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Chapitre 1 : La guerre totale et l’homme providentiel

La guerre préserve la santé morale des peuples
— Hegel

Tout d’abord, les guerres révolutionnaires puis les guerres napoléoniennes qui les prolongèrent, entre 1803 et 1815, ont bouleversé les conceptions de l’art de la guerre. Avant la révolution française, les États européens avaient des armées relativement petites, avec une forte proportion d’étrangers et de mercenaires. A la fin du XVIIIe siècle apparaît le concept de nation en guerre. Dans une directive du 16 août 1793 aux armées, Robespierre déclare : « Nos ennemis font une guerre d’armée, vous faites une guerre de peuple. »[1] L’armée napoléonienne s’appuiera ainsi sur une conscription de masse⁠[2], et près de 150 000 sur mer. Le Royaume-Uni mobilise 750 000 hommes de 1792 à 1815, dont un tiers dans la Royal Navy. En 1812 la Russie compte 900 000 hommes dans son armée de terre, et avait donc plus d’un million d’hommes mobilisés. Les forces autrichiennes atteignent 576 000 hommes au maximum ; l’Autriche étant l’ennemi le plus persistant de la France, il est raisonnable de penser que plus d’un million d’Autrichiens servirent dans l’armée durant cette période. La Prusse et le Royaume-Uni eurent jusqu’à 320 000 sous les armes, l’Espagne environ 300 000. L’Empire ottoman, le royaume d’Italie, le royaume de Naples et le grand-duché de Varsovie mobilisent eux aussi plus de 100 000 hommes (à l’époque, les États-Unis ont 286 000 hommes sous les drapeaux. Comme on peut le voir, même de petites nations ont eu des armées rivalisant avec celles des grandes puissances des guerres précédentes. Au retour de la campagne de Russie, l’armée napoléonienne qui comptrait au départ 600.000 hommes était réduite à 83.000 hommes.].

Par ailleurs, le but recherché est la destruction des armées adverses : il faut lui infliger des pertes maximales pendant et après la bataille.

La destruction peut aussi s’étendre aux populations non combattantes. Si la notion de « guerre totale » est une notion complexe employée systématiquement pour désigner, par exemple, les deux guerres mondiales du XXe siècle, un certain nombre de faits annoncent dès la fin du XVIIIe siècle ce que Carl von Clausewitz définit comme « absolut Kriege ». Si l’histoire nous présente, à différentes époques des exemples de destructions massives et de peuples en armes, il faut pour qu’on puisse à proprement parler, identifier une guerre totale que le pouvoir central politique organise une stratégie qui mobilise toutes les ressources de la nation, militaires, économiques, juridiques, idéologiques dans le but d’anéantir non simplement l’armée mais le peuple ennemi et ses ressources.⁠[3]

A ce point de vue, la répression par l’armée républicaine de l’insurrection vendéenne en 1793-1794⁠[4], annonce les holocaustes du XXe siècle.⁠[5]

En effet, c’est le pouvoir politique qui décrète officiellement l’extermination de la population⁠[6] et la destruction du pays⁠[7]. Terre brûlée, confiscation des biens, tentatives (vaines) d’extermination par le gaz, les mines et l’arsenic, prisonniers fusillés ou noyés.⁠[8] En janvier 1794, alors que la « grande armée catholique et royale » est vaincue⁠[9], les « colonnes infernales » du général Turreau vont décimer la population.⁠[10] Le 20 février 1794, un décret ordonne la déportation des innocents et des bons citoyens pour qu’il n’y ait plus sur le territoire insurgé que « les rebelles que l’on pourra plus aisément détruire. »

Cette guerre de Vendée annonce dans le cadre géographique réduit où elle s’est déroulée, la démesure et l’horreur des conflits mondiaux du XXe siècle qui sont, comme on l’a dit plus haut, au sens strict des guerres totales.

Par ailleurs, la guerre de Vendée et les campagnes napoléoniennes, en Espagne, en particulier, abolissent les distinctions entre combattants et non-combattants, civils et militaires, coupables et innocents. Elles annoncent les formes modernes de  guérilla et le terrorisme qui ne fait plus de distinction entre civil et militaire, coupable ou innocent.

Parallèlement et, de nouveau dans la mouvance révolutionnaire, naît ou renaît le mythe de l’homme providentiel.

L’homme providentiel, nous dit le dictionnaire, est « l’homme qu’il faut dans une situation délicate ou désespérée » qui est attendu ou qui arrive « comme le messie »[11].

Le critique littéraire Sainte-Beuve⁠[12] emploie, dans le sens qui nous intéresse⁠[13]-http://fr.wikipedia.org/wiki/1881[1881) écrit dans son gigantesque journal intime : « Il nous faut voir dans ces peines l’épreuve purifiante de notre âme et dans nos tourmenteurs des agents providentiels, des magistrats de la souffrance (Journal, 1866, p. 157).], l’adjectif providentiel qui n’est pas attesté avant 1792⁠[14] 
   Cette raison sublime, qui s’élève au-dessus de la portée des hommes vulgaires, est celle dont le législateur met les décisions dans la bouche des immortels, pour entraîner par l’autorité divine ceux que ne pourrait ébranler la prudence humaine. Mais il n’appartient pas à tout homme de faire parler les dieux, ni d’en être cru quand il s’annonce pour être leur interprète. La grande âme du législateur est le vrai miracle qui doit prouver sa mission. » (Union générale d’éditions, 10/18, 1963, pp. 85-86) ] : « il s’est rencontré des instants uniques, où toute une nation (…) était comme sur le tranchant du rasoir (…). Les hommes qui ont été des instruments de salut en ces périodes critiques sont à bon droit proclamés providentiels…​ »⁠[15]

Ce thème a inspiré de nombreux auteurs contemporains qui nous renvoient aux « individus historiques » de Hegel⁠[16], créateur de la forme romantique du « fantasme du grand incarnateur », c’est-à-dire d’ « un homme qui serait le peuple parce qu’il personnifierait son « âme » », un homme supérieur et différent qui incarnerait « un principe spirituel qui le dépasse », qui serait le porteur privilégié du « divin mouvement de l’histoire » à l’origine de son inspiration. ⁠[17]

Dans un cours donné entre 1822 et 1830, Hegel écrit :  « Les individus historiques sont ceux qui ont dit les premiers ce que les hommes veulent. Il est difficile de savoir ce qu’on veut. On peut certes vouloir ceci ou cela, mais on reste dans le négatif et le mécontentement : la conscience de l’affirmatif peut fort bien faire défaut. Mais les grands hommes savent aussi que ce qu’ils veulent est l’affirmatif. C’est leur propre satisfaction qu’ils cherchent : ils n’agissent pas pour satisfaire les autres. S’ils voulaient satisfaire les autres, ils eussent eu beaucoup à faire parce que les autres ne savent pas ce que veut l’époque et ce qu’ils veulent eux-mêmes. Il serait vain de résister à ces personnalités historiques parce qu’elles sont irrésistiblement poussées à accomplir leur œuvre. Il appert par la suite qu’ils ont eu raison, et que les autres, même s’ils ne croyaient pas que c’était bien ce qu’ils voulaient, s’y attachent et laissent faire. Car l’œuvre du grand homme exerce en eux et sur eux un pouvoir auquel ils ne peuvent pas résister, même s’ils le considèrent comme un pouvoir extérieur et étranger, même s’il va à l’encontre de ce qu’ils croient être leur volonté. Car l’Esprit en marche vers une nouvelle forme est l’âme interne de tous les individus ; il est leur intériorité inconsciente, que les grands hommes porteront à la conscience. Leur œuvre est donc ce que visait la véritable volonté des autres ; c’est pourquoi elle exerce sur eux un pouvoir qu’ils acceptent malgré les réticences de leur volonté consciente : s’ils suivent ces conducteurs d’âmes, c’est parce qu’ils y sentent la puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur venant à leur rencontre. »[18] Le grand homme hégélien est ainsi parfaitement identifié à ceux qui le suivent : « Les grands hommes de l’histoire sont ceux dont les fins particulières contiennent la substantialité que confère la volonté de l’Esprit du monde. C’est bien le contenu qui fait leur véritable force. Ce contenu se trouve aussi dans l’instinct collectif inconscient des hommes et dirigent leurs forces les plus profondes. C’est pourquoi ils n’opposent aucune résistance conséquente au grand homme qui a identifié son intérêt personnel à l’accomplissement de ce but. Les peuples se rassemblent sous sa bannière : il leur montre et accomplit leur propre tendance immanente. »[19]

