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iii. Les Pères de l’Église

[1]

Les Pères évoquent deux sortes de paix. La paix, c’est, bien sûr, l’absence de haine, de conflit et de guerre, la réconciliation donc entre les hommes mais aussi le repos, la tranquillité.
d’une part donc, il faut rechercher l’union avec les frères. Commentant la 7ème béatitude, Pierre Chrysologue⁠[2] montre les effets de la paix reçue du Seigneur : « C’est à juste titre que les vertus chrétiennes développent chez celui qui maintient la paix chrétienne entre tous ; et l’on n’obtient le titre de fils de Dieu que si l’on mérite le nom d’artisan de paix. La paix […] est ce qui débarrasse l’homme de l’esclavage, fait de lui un homme libre, transforme sa condition personnelle aux yeux de Dieu, fait d’un serviteur un fils, d’un esclave un homme libre. La paix entre frères est ce que Dieu veut, ce qui réjouit le Christ, ce qui accomplit la sainteté, ce qui règle la justice, ce qui enseigne la doctrine, ce qui protège les mœurs, bref c’est en toutes choses une conduite digne d’éloges. La paix fait exaucer nos prières, elle ouvre une route facile et praticable à nos supplications, elle accomplit parfaitement tous nos désirs. La paix est la m ère de la charité, le lien de la concorde, le signe évident d’une âme pure, qui peut réclamer à Dieu tout ce qu’elle veut ; car elle demande tout ce qu’elle veut et elle reçoit tout ce qu’elle demande. […] Planter les racines de la paix, c’est l’œuvre de Dieu ; arracher entièrement la paix, c’est le travail de l’ennemi. Car, de même que l’amour fraternel vient de Dieu, ainsi la haine vient du démon ; c’est pourquoi il faut condamner la haine contre son frère, car il est écrit : « Tout homme qui a de la haine contre son frère est un meurtrier »[3]. Vous voyez […] pourquoi il faut aimer la paix et chérir la concorde : ce sont elles qui engendrent et nourrissent la charité. […] Il faut donc que tous nos désirs s’attachent à l’amour, car il peut obtenir tous les bienfaits et toutes les récompenses. Il faut garder la paix plus que toutes les autres vertus, parce que Dieu est toujours dans la paix. […] Aimez la paix, et tout sera dans le calme : afin que vous obteniez pour nous la récompense et pour vous la joie, afin que l’Église de Dieu, fondée sur l’unité de la paix, mène une vie parfaite dans le Christ. »[4]

La paix doit assurer l’union entre les frères et d’autre part, elle permet, dans le repos de l’âme et du corps, la rencontre avec le Seigneur, comme l’évoque saint Macaire⁠[5] : « Ceux qui s’approchent du Seigneur doivent s’adonner à la prière en grand repos, calmes et apaisés et non point par des cris inconvenants et confus. C’est le labeur de notre cœur, c’est la sobriété de nos pensées qui nous permettent d’approcher du Seigneur. Il ne convient pas à un serviteur de Dieu de s’établir dans l’agitation, mais dans une grande douceur et sagesse comme dit le Prophète : « Vers qui jetterai-je les yeux, c’est vers le doux et le paisible qui tremble à mes paroles. »[6] Aux temps de Moïse et d’Elie, nous trouvons que, dans leur rencontre avec Dieu, la manifestation du Seigneur était précédée du ministère des trompettes et des puissances mais le Seigneur n’était point là et sa présence se manifestait dans le repos, la paix et la tranquillité du cœur. « Voici, dit l’Écriture, la voix d’une brise légère, en elle était le Seigneur. »[7] Il est clair que le repos du Seigneur est dans un cœur paisible et tranquille. Il reste que le fondement

Posé par l’homme dès le début, et le départ qu’il a pris le marquent jusqu’à la fin. A-t-il commencé à prier avec cris et agitation, jusqu’à la fin il gardera une telle habitude. Mais le Seigneur qui aime les hommes, à celui-là aussi donnera son secours. »[8]

Méditant la parole de Paul : « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un… »[9], Grégoire de Nysse⁠[10] écrit :  « Puisque nous comprenons ainsi que le Christ est notre paix, nous montrerons quelle est la véritable définition du chrétien si, par cette paix qui est en nous, nous montrons le Christ dans notre vie. En sa personne, il a tué la haine, comme dit l’Apôtre. Ne la faisons donc pas revivre en nous, mais montrons par notre vie qu’elle est bien morte. Puisqu’elle a été magnifiquement tuée par Dieu pour notre salut, ne la ressuscitons pas pour la perte de nos âmes ; en cédant à la colère et au souvenir des injures, n’ayons pas le tort d’accomplir la résurrection de celle qui a été magnifiquement mise à mort.

Mais puisque nous avons le Christ, qui est la paix, à notre tour tuons en nous la haine, afin de réussir dans notre vie ce que notre foi nous montre réalisé en lui : il a fait tomber le mur qui séparait les deux peuples, il a créé en lui-même un seul homme nouveau, et il a établi la paix. De même nous : amenons à la réconciliation non seulement ceux qui nous font la guerre à l’extérieur, mais encore ceux qui soulèvent des contestations en nous-mêmes ; que la chair n’oppose plus ses désirs à ceux de l’esprit, que l’esprit ne s’oppose plus à la chair ; mais, la prudence charnelle étant soumise à la loi de Dieu, soyons en paix en nous-mêmes pour édifier, à partir de cette double réalité, l’homme nouveau, unifié et pacifié.

Telle est en effet la définition de la paix : l’harmonie de ceux qui étaient désunis. Aussi, lorsque s’arrête la guerre civile qui règne dans notre nature et que nous établissons la paix en nous, à notre tour nous devenons en nous-mêmes paix, et nous montrons que cette appellation donnée au Christ s’applique véritablement à nous. »[11]

Paix en nous, paix avec les autres, paix avec Dieu et tout naturellement, pourrait-on dire, paix en Dieu au bout du chemin. Saint Augustin nous explique ainsi le terme de notre existence : « …il est dit que Dieu s’est reposé parce qu’il n’a plus tiré du néant aucune créature nouvelle une fois que tout a été fait. L’Écriture parle alors de repos pour nous avertir que nous nous reposerons après nos œuvres bonnes. Si nous trouvons en effet écrit dans la Genèse : Dieu fit toutes choses très bonnes et Dieu se reposa le septième jour, c’est pour toi, ô homme, en remarquant que Dieu lui-même s’est reposé après des œuvres bonnes, tu n’espères ton repos qu’après avoir fait des œuvres bonnes et pour qu’à l’exemple de Dieu, qui s’est reposé le septième jour après avoir, le sixième jour, créé l’homme à son image et ressemblance et mis le sceau de la perfection sur toutes ses œuvres qui étaient très bonnes, tu n’espères le repos pour toi qu’après être revenu à la ressemblance à laquelle tu as été créé et que tu as perdue par le péché. »[12] Le repos final, la paix ultime culmine dans la joie puisqu’alors nous verrons Dieu : « …on louera Dieu sans fatigue et sans relâche, l’esprit ne connaîtra nul dégoût, le corps nulle fatigue ; il n’y aura ni indigence à craindre, ni misère à soulager chez le prochain. Dieu sera délice, rassasiement pour la sainte cité, vivant en lui et de lui, avec sagesse et béatitude. Nous deviendrons selon la promesse, comme nous l’espérons et l’attendons, « égaux aux visions de la Trinité que nous n’atteignons encore que par la foi. « Car nous croyons ce que nous ne voyons pas encore » (2 Co 5, 7), afin que le mérite de notre foi nous permette de voir un jour et de posséder ce que nous croyons actuellement. Alors, au lieu de confesser avec les mots de la foi et des syllabes qui ne sonnent qu’aux oreilles l’égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et l’unité de la Trinité, nous jouirons de cette vision ineffable, dans le silence de la plus pure et de la plus brûlante contemplation. »[13]. Saint Jean de la Croix confirme : « …en ce degré de contemplation, où l’âme renverse les raisonnements de ceux qui avancent dans la vie spirituelle, c’est Dieu qui opère en elle de telle manière, qu’il semble lier ses puissances intérieures et arrêter leur activité, ne laissant ni soutien à l’entendement, ni douceur à la volonté, ni espèces de discours à la mémoire. Car tout ce qu’elle peut faire d’elle-même en ce temps-là n’est bon qu’à troubler sa paix intérieure, et qu’à faire obstacle à l’oeuvre que Dieu fait dans l’esprit, pendant que le sens expérimente de grandes aridités ; laquelle opération, étant toute spirituelle et très-délicate, produit un effet paisible, délicat, dégagé de ces premières tendresses qui étaient si sensibles. Et c’est là sans doute cette tranquillité dont parle le prophète David : « Le Seigneur, dit-il, annoncera la paix à son peuple (Psal., LXXXIV, 9), c’est-à-dire à l’âme, afin qu’elle soit spirituelle. » »[14]

C’est en progressant dans la contemplation et dans la méditation de la parole de Dieu, que l’on progresse dans la paix et la joie. Cette progression se fait dans l’absence de mouvement et de désir. Une fois l’âme au repos dans le silence, elle peut recevoir la paix infinie de Dieu. La joie, écrit saint Thomas, « est au désir ce que le repos est au mouvement […]. Le repos est plein et parfait, quand plus rien ne reste du mouvement ; de même, la joie est pleine et entière, quand il ne reste plus rien à désirer. » C’est, bien sûr, « une fois en possession de la béatitude parfaite, [que] tout désir cesse avec la jouissance pleine et entière de Dieu, qui satisfait également « et comble de biens les désirs » (Ps 102, 5) de l’homme. » qu’en est-il dans la vie présente ? « …tant que nous sommes en ce monde, ce mouvement intérieur, qui est le désir, reste inapaisé parce que la grâce peut toujours nous rapprocher de Dieu. »[15]

Cette dernière remarque de saint Thomas est intéressante et précieuse. Si nous savons que nous devons faire la paix en nous et autour de nous, nous mettre l’âme et le corps en repos pour vivre de la paix et dans la paix de Dieu, si nous savons que la contemplation de Dieu, notre fin, se vit dans le silence et l’abandon, si nous savons que notre prière d’aujourd’hui doit se vivre ainsi, nous savons aussi que nous devons être le « sel de la terre » et que notre retraite dans le « château de l’âme »⁠[16] ne doit pas nous faire oublier le monde et la mission que nous avons à y accomplir selon notre état et notre charisme.

