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a. La non-violence évangélique

Les premiers mouvements pacifistes sont nés au sein du christianisme. L’interdiction de tuer a été prise au pied de la lettre. Cette interprétation a été renforcée par le commandement de l’amour et par la certitude d’anticiper dès ici-bas le Royaume de Dieu, Royaume d’amour et de paix. Ce pacifisme chrétien implique dès l’origine une méfiance vis-à-vis des pouvoirs temporels qui n’hésitent pas à utiliser la violence et la guerre.

Durant les trois premiers siècles, les chrétiens furent nombreux à embrasser ce pacifisme surtout par désir de ne pas servir un empereur païen mais aussi parce que tuer leur paraissait incompatible avec leur vocation chrétienne. «  Le Seigneur a ôté son épée à tout soldat quand il a désarmé Pierre » écrit Tertullien⁠[1]. Il est plus légitime pour un chrétien d’être tué plutôt que de tuer⁠[2]. Tertullien toutefois estime que le pouvoir politique a le droit de maintenir l’ordre même par des moyens coercitifs.

Maurice Barbier⁠[3] présente deux non-violents comme deux exceptions. Saint Martin qui déclare, selon Sulpice Sévère⁠[4], à l’empereur Constant, vers 341, alors qu’il n’y a plus de risque d’idolâtrie dans l’armée : « Je suis soldat du Christ ; il ne m’est pas permis de combattre »[5]. Paulin de Nole⁠[6] félicite saint Victrice⁠[7] d’avoir abandonné ses armes pour suivre le Christ : « Tu as jeté les armes de sang pour revêtir des armes de paix, refusant d’être armé par le fer par ce que tu l’étais par le Christ »[8].

Si l’on cherche une position officielle, on peut citer le pape Nicolas Ier qui écrit aux Bulgares en 866 : « Les passions de la guerre et des combats, et les causes de toutes querelles, ont été inventées sans aucun doute par la fourberie de l’art diabolique, et seul l’homme avide d’étendre son pouvoir, ou esclave de la colère, de l’envie ou de quelque autre vice, pourra rechercher ces choses et s’y complaire. C’est pourquoi, hors le cas de nécessité, c’est non seulement en temps de carême, mais en tout temps, qu’il faut s’abstenir de combattre. » ⁠[9]

Mais ce sont surtout les sectes dissidentes qui vont reprendre l’exigence évangélique de non-violence⁠[10] mais elles seront tôt ou tard confrontées à la persécution ou à la défense par les armes. Certaines de ces sectes seront tentées de passer aux actes dans leur mouvement de contestation.⁠[11]


1. L’idolâtrie, 19.
2. Apologétique, 37.
3. In VITORIA Fr. de, Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre, Droz, 1966, p. LVI.
4. Auteur d’une Vie de saint Martin, au début du Ve siècle.
5. De vita beati Martini, 4, P.L., 20, 162.
6. Vers 353-431, saint Paulin est surtout connu comme poète.
7. Un des premiers évêques de Rouen, mort vers 415.
8. Ep. XVIII, 7, P.L., 61, 240.
9. Cité in JOURNET Ch., L’Église du Verbe incarné, I, op. cit., p. 362.
10. Les Vaudois, par exemple (du nom d’un certain Vaudès (vers 1130-1217) ou Valdès). Ce sont des laïcs guidés par la pureté de l’Église primitive, pauvres, dévoués à la prédication de l’Évangile. Cette pratique fut l’élément déterminant dans leur condamnation (1215, Latran IV) car le ministère de la parole était réservé aux clercs. Ils refusent la construction hiérarchique de l’Église, ils considèrent que les sacrements célébrés par des prêtres indignes ne sont pas valides, ils s’opposent à tout élément lié au culte : cimetières, églises, habits religieux, encens, eau bénite, images, cloches, etc., ils refusent toute pratique ou cérémonie qui n’est pas justifiée par les Écritures et surtout le Nouveau Testament : procession, jeûne, adoration de la croix, signe de croix, indulgences, prières pour les défunts. Ils refusent les serments, la peine de mort et tout acte de violence. Le mouvement vaudois s’éteint au XVIe siècle, absorbé par la Réforme. On peut aussi ranger dans ce camp de purs non-violents : les Mennonites, les Sociniens, les Huttérites au XVIe siècle, les Amish au XVIIe siècle, héritiers de l’anabaptisme pacifique. Les Quakers seront en général non violents mais n’excluent pas la participation à une guerre juste.
11. C’est le cas des Lollards au XIVe siècle, des Hussites au XVe siècle, des anabaptistes révolutionnaires et des puritains engagés dans la chasse aux sorcières.