Cette vision hégélienne se retrouve chez nombre de penseurs, écrivains et hommes politiques qui ont subi directement ou indirectement l’influence du grand philosophe allemand.⁠[20] Pour nous en tenir, pour le moment, aux deux premières catégories, citons⁠[21] Victor Cousin⁠[22], Pierre Leroux⁠[23], Jules Michelet⁠[24], Alphonse de Lamartine⁠[25], Victor Hugo⁠[26]

Max Weber⁠[27] n’emploie pas le mot « providentiel », ni l’expression « individu historique » mais le mot « charismatique » qui exprime autrement une réalité proche de celle que nous voulons étudier.⁠[28]

Weber part d’une conception de l’État contemporain vu « comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. » Il « passe donc pour l’unique source du « droit » à la violence. »[29] Il examine ensuite les divers types de légitimité que l’on peut rencontrer dans l’exercice du pouvoir. Parmi eux, il s’intéresse au « pouvoir issu de la soumission des sujets au « charisme » purement personnel du « chef  ». En effet, ce type nous conduit à la source de l’idée de vocation, où nous retrouvons ses traits les plus caractéristiques. Si certains s’abandonnent au charisme du prophète, du chef en temps de guerre, du très grand démagogue au sein de l’ecclesia ou du Parlement, cela signifie que ces derniers passent pour être intérieurement « appelés » au rôle de conducteur d’hommes et qu’on leur obéit non pas en vertu d’une coutume ou d’une loi, niais parce qu’on a foi en eux. Certes, s’il est plus qu’un petit parvenu présomptueux du moment, il vit pour sa chose, il cherche à accomplir son œuvre. Par contre c’est uniquement à sa personne et à ses qualités personnelles que s’adresse le dévouement des siens, qu’ils soient des disciples, des fidèles ou encore des militants liés à leur chef. »[30]

Plus près de nous encore, et s’appuyant sur l’analyse du mythe selon Barthes qui le définit comme « une parole choisie par l’histoire »[31], Didier Fischer confirme et précise que l’homme providentiel « est assurément le produit d’une situation politique à un moment donné de notre histoire, mais il n’en dépend jamais totalement puisque les ressorts même de l’appel au sauveur transcendent la réalité historique et fournissent leur lot de modèles prestigieux dans lesquels les contemporains vont reconnaître celui en qui il faut placer sa confiance. »[32] Celui qui va apparaître comme le « Sauveur »[33].

Le phénomène est-il constatable à toutes les époques et sous toutes les latitudes ? Plusieurs auteurs le pensent, comme Weber⁠[34] mais il restreint finalement son étude aux chefs de partis parlementaires occidentaux. Certains évoquent des figures anciennes : Moïse, David ou Salomon, Lycurgue à Sparte⁠[35] ou Solon⁠[36] et Périclès à Athènes⁠[37], Cincinnatus⁠[38] ou Jules César⁠[39] à Rome, Clovis⁠[40], Charlemagne⁠[41].], Frédéric II⁠[42]).], Charles-Quint⁠[43] . d’autres estiment qu’il s’agit d’un phénomène particulièrement français.⁠[44]

Si l’on excepte Moïse, David et Salomon qui sont « providentiels » au sens originel, puisqu’ils se sont laissés conduire par Dieu et ont coopéré à son œuvre⁠[45], les autres personnages sont des politiques et souvent aussi des chefs de guerre. Ils sont considérés comme providentiels, au sens moderne, et a posteriori par les théoriciens.⁠[46] Il en va de même, à mon sens, pour Jeanne d’Arc considérée par plusieurs auteurs comme la vraie source historique du mythe récupéré aussi bien par Maurice Thorez (communiste) que Jean-Marie Le Pen (nationaliste) ⁠[47]. Il est clair que c’est par un détournement de sens typiquement contemporain que la sainte devient, en France, un « référent majeur » du « messianisme politique ».⁠[48]

Comme quoi Charles Péguy voyait juste en méditant sur les concepts de mystique et de politique⁠[49] : «  Tout commence en mystique et finit en politique »« La politique se moque de la mystique, mais c’est encore la mystique qui nourrit la politique même »« Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique ».

Mais le phénomène n’est pas que français, il est, en réalité, universel et très contemporain. Les grandes figures élevées au rang de « sauveurs », quasi divinisés s’appellent Napoléon, Mussolini (« duce »), Hitler (« führer »), Mao (« grand timonier »), et d’autres. Au début du XXIe siècle c’est le président Barack Obama qui apparaît comme un sauveur. Le jour de son élection, une jeune française interrogée dans la rue déclarait : « désormais le monde ne sera plus comme avant ». Beaucoup ont été frappé par une campagne jugée « charismatique », par son « hyperpersonnalisation » ; ses partisans sont apparus comme des « adorateurs de la rock star »[50]. On a parlé aussi d’un « épanchement « obamaniaque », proche de la déification », « d’ébahissement amoureux », « moment historique » et  « d’espoir quasi mystique », alors que les Américains sont naturellement méfiants vis-à-vis du pouvoir fédéral_.⁠[51] Pour désigner cet engouement, on a créé le mot « obamania ». Nommé président le 20 janvier 2009, il reçoit le 9 octobre de la même année, le Prix Nobel de la Paix non parce qu’il l’a réalisée mais parce qu’il l’a promise : une récompense pour l’avenir promis. Objet d’un véritable culte, il suscite, dès décembre 2009, le mécontentement de nombreux parents d’élèves dans certains États parce qu’on y célèbre la gloire du président par le biais de chansons. Dans l’une d’elles, très connue aux États-Unis, le nom de Jésus était remplacé par celui d’Obama⁠[52]

Ce fait est symptomatique mais pas tout à fait nouveau et est favorisé par la déchristianisation ou le besoin d’un dieu bien présent physiquement dans un monde incertain ou agité. Favorisé et non suscité car semble enraciné dans le cœur de tout homme le besoin d’être sauvé, le besoin d’un sauveur.⁠[53] Non seulement parce que l’attente de l’homme providentiel aurait été historiquement inculquée par « la conception providentialiste de l’histoire, née des récits bibliques »[54] ou, plus précisément encore, par l’image du Christ et l’éducation chrétienne⁠[55]. Mais on peut penser qu’en dehors du monde christianisé ou avant lui, par nature, une aspiration spontanée à être guéri, maintenant ou plus tard, des vicissitudes mondaines, anime tous les hommes.⁠[56] Le monde politique contemporain perpétue à sa manière avec les mœurs païennes qui, sous toutes les latitudes ont eu tendance à sacraliser ou diviniser les « prince » à cette étrangeté près que nous sommes, la plupart du temps, dans un contexte démocratique.⁠[57]

Il est symptomatique, en tout cas, qu’à l’aube d’un monde matérialiste et relativiste, Napoléon Bonaparte soit, d’une certaine manière, monté sur le trône de Dieu apparemment vacant désormais. A partir du coup d’État du 9 novembre 1799, Bonaparte va prendre le pouvoir et apparaître de plus en plus, en France puis en Europe comme un « homme providentiel ».

