De même si l’on aborde le problème de la rétribution lié à la question
de la violence, on peut lire sommairement ce que la bible en dit et qui
peut se résumer dans le proverbe : « Le mal poursuit les pécheurs, et
le bien récompense les justes. » Celui qui
respecte l’ordre établi par Dieu, le juste, ajusté à Dieu, est
récompensé, celui qui trahit cet ordre, est puni. Cette idée largement
répandue en dehors même des cercles croyants. Comme on
risque de dogmatiser cette vision, les Écritures nous révèlent que la
réalité est parfois bien différente et que Dieu peut être
incompréhensible. Comme on le voit dans le livre de Job, la
souveraineté de Dieu le dispense de rendre des comptes à
l’homme alors qu’il est engagé dans un combat
incessant contre le chaos. Tandis que Job lutte un
temps contre l’incompréhensible, Qohéleth l’accepte : « De même que tu
ne sais pas quel est le cheminement du souffle… de même tu ne connaîtras
pas l’œuvre de Dieu qui fait tout. » Job et Qohéleth
« nous déplacent par rapport à notre conception anthropocentrique de
Dieu et de la création, nous invitant, du même coup, aussi à nous
laisser surprendre par le Dieu biblique. »
En somme, pour éviter une utilisation agressive, primaire, des textes de
la Bible, il faut, d’une part, « une étude sérieuse de ces textes qui
prenne en considération la complexité de l’histoire de leur
transmission » dans des situations précises et
en tenant compte du fait, majeur pour Römer, que ces textes « veulent
nous mettre en garde contre des conceptions trop humaines de Dieu et
insister sur les limites des discours théologiques. » d’autre part, il ne faut pas oublier les textes où Dieu, par
ses prophètes, invite à la paix et à la justice sociale, les textes où
Dieu apparaît pacifique, ouvert aux autres nations. Enfin, il faut se
rendre compte que la violence fait partie de l’histoire humaine et que
s’il arrive, dans certaines circonstances pénibles que soient proférées
des paroles violentes suscitées par la souffrance ou l’injustice, elles
n’impliquent pas pour autant un passage à l’acte. Utiliser les cris des
malheureux pour justifier notre violence est donc abusif. d’autant que dans les Psaumes, entre autres
textes, on remarque que l’auteur « s’en remet à Dieu pour
l’exercice de la vengeance ». L’homme se trouve ainsi déchargé de sa
violence. Qui plus est, Dieu lui-même freine sa colère. S’il tend à
répondre, à certains endroits, par la violence à la violence de l’homme,
il n’agit pas comme l’homme. Après le Déluge, Dieu promet de ne plus
recommencer et s’affirme, d’abord, comme Dieu
d’amour : « Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère… car je
suis Dieu et non pas un homme… je ne viendrai pas avec
fureur. »
Les quelques lectures juives et protestantes qui précèdent doivent nous
persuader de la nécessité de l’interprétation. La Thora a été donnée à
qui veut la recevoir. d’origine divine, elle devient nôtre par
l’interprétation. Ainsi Dieu a commencé le monde en six jours et le
septième jour, le jour du Shabat, Dieu le confie à l’homme, il se repose
sur sa créature. Nous sommes invités à « prolonger le divin », non à
« améliorer » la Thora divine mais à l’incarner dans la réalité
terrestre.
Les religions monothéistes sont –elles des religions du Livre, comme on
le dit souvent ou des religions de la Parole ? Telle est la vraie
question car existe une tentation à laquelle plus d’un a cédé : celle de
transformer l’Écriture en idole.
Comprendre un texte révélé ou non, « c’est, dit Paul Ricoeur, se
comprendre devant le texte. Non point imposer sa propre capacité finie
de comprendre, mais s’exposer au texte et recevoir de lui un soi plus
vaste. » Sinon le texte figé,
déifié, idolâtré, nous fait violence et nous empêche d’accéder à la
liberté, d’être nous-mêmes.
Les catholiques comme les protestants considèrent aujourd’hui que le
Nouveau Testament ne se substitue pas à l’Ancien au contraire des
musulmans qui affirment, eux, que le Coran rend obsolètes les deux
testaments.
Les exégètes catholiques, comme leurs confrères protestants que nous
avons cités, seront d’accord pour reconnaître qu’« avant
d’instrumentaliser le Livre pour promouvoir ceci ou pourfendre cela, on
ferait mieux de regarder à deux fois si les textes disent bien ce que
l’on croit qu’ils disent… » C’est du simple bon sens à appliquer
d’ailleurs à toute autre œuvre littéraire qui risque toujours d’être mal
lue.
