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Chapitre 2 : La grande cassure de 14-18

…Nous qui, élevé au Souverain Pontificat de l’Église,
tenons la place de celui qui est et le Prince et le Dieu de la paix.
— Pie X
Lettre à Mgr Falconio, 11 juin 1911.

Indépendamment de l’intérêt des réflexions de Carl Schmitt ou de Raymond Aron⁠[1] (cf. ce qui a été écrit précédemment), les nationalismes et les idéologies vont accroître et répandre la violence dans le monde : guerres révolutionnaires, conquêtes napoléoniennes, mais aussi guerres mondiales, régimes totalitaires, terrorisme.

d’autre part, l’État moderne, loin de conduire à une Europe plus pacifique « a plutôt accompagné un glissement de ce pourquoi les hommes voulaient tuer et mourir. L’expression Dulce et decorum est / Pro patria mori[2] a alors acquis un statut officiel ».⁠[3]


1. Schmitt à propos des deux guerres mondiales dira qu’elles sont la conséquence de l’abandon de la pensée juridique élaborée aux XVIe et XVIIe siècles à l’aube du XXe siècle. Le nomos lié à la terre européenne s’est perdu suite à l’émergence de puissances comme les États-Unis ou le Japon. Il s’est perdu aussi avec l’apparition de l’aviation qui rend caduque la séparation de la terre et de la mer. Il se perd encore avec la réintroduction du concept ancien de juste guerre. Dès lors, la guerre devient mondiale, totale et renoue avec les horreurs.
   Méditant sur la guerre 14-18, Raymond Aron présente une analyse plus précise. Si cette guerre a connu des massacres effroyables, c’est parce que « les hommes politiques se sont effacés derrière les états-majors. L’objectif militaire (la capitulation de l’adversaire) s’est substitué à l’objectif politique (la paix). De part et d’autre, la finalité de la guerre s’est obscurcie, et le seul but est devenu la victoire, sans que le coût probable de cette victoire ne soit mis en rapport avec les bénéfices de la paix à venir. » (PERREAU-SAUSSINE Emile, Raymond Aron et Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz, in Commentaire, n° 103, Automne 2003, p. 620). R. Aron a été très intéressé par l’idée centrale défendue par CLAUSEWITZ Carl von (1780-1831) dans son livre De la guerre (1886) : « La guerre est la simple continuation de la politique par d’autres moyens » (livre 1, chap. 1, n° 24, Ed. de Minuit, 1955, p. 62). Cette idée a souvent été interprétée comme belliciste alors qu’ « elle implique que, durant les cours même des hostilités, les chefs d’armée doivent demeurer subordonnés. Elle implique également que le concept de victoire relève de la tactique et non de la stratégie : la finalité poursuivie par la stratégie, c’est la paix. » (PERREAU-SAUSSINE Emile, id.) En prolongeant cette conception, R. Aron ouvre le chemin à une théorie de guerre juste. En effet, comme l’écrit encore E. Perreau-Saussine, « il est une rationalité pratique qui permet de procéder à des jugements politiques, il est une rationalité qui permet d’embrasser la diversité des contextes nationaux en se plaçant au-delà des partis-pris et des idéologies. Pour Schmitt, cette rationalité n’existe pas. La raison est subordonnée à la volonté. Il n’y a pas de point de vue universel ou philosophique au-delà de la cité, pas de jugement politique qui puisse dépasser les positions partisanes. » (Id.)
   ARON R. (1905-1983) sociologue, politologue et journaliste libéral, a écrit notamment Penser la guerre. Clausewitz, 2 tomes, Gallimard, 1976.
2. HORACE, Odes, III, 2, 13. Cette citation se trouve, entre autres, sur les murs de la chapelle de l’Académie royale militaire de Sandhurst (GB).
3. CAVANAUGH W., op. cit., p. 19.

⁢i. La guerre mondiale

Nous allons le voir en nous attardant à la première guerre mondiale qui s’inscrit bien dans cette culture nationaliste ou ultra-patriotique⁠[1] où, il faut bien le reconnaître, les chrétiens eux-mêmes vont oublier l’exigence de paix, gagnés par la violence ambiante, justifiée voire exaltée.⁠[2]

Le nationalisme ou simplement la loyauté citoyenne va l’emporter sur le sentiment catholique, sur l’idéal de paix qui imprègne tout l’Évangile.

La guerre de 14-18 est une guerre paradoxale⁠[3] où chaque protagoniste a l’impression de combattre pour un monde nouveau où, plus jamais, il n’y aura de guerre. C’est, selon l’expression de l’époque, la « der des der »[4]. Au cœur même de cette guerre atroce persiste le sentiment mystique que l’humanité va détruire définitivement les forces du mal⁠[5]. En réalité, cette guerre apparemment terminée, engendrera de nouvelles horreurs. En effet, « les grandes attentes de la guerre, déçues faute de cette parousie du monde meilleur promis pour l’après-guerre, ont été récupérées par les différentes formes de totalitarisme »[6]

En attendant, dès avant la guerre, comme pendant la guerre et même encore parfois après la guerre, bien des chrétiens et des catholiques des deux camps vont témoigner dans ce sens.

Rappelons tout d’abord, que selon les historiens, « les responsabilités dans le déclenchement de la tragédie apparaissent aujourd’hui très partagées »[7]

Voyons tout d’abord ce qui se dit et se fait dans le camp allemand.

Il faut savoir⁠[8] que depuis 1871, depuis la fondation de l’État-nation allemand, l’identité nationale et l’identité protestante ont tendance à se confondre⁠[9]. Selon une interprétation luthérienne de Rm 13, 1-7, le souverain est chef suprême de l’Église et en fonction du sacerdoce universel de tous les croyants, laïcs et pasteurs sont égaux dans la mission évangélique.⁠[10] En 1914, selon la loi, et au contraire de leurs homologues catholiques, les étudiants en théologie, théologiens, et professeurs protestants non ordonnés, sont mobilisables et les pasteurs le sont aussi si les autorités ecclésiastiques estiment que leur présence n’est pas indispensables dans leurs paroisses. Mais le service armé au front leur est interdit. Cette restriction va susciter un vaste mouvement de contestation parmi les pasteurs, le patriotisme l’emportant sur les exigences non-violentes de l’Évangile⁠[11]. Après moult résistances, les autorités civiles et ecclésiastiques laisseront le choix à la conscience de chacun.

De son côté, le parti catholique appelé Le Centre considère la politique impériale comme légitime aussi bien vis-à-vis des budgets de guerre que de la déclaration de guerre. Et, même après la défaite, le député centriste et membre de l’Association populaire pour l’Allemagne catholique, Carl Bachem⁠[12], écrira : « Si jamais guerre fut juste, ce fut le cas de la guerre mondiale en ce qui concerne l’Allemagne et l’Autriche qui menèrent, au sens véritable du mot, une guerre défensive. (…) L’Allemagne ne combattait pas seulement pour son honneur, son patrimoine et sa position dans le monde, elle luttait aussi pour l’idée morale de l’ordre étatique en Europe, pour la justice dans la vie internationale et pour l’égalité des droits des peuples. C’était là la conviction humaine du parti du Centre. »[13]

Dans sa première lettre pastorale de Carême de guerre en 1915, le cardinal F. von Hartmann, archevêque de Cologne, écrit : « L’appel de notre empereur, cet appel par lequel il appela son peuple à un combat contre un monde d’ennemis, à un combat qu’il entreprit la conscience pure, certain de la justice de notre cause, cet appel a été, pour nous tous, un appel de la divine Providence, appel à marcher pour la vérité, le droit et la liberté, mais aussi un appel à nous convertir des voies du péché à Dieu, le Seigneur. Oui, il y a un puissant élan vers Dieu dans tous les cœurs allemands. Nos soldats sont allés au combat sanglant : avec Dieu, pour le roi et la patrie. Avec Dieu, dans le combat auquel nous avons été contraints pour l’avenir et la liberté de notre terre natale bien-aimée ; avec Dieu, dans la guerre pour les biens sacrés du christianisme et de sa culture bienfaisante. Et combien d’exploits n’ont-ils pas déjà pas accomplis par la grâce de Dieu - sous la conduite de leur glorieux chef, l’empereur, et des princes allemands - exploits qui resplendiront dans les âges futurs. »[14]

La haine devient vertu ! L’écrivain allemand, Will Vesper⁠[15], écrit cette prière : « Car cette haine Seigneur Jésus Est le fruit du plus grand amour Ma patrie en profonde détresse Ma haine suivra tous les ennemis jusqu’à leur mort. »[16]

En face, ’évêque de Londres Arthur Winnington-Ingram⁠[17] déclare : « Que ceux qui aiment la liberté et l’honneur, que tous ceux qui font passer leurs principes avant la facilité et la vie elle-même se réunissent en une grande croisade pour tuer des Allemands. Pas pour le plaisir de les tuer, mais pour sauver le monde ; tuer les jeunes et les vieux, tuer ceux qui ont montré quelque charité envers nos blessés autant que les ordures qui ont crucifié le sergent canadien, qui ont supervisé les massacres des Arméniens, qui ont coulé le Lusitania, qui ont utilisé des mitrailleuses contre les civils d’[Aarschot] et Louvain, les tuer, sinon la civilisation et le monde seront eux-mêmes tués. »[18]

Mais examinons de plus près l’attitude des catholiques français.

A la veille de la guerre 14-18, Albert de Mun⁠[19], un des précurseurs du catholicisme social en France, affirme : « Oui la guerre est horrible, source de larmes et de douleurs, féconde cependant, source aussi de grandeur et de prospérité. C’est l’histoire du monde et la leçon des siècles. Il y a pour les nations, comme pour les hommes, des épreuves nécessaires à leur force. »[20] Idéalisée, la guerre devient une « école de vertu et de sacrifices »[21] Après l’appel du 1er août 1917 du pape Benoît XV à la paix, sur lequel nous reviendrons, l’illustre Père Sertillanges⁠[22].], dans l’Église de la Madeleine, en présence de l’archevêque de Paris et des grands corps de l’État (en présence d’une notable partie de l’épiscopat dit Comblin)⁠[23] s’écrie : « Très Saint Père, nous ne pouvons pas pour l’instant retenir vos paroles de paix… Nos ennemis sont demeurés puissants ; l’invasion ne les a pas touchés ; vos solennelles réprobations ne les ont pas fait renoncer aux principes antichrétiens qui les ont guidés. A moins de miracle qu’on peut implorer, mais non garantir, ce qui arriverait demain, c’est que le crime international avorté serait repris. Dès lors, nous ne pouvons croire à une paix de conciliation. Nous nous sentons dans la nécessité d’amener, si nous le pouvons, notre ennemi à connaître l’angoisse, seule leçon qu’il paraisse en état de goûter. Nous le vaincrons… Nous nous sentons une mission imitée de la vôtre, ô vous que travaille et guide l’Esprit universel. Vous avez dit : Utinam renoventur gesta Dei per Francos… C’est fait, Très Saint Père. Telle est notre œuvre actuelle, telle est sa signification, telle est notre espoir… Notre paix ne sera donc pas une paix conciliante. Ce ne sera pas la paix des diplomates, ni la paix de Stokholm… ce ne sera même - et nous le regrettons de toute notre âme - la paix par une paternité s’élançant entre les deux camps : ce sera la paix par la guerre âpre et menée jusqu’au terme, la paix de la puissance juste brisant la violence, la paix du soldat ».⁠[24] Et toujours en ce Noël 17, le Bulletin religieux de l’archidiocèse de Rouen répond au pape en précisant que dans la formule « Et in terra pax… », la paix dont il s’agit ne consiste pas « à tendre la main à nos ennemis, à demander une suspension des armes… Notre volonté est absolue de tenir jusqu’à la victoire finale » parce que « les alliés ne se battent ni pour la prédominance ni pour l’orgueil, ni par vengeance, ni par haine. Ils font la guerre à la guerre ».  Et le texte, non sans audace, se termine en affirmant que cette « mentalité de paix », telle qu’elle vient d’être définie, est conforme au souhait du pape !⁠[25]

Comme nous le disions plus haut, c’est toute l’intelligentsia catholique qui, depuis des décennies, alimente nationalisme, esprit de revanche et haine. L’écrivain français Joseph Péricard⁠[26] adresse cette prière : « Notre Père qui êtes aux cieux, élargissez mon cœur afin qu’il puisse contenir plus de haine. »[27]

Une mystique du métier des armes s’exprime dans l’œuvre des plus grands écrivains catholiques comme Charles Péguy⁠[28], Paul Claudel, Jacques Maritain, Paul Bourget. Même

Pierre Teilhard de Chardin écrit à l’époque : « J’aimerais cent fois mieux lancer des grenades ou servir une mitrailleuse que d’être ainsi en surnombre. »[29]

Mais l’écrivain le plus représentatif de ce courant est incontestablement Ernest Psichari⁠[30]. Non seulement son œuvre⁠[31] est significative mais aussi sa mort⁠[32] dans la mesure où elle va susciter une sorte de culte notamment parmi ses pairs en littérature.

Il faut tout d’abord savoir que Psichari a été marqué par une tradition religieuse et philosophique contre-révolutionnaire dont les deux principaux représentants sont Joseph de Maistre et Blanc de Saint-Bonnet.

A propos de la guerre, Joseph de Maistre⁠[33] rappelle que la guerre a changé de nature : « L’esprit divin qui s’était particulièrement reposé sur l’Europe adoucissait jusqu’aux fléaux de la justice éternelle, et la guerre européenne marquera toujours dans les annales de l’univers. On se tuait sans doute, on brûlait, on ravageait, on commettait même, si vous voulez, mille et mille crimes inutiles, mais cependant on commençait la guerre au mois de mai ; on la terminait au mois de décembre ; on dormait sous la toile ; le soldat seul combattait le soldat. Jamais les nations n’étaient en guerre, et tout ce qui est faible était sacré à travers les scènes lugubres de ce fléau dévastateur.

C’était cependant un magnifique spectacle que celui de voir tous les souverains d’Europe, retenus par je ne sais quelle modération impérieuse, ne demander jamais à leurs peuples, même dans le moment d’un grand péril, tout ce qu’il était possible d’en obtenir : ils se servaient doucement de l’homme et tous, conduits par une force invisible, évitaient de frapper sur la souveraineté ennemie aucun de ces coups qui peuvent rejaillir : gloire, honneur, louange éternelle à la loi d’amour proclamée sans cesse au centre de ’Europe ! Aucune nation ne triomphait de l’autre ; la guerre antique n’existait plus que dans les livres ou les peuples assis à l’ombre de la mort ; une province, une ville, souvent même quelques villages, terminaient, en changeant de maître, des guerres acharnées. Les égards mutuels, la politesse la plus recherchée, savaient se montrer au milieu du fracas des armes. La bombe, dans les airs, évitait le palais des rois ; des danses des spectacles, servaient plus d’u ne fois d’intermèdes aux combats. L’officier ennemi invité à ces fêtes venait y parler en riant de la bataille qu’on devait donner le lendemain ; et, dans les horreurs mêmes de la plus sanglante mêlée, l’oreille du mourant pouvait entendre l’accent de la pitié et les formules de la courtoisie. Au premier signal des combats, de vastes hôpitaux s’élevaient de toutes parts : la médecine, la chirurgie, la pharmacie, amenaient leurs nombreux adeptes ; au milieu d’eux s’élevait le génie de saint Jean de Dieu, de saint Vincent de Paul, plus grand, plus fort que l’homme, constant comme la foi, actif comme l’espérance.

Toutes les victimes vivantes étaient recueillies, traitées, consolées ; toute plaie était touchée de la main de la science et par celle de la charité ! Vous parliez tout à l’heure, monsieur le chevalier, des légions d’athées qui ont obtenu des succès prodigieux : je crois que si l’on pouvait enrégimenter des tigres, nous verrions encore de plus grandes merveilles ; jamais le christianisme, si vous y regardez de près, ne vous paraîtra plus sublime, plus digne de dieu, et plus fait pour l’homme qu’à la guerre. Quand vous dites, au reste, légions d’athées, vous n’entendez pas cela à la lettre ; mais supposez ces légions aussi mauvaises qu’elles peuvent l’être, savez-vous comment on pourrait les combattre avec le plus d’avantage ? ce serait en leur opposant le principe diamétralement contraire à celui qui les aurait constituées. Soyez bien sûrs que des légions d’athées ne tiendraient pas contre des légions fulminantes. »[34]

La guerre est une folie incompréhensible d’un point de vue humain, tout à fait contraire à la nature de l’homme et paradoxale : le bourreau qui punit des coupables est honni alors que le soldat qui tue des innocents est admiré ! Même le doux aime la guerre et celui qui répugne à tuer un animal, « fait avec enthousiasme ce qu’il a en horreur »[35]

Comment expliquer cette « horrible énigme » ?⁠[36] sinon par le caractère divin de la guerre : « les fonctions du soldat sont terribles ; mais il faut qu’elles tiennent à une grande loi du monde spirituel, et l’on ne doit pas s’étonner que toutes les nations de l’univers se soient accordées à voir dans ce fléau quelque chose encore de plus particulièrement divin que dans les autres ; croyez que ce n’est pas sans une grande et profonde raison que le titre de Dieu des Armées brille à toutes les pages de l’Écriture Sainte. Coupables mortels, et malheureux, parce que nous sommes coupables ! c’est nous qui rendons nécessaires tous les maux physiques, mais surtout la guerre. Les hommes s’en prennent ordinairement aux souverains, et rien n’est plus naturel. Horace disait en se jouant : « Du délire des rois les peuples sont punis. » Mais J.-B. Rousseau a dit avec plus de gravité et de véritable philosophie :

« C’est le courroux des rois qui fait armer la terre, »

« C’est le courroux du ciel qui fait armer les rois. » »[37]

La guerre n’est qu’une manifestation de la violence universelle, du « carnage permanent »[38] qui implique végétaux, animaux et humains. « La guerre est donc divine en elle-même, puisque c’est une loi du monde »[39], divine parce qu’elle échappe à toute raison et, pour une part, à la volonté des hommes⁠[40]. Et donc, « qui pourrait douter que la mort trouvée dans les combats n’ait de grands privilèges ? »[41] L’auteur renchérit : « …combien ceux qu’on regarde comme les auteurs immédiats des guerres sont entraînés eux-mêmes par les circonstances ! Au moment précis amené par les hommes et prescrit par la justice, Dieu s’avance pour venger l’iniquité que les habitants du monde ont commise contre lui. »[42] « …nulle part la main divine ne se fait sentir plus vivement à l’homme : on dirait que c’est un département (…) dont la Providence s’est réservé la direction, et dans lequel elle ne laisse agir l’homme que d’une manière à peu près mécanique, puisque les succès y dépendent presque entièrement de ce qui dépend le moins de lui. »[43] « …rien dans ce monde ne dépend plus immédiatement de Dieu que la guerre ; (…) il a restreint sur cet article le pouvoir naturel de l’homme et (…) il aime à s’appeler le Dieu de la guerre (…). »⁠[44]