Un Père de l’Église comme Grégoire de Nysse propose plutôt que l’image du saint priant et contemplant dans le silence et l’immobilité, celle du saint qui ne cesse de marcher : « Le verbe, écrit-il, nous enseigne […] que celui qui désire voir Dieu voit Celui qu’il désire dans le fait même de marcher toujours à sa suite et que la contemplation de la face de Dieu, c’est la marche sans repos à sa suite, que l’on accomplit en suivant le Verbe par derrière. »[17]

Il nous faut donc marier paix et action, douceur et sel comme le décrit un bienheureux. Il se demande : « …comment la douceur, à elle seule, parviendrait-elle à rendre saint qui que ce soit alors qu’elle a été condamnée chez Héli (1 S 2, 17-36), qui par ailleurs était un saint ? » Il répond : « Frères, « ayez la pitié entre vous », nous commande le Maître pacifique et doux ; mais il précise auparavant : « Ayez du sel en vous » (Mc 9, 49). Il sait en effet que la douceur de la paix est la nourrice des vices si la rigueur du zèle ne les a pas auparavant saupoudrés du piquant du sel. Ainsi en est-il pour les viandes, qu’un temps clément fait grouiller de vers si le feu du sel ne les a pas desséchées. Ayez donc la paix entre vous, mais une paix qui soit assaisonnée du sel de la sagesse. Recherchez la douceur, mais une douceur qui brûle du zèle de la foi. »[18]

Rappelons-nous aussi que lorsque Jésus envoie les disciples en mission, il leur donne cette consigne : « En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : « Paix à cette maison ! » Et s’il y a là un fils de paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle vous reviendra. »[19] La Bible de Jérusalem explique que l’expression « fils de paix » est un hébraïsme et désigne « quelqu’un qui est digne de la « paix », c’est-à-dire de l’ensemble des biens temporels et spirituels souhaités par ce salut. »[20]

Si la paix de la salutation qui annonce celle du Seigneur ne peut être accueillie que par celui qui est déjà un « fils de la paix » et si la douceur ne peut affadir le sel mais que le sel ne peut être sans douceur, quelle sera l’attitude concrète du chrétien face à la violence ?


2. 406-450. Il fut évêque de Ravenne, déclaré docteur de l’Église par Benoît XIII en 1729.
3. 1 Jn 3, 15.
4. Homélie sur la paix, 53, 380-450.
5. Anachorète né vers 300, mort en 394.
6. Is 66, 2. La TOB traduit : « c’est vers celui-ci que je regarde : vers l’humilié, celui qui a l’esprit abattu, et qui tremble à ma parole. » Et Jérusalem : « Mais celui sur qui je porte les yeux, c’est le pauvre et l’humilié, celui qui tremble à ma parole. »
7. 1 R 19, 13.
8. Homélies spirituelles, 6.
9. Ep 2, 14-18 : « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, cette loi des préceptes et des ordonnances, pour créer en sa personne les deux en u n seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine. Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père. » Jérusalem explique (p. 1689, notes f, g, h) : Jésus a supprimé la barrière qui séparait les Juifs et les Gentils, et la loi qui faisait des Juifs un peuple privilégié séparé des païens.
10. Vers 331- vers 395.
11. Lettre à Olympios  touchant la perfection, texte disponible sur www.JesusMarie.com
12. Homélies sur l’Évangile de saint Jean, Tract. XX, 2.
13. St AUGUSTIN, De catechizandis rudibus, 47.
14. Nuit obscure, I, chap. 9. Texte disponible sur www.JesusMarie.com
15. IIa IIae, qu. 28, a 3.
16. Cf. Ste THERESE de JESUS, Le château de l’âme ou le livre des demeures, in Œuvres complètes, Seuil, 1948.
17. Homélie sur le Cantique des cantiques, Hom. XII. On peut rapprocher cette réflexion d’une idée chère au P. L.-J. Lebret pour qui  « l’action engagée par amour pour ses frères n’est pas un obstacle à l’union à Dieu ». Il explique : « Le regard se porte vers Dieu, le cœur se donne à Dieu, l’âme se fond en Dieu, se complaît en Dieu, la volonté veut ardemment le bien de Dieu ; elle se réjouit de la plénitude divine, les deux volontés se fondent dans l’unité. Mais Dieu veut le bien des hommes. Dieu a créé l’univers pour le bien des hommes et voici que les hommes ne savent pas se servir de l’univers. Les hommes ne savent pas trouver le bonheur en marchant vers Dieu. Les hommes sont des malheureux, des égarés. Leur malheur met l’âme en torture. Ils étaient faits pour le bonheur. L’âme vole au secours des malheureux, entraînant le corps dans l’action. L’action, dès lors, est pleine de Dieu. Elle va de Dieu à Dieu. L’âme, dans l’action, se nourrit de lumière divine, de vouloir divin. Dans l’action, elle trouve encore Dieu ; elle ne peut échapper à son emprise. » (in Action, marche vers Dieu, Editions ouvrières, 1967, pp. 7 et 155.
   Union à Dieu et action sont aussi au centre des préoccupations de Madeleine Delbrêl : « Par son baptême le chrétien a échangé sa liberté contre la liberté du Christ. Il est libre parce que le Christ est souverainement libre, mais il n’a plus le droit de choisir : un état de vie qui soit autre que celui du Christ, une action qui soit autre que celle du Christ, une pensée qui soit autre que celle du Christ. C’est l’état de foi vivante. La foi est pour lui un état de fait et il n’a qu’à l’accepter. Cet état de vie c’est être enfant de Dieu dans le Christ avec tous ses frères qui sont avec lui le Christ. Face à Dieu et face au monde, en Dieu et dans le monde, c’est avec tous les autres qu’il est le Christ. Il est le Christ total, le Christ-Église : c’est un état de fait sur lequel il ne peut rien. » (in Nous autres, gens des rues, Seuil, 1966, p. 107.
18. IGNY Guerric d’, 4e sermon sur st Benoît, 2. Ce bienheureux est né à Tournai entre1070-1080, mort en 1157.
19. Lc 10, 5-6 
20. P. 1498, b.

⁢a. Face à la violence

Face aux autorités qui toujours « portent le glaive », Paul et Pierre conseillent : « Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. »[1] « Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine : soit au roi, comme souverain, soit aux gouverneurs, comme employés par lui pour punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien. Car c’est la volonté de Dieu qu’en faisant le bien vous fermiez la bouche à l’ignorance des insensés. Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu. Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi. »[2] La leçon de Paul et de Pierre paraît claire mais parfaitement irénique dans la mesure où les autorités dont ils parlent sont rarement recommandables ! Néanmoins, Paul ne manque pas de rappeler que le pouvoir peut exercer son autorité d’une manière musclée pour le bien commun : « Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Fais le bien et tu recevras des éloges, car elle est au service de Dieu pour t’inciter au bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. »[3] Et pour la bonne cause d’Israël, Paul ne craint pas de rappeler la figure de quelques « violents » : « …le temps me manquerait si je racontais ce qui concerne Gédéon, Baraq, Samson, Jephté, David, ainsi que Samuel et les Prophètes, eux qui, grâce à la foi, soumirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l’accomplissement des promesses, fermèrent la gueule des lions, éteignirent la violence du feu, échappèrent au tranchant du glaive, furent rendus vigoureux, de malades qu’ils étaient, montrèrent de la vaillance à la guerre, refoulèrent les invasions étrangères. »[4]

Nous savons aussi que Paul utilise aussi un vocabulaire militaire pour parler du combat spirituel.⁠[5] S’il l’utilise on peut penser qu’il n’estime pas ces réalités mauvaises en soi. Toujours est-il que cette comparaison inspirera de nombreux auteurs par la suite. Et cela n’empêche que l’obsession de Paul sera toujours la paix spirituelle et terrestre.⁠[6]

Malgré ces quelques nuances, beaucoup de chrétiens⁠[7], dans les premiers temps de l’Église, jusqu’au IVe siècle, adoptèrent une attitude, dans l’ensemble, résolument pacifiste, confortés par quelques textes fondamentaux : « Tu ne tueras pas »[8] ; « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu »[9] ; « La paix soit avec vous »[10] ; « Bénissez ceux qui vous persécutent ; bénissez, ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure. Pleins d’une égale complaisance pour tous, sans vous complaire dans l’orgueil, attirés plutôt par ce qui est humble, ne vous complaisez pas dans votre propre sagesse. Sans rendre à personne le mal pour le mal, ayant à cœur ce qui est bien devant tous les hommes, en paix avec tous si possible, autant qu’il dépend de vous, sans vous faire justice à vous-mêmes, mes bien-aimés, laissez agir la colère ; car il est écrit : C’est moi qui ferai justice, moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Bien plutôt, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien ».⁠[11]

Ajoutons que le métier des armes répugnait aussi aux Chrétiens dans la mesure où ils devaient « rendre un culte à l’empereur et que, sur le plan des moeurs, ce métier avait une réputation assez sulfureuse. »[12]

On ne sera donc pas étonné de lire quelques mises en garde de la part de certains Pères.

