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iii. Francisco de Vitoria

[1]

L’enseignement de Vitoria fut centré sur la Somme théologique de saint Thomas qu’il commenta de 1526 à 1540. Thomas lui fournit les références essentielles quand il prendra position en 1539 sur la question indienne et sur le droit de guerre⁠[2]. Les deux problèmes étant liés. Il n’est donc pas inutile de revenir donc sur l’essentiel de ce que Vitoria a établi dans sa leçon sur les Indiens.

Trois idées importantes sont à retenir.⁠[3]

« L’empereur n’est pas le maître du monde entier. »[4] Ni le droit naturel, ni le droit divin ni le droit humain ne fondent un tel pouvoir et « les Espagnols ne peuvent s’emparer des territoires des Indiens »[5]

« Le pape n’est pas le maître temporel du monde »[6] et « même si le pape était le maître temporel du monde, il ne pourrait transmettre son pouvoir aux princes »[7] Et donc la bulle In caetera de 1493 par laquelle Alexandre VI⁠[8] concédait à l’Espagne le Nouveau-Monde ne peut s’interpréter que comme un mandat missionnaire mais non un mandat politique.⁠[9] S’il est vrai que « le pape n’a de pouvoir temporel qu’en vue du spirituel », comme « il n’a pas de pouvoir spirituel sur les infidèles », « il n’a donc pas non plus de pouvoir temporel sur eux. »[10] Et « Les Espagnols ne peuvent faire la guerre aux Indiens, même s’ils refusent la foi »[11].

Enfin, Vitoria affirme que tous les hommes, chrétiens ou non, appartiennent à une communauté universelle⁠[12]. Déjà, en 1528, dans sa Leçon sur le pouvoir politique, il écrivait : « …chaque État est une partie du monde entier et chaque province chrétienne, une partie de l’État tout entier. Si donc une guerre est utile à une province ou à un État mais porte préjudice au monde ou à la Chrétienté, je pense qu’elle est injuste par le fait même. »[13] Plus loin, il précise le pouvoir de cette communauté universelle : « Le droit des gens ne tient pas seulement sa valeur d’un pacte ou d’un accord entre les hommes, mais il a aussi valeur de loi. Car le monde entier, qui forme, d’une certaine manière, une seule communauté politique, a le pouvoir de faire des lois justes et bonnes pour tous, comme celles qui se trouvent dans le droit des gens. Il en ressort clairement que ceux qui violent le droit des gens, soit en temps de paix, soit en temps de guerre, commettent un péché mortel, mais à condition que ce soit sur des points assez importants, comme l’immunité des ambassadeurs. Et il n’est permis à aucun État de refuser de se soumettre au droit des gens, car c’est en vertu de l’autorité du monde entier qu’il a été établi. »[14]

qu’entend-il par « droit des gens », droit, nous dit-il, « qui est ou du droit naturel ou dérivé du droit naturel » ? Vitoria emprunte sa définition au juriste romain Gaius⁠[15] qui avait établi que « Ce que la raison naturelle a établi entre tous les hommes [homines] est observé de la même manière par tous les peuples et est appelé droit des gens pour autant que tous les peuples utilisent ce droit ». Vitoria reprend cette définition mais remplace « homines » par « gentes » : « on appelle droit des gens ce que la raison naturelle a établi entre tous les peuples [gentes] ».⁠[16] Dès lors, le droit des gens n’est plus simplement un droit entre les hommes mais un droit entre les nations, autrement dit, un droit international qui est un droit naturel mais peut-être aussi un droit positif.⁠[17]

Toujours est-il que Vitoria, à travers « le droit naturel de société et de communication »[18] affirme l’existence d’une communauté politique mondiale naturelle qui est responsable du bien commun de l’univers. Elle n’est pas le fruit d’un accord entre les États puisqu’elle est de droit naturel : « Tous les hommes et tous les États en font partie de plein droit et tout ce qui est nécessaire au gouvernement de l’univers est de droit naturel. »[19] L’idée d’une communauté mondiale est déjà présente dans la philosophie stoïcienne, chez Cicéron notamment mais elle s’impose à Vitoria à la lumière du livre de la Genèse : « Au commencement du monde, alors que tout était commun, il était permis à chacun d’aller et de voyager dans tous les pays qu’il voulait. Or cela ne semble pas avoir été supprimé par la division des biens. Car les nations n’ont jamais eu l’intention d’empêcher, par cette division, les rapports des hommes entre eux ; et, au temps de Noé, cela aurait certainement été inhumain. »[20]

Ces principes fondamentaux rappelés, nous pouvons examiner de plus près la question de la guerre.

