La guerre préserve la santé morale des peuples
Tout d’abord, les guerres révolutionnaires puis les guerres napoléoniennes qui les prolongèrent, entre 1803 et 1815, ont bouleversé les conceptions de l’art de la guerre. Avant la révolution française, les États européens avaient des armées relativement petites, avec une forte proportion d’étrangers et de mercenaires. A la fin du XVIIIe siècle apparaît le concept de nation en guerre. Dans une directive du 16 août 1793 aux armées, Robespierre déclare : « Nos ennemis font une guerre d’armée, vous faites une guerre de peuple. »[1] L’armée napoléonienne s’appuiera ainsi sur une conscription de masse[2], et près de 150 000 sur mer. Le Royaume-Uni mobilise 750 000 hommes de 1792 à 1815, dont un tiers dans la Royal Navy. En 1812 la Russie compte 900 000 hommes dans son armée de terre, et avait donc plus d’un million d’hommes mobilisés. Les forces autrichiennes atteignent 576 000 hommes au maximum ; l’Autriche étant l’ennemi le plus persistant de la France, il est raisonnable de penser que plus d’un million d’Autrichiens servirent dans l’armée durant cette période. La Prusse et le Royaume-Uni eurent jusqu’à 320 000 sous les armes, l’Espagne environ 300 000. L’Empire ottoman, le royaume d’Italie, le royaume de Naples et le grand-duché de Varsovie mobilisent eux aussi plus de 100 000 hommes (à l’époque, les États-Unis ont 286 000 hommes sous les drapeaux. Comme on peut le voir, même de petites nations ont eu des armées rivalisant avec celles des grandes puissances des guerres précédentes. Au retour de la campagne de Russie, l’armée napoléonienne qui comptrait au départ 600.000 hommes était réduite à 83.000 hommes.].
Par ailleurs, le but recherché est la destruction des armées adverses : il faut lui infliger des pertes maximales pendant et après la bataille.
La destruction peut aussi s’étendre aux populations non combattantes. Si la notion de « guerre totale » est une notion complexe employée systématiquement pour désigner, par exemple, les deux guerres mondiales du XXe siècle, un certain nombre de faits annoncent dès la fin du XVIIIe siècle ce que Carl von Clausewitz définit comme « absolut Kriege ». Si l’histoire nous présente, à différentes époques des exemples de destructions massives et de peuples en armes, il faut pour qu’on puisse à proprement parler, identifier une guerre totale que le pouvoir central politique organise une stratégie qui mobilise toutes les ressources de la nation, militaires, économiques, juridiques, idéologiques dans le but d’anéantir non simplement l’armée mais le peuple ennemi et ses ressources.[3]
A ce point de vue, la répression par l’armée républicaine de l’insurrection vendéenne en 1793-1794[4], annonce les holocaustes du XXe siècle.[5]
En effet, c’est le pouvoir politique qui décrète officiellement l’extermination de la population[6] et la destruction du pays[7]. Terre brûlée, confiscation des biens, tentatives (vaines) d’extermination par le gaz, les mines et l’arsenic, prisonniers fusillés ou noyés.[8] En janvier 1794, alors que la « grande armée catholique et royale » est vaincue[9], les « colonnes infernales » du général Turreau vont décimer la population.[10] Le 20 février 1794, un décret ordonne la déportation des innocents et des bons citoyens pour qu’il n’y ait plus sur le territoire insurgé que « les rebelles que l’on pourra plus aisément détruire. »
Cette guerre de Vendée annonce dans le cadre géographique réduit où elle s’est déroulée, la démesure et l’horreur des conflits mondiaux du XXe siècle qui sont, comme on l’a dit plus haut, au sens strict des guerres totales.
Par ailleurs, la guerre de Vendée et les campagnes napoléoniennes, en Espagne, en particulier, abolissent les distinctions entre combattants et non-combattants, civils et militaires, coupables et innocents. Elles annoncent les formes modernes de guérilla et le terrorisme qui ne fait plus de distinction entre civil et militaire, coupable ou innocent.
Parallèlement et, de nouveau dans la mouvance révolutionnaire, naît ou renaît le mythe de l’homme providentiel.
L’homme providentiel, nous dit le dictionnaire, est « l’homme qu’il faut dans une situation délicate ou désespérée » qui est attendu ou qui arrive « comme le messie »[11].