L’affirmation de la divinité de la guerre se retrouve chez Blanc de Saint-Bonnet⁠[45] qui doit d’ailleurs beaucoup à Joseph de Maistre. Dans son livre La douleur[46], Blanc de Saint-Bonnet cite le passage de l’Oreste d’Euripide, où Apollon déclare : « Il ne faut pas s’en prendre à Hélène de la guerre de Troie ; la beauté de cette femme ne fut que le moyen dont les dieux se servirent pour faire couler le sang qui devait purifier la terre, alors souillé par le débordement de tous les crimes. »  (v. 1639 et svts)⁠[47]. Même si l’on traduit « les dieux ont voulu que la perfection de sa beauté mît aux prises les Grecs et les Phrygiens et causât tant de trépas, pour purger la terre du trop-plein de cette humanité qui pullulait insolemment », l’idée que retient Blanc de Saint-Bonnet est que la guerre est voulue par Dieu pour punir les hommes de leurs fautes. Elle est même « divine parce que, ouvrant carrière au sacrifice, elle forme pour Dieu une foule d’âmes parfaites dans le peuple. »[48]. En effet, « la douleur produit des héros, parce qu’elle ramène de ses mystérieux champs de bataille des âmes fermes et généreuses. Personne n’est entré plus avant dans l’amour que celui qui a vu plusieurs fois la mort, en ces heures solennelles où le moi apporte son abdication. Par une action intérieure, la douleur produit le même effet dans notre âme. Elle tient ainsi secrètement une école d’héroïsme. Il n’y a rien de bon au monde comme les saints et les vieux soldats. » Et en note, il précise : « Le soldat suit la ligne d’éducation du saint. La guerre entreprend et la sainteté accomplit l’école du sacrifice. Toutes deux firent naître en l’homme la soif sacrée de la mort. Le christianisme fit jaillir des légions de martyrs du sein des familles patriciennes et guerrières de Rome. » Et de citer Joseph de Maistre (sans référence) : « Un phénomène remarquable, c’est que le métier de la guerre ne tend jamais à dégrader ni à rendre féroce celui qui l’exerce ; il tend à le perfectionner. L’homme le plus honnête est ordinairement un militaire honnête. Dans le commerce de la vie, les militaires sont plus aimables, plus faciles et plus obligeants que les autres hommes. Au milieu du sang qu’il fait couler, le guerrier est humain, comme l’épouse est chaste dans les transports de l’amour. Le soldat est si noble qu’il ennoblit ce qu’il y a de plus ignoble, en exerçant sans s’avilir les fonctions de l’exécuteur. »[49]. « Pourquoi une sainte amnistie s’élève-t-elle des champs de bataille ? Pourquoi Dieu a-t-il permis la guerre aussi longtemps parmi les hommes ? Pourquoi à cet être qui vit, est-il toujours noble, toujours saint, oui, toujours glorieux et divin de mourir ? - Pourquoi ? Parce que dans la guerre, l’homme se sacrifie. Et là il trouve le moyen de faire comme un peuple de demi-martyrs de ceux qui, par eux-mêmes, ne courraient point au sacrifice. »[50]

Le sacrifice du soldat au combat est sanctificateur parce que la guerre est divine et surtout quand cette guerre est une guerre de la chrétienté. Ce caractère est accentué dans l’œuvre de Psichari.

Bien qu’Alfred de Vigny⁠[51] ait écrit qu’« il n’est point vrai que la guerre soit divine ; il n’est point vrai que la terre soit avide de sang. La guerre est maudite de Dieu et des hommes qui la font et qui ont d’elle une secrète horreur, et la terre ne crie au ciel que pour lui demander l’eau fraîche et la rosée pure de ses nuées »[52], Psichari a été très marqué par une autre affirmation du célèbre poète : « Les régiments sont des couvents d’hommes, mais des couvents nomades ; partout ils portent leurs usages empreints de gravité, de silence, de retenue et cette scrupuleuse exactitude à remplir le vœu sévère de l’obéissance. »[53]. Non seulement le vœu de l’obéissance mais aussi celui de pauvreté. On en retrouvera l’écho dans L’Appel des armes  : « La servitude militaire existe, comme existe la servitude du prêtre (…). Mais il n’y a de libres au monde que ces esclaves. »[54] « Nous sommes de ceux qui rêvent de se soumettre pour être libres. Et quel maître ne faut-il pas maintenant ? C’est le maître du Ciel et de la terre que nous appelons. »[55]

En effet, Psichari lie étroitement l’armée et la foi : « Il me semblait qu’une bataille de prêtres devait être la plus haute émotion humaine. (…) La passion guerrière nous fait désirer de nouvelles richesses spirituelles. »[56] Et la foi, la foi catholique, est elle-même liée à la patrie : « Comment ne pas voir que cette terre est bénie entre toutes, qu’elle est et restera toujours la terre de l’humble fidélité, et que c’est elle que Dieu a choisie quand il veut que quelque chose de grand s’accomplisse ici-bas ? »[57]

Dans un premier temps, dans L’Appel des armes, la vie militaire apparaît à Psichari comme une religion qui l’aide à se structurer moralement⁠[58] mais après sa conversion au catholicisme, la guerre va l’amener à reconsidérer le métier de soldat. La mort apparaît comme un moyen de purifier le pays par le sacrifice de sa vie : « notre mission sur la terre est de racheter la France par le sang »[59]. « Il me semble que nous sommes ramenés à la pensée de la mort, de la mort glorieuse du chrétien, car, ce jour-là, le ciel aussi est en joie. Que cela doit être beau, et quel bonheur de pouvoir y penser dès maintenant, malgré le poids effrayant de notre misère humaine. »[60]

La guerre devient un acte religieux. Il faut, dit-il, « Aller à cette guerre comme à une croisade, parce que je sens qu’il s’agit de défendre les deux grandes causes à quoi j’ai voué ma vie. »[61]

Et quelques jours avant sa mort, le 9-8-1914, il écrit à sa mère : « Nous avons hâte de voir le jour tant désiré où nous pourrons tirer sur les Allemands (…). Nous avons tous le ferme espoir de revenir avec l’Alsace-Lorraine dans nos deux mains. Ce que nous voyons est inoubliable et magnifique. Et ce que nous allons voir sera plus beau encore. »[62]

On peut donc dire que : Psichari « considère que l’armée est un instrument divin, aux ordres de Dieu, dont la mission est de racheter la France, de faire barrage à la barbarie spirituelle germanique, de renouveler le sacrifice de Jésus. » Il a eu « le temps de vivre la guerre comme un acte de piété et de purification, où il retrouvait, à sa façon, les vertus essentielles du christianisme - le sacrifice, le culte des morts, la dévotion, le sens de la mission, l’expiation, le pardon… »[63].

Dans la Préface qu’il écrit pour Le voyage du Centurion, en 1922, Paul Bourget⁠[64] confirme que « le romancier revendique le droit d’associer l’Évangile et l’épée, en vertu d’un texte qui prouve qu’il peut, qu’il doit y avoir ! une doctrine chrétienne de la guerre. Le Christ qui a dit au riche : « Quittez vos richesses », ne dis pas au Centurion : « Quittez votre service. » » (p. V). Et dans le cadre de l’Afrique du Nord où se déroule le roman, le soldat est missionnaire car « la France, en présence de l’Afrique, c’est l’Église en présence de l’Islam, la Croix dressée en face du Croissant. » (XXI) « Il a la charge d’imposer la France partout où il passe. » p. 167. La France ou la vraie foi, c’est tout un. Dans cet esprit, la guerre contre l’Allemagne prend aussi valeur religieuse : « Le centurion du Voyage n’a fait que démêler en lui plutôt le Croisé préfiguré dans tous ceux qui portent l’uniforme de la France. Chez les uns, il apparaît conscient comme chez lui. Les autres ignoreront jusqu’à la fin ce caractère mystique de leur propre action. Le Croisé est vivant dans tous. Il explique pourquoi la guerre comprise à l’allemande nous cause une horreur qui nous révolte dans nos fibres les plus secrètes. C’est que nous sommes les soldats de la chrétienté, et que nous avons devant nous les soldats d’Odin. » (XXII-XXIII). Jacques Maritain avait déjà fait cette analyse en 1915 et en des termes plus radicaux : « Loin de condamner l’Allemagne du mensonge et des massacres (…), Luther la justifie et, d’avance, la lave de ses crimes » les soldats ont « la certitude qu’ils se battent dans le camp de la civilisation contre celui de la barbarie, dans le camp du Christ contre celui du diable. »[65]

Dans cet esprit, la mort du soldat Psichari le fait apparaître comme saint aux yeux de nombre d’écrivains. Ainsi, Barrès : « Péguy, mort. Son ami Tharaud écrit : « Nous avons perdu un saint ». Ernest Psichari, mort. ? Je dis : il y avait en lui autre chose que ce qui fait un artiste. Il y avait la matière d’un saint. »[66] De même, Claudel écrira : « Psichari a vécu comme un héros, il est mort comme un martyr, il est un de ceux dont le noble sang a sauvé et racheté le pays. »[67] Claudel va encore plus loin dans un poème sur la mort de Psichari, où il associe le sang du Christ au sang du soldat:

« Il y a ce grand coup en plein cœur, d’où jaillit de toutes parts le témoignage et la gloire et merci ! L’absolution !

Il y a ce sang généreux qu’il propine[68] à toute la France

Ce sang pour que la terre natale l’absorbe et le médite en silence

Le sang qui s’est ouvert un passage à travers le corps déchiqueté,

(Béni soit le ventre qui t’a conçu et le sang qui t’a allaité)

Il y a cette grande confession rouge ainsi qu’un fleuve spirituel

Et ce sang qui sur l’autel chaque matin se mélange au sang d’Abel ! ». Ailleurs encore, l’auteur de L’annonce faite à Marie fait dire à un de ses personnages : « Je vois le petit-fils de Renan[69]. Que fait-il ? Il est par terre les bras en croix, avec le cœur arraché et sa figure est comme celle d’un ange. Il a le signe sur lui du troupeau de saint Dominique. Tu vois son corps, mais son âme, dis-nous, où est)-elle ? Saint Dominique l’enveloppe dans son grand manteau avec les autres tondus »[70].

Le poète Pierre de Nolhac⁠[71] n’est pas en reste, dès 1915 il consacre un poème à la mort de Psichari:

« Sur la pièce où le frappe un obus du Germain

Fils de l’Esprit, il tombe esquissant de la main

Le signe de la foi qui libère et qui lave. »

Et Jacques Maritain, de nouveau, convaincu que « la pénitence est prescrite dans l’Évangile et [que] les guerres sont des châtiments. »[72], écrira encore que Psichari « était un soldat chrétien, un chevalier de l’ancienne France. Il n’avait rien d’un romantique (…). Il était bien le frère du centurion de l’Évangile ».⁠[73]

Face à ces prises de position bellicistes et à ces louanges, face à cette conviction partagée par les croyants, les incroyants et même par des pacifistes que cette guerre est « une lutte pour la civilisation contre la barbarie » et qu’elle « débouchera sur un temps de renouveau et de paix »[74], rares sont les voix qui s’élèvent contre l’appel aux armes.⁠[75]

Le philosophe Michel Alexandre⁠[76] écrit fin 1916, début 1917: « Le fleuve de sang inonde la terre, vient battre nos maisons, les éclabousse toujours plus haut à mesure que le massacre ajoute victime à victime (…) Fait-il les voir inondés du sang de la croix, comme la mère du Christ, comme ses apôtres, martyrs de la patrie, au cœur percé des sept glaives de la douleur surhumaine. (…) Avons-nous accepté le marché du diable, la mort pour la mort ? Que mon fils, mon mari, mon frère, meure pour assurer, acheter, la mort de l’ennemi exécré. (…) « Caïn, Caïn qu’as-tu fait de ton frère ? » »[77]

L’écrivain Romain Rolland⁠[78] écrit: « (…) Le tragique de notre situation c’est que nous ne sommes qu’une poignée d’âmes libres, séparées du gros de notre armée, de nos peuples prisonniers et enterrés vivants au fon de leur tranchée. Il faudrait pouvoir leur parler et nous ne le pouvons pas (…) Le pourrions-nous que nous n’oserions pas leur dire tout ce que nous pensons, au risque de diminuer leurs forces pour la lutte, de ne pouvoir les délivrer. Ce serait une cruauté de plus. J’en connais tant qui se cramponnent à une foi qu’ils n’ont plus et qui ferment les yeux, pour aller jusqu’au bout de leur tâche. (…) Que pouvons-nous faire ? (…) Aujourd’hui comme hier, demain comme aujourd’hui, sauver dans nos cœurs fidèles la justice, l’amour, la pitié fraternelle, la paix intérieure - les plus purs trésors de l’humanité. Et, d’une nation à l’autre tâchons de nous connaître, tâchons de nous unir. Tâchons de former ensemble au milieu du déluge une de ces îles sacrées, comme aux jours les plus sombres du premier moyen âge un couvent de St Gall offrait son refuge contre les flots montants de la barbarie universelle. (…) Et quand la tempête sera finie nous rendrons aux peuples brisés leurs dieux que nous aurons sauvés. (…) Je m’offre autant que je le puis pour rapprocher vos mains de celles qui vous cherchent dans la nuit. (…) »⁠[79]

On se rappellera aussi, dans la mouvance socialiste, l’opposition farouche du député Jean Jaurès⁠[80] aux velléités de guerre. Le 3 juillet 1914, il est assassiné par un étudiant nationaliste⁠[81]. La gauche y compris nombre de socialistes se rallia alors à l’Union sacrée qui cherchait à rassembler tous les partis au moment du déclenchement de la guerre.

Moins connu, l’abbé Arthur Mugnier⁠[82], ami des écrivains, au nom de sa foi, s’insurge : « Folies que ces avances et ces reculs [sur le front]. Oui il faudrait faire la paix. Et on ne veut pas la faire… Et on préfère la mort de milliers de Français. Mort stérile ! On tue des Français pour la France. On se tue au nom de Dieu »[83]

Sur le plan intellectuel, notons l’œuvre et l’action d’Alfred Vanderpol⁠[84] qui se présente comme un pacifiste catholique nourri de toute la tradition scolastique et traducteur de Vitoria.⁠[85] Dès 1910 il milita en faveur de la paix, au sein de ce qui deviendra la Ligue des catholiques français pour la paix. De 1906 à 1913, il multiplia les conférences à travers la France et suscita la création de ligues semblables en Suisse, en Belgique, en Espagne et en Angleterre. En 1911, il jeta à Bruxelles les bases d’une Ligue internationale des catholiques et, en 1915, il collabora à la création d’un institut appelé Union dont le siège était à Louvain, et qui avait pour mission de restaurer les bases d’un véritable droit international. Après la deuxième réunion, en 1913, la guerre vint balayer tous ces efforts.⁠[86]