Hegel dont on a parlé plus haut était attaché à l’idéal de la Révolution de 1789, « magnifique lever de soleil », dira-t-il⁠[58]. Il attend une révolution semblable en Allemagne[59]. L’épopée napoléonienne renforce son espoir et lorsqu’il rencontre l’Empereur, le 13 octobre 1806, il déclare : « J’ai vu l’Empereur — cette âme du monde — sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine ». ⁠[60] Il dira aussi : « Messieurs ! Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l’Esprit a fait un bond en avant, a dépassé sa forme concrète antérieure et en acquiert une nouvelle. »[61] Napoléon est « l’incarnation d’un principe spirituel qui le dépasse »[62], capable de dire le « Verbe de l’époque », incarnation du « Verbe de la France », continuateur de l’œuvre du Christ !⁠[63] Hugo dans son roman Les misérables célèbre l’homme- peuple à travers son personnage Marius : « Il fut l’homme prédestiné qui avait forcé toutes les nations à dire : -la grande nation. Il fut mieux encore ; il fut l’incarnation même de la France, conquérant l’Europe par l’épée et le monde par la clarté qu’il jetait. Marius vit en Bonaparte le spectre éblouissant qui se dressera toujours sur la frontière et qui gardera l’avenir. Despote mais dictateur ; despote résultant d’une république et résumant une révolution. Napoléon devint pour lui l’homme-peuple comme Jésus est l’homme-Dieu. »[64]

Il faut dire que Napoléon a tout fait aussi pour paraître tel. N’a-t-il pas institué par son décret du 19 février 1806, en son article premier, que : « La fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique en France seront célébrées, dans toute l’étendue de l’empire, le 15 août de chaque année, jour de l’Assomption, et époque de la conclusion du concordat. »

Napoléon est le prototype de tous les « grands incarnateurs » qui lui ont succédé et dont le nom est lié non seulement à une crise de société, économique, politique mais aussi à la guerre qui est le paroxysme de la crise.⁠[65]

Tous les auteurs citent, comme exemples principaux, trois chefs d’État qui furent aussi des chefs de guerre :
Mussolini⁠[66], Hitler⁠[67] et De Gaulle⁠[68]

Plus près de nous, journalistes et chroniqueurs, relayant un fort sentiment populaire, consacrent aussi le président Obama qui, à première vue, semble faire exception puisqu’il s’est présenté et a été apprécié et jugé d’avance comme un prince de la paix intérieure et extérieure⁠[69]. Mais rappelons-nous que Napoléon a aussi incarné, même à travers la guerre, la paix à venir. Ici aussi il a été un prototype.⁠[70]

L’élection du président américain est intéressante encore à deux titres.

Elle nous a rappelé l’importance de la propagande dans la constitution du mythe par les affiches, les slogans, les discours, toutes les ressources des media de plus en plus perfectionnés surtout à partir du XXe siècle. Les réseaux sociaux aujourd’hui jouent un très grand rôle dans les mobilisations politiques. A tel point que certains s’inquiètent du pouvoir exercé par ceux qui peuvent utiliser les grands media⁠[71]. Dans les régimes non démocratiques, on va jusqu’à organiser un véritable culte.⁠[72] Souvent, l’homme providentiel lui-même soigne son image. Ainsi en fut-il déjà, comme on vient de le voir, avec Napoléon.

Elle nous rappelle aussi que les rêves⁠[73] n’ont qu’un temps et que la réalité fait redescendre les hommes providentiels au rang de personnages communs ou, dans le pire des cas, révèle leur nuisance. Obama, nommé président le 20janvier 2009, il est un an plus tard déjà l’objet de désillusions⁠[74] même sur le plan de la paix⁠[75] et, en 2012, il soulève une vague de protestations pour des mesures qui paraissent porter atteinte à la liberté religieuse.⁠[76]

A une certaine époque, la guerre paraissait juste pour la simple raison que Dieu en personne ou le prince « lieutenant de Dieu » l’avait voulue. Dieu « mort », l’homme « providentiel » reprend son rôle. La guerre redevient un acte sacré ou du moins un devoir inviolable qui n’est pas sans conséquences graves. Comme l’a très bien vu Christian Mellon⁠[77], cette « sanctification », toute sécularisée qu’elle soit, dissipe les scrupules et même la peur de la mort. La guerre n’a plus de freins, elle est nécessairement juste et les moyens importent peu.

Il en va de même lorsque, à la place de Dieu ou d’une personne « exceptionnelle », la guerre est menée au nom d’une entité sacralisée : au nom du Peuple, de la Nation, de la Révolution, de la Justice⁠[78], voire de la Démocratie⁠[79] !

La question a été abordée théoriquement, à propos de la Volonté générale et de la Démocratie, dans l’œuvre de J.-J. Rousseau, par J. Maritain.⁠[80] Une Volonté générale décrite comme « un dieu social immanent », infaillible, une Démocratie qui n’est pas « une forme particulière de gouvernement », mais un « mythe » où le peuple « n’obéit qu’à lui-même », absolument souverain. Le peuple toutefois n’est pas seul car s’il « veut toujours le bien », « il n’est pas toujours suffisamment informé, souvent même on le trompe ». Il a donc à ses côtés, un « législateur » qui est « le surhomme qui guide la Volonté générale ». Maritain conclura que cette vision rousseauiste, est, en fait, du « christianisme corrompu ».

Cette question a été aussi abordée et cette fois d’une manière très concrète, en 1937, par Pie XI, et ce n’est pas un hasard, dans sa condamnation du nazisme : « Quiconque, écrivait-il, prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine - toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable - quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. »[81] Travestissant le Dieu véritable, loin de l’enseignement de l’Église, cette conception, note deux ans plus tard, Pie XII, « a fait réapparaître même dans des régions où brillèrent pendant tant de siècles les splendeurs de la civilisation chrétienne, les signes toujours plus clairs, toujours plus distincts, toujours plus angoissants d’un paganisme corrompu et corrupteur ». Etait-il étonnant dès lors que le « terrible ouragan de la guerre » se déchaîne ? Avec douleur mais lucidement, le Saint Père prévoyait « tout ce qui pourra germer de la ténébreuse semence de la violence et de la haine, à laquelle l’épée ouvre aujourd’hui des sillons sanglants. »[82]

L’absolu laïcisé engendre la guerre, une guerre qui peut sacrifier tout ce qui ne correspond pas à l’Idéal.