Certains ont une position nette et claire mais le radicalisme que nous découvrons est peut-être dû au fait que le problème de la violence, de la guerre, de l’armée, n’est pas au centre de leurs préoccupations et n’a pas été étudié sous tous ses aspects.

Ainsi en est-il de la Didachè ou Doctrine des douze apôtres[13]. Elle reprend presque mot à mot des textes bien connus des Évangiles : « Si quelqu’un te donne une gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre et tu seras parfait : si quelqu’un te requiert pour un mille, fais-en deux avec lui » (1, 4) ; « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis » (1, 3) ; « Tu ne tueras pas » (2, 2). Ce petit livre ne parle pas de la guerre ni du soldat mais est, en somme, un appel à la paix : « Tu ne formeras pas de mauvais dessein contre ton prochain. Tu ne haïras personne, mais tu reprendras les uns, tu prieras pour les autres, d’autres encore, tu les aimeras plus que ton âme » (2, 6-7) ; « Tu ne créeras pas de dissension, mais tu réconcilieras ceux qui combattent » (4, 3).

Plus explicite mais tout aussi catégorique, le philosophe grec Aristide adresse à l’empereur Hadrien ou, plus vraisemblablement à l’empereur Antonin, vers 140, une Apologie où il affirme que les dieux grecs n’ont rien de divin puisque nombre d’entre eux sont meurtriers ou font la guerre : « Il s’en trouve parmi eux qui sont adultères et meurtriers, jaloux et envieux, se mettent en colère et en furie, tuent leurs parents, volent et pillent »[14] ; « Arès, ils le présentent comme un dieu belliqueux (…). Comment donc était-il un dieu, le guerrier, le captif, l’adultère ? »[15] ; « Puis ils introduisirent une autre Dieu, que l’on appelle Arès. On dit que c’est un guerrier (…) alors qu’il n’est pas possible qu’un dieu soit guerrier »[16] ; « Héraclès dont ils disent qu’il est un dieu (…), un guerrier et un tueur de méchants (…) alors qu’il est impossible que soit dieu un fou, un ivrogne ou le meurtrier de ses propres enfants (…) »⁠[17]. Le peuple chrétien qui marche dans la lumière du Christ ne peut vouloir la guerre alors que « les autres peuples se laissent fourvoyer et se fourvoient eux-mêmes : marchant dans les ténèbres, ils se heurtent les uns aux autres comme des hommes ivres »[18].

Certains pourraient insinuer une contradiction dans la pensée d’Aristide en faisant remarquer qu’en citant le décalogue, il ne rappelle pas l’injonction « tu ne tueras point ». Mais en relisant ce passage, on se rend compte que sa formulation exclut le meurtre : les chrétiens « reconnaissent en effet le Dieu créateur et artisan de toutes choses en son Fils unique et en l’Esprit Saint, et ils ne vénèrent pas d’autre Dieu que lui. (…) Ils ne commettent pas d’adultère, ils ne se prostituent pas, ils ne portent pas de faux témoignages, ils ne convoitent pas les biens d’autrui, ils honorent leur père et leur mère, ils aiment leur prochain, ils jugent avec droiture, ils ne font pas à autrui ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse, ils réconfortent ceux qui leur nuisent et s’en font des amis, ils s’efforcent de rendre service à leurs ennemis, ils sont doux et indulgents, ils s’abstiennent de toute fréquentation illégitime et de toute impureté, ils ne méprisent pas la veuve, n’accablent pas l’orphelin ; celui qui possède donne sans parcimonie à celui qui ne possède pas ; s’ils voient un étranger, ils l’introduisent sous leur toit et ils se réjouissent de sa (présence) comme (de celle) d’un véritable frère »[19]. Il est clair que, sans reprendre textuellement le cinquième commandement, Aristide exclut toute violence ne fût-ce qu’en écrivant des chrétiens qu’ « ils ne font pas à autrui ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse ».

Saint Irénée⁠[20]décrit ainsi les chrétiens: « La parole de Dieu a accompli dans le monde une grande transformation, changeant les glaives et les lances en instruments de paix, en charrues, que lui-même a fabriquées, et en faucilles, si bien que les hommes ne songent plus à se battre, mais tendent l’autre joue quand ils sont souffletés. »[21]

Le jugement de Cyprien de Carthage⁠[22]est tranchant : « L’univers ruisselle d’un sang fraternel et l’homicide pratiqué par de simples particuliers est un crime ; on l’appelle action valeureuse quand on l’accomplit au nom de l’État. Pour l’impunité, ce n’est pas la considération de l’innocence qui l’obtient aux forfaits mais l’étendue de la cruauté. »⁠[23]

De même, Hippolyte de Rome⁠[24], attaché à l’idée qu’un chrétien ne peut tuer, a une position très ferme : « A un soldat qui se trouve près d’un gouverneur, qu’on dise de ne pas mettre à mort. S’il en reçoit l’ordre, qu’il ne le fasse pas. S’il n’accepte pas, qu’on le renvoie. Que celui qui possède le pouvoir du glaive ou le magistrat d’une cité, qui porte la pourpre, cesse ou qu’on le renvoie. Si un catéchumène ou un fidèle veut se faire soldat, qu’on le renvoie, car il a méprisé Dieu »[25]

Persuadé que le retour du Christ est imminent et qu’il va établir la paix universelle, Lactance⁠[26] parle nettement. Dans tous les cas, la guerre est à rejeter car elle tue : « Il n’est pas permis au juste de porter les armes ; sa milice à lui, c’est la justice ; il ne lui est même pas permis de porter contre quelqu’un une accusation capitale : il importe peu, en effet, que l’on tue par le fer ou la parole, car ce qui est défendu, c’est de tuer. Il n’y a pas la moindre exception à faire au précepte divin : tuer un homme est toujours un acte criminel. »[27]

Un peu plus développée mais toujours négative est l’opinion d’Hermas⁠[28], le frère du Pape Pie Ier. Il emploie des images militaires, comme saint Paul : « Quant à toi, revêts-toi du désir de justice et cuirassé de la crainte du Seigneur, résiste-leur ; car la crainte de Dieu habite dans le bon désir. Le désir mauvais, s’il te voit cuirassé de la crainte de Dieu et offrant de la résistance, fuira loin de toi et tu ne le verras plus : il craindra les armes. Et toi vainqueur et couronné pour sa défaite »[29]. Dans la liste des mauvaises actions qu’il cite, on ne trouve pas l’homicide⁠[30] mais ce sont les mauvaises actions que Jean Baptiste interdit aux soldats : « Des soldats aussi l’interrogeaient en disant : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « Ne molestez personne, n’extorquez rien, et contentez-vous de votre solde. » »[31]. De plus, les bonnes actions recommandées excluent la guerre et même le métier de soldat : « Ecoute (…) les œuvres du bien qu’il te faut accomplir et non éviter (…) La foi, la crainte du Seigneur, la charité, la concorde, la parole de justice, la vérité, la résignation (…) Assister les veuves, visiter les orphelins et les indigents, racheter de l’esclavage les serviteurs de Dieu, être hospitalier (…), ne s’opposer à personne, être calme, se faire l’inférieur de tout le monde, honorer les vieillards, pratiquer la justice, garder la fraternité, supporter la violence, être patient, n’avoir pas de rancune, consoler les âmes affligées, ne pas rejeter ceux qui sont inquiets dans leur foi (…) et autres actions semblables »[32]. Enfin, il recommande de garder tous les commandements du Seigneur : « Crains le Seigneur, et garde ses commandements. En gardant les commandements de Dieu, tu seras fort en toute action »[33]. Et cette force n’est pas la violence au sens habituel du terme, au contraire, elle sert la paix : « « Vous, vous avez rejeté votre mollesse et la force vous est revenue et vous vous êtes affermis dans la foi. En voyant votre force, le Seigneur s’est réjoui : c’est pourquoi il vous a montré la construction de la tour et il vous fera d’autres révélations, si du fond du cœur vous faites la paix entre vous »[34]. Le démon, lui, « ne se plaît que dans la discorde »[35]. Et face à l’injustice, que faire ? « Sois patient et prudent, et tu triompheras de toutes les turpitudes et tu réaliseras toute justice »[36] ; « Ecoute quels sont les effets de la colère, comment elle est mauvaise, comment par sa puissance elle pervertit les serviteurs de Dieu, comment elle les détourne de la justice »[37] ; « Il y a deux anges avec l’homme : l’un de justice, l’autre du mal (…) L’ange de justice est délicat, modeste, doux, calme »[38].

Une nuance intéressante apparaît avec Clément d’Alexandrie⁠[39]. d’une part, il considère la guerre comme une manifestation du démon. En effet, écrit-il, « c’est lui qui pour les mortels du bien fait sortir le mal, et la guerre qui glace d’effroi, et les souffrances avec les larmes »[40]. Mais, dans son Protreptique, il semble dire que le soldat qui se convertit peut continuer à exercer son métier à condition de suivre un chef juste : « La foi chrétienne t’a saisi sous les armes guerrières, écoute le capitaine dont le mot de ralliement est la justice »[41]. Cette note, nous le verrons, va prendre beaucoup d’importance par la suite.