1. Et revancharde du côté français jusque dans la littérature populaire et enfantine (cf. ANGENOT Marc , Les idéologies du ressentiment, XYZ Editeur, 1995 ; Le roman populaire. Recherches en paralittérature, Presses de l’Université du Québec, 1975 ; cf. également les albums pour enfants de Hansi alias Jean-jacques Waltz ) et même médicale. (Cf. POIRIER J., Le discours « revanchard » dans la littérature de vulgarisation médicale française de 1870 à 1914, disponible sur:
   http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1983x017x003/HSMx1983x017x003x0261.pdf).
2. Ou bien, ils font preuve d’aveuglement ou de nostalgie en préconisant des attitudes complètement anachroniques, obsolètes. Ainsi, le P. Alphonse Gratry (1805-1872), professeur à la Sorbonne et membre de l’Académie française, écrit en 1861 : « Les peuples et les gouvernements doivent renoncer au droit païen de la conquête et reprendre l’idée si simple, si grande et si féconde du moyen-âge, l’idée de république chrétienne, le grand dessein de Henri IV, savoir : intime alliance des nations chrétiennes, suppression de l’Empire ottoman, loyal effort, fait en commun, pour mettre en ordre le monde entier. » (Cité in COMBLIN J., Théologie de la paix, Principes, Editions universitaires, 1960, p. 24) .
3. Le dramaturge COPEAU Jacques (1879-1949) s’exclame à l’époque : « Voilà l’admirable : une nation pacifique et pacifiste victorieuse d’un formidable militarisme, faisant la guerre formidable détruisant la guerre par la guerre ! » (Journal, 13-11-1914, Seghers, 1991, p. 624. Cité in BECKER Annette, Messianismes et héritage de la violence, de 1914 aux années trente, in Théologies de la guerre, p. 60.
4. Le président Woodrow Wilson (1856-1924) dira lors de l’entrée en guerre des États-Unis (1917) : « la guerre qui met fin à toutes les guerres ». (Cf. BECKER A., id.).
5. Le président français Raymond Poincaré (1860-1934) déclare en 1915 : « Il n’est pas un seul de nos soldats, il n’est pas un seul citoyen, il n’est pas une seule femme de France qui ne comprenne clairement que tout l’avenir de notre race, et non seulement son honneur, mais son existence même sont suspendus aux lourdes minutes de cette guerre inexorable. (…) Ce n’est pas en vain que se seront levées en masse de tous les points de France, ces admirables vertus populaires. Laissons-les, laissons-les achever leur œuvre sainte. Elles frayent le chemin à la victoire et à la justice. » (Cité in BECKER A., id.).
6. BECKER A., op. cit., p. 68.
7. Mourre. L’historien précise : « La cause immédiate du conflit fut l’assassinat à Sarajevo par le terroriste serbe Princip, de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand (28 juin 1914). Mais la Première Guerre mondiale eut des causes plus lointaines ; elle fut l’aboutissement des rivalités impérialistes qui déchiraient l’Europe depuis un demi-siècle. » L’Autriche-Hongrie voulait en finir avec la Serbie qui était le centre de l’agitation slave dans les Balkans ; la Russie était tentée par une guerre de diversion pour étouffer les velléités révolutionnaires ; l’Allemagne liée à l’Autriche était gouvernée par un Guillaume II belliciste et déséquilibré et par sa puissance économique menaçait l’Angleterre ; la France intellectuelle surtout, depuis 1871, était obsédée de revanche exaspérée par des écrivains nationalistes et dirigée à partir de 1913 par le Président lorrain Raymond Poincaré, partisan résolu de la guerre.
8. Cf. COUSTILLAC Mechthild, Message de paix et devoir de guerre. Controverse et débats autour du service armé des pasteurs allemands en 1914-1918, in CAHN, op. cit., pp. 227-240.
9. Durant la guerre de 14-18, « il est arrivé que des juifs allemands demandent expressément à être inhumés sous une croix pour montrer leur attachement à la commune patrie allemande » (CHALINE Olivier, Mesure de la démesure-la première guerre mondiale, in Communio, n° XXXVIII, mai-août 2013, p. 26, n. 14). O. Chaline est professeur d’histoire moderne à l’Université de Paris-Sorbonne.
10. L’écrivain MANN Thomas (1875-1955) ira plus loin. Dans son discours de 1945 « L’Allemagne et les Allemands », puis, en 1947, dans son roman « Docteur Faust », il accuse Luther et la Réforme d’avoir séparé l’Allemagne du reste de l’Europe et de l’avoir soumise au prince et plongée dans les guerres. Il cite ce texte du Réformateur évoquant une guerre défensive décidée par le prince : « Et de ce fait, les sujets ont le devoir d’obéir au péril de leur vie et de leurs biens ; car dans ce cas un chacun doit risquer sa vie et ses biens pour autrui. Et dans une telle guerre il est chrétien et une œuvre de charité de massacrer l’ennemi, de piller et de brûler et de faire tout ce qui peut lui faire tort jusqu’à la victoire, -comme il est d’usage dans les guerres ; il suffira de se garder de commettre des péchés en violant les femmes et les vierges. » (Cf. GENTON François, « …le rustre de Wittenberg n’était pas un pacifiste. » Luther et le IIIe Reich selon Thomas Mann, in CAHN, op. cit., p. 277. Université Grenoble III)
11. Outre que le soldat doit partager le sacerdoce universel des croyants, divers arguments seront avancés : l’Ancien Testament est le « livre de guerre du Dieu vivant » ; la guerre est un châtiment divin, corollaire inéluctable du péché, un instrument d’amour et de paix ; il faut combattre l’égoïsme par le devoir ; c’est l’occasion de renforcer la moralité ses combattants, de connaître mieux l’âme du peuple, de renouer avec les vertus allemandes originelles qui sont aussi des vertus protestantes opposées aux puissances occidentales héritières de la révolution française. Et qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’abord d’apporter une assistance spirituelle aux soldats : « face à la mort, le soldat a moins que les autres fidèles besoin de la parole du pasteur ». Enfin, beaucoup reprennent la théorie de la « guerre juste » : la guerre de 14 « remplit tous les critères du ius ad bellum […]. La iusta causa est celle de la légitime défense proclamée par l’empereur Guillaume II, qui avait affirmé publiquement le jour de la déclaration de guerre : « Nous avons été, au sens littéral du terme, assaillis en pleine paix par la jalousie de l’ennemi qui nous entoure ».[…] La recta intentio est celle de défendre les plus hautes valeurs chrétiennes […]. Quant à l’ultima ratio, [c’est] imposer le droit lequel « crée les conditions et nous offre la possibilité d’honorer le message d’amour [de l’évangile] ». La legitima auctoritas est celle de Guillaume II, reconnu non seulement comme autorité légitime, séculière et ecclésiastique, mais au-delà, comme modèle d’honnêteté politique et de vertu chrétienne. Quant à l’espoir d’une issue positive (pax), il est, évidemment, de rigueur en 1914. » (COUSTILLAC Mechthild, op. cit., p. 232).
12. 1858-1945, juriste et historiographe.
13. Cité in COMBLIN J., Théologie de la paix, Principes, Editions universitaires, 1960, p. 20, note 27.
14. Cité in COMBLIN J., Id., p. 21, note 28.
15. 1882-1962.
16. Cité in BECKER A., op. cit., p. 62. En 1918, sont publiées en Allemagne des lettres de soldats. Elles sont republiées en 1933 avec cette présentation : « En ces jours où l’Allemagne rajeunit et se rallie aux valeurs et à la rénovation nationales, une édition populaire des lettres de guerre d’étudiants morts au combat apparaît comme une mission patriotique. Car ce sont eux qui, les premiers, ont fait l’expérience, annoncé par avance et vécu cette pensée de la rénovation morale nationale dans la bataille, l’horreur, et le consentement à la mort (…) Ces lettres nous donnent le pouvoir de fonder dans la réalité cette patrie idéale, que leurs auteurs ont montrée comme à regret, pour lequel ils ont donné leur vie. Ces homme tôt tombés ont témoigné par leur sang non pas d’une Allemagne perdue mais bien d’une Allemagne nouvelle, dont nous voulons être les créateur et les citoyens ».(Id..)
17. 1858-1946. 
18. Sermon du premier dimanche de l’Avent 1915 à Westminster. Cité in BECKER A., op. cit., p. 61.
19. 1841-1914.
20. Cité in COMBLIN J., op. cit., p. 20, note 27.
21. COMBLIN J., J. Comblin, id., p. 31.
22. 1863-1948. En 1893, il fonde la Revue thomiste. À partir de 1900, il est professeur de philosophie morale à l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_catholique_de_Paris[Institut catholique de Paris
23. Le 10-12-1917.
24. Cité in COMBLIN J., op. cit., pp. 21-22, note 28.
25. Cité in CHALINE Nadine-Josette, Le clergé et la nation en guerre, in Communio, n° XXXVIII, mai-août 2013, p. 37.
26. Dit Jacques Péricard (1876-1944) journaliste, écrivain catholique nationaliste.
27. Cité in BECKER A., op. cit., p. 62.
28. « Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles
   Couchés dessus le sol à la face de Dieu. » (Eve)
29. TEILHARD de CHARDIN P., Genèse d’une pensée, Lettres 1914-1919, Grasset, 1961, p. 237, lettre du 15-2-1917.
30. 1883-1914.
31. Il s’agit surtout de L’Appel des armes, Paris, G. Oudin, 1913 et de deux livres posthumes : Le Voyage du centurion, préface de Paul Bourget, Paris, L. Conard, 1916 et Les Voix qui crient dans le désert. Souvenirs d’Afrique, préface du général Charles Mangin, Paris, L. Conard, 1920.
32. Le 22 août 1914 à Rossignol (commune de Tintigny) où il est enterré.
33. 1753-1821. Nous nous attacherons ici au chapitre De la guerre in Les soirées de Saint-Pétersbourg, ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la providence, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1895. L’ouvrage est conçu comme un dialogue entre un sénateur, un comte et un chevalier. L’ouvrage est intitulé Les soirées de Saint-Pétersbourg dans la mesure où ce Savoisien avait fui jusqu’en Russie l’invasion française de la Savoie en 1792.
34. Op. cit., pp. 125-128.
35. Id., p. 131.
36. Id..
37. ROUSSEAU Jean-Baptiste (1670-1741), Odes, Livre IV, VIII A la Paix in op. cit., p. 128.
38. MAISTRE Joseph de, op. cit., p. 130.
39. Id., p. 133.
40. Et l’auteur d’énumérer toutes les facettes de ce caractère divin : elle « est divine par ses conséquences d’un ordre surnaturel (…) dans la gloire mystérieuse qui l’environne et dans l’attrait non moins inexplicable qui nous y porte (…) dans la protection accordée aux grands capitaines (…) par la manière dont elle se déclare (…) dans ses résultats qui échappent absolument aux spéculations de la raison humaine (…) par l’indéfinissable force qui en détermine les succès. (op. cit., pp. 133-135).
41. Id., p. 133.
42. Id., p. 134.
43. Id., p. 138.
44. Id., p. 145.
45. 1815-1880.
46. BLANC de SAINT-BONNET A., La douleur, Société générale de Librairie catholique, 1878.
47. La douleur, pp. 50-51, note 1.
48. Id., p. 50, note 1.
49. Id., pp. 38-39.
50. Id., pp. 50-51.
51. 1797-1863.
52. Servitude et grandeur militaires (1835), Imprimé pour les amis du Livre, 1885, Livre II, chap. 1, p. 85. 
53. Id., pp. 87-88.
54. L’Appel des armes, Ed. L. Conard, 1945, p. 270.
55. Les Voix qui crient dans le désert, Ed. d’aujourd’hui, Les Introuvables, 1984, p. 206.
56. Id., p. 198.
57. Lettre à l’abbé Tournebise, in La Croix, 9739, 11-12-1914. Citée par DUFOUR Frédérique, Soldat de France, soldat du Christ : la justification divine de l’armée chez Ernest Psichari, in Théologies de la guerre, Ed. de l’Université de Bruxelles, 2006, p. 53. Agrégée d’histoire, diplômée de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, elle a publié Ernest Psichari, l’ordre et l’errance, Cerf, 2001.
58. MARITAIN J. explique que « Psichari (…) devait se rendre compte assez vite de l’absurdité qu’il y avait à chercher dans la « mystique » militaire l’équivalent d’une religion, et ce qu’il faut à l’homme pour vivre et pour mourir. Etant donné pourtant son histoire individuelle , on comprend pourquoi il a dû passer par ce stade et pourquoi son apologie du soldat ne devait pas se placer à un point de vue positif et extérieur de réalisme politique et social, mais du point de vue du réalisme de l’âme, au point de vue de l’héroïsme, et de la conquête de l’ordre intérieur. » (Antimoderne, Ed. de la Revue des jeunes, 1922, p. 223).
59. Les Voix qui crient dans le désert, op. cit., p. 207.
60. Lettre à J. Maritain, 17-8-1913. (Citée par DUFOUR Fr., op. cit., pp. 54-55).
61. Cité par MASSIS H., La vie d’Ernest Psichari, Librairie d’art catholique, 1916, p. 53. (Cité in DUFOUR Fr., op. cit., p. 55). Comme le héros de son livre Les Voix qui crient dans le désert, il peut dire : « Je ne pouvais qu’appeler à mon aide le Dieu des armées et le supplier de se manifester à moi. » (op. cit., p. 198).
62. Citée par DUFOUR Fr., op. cit., p . 55.
63. Id..  
64. 1852-1935. 
65. MARITAIN Jacques (La Croix, 20-1 et 3-2-1915) cité in DUFOUR F., op. cit ., p. 46-47. 
66. BARRES M., Mes Cahiers, 1896-1923, Plon, 1957, p. 130, cité in DUFOUR F., op. cit., p. 47.
67. Lettre à Henriette Psichari, in DUFOUR F., op . cit., p. 48. H. Psichari était une des sœurs d’Ernest.
68. Propiner n’existe pas en français. To propine existe en anglais. Ce verbe vient du latin propinare : « présenter une coupe dans laquelle on a bu, offrir à boire, offrir.
69. Par sa mère : Cornélie Renan.
70. La Nuit de Noël 1914.
71. 1859-1936.
72. Lettre au cardinal Billot, 23-8-1918, cité in DUFOUR F., op. cit., p.47.
73. Cité in DUFOUR F., op. cit., p. 50.
74. CHALINE Olivier, 14-18, défense ou autodestruction de la civilisation ? in Communio, n° XXXVIII, 3-4, mai-août 2013, p. 12.
75. Il faut signaler un auteur intéressant dans sa démarche : NORTON CRU Jean (1879-1949 ) auteur de Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Les Etincelles, 1929 réédité en 2006 par les Presses universitaires de Nancy. Son idée : pour construire la paix, il faut représenter la guerre avec exactitude. Pour cela, il confronte 300 ouvrages et 250 acteurs et témoins de la grande guerre pour notamment « montrer que la guerre ne ressemble pas à ce que nous disent les écrivains et journalistes […], ni à ce que nous montrent les artistes […] La guerre n’est pas belle ; elle est laide, elle est horrible » (cf. CAZALS Rémy, Représenter la guerre avec véracité pour construire la paix : Jean Norton Cru et 14-18, in CAHN, op. cit., pp. 187-197) (R. Cazals est professeur à l’université de Toulouse II)
76. 1888-1952. Disciple d’Alain.
77. Cité in BECKER A., op. cit., p. 63.
78. 1866-1944. Disciple de Tolstoï et des philosophes pacifistes de l’Inde. Il se trouve en Suisse lors de la déclaration de la Première Guerre mondiale qui, à ses yeux, est un « suicide » pour l’Europe. Il y demeure, s’engage au sein de la Croix-Rouge et publie des pamphlets qui visent tous les belligérants (Au-dessus de la mêlée). Il sera considéré comme tr aître par les nationalistes français. Notons, qu’en raison de son âge, Romain Rolland n’était pas mobilisable.
79. Lettre à Jeanne Halbwachs, mai 1915, citée in BECKER A., op. cit., p. 63. Jeanne Halbwachs était l’épouse de Michel Alexandre, Sa femme était militante socialiste, féministe et « pacifiste intégrale » (Cf. WEIS Cédric, Jeanne Halbwachs, une pacifiste intégrale, Presses de l’Université d’Angers, 2005).
80. 1859-1914.
81. Raoul Villain (1885-1936) est incarcéré en attente de son procès durant toute la Première Guerre mondiale. Dans un contexte nationaliste, il est acquitté lors de son procès par un jury populaire, après une courte délibération, par onze voix contre une, le 29 mars 1919. La veuve de Jaurès, partie civile, est condamnée aux dépens. Il sera fusillé par les anarchistes espagnols à Ibiza où il s’était installé.
82. 1853-1944.
83. Journal, 28-5-1916, cité in DUFOUR Fr., op. cit., p. 56, note 18.
84. 1854-1915.
85. Droit de guerre d’après les théologiens et les canonistes du moyen âge, Tralin, 1911, ;  La guerre devant le christianisme, A. Tralin, 1912 ; La doctrine scolastique du droit de guerre, Pedone, 1919.
86. Cf. le compte-rendu de BODET M.. sur le livre de VANDERPOL Alfred, La doctrine scolastique du droit de guerre, in Revue d’histoire de l’Église de France, 1921, vol. 7, n° 34, pp. 59-63.

⁢ii. Et le Magistère de l’Église, quelle est sa position ?

Alors que pendant quelques siècles, on n’a plus entendu la voix de l’Église, elle va de nouveau retentir et de plus en plus fortement justement à partir de cette guerre 14-18 et sur un ton nouveau.

⁢a. Pie IX

Pour bien mesurer l’évolution à laquelle nous allons assister, il n’est pas inutile de s’attarder un peu au pontificat de Pie IX⁠[1]. Ce souverain pontife peut être considéré comme le dernier représentant d’une espèce ambigüe voire contradictoire qui doit être au service du Prince de la paix mais qui, en tant que souverain temporel, est, bon gré, mal gré, entraîné sur les chemins de la guerre.

Au début du XIXe siècle, rappelons-nous, l’Italie est morcelée et la plupart de ces petits États, à part le Piémont, sont dominés ou contrôlés par la puissance autrichienne. Un peu partout des mouvements patriotiques rêvent, dans le secret et dans l’agitation, de se libérer de cette présence, d’en finir avec l’ancien régime et de réaliser l’unité de la péninsule.⁠[2]

Cette lutte contre l’Autriche est-elle juste ? Telle est la question qui se pose à la papauté. En mars 1848, Pie IX autorise des volontaires pontificaux à se joindre à l’armée du roi de Piémont Charles-Albert contre les Autrichiens⁠[3]. Fin avril, le pape se ravise, il se rend compte qu’il soutient des libéraux révolutionnaires contre des catholiques amis de l’ordre ! On ne peut assimiler la lutte contre l’Autriche à la lutte contre l’Islam ! En 1849, il explique qu’il ne peut participer à une guerre : « Nous, qui, tenant la place de Jésus-Christ sur cette terre, avons reçu de Dieu, auteur de la paix et ami de la charité, la mission d’embrasser dans une égale tendresse de Notre paternel amour tous les peuples, toutes les nations, toutes les races, de pourvoir de toutes Nos forces au salut de tous, et de ne jamais appeler les hommes au carnage et à la mort. »[4] De même, en 1859 au moment où de nouveau se déclare la guerre entre le Piémont et l’Autriche, Pie IX reste neutre : Victor-Emmanuel II et son ministre Cavour sont certes patriotes mais libéraux et quelque peu anticléricaux. Ils sont alliés à Napoléon III soutenu par l’Église et font face à un agresseur catholique ! Dans l’encyclique Cum sancta Mater[5], Pie IX qui a entendu « le cri sinistre de la guerre », souhaite que Jésus-Christ « fasse cesser les guerres dans toute l’étendue du monde, éclaire des rayons de sa grâce divine les esprits de hommes, remplisse leurs cœurs de l’amour de la paix chrétienne. »

Mais, en 1860, Pie IX abandonne son attitude pacifique. Les Piémontais soutiennent en secret l’insurrection républicaine menée par Garibaldi⁠[6] qui de nombreux États y compris les États pontificaux. Pie IX condamne cette politique qui cherche à dépouiller le Saint Siège « du pouvoir civil qu’il possède » et qui conseille « aux peuples une rébellion coupable contre les princes légitimes ». En vertu de quoi il excommunie et anathématise tous ceux qui de près ou de loin sont ou seront complices de ce crime.⁠[7] ; de même leurs commettants, fauteurs, aides, conseillers, adhérents, ou autres quelconques ayant procuré sous quelque prétexte et de quelque manière que ce soit l’exécution des choses susdites, ou les ayant exécutées par eux-mêmes, ont encouru l’excommunication majeure et autres censures et peines ecclésiastiques portées par les saints canons et les constitutions apostoliques, par les décrets des conciles généraux et notamment du saint concile de Trente, et au besoin nous les excommunions et anathématisons de nouveau. Nous les déclarons en même temps déchus de leurs privilèges, grâces et indults accordés, de quelque manière que ce soit, tant par nous que par nos prédécesseurs. Nous voulons qu’ils ne puissent être déliés ni absous de ces censures par personne autre que nous-même ou le Pontife romain alors existant, excepté à l’article de la mort, et en cas de convalescence ils retombent sous les censures ; nous les déclarons entièrement incapables de recevoir l’absolution jusqu’à ce qu’ils aient publiquement rétracté, révoqué, cassé et annulé tous leurs attentats, qu’ils aient pleinement et effectivement rétabli toutes choses dans leur ancien état, et qu’au ,préalable ils aient satisfait, par une pénitence proportionnée à leurs crimes, à l’Église, au Saint-Siège, et à nous. C’est pourquoi nous statuons et déclarons, par la teneur des présentes, que tous les coupables, ceux mêmes qui sont dignes d’une mention spéciale, et que leurs successeurs aux places qu’ils occupent ne pourront jamais, en vertu des présentes ni de quelque prétexte que ce soit, se croire exempts et dispensés de rétracter, révoquer, casser et annuler, par eux-mêmes, tous ces attentats, ni de satisfaire réellement et effectivement, au préalable et comme il convient, à l’Église, au Saint-Siège et à nous ; nous voulons au contraire que, pour le présent et pour l’avenir, ils y soient toujours obligés afin de pouvoir obtenir le bienfait de l’absolution. »
   Déjà en 1851 (22 août) dans la Lettre apostolique Ad Apostolicae, Pie IX avait condamné, entre autres, les thèses défendues par Jean-Népomucène Nuytz, dans des « livres pestilentiels », mettant en question le pouvoir temporel direct et indirect des papes. Il y reviendra encore dans sa lettre encyclique Quanto conficiamur du 10 août 1863. ] Pie IX n’en reste pas là. Farouchement attaché à garantir l’indépendance de l’Église par son pouvoir temporel, il demande le secours armé des princes catholiques.⁠[8]

Le 29 juillet 1860, dans une lettre aux évêques de Syrie, il met sur le même pied les « Turcs et d’autres nations barbares », les Piémontais et les révolutionnaires alliés : « Fasse le Dieu immortel, en la main duquel sont les cœurs des souverains, que les principaux princes chrétiens soient excités à réprimer les efforts des infidèles […]. Puissent enfin ces mêmes princes comprendre aussi quel grave, ou plutôt quel extrême danger menace toute société s’ils ne réunissent toutes leurs ressources et leurs forces pour dompter et briser aussi en Europe l’audace de ces hommes de perdition, de ces hommes saisis d’un nouvel accès de rage, qui n’un qu’un projet, qu’un but, celui d’éteindre dans les âmes tout sentiment religieux, d’anéantir tous les droits divins et humains. »[9]

Toujours en 1860, le 28 septembre, dans l’allocution Novos et Ante, Pie IX fait un peu écho aux éloges adressés, par exemple, par saint Bernard aux « nouveaux miliciens ». La guerre pour les États pontificaux est une guerre méritoire : les morts ont droit à une « mention honorifique […] pour l’éclatant exemple de foi, de dévouement envers Nous et ce Siège, qu’ils ont, en immortalisant leur nom, donné au monde chrétien ». Et le Saint Père ajoute : « Nous entretenons, en outre, l’espérance que tous ceux qui ont glorieusement succombé pour la cause de l’Église, obtiendront cette paix et cette béatitude éternelles, que Nous avons demandées et que Nous ne cesserons de demander au Dieu très-bon et très-grand. » Nouis ne sommes tout de même plus dans l’idéologie de la guerre sainte où le salut était promis. Ici le salut est espéré et demandé. La nuance est importante.