Le critique littéraire Sainte-Beuve[12] emploie,
dans le sens qui nous intéresse[13]-http://fr.wikipedia.org/wiki/1881[1881)
écrit dans son gigantesque
journal intime : « Il nous
faut voir dans ces peines l’épreuve purifiante de notre âme et dans nos
tourmenteurs des agents providentiels, des magistrats de la souffrance
(Journal, 1866, p. 157).], l’adjectif providentiel qui n’est pas
attesté avant 1792[14]
Cette raison sublime, qui s’élève au-dessus de la portée des hommes
vulgaires, est celle dont le législateur met les décisions dans la
bouche des immortels, pour entraîner par l’autorité divine ceux que ne
pourrait ébranler la prudence humaine. Mais il n’appartient pas à tout
homme de faire parler les dieux, ni d’en être cru quand il s’annonce
pour être leur interprète. La grande âme du législateur est le vrai
miracle qui doit prouver sa mission. » (Union générale d’éditions,
10/18, 1963, pp. 85-86)
] : « il s’est rencontré
des instants uniques, où toute une nation (…) était comme sur le
tranchant du rasoir (…). Les hommes qui ont été des instruments de
salut en ces périodes critiques sont à bon droit proclamés
providentiels… »[15]
Ce thème a inspiré de nombreux auteurs contemporains qui nous renvoient aux « individus historiques » de Hegel[16], créateur de la forme romantique du « fantasme du grand incarnateur », c’est-à-dire d’ « un homme qui serait le peuple parce qu’il personnifierait son « âme » », un homme supérieur et différent qui incarnerait « un principe spirituel qui le dépasse », qui serait le porteur privilégié du « divin mouvement de l’histoire » à l’origine de son inspiration. [17]
Dans un cours donné entre 1822 et 1830, Hegel écrit : « Les individus historiques sont ceux qui ont dit les premiers ce que les hommes veulent. Il est difficile de savoir ce qu’on veut. On peut certes vouloir ceci ou cela, mais on reste dans le négatif et le mécontentement : la conscience de l’affirmatif peut fort bien faire défaut. Mais les grands hommes savent aussi que ce qu’ils veulent est l’affirmatif. C’est leur propre satisfaction qu’ils cherchent : ils n’agissent pas pour satisfaire les autres. S’ils voulaient satisfaire les autres, ils eussent eu beaucoup à faire parce que les autres ne savent pas ce que veut l’époque et ce qu’ils veulent eux-mêmes. Il serait vain de résister à ces personnalités historiques parce qu’elles sont irrésistiblement poussées à accomplir leur œuvre. Il appert par la suite qu’ils ont eu raison, et que les autres, même s’ils ne croyaient pas que c’était bien ce qu’ils voulaient, s’y attachent et laissent faire. Car l’œuvre du grand homme exerce en eux et sur eux un pouvoir auquel ils ne peuvent pas résister, même s’ils le considèrent comme un pouvoir extérieur et étranger, même s’il va à l’encontre de ce qu’ils croient être leur volonté. Car l’Esprit en marche vers une nouvelle forme est l’âme interne de tous les individus ; il est leur intériorité inconsciente, que les grands hommes porteront à la conscience. Leur œuvre est donc ce que visait la véritable volonté des autres ; c’est pourquoi elle exerce sur eux un pouvoir qu’ils acceptent malgré les réticences de leur volonté consciente : s’ils suivent ces conducteurs d’âmes, c’est parce qu’ils y sentent la puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur venant à leur rencontre. »[18] Le grand homme hégélien est ainsi parfaitement identifié à ceux qui le suivent : « Les grands hommes de l’histoire sont ceux dont les fins particulières contiennent la substantialité que confère la volonté de l’Esprit du monde. C’est bien le contenu qui fait leur véritable force. Ce contenu se trouve aussi dans l’instinct collectif inconscient des hommes et dirigent leurs forces les plus profondes. C’est pourquoi ils n’opposent aucune résistance conséquente au grand homme qui a identifié son intérêt personnel à l’accomplissement de ce but. Les peuples se rassemblent sous sa bannière : il leur montre et accomplit leur propre tendance immanente. »[19]
