Notons que Maurras, dès le 8 septembre 1914, réclama, et il fut le premier, le rétablissement de l’Ambassade de France au Vatican. Les relations étaient rompues depuis 1904. Notons encore que les sympathisants de l’Action française firent leur devoir de citoyens en allant combattre l’envahisseur.
21. Le 16 octobre 1914, après le bombardement de Reims et la destruction de la cathédrale, Benoît XV écrit à l’archevêque de Reims pour lui dire sa compassion. Le 18 octobre, il écrit à l’archevêque de Cologne pour le remercier d’être intervenu auprès de l’empereur en faveur des prêtres français pour qu’ils soient traités comme officiers. Il profite de ce courrier pour demander que la charité de son « fils » s’étende « à tous les autres prisonniers, sans aucune distinction de religion ou de patrie » et « principalement envers tous les malades et blessés ». Le 8 décembre, c’est au cardinal Mercier qu’il écrit pour lui dire sa peine de voir « la nation des Belges tant aimée, réduite par l’atroce guerre à un état si lamentable. » Il refuse l’obole du Denier de Saint- Pierre qui avait été recueillie malgré tout et demande « qu’elle soit employée en faveur du peuple belge aussi digne de compassion que remarquable par sa noblesse et sa religion. » Le 24 décembre, il évoque avec tristesse le refus que les belligérants sont opposé à sa demande de trêve pour la fête de Noël.
22. Cf. Allocution au Sacré Collège, le 24 décembre 1914.
23. Il faut dire que si le Nord de la France a été gravement touché par l’occupation allemande, les destructions, les exécutions et les déportations, c’est surtout sur le territoire belge que les pires exactions ont été commises. A Tamines, le 22 août 1914, 422 personnes sont fusillées, assassinées à la baïonnette, noyées ou carbonisées ; à Dinant où les deux tiers de la ville seront détruits, 674 civils, y compris des femmes et des enfants, sont passés par les armes, 400 autres sont déportés. A Louvain, les troupes allemandes fusillent 29 personnes et pillent la ville et y mettent le feu, détruisant le tiers de la ville dont la bibliothèque de l’université et des milliers de livres anciens.
24. Exhortation apostolique aux peuples belligérants et à leurs chefs.
25. Benoît XV dira le 6 décembre 1915 que cette lettre « a bien été reçue avec respect, mais elle n’a pas donné les fruits désirés. » (Allocution au Consistoire). Et pourtant, le Souverain Pontife, le répète, là était présentée « la seule mesure capable d’éteindre l’incendie ». Il la reformule avec plus de précisons : « Pour préparer une paix telle que la désire ardemment l’humanité tout entière, une paix juste et stable et qui ne semble pas seulement favorable à l’un ou l’autre parti, le moyen qui peut réussir est celui que, dans des conjonctures à peu près semblables, l’expérience a montré efficace et que Nous avons indiqué dans notre Lettre. C’est d’organiser des échanges de vues et part et d’autre directement ou indirectement, d’exposer sincèrement et clairement ses raisons et ses désirs avec bonne volonté et conscience du devoir, et de tout examiner soigneusement. On éliminerait les prétentions injustes ou excessives et on retiendrait les autres en convenant, si besoin, de justes compensations. Naturellement, comme dans toute controverse humaine à dirimer par un jugement humain, il est absolument nécessaire que d’un côté comme de l’autre des belligérants on cède sur quelques points et que l’on renonce à quelques-uns des avantages espérés. Il faut que dans chacun des deux camps on se consente de bon gré des concessions, même au prix de sacrifices, pour ne pas assumer devant Dieu et devant les hommes l’énorme responsabilité de la continuation de cette boucherie sans exemple, qui, si elle se prolongeait, pourrait bien amener pour l’Europe la déchéance du haut degré de civilisation où l’avait élevée la religion chrétienne. » Il y reviendra encore le 5 mai 1917 (Lettre Il 27 aprile 1915), dénonçant le « suicide de l’Europe civile ». Non seulement la lettre resta « inécoutée » mais « il sembla au contraire que s’élevait encore davantage la sombre marée de haines s’étendant parmi les nations belligérantes, et la guerre entraînant d’autres pays dans son épouvantable tourbillon, multiplia les ruines et les massacres. » Dès lors s’affiche plus que jamais « la nécessité d’obtenir de Jésus-Christ la paix, grâce à l’intercession de Marie sa Très Sainte Mère, par nos supplications répétées. » Dans son Exhortation à la paix du 1er août 1917, Benoît XV dira que ses efforts n’ont pas reçu la publicité souhaitée et que son appel n’a pas été entendu.