Il était logique qu’après avoir abordé la question des Indiens, Vitoria en vienne à la question du droit de guerre puisque la conquête du Nouveau monde pouvait se justifier par ce droit. Déjà dans la Leçon sur les Indiens, Vitoria s’était posé la question de savoir si les Espagnols avaient quelque titre légitime pour « dominer les barbares ». Parmi les titres évoqués, il citait notamment : « la tyrannie des chefs barbares eux-mêmes ou les lois tyranniques qui oppriment injustement des innocents, en permettant, par exemple, de sacrifier des hommes innocents ou même de mettre à mort des hommes non coupables pour les manger. J’affirme que, même sans autorisation du pape, les Espagnols peuvent empêcher les barbares de pratiquer toute coutume ou cérémonie injuste, car ils peuvent défendre les innocents d’une mort injuste. »[21] On trouve ici l’affirmation d’un « droit d’intervention pour raison d’humanité ». « En effet, « Dieu a donné à chacun des commandements à l’égard de son prochain » [Si 17, 14]. Or tous ces barbares sont notre prochain. N’importe qui peut donc les défendre contre une telle tyrannie et une telle oppression, et cela revient principalement aux princes.

En outre, l’Écriture dit : « Délivre ceux qu’on envoie à la mort et sauve ceux qu’on traîne au supplice » (Pr 24, 11). On ne doit pas seulement entendre cela du cas où des innocents sont effectivement conduits à la mort, mais on peut aussi obliger les barbares à abandonner de telles coutumes. S’ils ne le veulent pas, on peut, pour cette raison, leur faire la guerre et exercer contre eux les droits de la guerre. Si on ne peut supprimer autrement ces coutumes abominables, on peut changer les chefs et établir un nouveau gouvernement. L’opinion d’Innocent IV et de saint Antonin, selon laquelle on peut punir les barbares à cause de leurs péchés contre nature, est vraie dans ce cas.⁠[22]

Que tous les barbares acceptent de telles lois et de tels sacrifices et qu’ils ne désirent pas que les Espagnols les en délivrent, cela n’est pas un obstacle. Car, dans ce domaine, ils ne sont pas libres au point de pouvoir se livrer à la mort, eux ou leurs enfants. »[23]

Vitoria établit aussi un « Droit d’assistance aux alliés » : « En effet, les barbares eux-mêmes font parfois des guerres légitimes entre eux et la partie qui a subi une injustice a le droit de faire la guerre ; elle peut donc appeler les Espagnols à son secours et partager avec eux les fruits de la victoire. »[24]

Dans la Leçon sur le droit de guerre, et malgré ce titre⁠[25], l’objectif de Vitoria, fidèle à saint Thomas⁠[26], est de sauver la paix à tout prix : « Lorsqu’un prince a le pouvoir de faire la guerre, il doit tout d’abord non pas chercher des occasions et des causes de guerre, mais vivre en paix avec tous les hommes si possible, comme l’ordonne saint Paul (Rm 12, 18)⁠[27]. Il doit se rappeler que les autres hommes sont notre prochain que nous devons aimer comme nous-mêmes et que nous avons tous un seul et même Seigneur au tribunal duquel nous devons rendre compte. Chercher des raisons - et se réjouir lorsqu’on en trouve - pour tuer et anéantir des hommes que Dieu a créés et pour lesquels le Christ est mort, c’est bien la dernière abomination. Mais c’est par contrainte et malgré soi que l’on doit en venir à l’extrémité de la guerre. »[28]

Quelle est cette contrainte qui, en dernière extrémité, fait de la guerre un devoir ? C’est l’injustice : toute guerre juste est une guerre qui punit une injustice⁠[29].

Ainsi, « on ne peut avoir de doute en ce qui concerne la guerre défensive, car il est permis de repousser la force par la force »[30], plus exactement de repousser une injustice⁠[31].

Et la guerre offensive doit viser « à punir l’injustice reçue » et détourner les ennemis de l’injustice par la crainte du châtiment.⁠[32] En effet, « le but de la guerre est la paix et la sécurité de l’État »[33] et même, ajoute Vitoria, du monde, car il faut rechercher « le bien de l’univers tout entier »[34]. « Lorsqu’il est évident que l’on fait la guerre pour de justes raisons, il faut la faire non pour la perte de la nation contre laquelle on doit combattre, mais pour la poursuite de son droit, la défense de la patrie et de son État et pour obtenir qu’un jour la ; paix et la sécurité soient le résultat de cette guerre. »[35] La guerre juste a donc quatre buts : « on fait la guerre premièrement pour se défendre, soi et ses biens, deuxièmement pour recouvrer les choses enlevées, troisièmement pour punir l’injustice subie, quatrièmement pour assurer la paix et la sécurité »[36].

Dans sa présentation du jus ad bellum et du jus in bello, Vitoria reprend les trois conditions de la guerre juste telles qu’elles ont été édictées par saint Thomas : autorité légitime, juste cause et intention droite.