Durant cette première période, deux auteurs se distinguent sur le sujet qui nous préoccupe dans la mesure où ils ont réfléchi précisément à la présence éventuelle de chrétiens dans l’armée. Il s’agit de Tertullien et d’Origène.

A l’époque de Tertullien⁠[42], des chrétiens servent dans l’armée. Il en témoigne⁠[43]. La question se pose de savoir si ces soldats étaient chrétiens avant d’entrer dans l’armée ou s’ils se sont convertis après leur incorporation.

A propos des chrétiens qui désirent entrer dans l’armée, Tertullien tout en reconnaissant qu’« il est vrai que les soldats se rendirent auprès de Jean et reçurent de sa bouche la règle qu’il fallait observer [et qu’] il est bien vrai que le centurion eut la foi » ajoute immédiatement,  « toujours est-il que le Seigneur, en désarmant Pierre, a désarmé tous les soldats. Rien de ce qui sert à un acte illicite n’est licite chez nous. »[44] Pour Tertullien, toute profession qui expose à l’idolâtrie et, en particulier, au culte de l’empereur est inacceptable⁠[45]. « Croyez-vous qu’on puisse ajouter un serment humain au serment divin ? se donner un autre maître après s’être donné au Christ ? (…) Est-il permis de vivre l’épée au côté, alors que le Seigneur déclare que celui qui se servira de l’épée périra par l’épée ? Et le fils de paix ira-t-il au combat, lui à qui est interdit même la dispute ? Et fera-t-il souffrir à autrui les liens, la prison, la torture, les supplices, lui qui ne venge même pas ses injures ? Puis montera-t-il la garde pour d’autres que pour le Christ, surtout le dimanche, jour où il ne peut le faire même pour le Christ ? Veillera-t-il sur ces temples auxquels il a renoncé ? Soupera-t-il dans ces lieux où l’Apôtre interdit de le faire ? Et ces démons qu’il aura mis en fuite pendant le jour par ses exorcismes, les défendra-t-il la nuit, s’appuyant et se reposant sur cette lance qui a percé le flanc du Christ ? Portera-t-il un étendard qui est l’ennemi du Christ ? Ayant reçu de Dieu une enseigne, va-t-il en demander une autre à César ? Se fera-t-il incinérer selon l’usage des camps, lui à qui la crémation est interdite ? »[46]

Quant aux soldats qui se convertissent, il vaudrait mieux certes qu’ils abandonnent le métier des armes car « jamais le chrétien n’est autre que chrétien, en quelque part qu’il soit : autre chose est de ceux qui étaient soldats avant d’être chrétiens, comme ceux que saint Jean baptisait, et le très fidèle centurion que Jésus-Christ approuve, et que Pierre catéchise, pourvu qu’après avoir reçu la foi et s’être souscrit à celle-ci, on s’en départe, comme plusieurs ont fait, ou bien qu’on prenne bien garde de ne commettre contre Dieu des choses qui ne sont pas même permises par les lois militaires, voire même de souffrir à l’extrémité pour l’amour de Dieu ce que la foi païenne commande, car l’état militaire ne permet ni impunité de forfaits ni impunité de martyre. »[47] Le forfait, pour un chrétien, c’est de verser le sang : « Pour quelle guerre nous aurait manqué ou la force ou le courage (…) si notre foi ne nous permettait pas plutôt d’être tués que de tuer. »[48]

Est-ce à dire que la guerre ou le service des armes soit toujours illégitime ? Il ne semble pas puisqu’il écrit : « Et par nos prières incessantes, nous demandons pour les empereurs (…) des troupes vertueuses »[49]. Nous en arrivons ainsi à une position un peu curieuse puisqu’il semble accepter pour le païen ce qu’il interdit au chrétien. Un peu curieuse et, par ailleurs, un peu dangereuse car dans ce passage où il présente le chrétien comme un soldat du Christ, certains pourraient lire une justification de la guerre sainte alors qu’il ne s’agit, semble-t-il que d’une comparaison⁠[50] avec la vie du martyre : « Nous sommes appelés sous les drapeaux du Dieu vivant, dès lors que nous répondons par les mots du serment. Aucun soldat ne part au combat sans renoncer aux agréments de la vie et ce n’est pas d’une chambre à coucher qu’il sort pour se rendre en première ligne mais de tentes de campagne exigües où l’on éprouve vie à la dure, incommodités et importunités. Déjà en temps de paix, les troupes, à travers pénibilités et désagréments, apprennent à supporter par avance la guerre : elles partent en manœuvres avec leur barda, parcourent le champ de manœuvre, creusent la tranchée, et apprennent à compacter la torture. Le tout dans la sueur, pour que corps et esprit, le moment venu, ne s’effraient pas du passage de l’ombre au soleil, du temps ensoleillé au grand froid, de la tunique à la cuirasse, du silence aux cris et du repos au brouhaha. »[51]

On rapproche la pensée de Tertullien de celle d’Origène⁠[52] telle qu’elle apparaît dans son ouvrage Contre Celse[53]. On y lit le même credo pacifiste, du moins en qui concerne les chrétiens : « Nous ne levons pas plus longtemps l’épée contre une nation et nous n’apprenons pas non plus l’art de la guerre. Au lieu de suivre la tradition qui nous fait « étrangers à l’alliance », nous recevons les paroles de paix de Jésus notre fondateur. »[54] Il n’y a pas d’incompatibilité entre le métier des armes ou le recours à la force et le christianisme mais le chrétien ne peut pas faire usage de cette force tout en restant fidèle au pouvoir politique : « Plus que d’autres nous combattons pour l’empereur. Nous ne servons pas avec ses soldats, même s’il l’exige, mais nous combattons pour lui en levant une armée spéciale, celle de la piété, par les supplications que nous adressons à la divinité »[55] Il n’empêche que la guerre peut-être juste : « Peut-être même ces sortes de guerres des abeilles[56] sont-elles un enseignement, pour que les guerres parmi les hommes, si jamais il le fallait, soient justes et ordonnées. »[57] Les chrétiens, eux, participent spirituellement à la guerre : « « Ils […] luttent par des prières adressées à Dieu pour ceux qui se battent justement et pour celui qui règne justement, afin que tout ce qui est opposé et hostile à ceux qui agissent justement puisse être vaincu. De plus, nous qui par nos prières vainquons tous les démons qui suscitent les guerres, font violer les serments et troublent la paix, nous apportons à l’empereur un plus grand secours que ceux que l’on voit combattreNous qui faisons monter nos justes prières accompagnées des exercices et des pratiques qui nous enseignent à mépriser les plaisirs et à ne pas être égarés par eux, nous combattons donc pour l’empereur plus que qui que ce soit d’autre. Nous ne servons pas en tant que soldats avec lui mimais nous servons comme soldats pour lui, entraînant les pieuses troupes qui nous sont propres par le moyen de l’intercession de Dieu »[58] Si les païens peuvent s’engager dans une guerre juste au nom du droit naturel, si les Juifs ont pu, pour leur sauvegarde et mandés par Dieu, se battre contre leurs ennemis, les Chrétiens ne peuvent le faire même sous la persécution : « Nous venons, suivant les conseils de Jésus, briser les épées rationnelles de nos contestations et de nos violences pour en faire des socs de charrue et forger en faucilles les lances auparavant employées à la lutte. Car nous ne tirons plus l’épée contre aucun peuple ni ne nous entraînons à faire la guerre : nous sommes devenus enfants de la paix par Jésus. »[59] Les chrétiens forment un peuple de prêtres⁠[60] qui, par la prière et le culte, éclairés par le Verbe de Dieu, constituent une communauté en marche vers la patrie divine. Ils ne s’évadent pas du monde mais transforment le monde, ses structures et ses activités.⁠[61]

Pour terminer ce rapide panorama des opinions des Pères de l’Église sur la guerre et l’armée durant les trois premiers siècles, il faut citer deux autres Pères qui, soucieux de démontrer que les chrétiens sont des citoyens fiables, adoptent un point de vue nettement moins négatif que les autres.

L’intention de Justin de Naplouse⁠[62], dans son Apologie, est de persuader les Romains et l’empereur Antonin le Pieux particulièrement, que les chrétiens sont de bons citoyens et qu’ils ne méritent pas les persécutions dont ils sont l’objet : « Vous trouverez en nous les amis et les alliés les plus zélés de la paix »[63] ; « Nous sommes les premiers à payer les tributs et les impôts à ceux que vous préposez à cet office »[64] ; « Nous n’adorons donc que Dieu seul, mais pour le reste, nous vous obéissons volontiers, vous reconnaissant pour les rois et les chefs des peuples, et nous demandons à Dieu qu’avec la puissance souveraine, on voie en vous la sagesse et le raison »[65]. Justin ne remet en cause ni l’armée ni l’enrôlement des chrétiens. Il va même jusqu’à voir la Croix du Christ dans les étendards de l’armée : « Vous avez aussi des signes qui disent la puissance de la croix, je veux dire les étendards et les trophées qui précèdent partout vos armées. Sans que vous vous en doutiez, vous montrez que la croix est ainsi le signe de votre puissance et de votre force »[66] ; « Il est étrange que les soldats que vous enrôlez et qui s’engagent par serment sacrifient à la fidélité qu’ils vous doivent, à vous qui ne pouvez leur donner qu’une récompense corruptible, leur vie, leurs parents, leur patrie, tous leurs intérêts »[67].

