Pour affiner sa position, saint Augustin s’est bien sûr inspiré des
textes de la Bible, des récits de guerre si nombreux dans l’Ancien
Testament et de l’exigence de paix clairement affirmée dans
les Béatitudes. Il s’est servi aussi, comme nous l’avons déjà vu, de la
pensée païenne quand elle se réfère à la loi naturelle.
Saint Augustin cite notamment des extraits perdus du troisième livre du
traité de la République de Cicéron où l’auteur « soutient qu’une sage
république n’entreprend jamais de guerre, hormis pour le devoir et le
salut » et déclare que « toutes les guerres entreprises sans motif
sont injustes ». « Cicéron,
écrit-il encore, s’applique à réfuter cette opinion que l’injustice
est nécessaire au gouvernement de l’État. Bien au contraire, conclut-il,
la République ne fleurit et ne prospère que par la justice. Les actes de
l’État n’échappent pas à la loi morale, ils doivent respecter toujours
la loi naturelle. Pour être
permise, la guerre doit être juste. »
Les idées de Cicéron, nous les retrouvons développées dans le De
officiis où il présente les
« règles morales à observer même envers ceux qui nous ont fait du
tort » car « il y a une mesure à garder dans la vengeance et le
châtiment et je ne sais s’il ne suffit pas d’amener le coupable à
regretter l’injustice qu’il a commise de telle façon qu’il n’y retombe
pas et que les autres y soient moins enclins. Quand il s’agit des
affaires de l’État, il faut observer très rigoureusement les lois de la
guerre. » Pourquoi cette retenue ? Comment justifie-t-il cet appel à la
modération ? « Il y a en effet, explique-t-il, deux façons de lutter
: on défend sa cause par la parole ou l’on use de la force ; l’un de ces
moyens est propre à l’homme, l’autre aux bêtes et l’on y a recours quand
on ne peut employer le premier. C’est donc pour vivre en paix sans
injustice qu’il faut entreprendre une guerre. » La guerre « pour
l’empire et pour la gloire » doit avoir de « justes motifs ». Elle n’a donc
comme cause légitime qu’une injustice subie et, comme but, la paix mais
pas n’importe quelle paix à n’importe quel prix : « on doit toujours
avoir en vue une paix qui n’expose aucun des adversaires à tomber dans
un piège ».
Cicéron insiste sur le respect de l’adversaire. Tout d’abord, « une
guerre ne peut être juste si elle n’a pas été précédée d’une réclamation
en forme ou d’une dénonciation et d’une déclaration. » Cicéron ensuite
se réjouit qu’on ait perdu l’usage de désigner l’ennemi par un
vocabulaire trop rude : « on a donné le nom de « hostis » à celui qui
précédemment s’appelait « perduellis », comme pour atténuer par une
désignation plus humaine ce que la condition d’ennemi a d’affreux. Ce
mot de « hostis » en effet s’appliquait au temps de nos ancêtres à ceux
que nous appelons « étrangers ». (…) Quel adoucissement ajouter à
celui dont témoigne le fait de donner pareille appellation à ceux qui
sont nos adversaires dans une guerre ? Il est vrai que par l’usage ce mot
a acquis un sens plus fort : il a cessé de s’appliquer à l’étranger et
s’emploie pour désigner celui qui porte les armes contre la
cité. » Enfin une fois « la victoire acquise, on doit laisser
vivre les adversaires qui, pendant la durée des hostilités, n’ont pas
montré de cruauté, pas offensé l’humanité. » « Il faut penser aussi au salut de ceux
qu’on a vaincus, recevoir en grâce tous ceux qui s’en remettent à la
loyauté du général victorieux, même si le bélier a battu les murs de
leur cité. Cette forme de la justice a été en si grand honneur parmi nos
ancêtres que des cités, des nations vaincues sont devenues les clientes
de leurs propres vainqueurs. Et les lois de la guerre ont trouvé dans le
code fécialune consécration
religieuse. » De plus, « si, en raison de circonstances
particulières, quelqu’un a fait à l’ennemi une promesse, il doit la
tenir loyalement »
Telle est la sagesse des Anciens. Reste à la confronter aux
enseignements des Écritures où l’Ancien Testament regorge de récits
guerriers alors que le Nouveau peut paraître pacifiste.