Selon A. Nayak, la violence divine ou
humaine qui s’exerce pour la sauvegarde d’Israël, se trouve aussi
ritualisée sous forme de guerre. Ainsi, Saül « prit une paire de bœufs,
les dépeça et, par l’entremise des messagers, en envoya les morceaux
dans tout le territoire d’Israël, en faisant dire : « Celui qui ne part
pas à la guerre derrière Saül et Samuel, voilà ce qu’on fera à ses
bœufs ! » Le Seigneur fit tomber la terreur sur le peuple et ils
partirent comme un seul homme. » A partir de ce
moment, pour A. Nayak, la guerre devient « sainte ». On le remarque
également dans la coutume de destruction totale d’une ville : « Ils
vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien
l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le
mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de
l’épée. » L’interdit est ici une sorte de
consécration qui met à part ce qui est réservé à la divinité et ne peut
être laissé à l’usage ordinaire. Mais vous, prenez bien garde à l’anathème, de peur
que, poussés par la convoitise, vous ne preniez quelque chose de ce qui
est anathème, car ce serait rendre anathème le camp d’Israël et lui
porter malheur. » (Jos 6,17-19) Dans le cas présent l’anathème comporte
le renoncement à tout le butin et son attribution à Dieu : les hommes et
les animaux sont mis à mort, la ville est incendié e et les objets
précieux sont donnés au sanctuaire. C’est un acte religieux, une règle
de la « guerre sainte » qui suit un ordre divin, ou un vœu pour
s’assurer la victoire. Tout manquement est considéré comme un sacrilège
et son auteur sévèrement puni…
La pratique de l’anathème est étroitement liée à la conception
antique de la divinité. Le sacrifice offert ou promis au dieu par vœu,
fait partie d’une sorte de transaction qui peut s’exprimer ainsi :
« Dieu, donnes-moi la victoire sur mes ennemis et toute la ville te sera
offerte en sacrifice de remerciement. » Cette promesse ou ce vœu fait au
Seigneur peut aller jusqu’au sacrifice humain. C’est ainsi que, dans le
livre des
javascript : newWindow%20=%20openWin('Juges
(Jg 11,29-40), Jephté faire le vœu, en cas de victoire contre les
ennemis d’Israël, d’offrir en sacrifice au Seigneur le premier être
vivant qui sortira de sa maison, au retour de la guerre. Et ce sera sa
fille qui viendra la première au-devant de lui. On mesure, à cet
exemple, l’évolution qui se fera au cours des siècles dans la
compréhension de la divinité
La Bible justifie par ailleurs le rejet de Saül comme roi d’Israël
par le fait de son manquement à l’anathème. On peut le voir en
javascript : newWindow%20=%20openWin('1
S 15,9. Pour obtenir la victoire sur ses ennemis, Saül a jeté
l’anathème sur tout le butin. Il a donc fait vœu de tout offrir à Dieu
en sacrifice. En gardant pour lui et ses soldats une partie du butin
acquis par la victoire, Saül manque à l’anathème, ce qui est considéré
comme un sacrilège, une faute très grave. Il sera rejeté au profit de
David. » (BUGNON Roland, CSSP, Fribourg, Suisse, sur
www.interbible.org)
]
Adrian Schenker, lui, s’attache au
problème des sacrifices dans l’Ancien Testament. Il constate, ce qui
peut nous choquer, que la faute involontaire, la transgression
involontaire d’un interdit, est sanctionnée par la mort. Ainsi, Ouzza
saisit l’arche qui allait verser et Dieu le frappe de mort. La violence est ici « une marque du sacré ». Il y a, en
effet, « une distance insurmontable entre la sphère divine
transcendante et le monde humain ». Ils ne peuvent « coexister
ensemble dans le même lieu ». Ainsi le feu où YHWH se donne à voir
signale la frontière mortelle entre sacré et profane. La colère mortelle de YHWH signifie
clairement sa transcendance.
Mais, le culte sacrificiel peut libérer les personnes fautives de cette
colère. Comme l’’immolation de l’animal n’est pas sans raison elle ne
peut être considérée comme violente. Elle le serait si c’était par
cruauté ou avarice que l’animal était mis à mort. Gn 9, 2-3 accepte
que l’on tue l’animal pour raison alimentaire mais 2 S 12, 1-4
assimile l’abattage gratuit à l’homicide. Dans le culte sacrificiel, on
offre à Dieu et on partage avec lui la meilleure nourriture comme on le
ferait avec un hôte.