Cette vision hégélienne se retrouve chez nombre de penseurs, écrivains et hommes politiques qui ont subi directement ou indirectement l’influence du grand philosophe allemand.[20] Pour nous en tenir, pour le moment, aux deux premières catégories, citons[21] Victor Cousin[22], Pierre Leroux[23], Jules Michelet[24], Alphonse de Lamartine[25], Victor Hugo[26]
Max Weber[27] n’emploie pas le mot « providentiel », ni l’expression « individu historique » mais le mot « charismatique » qui exprime autrement une réalité proche de celle que nous voulons étudier.[28]
Weber part d’une conception de l’État contemporain vu « comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. » Il « passe donc pour l’unique source du « droit » à la violence. »[29] Il examine ensuite les divers types de légitimité que l’on peut rencontrer dans l’exercice du pouvoir. Parmi eux, il s’intéresse au « pouvoir issu de la soumission des sujets au « charisme » purement personnel du « chef ». En effet, ce type nous conduit à la source de l’idée de vocation, où nous retrouvons ses traits les plus caractéristiques. Si certains s’abandonnent au charisme du prophète, du chef en temps de guerre, du très grand démagogue au sein de l’ecclesia ou du Parlement, cela signifie que ces derniers passent pour être intérieurement « appelés » au rôle de conducteur d’hommes et qu’on leur obéit non pas en vertu d’une coutume ou d’une loi, niais parce qu’on a foi en eux. Certes, s’il est plus qu’un petit parvenu présomptueux du moment, il vit pour sa chose, il cherche à accomplir son œuvre. Par contre c’est uniquement à sa personne et à ses qualités personnelles que s’adresse le dévouement des siens, qu’ils soient des disciples, des fidèles ou encore des militants liés à leur chef. »[30]
Plus près de nous encore, et s’appuyant sur l’analyse du mythe selon Barthes qui le définit comme « une parole choisie par l’histoire »[31], Didier Fischer confirme et précise que l’homme providentiel « est assurément le produit d’une situation politique à un moment donné de notre histoire, mais il n’en dépend jamais totalement puisque les ressorts même de l’appel au sauveur transcendent la réalité historique et fournissent leur lot de modèles prestigieux dans lesquels les contemporains vont reconnaître celui en qui il faut placer sa confiance. »[32] Celui qui va apparaître comme le « Sauveur »[33].
Le phénomène est-il constatable à toutes les époques et sous toutes les latitudes ? Plusieurs auteurs le pensent, comme Weber[34] mais il restreint finalement son étude aux chefs de partis parlementaires occidentaux. Certains évoquent des figures anciennes : Moïse, David ou Salomon, Lycurgue à Sparte[35] ou Solon[36] et Périclès à Athènes[37], Cincinnatus[38] ou Jules César[39] à Rome, Clovis[40], Charlemagne[41].], Frédéric II[42]).], Charles-Quint[43] . d’autres estiment qu’il s’agit d’un phénomène particulièrement français.[44]
Si l’on excepte Moïse, David et Salomon qui sont « providentiels » au sens originel, puisqu’ils se sont laissés conduire par Dieu et ont coopéré à son œuvre[45], les autres personnages sont des politiques et souvent aussi des chefs de guerre. Ils sont considérés comme providentiels, au sens moderne, et a posteriori par les théoriciens.[46] Il en va de même, à mon sens, pour Jeanne d’Arc considérée par plusieurs auteurs comme la vraie source historique du mythe récupéré aussi bien par Maurice Thorez (communiste) que Jean-Marie Le Pen (nationaliste) [47]. Il est clair que c’est par un détournement de sens typiquement contemporain que la sainte devient, en France, un « référent majeur » du « messianisme politique ».[48]
Comme quoi Charles Péguy voyait juste en méditant sur les concepts de mystique et de politique[49] : « Tout commence en mystique et finit en politique », « La politique se moque de la mystique, mais c’est encore la mystique qui nourrit la politique même », « Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique ».