« On définit ordinairement les guerres justes, écrit-il, celles qui
ont pour objet de venger des injures, soit que la ville ou la nation
qu’on attaque, ait négligé de réparer les injustices commises par les
siens, soit qu’elle n’ait pas rendu ce qui a été pris injustement. Il
est évident qu’on doit aussi considérer comme une guerre juste, celle
que Dieu commande : car il n’y a pas d’iniquité en lui, et il sait ce
qu’il convient de faire à chacun (Rm 9, 14). (…) Dans une guerre de ce
genre, le chef de l’armée et le peuple lui-même sont moins les acteurs
de la guerre que les exécuteurs des desseins de
Dieu »
Cette réflexion justifie-t-elle les guerres de religion ? On peut
répondre non puisqu’il nous demande de considérer « aussi les temps du
Nouveau Testament, lorsqu’il a fallu non plus seulement garder au cœur
la douceur de la charité, mais la mettre en lumière, lorsque le glaive
de Pierre a été remis au fourreau par le commandement du Christ, afin de
montrer qu’il ne fallait pas tirer l’épée pour le Christ
lui-même ». Dieu, en effet, après avoir élu un peuple
inséré dans les réalités de son temps, « élit » toute l’humanité.
Mais n’y a-t-il pas contradiction ou du moins exception quand on lit
cette remarque qu’Augustin fonde sur Lc 14, 15-24 : « Si nous voulons nous en tenir à la vérité, nous
reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies contre
l’Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l’Église du
Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir
persécution pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir
persécution pour l’iniquité. L’Église persécute par amour et les
impies par cruauté. »
Ce passage isolé du contexte historique et de l’ensemble de la lettre
dont il est extrait peut être utilisé dangereusement. Il vaut donc la peine
de s’y arrêter.
Notons tout d’abord qu’Augustin ne réclama jamais la coercition du
pouvoir contre les Juifs dont il respectait la liberté de culte, ni
contre les païens même s’il approuvait les lois interdisant le culte des
idoles, ni contre les manichéens avec lesquels il débattait.
Cette coercition, il s’y résout face à la crise donatiste. Devant les excès des donatistes, « leurs
insultes », « leurs agressions », « leurs
brigandages »,
« quelle doit être la conduite de la charité ? » se demande Augustin,
« que doit donc faire l’amour fraternel ? ». Au départ, explique
Augustin, « nous pensions que, malgré la rage de ce parti, il ne
fallait pas demander aux empereurs la destruction de l’hérésie en
prononçant des peines contre les adhérents. (…) Plusieurs de mes
frères et moi-même pensions que, malgré la rage de ce parti, il ne
fallait pas demander aux empereurs la destruction de l’hérésie en
prononçant des peines contre les adhérents ; il nous semblait qu’il
suffisait de protéger contre ses violences ceux qui annonceraient la foi
catholique par des discours ou des lectures. Nous étions d’avis que cela
pouvait se faire à l’aide de la loi de Théodose, de très pieuse mémoire,
contre tous les hérétiques ; cette loi condamne tout évêque ou clerc non
catholique, en quelque lieu qu’on le trouve, à une amende de dix livres
d’or ; nous désirions qu’on l’appliquât plus expressément aux donatistes
qui prétendaient n’être pas hérétiques ; et toutefois nous ne voulions
pas les soumettre tous à cette peine ; seulement dans chaque pays où
l’Église catholique aurait eu à souffrir de la part de leurs clercs, de
leurs circoncellions ou de leurs peuples, les évêques ou d’autres
ministres de ce parti, sur la plainte des catholiques, auraient été
condamnés par les magistrats au paiement de l’amende. Cette menace les
aurait empêchés de rien entreprendre ; il nous paraissait qu’on pourrait
ainsi prêcher et pratiquer librement la vérité catholique ; chacun
aurait été libre de la suivre sans obéir à aucun sentiment de crainte et
nous n’aurions pas eu des catholiques faux et simulés. » Malgré des
frères « avancés en âge » qui pensaient autrement parce qu’ils avaient
constaté l’efficacité des anciennes lois impériales « qui forçaient à
rentrer dans l’unité », le concile de Carthage du 26 juin 404 se rallia
à la thèse défendue par Augustin.