1. Cité in CHABOT Jean-Luc, Les doctrines politiques et religieuses de la « guerre juste », in La morale et la guerre, Actes du XIe Colloque national des Juristes catholiques, 1991, Téqui, 1992, p. 62. L’auteur commente : « Avec la formule de « la nation en armes », la guerre devient l’affaire du peuple tout entier […] L’armée nationale débouche sur la guerre totale car, au nom de la nation, c’est toute la collectivité et l’homme tout entier qui sont désormais impliqués. Entre le soldat de l’An II et le poilu de 1914, il y a une similitude, une filiation et une continuité qui ne peuvent s’expliquer qu’en référence à cette dimension nationaliste, nouvelle de l’armée et de la guerre ».
2. A la fin du XVIIIe siècle, la France compte 27 millions d’habitants, contre douze millions de Britanniques et 35 à 40 millions de Russes. En Europe, avant la Révolution française, peu d’armées dépassaient les 200 000 hommes. Dans les années 1790, l’armée française atteint les 1,5 million de conscrits. Au total, durant ces vingt-trois années de guerre, près de 2,8 millions de Français servirent dans l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_de_terre[armée de terre
3. Les historiens en donnent deux exemples dans le passé. Tout d’abord, la guerre du Péloponèse (431-404) entre Sparte et Athènes et qui, selon Mourre, « a joué dans l’histoire hellénique un rôle aussi funeste que les deux dernières guerres mondiales dans l’histoire de l’Europe moderne ». Ensuite, les guerres menées par Gengis Khan et les Mongols au XIIIe siècle. En terre chrétienne, c’est la guerre de Trente ans (1618-1648) qui peut être évoquée. Cette guerre religieuse et politique plongea l’Allemagne dans l’anarchie. Suite aux « exactions incessantes des armées de mercenaires [elle] se trouvait en ruine et dépeuplée (un tiers environ de sa population avait péri) ». (Mourre)
4. Certains historiens parlent de « génocide vendéen » mais l’expression est controversée. Cf. SECHER Reynald, La Vendée-Vengé, le génocide franco-français, Perrin, 2006 ou CHAUNU Pierre, L’apologie par l’histoire, ŒIL-Téqui, 1988, pp. 389-394. Du même et allii, Le livre noir de la révolution française, Cerf, 2008. On peut lire aussi BABEUF Gracchus (1760-1797), La guerre de Vendée et le système de dépopulation, présenté et annoté par Reynald Secher et Jean-Joël Brégeon, Introduction par Stéphane Courtois, Cerf, Histoire à vif, 2008. Quelques extraits des textes officiels peuvent être lus dans la Proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794, Assemblée nationale française, n° 3754, 4 octobre 1958.
5. Par la suite, les exemples ne manquent pas : la guerilla espagnole face aux armées napoléoniennes (1808-1814) ; la révolte des T’ai-p’ing, en Chine (1851-1864) qui « aurait fait, au total, plus de 20 millions de victimes » (Mourre) ; la guerre de Sécession (1861-1865) où les généraux Sheridan et Sherman procédèrent à des destructions systématiques ; les guerres indiennes où Sheridan encore s’illustra tristement ; la guerre de la Triple Alliance (1865-1870) du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay contre le Paraguay dont la population fut réduite à moins de la moitié, voire à moins d’un tiers ; en 1900, pour triompher des Boers, les Britanniques dévastèrent les régions insoumises, et enfermèrent, dans des camps de concentration, les hommes mais aussi les femmes et les enfants. 20000 internés périrent suite aux mauvaises conditions d’hygiène dont la célèbre Lizzie van Zyl (1894-1901) (Mourre).
6. Décret du 1er octobre 1793 : « Il faut que tous les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre : le salut de la Patrie l’exige ; l’impatience du peuple français le commande ; mon courage doit l’accomplir. » Si le décret du 1er août prévoit la protection des femmes et des enfants,
7. Décret du 1er août 1793. Article VI : « Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts » ; article VII : « « Les forêts seront abattues ; les repaires des rebelles seront détruits ; les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers, pour être portées sur les derrières de l’armée et les bestiaux seront saisis. » Le 1er novembre 1793, un décret prévoit que « toute ville de la république qui recevra dans son sein les brigands ou qui leur donnera des secours sera punie comme ville rebelle. En conséquence, elle sera rasée et les biens des habitants seront confisqués au profit de la république. »
8. On fusille 2.000 Vendéens, dont la moitié de femmes à Angers, 1.500 à Noirmoutier, 1.800 aux carrières de Gigant près de Nantes. Le représentant en mission Carrier fait noyer 4.000 personnes dans la Loire. (Cf. Herodote et Mourre)
9. Le 23 décembre 1793, après l’anéantissement de l’armée royale à Savenay, le général Westermann avait écrit dans une lettre à la Convention : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains, elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, et massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. »
10. Le général Grignon commandant la 2e division déclare : « Je vous donne l’ordre de livrer aux flammes tout ce qui est susceptible d’être brûlé et de passer au fil de l’épée tout ce que vous rencontrerez d’habitants. »
11. R.
12. Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869).
13. Par exemple, dans un autre sens, plus religieux, l’écrivain et philosophe suisse AMIEL Henri-Frédéric (1821
14. Notons que ROUSSEAU Jean-Jacques avait, en 1762, dans son Contrat social dessiné la figure fondatrice d’ « un homme extraordinaire dans l’État » et qu’il appelle « législateur » : « Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ; d’altérer la constitution de l’homme pour la renforcer ; de substituer une existence partielle et morale à l’existence physique et indépendante que nous avons reçue de la nature. Il faut, en un mot, qu’il ôte à l’homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères, et dont il ne puisse faire usage sans le secours d’autrui. Plus ces forces naturelles sont mortes et anéanties, plus les acquises sont grandes et durables, plus aussi l’institution est solide et parfaite : en sorte que si chaque citoyen n’est rien, ne peut rien que par tous les autres, et que la force acquise par le tout soit égale ou supérieure à la somme des forces naturelles de tous les individus, on peut dire que la législation est au plus haut point de perfection qu’elle puisse atteindre.
   Le législateur est à tous égards un homme extraordinaire dans l’État. S’il doit l’être par son génie, il ne l’est pas moins par son emploi. Ce n’est point magistrature, ce n’est point souveraineté. Cet emploi, qui constitue la république, n’entre point dans sa constitution ; c’est une fonction particulière et supérieure qui n’a rien de commun avec l’empire humain ; car celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux lois, celui qui commande aux lois ne doit pas non plus commander aux hommes : autrement ces lois, ministres de ses passions, ne feraient souvent que perpétuer ses injustices ; jamais il ne pourrait éviter que des vues particulières n’altérassent la sainteté de son ouvrage. […
15. Causeries du lundi, (1851-1881, en 16 volumes), t. 13, 1857, p. 212.
16. GARRIGUES Jean, Les hommes providentiels, histoire d’une fascination française, Seuil, 2012 ou in Parlement(s), Revue d’histoire politique, n° 13, 2010, Editorial ; DECHERF Jean-Baptiste, Quand un seul est un peuple, Le fantasme du grand incarnateur, in Les cahiers de psychologie politique [en ligne], n° 13, juillet 2008 ; MARMASSE Gilles, Le grand homme et ses passions, in Implications philosophiques, 11 mars 2011 (disponible sur www.implications-philosophiques.org).
17. DECHERF Jean-Baptiste, op. cit., pp. 1-2.