1. Entre 1480 et 1492-1546. De 1509 à 1516, il se forme à l’université de Paris. De 1516 à 1523, il y enseigne et participe au renouveau du thomisme. En 1523, il enseignera au studium dominicain de Valladolid puis de 1526 à sa mort, à l’université de Salamanque. Francisco de Vitoria, professeur brillant, clair et vivant, fut un intellectuel ouvert aux problèmes du temps. Il s’engagea dans les discussions sur l’orthodoxie d’Erasme ; il donna son avis sur le divorce d’Henri VIII dans sa Leçon sur le mariage. Soucieux de la paix en Europe, il prit position sur le conflit entre François Ier et Charles-Quint. Au sein de son université, il fut attentif à la situation matérielle des étudiants et du personnel et est considéré comme l’initiateur de l’Ecole économique de Salamanque. Mais il est surtout célèbre pour son enseignement sur les problèmes posés par la découverte et la conquête du Nouveau-Monde. (Cf. BARBIER Maurice in Fr. de Vitoria, Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre, Introduction, traduction et notes par Maurice Barbier, o.p., Droz, 1966, pp. XII-XV).(Toutes nos références aux textes de Vitoria viennent de cette édition).
2. Notons aussi que Vitoria était au courant de ce qui se passait en Amérique grâce à des missionnaires revenus au pays.
3. Vitoria s’oppose à tout un courant de théologiens-juristes dont le célèbre canoniste Henri de Suse (1200-1271), cardinal d’Ostie surnommé Ostiensis ou Hostiensis. Sa théorie : « quand les païens se convertissent, tous les pouvoirs politiques et administratifs de leurs gouvernants passent au Christ, donc à son vicaire, le pape, qui peut en disposer en faveur du prince de son choix ». (cité par MAHN-LOT Marianne, in B. de Las Casas, L’Évangile et la force, Cerf, 1964, p. 19.
4. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 112.
5. Id., § 133.
6. Id., § 138. Sur ce point, Vitoria s’oppose explicitement à divers auteurs dont saint Antonin (Somme théologique) et émet des réserves sur tel passage du Commentaire les Sentences de Pierre Lombard où saint Thomas semble accréditer cette thèse du pouvoir temporel universel du pape.
7. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 145.
8. Dans cette bulle Alexandre VI partage le monde en deux autour d’un méridien de démarcation passant à cent lieues à l’ouest des îles du cap Vert. La souveraineté sur les terres à découvrir à l’ouest appartient à la castille, à l’est au Portugal. Le traité de Tordesillas de 1494 entre la Castille et le Portugal repousse le méridien à 370 lieues à l’est du même archipel. (cf. MOLINIE-BERTRAND Annie et DUVIOLS Jean-Paul, Charles-Quint et la monarchie universelle, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2001, p. 146).
9. La Bulle d’Alexandre VI allait bien au-delà de l’attribution d’une mission d’évangélisation : « Par l’autorité de Dieu tout-puissant à Nous transférée par saint Pierre, et par celle du Vicariat de Jésus-Christ que nous exerçons sur ces terres, et sur toutes leurs seigneuries, leurs villes, leurs forces, leurs lieux, leurs cités, leurs droits de juridiction et toutes leurs appartenances, par la teneur des présentes Nous vous les donnons, concédons et octroyons à perpétuité, à vous et aux Rois de Castille et de Léon, vos héritiers et successeurs. Et nous vous faisons, constituons et députons, ainsi qu’à vos héritiers et successeurs, leurs maîtres avec libre, plein et absolu pouvoir, autorité et juridiction. Nous déclarons que par cette donation, concession et adjudication il ne faut pas entendre que l’on dépossède ou que l’on puisse déposséder de quelque droit acquis quelque prince chrétien qui possèderait actuellement, jusqu’au susdit jour de Noël, ces îles ou ces terres continentales. En outre, Nous vous obligeons en vertu de sainte obéissance, conformément à votre promesse et comme il convient à votre grande dévotion et royale magnanimité, à envoyer sur ces îles et terres fermes des hommes bons, craignant Dieu, doctes, savants, experts, pour instruire leurs naturels et habitants dans la foi catholique et leur apprendre les bonnes coutumes, et à vous occuper de cela avec toute la diligence nécessaire. Et Nous défendons absolument à quiconque, de quelque dignité —fût-elle royale ou impériale — état, grade, ordre ou condition que ce soit, sous peine d’excommunication dans laquelle il encourrait ipso facto, d’aller chercher des biens marchands, ou d’aller pour n’importe quel autre motif sans disposer de votre autorisation spéciale ou celle de vos héritiers et successeurs, sur ces îles et terres fermes découvertes et à découvrir vers l’Occident et vers le Midi à partir de ladite ligne […]. Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 4 mai de l’an 1493 de l’incarnation de N. S. J. C., premier de notre pontificat. » (Cité in ZAVALA Silvio : Amérique latine : philosophie de la conquête, Mouton, Paris, 1977, pp. 131-132.)
10. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 152.
11. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 194-196: « Même si la foi a été annoncée aux barbares d’une manière acceptable et suffisante, cependant, s’ils n’ont pas voulu la recevoir, il n’est pas permis pour autant de leur faire la guerre et de s’emparer de leurs biens. C’est la conclusion expresse de saint Thomas. Il dit, en effet, dans la Somme de théologie (II-II, q. 10, a. 8), que les infidèles qui n’ont jamais reçu la foi, comme les païens et les Juifs, ne doivent être en aucune manière obligés à la recevoir. Et c’est la conclusion commune des docteurs, même des docteurs en droit canon et en droit civil. Croire est, en effet, un acte de la volonté ; or la crainte diminue beaucoup la liberté, comme le dit Aristote dans l’Ethique (I. III). d’autre part, c’est un sacrilège de s’approcher des mystères et des sacrements du Christ sous le seul effet d’une crainte servile. »
12. Il rompt ainsi avec la conception moyenâgeuse qui envisageait uniquement la communauté universelle des chrétiens (la chrétienté).
13. VITORIA Fr. de, Leçon sur le pouvoir politique, Introduction, traduction et notes par Maurice Barbier, Vrin, 1980, § 14.
14. Id., § 21.
15. Si Gaius (IIe siècle) reste un personnage mal connu, voire inconnu, son œuvre les Institutes a eu une influence considérable. On les retrouve dans le Code de Justinien (Corpus juris civilis romani) (529et 534) vaste compilation de textes de droit empruntés à la tradition romaine dans son ensemble des origines à Justinien et accordés au christianisme. Il contient quatre mille sept cents articles et est le fondement du droit civil moderne.
16. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 231.
17. La question était disputée déjà parmi les juristes romains : le droit des gens est-il ou non de droit naturel ? Pour Gaius, il l’était ; pour Ulpien (IIIe s), non ; pour Augustin, oui ; pour saint Isidore, non ; saint Thomas penchait pour l’opinion de Gaius mais sa position n’était pas très claire. Vitoria lui-même dans son commentaire sur saint Thomas estime qu’il s’agit plutôt d’un droit positif avant d’affirmer dans la Leçon sur les Indiens que « le droit des gens est ou du droit naturel ou dérivé du droit naturel ».
18. Leçon sur les Indiens, op. cit ., § 230.
19. BARBIER Maurice, in Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre, op. cit., p. XLIII.
20. Leçon sur les Indiens, op. cit., § 232.
21. Leçon sur les Indiens, § 290. Il ne s’agit pas de punir des fautifs mais de sauver des innocents : « Même en vertu de l’autorité du pape, les princes chrétiens ne peuvent obliger les barbares à se détourner de leurs péchés contre la loi naturelle ni les punir à cause de ces péchés. » (Leçon sur les Indiens, § 205).
22. Cf. Leçon sur les Indiens, § 204 et note 1.
23. Id., § 291-293.
24. Id., § 296.
25. Vitoria intitule cette leçon : Deuxième leçon sur les Indiens ou sur le droit de guerre des Espagnols contre les barbares.
26. Pour l’essentiel, il va reprendre ce qu’écrivaient saint Augustin et saint Thomas. Un chrétien peut être soldat et faire la guerre contrairement à ce qu’ont prétendu Tertullien et Luther qui, bien qu’il conserve, en grande partie, la théorie scolastique classique, s’opposait à la croisade contre les Turcs. Luther écrit : « Combattre contre les Turcs, c’est s’opposer à Dieu qui visite nos iniquités par leur intermédiaire » (Resolutiones Disputationis de Virtute Indulgentiarum (1518) ; proposition condamnée par Léon X dans la bulle Exsurge Domine (15-6-1520) (DZ 1484). Vitoria se penchera aussi sur les réflexions de quelques prédécesseurs et contemporains qu’il cite : le Décret de Gratien, le Digeste, les Décrétales, Bartole (jurisconsulte + 1356), saint Antonin (archevêque de Florence 1459), Nicolas de Tudeschis (archevêque de Palerme +1445), Adrien VI (pape + 1523), Sylvestre de Prierio (théologien + 1523), les Pères de l’Église saint Ambroise ( 397), saint Jérôme (+ 420) et saint Isidore (évêque de Séville, + 636). Il se réfère aussi à des auteurs païens : Aristote principalement, Cicéron et incidemment Térence, Horace et Salluste. Dans le Bible, il cite de nombreuses fois Dt 20, 10-14 ; Dt 25, 2 ; Ps 82, 4 ; 1 M 9, 32-42 ; Mt 22, 21 ; Lc 3, 14 ; Rm 13, 1, 4 et 6-7 ; Jc 1, 25 et 2, a. 4.
27. « S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes ».
28. Leçon sur le droit de guerre, § 154.
29. Cf. Id., § 12.
30. Id., § 11.
31. Contrairement à ce qu’il écrit, Vitoria cite ici non le Digeste (Digesta Iustitiani : recueil de citations de juristes romains de la république ou de l’empire) mais les Décrétales : « Toutes les lois permettent de repousser la force par la force [vim vi]… Cependant, cela doit être fait en gardant le souci d’une défense irréprochable, non pour se venger mais pour repousser l’injustice ». (Cité in VITORIA, op. cit., p. 113, note 2).
32. Leçon sur le droit de guerre, § 12 et 13.
33. Id., § 14.
34. Id.., § 15.
35. Id., § 155.
36. Id., § 126.