Enfin, grâce au sacrifice, Dieu pardonne et « on peut tabler sur sa
douceur, parce qu’il la préfère à l’irritation et au
conflit ». On le voit dans 1 S, 5-6 où les
Philistins apaisent la colère de YHWH en rendant l’Arche enlevée et en
rendant hommage à YHWH par un présent de compensation ou réparation
(asham) pour le sacrilège commis et regretté.
A. Schenker conclut que « la douceur divine est plus fondamentale en
YHWH que la violence ». C’est pourquoi le
psalmiste peut proclamer : « Israël, mets ton espoir en YHWH, car YHWH
dispose de la grâce, et avec abondance du rachat. C’est lui qui
rachètera Israël de toutes ses fautes. »
Plus largement, en s’appuyant sur le vocabulaire, Xavier-Léon
Dufour
montre que la violence contre laquelle Dieu va s’emporter, se présente
comme « la transgression d’une norme ». Les traducteurs grecs de
l’Ancien Testament ont employé d’ailleurs souvent le mot « adikia »,
injustice, pour traduire le mot hébreu hamas exprimant la
violence. Si
on viole la Loi du Seigneur, la
justice sociale, le droit, si
on viole la vérité par détraction, faux
témoignages,
etc., cette injustice violente entraîne une destruction physique ou
sociale. Les victimes suscitent l’apitoiement des
prophètes et
appellent la punition des violents car le Seigneur n’aime pas le
violent, l’injuste et Lui seul
peut rétablir la justice. Le Serviteur
opprimé par les hommes, méprisé, qui « n’ouvre pas la bouche (…) On a
mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau, bien
qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y eut pas de fraude dans
sa bouche ». Mais « il sera haut placé, élevé, exalté à
l’extrême ».
L’élément caractéristique de la violence dans l’Ancien Testament, c’est
la transgression destructrice, la transgression de l’Alliance qui est
une violence contre Dieu. Il y a, bien sûr, d’autres violences, les
violences habituelles des hommes, liées à la force, au zèle, à la
colère, à la vengeance, à la cupidité, etc., mais, même dans le cas où
elles sont destructrices, dans la mesure où elles n’impliquent pas
transgression d’une norme qui est la justice du Dieu de l’Alliance, tout
en étant condamnables et condamnées, elles n’impliquent pas la gravité
extrême des précédentes.
Reste que le comportement de Dieu semble « ambigu ». Il déteste
l’injustice mais semble tolérer, approuver, pratiquer des actes
violents.
Alors que Römer insiste sur le cadre historique, Dufour rappelle que
nous sommes dans un contexte culturel donné qui n’est pas le nôtre et il
insiste sur la pédagogie de Dieu.
Celui-ci condamne toute injustice violente mais initie progressivement
le peuple en tenant compte des mœurs de l’époque. Ainsi : Le Seigneur
dit à Caïn : »Eh bien ! Si l’on tue Caïn, il sera vengé 7 fois » Et Lamek
dit à ses femmes : « »Femmes de Lamek, tendez l’oreille à mon dire ! Oui,
j’ai tué un homme pour une blessure. Oui, Caïn sera vengé sept fois,
mais Lamek septante-sept fois. » Plus
tard, le Seigneur souscrit à la loi du Talion qui marque un progrès sur
la justice des origines. Par la bouche des
prophètes, Dieu condamne toutes sortes de violences : déportations,
oppression des faibles, irrespect vis-à-vis des femmes et des morts. Le
Seigneur prend la défense des victimes de l’injustice des hommes, il
soutient Israël en Égypte et demande aux hommes d’agir de même avec les
faibles, les orphelins, les veuves, les étrangers.
Si Dieu apparaît, en de multiples endroits, comme un Dieu
guerrierpas l’Alliance : Dieu « manifeste
qu’un bien supérieur peut entraîner la destruction de la vie
terrestre ». En même temps, Dieu montre sa volonté d’extirper le mal du
monde.
Enfin, petit à petit, on voit que l’image que les hommes se font de Dieu
s’épure petit à petit. Dieu se manifeste d’abord spectaculairement,
comme à Moïse, dans le feu, le tonnerre, le tremblement de toute la
montagne. Mais, quand le Seigneur annonce son passage à
Elie, c’est par un souffle.