18. La Raison dans l’histoire, Plon, 1965, p. 123. Cette vision s’inscrit dans la conception générale que se fait Hegel de l’histoire : « L’histoire universelle est la manifestation du processus divin absolu de l’Esprit dans ses plus hautes figures : la marche graduelle par laquelle il parvient à sa vérité et prend conscience de soi. Les peuples historiques, les caractères déterminés de leur éthique collective, de leur constitution, de leur art, de leur religion, de leur science, constituent les configurations de cette marche graduelle. Franchir ces degrés, c’est le désir infini et la poussée irrésistible de l’Esprit du Monde, car leur articulation aussi bien que leur réalisation est son concept même » (p. 97). L’Idée et les passions humaines « ensemble forment la trame et le fil de l’histoire universelle. L’Idée en tant que telle est la réalité ; les passions sont le bras avec lequel elle gouverne. Ce qui les relie, c’est la liberté concrète » (p. 106). « Ce sont maintenant les grands hommes historiques qui saisissent cet universel supérieur et font de lui leur but. Ce sont eux qui réalisent ce but qui correspond au concept supérieur de l’Esprit. C’est pourquoi on doit les nommer des héros » (p. 120). « Ces grands hommes semblent obéir uniquement à leur passion, à leur caprice. Mais ce qu’ils veulent, c’est l’Universel. C’est là leur côté pathétique. La passion est devenue l’énergie de leur moi ; sans la passion, ils n’auraient rien pu produire » (p. 125).
19. Id., p. 113.
20. Selon GERARD Alice (Le grand homme et la conception de l’histoire au XIXe siècle, in Romantisme, n° 100, 1998-2, p. 37) : « Ainsi s’est généralisée, banalisée, une conception toute fonctionnaliste du grand homme, érigé en « représentant », « incarnation », « symbole », « porte-parole » de son temps. »
21. Selon DECHERF Jean-Baptiste, op. cit..
22. Philosophe et homme politique, 1792-1867. Il écrit dans son Cours de philosophie, Introduction à l’histoire de la philosophie, Fayard, 1991, p. 262 : « Comme au fond ce grand homme n’est pas autre chose que ce peuple qui s’est fait homme, à cette condition-là, le peuple sympathise avec lui, il a confiance en lui, il a pour lui de l’amour et de l’enthousiasme, il se donne à lui. »
23. Penseur et homme politique, 1797-1871. Pour lui, comme pour Hegel, la « pensée de l’humanité » se développe dans l’histoire « selon un plan providentiel » (in A la source perdue du socialisme français, Anthologie établie et présentée par Bruno Viard, Desclée de Brouwer, 1997, pp. 138 et 232.
24. Historien, 1798-1874. A la fin de sa vie, Michelet a pris ses distances par rapport à cette théorie du « grand incarnateur » mais, en 1846, il écrivait : « Le peuple, en sa plus haute idée, se trouve difficilement dans le peuple. Que je l’observe ici ou là, ce n’est pas lui, c’est telle classe, telle forme partielle du peuple, altérée et éphémère. Il n’est dans sa vérité, à sa plus haute puissance, que dans l’homme de génie ; en lui réside la grande âme… Tout le monde s’étonne de voir les masses inertes, vibrer au moindre mot qu’il dit, les bruits de l’océan se taire devant cette voix, la vague populaire traîner à ses pieds… Pourquoi donc s’en étonner ? Cette voix, c’est celle du peuple ; muet en lui-même, il parle en cet homme, et Dieu avec lui. C’est là vraiment qu’on peut dire : « Vox populi, vox dei » ». Toutefois, à la différence de Hegel, c’est le peuple que magnifie ainsi Michelet et non le grand homme : « Le grand homme n’est grand que parce qu’il représente le peuple, source de toute grandeur et de tout génie ». (Le peuple, Flammarion, 1974, p. 186).
25. Ecrivain et homme politique, 1790-1869. « Les poètes disent que les nuages prennent la forme des pays qu’ils ont traversés, et se moulant sur les vallées, sur les plaines ou sur les montagnes, en gardent l’empreinte et la promènent dans les cieux. C’est l’image de certains hommes dont le génie pour ainsi dire collectif se modèle sur leur époque et incarne ne eux toute l’individualité d’une nation. Mirabeau était de ces hommes. Il n’inventa pas la révolution, il la manifesta. Sans lui elle serait restée peut-être à l’état d’idée ou de tendance. Il naquit, et elle prit en lui la forme, la passion, qui font dire à la foule en voyant une chose : « la voilà » » Et le grand homme semble agir encore dans la mort : « Mirabeau venait de mourir. L’instinct du peuple le portait à se presser en foule autour de la maison de son tribun, comme pour demander encore des inspirations à son cercueil. » (Histoire des Girondins, Hachette, 1883, tome 1, pp. 6 et 4).
26. Ecrivain, 1802-1885. Cf. infra.
27. 1864-1920. Sociologue et économiste allemand. Nous avons déjà fait allusion à une des ses œuvres les plus célèbres : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905).
28. Le spécialiste du nazisme et d’Hitler, KERSHAW Ian (Hitler – Essai sur le charisme en politique, Gallimard, Paris, 1995 ; Hitler, tome 1 : 1889-1936, Flammarion, 1999, 1157 p. ; Hitler, tome 2 : 1936-1945, Flammarion, 2000, 1632 p.) estime que le concept de domination ou autorité charismatique tel qu’il est présenté par Weber , « permet d’expliquer pourquoi ce régime a pu conjuguer une base de pouvoir aussi instable et un dynamisme extraordinaire - dynamisme qui, en raison de son incompatibilité foncière avec toute forme de gouvernement légal et rationnel, ne pouvait que se révéler destructeur et même, en fin de compte, autodestructeur. Bien plus, le concept de « domination charismatique » est précieux pour comprendre les bases de la suprématie de Hitler au sein du mouvement national-socialiste, son autonomie croissante dans le jeu complexe des relations de pouvoir à l’intérieur de l’État nazi et l’effet corrosif de son autorité lorsque celle-ci vint se superposer à une forme de domination qui lui était antinomique - l’appareil de l’État allemand avec ses structures bureaucratiques et légales. » (Hitler, 1889-1936, Hubris, Flammarion, 1999, p. 13). Ce concept weberien repris par BRUHNS Hinnerk, (Le charisme en politique : idée séduisante ou concept pertinent ?, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24, 2000, disponible sur http://ccrh.revues.org/1982) convient bien à Hitler mais ne peut s’appliquer, selon cet auteur à Bismarck ou César.
29. WEBER Max, Le savant et le politique (1919), Union Générale d’Éditions, Collection : Le Monde en 10-18, 1963. Edition électronique disponible sur le site classiques.uqac.ca/, p. 29.
30. Id., pp 30-31.
31. BARTHES Roland, Mythologies (1957), Seuil, Points-Essais, 1970, p. 181.
32. L’homme providentiel de Thiers à de Gaulle, un mythe politique en République, L’Harmattan, 2009 p. 68.
33. Cf. GIRARDET Raoul, Mythes et mythologies politiques, Points, 1986.
34. « L’histoire nous montre que l’on rencontre des chefs charismatiques dans tous les domaines et à toutes les époques historiques. Ils ont cependant surgi sous l’aspect de deux figures essentielles, celle du magicien et du prophète d’une part et celle du chef de guerre élu, du chef de bande et du condottiere de l’autre. Mais ce qui est propre à l’Occident - et cela nous intéresse plus spécialement - c’est la figure du libre « démagogue ». Celui-ci n’a triomphé qu’en Occident, au sein des cités indépendantes, particulièrement dans les pays de civilisation méditerranéenne. De nos jours ce même type se présente sous l’aspect du « chef d’un parti parlementaire » ; on ne le rencontre de même qu’en Occident qui est la terre des États constitutionnels. » (op. cit., p. 31).
35. Lycurgue est un législateur mythique qui aurait vécu au Ixe siècle av. J.-C.
36. Solon (vers 640 - 558) est un homme d’État, législateur et poète athénien.
37. Périclès (vers 495 - 429), éminent et influent stratège, orateur et homme d’État athénien.
38. Lucius Quinctius Cincinnatus (v. 520 / v. 430 av. J.-C.) est un consul romain en 460 av. J.-C. et dictateur à deux reprises en 458 et en 439 av. J.-C.
39. Jules César, général, homme politique et écrivain romain (100-link : 44).
40. Clovis Ier (vers 466-link : 511), roi des Francs de 481 à 511.
41. Vers 745-http://fr.wikipedia.org/wiki/814[814
42. Frédéric II de Prusse, dit Frédéric le Grand (1712-http://fr.wikipedia.org/wiki/1786[1786
43. 1500-link : 1558.