Pie IX condamne, dans ce même texte, le principe de « non-intervention » que les gouvernements catholiques allèguent. C’est un « funeste et pernicieux principe », une « pernicieuse absurdité »[10]. Et le pape de prendre la défense de ses troupes considérées par certains comme mercenaires : « Qui ne serait étonné de voir Notre gouvernement repris pour avoir enrôlé des étrangers dans Notre armée, quand tous savent qu’on ne peut jamais refuser à un gouvernement légitime le droit d’appeler des étrangers dans ses troupes. Assurément ce droit appartient à un titre plus spécial à Notre gouvernement, et celui du Saint-Siège, puisque le Pontife romain, père commun de tous les fidèles, ne peut pas ne point accueillir de grand coeur ceux qui, poussés d’un zèle religieux, veulent servir dans l’armée pontificale et concourir à la défense de l’Église. Et il faut remarquer ici que ce concours de catholiques étrangers est dû à la perversité de ceux qui ont attaqué le pouvoir civil du Saint-Siège. […] C’est avec une singulière malignité que le gouvernement piémontais ne craint pas de flétrir calomnieusement Nos soldats du nom de mercenaires, Nos soldats dont un grand nombre, nationaux ou étrangers, issus de noble race et brillants d’un nom illustre, ont voulu servir dans Nos troupes, sans solde, et par unique amour pour la religion. Le gouvernement piémontais n’ignore pas de quelle fidélité incorruptible était Notre armée, lui qui sait l’inutilité des manœuvres perfides employées pour corrompre Nos soldats ». Favorisant la rébellion, détruisant le droit, le gouvernement piémontais « ouvre ainsi une issue au fatal Communisme. »

Le 20 décembre 1860⁠[11], Pie IX fait l’éloge de ses troupes et des parents qui envoient leurs enfants à la guerre et « se glorifient et se réjouissent de leur sang versé pour cette cause » : « De presque tous les pays un grand nombre d’hommes, dont plusieurs sont issus des plus nobles races, accourent à l’envi dans cette ville pour la cause de la religion ; et, abandonnant leur propre famille, leurs femmes, leurs enfants, méprisant les fatigues et les périls, ils n’hésitent pas à s’enrôler dans notre milice et à donner leur vie pour l’Église, pour nous, pour la défense de notre principat civil et de la souveraineté du Saint-Siège […]. Vous n’ignorez pas surtout, vénérables frères, de quelle fidélité ont fait preuve nos soldats, assurément dignes de tout éloge, avec quel courage ils ont résisté à des hordes de scélérats, avec quelle gloire ils sont morts pour l’Église sur le champ de bataille. »

Ces sacrifices ne serviront à rien. En 1870, les Romains par un plébiscite votèrent leur rattachement au royaume d’Italie⁠[12]. Comme le fait remarquer Georges Minois, si le « Dieu des armées » a abandonné le chef de l’Église, c’est parce qu’il n’est pas le « dieu des armées ». Le pape vient de s’en rendre compte et l’expression « dieu des armées » disparaît en 1870 du vocabulaire pontifical.⁠[13] Plus un pape ne prêchera la mobilisation.⁠[14]


1. Pape de 1846 à 1878.
2. C’est le mouvement du « risorgimento » (résurrection) qui aboutira à l’unification de l’Italie.
3. Le général Durando (1807-1894) qui commande la troupe pontificale reprend dans une déclaration les termes d’Urbain II en 1095 et déclare sainte la guerre qu’il entreprend : « Le saint pontife a béni vos épées qui, unies à celles de Charles-Albert, doivent concourir à l’extermination des ennemis de Dieu et de l’Italie, de ceux qui outragèrent Pie IX, qui assassinèrent nos frères lombards et qui, par leurs iniquités, se placèrent hors de toute loi. Une telle guerre de civilisation contre la barbarie est donc, pour ces raisons, non pas seulement une guerre nationale , mais encore une guerre hautement chrétienne. Soldats, j’ai donc décidé que vous y participeriez en portant la croix du Christ sur vos uniformes […]. Avec elle et par elle nous serons vainqueurs. Que notre cri de guerre soit : Dieu le veut ! » (Cité par MINOIS Georges, L’Église et la guerre, De la Bible à l’ère atomique, Fayard, 1994, p. 363.)
4. Cité par MINOIS Georges, id..
5. 27 avril 1859.
6. Giuseppe Garibaldi 1807-1882.
7. Lettre apostolique Cum catholica Ecclesia, 26 mars 1860. « Nous déclarons que tous ceux qui ont pris part à la rébellion, à l’usurpation, à l’occupation et à l’invasion criminelle des provinces susdites, de nos États, et aux actes de même nature […
8. Dans Ad Apostolicae Sedis, 22-8-1851, Pie IX avait condamné cette proposition : « L’Église n’a pas le droit d’employer la force ; elle n’a aucun pouvoir temporel direct ou indirect ». Cette condamnation sera reprise dans le Syllabus (Proposition 24, 8-12-1864).
9. Cité par MINOIS G., op. cit., p. 366. A plusieurs reprises (Encyclique Qui pluribus, 9 nov. 1846 ; Allocution Quisque vestrum, 4 octobre 1847 ; Encyclique Nostis et Nobiscum, 8 déc. 1849 ; Lettre Apostolique Cum catholica Ecclesia, 26 mars 1860) et finalement dans le Syllabus (Proposition 63), Pie IX condamna l’idée qu’« Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux ». Toutefois le 27 avril 1864, il apporte son soutien aux insurgés polonais en déclarant : « Le sang des faibles et des innocents crie vengeance devant le trône de l’Eternel contre ceux qui le répandent. Pauvre Pologne ! J’aurais voulu ne pas parler avant le prochain consistoire ; mais je craindrais, en gardant plus longtemps le silence, d’attirer sur moi la punition céleste annoncée par les prophètes à ceux qui laissent commettre l’iniquité…​. Ce potentat, dont l’immense empire s’étend jusqu’au pôle, persécute et tue ses sujets catholiques, et par sa cruauté féroce, les a poussés à l’insurrection. Sous prétexte de réprimer cette insurrection, il extirpe le catholicisme, il déporte des populations entières dans des contrées glaciales oh elles se voient privées de tout secours religieux. Il arrache les prêtres à leurs troupeaux, il les exile, il les condamne aux travaux forcés ou à d’autres peines infamantes. Heureux ceux qui ont pu fuir et qui maintenant errent sur une terre étrangère ! Et que personne ne dise qu’en Nous élevant contre de tels attentats, Nous fomentons la révolution européenne. Nous savons distinguer entre la révolution socialiste et les droits légitimes d’une nation qui lutte pour son indépendance et sa foi religieuse. Nous déclarons…​. que Nous donnons Notre bénédiction apostolique à tous ceux qui, dans la journée d’aujourd’hui, auront prié pour la Pologne. Prions tous pour elle ! »
10. Le pape condamnera de nouveau ce principe dans le Syllabus (Proposition 62).
11. Allocution consistoriale.
12. Par 130.000 voix contre 1500. Pie XI condamnera le suffrage universel : " Je bénis tous ceux qui coopèrent à la résurrection de là France. Je les bénis dans le but (laissez-moi vous le dire) de les voir s’occuper d’une œuvre bien difficile mais bien nécessaire, celle qui consiste à faire disparaître ou à diminuer une plaie horrible qui afflige la société contemporaine, et qu’on appelle le suffrage universel. Remettre la décision des questions les plus graves aux foules nécessairement inintelligentes et passionnées, n’est-ce pas se livrer au hasard et courir volontairement à l’abîme ? Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle, et, quand, les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel. » (Discours aux pèlerins français, 5 mai 1874).
13. Op. cit., p. 368.
14. Il semblerait que lors du Concile Vatican I (1869-1870) il y eut diverses tentatives pour que les évêques condamnent la guerre moderne. Non seulement l’Italie vivait dans l’agitation mais la guerre de Sécession (1861-1865) s’était terminée quatre ans auparavant faisant 620.000 morts et plus de 400.000 blessés. (Cf. CHRISTIANSEN Drew, Un pape non-violent dans une époque de terreur, Ceras-revue Projet n° 288, septembre 2005 (disponible sur www.ceras-projet.com/index.php?id=1177).

⁢b. Taparelli

Les faits ont contribué à l’évolution de la pensée magistérielle mais des penseurs y ont travaillé aussi.

Ainsi, Taparelli⁠[1] qui, nous le savons, influença la pensée de Léon XIII.

Beaucoup de présentations simplifient la position de Taparelli et ne retiennent que son appel à la constitution de l’« ethnarchie », cette société naturelle de tous les hommes à laquelle se référait déjà Vitoria. Notons que Taparelli nous offre sa réflexion sur l’armée et la guerre dans le cadre d’un ouvrage de droit naturel « basé sur les faits » précise-t-il. Il fait œuvre de philosophe, non de théologien.

Taparelli justifie la possibilité pour l’autorité publique d’instaurer un service militaire obligatoire. La force publique, aux ordres de « l’autorité souveraine », « doit être telle que nulle autre ne puisse lui résister avec succès » mais, en même temps, il est « très important que l’armée soit soumise aux influences de la religion et de la conscience ». En effet, « si l’armée doit être une garantie pour la société, j’aime un soldat qui soit encore plus fidèle que vaillant ; et la valeur comme la fidélité viennent de la raison et de la conscience, ces vrais moteurs de l’acte humain, auxquels la foi et la religion viendront ajouter une force surnaturelle. »[2]

En ce qui concerne la guerre, Taparelli reprend, à sa manière, les règles établies depuis saint Augustin. Il ne parle pas des conditions de la « guerre juste » car la justice doit être une des quatre caractéristiques de la guerre selon le droit naturel : « La guerre étant essentiellement une lutte entre sociétés, tous ses actes seront des actes publics et sociaux ; la fin de la guerre étant le rétablissement de l’ordre, il faudra suivre les règles de la justice et de l’équité ; enfin la guerre étant une défense violente, elle devra déployer toutes les forces nécessaires, mais elle devra le faire avec modération, afin qu’elle ne dégénère pas en agression. Ainsi, publicité, justice, efficacité, modération dans la guerre, tels sont les caractères naturels, telles sont les lois qui doivent diriger les sociétés dans l’exercice de ce terrible droit. »[3]

Précisons ces quatre notions.

Taparelli entend que la guerre, comme acte public, ne peut dépendre que « des autorités qui gouvernent les nations, les sociétés belligérantes » et dont le rôle est de tendre au bien commun.⁠[4]

La guerre doit être juste puisqu’ « elle est essentiellement une lutte entre des hommes raisonnables, lutte qui a pour fin le rétablissement de l’ordre », le soutien du droit, la punition du coupable.⁠[5] A cet effet, un arbitrage est nécessaire de la part d’un juge impartial, d’une société neutre. A défaut, la décision sera laissée à la conscience des parties.

Comme la guerre « a pour fin principale de défendre et de protéger les droits d’une société injustement attaquée (…) ceux qui sont chargés de la conduire doivent donc employer les moyens les plus efficaces pour atteindre ce but. »[6]

Mais, de bout en bout, la guerre sera menée avec modération : prudence et dialogue avant tout déclenchement, respect mutuel du bien propre et final de la société et dans le cours de la guerre : veiller à obtenir la paix qui « est une certaine tranquillité résultant de l’ordre » et « chercher son bien propre en faisant le moins de mal possible à l’ennemi. »[7] Cette dernière exigence interdit les exterminations, les défenses inutiles, certains moyens de destruction. Par ailleurs, Taparelli met en garde contre ce que nous appelons aujourd’hui : la course aux armements et l’équilibre de la terreur. En effet, « la victoire dépend d’un équilibre rompu entre des forces opposées ; une destruction égale des deux côtés n’est pas un moyen propre à rompre cet équilibre et à donner la victoire. Aussi, la nation qui la première a établi la conscription et les levées en masse[8], a fait un mal immense à l’humanité, parce que toutes les autres nations ont dû en faire autant pour rétablir l’équilibre menacé ; l’équilibre a été maintenu, la force numérique des armes est restée égale de part et d’autre, mais les pertes des nations se sont immensément accrues. »[9]

On voit tout ce que Taparelli doit à ses prédécesseurs mais il va développer davantage que Vitoria la référence à la société universelle, « société internationale qui repose sur les faits naturels », « société des nations »[10] et qu’il va appeler « ethnarchie »[11] : les nations « tendent toutes à une certaine communauté d’intérêts qui doit être réglée d’après les principes de l’ordre et de la justice. De là une société particulière internationale où chaque nation est intéressée à vouloir le maintien de l’ordre ; cette société est le résultat d’une tendance commune à tous les peuples, et si la nature n’est pas accidentellement et violemment arrêtée dans son évolution, tous les peuples viennent infailliblement se ranger dans cette société internationale ; la communauté d’intérêts, la communication des idées, la sympathie des caractères, sont autant de biens réels, positifs, qui unissent les nations dans une union telle, que l’une d’entre elles, même la plus éloignée et la moins importante, ne peut être troublée par des désordres politiques, sans que toutes les autres ne ressentent plus ou moins le contrecoup de ces troubles. »⁠[12] Taparelli conscient du danger que constitue le nationalisme exacerbé de son époque, développe longuement, avec réalisme et optimisme⁠[13], sa conception de l’ethnarchie qui doit unir les sociétés, posséder une autorité et, à plus ou moins longue échéance, non pas éradiquer toute guerre mais en limiter considérablement l’éclosion. En effet, l’autorité ethnarchique est, « avant tout, la gardienne naturelle de l’indépendance des peuples : leurs biens, leur territoire, leurs droits, sont placés sous l’égide tutélaire de l’autorité internationale. Mais si cela est, nous dira-t-on peut-être, la guerre sera donc définitivement supprimée ?-Nous avons vu que la guerre, étant une lutte entre sociétés, doit être essentiellement publique ; nous avons vu aussi que les chefs des sociétés subordonnées ont le droit de déclarer la guerre pour de justes motifs, quand l’autorité suprême n’a pas encore atteint cette perfection intellectuelle, morale et matérielle qui peut faire régner la justice parmi les sociétés subordonnées. Ainsi, tant que l’autorité ethnarchique ne sera pas justement et solidement constituée, les nations pourront revendiquer leurs droits par la guerre.

Cet état d’imperfection ne peut pas durer toujours : la société ethnarchique, comme toute autre société, doit naturellement vouloir que le droit règne chez elle plutôt que la force ; dans une ethnarchie bien constituée, la guerre n’est possible qu’entre un peuple prévaricateur qui viole l’ordre, en opprimant ses voisins, et l’autorité ethnarchique qui est aidée par tous les peuples associés. C’est alors que, certain de se voir aidé par tous ses coassociés, organisé du reste d’après les lois ethnarchiques qu’il a lui-même approuvées, chacun de ces peuples pourra, même avec des forces très médiocres, être parfaitement rassuré sur son indépendance ; il pourra ainsi ne plus avoir à supporter cette charge énorme des armées permanentes (…). »⁠[14]