De même, au départ, Dieu apparaît terrible, guerrier puis humble
et pacifique et
enfin sous les traits du serviteur opprimé, préfiguration du Christ
Paul Beauchamp confirme, pour l’essentiel cette analyse. La
violence (hamas) liée, bien sûr, à la mort, aux abus
sexuels et surtout au mensonge est essentiellement absence de loi. Le
diable a poussé l’homme à enfreindre la loi du Seigneur et, à partir de
ce moment, à partir du meurtre de Caïn, « le Seigneur vit que la
méchanceté se multipliait sur la terre » (Gn 6, 5), « la terre s’était
corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence » (Gn 6, 11). Le
Malin a détourné les hommes du vrai Dieu et ils ont créé des idoles à
forme humaine : « Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes
ou leurs processions frénétiques aux coutumes extravagantes, ils ne
respectent plus ni les vies, ni la pureté des mariages, mais l’un
supprime l’autre traîtreusement ou l’afflige par l’adultère. Tout est
mêlé : sang et meurtre, vol et fourberie, corruption déloyauté, troubles,
parjure, confusion des valeurs, oubli des bienfaits, souillure des âmes,
inversion sexuelle, anarchie des mariages, adultère et débauche. Car le
culte des idoles impersonnelles est le commencement, la cause et le
comble de tout mal (…). » (Sg 14, 23-27). L’homme qui était doux
devient redoutableet
la violence se démultiplie
L’Ancien Testament analyse donc la violence en révélant son origine dans
le péché de l’homme instigué par l’Adversaire.
Comme X.-L. Dufour, Paul Beauchamp s’arrête à l’ « ambiguïté » de Dieu
et à ses violences. Pour cet exégète, « le Dieu biblique prend sur lui
une violence provisoire ou « économique ». » Cette expression mérite
quelques explications. Si Dieu ordonne l’extermination des ennemis
d’Israël pour
en protéger l’esprit, si ses prophètes ne sont pas en reste (Elie égorge 450
prophètes de Baal, Elisée maudit
42 gamins moqueurs qui se font déchirer par deux ourses), le Seigneur, par la bouche de ses prophètes, promet « un
nouveau David » et un
« paradis retrouvé » où toute la création vivra dans la paix et
l’harmonie. Après avoir maudit
Jérusalem, Dieu rappelle l’alliance qu’il a faite avec son
peuple.
Ainsi, si les hommes se sentent dépassés par la violence, celle-ci,
comprennent-ils, « est dépassée par une fondation plus essentielle ».
Ainsi David, retors et clément parfois par calcul, peut manifester aussi
une clémence fondée « sur un vrai sens de Dieu ».
Mieux encore, les Psaumes montrent, d’une part, comment la victime de
la violence peut réagir en termes violents. Elle demande l’humiliation
des ennemis, leur
châtiment. Elle crie
vengeance, souhaite que le
roi écrase ou assujettisse les ennemis, que Dieu les épouvante ou les détruise. Mais au-delà de ces
réclamations, si l’on voit que l’homme suppliant compte sur l’épée de
Dieu, il lui est enseigné qu’il ne sera pas libéré
par sa seule force. Comme l’écrit P. Beauchamp, « c’est dans le lieu
précis de la violence que germe son contraire » : ceux qui souffrent
sont invités à la patience, à la non-résistance, à
laisser le mal s’autodétruire. On le voit dans d’autres textes : Dieu seul sera
vainqueur, la
terre détruira les méchantset Dieu détruira
la guerre et l’univers
entier participera à cette destruction.
Reste que Dieu prêche la violence, qu’il se
montre violent, qu’il établit une loi violente sur certains
points, qu’il est le Dieu vengeur, le Dieu guerrier, etc.
A propos des violences de la Loi, on peut constater une
évolution qui nous révèle qu’Israël est progressivement invité à se
détacher des exigences de vieilles coutumes qui veillaient au
rétablissement de la justice.
Ainsi, le « vengeur de sang » qui, en cas de meurtre, vengeait le clan
en tuant l’assassin a vu son rôle de justicier
réglementé par la société. Il s’agissait d’éviter les excès de
la colère. De même, la loi du Talion chercha à freiner les passions et, avant que le
Christ rende caduque cette règle, la Loi suggérait
déjà un dépassement de cette violence quand la réconciliation est
possible : « N’aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n’hésite
pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d’un péché à
son égard ; ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l’égard des fils
de ton peuple : c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même.
C’est moi le Seigneur. ».