⁢a. Qui a autorité pour déclarer ou faire la guerre ?

En cas de guerre défensive, « n’importe qui, même une personne privée (…), n’importe qui peut, sans autorisation de personne, faire une telle guerre pour défendre non seulement sa personne mais aussi ses biens matériels ».⁠[1]

Un État, lui, « a autorité non seulement pour se défendre, mais aussi pour se venger, lui et les siens, et punir les injustices ». ⁠[2]

qu’est-ce qu’une juste cause ?

Ce ne peut être ni la différence de religion⁠[3], ni l’agrandissement de l’Empire, ni la gloire ou tout autre intérêt du prince⁠[4] : « seule une injustice peut constituer une cause de guerre ».⁠[5] Et encore, pas n’importe quelle injustice : « En effet, il n’est pas permis pour n’importe quelle faute d’infliger aux citoyens et aux indigènes eux-mêmes des peines cruelles, comme la mort, l’exil ou la confiscation des biens. Puisque tout ce qui arrive dans une guerre - meurtres, incendies, dévastations - est atroce et cruel, il n’est donc pas permis, en cas d’injustices légères, d’en poursuivre les auteurs par la guerre, car les châtiments doivent être proportionnés à la gravité du délit (Dt 25, 2[6]). »[7]


1. Leçon sur le droit de guerre, § 17. Toutefois, si toute personne peut se défendre, soi et ses biens, elle « n’a pas le droit de punir une injustice, ni même de recouvrer, après un espace de temps, les biens enlevés. Mais la défense doit avoir lieu devant un danger présent, « incontinent », disent les juristes. C’est pourquoi le droit de se battre cesse dès que la nécessité de se défendre disparaît. » (Id., § 22)
2. Leçon sur le droit de guerre, § 23. A la suite d’Aristote (Politique, 1, III, c. 1, 1275 b 20-21), Vitoria définit l’État comme une communauté parfaite, complète, « qui n’est pas une partie d’un autre État, mais qui a ses lois propres, son conseil propre et ses magistrats propres » (§ 26) Le prince, en vertu du choix de l’État, en exerce l’autorité et peut déclarer la guerre même si ce prince est lui-même vassal d’un autre mais pour autant qu’il soit à la tête d’un État parfait. Les autres princes d’États imparfaits ne peuvent déclarer la guerre qu’en vertu d’une coutume antique ou par nécessité. (§24-29). Deux exceptions que refusera Francisco Suarez (1548-1617). Notons en passant cette réflexion de Vitoria : « il n’y a de prince qu’en vertu du choix de l’État » (§ 24) : si tout pouvoir a Dieu pour origine et auteur, « sa désignation relève de la communauté politique qui choisit la forme de gouvernement et le sujet de l’autorité publique. » (BARBIER M., op. cit., p. 118, note 4).
3. Il ne s’agit pas seulement des Indiens (Leçon sur les Indiens, § 186-187 et 194-200) mais de tous les infidèles : on ne peut leur faire la guerre en raison de leur infidélité, pour les forcer à croire mais seulement à cause de leurs injustices, parce qu’ils font obstacle, par exemple, à la foi chrétienne. Telle est l’opinion du canoniste Henri de Suse (1200-1271, du pape Innocent IV (1243-1254), de saint Thomas et de son commentateur Cajetan (1469-1534).
4. Leçon sur le droit de guerre, § 30-35.
5. Id., § 36. C’est bien l’enseignement de saint Paul : « Ce n’est pas sans raison que l’autorité porte le glaive ; elle est, en effet, un instrument de Dieu pour punir et châtier celui qui fait le mal » (Rm 13, 4).
6. « Si le coupable mérite des coups, le juge le fera mettre à terre, et lui fera donner en sa présence un nombre de coups proportionné à sa culpabilité. »
7. Leçon sur le droit de guerre, § 40.

⁢b. Enfin, qu’est-il permis de faire dans une guerre juste ?

Dans le jus in bello donc, l’intention droite implique tout d’abord qu’ « il est permis de faire tout ce qui est nécessaire pour défendre le bien public [1], (…) de recouvrer tous les biens perdus ou leur équivalent »[2] et « de payer sur les biens de l’ennemi les dépenses de la guerre et tous les dommages injustement causés par l’ennemi. »[3] De plus, le prince « peut, par exemple, détruire une citadelle ennemie et même construire des fortifications sur le territoire des ennemis, si c’est nécessaire pour écarter tout danger de leur part. »[4] Enfin, « après la victoire et le recouvrement des biens, on peut exiger des ennemis des otages, des navires, des armes et les autres choses qui sont honnêtement et loyalement nécessaires pour maintenir les ennemis dans le devoir et écarter tout danger de leur part »[5] Et « il est permis de punir l’injustice commise par les ennemis, de sévir contre eux et de les châtier pour leur injustice. »[6]

Tout ce qui est permis doit être accompli avec modération : « Après la victoire, lorsque la guerre est terminée, c’est avec une mesure et une modération toutes chrétiennes qu’il faut profiter de sa victoire. Le vainqueur doit considérer qu’il est juge entre deux États : l’un est lésé, l’autre a commis une injustice. Ce n’est donc pas en qualité d’accusateur mais de juge qu’il portera une sentence qui puisse cependant donner satisfaction à l’État lésé. Mais, après avoir puni les coupables d’une manière convenable, que l’on réduise, autant que possible, au minimum le désastre et le malheur de l’État coupable, d’autant plus que, généralement, chez les chrétiens, toute la faute revient aux princes. Car c’est de bonne foi que les sujets combattent pour leurs princes et il est tout à fait injuste que, selon le mot du poète : « Les Achéens soient punis pour toutes les folies de leurs rois »[7]. »[8] 