Nous n’en sommes pas encore là, néanmoins, le souci de la paix et la volonté de circonscrire les risques et les maux inhérents à la guerre et, d’une manière plus générale, à la violence, se retrouvent dans l’enseignement de Léon XIII qui rompt avec l’attitude de ses prédécesseurs et en particulier Pie IX dernier pape rêvant, nous l’avons vu, de « guerre sainte ».⁠[15] il s’agit de défendre le faible et l’opprimé contre les exigences intolérables et les agressions imméritées du fort et de l’oppresseur » (évêque de Coutances) ; pour l’évêque de La Rochelle, la Vierge rend l’armée invincible ; mais la palme revient à l’évêque de Nancy, cardinal : « C’est la cause de la liberté des consciences, de la bonne foi politique, de la paix, de l’ordre qu’il s’agit de défendre conter le prosélytisme le plus cruel et le plus entreprenant […]. Une pareille cause […] était digne de la France. Rien n’est plus noble que notre intervention : c’est la politique désintéressée et chrétienne qui, rejetant toute idée d’agrandissement, place l’intérêt commun au-dessus des avantages particuliers » (1852) ; « La guerre […] occupe dans les desseins de la sagesse divine une place non moins grande que dans l’histoire des peuples. Elle est la loi universelle de l’expiation ; et comme Dieu donne toujours sa miséricorde pour compagne à sa justice, elle peut devenir, selon la remarque de Bossuet, comme un bain salutaire où se retrempent et se régénèrent les nations.
   Aussi après chaque bouleversement, quand la mesure de nos offenses paraît à son comble, on est sûr de voir accourir l’ange rebelle des batailles ; lorsque la guerre est juste, le Seigneur lui-même la bénit, et l’Église consacre la mémoire des héros qui sont morts au champ d’honneur. Le Dieu des armées vient de manifester la protection visible qu’il accorde à la cause que nous défendons. » (1855) (Cf. MINOIS Georges, op. cit., pp. 369-370).
   Dans le même esprit, de nombreux prêtres, estimeront que la guerre franco-allemande de 1870-1871 et la défaite française seront expiatoires et régénératrice pour une France pécheresse.
   Les guerres coloniales unissent armée et mission. La grande révolte en Inde en 1857 contre l’occupant punit les vices de l’Angleterre et surtout sa négligence de la christianisation. Les combats mettent face à face Dieu et Satan et rappellent ceux de l’Ancien testament. La répression est célébrée en ces termes : « Le courant de la révolte s’est retourné grâce à la sagesse et aux prouesses des soldats chrétiens […] combattant, comme le dit l’un des plus nobles d’entre eux, pour la gloire du Dieu tout-puissant, la cause de l’humanité et de l’ordre ; d’une certaine façon, Dieu les a choisis dans ce but, pour montrer la folie de ceux qui affirmaient voir dans le progrès de l’Évangile la ruine certaine de notre empire oriental. » (Société missionnaire baptiste) ; le général Havelock attribue la victoire aux armes, au courage mais aussi « à la bénédiction de Dieu tout-puissant en faveur d’une cause très juste, la cause de la justice, de l’humanité, de la vérité, et du bon gouvernement en Inde ». (Cf. MINOIS Georges, op. cit., pp. 370-371)
   Suivant les circonstances donc, le « Dieu des armées » est français ou anglais. Lors de la guerre de Sécession (1861-1865), il est américain, à la fois sudiste et nordiste. Les prêches nordistes sont intéressants parce qu’on constate, outre la violence des propos, que les valeurs nationales, l’union en particulier, l’emportent sur la question de l’esclavage surtout au début du conflit et utilisent le langage religieux : la guerre est un devoir chrétien « aussi sacré que la prière, aussi solennel que les sacrements » ; « Il est miséricordieux de bien se battre et de frapper dur, c’est le message de la loi d’amour » ; « L’Écriture nous enseigne que la guerre est une façon de soumettre au Dieu tout-puissant la justice d’une cause contre les machinations d’hommes sanguinaires et trompeurs » ; « Nous portons l’Arche du Seigneur et les bénédictions de la nouvelle Alliance ; en douter est de l’athéisme. » ; « Nous devons sauver l’Union, même si en le faisant nous devons abolir l’esclavage. » ; « Cette rébellion impie doit être écrasée absolument, à tout prix. Si cela ne peut se faire sans écraser l’esclavage, écrasons l’esclavage ». Ici aussi la guerre est considérée comme un moyen de régénération : « Les épreuves sont aussi salutaires pour les nations que pour les individus. Les grandes afflictions font les grands saints, et pourquoi ne faudrait-il pas qu’un peuple traverse la fournaise pour être purifié, trempé et testé […]  ? Et maintenant le baptême du feu est le baptême par lequel elle [la nation] doit renaître. Elle va être sauvée et glorifiée […]. Ce sera une véritable bénédiction si le châtiment de la guerre, calamité pour les vainqueurs aussi bien que pour les vaincus, restaure le pays dans la pureté de ses beaux jours et enseigne à ses fils que la rectitude exalte une nation et que le péché est une tache pour un peuple. » (Cf. MINOIS Georges, op. cit., pp. 371-373)
   L’idée de « guerre divin » fleurit, nous l’avons vu, au moment de la guerre de 14-18. Les catholiques seront plus attachés à la nation, et même si l’État est anticlérical, qu’à l’Église. ]


1. 1793-1862. Professeur au Collège romain, il eut le futur Léon XIII parmi ses élèves. Il fut l’un des principaux fondateurs de la revue Civiltà cattolica.
2. Essai théorique de droit naturel, Casterman, 1875, Livre V, chap. VI, n° 1225-1230, vol. 1, pp. 560-562.
3. Essai théorique de droit naturel, Livre VI, chap. IV, art. 1 , n° 1320, op. cit., vol. 2, p.37
4. Id., art. 2, n° 1322, op. cit., vol. 2, p. 39.
5. Id., n° 1331, op. cit., vol. 2, p. 42.
6. Id., n° 1345, op. cit., vol. 2, pp. 48-49.
7. Id., n° 1350, op. cit., vol. 2, p. 51.
8. Il s’agit de la France, bien sûr.
9. Id., n° 1354, op. cit., vol. 2, p. 52.
10. Id., n° 1403, op. cit., vol. 2, p. 82.
11. Taparelli distingue cette « ethnarchie » d’autres sociétés internationales qu’il appellera confédérations ou unions, dans lesquelles le principe d’association est la volonté humaine et non le développement naturel.
12. Id., n° 1361-1362, op. cit., vol. 2, pp. 57-58.
13. « …quelque persuadé que je sois qu’un jour viendra où l’humanité réalisera cette magnifique unité de la société universelle, qui est dans les desseins de la Providence et dans les plus intimes tendances de notre nature, quelles que soient sous ce rapport mes convictions personnelles, basées sur des faits que j’observe en philosophe, sans les imaginer ni les idéaliser à la manière des poètes, je ne puis cependant me dissimuler que la réalisation de cette unité internationale que l’avenir nous réserve, ne soit encore bien éloignée (…). » (Id., n° 1401, op. cit., vol. 2, p. 81).
14. Id., n° 1377-1378, op. cit., vol. 2, pp. 67-68.
15. Au contraire de la papauté, les Église nationales vont jusqu’à la fin de la première guerre mondiale rester attachées à l’idée que certaines guerres peuvent être « saintes ».
   Ainsi lors de la guerre de Crimée (1853-1856) où la France, l’Angleterre et Le Piémont-Sardaigne volent au secours de l’empire Ottoman menacé par la Russie. Si, au point de départ, il s’agissait d’une rivalité entre Russes et Français pour la protection des lieux saints, très vite ce sont les intérêts politiques qui prédominèrent. N’empêche que de nombreux évêques français rivalisèrent de déclarations au style caractéristique : « Dieu le veut […

⁢c. Le pontificat de Léon XIII

[1]

Le futur Léon XIII, Joachim Pecci fut au début de sa carrière ecclésiastique nommé légat puis délégat par le pape Grégoire XVI. Dans les tribulations que connaissent les États pontificaux, sa position peut être qualifiée de légitimiste. Mais sa nomination comme nonce en Belgique, de 1843 à 1846 va le faire évoluer. Dans un pays dont le roi est protestant et où le pouvoir politique est partagé par les catholiques et les libéraux dont certains éléments sont durement anticatholiques, Mgr Pecci apprend à dialoguer avec ces différentes composantes sans trahir les intérêts de l’Église.

Nommé évêque de Pérouse en 1846, il se trouve confronté à une révolution durement réprimée par l’armée pontificale puis aux représailles terribles de l’armée piémontaise. Mgr Pecci va devoir de nouveau défendre les intérêts de l’Église mais sans violence en utilisant, dans ses relations avec le pouvoir, les principes de liberté que ses interlocuteurs prétendent défendre.⁠[2]

Sur le plan international, dès le début de son pontificat, Léon XIII⁠[3] manifesta sa volonté de pacifier les conflits.

En 1885, à la demande de Bismarck⁠[4] en accord avec l’Espagne, il dut intervenir dans le conflit qui menaçait entre les deux pays à propos de la possession des îles Caroline et Palaos, en Océanie. Le Pape trancha en faveur de l’Espagne, en s’appuyant sur le droit de propriété qu’avait ce pays au titre de premier occupant mais insista en même temps pour que l’Espagne ne laisse plus ces terres à l’abandon. d’autres médiations eurent lieu : en 1890, entre l’Angleterre et le Portugal à propos de la libre navigation sur le Zambèze ; en 1894, entre l’Angleterre et le Venezuela à propos de la Guyane ; en 1895, entre Haïti et Saint-Domingue à propos d’une querelle de frontière. Les successeurs feront de même.

Ces médiations marquent le retour de la papauté dans les affaires internationales au nom de la doctrine morale et sociale de l’Église.

Mieux, en 1888, dans l’encyclique In plurimis[5], à propos de l’enseignement de Paul⁠[6], il écrit ; « Enseignements bien précieux, honorables et salutaires, dont l’efficacité a non seulement rendu et accru au genre humain sa dignité, mais a aussi amené les hommes, quels que soient leur pays, leur langue, leur condition, à s’unir étroitement par les liens d’une affection fraternelle. (…) Grâce à cette charité, les générations qui florissaient d’une manière admirable et ne cessaient de contribuer à la prospérité publique, furent, peut-on dire, incorporées à la vie divine ; et alors, dans la suite des temps et des circonstances historiques, et grâce à l’œuvre persévérante de l’Église, se forma la chrétienté qui fut comme une grande famille des nations chrétiennes et libres. »[7] Cette dernière partie de la phrase est mieux traduite par « … alors que, dans la suite des temps et des événements et grâce à l’œuvre persévérante de l’Église, la société des nations put se constituer sous une forme chrétienne et libre, renouvelée à l’instar de la famille »[8]. Trente ans avant le traité de Versailles⁠[9] apparaissait donc l’expression « societas civitatum », société des nations ! Taparelli poursuivant la réflexion de Vitoria n’est sans doute pas étranger à cette idée…On sait que son enseignement a influencé Léon XIII.⁠[10]

Il est clair que Léon XIII a la nostalgie d’une entente « familiale » qui aurait existé entre les nations chrétiennes. Et donc, en fonction de cet idéal, tout ce qui peut mener à la guerre doit être combattu. Il a une vision claire de la situation dans laquelle se trouvent les nations européennes, gagnées par le nationalisme et la militarisation alors que les peuples aspirent à la paix et que « les souverains et tous les gouvernants d’Europe attestent hautement qu’ils n’ont qu’un désir et qu’un but : garantir les bienfaits de la paix, et cela avec le plein assentiment de tous les ordres de l’État (…) ».⁠[11]

Le saint Père, conscient que le progrès offre aujourd’hui des armes plus destructrices que jamais redoute une nouvelle guerre en Europe.⁠[12] Pour lui, la paix armée n’est pas le remède : « … des troupes nombreuses et un développement infini de l’appareil militaire peuvent contenir quelque temps l’élan des efforts ennemis, mais ne peuvent procurer une tranquillité sûre et stable. La multiplication menaçante des armées est même plus propre à exciter qu’à supprimer les rivalités et les soupçons ; elle trouble les esprits par l’attente inquiète des événements à venir et offre ce réel inconvénient de faire peser sur les peuples des charges telles qu’on peut douter si elles sont plus tolérables que la guerre. »[13] Quel est donc alors le vrai remède ? La justice et la charité : « … il faut chercher à la paix des fondements plus fermes et plus en rapport avec la nature ; en effet, il est admis par la nature que l’on défende son droit par la force et par les armes ; mais ce que la nature ne permet pas, c’est que la force soit la cause efficiente du droit. Et comme la paix provient de la tranquillité dans l’ordre, il s’ensuit que, pour les États comme pour les particuliers, la concorde repose principalement sur la justice et la charité. Il est manifeste que, dans le fait de ne violenter personne, de respecter la sainteté du droit d’autrui, de pratiquer la confiance et la bienveillance mutuelles, résident ces liens de concorde très forts et immuables dont la vertu a tant de puissance qu’elle étouffe jusqu’aux germes des inimitiés et de la jalousie. » C’est la mission de l’Église « de conserver, de propager et de défendre les lois de la justice et de la charité » et par là de pacifier les hommes et les sociétés. Le danger vient de l’irréligion qui se répand sous l’influence de « mauvaises doctrines ». Nous retrouverons l’essentiel de ce discours chez tous ses successeurs.

Il y reviendra dans son encyclique Praeclara gratulationis, Aux peuples et aux Princes de l’univers, le 20-6-1894.⁠[14] Après avoir évoqué les bienfaits que l’Église peut apporter aux sociétés dans la mesure où elle « peut s’employer plus efficacement que personne à faire tourner au bien commun les plus profondes transformations des temps, à donner la vraie solution des questions les plus compliquées, à promouvoir le règne du droit et de la justice, fondements plus fermes des sociétés ». Si l’Église pouvait jouer ce rôle, « il s’opérerait un rapprochement entre les nations, chose si désirable à notre époque pour prévenir les horreurs de la guerre ». Le Pape en vient à « la situation de l’Europe » : « Depuis nombre d’années déjà, on vit dans une paix plus apparente que réelle. Obsédés de mutuelles suspicions, presque tous les peuples poussent à l’envi leurs préparatifs de guerre. L’adolescence, cet âge inconsidéré, est jetée, loin des conseils et de la direction paternelle, au milieu des dangers de la vie militaire. La robuste jeunesse est ravie aux travaux des champs, aux nobles études, au commerce, aux arts, et vouée, pour de longues années, au métier des armes. De là d’énorme dépenses et l’épuisement du trésor public ; de là encore une atteinte fatale portée à la richesse des nations, comme à la fortune privée : et on en est au point que l’on ne peut porter plus longtemps les charges de cette paix armée. Serait-ce donc l’état naturel de la société ? Or, impossible de sortir de cette crise, et d’entrer dans une ère de paix véritable, si ce n’est par l’intervention bienfaisante de Jésus-Christ. Car, à réprimer l’ambition, la convoitise, l’esprit de rivalité, ce triple foyer où s’allume d’ordinaire la guerre, rien ne sert mieux que les vertus chrétiennes, et surtout la justice. Veut-on que le droit des gens soit respecté, et la religion des traités inviolablement gardée ; veut-on que les liens de la fraternité soient resserrés et raffermis ? que tout le monde se persuade de cette vérité, que la justice élève les nations (Pr 14, 34). »

En 1898, le tsar Nicolas II envoya au pape son ministre Mouraviev pour l’entretenir d’un projet de conférence internationale qui se pencherait sur la question du désarmement et étudierait les solutions pacifiques à apporter aux conflits entre États. Léon XIII souscrivit évidemment à cette initiative. Son secrétaire d’État (le cardinal Rampolla) répondit par une note rédigée, le détail est intéressant, par le futur Benoît XV, Mgr della Chiesa, alors attaché au service du secrétaire d’État. On lit dans cette réponse du Saint-Siège le diagnostic suivant : « On a voulu régler les rapports des nations par un droit nouveau, fondé sur l’intérêt utilitaire, sur la prédominance de la force, sur le succès des faits accomplis, sur d’autres théories qui sont la négation des principes éternels et immuables de justice ; voilà l’erreur capitale qui a conduit l’Europe à un état désastreux. » Et dans une intervention ultérieure, le remède est suggéré : « Il manque dans le consortium international des États un système de moyens légaux et moraux propres à déterminer, à faire prévaloir le droit de chacun. Il ne reste dès lors qu’à recourir immédiatement à la force […]. L’institution de la médiation et de l’arbitrage apparaît comme le remède le plus opportun. Elle répond à tous égards aux aspirations du Saint-Siège. Peut-être ne peut-on pas espérer que l’arbitrage, obligatoire par sa nature même, puisse devenir, dans toutes les circonstances, l’objet d’une acceptation et d’un assentiment unanimes. Une institution de médiation, investie d’une autorité revêtue de tout le prestige moral nécessaire, munie des indispensables garanties de compétence et d’impartialité, n’enchaînant point la liberté des parties en litige, serait moins exposée à rencontrer des obstacles. » La proposition était claire mais lorsque le 18 mai 1899, s’ouvre la Conférence de La Haye, à l’initiative du tsar Nicolas II, le Pape ne fut pas invité. L’Italie avait exigé cette absence. On lut simplement le message envoyé par le Pape qui rappelait le rôle pacificateur de la papauté qui « sait incliner à la concorde tant de peuples au génie divers »[15].

Et pourtant quelle clairvoyance de la part du Pape ! Quelle force morale il proposait ! Quelle aide spirituelle il apportait ! Un mois plus tôt encore⁠[16], le pape se réjouissait de ce projet de conférence qu’il avait désirée : « Nous ne cessons de souhaiter que cette entreprise si élevée soit suivie d’un effet complet et universel. Veuille le ciel que ce premier pas conduise à faire l’expérience de résoudre les litiges entre nations au moyen de forces purement morales et persuasives. »[17] Mais il mettait en garde : « se promettre une prospérité véritable et durable par les purs moyens humains serait une vaine illusion. De même, ce serait recul et ruine que tenter de soustraire la civilisation au souffle du christianisme qui lui donne sa vie et sa forme, et qui seul peut lui conserver la solidité de l’existence et la fécondité des résultats. »

Attaché, comme nous l’avons vu, à la « familiarité » qui devrait animer les nations chrétiennes, Léon XIII mit le doigt sur la racine du mal qui rongeait l’Europe et pouvait conduire à la guerre : le nationalisme. Il écrit en 1902 : « Les principes chrétiens répudiés, ces principes qui sont si puissamment efficaces pour sceller la fraternité des peuples et pour réunir l’humanité tout entière dans une sorte de grande famille, peu à peu a prévalu dans l’ordre international un système d’égoïsme jaloux, par suite duquel les nations se regardent mutuellement, sinon toujours avec haine, du moins certainement avec la défiance qui anime des rivaux. Voilà, pourquoi dans leurs entreprises elles sont facilement entrainées à laisser dans l’oubli les grands principes de la moralité et de la justice, et la protection des faibles et des opprimés. Dans le désir qui les aiguillonne d’augmenter indéfiniment la richesse nationale, les nations ne regardent plus que l’opportunité des circonstances, l’utilité de la réussite et la tentante fortune des faits accomplis, sûres que personne, ne les inquiétera ensuite au nom du droit et du respect qui lui est dû. Principes funestes qui ont consacré la force matérielle comme la loi suprême du monde, et à qui l’on doit imputer cet accroissement progressif et sans mesure des préparatifs militaires, ou cette paix armée comparable aux plus désastreux effets de la guerre, sous bien des rapports au moins.

Cette confusion lamentable dans le domaine des idées a fait germer au sein des classes populaires l’inquiétude, le malaise et l’esprit de révolte ; de là une agitation et des désordres fréquents, qui préludent à des tempêtes plus redoutables encore. La misérable condition d’une si grande partie du menu peuple, assurément bien digne de relèvement et de secours, sert admirablement les desseins d’agitateurs pleins de finesse, et en particulier ceux des factions socialistes, qui, en prodiguant aux classes les plus humbles de folles promesses, s’acheminent vers l’accomplissement des plus effrayants desseins.