44. Cf. GARRIGUES Jean, Les hommes providentiels, histoire d’une fascination française, Seuil, 2012 ou encore FISCHER Didier, op. cit., p. 40 : « une constante de notre histoire nationale » et de citer le général Boulanger (1837-1891) qui ébranla la troisième république, AdolpheThiers, président de la république (1871-1873), il écrasa la Commune de Paris, Georges Clémenceau, président du Conseil, briseur de grèves (1907-1909) et «  père de la victoire » (1917), Raymond Poincaré, président de la République (1913-1920), Gaston Doumergue, président de la République (1924-1931), Antoine Pinay, président du conseil et ministre (1950-1960), réputé pour sa sagesse, Pierre Mendès-France, président du Conseil et ministre (1954-1956) pour son exigence morale, Philippe Pétain, vainqueur de Verdun (1916), chef de l’État français (1940-1944), Charles De Gaulle, figure emblématique de la résistance (1940-1944), président de la république (1959-1969). La plupart ont vécu des époques troublées. Sur le général Boulanger, on peut lire Jean Garrigues, Boulanger ou la fabrique de l’homme providentiel, in Parlement(s), Revue d’histoire politique, n° 13, mai 2010, pp. 8-23 (tout ce numéro est consacré à L’homme providentiel).
45. Très simplement et de manière réductrice, évidemment, il en est qui considèrent Jésus lui-même comme « homme providentiel ». Ainsi, l’écrivain et historien QUINET Edgar, (1803-1875) écrit dans Le christianisme et la révolution française, Fayard, 1984, pp. 50-51, et bien dans la ligne de Hegel : « A certains moments, la force morale d’un peuple se recueille dans un homme qui le personnifie ; en cet instant, la toute puissance morale du genre humain s’est rassemblé dans Jésus-Christ. L’esprit rempli de pensées divines, comment ne se serait-il pas senti et proclamé : le fils de Dieu ! ». De même, RENAN Ernest, (1823-1892) présentant les hommes de génie comme « les rédacteurs des inspirations de la foule », présente Jésus comme une personnification de « cet étrange orage que subissait alors la raison en Judée ». (L’avenir de la science, Flammarion, 1995, pp. 240 et 433).
46. Raoul Girardet (op. cit.), par exemple, suivi, en cela par Didier Fischer (op. cit.), se sert des personnages de Cincinnatus, Alexandre, Solon et Moïse pour établir une typologie des caractères providentiels de quelques contemporains : Cincinnatus, le vieux sage illustre qu’on rappelle dans le malheur comme Pétain en 1940 ; Alexandre le conquérant séducteur comme Bonaparte ; Solon, le législateur refonde l’État comme le feront Pétain en 1940 et de Gaulle en 1958 ; Moïse le guide identifié à un peuple comme plus tard, de nouveau, Pétain et de Gaulle. Mais Didier Fischer souligne un fait typiquement contemporain : le rôle de la propagande dans l’élaboration de la figure providentielle.
47. Cf. FISCHER Didier, op. cit., pp. 20-30. De nombreux récits et poèmes ont, dès le moyen-âge, auréolé la figure de la sainte. Mais c’est à partir du XIXe siècle qu’elle est devenue un personnage politique mythique. MICHELET Jules avait décrit l’enthousiasme populaire que la sainte suscite (Histoire de France, Le règne de Charles VI, (1840), in Œuvres complètes, VI, Flammarion, 1972, p. 120). L’écrivain nationaliste BARRES Maurice (1862-1923) va contribuer à en faire la « mère de la patrie : « Jeanne d’Arc est (…) pour les Césariens, le personnage providentiel qui surgit quand la nation en a besoin » (Cahiers, t. 10, 1913, p. 105). Cf. aussi RIGOLET Yann, L’homme providentiel est-il une femme ? La figure de Jeanne d’Arc de 1789 à nos jours, in Parlement(s), op. cit., pp. 37-50.
48. GARRIGUES Jean, Editorial, in Parlement(s), Revue d’histoire politique, n° 13, 2010.
49. Dans Notre jeunesse, 1910.
50. FERRAND Olivier et PERETZ Pauline, Obama, Une campagne révolutionnaire, in Libération, 21-1-2009.
51. ROUSSEAU François, Obama, au-delà du symbole, Le Devoir.com, 19-1-2009.
52. Cf. veille-education.org, 3-12-2009. Dans le même esprit, mais bien avant, un groupe antillais, La Compagnie Créole, a enregistré une chanson («  Oh oh Obama ») à la gloire du candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine. On y entend : « Tu viens d’ici ou bien d’ailleurs, tu sembles sorti de nulle part, tel un messager de la paix…  ».
53. Le 6 mars 2013 mourait le président vénézuélien Hugo Chàvez. Autoritaire, mêlant christianisme et marxisme, il s’est souvent présenté comme une sorte de christ. Le 6 avril 2012, dans un message télévisé, il priait ainsi sous une représentation de Jésus crucifié : « Donnez-moi votre couronne, Jésus. Donnez-moi votre croix, vos épines afin que je puisse saigner. Mais donnez-moi vie, parce que j’ai encore à faire pour ce pays et son peuple. Ne me rappelez pas encore ! ». Déjà le 9 avril 2007, son chargé de communication politique, Andrés Canizales déclarait dans l’émission Et pourtant elle tourne, diffusée sur France Inter : « Le président pense qu’il est un envoyé, qui a une mission un moment donné à accomplir. Pour les Vénézuéliens les plus pauvres, Chávez symbolise le rôle de rédempteur. Il incarne un espoir, une rédemption qui va plus loin que l’action gouvernementale immédiate. Lorsqu’on compare avec l’histoire de Jésus, eh bien ses proches ont fini par le trahir. d’une certaine façon, l’image que les gens ont de Chávez, c’est qu’il essaye d’améliorer le sort des pauvres, mais qu’on ne le laisse pas agir. Ses fonctionnaires sont inefficaces et voleurs. Chávez joue beaucoup sur le symbole du héros solitaire que fut Jésus. Pendant la campagne électorale, il y a eu un moment où le candidat d’opposition pouvait devenir une menace pour Chávez. Il a répondu immédiatement en lançant la campagne de l’amour. « Je fais tout cela parce que je vous aime, parce que j’aime le Venezuela, parce que j’aime les pauvres » »
54. GARRIGUES Jean, op. cit..
55. MICHELET Jules, « Le tyran », in Histoire de la Révolution française, tome 2, Gallimard, 1952, p. 1022, cité in DECHERF Jean-Baptiste, op. cit., p. 4. Une blogueuse s’interroge : « Sans doute avons-nous été trop conditionnés par notre éducation religieuse ? Moïse, le guide, a conduit son peuple vers la Terre promise et le bonheur en endurant mille tracas. Attendons-nous un nouveau Moïse, un sauveur ? Croyons-nous aux miracles ? Referons-nous toujours les mêmes erreurs ? » (www.francoisegomarin.fr).
56. Maurice Barrès écrivait dans L’appel au soldat : « L’imagination populaire simplifie les conditions du monde réel ; elle suppose que pour faire son bonheur, il suffit d’un homme de bonne volonté ».
57. A la limite, toute nouvelle figure politique promettant un changement peut être considérée comme providentielle et le mot y perd de son sens fort. Cf. RAMAMBASON-VAUCHELLE Maryse, Boris Eltsine, homme providentiel ou conjoncture providentielle ?, in Parlement(s), op. cit., pp.72-105 ou encore DEMETZ Jean-Michel, Berlusconi, la rhétorique de l’homme providentiel, in L’Express, 9-7-2009. Boris Eltsine (1931- 2007), président du Soviet suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie en 1990, puis président de la Fédération de Russie, au cours de deux mandats présidentiels, de 1991 à 1996 et de 1996 à 1999. Silvio Berlusconi (né en 1936) fut nommé à trois reprises chef du gouvernement italien en 1994, 2001 et 2008.
58. Il explique : « tous les êtres pensants ont célébré ensemble cette époque. Une émotion sublime a dominé en ce temps-là, un enthousiasme pour l’esprit a parcouru le monde comme si une réconciliation réelle avec le divin était advenue » (NICOLIN Friedhelm, Von Stuttgart nach Berlin: die Lebenstationen Hegels, Marbacher Magazin, 1991, p.22). Cependant, s’il était pour 1789, il désapprouvait ses excès.
59. Il écrit en ce sens à Schelling : « Je crois qu’aucun signe des temps n’est meilleur que celui-ci : c’est que l’humanité est représentée comme si digne d’estime en elle-même ; c’est une preuve que le nimbe qui entourait les têtes des oppresseurs et des dieux de la terre disparaît. Les philosophes démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir ; et ils ne se contenteront pas d’exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais ils les reprendront - ils se les approprieront[]. » ( Lettre à Schelling, 16 avril 1795, dans Correspondance, tome I, Gallimard, p. 28.)
60. Lettre à Niethammer, 13 octobre 1806, in Correspondance, trad. fr. J. Carrère, Gallimard, tome I, p 114-115.