Comment le vainqueur peut-il se considérer comme juge entre les deux États ? Nous dirions qu’il est juge et partie ! Vitoria s’appuie sur l’exemple de ce qu’un État peut faire contre les « ennemis de l’intérieur » c’est-à-dire les « mauvais citoyens » : celui qui « a commis une injustice envers un citoyen, non seulement le magistrat oblige l’auteur de l’injustice à faire réparation à la victime, mais encore, s’il inspire quelque crainte à celle-ci, on l’oblige à fournir une garantie ou à quitter la cité, de manière à écarter tout danger de sa part. »[9] Entre deux États, qui peut-être juge ? A cet endroit, Vitoria qui a déjà montrer son attention au bien commun universel, exprime un regret : « S’il y avait un juge légitime agréé par les deux parties belligérantes, il devrait condamner les agresseurs injustes et les auteurs d’injustice non seulement à restituer les choses prises mais encore à supporter les dépenses de la guerre et à réparer tous les dommages. »[10] Ce juge institué par la communauté politique mondiale n’existe pas à l’époque de Vitoria. C’est donc le prince de la juste cause qui remplira cet office au nom du droit naturel qui investit les princes d’une autorité politique mondiale.⁠[11]

Vitoria, nous venons de le voir, ne se contente pas de répéter ce que ses prédécesseurs ont écrit, il ajoute déjà, dans sa présentation générale des trois conditions, des éléments intéressants. Mais il va plus loin encore. Dans les deuxième et troisième parties de son ouvrage, il va répondre avec force détails à des questions supplémentaires que l’on peut se poser à propos de la justice de la guerre et de la conduite de la guerre.

En ce qui concerne la justice de la guerre, « est-il suffisant, pour que la guerre soit juste, que le prince croie défendre une juste cause ? » Non, répond Vitoria, « ce n’est pas toujours suffisant » : le prince peut commettre une « erreur vincible » dont il sera responsable. « Pour que la guerre soit juste, il faut examiner avec beaucoup de soin la légitimité et les causes de la guerre et entendre aussi les raisons des adversaires, s’ils veulent discuter d’une manière équitable et honnête. » Vitoria invite donc à la négociation et aussi à la consultation « des hommes honnêtes et sages, capables de parler librement, sans colère, ni haine, ni cupidité. »[12] Finalement, c’est la communauté politique qui va se prononcer par ses représentants : « Les notables, les vassaux et, d’une manière générale, ceux qui sont admis ou appelés au conseil de l’État ou du prince ou même ceux qui y viennent spontanément sont tenus d’examiner si la cause de la guerre est juste. »[13] Vitoria conclut : « On ne doit donc pas entreprendre la guerre sur le seul avis du roi, ni même de quelques-uns, mais sur l’avis de nombreux citoyens sages et honnêtes »[14]

Si le prince doit examiner soigneusement, de la manière dite, la cause de la guerre, ses sujets sont-ils tenus à la même prudence ? Dans sa réponse, Vitoria pose le principe de l’objection de conscience : « Si l’injustice de la guerre est évidente pour un sujet, il ne lui est pas permis de combattre, même sur l’ordre du prince ». Qui plus est, « si les sujets ont conscience que la guerre est injuste, il ne leur est pas permis d’y participer, qu’ils se trompent ou non, « car tout ce qui ne procède pas de la bonne foi est péché » (Rm 14, 23). »[15]

Vitoria justifie ces précautions en rappelant que si l’on entreprend une guerre injuste, ce sont des innocents que l’on va tuer et à qui on va infliger de grandes calamités.⁠[16]

Vitoria poursuit sa réflexion en envisageant le cas ou la justice de la guerre est douteuse, celui de la guerre juste des deux côtés, et les devoirs de restitution en cas de guerre injuste.⁠[17]

En ce qui concerne la conduite de la guerre, Vitoria aborde des questions très précises sur la légitimité du meurtre, de la spoliation, de la captivité, de la mise à mort des coupables et des prisonniers, sur le sort des biens enlevés pendant la guerre, l’imposition d’un tribut et la déposition des princes. Questions qui reflètent les habitudes guerrières de l’époque, choquantes aujourd’hui, mais auxquelles Vitoria impose des limites en confrontant des textes apparemment contradictoires de l’Ancien Testament et en se référant aux meilleures traditions païennes et au droit des gens tel qu’établi à l’époque : on ne peut tuer les innocents sauf par accident s’il n’est pas possible de les éviter en frappant les coupables ; même les innocents qui peuvent représenter un danger pour l’avenir doivent être épargnés ; il n’est pas permis de spolier des innocents sauf si leurs biens servent à la guerre ou renforcent l’ennemi ou s’ils sont le seul moyen de dédommager les innocents spoliés par les ennemis ; pour mettre un terme à la guerre, on peut emmener en captivité, par nécessité, des innocents pour obtenir une rançon mais non pour les réduire en esclavage sauf s’il s’agit de païens⁠[18] ; on ne peut mettre à mort des otages innocents.