A la même époque ou un peu plus tard, Athénagore⁠[68] apparaît comme favorable aux conquêtes militaires de Rome et à la soumission à l’empereur, peut-être dans l’optique paulinienne. Le chrétien est un bon citoyen respectueux de l’Empire : « Qui mériterait mieux, écrit-il à l’Empereur, d’obtenir la satisfaction de leur requête que des hommes comme nous, qui prions pour ton pouvoir souverain afin que le fils puisse suivre le père dans une juste succession de l’autorité impériale, afin que votre empire soit prospère et qu’il s’accroisse sans rébellion nulle part. Ceci est à notre profit aussi afin que nous puissions vivre une existence tranquille et paisible et que tous obéissent à ton autorité. »[69] Toutefois, il met des limites à la guerre et à l’action du prince : « Le brigand , le despote ou le tyran qui a fait périr contre le droit des milliers et des milliers de gens, ne saurait se libérer par une seule mort du châtiment que méritent ses crimes ; de même pour celui (…) qui fait outrage aux enfants tout autant qu’aux femmes, qui détruit les cités contre le droit, qui brûle les maisons avec leurs habitants, ravage le pays et anéantit du même coup peuples, nations ou même race entière. »[70]. Mais est-il favorable à la présence de chrétiens dans l’armée ? Il n’en parle pas directement mais note le chrétien répugne à verser le sang en répondant à l’accusation d’anthropophagie : « Car ceux qu’on sait même incapables de supporter le spectacle d’une exécution, fut-elle juste, qui pourrait les accuser de meurtre ou d’anthropophagie (…)  ? Mais nous, nous estimons que la vue d’un meurtre se rapproche de l’homicide, et nous avons interdit de pareils spectacles : comment donc, si nous en refusons même la vue pour ne contracter ni tache, ni souillure, pouvons-nous commettre des meurtres ? »[71]. Il pense toutefois aux gladiateurs et aux jeux du cirque. Pour répondre à l’accusation d’athéisme, il insiste sur le refus des chrétiens de participer à des sacrifices sanglants ou à des actes idolâtres. Les sacrifices sont vains. Or le métier des armes implique de tels gestes. Il ne parle pas du soldat païen.