61. Cité par KOJEVE Alexandre, en exergue, in Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 1971, p. 7.
62. DECHERF Jean-Baptiste, op. cit., p. 3.
63. MICKIEWICZ Adam, Les Slaves, Cours professé au Collège de France (1842-1844), Musée Adam Mickiewicz, 1914, pp. 314 et 357, cité in DECHERF Jean-Baptiste, op. cit., p. 5. Adam Mickiewicz (1798-1855) est un des plus grands écrivains polonais. Il enseigna au Collège de France en même temps que Michelet.
64. Cité in DECHERF Jean-Baptiste, op. cit., p. 5.
65. M. Barrès aurait-il raison lorsqu’il écrit : « …un général, c’est encore plus significatif de force qu’un orateur, car il peut empoigner les bavards. » (Le roman de l’énergie nationale. L’appel au soldat, Laffont, 1994, p. 780).
66. On ne sera pas étonné de retrouver cette conception très hégélienne sous la plume de Mussolini : « Si chaque siècle a une doctrine qui lui est propre, il apparaît par d’innombrables signes que celle du siècle présent est le fascisme. qu’il est une doctrine de vie, il le montre par le fait qu’il a engendré une foi : que cette foi a conquis les âmes, elle le démontre par le fait que le fascisme a ses morts et ses martyrs. Le fascisme a maintenant dans le monde l’universalité de toutes les doctrines qui, en se réalisant, représente un moment de l’histoire de l’esprit humain. » (La dottrina del fascismo, Treves, 1932, p. 23) Plus explicitement encore, GENTILE Giovanni (1875-1944), le philosophe idéaliste du fascisme, précise : « L’histoire n’est faite ni par les héros ni par les masses, mais par les héros qui sentent les aspirations inexprimées, et cependant puissantes, qui agitent les masses. [Dans le mouvement de l’histoire] les masses rencontrent une personne qui parvient à expliciter leurs sentiments moraux cachés. […] La multitude est gouvernée et animée par une idée, dont les contours précis n’apparaissent qu’à un petit nombre, une élite, qui ensuite inspire la masse, donnant forme et vie à l’histoire. » (Dottrina politica del fascismo). Il n’est pas étonnant qu’on ait lu ou entendu à l’époque des slogans comme : « Mussolini est l’Italie ; l’Italie est Mussolini », « Tu es nous tous », « Tu es la nation », à propos des Italiens : « Lui il les incarne, lui il les rassemble et les concentre en sa personne : lui il les est. » (PASSERINI Luisa, Mussolini immaginario, Laterza, 1991, p. 61). Nous empruntons ces citations à DECHERF J.-B., op. cit., p.6. Cf. également MUSIEDLAK Didier, Mussolini : le grand dessein à l’épreuve de la réalité, in Parlement(s), op. cit., pp. 51-62.
67. Il écrit dans Mein Kampf (1924-1925) (Tome II, chap. 8 « Le fort est plus fort quand il reste seul, pp. 505-506) : « Presque toujours toute action de grand style, en ce monde, n’est que l’accomplissement d’un vœu inclus depuis longtemps déjà dans le cœur des hommes, d’un désir ardent qui y couvait en silence. Oui, il arrive que, des siècles durant, les hommes réclament la solution d’une question déterminée, souffrant d’une situation intolérable, mais persistante, sans que semble se rapprocher l’accomplissement du vœu qui leur est cher. On ne peut que qualifier d’impotents des peuples qui, à une semblable détresse, n’ont pas le courage de trouver une solution. Rien n’établira mieux, au contraire, la force vitale d’un peuple et son droit à la vie, garanti par cette force, que s’il engendre un jour, par un bienfait du sort, l’homme doué des grâces nécessaires pour combler enfin ses vœux, qu’il s’agisse de le délivrer d’une lourde servitude, ou d’écarter de lui une détresse amère, ou de calmer les âmes tourmentées par un sentiment d’insécurité.
   Il est inhérent à certaines de ces questions de grande envergure que des milliers d’hommes s’attachent à les résoudre et que beaucoup se croient voués à cette tâche. Il arrive même que le sort en présente plusieurs en même temps au choix de leurs contemporains, et donne enfin, dans un libre jeu des forces, la victoire au plus fort, au plus apte, lui confiant ainsi la mission de résoudre le problème.
   Il peut ainsi arriver que, pendant des siècles, les hommes, mécontents de leur vie religieuse, désirent en renouveler la forme et que, comme conséquence de cette agitation spirituelle, il surgisse de la masse quelques douzaines d’hommes qui, se croyant voués, par leur pénétration et leur savoir, à guérir cette détresse religieuse, se donnent comme les prophètes d’un enseignement nouveau, ou tout au moins comme les adversaires déclarés de l’enseignement jusque-là professé.
   Là aussi, la loi naturelle veut que le plus fort soit désigné pour remplir la plus haute mission. Mais les autres hommes ne reconnaîtront le plus souvent que très tard que cet homme, et lui seul, était l’homme prédestiné. Au contraire, tous s’imaginent avoir autant de droits que lui et être également désignés pour résoudre le problème. Quant aux contemporains, ils sont, en général, incapables de distinguer celui d’entre eux qui, seul apte à accomplir de grandes choses, mérite, seul, d’être soutenu par eux tous.
   C’est ainsi qu’entrent en scène, dans le cours des siècles, et souvent à la même époque, différents hommes qui fondent des mouvements pour atteindre des buts semblables ou supposés ou estimés tels. Le peuple lui-même est loin d’exprimer des vœux précis ; il a des idées d’ensemble, sans pouvoir se rendre compte avec précision et avec clarté de l’essence même de son idéal et de ses vœux, sans être même fixé sur la possibilité de les satisfaire. » (Texte disponible sur http://www.angelfire.com/nb/ad_hitler/new_page_11.htm) Et Hitler est, on l’a compris, cet  homme « le plus fort […] désigné pour remplir la plus haute mission », l’« homme prédestiné », l’homme qui va donné corps et sens aux aspirations confuses du peuple : « Voici le secret de cette personnalité : ce qui dort au plus profond de l’âme de l’homme allemand y a pris forme dans des traits pleins et vivants. […] Cela s’est manifesté en la personne d’Adolf Hitler : l’incarnation vivante du désir ardent de la nation. » (Texte d’un admirateur d’Hitler cité par HERSHAW Ian, op. cit., pp. 332-333). Et le mythe a la vie dure malgré les horreurs. Sur le site http://www.phdnm.org/uploads/3/0/0/1/3001973/hitler_providence.htm#_ftn65++, une plume contemporaine anonyme écrit sous le titre _« Hitler, homme envoyé par la Providence » _ : « il faut avoir le courage de le dire : ceux qui voient en Adolf Hitler le produit de l’« esprit revanchiste », du racisme boche ou de l’antisémitisme séculaire européen se trompent ; car ils s’arrêtent aux causes secondes sans distinguer la cause première. Au départ, Hitler est le fruit de la justice divine vengeresse qui punit les menteurs et les hypocrites ; il a été suscité par la Providence pour punir ceux qui imposèrent la scandaleuse « paix » en 1919 entièrement viciée par l’article 231 du traité de Versailles (art. 177 du traité de Saint-Germain). » Elle ajoute : « « Hitler n’était pas un Attila ou un monstre sorti de l’enfer. Non, il était venu pour montrer la voie à l’Occident en déroute. Un peu partout dans le monde, d’ailleurs, des gens lucides — comme Adrien Arcand au Canada, Jean Boissel en France… —comprirent qu’il fallait l’entendre et s’entendre ; qu’entre le capitalisme et le bolchevisme mortifères, le socialisme national était la voie de salut ».« La solution n’est pas à rechercher dans les « fonds secrets de l’âme humaine » ; elle est devant nous, elle nous est montrée par l’Histoire : en 1945, le monde a écrasé l’homme que la Providence avait suscité pour le sauver : A. Hitler. Aujourd’hui, le monde en meurt, abandonné de Dieu, dans la boue du gaspillage, de l’anarchie et de la luxure… ». On peut aussi lire CHAPOUTOT Johann, Hitler : l’homme providentiel qui ne croyait pas à la Providence, in Parlement(s), op. cit., pp. 63-71.