Pour ce  qui est des coupables, la réponse est plus nuancée : dans le feu de l’action, « il est permis de tuer indistinctement tous ceux qui combattent et, d’une manière générale, il en est de même tant qu’il y a un danger. »[19]Après la victoire, comme on peut punir ses propres citoyens qui ont mal agi, on peut mettre à mort les ennemis coupables d’injustice surtout si la sécurité n’est pas assurée pour l’avenir mais « il n’est pas toujours permis de mettre à mort tous les coupables » : « il faut tenir compte de l’injustice commise par l’ennemi, du dommage causé et des autres fautes, et c’est à la lumière de cet examen qu’il faut punir et châtier en évitant toute cruauté et toute dureté ».⁠[20] Mais si l’on ne peut obtenir la sécurité qu’en détruisant tous les ennemis parce qu’ « on ne pourra jamais espérer la paix à aucune condition », il est permis de le faire à condition qu’ils soient coupables.⁠[21] Encore faut-il se rappeler que les soldats qui participent à une guerre injuste et qui s’en sont remis à l’avis du prince ou de l’État « sont en majorité innocents d’un côté comme de l’autre. C’est pourquoi, lorsqu’ils ont été vaincus et qu’ils ne sont plus dangereux, je pense non seulement qu’on ne peut les tuer tous, amis qu’on ne peut même pas en tuer un seul, si on présume que c’est de bonne foi qu’ils ont participé au combat. »[22]. Selon le droit des gens, on ne met pas « à mort les prisonniers après la victoire et lorsque tout danger est écarté, à moins que, par hasard, ils ne s’enfuient. » Sous condition d’avoir la vie sauve, les ennemis qui se rendent ne doivent pas être mis à mort mais s’ils se rendent sans conditions, le prince ou le juge peut mettre à mort les plus coupables.⁠[23] Entre chrétiens, la mise à mort de tous les ennemis coupables n’est pas permise : « il faut […] que le châtiment soit à la mesure de la faute et que la punition ne la dépasse pas »[24].

Enfin, que deviennent les biens enlevés pendant une juste guerre ? d’une manière générale, ils restent la propriété de ceux qui s’en sont emparés « jusqu’à concurrence des choses injustement prises et aussi des dépenses de la guerre. »[25]. Toutefois, il faut distinguer les biens meubles et les biens immeubles.

Les biens meubles (richesses, vêtements, or, argent, etc.) sont gardés « même s’ils dépassent ce qui est exigé pour compenser les dommages »[26]. Le pillage ou l’incendie d’une ville -« surtout une ville chrétienne »- peuvent être autorisés uniquement par le prince ou le chef « si c’est nécessaire à la conduite de la guerre, pour effrayer les ennemis ou pour exciter l’ardeur des soldats ». Mais il faut qu’il y ait nécessité et raison grave. Il vaudrait mieux que les chefs les chefs les interdisent et les empêchent « autant qu’ils le peuvent » car « de telles permissions entraînent, de la part des soldats barbares, toutes sortes de brutalités et de cruautés absolument inhumaines », des « abominations » et des « atrocités ».⁠[27]

Les biens immeubles (champs, places fortes, citadelles, etc.), on peut les prendre et les garder, « pour autant que c’est nécessaire à la compensation des dommages causés », « pour assurer la sécurité et pour éviter tout danger de la part des ennemis », ou « en raison de l’injustice commise et à titre pénal »[28]. Toutefois, « il faut agir avec modération » : « On ne doit garder que ce que la justice demande pour compenser les dommages et les dépenses de la guerre et pour punir l’injustice, en restant équitable et humain, car la peine doit être proportionnée à la faute. »[29]

Toujours comme compensation ou punition, on peut imposer un tribut à l’ennemi⁠[30]. Quant à la déposition des princes, l’injustice n’est pas toujours une raison suffisante pour y procéder car on risque de violer les droits humain, naturel et divin. On peut parfois y recourir si des raisons légitimes et suffisantes se présentent : « soit le nombre et la cruauté des dommages et des injustices, soit surtout le fait le fait qu’on ne puisse obtenir autrement la paix et la sécurité de la part des ennemis, qui, sans cela, feraient courir un grave danger à l’État. »[31]

Dans tous ces cas, il ne faut pas oublier que sont excusés sujets et princes qui ont combattu de bonne foi et que les biens matériels pris ne peuvent être que de justes compensations⁠[32].