1. 1 Tm 2, 1-2.
2. 1 P 2, 13-17.
3. Rm 13, 3-4.
4. He 11, 32-34.
5. Eph 6, 10-17 : « En définitive, rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes. C’est pour cela qu’il vous faut endosser l’armure de Dieu, afin qu’au jour mauvais, vous puissiez résister et, après avoir tout mis en œuvre, rester fermes. Tenez-vous donc debout, avec la vérité pour ceinture, la justice pour cuirasse et pour chaussures le Zèle à propager l’Évangile de la Paix : ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. » On aura, au passage, reconnu des emprunts à Is 11, 5 ; Is 59, 17 ; Sg 5, 18 ; Is 52, 7 ; Is 40, 3 et 9. Ce texte a donné lieu à d’innombrables commentaires. Voir, par exemple : http://paysciel.iquebec.com/armes.html. Certaines de ces images de d’autres se trouvent aussi dans 1 Th 5, 8 ; 1 Co 14, 8 ; 2 Tm 2, 3-4.
6. « Or je vous dis : laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle. Car la chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair ; il ya entre eux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez. Mais si l’Esprit vous anime, vous n’êtes pas sous la Loi. Or on sait bien tout ce que produit la chair : fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiments d’envie, orgies, ripailles et choses semblables –et je vous préviens, comme je l’ai déjà fait, que ceux qui commettent ces fautes n’hériteront pas du Royaume de Dieu. – mais le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses il n’y a pas de loi. Or ceux qui appartiennent ay Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir. Ne cherchons pas la vaine gloire, en nous provoquant les uns les autres, en nous envia nt mutuellement. » (Ga 5, 16-26)
7. Sur les Pères de l’Église, la violence et la guerre, on peut consulter le blog de BONNEFOI Serge : http://serge-bs.over-blog.com/
8. Ex 20, 13.
9. Mt 5, 9.
10. Lc 24, 36 ; Jn 20, 19-21-26.
11. Rm 12, 14-21.
12. NAYAK A. , in Religions et violences, Editions universitaires, Fribourg, 2000, p. 192.
13. Ce petit précis d’obligations morales individuelles et sociales (Cayré, p. 43) a été écrit à la fin du 1er siècle ou au début du 2ème.
14. Apol. VIII, 1 dans la version syriaque.
15. Apol. X, 4 dans la version grecque. 
16. Apol. X, 4 dans la version syriaque.
17. Apol. X, 6 dans la version syriaque.
18. Cité par BONNEFOY S., sur http://serge-bs.over-blog.com
19. Apol. XV, 3-6 dans la version grecque.
20. Vers 120 ou 130-202.
21. Adversus Haereses IV, 34, 4.
22. Vers 200-258.
23. In A Donat et La vertu de patience, Sources chrétiennes, 291, pp. 91 et 93.
24. Vers 170-vers 235.
25. La Tradition apostolique, 16. Notons que certaines versions ajoutent à la deuxième phrase : « qu’on ne lui permette pas de prêter serment ». Dans les Canons d’Hippolyte qui semblent une compilation postérieure incomplète de La Tradition apostolique, on peut lire : « Celui qui a pouvoir de tuer, par exemple le soldat, ne doit pas être admis dans l’Église (…) qu’un chrétien ne se fasse pas soldat de sa propre volonté, à moins qu’il n’y soit forcé par un chef. S’il porte le glaive, qu’il prenne garde de verser le sang et de devenir ainsi coupable d’un crime (…) Est-il avéré qu’il a versé le sang, il devra s’abstenir de la participation aux mystères, à moins qu’il ne soit purifié par une singulière conversion de mœurs avec larmes et gémissements » (Canones Hippolyti, 71-75). Dans un autre remaniement de La Tradition apostolique, Constitution de l’Église égyptienne, l’interdiction est tout aussi claire : « Le soldat qui accomplit son service n’a pas le droit de tuer » (XI, 9).
26. Vers 250-après 320.
27. Inst. VI, 20, 15-17.
28. IIe siècle.
29. Le Pasteur, 42, 1-2. d’autres auteurs vont, comme Paul, employer des images militaires pour parler du combat spirituel. C’est le cas dans l’Epître du Pseudo-Barnabé (entre 96 et 138) ou chez Clément de Rome (pape vers 92-101) dans son Epître aux Corinthiens  : « Servons donc en soldats, frères, de tout notre zèle sous Ses ordres irréprochables. Considérons les soldats qui servent sous nos gouvernants, avec quelle discipline, quelle docilité, quelle soumission ils exécutent les tâches qui leur sont assignées. Tous ne sont pas commandants en chef, ni chefs de mille, ni chefs de cent, ni chefs de cinquante, ni ainsi de suite, mais chacun à son rang propre exécute ce qui lui est prescrit par le roi et les gouvernants. » (Ad Corinthos, 37, 1-3) Notons au passage que Clément en invoquant les chefs de cinquante, grade qui n’existe pas dans l’armée romaine reprend en fait la répartition traditionnelle du peuple de Dieu au désert ( Ex 18, 21-25 ; Dt 1, 15 ; 1M 3, 55).
30. « Quels sont (…) les vices dont il nous faut s’abstenir ? (…) l’adultère, la fornication, les excès de boisson, la mollesse coupable, les festins multipliés, le luxe que permet la richesse, l’ostentation, l’orgueil, la jactance, le mensonge, la médisance, l’hypocrisie, la rancune et tout méchant propos. Voilà de loin les plus mauvaises actions dans la vie des hommes (…) Et beaucoup, dont le serviteur de Dieu doit s’abstenir : le vol, le mensonge, la spoliation, le faux témoignage, la cupidité, la passion mauvaise, la tromperie, la vaine gloire, la vantardise et tous les vices semblables » (Pasteur, 38, 3-5).
31. Lc 3, 14.
32. Le Pasteur 38, 8-10.
33. Le Pasteur 37, 1. Cf.  Qo, 12, 13 : « Crains Dieu et observe ses commandements car c’est là tout l’homme ».
34. Le Pasteur 20, 3.
35. Le Pasteur 27, 3.
36. Le Pasteur 33, 1. 
37. Le Pasteur 34, 1. 
38. Le Pasteur 36, 1 et 3.
39. Vers 150-vers 215.
40. Stromates V, 126, 5.
41. Protrep. X, 100.
42. Tertullien, 155-222. Né et mort à Carthage ce fils de centurion de la Légion proconsulaire fut jurisconsulte puis avocat. Il se convertit en 193.
43. Il écrit dans son Apologétique : « Nous sommes d’hier et déjà nous avons rempli la terre et tout ce qui est à vous : les villes, les îles, les postes fortifiés, les municipes, les bourgades, les camps eux-mêmes, les tribus, les décuries… » (Apol XXXVII, 2) ; « Avec vous (…) nous naviguons, avec vous nous servons comme soldats, nous travaillons la terre, nous faisons le commerce… » (Apol LII, 3).
44. De l’idolâtrie, 19, 1-3.
45. Il n’empêche que Tertullien fidèle en cela à la pensée de Paul, reconnaît : « nous sacrifions donc pour le salut de l’empereur, mais en nous adressant à Dieu, notre maître et le sien, mais conformément à sa loi, par de chastes et pacifiques prières. » (Ad Scapulam, II).
46. De Corona, XI.
47. De Corona, XI.
48. Apol. XXXVII, 5. Le rigorisme moral de Tertullien l’a conduit à adhérer au montanisme, déclaré hérétique déjà vers 220 au synode d’Iconium, puis en 404 par le pape Innocent 1er et encore en 601 par le pape Grégoire 1er. Cette doctrine affirme l’imminence de la parousie, annonce le règne du paraclet et une troisième révélation, affirme l’obligation de faire face à la persécution ce qui érige l’héroïsme en loi générale, rejette les secondes noces, se montre excessivement rigoriste par les jeûnes et autres pratiques chrétiennes, et déclare certains péchés irrémissibles. (cf. Cayré, I, p. 239.) Dans le De corona, Tertullien approuve pleinement « un soldat chrétien qui refusa de porter sur la tête une couronne de lauriers, prescrite par les règlements pour recevoir le « donativum » (cadeau en argent fait par l’empereur), et préféra la prison en attendant la mort. » (Id., p. 230)
49. Apol. XXX, 4.
50. Paul avait utilisé cette métaphore militaire dans son Epître aux Ephésiens : « Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable. Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. C’est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté. Tenez donc ferme : ayez à vos reins la vérité pour ceinture ; revêtez la cuirasse de la justice ; mettez pour chaussure à vos pieds le zèle que donne l’Évangile de paix ; prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin ; prenez aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu. Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières et de supplications ». (Ép 6, 11-18). Notons aussi que Jésus (Lc 14, 31) a recours à l’image de la guerre, sans porter de jugement. Après avoir recommandé aux disciples de ne pas haïr (Lc 14, 26), il leur dit : « Quel est le roi qui, partant faire la guerre à un autre roi, ne commencera pas par s’asseoir pour examiner s’il est capable, avec dix mille hommes, de se porter à la rencontre de celui qui marche contre lui avec vingt mille ? ». Il s’agit, comme nous le constatons, d’une guerre défensive.
51. Ad martyras, III. Le style enflammé de Tertullien le pousse aussi à interpréter ainsi l’emprisonnement des martyrs : « La prison est la forteresse où le démon enferme sa famille. Mais pour vous, vous n’avez franchi ces portes que pour fouler aux pieds l’ennemi jusqu’au centre de son empire, et y achever un triomphe commence ailleurs. qu’il ne puisse donc pas dire: Ils sont chez moi ; je les tenterai par de basses animosités, par de lâches affections, par des rivalités jalouses. Non ; qu’il fuie à votre aspect ; qu’il aille se cacher au fond de son repaire, honteux et rampant, comme un de ces reptiles que l’on chasse par des paroles ou des flammes magiques. qu’il ne soit point assez heureux pour vous commettre l’un avec l’autre jusque dans son domaine ; mais qu’il vous trouve toujours prêts et armés de concorde. Car votre paix à vous, c’est sa plus cruelle guerre ; paix, au reste, si précieuse, que les infortunés qui l’ont perdue dans l’Église, vont d’ordinaire la demander aux martyrs dans leurs cachots. Raison de plus pour la garder parmi vous, pour la maintenir avec persévérance, afin qu’il vous soit possible de la distribuer aux autres. » (Id., 1).
52. 185-254. 
53. Philosophe grec épicurien (IIe siècle) auteur du « Discours véritable » où il reproche, entre autres, aux chrétiens d’être de mauvais citoyens qui mettent en danger l’empire et la civilisation en se dérobant aux devoirs civils et au service militaire. Si l’empire devenait chrétien, il tomberait aux mains des barbares. A la suite de Celse, beaucoup d’auteurs imputent aux Chrétiens la ruine de l’empire romain. C’est le cas, au XVIIIe siècle, de l’anglais GIBBON Edouard, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain ; au XIXe siècle, RENAN Ernest, dans Marc-Aurèle ou la fin du monde antique déclare : « Durant le IIIe siècle, le christianisme suce comme un vampire la société antique, soutire toutes ses forces et amène cet énervement général contre lequel luttent vainement les empereurs patriotes. Le christianisme n’a pas besoin d’attaquer de vive force ; il n’a qu’à se renfermer dans ses églises. Il se venge en ne servant pas l’état, car il détient presque à lui seul des principes sans lesquels l’état ne saurait prospérer. C’est la grande guerre que nous voyons aujourd’hui faite à l’état par nos conservateurs. L’armée, la magistrature, les services publics ont besoin d’une certaine somme de sérieux et d’honnêteté. Quand les classes qui pourraient fournir ce sérieux et cette honnêteté se confinent dans l’abstention, tout le corps souffre.
   L’église, au IIIe siècle, en accaparant la vie, épuise la société civile, la saigne, y fait le vide. Les petites sociétés tuèrent la grande société. La vie antique, vie tout extérieure et virile, vie de gloire, d’héroïsme, de civisme, vie de forum, de théâtre, de gymnase, est vaincue par la vie juive, vie antimilitaire, amie de l’ombre, vie de gens pâles, claquemurés. La politique ne suppose pas les hommes trop détachés de la terre. Quand l’homme se décide à n’aspirer qu’au ciel, il n’a plus de pays ici-bas. On ne fait pas une nation avec des moines ou des yogis ; la haine et le mépris du monde ne préparent pas à la lutte de la vie. L’Inde, qui, de tous les pays connus, a le plus versé dans l’ascétisme, n’est, depuis un temps immémorial, qu’une terre ouverte à tous les conquérants. Il en fut de même à quelques égards de l’Égypte. La conséquence inévitable de l’ascétisme est de faire considérer tout ce qui n’est pas religieux comme frivole et inférieur. Le souverain, le guerrier, comparés au prêtre, ne sont plus que des rustres, des brutaux  ; l’ordre civil est tenu pour une tyrannie gênante. Le christianisme améliora les mœurs du monde ancien ; mais, au point de vue militaire et patriotique, il détruisit le monde ancien. » (texte intégral disponible sur www.mediterranee-antique.info/Renan/Marc_Aurele/MA_32.htm): Nietzsche, bien sûr, reprendra l’accusation : « Le chrétien et l’anarchiste sont décadents tous deux, tous deux incapables d’agir autrement que d’une façon dissolvante, venimeuse, étiolante ; partout ils épuisent le sang, ils ont tous deux, par instinct, une haine à mort contre tout ce qui existe, tout ce qui est grand, tout ce qui a de la durée, tout ce qui permet de l’avenir à la vie… le christianisme a été le vampire de l’empire romain ; il a mis à néant, en une seule nuit, cette action énorme des Romains : avoir gagné un terrain pour une grande culture qui a le temps. Ne comprend-on toujours pas ? L’empire romain que nous connaissons, que l’histoire de la province romaine enseigne toujours davantage à connaître, cette admirable œuvre d’art de grand style, était un commencement : son édifice était calculé pour être démontré par des milliers d’années ; jamais jusqu’’ à nos jours on n’a construit de cette façon, jamais on n’a même rêvé de construire en une égale mesure, sub specie aeterni ! Cette organisation était assez forte pour supporter de mauvais empereurs : le hasard des personnes ne doit rien avoir à voir en de pareilles choses, premier principe de toute grande architecture. Pourtant elle n’a pas été assez forte contre l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le chrétien… » (cité in CESSOLE Bruno de, PHILONENKO Alexis, CAUSSE Jeanne, Nietzsche : 1892-1914, Editions des Deux Mondes, 1997, p. 235) ; de même, Georges Sorel explique le succès du christianisme par le fait qu’il constituait, pour les classes défavorisées, une force de résistance et pour les classes privilégiées un moyen de se préserver de la haine des autres classes. La nouvelle religion « a coupé les liens qui existaient entre l’esprit et la vie sociale ; elle a semé partout des germes de quiétisme, de désespérance et de mort » (La ruine du monde antique, Conception matérialiste de l’histoire, Librairie Jacques1902, cité in GUCHET Yves, Georges Sorel, 1847-1922: serviteur désintéressé du prolétariat, L’Harmattan, 2001, p. 50 ; au XXe siècle, ce sont des auteurs proches d’une extrême droite néo-païenne qui prennent le relais : ROUGIER Louis, Celse contre les chrétiens, Editions du siècle, 1925 ; ROUGIER Louis, Le conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique, Copernic, 1977 ; PAUWELS Louis, L’Église et le déclin de l’Occident, in Eléments, septembre-octobre 1974 ; BENOIST Alain de, La thèse du christianisme poison, in Questions de…, n° 5, 4e trimestre 1974, pp. 5-21. Ces derniers auteurs estiment qu’à leur époque aussi le christianisme transporte, comme dans l’empire romain, un ferment de destruction culturelle, de subversion politique et sociale et qu’il fait le jeu du communisme. (Sur ces sujets, on peut lire WANKENNE A., Aux origines de l’Occident, L’Empire romain de la république cicéronienne à la Cité de Dieu, Presses universitaires de Namur, 1983 ; MORTEAU L. et LE PENQUER Y., La thèse du christianisme poison, in Permanences, juin-juillet 1975, pp. 39-40 ; OUSSET Jean, Ruine de Rome, Incurie des Césars, CLC, s.d. ; COUDY Julien, La chute de l’Empire romain, Julliard, 1967 ; et même MONTESQUIEU, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, (1734), Garnier-Flammarion,1968.) C’est un très vieux débat dans lequel saint Augustin s’est engagé (Lettres CXXXVI, 2 ; CXXXVIII, 14-15).
54. Contre Celse, 3 et 8.
55. Contre Celse, VIII, 73, 34-38.
56. Celse estime que les abeilles, entre autres animaux, ont plus le sens de la justice que les chrétiens. Il a parlé « des abeilles, dit Origène, pour déprécier autant qu’il peut, non seulement chez nous, chrétiens, mais encore chez tous les hommes, les villes, les régimes, les autorités, les gouvernements, les guerres pour la défense des patries… » (Contre Celse, IV, 83, 1-5)
57. Contre Celse, IV, 82, 2-3.
58. Contre Celse, VIII, 73, 23-30.
59. Contre Celse, V, 33, 31-36 (allusion à Mi 4, 3-4 et Is 2, 2-4).
60. Ap 20, 6. Origène rappelle que les prêtres païens ne combattent pas non plus suivant la loi romaine et utilise cet argument en faveur des chrétiens : « …parmi vous, les prêtres de certaines statues et les gardiens des temples de ceux que vous considérez comme des dieux conservent leur main droite non polluée eu égard aux sacrifices, afin qu’ils puissent offrir les sacrifices prescrits à ceux que vous appelez dieux avec des mains non souillées par le sang humain et pures de tout acte de massacre. C’est pourquoi, lorsqu’une guerre survient, vous ne faites pas servir les prêtres dans l’armée. Si donc il est raisonnable d’agir ainsi, combien plus raisonnable est-il, alors que les autres servent dans l’armée, les chrétiens, eux, accomplissent leur service militaire en tant que prêtres et serviteurs de Dieu conservant pure leur main… » (Contre Celse, VIII, 73).
61. « Chacun de nous, en servant la parole de Dieu, creuse un puits et cherche l’eau pour en réconforter ceux qui l’écoutent. Si, à mon tour, je me mets à expliquer les paroles des anciens, si j’y cherche le sens spirituel et m’efforce de retirer le voile qui couvre la Loi, pour y découvrir le sens allégorique de l’Écriture, à mon tour je creuse des puits d’eau vive. (…) Ne nous lassons pas de creuser des puits d’eau vive. (…) Considère donc qu’en chacune de nos âmes est creusé un puits d’eau vive ; il s’y rencontre un certain sens céleste, l’image de Dieu s’y abrite. (…) Nous y verrons jaillir l’eau vive dont le Seigneur affirme : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront en son sein. (…) Creusons si profond que les eaux jaillissent sur les places publiques, que la science des Écritures ne nous comble pas seul, mais nous permette d’enseigner et de former les autres, d’abreuver les hommes (…) » (Homélie 13 sur la Genèse).
62. Vers 100-vers 165.
63. 1 Apol. 12. 
64. 1 Apol. 17.
65. Id..
66. 1 Apol. 55. 
67. 1 Apol. 39.
68. Fin du IIe siècle. Philosophe platonicien, né à Athènes et converti au christianisme. Il fonda à Alexandrie une académie réputée. Vers 177, il adresse à l’empereur Marc Aurèle et à son fils, Commode, une apologie en 30 chapitres intitulée Presbeia peri Christianon (Supplique pour les chrétiens). Il y réfute la triple accusation portée contre les juifs, puis contre les chrétiens, qui seraient athées, cannibales et incestueux. Athénagore montre que le culte de Dieu n’est ni sanguinaire ni immoral contrairement à l’idolâtrie.
69. Supplique au sujet des chrétiens, XXXVII, 2.
70. Sur la résurrection des morts, XIX, 6.
71. Supplique au sujet des chrétiens, XXXV, 4-5.