Mais le phénomène n’est pas que français, il est, en réalité, universel et très contemporain. Les grandes figures élevées au rang de « sauveurs », quasi divinisés s’appellent Napoléon, Mussolini (« duce »), Hitler (« führer »), Mao (« grand timonier »), et d’autres. Au début du XXIe siècle c’est le président Barack Obama qui apparaît comme un sauveur. Le jour de son élection, une jeune française interrogée dans la rue déclarait : « désormais le monde ne sera plus comme avant ». Beaucoup ont été frappé par une campagne jugée « charismatique », par son « hyperpersonnalisation » ; ses partisans sont apparus comme des « adorateurs de la rock star » [50]. On a parlé aussi d’un « épanchement « obamaniaque », proche de la déification », « d’ébahissement amoureux », « moment historique » et « d’espoir quasi mystique », alors que les Américains sont naturellement méfiants vis-à-vis du pouvoir fédéral_.[51] Pour désigner cet engouement, on a créé le mot « obamania ». Nommé président le 20 janvier 2009, il reçoit le 9 octobre de la même année, le Prix Nobel de la Paix non parce qu’il l’a réalisée mais parce qu’il l’a promise : une récompense pour l’avenir promis. Objet d’un véritable culte, il suscite, dès décembre 2009, le mécontentement de nombreux parents d’élèves dans certains États parce qu’on y célèbre la gloire du président par le biais de chansons. Dans l’une d’elles, très connue aux États-Unis, le nom de Jésus était remplacé par celui d’Obama[52]
Ce fait est symptomatique mais pas tout à fait nouveau et est favorisé par la déchristianisation ou le besoin d’un dieu bien présent physiquement dans un monde incertain ou agité. Favorisé et non suscité car semble enraciné dans le cœur de tout homme le besoin d’être sauvé, le besoin d’un sauveur.[53] Non seulement parce que l’attente de l’homme providentiel aurait été historiquement inculquée par « la conception providentialiste de l’histoire, née des récits bibliques »[54] ou, plus précisément encore, par l’image du Christ et l’éducation chrétienne[55]. Mais on peut penser qu’en dehors du monde christianisé ou avant lui, par nature, une aspiration spontanée à être guéri, maintenant ou plus tard, des vicissitudes mondaines, anime tous les hommes.[56] Le monde politique contemporain perpétue à sa manière avec les mœurs païennes qui, sous toutes les latitudes ont eu tendance à sacraliser ou diviniser les « prince » à cette étrangeté près que nous sommes, la plupart du temps, dans un contexte démocratique.[57]
Il est symptomatique, en tout cas, qu’à l’aube d’un monde matérialiste et relativiste, Napoléon Bonaparte soit, d’une certaine manière, monté sur le trône de Dieu apparemment vacant désormais. A partir du coup d’État du 9 novembre 1799, Bonaparte va prendre le pouvoir et apparaître de plus en plus, en France puis en Europe comme un « homme providentiel ».
Hegel dont on a parlé plus haut était attaché à l’idéal de la Révolution de 1789, « magnifique lever de soleil », dira-t-il[58]. Il attend une révolution semblable en Allemagne[59]. L’épopée napoléonienne renforce son espoir et lorsqu’il rencontre l’Empereur, le 13 octobre 1806, il déclare : « J’ai vu l’Empereur — cette âme du monde — sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine ». [60] Il dira aussi : « Messieurs ! Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l’Esprit a fait un bond en avant, a dépassé sa forme concrète antérieure et en acquiert une nouvelle. »[61] Napoléon est « l’incarnation d’un principe spirituel qui le dépasse »[62], capable de dire le « Verbe de l’époque », incarnation du « Verbe de la France », continuateur de l’œuvre du Christ ![63] Hugo dans son roman Les misérables célèbre l’homme- peuple à travers son personnage Marius : « Il fut l’homme prédestiné qui avait forcé toutes les nations à dire : -la grande nation. Il fut mieux encore ; il fut l’incarnation même de la France, conquérant l’Europe par l’épée et le monde par la clarté qu’il jetait. Marius vit en Bonaparte le spectre éblouissant qui se dressera toujours sur la frontière et qui gardera l’avenir. Despote mais dictateur ; despote résultant d’une république et résumant une révolution. Napoléon devint pour lui l’homme-peuple comme Jésus est l’homme-Dieu. »[64]
Il faut dire que Napoléon a tout fait aussi pour paraître tel. N’a-t-il pas institué par son décret du 19 février 1806, en son article premier, que : « La fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique en France seront célébrées, dans toute l’étendue de l’empire, le 15 août de chaque année, jour de l’Assomption, et époque de la conclusion du concordat. »
Napoléon est le prototype de tous les « grands incarnateurs » qui lui ont succédé et dont le nom est lié non seulement à une crise de société, économique, politique mais aussi à la guerre qui est le paroxysme de la crise.[65]
Tous les auteurs citent, comme exemples principaux, trois chefs d’État
qui furent aussi des chefs de guerre :
Mussolini[66],
Hitler[67] et De Gaulle[68]
Plus près de nous, journalistes et chroniqueurs, relayant un fort sentiment populaire, consacrent aussi le président Obama qui, à première vue, semble faire exception puisqu’il s’est présenté et a été apprécié et jugé d’avance comme un prince de la paix intérieure et extérieure[69]. Mais rappelons-nous que Napoléon a aussi incarné, même à travers la guerre, la paix à venir. Ici aussi il a été un prototype.[70]
L’élection du président américain est intéressante encore à deux titres.