Il le confirme dans une autre lettre : « …mon premier sentiment était
de ne contraindre personne à l’unité du christianisme, mais d’agir par
la parole, de combattre par la discussion, de vaincre par la raison, de
peur de changer en catholiques dissimulés ceux qu’auparavant nous
savions être ouvertement hérétiques. Ce ne sont pas des paroles de
contradiction, mais des exemples de démonstration qui ont triomphé de
cette première opinion que j’avais. On m’opposait d’abord ma propre
ville qui appartenait tout entière au parti de Donat, et s’est convertie
à l’unité catholique par la crainte des lois impériales ; nous la voyons
aujourd’hui détester si fortement votre funeste opiniâtreté qu’on
croirait qu’il n’y en a jamais eu dans son sein. Il en a été ainsi de
beaucoup d’autres villes dont on me citait les noms, et je reconnais
qu’ici encore pouvaient fort bien s’appliquer ces paroles : « Donnez au
sage l’occasion et il se fera plus sage » (Pr 9, 9). Combien en effet,
nous en avons les preuves certaines, frappés depuis longtemps de la
vérité, voulaient être catholiques, et différaient de jour en jour parce
qu’ils redoutaient les violences de ceux de leur
parti ! » Les faits donc lui montrent
que sa politique de dialogue ne porte pas les fruits escomptés. Le
climat d’insécurité croissant, l’urgence de rétablir l’unité de l’empire
menacé poussent Augustin à recourir à la coercition. Son attitude pleine
de mansuétude se heurte à des « beaucoup d’âmes perverses et froides ».
De plus, quelques évêques « qui avaient eu beaucoup à souffrir (…) et
avaient même été expulsés de leurs sièges », avaient déposé « des
plaintes graves ». Enfin, l’évêque de Bagaïe, Maximien, qui avait eu à
souffrir, comme d’autres, d’ « horribles
violences » et avait été laissé pour mort après une agression, demanda
du secours à l’empereur « moins pour venger sa cause que pour défendre
l’Église confiée à ses soins. S’il n’eût pas fait cela, il n’eût pas
mérité des éloges pour sa patience, mais il eût mérité le blâme pour sa
négligence. » Dès lors, et à l’instar des
Paul qui avait invoqué les lois romaines et demandé le secours du païen
César, « un religieux et pieux empereur, ayant pris connaissance de
tant d’actes détestables, a mieux aimé attaquer une erreur impie par des
lois et ramener à l’unité catholique par la crainte et la force ceux qui
portaient contre le Christ l’étendard du Christ, que de se borner à
réprimer des violences et de laisser à chacun la liberté d’errer et de
périr. »
Reste à Augustin la tâche de justifier théologiquement ce recours à la
force.
Pour lui, la persécution exercée par l’Église n’est pas de même nature
que celle à laquelle se livrent les donatistes. En effet, l’Église
« veut ramener, les autres veulent détruire ; elle veut tirer de
l’erreur, et les autres y précipitent. L’Église poursuit ses ennemis et
ne les lâche pas jusqu’à ce que le mensonge périsse en eux et que la
vérité triomphe ; quant aux donatistes, ils rendent le mal pour le
bien ; pendant que nous travaillons à leur procurer le salut éternel,
ils s’efforcent de nous ôter le salut même temporel ; ils ont un si
grand goût pour les homicides, qu’ils se tuent eux-mêmes lorsqu’ils ne
peuvent tuer les autres.