Qui s’engage sur une pente dangereuse roule forcément jusqu’au fond de l’abîme. »[18]

Il est clair que Léon XIII est aussi soucieux de la paix au niveau international qu’il en a manifesté le prix sur le plan social. Face aux mouvements sociaux qui agitent son temps, il a bien stipulé que « la vraie religion enseigne aux hommes dans la peine de ne jamais recourir à la violence pour défendre leur propre cause. » Elle demande aussi aux « riches de s’interdire (…) tout acte violent (…). »⁠[19]

Si le pape se préoccupe de la montée du nationalisme et des risques de guerre, il faut reconnaître qu’au niveau des églises locales, il n’en est pas de même. Non seulement, les catholiques seront longtemps absents des sociétés et congrès pacifistes qui apparaissent au XIXe siècle mais, de plus, les catholiques anglais tentèrent en vain de faire inscrire au programme du Concile de Vatican I le problème de la guerre et de la paix . Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir des catholiques au sein des sociétés et ligues pacifistes. Ainsi la Ligue internationale des pacifistes catholiques fut présidée par le Belge Auguste Beernaert.⁠[20]


1. Pape de 1878-1903.
2. Vacant évoque deux lettres pastorales en 1877 et en 1878 dans lesquelles on trouve déjà « cette cordialité d’accent à l’égard de la saine civilisation et du vrai progrès, cet esprit d’hospitalité à l’endroit de toutes les légitimes conquêtes du génie humain, cette aspiration de l’Église à devenir l’instigatrice de toute campagne généreuse, qui caractériseront le pontificat de Léon XIII. »
3. Elu pape en 1878.
4. 1815-1898. Premier chancelier de l’empire allemand.
5. Lettre adressée aux évêques brésiliens le 5-5-1888 à l’occasion de l’abolition de l’esclavage.
6. « Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » (Ga 3, 26-28) ; « Là, il n’est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d’incirconcision, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a plus que le Christ qui est tout et en tout. » (Col 3, 11) ; « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous avons tous été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit » (1 Cor 12, 13).
7. In Marmy, 413.
8. « …quum, decursu rerum et temporum, perseverante opera Ecclesiae, societas civitatum ad similitudinem familiae renovata coaluerit, christiana et libera. » (Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII, Encycliques, Brefs, etc., Texte latin avec la traduction française en regard, Tome second, A. Roger et F. Chernoviz, 1893-1904, pp. 144 et svtes).
9. A la fin de la guerre 14-18, en 1919.
10. Notamment à travers la revue La Civiltà Cattolica dont le célèbre jésuite fut un des co-fondateurs.
11. Allocution devant le Consistoire secret, 11 février 1889.
12. « Et combien plus grandes encore seront ces calamités, avec l’immensité des armées d’aujourd’hui, avec les grands progrès de la science militaires, avec les engins si multipliés de mort ! » (Id.).
13. Cité in MINOIS Georges, op. cit., p. 377.
14. Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII, Encycliques, Brefs, etc., op. cit., tome 4, pp. 6 et svtes.
15. Textes cités in Vacant. Cette conférence mit sur pied la Cour permanente d’arbitrage de La Haye. Si, sur le plan des relations internationales, le Saint-Siège était écarté, il n’en fut pas de même sur le plan social : les prises de position de Léon XIII sur la condition des ouvriers eut un large écho notamment lors du Congrès international pour la protection légale des travailleurs en 1900 et 1902. Un représentant du Saint-Siège y était présent.
16. Discours aux cardinaux, 11 avril 1899.
17. Il continue : « Que pourrait désirer et vouloir plus ardemment l’Église, Mère des nations, ennemie née de la violence et du sang, qui ne saurait accomplir, heureuse, ses rites sacrés sans conjurer par ses prières le fléau de la guerre ? L’esprit de l’Église est un esprit d’humanité, de douceur, de concorde, de charité universelle. Sa mission, come celle du Christ, est pacifique et pacificatrice de nature, car elle a pour objet la réconciliation de l’homme avec Dieu. De là l’efficacité du pouvoir religieux pour traduire en actes la paix véritable entre les hommes, non seulement dans le domaine de la conscience, comme elle le fait chaque jour, mais encore dans l’ordre public et social, en raison toutefois de la liberté laissée à son action. »
18. Lettre apostolique Parvenu à la vingt-cinquième année, 19-3-1902. Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII, Encycliques, Brefs, etc., op. cit., tome 7, 1893-1904, pp. 110 et svtes. Cette encyclique n’a pas été rédigée en latin mais en français et en italien. Il y eut en outre une traduction officielle en allemand.
19. Cf. RN, in Marmy, 450, 470-473.
20. 1829-1912. Ministre des Travaux publics puis premier ministre, Beernaert fit voter les premières lois sociales . En 1886, fut créée une commission chargée de proposer au gouvernement des mesures pour améliorer les conditions de travail. Le Parlement décida souvent à de très larges majorités, de créer des conseils de l’industrie et du travail et des commissions mixtes patronat-travailleurs chargées de conseiller le gouvernement en matière de législation sur le travail. En 1887, les chambres interdirent le paiement en nature du salaire des ouvriers et réglementèrent plus sévèrement les possibilités de saisie ou de cession volontaire des salaires. En 1889, on vota des textes sur le travail des femmes et des enfants, sur les règlements d’atelier, sur le salaire minimum et sur les habitations ouvrières. Il fit évoluer le système électoral mais sans parvenir à le réformer complètement. Président de la Société d’études coloniales, il lutta contre l’esclavagisme.
   En 1899, il représenta la Belgique à la première conférence de La Haye. En 1907, il représenta la Belgique à la Seconde conférence de La Haye. Il obtient le prix Nobel de la paix en 1909 pour ses travaux dans le domaine du droit international.
   Pour information voici quelques déclarations de l’Acte final de la Conférence internationale de la Paix (La Haye, 29 juillet 1899) :
   « 1°. l’interdiction de lancer des projectiles et des explosifs du haut de ballons ou par d’autres modes analogues nouveaux ; + 2°. l’interdiction de l’emploi des projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ;
   3°. l’interdiction de l’emploi de balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain, telles que les balles à enveloppe dure dont l’enveloppe ne couvrirait pas entièrement le noyau ou serait pourvue d’incisions. » + La Conférence a adopté à l’unanimité la résolution suivante : « …La limitation des charges militaires qui pèsent actuellement sur le monde est grandement désirable pour l’accroissement du bien-être matériel et moral de l’humanité. » Elle a, en outre, émis les vœux suivants : « qu’il soit procédé à bref délai à la révision de la Convention de Genève » ;  « que la question des droits et des devoirs des neutres soit inscrite au programme d’une prochaine conférence » ; « que les questions relatives aux fusils et aux canons de marine, telles qu’elles ont été examinées par elle, soient mises à l’étude par les Gouvernements, en vue d’arriver à une entente concernant la mise en usage de nouveaux types et calibres » ; « que les Gouvernements, tenant compte des propositions faites dans la Conférence, mettent à l’étude la possibilité d’une entente concernant la limitation des forces armées de terre et de mer et des budgets de guerre » ; « que la proposition tendant à déclarer l’inviolabilité de la propriété privée dans la guerre sur mer soit renvoyée à l’examen d’une conférence ultérieure » ; « que la proposition de régler la question du bombardement des ports, villes et villages par une force navale soit renvoyée à l’examen d’une conférence ultérieure. »

⁢d. Pie X

Pie X⁠[1], durant son pontificat, fut très occupé par le problème de la séparation de l’Église et de l’État en France et au Portugal, la question du « modernisme », les soucis que lui causèrent différentes affaires sociales, et quelques réformes internes.

Néanmoins, le Saint-Siège intervint encore pour arbitrer des conflits entre la Colombie et le Pérou (1905) et entre le Brésil, le Pérou et la Bolivie (1909-1910). Comme son prédécesseur, Pie X ne fut pas représenté à la deuxième Conférence de La Haye en 1907.

Conscient des menaces de guerre, Pie X dénonça le « fracas des armes » et, à propos du conflit russo-japonais⁠[2], il évoqua « la guerre terrible qui souille les contrées de l’Extrême-Orient »[3].

En 1911, il fut sollicité de donner son appréciation à la Fondation Carnegie pour la paix internationale⁠[4]. Par l’intermédiaire de son délégué apostolique, il encourage « une entreprise digne d’une approbation universelle ». En même temps, le pape reconnaît sa relative impuissance, « n’ayant actuellement d’autre ressource que d’adresser à Dieu de pieuses prières », de supplier le Seigneur que les nations « puissent un jour se reposer enfin dans la douceur de la paix ».⁠[5]

Le 25-5-1914, Pie X, dans son allocution Ex quo postremum, revenait sur le thème de la paix.

Enfin, alors que depuis la fin du mois de juillet 1914, on mobilise un peu partout en Europe et que les hostilités s’engagent, devant l’irrémédiable, le 2 août 1914, il s’adresse à tous les catholiques du monde entier pour dénoncer une guerre « dont personne ne peut envisager les périls, les massacre et les conséquences » et il exhortait les fidèles à se tourner « vers celui de qui seul peut venir le secours, vers le Christ, prince de la paix et médiateur tout-puissant auprès de Dieu »[6].

Pie X meurt le 20 août.

Il est clair que, désormais, la force dont dispose le Souverain Pontife est celle d’une l’autorité morale. Mais sera-t-elle écoutée ? Peut-être, les hommes étant devenus ce qu’ils sont, n’y a-t-il plus, comme l’ultime message de Pie X le révèle, qu’à implorer Dieu !


1. 1903-1914.
2. 1904-1905.
3. Allocution aux Cardinaux, mars 1905, cité in LAUNAY Marcel, La papauté à l’aube du XXe siècle, Cerf, 1997, p. 211.
4. Andrew Carnegie (1835-1919) est un riche industriel américain. Il finança la construction de trois mille bibliothèques publiques qu’il offrit à des collectivités locales et fonda un Institut de technologie à Pittsburg. Convaincu de la valeur du droit international pour résoudre les conflits entre les nations, il finança la construction du Palais de la paix à La Haye destiné à héberger la Cour internationale d’arbitrage.
5. Lettre du 11-6-1911 à Mgr Falconio : « … promouvoir la concorde des esprits, refréner les instincts belliqueux, et même supprimer les soucis de ce qu’on a coutume d’appeler la paix armée, c’est une très noble entreprise : et tout ce qui tend à ce résultat, même sans atteindre immédiatement et complètement le but désiré, constitue néanmoins un effort glorieux pour ses auteurs et utile à l’intérêt public. Et cela aujourd’hui plus que jamais où l’importance numérique des armées, la puissance meurtrière de l’outillage guerrier, les progrès si considérables de la science militaire laissent entrevoir la possibilité de guerres qui devraient faire reculer même les princes les plus puissants. […] Très volontiers Nous accordons l’adhésion et l’appui de Notre autorité à ceux qui, très heureusement inspirés, coopèrent à cette œuvre. »
6. « Tandis que l’Europe presque entière est entraînée dans la tourmente d’une guerre extrêmement funeste, dont personne ne peut envisager les périls, les massacres et les conséquences, sans se sentir oppressé par la douleur et par l’épouvante, Nous ne pouvons pas ne pas Nous préoccuper, Nous aussi, et ne pas Nous sentir l’âme déchirée par la plus poignante douleur pour le salut et pour la vie de tant d’individus et de peuples. Nous sentons tout à fait et Nous comprenons que parmi ces bouleversements et ces périls, la charité paternelle et le ministère apostolique Nous commandent de tourner les esprits de tous les Mêles vers Celui de qui seul peut venir le secours, vers le Christ prince de - la paix et Médiateur tout-puissant des hommes auprès de Dieu.
   Nous exhortons les catholiques du monde entier à recourir à son trône de grâce et de miséricorde ; Nous le recommandons au clergé , tout le premier, auquel il appartient, sur l’ordre des évoques, d’instituer dans toutes les paroisses des prières publiques, afin que la miséricorde de Dieu, touchée par la ferveur de ces supplications, écarte le plus tôt possible les sinistres lueurs de la guerre et qu’il inspire aux chefs des nations de former des pensées de paix et non des pensées d’affliction. » (Exhortation aux catholiques du monde entier, Dum Europa fere omnis).
   Selon certains auteurs, mais l’anecdote est controversée, le pape aurait refusé sa bénédiction aux armées austro-hongroises, disant « Je ne bénis que la paix ».

⁢e. Benoît XV, le pape de la paix

Ce pontificat⁠[1] est marqué, bien sûr par la guerre mais aussi, dans cette circonstance, par un vrai divorce entre Rome et les Églises locales.⁠[2]

Elu le 3 septembre 1914, Benoît XV va s’employer, tout au long de la guerre, à prêcher la paix et il va œuvrer dans ce sens épouvanté par le spectacle effroyable des ruines physiques, matérielles, psychologiques, morales et spirituelles que la guerre accumule.⁠[3]

Son engagement pour la paix sera mal accueilli par les Français, à l’exception de Charles Maurras⁠[4], chef de file de l’Action française[5].

Léon Bloy⁠[6] surnommera le pape : « Pilate XV » et Georges Clémenceau⁠[7] l’appellera « le pape boche ». Du côté des puissances alliées, l’opinion est particulièrement choquée par la non-condamnation de l’invasion de la Belgique et des atrocités allemandes qui s’ensuivirent⁠[8].

Du côté allemand, pour Eric Ludendorff⁠[9] Benoît XV sera « le pape français ». Les puissances centrales alliées à l’Allemagne ne comprennent pas pourquoi le pape refuse de soutenir officiellement l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Autriche-Hongrie[Autriche-Hongrie], seul pays officiellement catholique, et l’Allemagne, qui compte en son sein les très catholiques Bavière et Rhénanie, qui a aussi un important parti catholique (Zentrum) contre des États visiblement anti-catholiques : la protestante Angleterre, « oppresseur » de l’Irlande, la Russie, schismatique, « oppresseur » quant à elle de la Pologne⁠[10], mais aussi la France, « foyer de l’athéisme ».

On soupçonna aussi le Saint-Siège d’agir dans l’intérêt de ceux qui peuvent soutenir ses revendications temporelles.⁠[11]

Voyons de plus près la position de Benoît XV.⁠[12]

Dès le 8 septembre 1914, 5 jours après son élection, Benoît XV envoie une Exhortation aux catholiques du monde entier (Ubi primum) où il s’avoue « frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien. » Et d’emblée s’exprime dans ce court message l’essentiel de ce que sera l’attitude du saint Père durant toute la guerre : comme Pie X, au tout début de la guerre, il réaffirme « son amour et sa sollicitude pour le genre humain »[13], il prie et demande que l’on prie et supplie pour que Dieu « dépose le fléau de sa colère »[14], prie et conjure les dirigeants « d’incliner désormais leurs cœurs à l’oubli de leurs différends en vue du salut de la société humaine. […] qu’ils se résolvent à entrer dans les voies de la paix et à se tendre la main. »

Le 1-11-1914, il publie l’encyclique Ad beatissimi apostolorum principis.

Le pape commence par rappeler l’universalité de l’Église et de sa mission. Son affection englobe le « troupeau immense » qui lui est confié, c’est-à-dire, « sous un aspect ou sous un autre, l’universalité des hommes. Tant qu’ils sont, en effet, ils ont été rachetés de la servitude du péché par Jésus-Christ, qui a offert pour eux le prix de son sang, et il n’en est aucun qui soit exclu des bienfaits de cette rédemption. » La mission du pape est donc de « travailler au salut de tous les hommes ». « Père commun de tous les hommes », il a « le cœur violemment déchiré au spectacle que présente l’Europe et même le monde entier, spectacle assurément le plus affreux et le plus désolant qui se soit jamais vu de mémoire d’homme ». Et de décrire ce spectacle désolant : « De tous côtés domine la triste image de la guerre […]. Des nations - les plus puissantes et les plus considérables - sont aux prises : faut-il s’étonner si, munis d’engins épouvantables, dus aux derniers progrès de l’art militaire, elles visent pour ainsi dire à s’entre-détruire avec des raffinements de barbarie ? Plus de limites aux ruines et au carnage : chaque jour la terre, inondée par de nouveaux ruisseaux de sang, se couvre de morts et de blessés. »[15] Or, « ces peuples armés les uns contre les autres » « descendent d’un même Père, […] ont la même nature et font partie de la même société humaine ».

Benoît XV rappelle aux dirigeants qu’« il y a sans nul doute, d’autres voies, d’autres moyens, qui permettraient de réparer les droits, s’il y en a eu de lésés. » Puis, il dénonce « la véritable cause de la terrible guerre » : l’abandon par les États des préceptes et des règles « de la sagesse chrétienne »[16], abandon qui se manifeste par « quatre chefs de désordre » : l’« absence de bienveillance mutuelle dans les rapports » alors que « nous sommes tous frères » ;  le « mépris de l’autorité » alors que « l’origine de tout pouvoir humain » est « en Dieu » et non « dans la libre volonté de l’homme » qui entraîne « le mépris des lois », « l’insubordination des masses », la contestation de tout pouvoir ; les « luttes injustes des différentes classes de citoyens », la « haine de classe », les grèves, les soulèvements, les agitations ; enfin, l’« appétit désordonné des biens périssables » qui révèle « une racine plus profonde » à ces maux : la cupidité alors que les biens véritables sont les biens éternels.

Le Pape ajoute à ce tableau : les dissensions entre catholiques et notamment les « monstrueuses erreurs du modernisme »[17] ainsi que la désobéissance aux évêques.

Le rétablissement de la paix est nécessaire pour que l’Église « aille sur tous les rivages et en toutes les parties du monde apporter aux homes le secours et le salut ». Mais le pape souhaite aussi, et la demande est importante, qu’il puisse retrouver la « pleine liberté » qui lui a été enlevée lors de l’annexion des États pontificaux.⁠[18] Ubi nos, ne veut accepter une loi unilatérale qui va à l’encontre à son sentiment anti-démocratique et conservateur. Pour ce motif, il utilise une expression utilisée dans les actes des Apôtres, non possumus (« nous ne pouvons pas »). En signe de protestation, lui et ses successeurs se refuseront de sortir du Vatican jusqu’à la conclusion des accords de Latran en 1929.
   En 1874, Pie IX, puis Léon XIII demandèrent aux catholiques italiens de ne pas se rendre aux urnes. Avec le fameux non expedit (« il ne convient pas »), il leur est même interdit, pendant plus de trente ans, de participer activement à la vie politique du pays.
   Les pontificats de Pie X, de Benoit XV et de Pie XI (les dix premières années du XXe siècle) voient un renversement progressif. En fait, l’affirmation des socialistes provoque l’alliance entre les catholiques et les libéraux modérés. L’http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclique[encyclique] de 1905 Il fermo proposito, est le signe de ces changements. Si d’une certaine manière elle maintient le non expedit, elle permet la participation aux élections dans des circonstances spéciales reconnues par les évêques, de sorte que de nombreux catholiques entrent au parlement à titre seulement personnel.
   Immédiatement après la fin de la Première Guerre mondiale, les premiers contacts entre le Saint Siège et le royaume d’Italie se mettent en place en 1919 par l’intermédiaire de Mgr Bonaventura Cerretti et du président du conseil Vittorio Emanuele Orlando. La même année, les catholiques réintègrent la vie politique avec la fondation du Parti populaire par don Luigi Sturzo, prêtre sicilien. À la mort de Benoit XV, pour la première fois, dans toute l’Italie, les drapeaux sont mis en berne.
   Lors de la montée du fascisme, une ouverture décisive envers l’Église se produit au lendemain de la marche sur Rome en 1922, avec l’introduction de la religion catholique dans les écoles (1923) et l’autorisation d’apposer le crucifix dans les salles. Ceci se traduit aussi par la réforme des lois ecclésiastiques entre 1923 et 1925, favorables à l’Église, et par l’élimination des syndicats catholiques.
   La « question romaine » est définitivement résolue seulement en 1929 avec les accords du Latran, signés le 11 février par Mussolini et par le pape Pie XI représenté par le Mgr Gasparri. (Wikipedia) ]

Comme nous le disions plus haut, seul Charles Maurras applaudit à la publication de cette encyclique. Pourquoi ? C’est apparemment d’autant plus étonnant que Charles Maurras est incroyant. Il s’explique dans le journal L’Action française du 17 novembre⁠[19]. Après avoir déclaré que l’Église catholique est « la seule Internationale qui tienne », l’auteur s’en prend aux « pacifistes du monde entier » et particulièrement aux socialistes qui font non seulement « si peu de cas de cette paix catholique romaine » mais, qui plus est, « veulent plus ou moins » détruire cet élément. Il s’étonne que les socialistes qui s’amusent à « manger du curé » négligent « une propagande en faveur de la paix universelle, en faveur du désir de tempérer la concurrence économique par un esprit de cordialité et d’équité ». La prise de position de Maurras est essentiellement d’ordre politique. A preuve son adhésion à l’analyse faite par Benoît XV des causes de la guerre : « l’injustice dans les relations des classes inégales », « le mépris de l’autorité » qui pour lui s’identifie à « l’élément d’anarchie et de lutte intestine inclus dans le libéralisme ». Il dénonce « la faillite du pacifisme humanitaire » d’une « monstrueuse irréalité » et encense « tout à rebours, le pacifisme catholique et pontifical [qui] se présente comme une doctrine intelligible, liée, rationnelle, supérieure aux réalités, mais en accord avec toutes les lois des choses ».  Pourquoi ? Parce que le Pape « conseille de déraciner l’avarice ».