1. Id., § 41.
2. Id., § 42.
3. Id., § 43.
4. Id., § 46.
5. Id., § 50.
6. Id., § 51.
7. HORACE, Epîtres, 1, II, Ep. 2, v. 14.
8. Leçon sur le droit de guerre, § 156.
9. Id., § 49.
10. Id., § 45.
11. « Pour le montrer », Vitoria fait « remarquer que les princes n’ont pas seulement pouvoir sur leurs sujets mais aussi sur les étrangers pour les obliger à s’abstenir d’injustices, et cela en vertu du droit des gens et de l’autorité du monde entier. Bien plus, il semble que cela soit de droit naturel : autrement, le monde ne pourrait demeurer stable si personne n’avait pouvoir et autorité pour écarter les malfaiteurs et les empêcher de nuire aux hommes de bien et aux innocents. Or ce qui est nécessaire au gouvernement et à la protection du monde est de droit naturel : c’est précisément cette raison qui montre que l’État a, en vertu du droit naturel, le pouvoir de punir et de châtier ses propres citoyens quand ils lui portent préjudice. Si l’État possède ce pouvoir vis-à-vis de ses sujets, le monde le possède sans aucun doute vis-à-vis de tous ceux qui lui portent préjudice et ne vivent pas humainement ; et il ne l’exerce que par l’intermédiaire des princes. Il est donc certain que les princes peuvent punir les ennemis qui commettent une injustice envers l’État et, lorsqu’une guerre a été entreprise d’une façon conforme au droit et à la justice, les ennemis sont totalement soumis au prince comme à leur juge propre. » (Leçon sur le droit de guerre, § 52).
12. Id., § 54-59.
13. Id., § 65.
14. Id., § 68.
15. Id., § 65. Le sujet peut faire confiance à l’autorité légitime mais il est des cas où l’injustice est telle que l’ignorance ne sera pas une excuse. (§ 69-75).
16. Id., § 63 et 65.
17. Id., §76-101.
18. Par exemple, « il est permis d’emmener en captivité et en esclavage les enfants et les femmes des Sarrasins ». Vitoria justifie cette pratique en disant que la guerre contre les païens est « perpétuelle » et qu’ « ils ne peuvent jamais donner satisfaction pour les injustices et les dommages qu’ils ont causés ». (§ 123).
19. Leçon sur le droit de guerre, § 127.
20. Id., § 132.
21. Id., § 133.
22. Id., § 135.
23. Id., § 136-137.
24. Id., § 134.
25. Id., § 138.
26. Id., § 139.
27. Id., § 141-142.
28. Id., § 143-145.
29. Id., § 145. Vitoria s’appuie sur Dt 20, 12-13, sur saint Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Thomas à propos de l’empire romain et sur Mt 22, 21 et Rm 13 ; 1 et 6-7 aussi à propos de l’empire romain.
30. Leçon sur le droit de guerre, § 150.
31. Id., § 152.
32. Id., § 153.

⁢c. L’influence de Vitoria

[1]

Outre la reprise de l’essentiel de la pensée de saint Augustin et de saint Thomas, on retiendra l’insistance du dominicain espagnol sur la nécessité d’assurer la paix. Ce n’est que « par contrainte et malgré soi que l’on doit en venir à l’extrémité de la guerre »[2] Et le but de cette guerre ne peut être que la paix et la sécurité.⁠[3]

Vitoria a compris que la guerre relevait de ce que nous appelons le droit international. Il s’est rendu compte que tout préjudice vis-à-vis d’un État portait préjudice aussi à la communauté internationale qui a droit de punir ce débordement par l’intermédiaire des princes. Restait, bien sûr, à organiser cette communauté universelle et à la doter d’une vraie autorité sur le monde entier. C’était la tâche des siècles à venir.

En tout cas, il insiste pour qu’on ne laisse pas la déclaration de guerre à la seule responsabilité du chef de l’État. Au contraire, il faut prendre l’avis de nombreux citoyens et se donner la peine de négocier, d’écouter l’adversaire.

Autre point remarquable dans la pensée de Vitoria : l’affirmation d’un droit à l’objection de conscience sauf dans le cas d’une conscience douteuse qui nous oblige à obéir, à nous en remettre à l’autorité. Mais ajoute-t-il, « si, en fait, la guerre a été déclarée pour une raison objectivement douteuse ou si les maux qu’elle entraîne sont supérieurs aux dommages causés ou aux avantages procurés, alors l’injustice de la guerre n’est plus douteuse mais certaine et, dans ce cas, l’objection de conscience n’est pas seulement permise mais obligatoire. »[4]


1. Cf. BARBIER Maurice, op. cit., pp. LXX et svtes.
2. Leçon sur le droit de guerre, § 154.
3. M. Barbier parle d’une « œuvre de la vertu de force » : La guerre « est un moyen d’atteindre ce qu’une charité trop faible ne peut obtenir » (op. cit., p. LXXII) et il cite Emmanuel Mounier : « Dans toute la mesure où je n’ai pas assumé de servir la paix par la Charité parfaite et héroïque, je lui dois de la protéger aussi par la force, quand notre défaillance collective à l’Absolu chrétien a rendu ce recours nécessaire et tant que cette force sert la paix sans l’écraser. » (MOUNIER E., Les Chrétiens devant le Problème de la Paix, Œuvres, 1961, t. 1, p. 800 ; cité in BARBIER, op. cit., p. LXXI).
4. BARBIER Maurice, op. cit., p. LXXV.