⁢b. L’exigence de la charité

Au IVe siècle, l’Église est à un tournant important de son histoire. De minoritaire, elle devient majoritaire⁠[1] et religion officielle⁠[2] au moment où l’empire s’effondre⁠[3]. Elle va devoir gérer le problème de la violence et de la guerre, problème normalement dévolu à l’État. Cette fois, les chrétiens qui constituaient jusque là une « minorité irresponsable » deviennent, brusquement « le principal appui de l’État ».⁠[4]

Entre 312 et 324, Eusèbe de Césarée⁠[5] rédige une Histoire ecclésiastique qui est riche en renseignements sur notamment les persécutions de Dèce⁠[6] et de Valérien⁠[7], qui visaient à épurer l’armée de ses officiers chrétiens⁠[8]. Condamnant la guerre militaire comme une calamité, il lui oppose la guerre spirituelle que l’on mène pour acquérir la paix de l’âme : « Nous exposons dans ce livre la manière de se conduire selon Dieu : les guerres très pacifiques pour la seule paix de l’âme et le nom des hommes qui ont le courage d’y combattre pour la vérité plutôt que pour la patrie, pour la religion plutôt que pour ceux qu’ils aimaient le mieux, y seront inscrits sur des tables éternelles »[9]. Néanmoins, il lui arrive de louer les soldats qui ne renient pas leur foi mais s’en glorifient :  « Une escouade complète de soldats, Ammon, Zénon, Ptolémée, Ingénès et avec eux le vieillard Théophile, se tenaient devant le tribunal. Alors qu’on jugeait comme chrétien quelqu’un qui inclinait déjà vers l’apostasie, ceux-ci qui étaient près de lui grinçaient des dents, faisaient des signes de tête, tendaient les mains, gesticulait de leur corps. Tout le monde se tourna de leur côté, mais avant qu’aucun d’entre eux n’eût été pris autrement, ils se hâtèrent de monter sur le degré, disant qu’ils étaient chrétiens, de sorte que le gouverneur et ses assesseurs furent remplis de crainte et que ceux qui étaient jugés furent remplis de courage pour ce dont ils devaient être convaincus et que les juges eurent peur. Et ces hommes sortirent solennellement du tribunal, se réjouissant de leur témoignage : Dieu les faisait triompher glorieusement »[10].

Mais Eusèbe est aussi l’auteur d’une Vie de Constantin écrite vers 335-340. Il y loue l’empereur qui prie avant la bataille et qui porte l’emblème de la Croix⁠[11]. L’empereur devenu chrétien lui apparaît comme le lieutenant de Dieu, établissant l’ordre divin sur la terre : « Dieu lui-même, le grand Roi, lui a du haut des Cieux tendu sa droite, et lui a donné la victoire sur tous ses adversaires et ennemis jusqu’à ce jour »[12]. Dans ces conditions, l’armée apparaît désormais comme instrument de Dieu.

Nous savons que le problème du sang versé fait toujours difficulté au chrétien. Dans cet esprit, Ambroise de Milan⁠[13] approuve un magistrat qui s’était privé spontanément des sacrements après avoir prononcé une peine capitale⁠[14]. Plus impressionnante encore est sa lettre à l’empereur Théodose⁠[15] après le massacre de Thessalonique⁠[16], celle que reconnaissent Damase et Pierre d’Alexandrie, c’est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Le christianisme devenait la religion prédominante. Il condamna l’⁠arianisme lors du second concile œcuménique de Constantinople en 381. A Thessalonique, en 390, la répression d’une sédition fut terrible : Théodose fit massacrer sept mille habitants rassemblés dans l’hippodrome. Ambroise invita par écrit Théodose à faire pénitence sous peine d’excommunication. Théodose finit par s’incliner. Pour la première fois dans l’histoire de l’empire, le pouvoir temporel se soumettait au pouvoir spirituel. (_Mourre)] : « Il a été commis dans la ville de Thessalonique un attentat sans exemple dans l’histoire : je n’ai pu le détourner ; mais j’ai dit d’avance combien il était horrible. (…) je n’ai contre toi aucune haine ; mais tu me fais éprouver une sorte de terreur. Je n’oserais, en ta présence, offrir le divin sacrifice ; le sang d’un seul homme injustement versé me le défendrait ; le sang de tant de victimes innocentes me le permet-il ? »[17]. Il est à noter qu’Ambroise parle de sang versé injustement ce qui peut sous-entendre qu’il y a des guerres justes. Par ailleurs, seul l’empereur est pris à partie par l’évêque et non les exécutants. En fait, l’empereur, aux yeux d’Ambroise, est seul responsable dans la mesure où il a donné l’ordre du massacre.

Ceci dit, Ambroise se pose une question importante : comment concilier la non-violence des Béatitudes avec le devoir de charité du chrétien face à une menace ? Cette position ambigüe où se trouve le chrétien, explique le P. Joseph Joblin sj, « donne une importance extraordinaire au jugement de la conscience »[18]. Selon Ambroise, on peut pécher contre la justice de deux manières : en commettant un acte injuste et en ne secourant pas celui qui est victime de l’injustice : « Est pleine de justice la force qui, à la guerre, protège la patrie contre les barbares ou, à la maison, défend les faibles ou les commensaux contre les brigands »[19] ; « Celui qui, s’il le peut, n’écarte pas une injustice de son prochain, est aussi coupable que celui qui commet l’injustice. »[20] « En effet, commente le P. Comblin, si le précepte de la non-violence contenu dans les Béatitudes m’interdit d’user de la force, celui de la charité me commande de défendre, dans la mesure du possible, celui dont la vie est en péril. »[21]

De son côté, Jean Chrysostome⁠[22] reprend la réflexion de Jean le Baptiste sur la vaine gloire mais, au contraire de Tertulllien, s’il dénonce la vaine gloire acquise dans les jeux et les spectacles⁠[23], il ne met pas en cause la gloire militaire. Dans son De inani gloria et de educandis liberis, il conseille au père qui éduque son fils : « A cela, ajoute la considération qu’il acquiert à l’armée dans les affaires publiques »[24]. Dans son livre Contre les adversaires de la vie monastique, il met en scène un jeune homme qui veut embrasser la vie monastique alors que son père le destinait à l’armée. Ce jeune homme fait le bon choix car la vie avec Dieu est meilleure mais cette préférence ne signifie pas que le service de la cité est mauvais sinon écrirait-il : « Les uns combattent contre ceux qui commettent l’injustice, comme les soldats dans une cité ; les autres veillent à l’ensemble, à ce qui concerne le corps et la maison, comme les gens chargés de l’administration civile ; les autres donnent des ordres, comme les magistrats… »[25]. Quel que soit le choix, il faut, en toute circonstance, être juste, honnête et désintéressé : « S’il sert dans l’armée, qu’il apprenne à ne pas faire de profits illicites »[26]. Le métier des armes, dans cet esprit, est utile : « Si vous privez l’armée de son général, vous la livrez sans défense aux ennemis »[27]. Un père peut y destiner son fils : « Si tu les destines à la vie du monde, amène-lui de bonne heure une fiancée et n’attends pas qu’il soit à l’armée ou qu’il ait abordé les affaires publiques. »[28] Si Jean utilise souvent l’exemple de la vie militaire pour la confronter au service de Dieu, à l’instar de Paul, c’est, bien sûr, pour montrer que la vie religieuse est meilleure mais il n’empêche que la vie profane, celle du Roi, du chef des armées n’est pas nécessairement mauvaise si l’on veille à respecter la vertu et à exercer la justice.⁠[29]