Maurras a donc perçu l’importance, sur le chemin de la paix, d’un renouveau moral mais il a bien compris aussi pourquoi le Pape veillait, malgré les pressions, les critiques et les incompréhensions des croyants, à sauvegarder sa neutralité : « Pour conserver à l’homme de tous les pays et de tous les temps l’avantage de son bienfait (position internationale, paternité universelle, juridiction œcuménique) la papauté doit se résoudre à commencer par s’abstraire même de sentiments qui sont pour nous non seulement légitimes, mais obligatoires. Et il lui faut se résigner à ne pas correspondre à tous les recours nationaux qui, s’élançant de divers théâtres de guerre, s’annulent les uns par les autres. Surtout enfin, il lui faut procéder avec autant de lenteur et de précaution que les peuples armés mettent de promptitude et de rage à se massacrer. » Une autre attitude de la papauté serait suicidaire : « Il doit suffire de nous représenter une papauté tenant une autre conduite pour vérifier aussitôt que son pouvoir international deviendrait national, qu’elle tomberait de l’état de juge à celui de plaideur et du rang de père pacifique et silencieux au rang de fils armé et belliqueux : changer ainsi serait disparaître. Les aveugles qui souhaitent que la papauté disparaisse souhaitent cela. »

Malgré donc son nationalisme, Maurras se montre attaché à ce qu’il appelle « le dernier signe terrestre de l’unité du genre humain ». L’existence de cette autorité spirituelle « à elle seule, est un bienfait immense, parce qu’elle représente l’unité de centaines et de centaines de millions d’esprits et de cœurs. Elle incarne l’internationalité dans un siècle où les rivalités des nations se déchaînent et se déchaîneront de plus en plus. Avant qu’elle ait rien fait ni rien dit, comprenons qu’il faut la remercier d’être. »[20]

En tout cas, durant toute la durée de la guerre, Benoît XV restera fidèle à la ligne de conduite déclarée en 1914. Il n’est plus question ici de guerre juste ou injuste, il s’agit d’œuvrer pour la paix dans l’intérêt exclusif des personnes⁠[21], des jeunes gens morts, des mères, des épouses veuves, des orphelins, de l’Église universelle qui lui est plus chère que son propre sang. Le Vicaire du Christ n’est-il pas « venu continuer l’œuvre de Jésus-Christ, prince de la paix » ?⁠[22]

Le 22 janvier 1915, dans une Allocution au consistoire, Benoît XV explique : « Nous réprouvons de toutes nos forces, toutes les violations du droit partout où elles ont été commises. Mais mêler l’autorité pontificale aux disputes des belligérants, ne serait ni convenable ni utile. Quiconque juge sagement la situation voit clairement que, si dans ce débat, le Pontife romain ne peut pas ne pas avoir les plus grands soucis, il ne doit cependant être d’aucun parti. Le Pontife romain qui tient la place de Jésus-Christ, mort pour tous et pour chacun des hommes, doit embrasser dans sa charité tous ceux qui combattent. Père du monde catholique, il a de chaque côté de très nombreux fils et c’est du salut d’eux tous qu’il doit se préoccuper. Il ne doit donc pas considérer les motifs particuliers qui les divisent, mais le bien commun de la foi qui les unit. Agir autrement non seulement n’apporterait aucune aide à la cause de la paix, mais encore introduirait la jalousie dans la religion et exposerait la paix et la concorde intérieure de l’Église à de grandes perturbations. N’étant d’aucun parti, Nous nous préoccupons cependant de l’un et de l’autre […]. » Toutefois, le Saint Père estime qu’« il est bien naturel que l’âme et le cœur du Père commun de l’Église s’occupe avec plus de soin de tous ceux, où qu’ils soient, dont la piété envers lui est plus connue. » Et de citer comme exemple, « le cher peuple belge ».⁠[23]

Le 28 juillet 1915[24], Benoît XV lance sa première tentative de paix négociée, interpellant les responsables qui devront « rendre compte des entreprises publiques » comme de leurs actes privés. « Ce cruel conflit » peut être « apaisé sans la violence des armes ». Le Pape propose de « peser, dès maintenant, avec une conscience sereine, les droits et les justes aspirations des peuples » et de « commencer, avec une volonté sincère, un échange de vues, direct ou indirect, à l’effet de tenir compte, dans la mesure du possible, de ces droits et de ces aspirations, et d’arriver ainsi à la fin de cette horrible lutte, comme il est advenu en d’autres circonstances ». Et le Saint Père rappelle un principe qui trouvera beaucoup plus tard un large écho : « l’équilibre du monde, la tranquillité prospère et assurée des nations reposent sur la bienveillance mutuelle et sur le respect des droits et de la dignité d’autrui, beaucoup plus que sur la multitude des hommes d’armes et sur l’enceinte formidable des forteresses. »[25]

Le 1er août 1917, dans son Exhortation apostolique « Dès le début » adressée « Aux chefs des peuples belligérants », Benoît XV va formuler très concrètement les principes d’un règlement international du conflit.⁠[26]

Benoît XV commence par rappeler les trois engagements qu’il a pris dès le début de son pontificat : rester absolument impartial, travailler « à faire à tous le plus de bien possible » sans acception de personnes⁠[27]. Encore après la guerre, Benoît XV s’inquiétera notamment du sort des enfants éprouvés par la guerre (cf. Lettre encyclique Annus iam plenus, du 1er décembre 1920), de la situation « effroyable » et « intolérable » où se trouve l’Autriche dépecée, en proie à l’inflation et au chômage (Lettre La singolare, 24 janvier 1921), de la situation de l’Irlande qui, en grande partie à cause de la guerre, « est livrée aujourd’hui aux horreurs du pillage et des massacres » (Lettre au Cardinal Logue, 27 avril 1921), de la misère régnant en Palestine (Allocution au Consistoire, 13 juin 1921).] et tenter d’amener peuples et dirigeants « aux délibérations sereines » d’une paix juste et durable.

Uniquement soucieux du bien de tous, inquiet pour l’avenir de l’Europe, sans « aucune visée politique particulière », voici ce que le Pape propose :

Premièrement et fondamentalement, substituer la force du droit à la force matérielle, c’est-à-dire s’accorder sur « la diminution simultanée et réciproque des armements » puis instituer un arbitrage avec force contraignante ;

Ensuite, rétablir les voies de communication et assurer « la vraie liberté et communauté des mers » ;

Pour les dommages à réparer et les frais de guerre, poser le principe général d’une « condonation entière et réciproque ». Le texte officiel qui est en français, emploie ce terme « condonation » qui est un mot anglais employé uniquement dans le langage du droit conjugal dans le sens de « pardon ». Mais, vu le contexte qui évoque « les bienfaits immenses à retirer du désarmement » et l’indécence de continuer « un pareil carnage uniquement pour des raisons économique », on peut penser qu’il s’agit, au-delà du pardon, de réparations matérielles réciproques. « Condonation » est sans doute une adaptation française issue du verbe latin « condonare » qui signifie bien sûr « pardonner » mais d’abord (pensons à l’étymologie) « donner », « abandonner », « livrer », sacrifier ».

Plus concrètement encore, les territoires occupés doivent être restitués, de part et d’autre. La Belgique doit être entièrement évacuée « avec garantie de sa pleine indépendance politique, militaire et économique, vis-à-vis de n’importe quelle puissance » ; de même, le territoire français doit être évacué. De l’autre côté, les colonies allemandes seront restituées.

Pour toutes les autres questions territoriales, entre l’Italie et l’Autriche, l’Allemagne et la France, celles qui concernent l’Arménie, les États balkaniques et l’ancien Royaume de Pologne, « les parties en conflit » les examineront dans un esprit conciliant, « tenant compte, dans la mesure du juste et du possible, […] des aspirations des peuples » et du bien commun universel.⁠[28]

Telles sont pour Benoît XV, « les bases sur lesquelles […] doive s’appuyer la future réorganisation des peuples. »

Cette proposition de paix, 5 mois avant que le président Wilson⁠[29] ne publie la sienne, fut qualifiée par les Français de « paix allemande »[30].

Le 1er décembre1918, dans la Lettre encyclique Quod iam diu[31], il prescrit des prières publiques pour le Congrès de la paix. Se réjouissant, grâce à Dieu, de « l’armistice qui a interrompu l’effusion de sang et la dévastation sur la terre, dans les airs et sur mer », Benoît XV souhaite que tous les catholiques demandent au Seigneur « qu’il daigne compléter d’une certaine manière et porter à la perfection l’immense avantage accordé à l’humanité ». En effet, « vont se réunir ceux qui par la volonté populaire doivent concerter une paix juste et permanente entre tous les peuples de la terre. Les problèmes qu’ils devront résoudre sont tels qu’il ne s’en est jamais présenté de plus grands ni de plus difficiles en aucun congrès humain ». Le secours « des lumières divines » est donc nécessaire pour que « tous les accords pris pour la paix et la concorde perpétuelles dans le monde soient, par tous les nôtres, reçus de bon gré et inviolablement exécutés. »

Cependant, très vite, le Pape se rend compte que la paix qui vient d’être acquise est fragile et que plusieurs dangers la menacent.

S’adressant aux évêques allemands⁠[32], le 15 juillet 1919, Benoît XV, conscient de l’ « extrême dénuement » dans lequel se trouve le peuple allemand insiste pour que les catholiques allemands et les catholiques des autres pays veillent au ravitaillement de la population « en vue d’épargner à l’Allemagne les révolutions politiques qui entraîneraient pour [ce] pays et par suite, pour l’Europe même, la catastrophe qui menace, hélas ! d’autres nations. » Mais outre le soin des corps, faut-il encore veiller à « panser les blessures morales que la guerre a causées ou envenimées. Et plus spécialement, ajoute le Pape, il faut proscrire tout sentiment de haine, aussi bien à l’égard des étrangers contre lesquels on a combattu, qu’entre les concitoyens des divers partis. » Il rappelle que « la charité fraternelle, qui émane de Jésus-Christ […] ne connaît ni barrières, ni frontières, ni luttes de classes. »[33]

Il tiendra le même langage le 7 octobre à l’archevêque de Paris⁠[34] : « la charité pour le prochain […] doit s’étendre à tous, même aux ennemis, puisque nous sommes tous unis par des liens de fraternité, comme étant les enfants du même Dieu et rachetés par le même sang du Christ. » Le Pape sait que cette attitude très évangélique « ne plaît pas au monde, en sorte que ceux qui en affirment et en défendent le caractère sacré sont en butte à une interprétation perverse de leurs desseins et à toute sortes d’attaques. » Ainsi en fut-il du Christ lui-même : « il n’en sera jamais autrement pour quiconque prêchera l’oubli des injures et la charité envers ceux qui nous auront fait du mal ou auront attaqué notre patrie. »

Outre les haines persistantes, le nationalisme notamment des missionnaires fragilise la paix. Les missionnaires avaient pris parti au cours du conflit, et les ressortissants des pays vaincus sont expulsés par ceux des pays vainqueurs, en particulier les congrégations allemandes⁠[35]. Benoît XV réagit en condamnant, dans sa lettre apostolique Maximum illud du 30 novembre 1919, ce qu’il appelle « la peste la plus infectieuse ».

S’adressant aux missionnaires : « Convaincus au plus profond de vous-mêmes que c’est à chacun de vous que s’adressait le Seigneur quand il dit : « Oublie ton peuple et ta famille » (Ps 45, 11), rappelez-vous que votre vocation n’est pas d’élargir les frontières des empires humains mais celles du Christ, ni d’ajouter des citoyens à quelque patrie d’ici-bas, mais à la patrie d’en-haut.

Il serait certainement regrettable qu’il y eût des missionnaires si oublieux de la dignité de leur ministère qu’ils consacrent leurs efforts d’abord à l’élargissement et à l’exaltation de leur patrie, en attachant leur idéal et leur cœur aux patries terrestres plutôt qu’à leur patrie céleste. » Le missionnaire qui ne serait pas seulement un apôtre mais un agent d’intérêt nationaux rendrait immédiatement son travail suspect et ses interlocuteurs « convaincus que la religion chrétienne est la religion d’une nation penseraient que l’embrasser les entraînerait à abandonner leurs droits nationaux et à se soumettre à une tutelle étrangère ». Le missionnaire catholique doit être persuadé « que sa mission est une ambassade du Christ et non une légation patriotique », il est « le ministre d’une religion qui, sans exclusivismes de frontières, embrasse tous les hommes qui aiment Dieu en vérité et en esprit, « là, il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais Christ : il est tout en tous » (Col 3, 11). »[36]

Dans « un monde que la paix laisse en proie à de mortelles angoisses », Benoît XV⁠[37] rappelle « qu’on travaille en vain à rendre la paix aux individus et à la société si l’on ne se dirige à la lumière de l’esprit de foi ! ». Comment, en effet, établir la paix, cette « tranquillité de l’ordre » selon saint Augustin, sans « l’acceptation pratique du souverain domaine du Créateur sur toutes les œuvres de ses mains » c’est-à-dire l’acceptation des « droits de Dieu sur la société humaine », sans « l’affirmation de la suprématie de l’esprit sur les sens », et sans « l’amour sincère et pratique de nos semblables » ? Comment établir la paix lorsque les passions sont déchaînées, lorsque règnent l’irréligion, l’indiscipline, la paresse, la convoitise, l’ostracisme, le naturalisme, l’égoïsme, l’anarchie ? Ainsi, entre nations et entre concitoyens, « s’est déclarée, en attendant qu’elle éclate, une nouvelle et plus implacable guerre : guerre d’envie, de haine aveugle, qui va jusqu’à s’attaquer au droit, à la charité, au bien-être social des masses mêmes qu’elle livre aux convulsions. » Nous sommes en 1919 ! qu’est-ce qui rend Benoît XV si lucide si ce n’est la certitude que seul Jésus est « notre paix », l’ « unique Libérateur »

Un peu plus tard, dans son encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum du 23 mai 1920[38], le pape s’inquiète que « subsistent encore les semences de l’ancienne haine »[39]. Pour lui, la paix reste précaire tant que ne disparaît pas l’inimitié et que les injures ne sont pas pardonnées. A l’image du Christ en Croix et du bon Samaritain, il faut traiter les ennemis comme des frères et pratiquer envers eux, « étant saufs les principes de la justice » et « avec la plus grande efficacité possible, toutes les œuvres de la bienfaisance chrétienne ». Les causes de discorde chez les individus et entre les peuples doivent être éradiquées. Notamment les écrivains, les publicistes et les journalistes catholiques « doivent s’abstenir non seulement de toute fausse accusation, mais aussi de toute intempérance et injure dans le langage, parce que cette intempérance non seulement est contraire à la loi du Christ, mais en plus elle peut ouvrir des cicatrices mal fermées, surtout quand les esprits, exacerbés par des blessures encore récentes, ont une grande sensibilité pour les plus légères injures. » Les États et les nations n’échappent pas à la règle évangélique de l’amour et de la bienfaisance. Ils doivent renouer « entre eux les liens de quelques relations amicales » et « inciter les peuples à établir une conciliation universelle déterminée entre eux tous.[…] Que tous les États oublient leurs méfiances mutuelles et constituent une seule société ou, mieux, une famille de peuples, pour garantir l’indépendance de chacun et conserver l’ordre dans la société humaine. »[40] Cette union serait nécessaire pour « supprimer ou, au moins, réduire les énormes budgets militaires qui sont déjà insupportables pour les États, et en finir de cette manière pour toujours avec les désastreuses guerres modernes, ou, pour le moins, éloigner le plus complètement possible le péril de la guerre, et assurer à tous les peuples, dans de justes limites, l’indépendance et l’intégrité de leurs propres territoires. » L’Église, exemple de société parfaite et universelle, promet son adhésion et sa « collaboration active » à toutes les entreprises de justice et de charité qui iront dans ce sens. Elle est un guide sûr, comme le dit saint Augustin : « Cette cité céleste, pendant qu’elle chemine en ce monde, appelle en son sein les citoyens de tous les peuples, et avec toutes les langues, elle réunit une société en pèlerinage, sans se préoccuper de la diversité des lois, coutumes et institutions qui servent à obtenir et conserver la paix du monde, et sans annuler ou détruire, bien au contraire en respectant et conservant toutes les différences nationales qui sont ordonnées à la même fin de la paix sur terre, à condition qu’elles ne constituent pas un empêchement pour la pratique de la religion qui ordonne d’adorer Dieu comme vrai et suprême Seigneur. »[41]

Notons que Benoît XV n’oublie pas sa propre situation temporelle⁠[42] et, dans le contexte des rapprochements qui s’opèrent dans cette après-guerre, « pour contribuer à cette union des peuples et ne pas se montrer étranger à cette tendance » le Pape a décidé « d’adoucir jusqu’à un certain point les rigoureuses conditions qui, à cause de l’usurpation du pouvoir temporel du Siège apostolique, furent justement établies par [ses] prédécesseurs, en interdisant les visites solennelles des chefs d’État catholiques à Rome. » Le Saint Père ajoute immédiatement que « cette indulgence conseillée et quasi exigée par les très graves circonstances que traverse l’humanité, ne doit être interprétée d’aucune manière comme une abdication tacite des droits sacrés du Siège apostolique (…). » Au contraire le Pape profite de l’occasion pour renouveler les protestations qui ont été répétées de nombreuses fois par ses prédécesseurs et demande avec insistance, « puisque la paix a été signée entre les nations, que cesse pour la tête de l’Église, cette situation anormale qui porte gravement atteinte, pour plus d’une raison à la même tranquillité des peuples. »

Pour en revenir au problème de la guerre et de la paix, on retiendra la position claire et radicale de Benoît XV qui, durant tout le conflit se refuse à prendre parti restant attentif à tous et militant constamment pour que les belligérants cessent les hostilités. Il n’est plus question ici de distinguer guerre juste ou injuste. C’est la guerre de toute façon qui est condamnée. On retiendra aussi la grande lucidité du Souverain Pontife qui sent venir un autre conflit étant donné que les conditions morales d’une paix authentique ne sont pas réunies. Loin de là. Enfin, la Pape indique clairement qu’en plus des efforts des hommes de bonne volonté, il faut compter sur Dieu qui seul, par la conversion des cœurs, peut accorder la paix véritable et durable.