Elle nous a rappelé l’importance de la propagande dans la constitution du mythe par les affiches, les slogans, les discours, toutes les ressources des media de plus en plus perfectionnés surtout à partir du XXe siècle. Les réseaux sociaux aujourd’hui jouent un très grand rôle dans les mobilisations politiques. A tel point que certains s’inquiètent du pouvoir exercé par ceux qui peuvent utiliser les grands media[71]. Dans les régimes non démocratiques, on va jusqu’à organiser un véritable culte.[72] Souvent, l’homme providentiel lui-même soigne son image. Ainsi en fut-il déjà, comme on vient de le voir, avec Napoléon.
Elle nous rappelle aussi que les rêves[73] n’ont qu’un temps et que la réalité fait redescendre les hommes providentiels au rang de personnages communs ou, dans le pire des cas, révèle leur nuisance. Obama, nommé président le 20janvier 2009, il est un an plus tard déjà l’objet de désillusions[74] même sur le plan de la paix[75] et, en 2012, il soulève une vague de protestations pour des mesures qui paraissent porter atteinte à la liberté religieuse.[76]
A une certaine époque, la guerre paraissait juste pour la simple raison que Dieu en personne ou le prince « lieutenant de Dieu » l’avait voulue. Dieu « mort », l’homme « providentiel » reprend son rôle. La guerre redevient un acte sacré ou du moins un devoir inviolable qui n’est pas sans conséquences graves. Comme l’a très bien vu Christian Mellon[77], cette « sanctification », toute sécularisée qu’elle soit, dissipe les scrupules et même la peur de la mort. La guerre n’a plus de freins, elle est nécessairement juste et les moyens importent peu.
Il en va de même lorsque, à la place de Dieu ou d’une personne « exceptionnelle », la guerre est menée au nom d’une entité sacralisée : au nom du Peuple, de la Nation, de la Révolution, de la Justice[78], voire de la Démocratie[79] !
La question a été abordée théoriquement, à propos de la Volonté générale et de la Démocratie, dans l’œuvre de J.-J. Rousseau, par J. Maritain.[80] Une Volonté générale décrite comme « un dieu social immanent », infaillible, une Démocratie qui n’est pas « une forme particulière de gouvernement », mais un « mythe » où le peuple « n’obéit qu’à lui-même », absolument souverain. Le peuple toutefois n’est pas seul car s’il « veut toujours le bien », « il n’est pas toujours suffisamment informé, souvent même on le trompe ». Il a donc à ses côtés, un « législateur » qui est « le surhomme qui guide la Volonté générale ». Maritain conclura que cette vision rousseauiste, est, en fait, du « christianisme corrompu ».
Cette question a été aussi abordée et cette fois d’une manière très concrète, en 1937, par Pie XI, et ce n’est pas un hasard, dans sa condamnation du nazisme : « Quiconque, écrivait-il, prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine - toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable - quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. »[81] Travestissant le Dieu véritable, loin de l’enseignement de l’Église, cette conception, note deux ans plus tard, Pie XII, « a fait réapparaître même dans des régions où brillèrent pendant tant de siècles les splendeurs de la civilisation chrétienne, les signes toujours plus clairs, toujours plus distincts, toujours plus angoissants d’un paganisme corrompu et corrupteur ». Etait-il étonnant dès lors que le « terrible ouragan de la guerre » se déchaîne ? Avec douleur mais lucidement, le Saint Père prévoyait « tout ce qui pourra germer de la ténébreuse semence de la violence et de la haine, à laquelle l’épée ouvre aujourd’hui des sillons sanglants. »[82]
L’absolu laïcisé engendre la guerre, une guerre qui peut sacrifier tout ce qui ne correspond pas à l’Idéal.
Le législateur est à tous égards un homme extraordinaire dans l’État. S’il doit l’être par son génie, il ne l’est pas moins par son emploi. Ce n’est point magistrature, ce n’est point souveraineté. Cet emploi, qui constitue la république, n’entre point dans sa constitution ; c’est une fonction particulière et supérieure qui n’a rien de commun avec l’empire humain ; car celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux lois, celui qui commande aux lois ne doit pas non plus commander aux hommes : autrement ces lois, ministres de ses passions, ne feraient souvent que perpétuer ses injustices ; jamais il ne pourrait éviter que des vues particulières n’altérassent la sainteté de son ouvrage. […
Il est inhérent à certaines de ces questions de grande envergure que des milliers d’hommes s’attachent à les résoudre et que beaucoup se croient voués à cette tâche. Il arrive même que le sort en présente plusieurs en même temps au choix de leurs contemporains, et donne enfin, dans un libre jeu des forces, la victoire au plus fort, au plus apte, lui confiant ainsi la mission de résoudre le problème.