26. « …pour ne plus Nous renfermer dans des termes généraux, comme les circonstances Nous l’avaient conseillé par le passé, Nous voulons maintenant descendre à des propositions plus concrètes et pratiques et inviter les gouvernements des peuples belligérants à se mettre d’accord sur les points suivants, qui semblent devoir être les bases d’une paix juste et durable, leur laissant le soin de les préciser et de les compléter. »
27. Benoît XV eut une intense activité diplomatique tout au long de la guerre. Ainsi, il s’efforça, en vain, en 1914 et 1915, d’éviter l’entrée en guerre de l’Italie restée neutre (ce qui fut interprété comme une manœuvre pour éviter à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, un nouveau front) ; au printemps 1916, il demanda à Guillaume II d’empêcher la progression des troupes russes vers Constantinople, redoutant de voir les deux patriarcats orthodoxes s’unir contre le Saint-Siège. La requête est retirée quelques jours plus tard, Benoît XV préférant finalement ne pas s’ingérer dans le conflit. Parallèlement à son action diplomatique, Benoît XV mena une politique humanitaire volontariste. En décembre 1914, il confia à Eugenio Pacelli, futur pape Pie XII, la direction d’un service d’assistance aux blessés et prisonniers de guerre. Dans le même temps, il demanda aux belligérants d’autoriser l’échange de prisonniers blessés. Ceux-ci acceptèrent les échanges dès 1915(cf. Lettre Era nostro proposito, 25-5-1915). Dans ce cadre, 30 000 soldats sont hospitalisés en Suisse. Le Vatican servit également de bureau d’information aux familles : l’Œuvre des prisonniers reçut 170 000 demandes et envoya 50 000 communications. À ce sujet, l’écrivain non-violent, pacifiste et attaché à la Troisième internationale, Romain Rolland (1866-1944) qui critiquera tous les belligérants, conscient que cette guerre était « la faillite de la civilisation » et le « suicide de l’Europe », qualifiera ensuite le Vatican de « seconde Croix-Rouge ». Enfin, des rations alimentaires furent distribuées aux enfants des pays en guerre. Toutefois, l’action pontificale connut là aussi des échecs : en 1914, les belligérants refusèrent unanimement d’observer une trêve de Noël. En 1915, même refus à la proposition d’un droit de sépulture pour les morts sur le champ de bataille http://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_XV#cite_note-J221-9
28. Il faut « à l’occasion », coordonner « les intérêts particuliers au bien général de la grande société humaine ».
29. Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), vingt-huitième président des États-Unis, présenta, le 8 janvier 1918, devant le Congrès, un plan de paix en 14 points parmi lesquels on retrouve plusieurs suggestions faites par Benoit XV cinq mois plus tôt (désarmement progressif, liberté des mers et du commerce, évacuation de territoires). Mais Wilson allait beaucoup plus loin promouvant l’idée d’autonomie de nombreux peuples. Enfin le dernier point disait : « Une association générale des nations doit être constituée ». C’est ainsi que Wilson sera considéré comme le père de la Société des nations que les États-Unis ne rejoindront jamais. Il assistera à la Conférence de Paris (1919) et y présentera le Traité de Versailles. Alors qu’il est de moins en moins populaire aux États-Unis, il reçoit, la même année, le prix Nobel de la paix.