68. Sans avoir été, selon toute vraisemblance, influencé par la pensée de Hegel, le Général, dans ses Mémoires de guerre (Gallimard, 2004, p. 583), le Général, en des termes qui nous sont à présent familiers, parle de sa mission comme inspirée par un « appel venu du fond de l’Histoire » : « Devant le vide effrayant du renoncement général, ma mission m’apparut, d’un seul coup, claire et terrible. En ce moment, le pire de son histoire, c’était à moi d’assumer la France. » (id. , p. 76) « Dès lors que Vichy ne pouvait plus faire illusion, les enthousiasmes ou les consentements, sans parler des ambitions, se portaient vers De Gaulle d’une manière automatique. En Afrique du Nord, la structure ethnique et politique des populations, l’attitude de l’autorité, la pression des Alliés, avaient retardé l’évolution. Mais celle-ci, désormais, était irrésistible. Une espèce de marée des volontés et des sentiments consacrait cette légitimité profonde, qui procède du salut public et que, toujours, reconnut la France au fond des grandes épreuves, quelles que fussent les formules dites « légales » du moment. […] Le concours passionné des foules, l’hommage des corps constitués, l’agencement des gestes officiels, me prenaient d’office pour centre, servaient d’expression à l’instinct populaire. La résolution nationale, plus puissante qu’aucun décret formel me chargeait ouvertement d’incarner et de conduire l’État. » (id., p. 385) Déjà en 1932, dans Le fil de l’épée (Plon, 1999, p. 169), de Gaulle affirmait que face au péril, les hommes se tournaient vers le vrai chef « comme le fer vers l’aimant ». L’écrivain André Malraux (1901-1976) qui fut un militant et un propagandiste gaulliste, déclarait en 1970, à propos de l’Appel du 18 juin qu’il « apporte une affirmation, une révélation qui légitime ce qu’espèrent et n’osent espérer presque tous les Français, même ceux qui sont fidèles à Pétain : « France n’est pas morte ». L’essentiel est là. Les prophètes d’Israël ne font nullement des prophéties : ils proclament ce que leurs auditeurs portent en eux, mais ignorent ou n’osent pas connaître ». (Le Monde, 18 juin 1970). Pour J.-B. Decherf qui cite ces textes, de Gaulle avait été marqué par le culte romantique du chef à travers ses lectures (op. cit., p. 7). Cf. également HAZAREESINGH Sudhir, Mort et transfiguration : la renaissance du mythe gaullien en novembre 1970, in Parlement(s), op. cit., pp. 24-36.
69. DEYSINE Anne, Obama, homme providentiel ? in Parlement(s), op. cit., pp. 87-105. La couverture cette revue consacrée à L’homme providentiel montre des affiches où le visage d’Obama a été « greffé » sur celui d’Abraham Lincoln (voir le commentaire de BORRELL Alexandre, Peut-on greffer le visage d’une icône ? Abraham Obama, id. p. 117.
70. Cf. RUIZ Alain, De Campo Formio à Lunéville : Bonaparte, héros de la paix. Aux origines du mythe du Sauveur, in De la guerre juste à la paix juste, Aspects confessionnels de la construction de la paix dans l’espace franco-allemand (XVIe-XXe siècle), Septentrion, 2008, pp. 143-159. L’auteur montre que Napoléon, « dieu des batailles » a été glorifié « au moins autant comme héros de la paix que comme guerrier ». Il relève nombre de poèmes et d’écrits divers célébrant, en Allemagne, « la nouvelle ère politique » inaugurée par le « héros porteur de paix », « pacificateur du continent » « héros des héros », « un dieu » qui « règne avec les dieux », il est « l’unique ». Qui plus est, dès 1797, il est comparé, au Christ, Bonaparte est « le Sauveur du monde », le « salut de toute la chrétienté », la Providence lui a confié le bonheur du monde. Des images l’assimilent à saint Michel terrassant le dragon, ou au Christ guérisseur. On parodie, en son honneur, le « Notre Père ». Comment l’auteur explique-t-il ce phénomène ? d’une part, Napoléon a travaillé personnellement à sa propagande par sa correspondance ou par la commande de tableaux. d’autre part, malgré l’effort de laïcisation du siècle des Lumières, une grande majorité de gens voient la guerre comme un fléau de Dieu pour punir les péchés. Seule une intervention divine, un miracle, peut les délivrer de ce mal Dès lors, ils ont tendance à voir dans l’homme qui apporte la paix, par un traité, comme un instrument de la Providence, envoyé du ciel. Et ce n’est pas seulement le fait d’esprits simple : le poète et philosophe Friedrich Hölderlin (1770-1843) présente Bonaparte comme un messie, « un messager céleste » ; le poète Heinrich Heine (1797-1856) popularisera l’image, dit, Ruiz, « d’un nouveau Christ martyr, nouveau Rédempteur crucifié sur le Golgotha de Sainte-Hélène », image qu’entretiendra Napoléon lui-même.
71. On a souligné à maintes reprises que la force de Silvio Berlusconi lui venait des organes de communications dont il était propriétaire (Mediaset). Lors de l’élection du président français François Hollande, quelques observateurs ont dénoncé le parti-pris des organes de presse qui auraient « fait » le président. En Belgique, on sait de quelles critiques systématiques et souvent partisanes le premier ministre Yves Leterme a été l’objet de la part de la RTBF. Cf. «  Leterme kop van Jut in RTBF-journaal », Het Nieuwsblad, 22 juillet 2007 et
   Het Belang van Limburg et Gazet van Antwerpen le 8 décembre 2007où Yves Leterme compare la RTBF à la Radio Télévision Libre des Mille Collines, radio ayant incité au Génocide au Rwanda entre 1993 et 1994.
72. En Corée du Nord ou en Irak du temps de Sadam Hussein (1937-2006).
73.  « À peine vingt-cinq jours après l’élection de Barack Obama, après des moments d’enthousiasme proche du délire collectif, d’exaltation quasi messianique pour le premier homme de couleur accédant à la Présidence des États-Unis, après la frénésie européenne, essentiellement française et allemande, traversant tous les milieux sociaux, toutes les classes sociales, depuis le Front national à l’ex-future candidate du PS jusque dans les colonnes de l’Humanité, après les professions de foi tenues sur les vertus de la démocratie étasunienne, après l’enivrement des jeunes « blacks » des banlieues dites « chaudes » qui déliraient de joie en s’appropriant le nouvel élu ; dix jours après, pendant que les peuples assommés d’une propagande profondément ethniciste s’enivrent encore de cette « divine surprise » et s’extasient devant le bel Obama et la première First Lady de couleur, il faudrait savoir raison garder. Car, au bout du compte, c’est un homme politique que les Étasuniens ont élu, et non une rock star charismatique, quoique par moments l’on puisse en douter, et le nouvel élu semble avoir pris le pli de se présenter devant le peuple dans un style glamour très people, une sorte de synthèse harmonieuse entre Harry Belafonte et Oprah Winfrey. » (KARNOOUH Claude, Comment fabriquer l’homme providentiel, La pensée libre, 17 juillet 2011 texte disponible sur(http://www.lapenseelibre.org/article-comment-fabriquer-l-homme-providentiel-79610781.html)
74. KASPI André, Barack Obama, La grande désillusion, Plon, 2012. La publicité dit : « Nouveau Messie, Barack Obama devait, d’un coup de baguette magique, transformer les États-Unis et redonner espoir à notre planète. On nous l’a fait croire, et nous l’avons cru. Après quatre années de présidence, la déception est générale. » Dans le même esprit : MACARTHUR John R., L’illusion Obama, Lux, 2012 ; STRICKLAND Gayle, The Obama Illusion, Booklocker.com, 2012.
75. Lire l’article du politologue JAMIN Jérôme : Obama : le passé d’une illusion, sur www.lalibre.be, 8-1-2010.
76. Cf. Zenit, 2-2-2012.
77. MELLON Christian, Ethique et violence des armes, Cahiers pour croire aujourd’hui, Assas Editions, 1995, pp. 38-39.
78. C’est au nom de la Justice et du Peuple, qu’un certain nombre de personnes s’élevèrent, en 2012, même avec violences contre la libération conditionnelle octroyée, dans le respect de la loi, à Michelle Martin condamnée, en 2004, à 30 ans de prison pour association de malfaiteurs, séquestration, tortures ayant entraîné la mort, et de complicité de viol sur mineurs.
79. Cf., par exemple, FODJO KADJO ABO, La pratique de la terreur au nom de la démocratie, Afrique Liberté, L’Harmattan, 2009.
80. Trois réformateurs, Luther, Descartes, Rousseau, Plon, 1925, pp. 192-198.
81. Mit brennender Sorge, 14 mars1937, in Marmy, n° 256.
82. Encyclique Summi pontificatus, 20 octobre 1939.