Il peut ainsi arriver que, pendant des siècles, les hommes, mécontents de leur vie religieuse, désirent en renouveler la forme et que, comme conséquence de cette agitation spirituelle, il surgisse de la masse quelques douzaines d’hommes qui, se croyant voués, par leur pénétration et leur savoir, à guérir cette détresse religieuse, se donnent comme les prophètes d’un enseignement nouveau, ou tout au moins comme les adversaires déclarés de l’enseignement jusque-là professé.
Là aussi, la loi naturelle veut que le plus fort soit désigné pour remplir la plus haute mission. Mais les autres hommes ne reconnaîtront le plus souvent que très tard que cet homme, et lui seul, était l’homme prédestiné. Au contraire, tous s’imaginent avoir autant de droits que lui et être également désignés pour résoudre le problème. Quant aux contemporains, ils sont, en général, incapables de distinguer celui d’entre eux qui, seul apte à accomplir de grandes choses, mérite, seul, d’être soutenu par eux tous.
C’est ainsi qu’entrent en scène, dans le cours des siècles, et souvent à la même époque, différents hommes qui fondent des mouvements pour atteindre des buts semblables ou supposés ou estimés tels. Le peuple lui-même est loin d’exprimer des vœux précis ; il a des idées d’ensemble, sans pouvoir se rendre compte avec précision et avec clarté de l’essence même de son idéal et de ses vœux, sans être même fixé sur la possibilité de les satisfaire. » (Texte disponible sur http://www.angelfire.com/nb/ad_hitler/new_page_11.htm) Et Hitler est, on l’a compris, cet homme « le plus fort […] désigné pour remplir la plus haute mission », l’« homme prédestiné », l’homme qui va donné corps et sens aux aspirations confuses du peuple : « Voici le secret de cette personnalité : ce qui dort au plus profond de l’âme de l’homme allemand y a pris forme dans des traits pleins et vivants. […] Cela s’est manifesté en la personne d’Adolf Hitler : l’incarnation vivante du désir ardent de la nation. » (Texte d’un admirateur d’Hitler cité par HERSHAW Ian, op. cit., pp. 332-333). Et le mythe a la vie dure malgré les horreurs. Sur le site http://www.phdnm.org/uploads/3/0/0/1/3001973/hitler_providence.htm#_ftn65++, une plume contemporaine anonyme écrit sous le titre _« Hitler, homme envoyé par la Providence » _ : « il faut avoir le courage de le dire : ceux qui voient en Adolf Hitler le produit de l’« esprit revanchiste », du racisme boche ou de l’antisémitisme séculaire européen se trompent ; car ils s’arrêtent aux causes secondes sans distinguer la cause première. Au départ, Hitler est le fruit de la justice divine vengeresse qui punit les menteurs et les hypocrites ; il a été suscité par la Providence pour punir ceux qui imposèrent la scandaleuse « paix » en 1919 entièrement viciée par l’article 231 du traité de Versailles (art. 177 du traité de Saint-Germain). » Elle ajoute : « « Hitler n’était pas un Attila ou un monstre sorti de l’enfer. Non, il était venu pour montrer la voie à l’Occident en déroute. Un peu partout dans le monde, d’ailleurs, des gens lucides — comme Adrien Arcand au Canada, Jean Boissel en France… —comprirent qu’il fallait l’entendre et s’entendre ; qu’entre le capitalisme et le bolchevisme mortifères, le socialisme national était la voie de salut ».« La solution n’est pas à rechercher dans les « fonds secrets de l’âme humaine » ; elle est devant nous, elle nous est montrée par l’Histoire : en 1945, le monde a écrasé l’homme que la Providence avait suscité pour le sauver : A. Hitler. Aujourd’hui, le monde en meurt, abandonné de Dieu, dans la boue du gaspillage, de l’anarchie et de la luxure… ». On peut aussi lire CHAPOUTOT Johann, Hitler : l’homme providentiel qui ne croyait pas à la Providence, in Parlement(s), op. cit., pp. 63-71.
Het Belang van Limburg et Gazet van Antwerpen le 8 décembre 2007où Yves Leterme compare la RTBF à la Radio Télévision Libre des Mille Collines, radio ayant incité au Génocide au Rwanda entre 1993 et 1994.