Comme nous venons de le voir, le chrétien est dans une « situation ambigüe ». En effet, les Béatitudes lui interdisent d’user de la violence et la charité lui demande de protéger celui qui est menacé : il y a donc « deux manières (…) de pécher contre la justice ; l’une est de commettre un acte injuste, l’autre de ne pas venir au secours de la victime d’un injuste agresseur. »[30]

Méditant sur les vertus et en particulier sur le courage, saint Ambroise fait remarquer que le courage n’est jamais « une vertu sans compagnes ; en effet elle ne s’en remet pas à elle-même, autrement le courage sans la justice est occasion d’iniquité. De fait, plus il est fort, plus il est enclin à écraser le petit, bien que l’on estime qu’il faut considérer, dans les entreprises guerrières elles-mêmes, si les guerres sont justes ou injustes. » Et il précise : « ce n’est pas à commettre l’injustice, mais à la repousser que consiste la loi de la vertu. Celui en effet qui ne repousse pas l’injustice loin de son compagnon, alors qu’il le peut, est en faute tout autant que celui qui l’accomplit. Aussi le saint Moïse commença-t-il, par là d’abord, ses essais de courage guerrier. De fait, ayant vu un hébreu qui subissait l’injustice de la part d’un Égyptien, il le défendit si bien qu’il abattit l’Égyptien et le cacha dans le sable[31]. » « Ainsi donc, écrit-il encore, selon la volonté de Dieu ou le lien de la nature, nous devons nous secourir mutuellement, rivaliser dans l’accomplissement des devoirs, mettre pour ainsi dire en commun tous les intérêts et, pour user du mot de l’Écriture, nous porter assistance l’un à l’autre ou bien par le zèle, ou bien par l’accomplissement du devoir, ou bien par l’argent, ou bien par les œuvres, ou bien de n’importe quelle manière, afin d’accroître l’agrément du lien social entre nous. Et que personne ne soit détourné du devoir, mais par l’effroi du danger, mais qu’il tienne pour siennes toutes adversités ou prospérités. Ainsi le saint Moïse ne redouta pas, en faveur du peuple, d’entreprendre les lourdes guerres pour une patrie, ni ne trembla devant les rames d’un roi très puissant, ni ne s’effraya devant la fureur de la cruauté des barbares, mais il abandonna son propre salut pour rendre à son peuple la liberté. »[32]

A partir de Constantin donc, à l’instar d’Eusèbe, Ambroise ou Jean Chrysostome, les Pères vont s’efforcer de lever les scrupules des chrétiens qui doivent cette fois participer à la défense de l’Empire qui les protège et les favorise, des chrétiens qui pourraient rester en retrait étant donné l’insistance évangélique sur le pardon des injures, la non-résistance au mal et l’amour des ennemis. S’esquisse ainsi la théorie de la guerre juste que nous allons examiner.


1. Rappelons quelques dates: 312, l’empereur Constantin se convertit ; en 313, l’ « Edit de Milan » proclame la tolérance pour les chrétiens comme pour les païens, en Orient comme en Occident.
2. La politique de tolérance est abandonnée par l’empereur Gratien (375-383) qui, sous l’influence de saint Ambroise va combattre le paganisme.
3. Dès le IIe siècle, l’empire connaît des infiltrations germaniques pacifiques qui s’intègrent bien. A partir du IIIe siècle, certaines régions frontières sont abandonnées aux envahisseurs. Valens est vaincu et tué par les Wisigoths en 378. C’est aussi à partir de cette époque que, sous la pression des Huns, de nombreuses peuplades germaniques envahissent l’empire de différents côtés. Les Wisigoths s’emparent de Rome en 410. Rome est pillée encore par les Vandales en 455. En 476, c’en est fini de l’empire : le dernier empereur, le tout jeune Romulus Augustule est déposé.
4. COMBLIN J., Théologie de la paix, II, Applications, Editions universitaires, 1963.
5. Vers 265- 339.
6. Empereur de 249-251.
7. Empereur de 253-260.
8. L’empereur, écrit-il, « ne commença pas tout d’un coup la guerre contre nous, mais il dirigea ses efforts seulement contre ceux qui étaient dans les camps (il pensait en effet prendre facilement les autres aussi de cette manière, si auparavant il l’emportait dans le combat contre ceux-là). On put voir un très grand nombre de ceux qui étaient aux armées embrasser très volontiers la vie civile pour ne pas devenir des renégats de la religion du créateur de l’univers. Car lorsque le chef de l’armée, quel que fût celui qui l’était alors, entreprit la persécution contre les troupes, en répartissant et en épurant ceux qui servaient dans les camps, il leur donna le choix ou bien, s’ils obéissaient, de jouir du grade qui leur appartenait, ou bien, au contraire, d’être privés de ce grade, s’ils s’opposaient à cet ordre. Un très grand nombre de soldats du royaume du Christ préférèrent, sans hésitation ni discussion, la confession du Christ à la gloire apparente et à la situation honorable qu’ils possédaient » (HE, VIII, IV, 2-3).
9. HE V, praef., 4.
10. HE VII, XLI, 22-23.
11. Vita Const. II, 4 ; IV, 56.
12. Discours Louanges de Constantin 8.
13. Vers 337-397.
14. Epist. XLIV.
15. 347-395.
16. En 380, il adhéra au symbole de Nicée, devint l’ardent défenseur des chrétiens et à Thessalonique, il publia l’édit (dit édit de Thessalonique) suivant : « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre(ap%C3%B4tre)[Pierre
17. Epist. LVI.
18. JOBLIN Joseph sj, De la guerre juste à la construction de la paix, in DC n° 2206, 20-6-1999, p. 588.
19. De officiis ministrorum, 1, 27, 129. 
20. Id., 1, 36, 178.
21. JOBLIN J., op. cit., p. 588.
22. 344-398. Ses œuvres sont disponibles sur : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/
23. Comme d’autres Pères, Jean n’aime ni le théâtre, ni les acteurs, surtout parce qu’ils se travestissent, portent des masques, incarnent des dieux, participent à des cultes païens, etc..
24. De inani Gloria…, 84.
25. Id., 23.
26. Id., 89.
27. Sermons, Sur les statues, 6.
28. De inani gloria, 81.
29. « Car le véritable roi, c’est celui qui commande à la colère, à l’envie, à toutes les passions ; qui assujettit tout aux lois de Dieu, qui garde son esprit libre, et qui ne laisse pas la tyrannie des voluptés dominer dans son âme. J’aurais certes grand plaisir à voir un tel homme commander aux peuples, à la terre et à la mer, aux cités, aux nations et aux armées. Celui qui impose aux passions le joug de la raison, imposerait bien aussi aux hommes le joug heureux des lois divines. Il serait un père pour ses sujets ; sa douceur le rendrait abordable à tous les peuples. Mais cet esclave de la colère, de l’ambition et des plaisirs coupables qui a l’air de commander aux hommes ne mérite que le mépris des peuples ; l’or et les diamants couronnent sa tête, et la sagesse ne couronne pas son cœur. Tout son corps est resplendissant de pourpre, et son âme est sans ornement. Il ne saura même pas exercer son pouvoir. Comment gouverner les autres quand on ne peut se gouverner soi-même ?
   S’agit-il du mérite guerrier ? Il éclate dans les luttes soutenues par le sage bien mieux que dans les combats livrés par un roi. Le sage fait la guerre aux démons, il les repousse, il triomphe, et reçoit de la main du Christ, la couronne immortelle, prix de sa victoire. Il ne peut que vaincre, il s’avance au combat ayant Dieu pour auxiliaire et une armure céleste pour se couvrir. Le roi fait la guerre à quelques peuples barbares, moins redoutables assurément que les légions de l’enfer : son triomphe ne saurait donc être aussi glorieux que celui du vainqueur des démons. Mais considérez les motifs des deux guerres, quelle différence ! C’est pour remplir un devoir de piété, pour servir Dieu que le sage fait la guerre au démon : s’il cherche à conquérir des villes et des villages, c’est sur l’erreur et pour la vérité. La guerre que le roi fait aux barbares, a pour objet un territoire à prendre ou à défendre, une frontière à reculer ou à maintenir, des représailles à exercer ; souvent l’avarice et une injuste ambition lui mettent les armes à la main ; et combien de fois le désir de conquérir lui fait perdre ce qu’il avait déjà 1 Telles sont, sous le rapport de la puissance et de la guerre, les différences que nous remarquons entre le roi et le serviteur de Dieu. » (Comparaison du solitaire et du Roi, 2-3).
30. JOBLIN J., op. cit., p. 588.
31. Ex 2, 11-12.
32. De Officiis, livre I. Texte disponible sur http://livres-mystiques.com.