Tandis que la charité de l’Église met tout en œuvre pour les délivrer de
cette perdition afin que nul d’entre eux ne périsse, leur fureur cherche
à nous tuer pour assouvir leur passion de meurtre, ou à se tuer
eux-mêmes, de peur de paraître se dessaisir du droit qu’ils s’arrogent
de tuer les hommes. »
L’Église « souhaite ardemment que tous vivent, mais elle travaille
encore plus pour empêcher que tous ne périssent ». « Il vaut mieux
(qui en doute ?) amener par l’instruction les hommes au culte de Dieu
que de les y pousser par la crainte de la punition ou par la douleur ;
mais parce qu’il y a des hommes plus accessibles à la vérité, il ne faut
pas négliger ceux qui ne sont pas tels. (…) ; les meilleurs sont ceux
qu’on mène avec le sentiment, mais c’est la crainte qui corrige le plus
grand nombre. » Augustin trouve à cette idée quelque soutien dans le
livre des Proverbes mais
aussi dans la vie de Paul « renversé par terre » : « le Christ le
force, puis l’instruit, il le frappe, et puis le console ». Pour
Augustin, « il faut admirer comment celui qu’une punition corporelle a
contraint d’entrer dans l’Évangile a fait plus pour l’Évangile que tous
ceux qui ont été appelés par la parole seule du Sauveur : celui qu’une crainte plus grande pousse vers la charité
met dehors toute crainte pour la perfection même de cette charité. »
Ainsi, « plusieurs, comme de mauvais serviteurs et en quelque sorte de
méchants fugitifs, sont ramenés à leur Seigneur par le fouet des
douleurs temporelles. (…) Pourquoi l’Église ne forcerait-elle pas au
retour les enfants qu’elle a perdus, puisque ces enfants perdus forcent
les autres à périr ? Si, au moyen de lois terribles, mais salutaires,
elle retrouve ceux qui n’ont été que séduits, cette pieuse mère leur
réserve de plus doux embrassements et se réjouit de ceux-ci beaucoup
plus que de ceux qu’elle n’avait jamais perdus. Le devoir du pasteur
n’est-il pas de ramener à la bergerie du maître, non seulement les
brebis violemment arrachées, mais même celles que des mains douces et
caressantes ont enlevées au troupeau, et, si elles viennent à résister,
ne doit-il pas employer les coups et même les douleurs ? » Augustin
cite 2 Cor 10, 6 : « …nous nous tenons prêts à punir toute
désobéissance dès que votre obéissance sera totale. » A la lumière de
cette citation, il explique Lc 14, 16-24 : « …si par la puissance
qu’elle a reçue de la faveur divine et au temps voulu, au moyen de la
piété et de la foi des rois, l’Église force d’entrer ceux que l’on
rencontre le long des chemins et des haies, c’est-à-dire dans les
hérésies et les schismes, ceux-ci ne doivent pas se plaindre d’être
contraints, mais ils doivent faire attention à quoi on les contraint. Le
festin du Seigneur c’est l’unité du corps du Christ, non seulement dans
le sacrement de l’autel, mais encore dans le lien de la paix. Nous
pouvons assurément dire des donatistes en toute vérité qu’ils ne forcent
personne au bien, car lorsqu’ils forcent c’est toujours au mal. (…)
Quiconque pense qu’en de telles extrémités l’Église aurait dû tout
souffrir plutôt que de demander le secours de Dieu par les empereurs
chrétiens, réfléchit peu à l’impossibilité de donner de bonnes raisons
pour justifier une semblable négligence. Ceux qui ne veulent pas que des
lois justes soient établies contre leurs impiétés, nous disent que les
apôtres ne demandèrent rien de pareil aux rois de la terre ; ils ne font
pas attention que c’était alors un autre temps que celui où nous sommes,
et que tout vient en son temps. » Les rois de l’Ancien Testament lui
inspirent cette conviction : « Comment donc les rois
servent-ils le Seigneur avec crainte, si ce n’est en empêchant ou en
punissant, par une sévérité religieuse, ce qui se fait contre les
commandements du Seigneur ? On ne sert pas Dieu de la même manière comme
homme, et de la même manière comme roi ; comme homme, on sert Dieu par
une vie fidèle ; mais comme roi, on le sert en faisant des lois, avec
une vigueur convenable, pour ordonner ce qui est juste et empêcher ce