1. 1914-1922.
2. Nous suivrons principalement ici l’étude de JOBLIN Joseph sj, L’Église et la guerre, Desclée de Brouwer, 1988, pp. 226-24 et celle, plus exhaustive, de BENOTON-BEINE Nathalie, La colombe et les tranchées, Les tentatives de paix de Benoît XV pendant la Grande Guerre, Cerf Histoire, 2004. On peut aussi, pour se limiter à l’essentiel lire BECKER Jean-Jacques, Le Pape et la grande guerre, Bayard, 2006.
3. Lire par exemple son Exhortation apostolique Aux peuples belligérants du 28 juillet 1915.
4. 1868-1952.
5. Mouvement royaliste, nationaliste, contre-révolutionnaire fondé en 1898. Pie X avait déjà mis à l’étude la proscription de quatre livres de Charles Maurras et la revue bimensuelle, L’Action française (janvier 1914). Proscription reprise mais différée en raison de la guerre, par Benoît XV (14 avril 1915) jusqu’au Motu proprio de la Sainte Congrégation de l’Index, 25 mars 1917. Pie XI répète ces proscriptions et y ajoute le journal L’Action française (Cf. Lettre au cardinal Andrieu, 5 janvier 1927). Le principal reproche fait au maurrassisme par Rome est de subordonner la religion au politique et au nationalisme ; car Maurras, rationaliste, se définit comme agnostique, et ne soutient le catholicisme que comme le moyen d’unifier la Nation. L’Action française, aux yeux du Pape, dispose d’une trop grande influence sur la jeunesse catholique. Le 8 mars 1927, les adhérents de l’Action française sont interdits de sacrements. Beaucoup de membres quittent le mouvement comme Georges Bernanos ou Jacques Maritain. Maurras est néanmoins élu à l’Académie en 1938. Le 19 juin 1939, le Conseil de direction de l’Action française présente une lettre de soumission au pape Pie XII qui lèvera l’interdit le 10 juillet 1939. Durant la seconde guerre mondiale, Maurras soutient le régime de Vichy. Il sera condamné en 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. Il sera gracié pour raison de santé en 1952.
6. 1846-1917. Romancier, essayiste et polémiste catholique.
7. Homme politique, président du Conseil de 1906 à 1909 puis de 1917 à 1920.
8. Cf. HORNE John et KRAMER Alan,1914, les atrocités allemandes, la vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique, Tallandier, collection Texto, 2011. d’août à octobre 1914, près de 6 500 civils belges et français ont été intentionnellement assassinés, des centaines de villages (voire de villes) ravagés par l’armée allemande.
9. 1865-1937. Général en chef des armées allemandes de 1916 à 1918.
11. Cf. Allocution consistoriale, 6 décembre 1915. Voir aussi la note sur la « question romaine ».
12. Les textes principaux se trouvent sur www.vatican.va . On trouve davantage dans Actes de Benoît XV, 3 volumes, Maison de la bonne presse, 1924-1926.
13. Le 16 juillet 1921, Benoît XV rappellera encore que « le rôle du Pontife romain, Père commun de tous, est de ne favoriser aucun parti et de se réserver entièrement pour les uns et pour les autres. Telle est effectivement la ligne de conduite qu’ont toujours suivie les Pontifes romains ». Le Pape ajoute toutefois : « Mais si, dans la fougue des passions humaines, il arrive, comme l’expérience en offre trop d’exemples, que le droit d’autrui soi violé, alors le caractère sacré de Notre charge Nous oblige à désapprouver et à condamner cette violation, de quelque part qu’elle vienne ». (Lettre Ex iis Litteris). Certains demanderont : pourquoi alors n’avoir pas condamné la violation de la neutralité de la Belgique en 1914 ? Pour bien comprendre l’attitude de Benoît XV, face à une situation complexe et le rôle majeur joué par le cardinal Mercier (1851-1926), on lira avec profit De VOLDER Jan, La résistance d’un cardinal, Le cardinal Mercier, L’Église et la Guerre 14-18, Fidélité, 2014.
14. Le 10 janvier 1915, le cardinal Gasparri, secrétaire d’État, publiera à la demande de Benoît XV un Décret prescrivant des prières pour la paix, exhortant notamment « le clergé et le peuple à des œuvres de mortifications pour expier les péchés qui provoquent les justes châtiments de Dieu ».
15. Parmi les puissances alliées, on comptera 9.370.813 morts dont 3.674.757 civils et 123.809.280 blessés. Le bilan des victimes dans les empires centraux s’élève à 9.217.397 morts dont 5.193.000 civils et 8.419.533 blessés. (Mourre). Ce fut une guerre de la « démesure » où l’industrie s’ingénia à fournir les armes les plus destructrices qui soient. (CHALINE O., Mesure de la démesure-la première guerre mondiale, in Communio, n° XXXVIII, 3-4, mai-août 2013, p. 17.
16. « Le mépris des lois suprêmes qui règlent les rapports mutuels des peuples ». (Allocution consistoriale, 4 décembre 1916.)
17. Il s’agit d’une série d’erreurs condamnées par Pie X dans l’encyclique Pascendi en 1907. En voulant s’adapter à la mentalité contemporaine, certains avait dénaturé la doctrine. Ainsi les témoignages évangéliques et l’inspiration des Écritures étaient mis en cause de même que « l’intervention surnaturelle d’un Dieu transcendant à la conscience humaine ». (Cf. Bouyer).
18. Rappelons l’essentiel de ce que l’on appelle la « Question romaine ».
   En 1870, le Royaume d’Italie procède à l’annexion de ce qui reste des États pontificaux, c’est-à-dire la région du Latium. Le pape Pie IX, est contraint de se réfugier au Vatican et se considère alors comme prisonnier. Par la loi no 33 du 3 février 1871, la « Ville éternelle » devient officiellement la capitale du nouvel État italien.
   En 1871, le Parlement italien vote une « loi des Garanties » baptisée ainsi, parce qu’elle était destinée à garantir les prérogatives du pape, mais aussi à établir le statut du Vatican et à régler les relations entre celui-ci et l’État italien. La loi offre au pape un territoire en pleine propriété, constitué des sanctuaires, de palais et des couvents, mais à titre résidentiel uniquement. Sont également offertes une zone franche à Ostie, et la somme de deux milliards de lires à titre de dédommagements (cette somme sera placée par l’État italien et reversée par Mussolini à Pie XI en 1929, avec des intérêts considérables). Par cette loi, le pape Pie IX, devient sujet de l’État italien mais continue à bénéficier d’une série de privilèges.
   Le pape, par l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclique[encyclique
19. Cf. MARTY Albert, L’Action française racontée par elle-même, Nouvelles Editions Latines, 1968, pp.120-125 ou MAURRAS Charles, Les conditions de la victoire, Nouvelle librairie nationale, vol. 1, 1916, pp. 437-442 (Le catholicisme et la paix).
20. L’Action française, 2 février 1915 in Les conditions de la victoire, vol. 2, op. cit., p. 112 . Notons que Maurras, dès le 8 septembre 1914, réclama, et il fut le premier, le rétablissement de l’Ambassade de France au Vatican. Les relations étaient rompues depuis 1904. Notons encore que les sympathisants de l’Action française firent leur devoir de citoyens en allant combattre l’envahisseur.
21. Le 16 octobre 1914, après le bombardement de Reims et la destruction de la cathédrale, Benoît XV écrit à l’archevêque de Reims pour lui dire sa compassion. Le 18 octobre, il écrit à l’archevêque de Cologne pour le remercier d’être intervenu auprès de l’empereur en faveur des prêtres français pour qu’ils soient traités comme officiers. Il profite de ce courrier pour demander que la charité de son « fils » s’étende « à tous les autres prisonniers, sans aucune distinction de religion ou de patrie » et « principalement envers tous les malades et blessés ». Le 8 décembre, c’est au cardinal Mercier qu’il écrit pour lui dire sa peine de voir « la nation des Belges tant aimée, réduite par l’atroce guerre à un état si lamentable. » Il refuse l’obole du Denier de Saint- Pierre qui avait été recueillie malgré tout et demande « qu’elle soit employée en faveur du peuple belge aussi digne de compassion que remarquable par sa noblesse et sa religion. » Le 24 décembre, il évoque avec tristesse le refus que les belligérants sont opposé à sa demande de trêve pour la fête de Noël.
22. Cf. Allocution au Sacré Collège, le 24 décembre 1914.
23. Il faut dire que si le Nord de la France a été gravement touché par l’occupation allemande, les destructions, les exécutions et les déportations, c’est surtout sur le territoire belge que les pires exactions ont été commises. A Tamines, le 22 août 1914, 422 personnes sont fusillées, assassinées à la baïonnette, noyées ou carbonisées ; à Dinant où les deux tiers de la ville seront détruits, 674 civils, y compris des femmes et des enfants, sont passés par les armes, 400 autres sont déportés. A Louvain, les troupes allemandes fusillent 29 personnes et pillent la ville et y mettent le feu, détruisant le tiers de la ville dont la bibliothèque de l’université et des milliers de livres anciens.
24. Exhortation apostolique aux peuples belligérants et à leurs chefs.
25. Benoît XV dira le 6 décembre 1915 que cette lettre « a bien été reçue avec respect, mais elle n’a pas donné les fruits désirés. » (Allocution au Consistoire). Et pourtant, le Souverain Pontife, le répète, là était présentée « la seule mesure capable d’éteindre l’incendie ». Il la reformule avec plus de précisons : « Pour préparer une paix telle que la désire ardemment l’humanité tout entière, une paix juste et stable et qui ne semble pas seulement favorable à l’un ou l’autre parti, le moyen qui peut réussir est celui que, dans des conjonctures à peu près semblables, l’expérience a montré efficace et que Nous avons indiqué dans notre Lettre. C’est d’organiser des échanges de vues et part et d’autre directement ou indirectement, d’exposer sincèrement et clairement ses raisons et ses désirs avec bonne volonté et conscience du devoir, et de tout examiner soigneusement. On éliminerait les prétentions injustes ou excessives et on retiendrait les autres en convenant, si besoin, de justes compensations. Naturellement, comme dans toute controverse humaine à dirimer par un jugement humain, il est absolument nécessaire que d’un côté comme de l’autre des belligérants on cède sur quelques points et que l’on renonce à quelques-uns des avantages espérés. Il faut que dans chacun des deux camps on se consente de bon gré des concessions, même au prix de sacrifices, pour ne pas assumer devant Dieu et devant les hommes l’énorme responsabilité de la continuation de cette boucherie sans exemple, qui, si elle se prolongeait, pourrait bien amener pour l’Europe la déchéance du haut degré de civilisation où l’avait élevée la religion chrétienne. » Il y reviendra encore le 5 mai 1917 (Lettre Il 27 aprile 1915), dénonçant le « suicide de l’Europe civile ». Non seulement la lettre resta « inécoutée » mais « il sembla au contraire que s’élevait encore davantage la sombre marée de haines s’étendant parmi les nations belligérantes, et la guerre entraînant d’autres pays dans son épouvantable tourbillon, multiplia les ruines et les massacres. » Dès lors s’affiche plus que jamais « la nécessité d’obtenir de Jésus-Christ la paix, grâce à l’intercession de Marie sa Très Sainte Mère, par nos supplications répétées. » Dans son Exhortation à la paix du 1er août 1917, Benoît XV dira que ses efforts n’ont pas reçu la publicité souhaitée et que son appel n’a pas été entendu.
26. « …pour ne plus Nous renfermer dans des termes généraux, comme les circonstances Nous l’avaient conseillé par le passé, Nous voulons maintenant descendre à des propositions plus concrètes et pratiques et inviter les gouvernements des peuples belligérants à se mettre d’accord sur les points suivants, qui semblent devoir être les bases d’une paix juste et durable, leur laissant le soin de les préciser et de les compléter. »
27. Benoît XV eut une intense activité diplomatique tout au long de la guerre. Ainsi, il s’efforça, en vain, en 1914 et 1915, d’éviter l’entrée en guerre de l’Italie restée neutre (ce qui fut interprété comme une manœuvre pour éviter à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, un nouveau front) ; au printemps 1916, il demanda à Guillaume II d’empêcher la progression des troupes russes vers Constantinople, redoutant de voir les deux patriarcats orthodoxes s’unir contre le Saint-Siège. La requête est retirée quelques jours plus tard, Benoît XV préférant finalement ne pas s’ingérer dans le conflit. Parallèlement à son action diplomatique, Benoît XV mena une politique humanitaire volontariste. En décembre 1914, il confia à Eugenio Pacelli, futur pape Pie XII, la direction d’un service d’assistance aux blessés et prisonniers de guerre. Dans le même temps, il demanda aux belligérants d’autoriser l’échange de prisonniers blessés. Ceux-ci acceptèrent les échanges dès 1915(cf. Lettre Era nostro proposito, 25-5-1915). Dans ce cadre, 30 000 soldats sont hospitalisés en Suisse. Le Vatican servit également de bureau d’information aux familles : l’Œuvre des prisonniers reçut 170 000 demandes et envoya 50 000 communications. À ce sujet, l’écrivain non-violent, pacifiste et attaché à la Troisième internationale, Romain Rolland (1866-1944) qui critiquera tous les belligérants, conscient que cette guerre était « la faillite de la civilisation » et le « suicide de l’Europe », qualifiera ensuite le Vatican de « seconde Croix-Rouge ». Enfin, des rations alimentaires furent distribuées aux enfants des pays en guerre. Toutefois, l’action pontificale connut là aussi des échecs : en 1914, les belligérants refusèrent unanimement d’observer une trêve de Noël. En 1915, même refus à la proposition d’un droit de sépulture pour les morts sur le champ de bataille http://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_XV#cite_note-J221-9
28. Il faut « à l’occasion », coordonner « les intérêts particuliers au bien général de la grande société humaine ».
29. Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), vingt-huitième président des États-Unis, présenta, le 8 janvier 1918, devant le Congrès, un plan de paix en 14 points parmi lesquels on retrouve plusieurs suggestions faites par Benoit XV cinq mois plus tôt (désarmement progressif, liberté des mers et du commerce, évacuation de territoires). Mais Wilson allait beaucoup plus loin promouvant l’idée d’autonomie de nombreux peuples. Enfin le dernier point disait : « Une association générale des nations doit être constituée ». C’est ainsi que Wilson sera considéré comme le père de la Société des nations que les États-Unis ne rejoindront jamais. Il assistera à la Conférence de Paris (1919) et y présentera le Traité de Versailles. Alors qu’il est de moins en moins populaire aux États-Unis, il reçoit, la même année, le prix Nobel de la paix.
30. Il écrira, le 16 octobre 1918, à l’archevêque de Québec qui le remerciait d’avoir obtenu la libération d’un prisonnier : « Nous n’avons eu aucune préférence parmi les belligérants […]. Et vous déplorez qu’on n’ait pas obéi à la voix et aux exhortations d’un père […]. Qui eût cru […] que Nos efforts, pleins d’un paternel amour, pour réconcilier les hommes entre eux seraient tournés contre Nous en sujet de haine populaire ? Pourtant dans tout cela, il ne faut pas tant s’étonner de la méchanceté de certains hommes, Nous accusant publiquement et amèrement de favoriser l’un des deux partis, que de l’irréflexion de ceux qui ont ajouté foi à une accusation aussi dénuée de fondement ! ».
31. Traduite par nos soins.
32. Lettre apostolique sur les devoirs qui incombent aux catholiques pour réparer les maux de la guerre, Diuturni luctuossimique.
33. Au contraire du Traité de Versailles qui rejetait sur l’Allemagne la responsabilité de la guerre (article 231), le Pape ne désigne pas de coupable. Olivier Chaline note que la thèse de la responsabilité de l’Allemagne n’est plus soutenue aujourd’hui par aucun historien (14-18, défense ou autodestruction de la civilisation ? in Communio, n° XXXVIII, 3-4, mai-août 2013, p. 7).
34. Lettre à l’occasion de la consécration solennelle de la basilique du Vœu national. (Sacré-Cœur de Montmartre).
35. Par exemple les Bénédictins de l’abbaye de Beuron (Bade-Wurtemberg) et les missionnaires d’Afrique.
36. Maximum illud, 9 (Eviter les nationalismes), 43-48. Lettre « sur la propagation de la foi dans le monde », traduite par nos soins.
37. Discours au Sacré Collège : la condition essentielle pour la pacification individuelle et sociale est le retour à Dieu par la foi, 24 décembre 1919. Il reviendra sur ce thème dans son Allocution au Sacré Collège, le 24 décembre 1920 et encore le 13 juin 1921 (Allocution consistoriale) : « les rivalités et rancunes de peuples à peuples ne sont point apaisées encore, et […] si l’incendie de la guerre est presque éteint, les instincts belliqueux sont restés vivaces ».
38. Lettre encyclique « sur la restauration chrétienne de la paix », traduite par nos soins.
39. Le Souverain Pontife pense certainement au traitement jugé trop humiliant réservé à l’Allemagne lors du traité de Versailles en 1919, dans sa deuxième partie : remaniements territoriaux à l’Est et à l’Ouest, limitation du pouvoir militaire, occupation de la Rhénanie, très lourdes sanctions commerciales et financières, perte de l’empire colonial. Toutes ces mesures plongèrent l’Allemagne dans de grandes difficultés économiques et suscitèrent un vif ressentiment qui n’est pas étranger au succès du nazisme et à l’envie de revanche. Déjà le 28 juillet 1915, dans son Exhortation aux peuples belligérants et à leurs chefs, avec une grande lucidité, Benoît XV demandait « qu’on y réfléchisse bien : les nations ne meurent pas ; humiliées et oppressées, elles portent frémissantes le joug qui leur est imposé, préparant la revanche et se transmettant de génération en génération un triste héritage de haine et de vengeance. »
40. C’est l’objectif de la première partie du traité de Versailles : Constituer une Société des nations. Malgré quelques succès, la Société de nations ne parvint pas à juguler en Europe les menaces d’une seconde guerre mondiale.
41. De civitate Dei, XIX, 17.
42. Il avait à plusieurs reprises déjà évoqué cette situation inacceptable (Cf. Allocution consistoriale du 6 décembre 1915) qui complique les relations diplomatiques et les communications.