30. Il écrira, le 16 octobre 1918, à l’archevêque de Québec qui le remerciait d’avoir obtenu la libération d’un prisonnier : « Nous n’avons eu aucune préférence parmi les belligérants […]. Et vous déplorez qu’on n’ait pas obéi à la voix et aux exhortations d’un père […]. Qui eût cru […] que Nos efforts, pleins d’un paternel amour, pour réconcilier les hommes entre eux seraient tournés contre Nous en sujet de haine populaire ? Pourtant dans tout cela, il ne faut pas tant s’étonner de la méchanceté de certains hommes, Nous accusant publiquement et amèrement de favoriser l’un des deux partis, que de l’irréflexion de ceux qui ont ajouté foi à une accusation aussi dénuée de fondement ! ».
31. Traduite par nos soins.
32. Lettre apostolique sur les devoirs qui incombent aux catholiques pour réparer les maux de la guerre, Diuturni luctuossimique.
33. Au contraire du Traité de Versailles qui rejetait sur l’Allemagne la responsabilité de la guerre (article 231), le Pape ne désigne pas de coupable. Olivier Chaline note que la thèse de la responsabilité de l’Allemagne n’est plus soutenue aujourd’hui par aucun historien (14-18, défense ou autodestruction de la civilisation ? in Communio, n° XXXVIII, 3-4, mai-août 2013, p. 7).
34. Lettre à l’occasion de la consécration solennelle de la basilique du Vœu national. (Sacré-Cœur de Montmartre).
35. Par exemple les Bénédictins de l’abbaye de Beuron (Bade-Wurtemberg) et les missionnaires d’Afrique.
36. Maximum illud, 9 (Eviter les nationalismes), 43-48. Lettre « sur la propagation de la foi dans le monde », traduite par nos soins.
37. Discours au Sacré Collège : la condition essentielle pour la pacification individuelle et sociale est le retour à Dieu par la foi, 24 décembre 1919. Il reviendra sur ce thème dans son Allocution au Sacré Collège, le 24 décembre 1920 et encore le 13 juin 1921 (Allocution consistoriale) : « les rivalités et rancunes de peuples à peuples ne sont point apaisées encore, et […] si l’incendie de la guerre est presque éteint, les instincts belliqueux sont restés vivaces ».
38. Lettre encyclique « sur la restauration chrétienne de la paix », traduite par nos soins.
39. Le Souverain Pontife pense certainement au traitement jugé trop humiliant réservé à l’Allemagne lors du traité de Versailles en 1919, dans sa deuxième partie : remaniements territoriaux à l’Est et à l’Ouest, limitation du pouvoir militaire, occupation de la Rhénanie, très lourdes sanctions commerciales et financières, perte de l’empire colonial. Toutes ces mesures plongèrent l’Allemagne dans de grandes difficultés économiques et suscitèrent un vif ressentiment qui n’est pas étranger au succès du nazisme et à l’envie de revanche. Déjà le 28 juillet 1915, dans son Exhortation aux peuples belligérants et à leurs chefs, avec une grande lucidité, Benoît XV demandait « qu’on y réfléchisse bien : les nations ne meurent pas ; humiliées et oppressées, elles portent frémissantes le joug qui leur est imposé, préparant la revanche et se transmettant de génération en génération un triste héritage de haine et de vengeance. »
40. C’est l’objectif de la première partie du traité de Versailles : Constituer une Société des nations. Malgré quelques succès, la Société de nations ne parvint pas à juguler en Europe les menaces d’une seconde guerre mondiale.
41. De civitate Dei, XIX, 17.
42. Il avait à plusieurs reprises déjà évoqué cette situation inacceptable (Cf. Allocution consistoriale du 6 décembre 1915) qui complique les relations diplomatiques et les communications.