qui ne l’est pas. »
La contrainte des lois peut entraîner des conversions simulées. Mais
Augustin est optimiste car, nous dit-il, « un grand nombre (…) à
force d’entendre prêcher la vérité (…) revinrent
sincèrement. »
Envisage-t-il la contrainte jusqu’à la peine capitale ? Théoriquement,
elle est envisageable : « Qui de nous veut qu’un seul d’entre eux
périsse ou même qu’il perde quoi que ce soit ? Mais si la maison de
David ne put pas avoir la paix sans la mort d’Absalon qui avait déclaré
la guerre à son père, malgré tout le soin du roi à ordonner qu’on lui
rendît, autant que possible, vivant et sauf ce fils à qui son paternel
amour réservait le pardon, que fit David ? Il ne lui resta plus qu’à
pleurer le fils qu’il avait perdu, et à chercher le rétablissement de la
paix de son royaume une consolation à sa douleur. » Et donc « si l’Église en retrouve un grand nombre en en
perdant quelques-uns, et ce n’est pas dans une guerre qu’elle les perd,
comme David perdit Absalon, c’est d’une mort volontaire que ceux-ci
périssent, elle adoucit ou guérit la douleur de son cœur maternel, par
la pensée que tant de peuples sont délivrés. » Néanmoins, il écrivit à Marcellin : « Quelle que soit
l’énormité des crimes avoués par les coupables, épargnez-leur la peine
de mort ; je vous le demande, pour le repos de notre conscience, et pour
mieux montrer aux hommes la mansuétude catholique. L’avantage que nous
tirons de l’aveu des criminels est de procurer à l’Église catholique
l’occasion de signaler sa douceur envers ses plus grands ennemis (…)
Si quelques-uns des nôtres, indignés de l’atrocité de leurs crimes,
vous accusent de relâchement et de négligence, une fois cette
indignation, qui est la suite ordinaire des faits récents, apaisée, on
reconnaîtra toute l’étendue de votre bonté. »
En tout cas, le pardon est toujours offert aux repentis : « qu’ils
détestent donc leur erreur passée avec une aussi amère douleur que
Pierre détesta son lâche mensonge, et qu’ils reviennent à la véritable
Église du Christ, c’est-à-dire à l’Église catholique leur mère ; qu’ils
y soient clercs, qu’ils y soient de bons évêques, ceux qui auparavant
s’étaient si cruellement armés contre elle. Nous n’en sommes point
jaloux, mais plutôt nous les embrassons, nous les souhaitons, nous les
exhortons, et ceux que nous trouvons le long des chemins et des haies,
nous les forçons d’entrer, quoiqu’il s’en rencontre parmi eux à qui nous
ne puissions pas persuader que ce n’est pas leurs biens que nous
cherchons, mais eux-mêmes. (…) qu’ils viennent ; que la paix se fasse
dans la forteresse de Jérusalem, c’est-à-dire dans la charité
(…) ». L’amour, en effet, doit toujours
l’emporter. Le chrétien ne peut être tout entier à la colère, à la
sévérité, à la punition : « Le cœur ne doit (…) jamais oublier ces
préceptes de patience, et la bienveillance doit être toujours entière
dans la volonté, pour empêcher qu’on ne rende le mal pour le mal.
Toutefois il arrive souvent qu’il faut employer contre les résistances
une certaine sévérité qui a son principe dans le désir du bien ; on
consulte alors non pas la volonté, mais l’intérêt de ceux qu’on punit :
cette conduite a été fort bien louée dans un chef de république par les
auteurs païens. Quelque rude que soit la correction infligée à un fils,
l’amour paternel est toujours là. C’est en faisant ce qu’il ne veut pas
et ce qui est une souffrance, qu’on cherche à le guérir par la douleur.
Ainsi donc, si les sociétés politiques gardaient ces préceptes
chrétiens, les guerres elles-mêmes ne se feraient pas sans une certaine
bonté, et les vaincus seraient plus aisément ramenés à la paix sociale
qui repose sur la piété et la justice. (…) Il faudrait même, si
c’était possible, que les gens de bien fissent miséricordieusement la
guerre pour dompter de licencieuses cupidités et détruire des vices que
l’autorité publique devrait extirper ou réprimer. »
Après cette importante mise au point, revenons à la question de la
guerre proprement dite.