L’objectif poursuivi est d’éduquer la conscience, d’éradiquer le désir
de vengeance, d’inviter au pardon, d’abord du frère de race
puis de tout homme. Le juste donc renoncera à la vengeance
car il s’en remet à Dieu qui seul, en définitive, peut rétablir la
justice. Il
est le Juge, le rédempteur d’Israël. Le Jour du Seigneur est le Jour où
il triomphera de ses ennemis, est le Jour de vengeance, Jour de réparation et de salut.
Si, dans la culture contemporaine, le mot vengeance suggère un
comportement contraire à la justice, il n’en va pas de même dans
l’Ancien testament, il suggère, au contraire, le rétablissement de la
justice, la punition du coupable, le dédommagement, l’indemnisation de
la victime, la réparation du tort, etc..
Et qu’en est-il maintenant de ces guerres où Dieu est présent ?
Tous les rites religieux qui précèdent et clôturent les combats nous
montrent que Dieu est le Dieu des armées qui mène ses guerres. Cette
vision n’est pas propre à Israël mais se retrouve dans l’Orient ancien,
notamment chez les Assyriens. Le roi doit faire
la volonté de Dieu et défendre sa création contre toute menace de chaos
qui viendrait des hommes ou des animaux sauvages. Chasse et guerre sont
ainsi des prérogatives royales.
Nous savons que la naissance d’Israël est due à la victoire du Dieu des
armées sur le puissant ennemi égyptien. De même, dans
la conquête de Canaan par Josué, Dieu est finalement si présent que l’on
a pu considérer que la guerre d’Israël, appelée improprement
« sainte », était « pacifiste »
puisque les hommes restent passifs. Nous avons vu aussi les récits de
l’Exode et du livre de Josué ont été écrits, par compensation,
semble-t-il, à une époque (vers -720) où, à cause des conquêtes
assyriennes, Israélites et Judéens n’ont plus les moyens de mener des
guerres. Les récits, par compensation, par réaction, cèdent aux excès
littéraires et exagèrent la violence dans laquelle Dieu a fondé son
peuple.
S’il y a des appels à la violence et si Dieu, comme chez Amos,
promet de mettre le feu, de faire sauter, d’extirper, de déporter, de
bouter le feu, de tuer, d’exterminer, etc., c’est pour punir de
véritables « crimes de guerre » : génocide, déportation, éventrement de
femmes enceintes, profanations de cadavres.
De plus, on voit s’esquisser dans le Deutéronome esquisse un jus in
bello qui introduit des
limitations dans la brutalité inspirée des pratiques
assyriennes : certains seront exemptés du
combat et on évitera la guerre totale.
Si Römer et Attwood insistent sur la convention littéraire des textes
violents et leur enracinement historique, Henri Cazelles et Pierre
Grelot insistent sur l’enjeu
religieux des guerres bibliques. « La guerre, écrivent-ils, n’est pas
seulement un fait humain qui pose des problèmes de morale. Sa présence
dans le monde biblique permet à la révélation d’exprimer, à partir d’une
expérience commune, un aspect essentiel du drame où l’humanité est
engagée et dont son salut est l’enjeu : le combat spirituel entre Dieu
et Satan. Il est vrai que le dessein de Dieu a pour fin la paix ; mais
cette paix suppose elle-même une victoire acquise au prix du combat. »
La guerre est dénoncée comme un mal et si Dieu apparaît, à l’instar des
anciennes divinités, comme un combattant, c’est dans le cadre
du grand dessein qu’il conçoit pour les hommes qui sont invités à
collaborer avec Lui pour conquérir et garder la terre
promise. Cette guerre est sacrée puisqu’il s’agit de préserver le
véritable culte, la loi de Dieu et son règne. Toute guerre
offensive, défensive ou de libération contre les oppresseurs et les
envahisseurs
est une guerre du Seigneur, une guerre de Yahweh. La foi soutient
l’ardeur militaire en vue d’une victoire politique et
religieuse avec l’aide de Dieu. Dieu
lutte contre ce qui s’oppose à ses desseins et contre le mal. Il
intervient pour soutenir et préserver son peuple. Il lutte contre
l’Égypte, soutient
les armées d’Israël, assiste les rois, délivre la
ville sainte. Sans Dieu, rien ne
peut réussir : les hommes combattent, Dieu donne la
victoire.
Le dessein de Dieu n’est pas la puissance temporelle d’Israël mais un
royaume qui respecte sa loi. Si Israël est infidèle à ce projet, Dieu
lui fait la guerre et Israël connaît des revers, au temps du désert
de Josué, des
Juges de Saül, des Rois. Les
malheurs et la ruine d’Israël sont bien un châtiment divin : Babylone et Nabuchodonosor
sont aux ordres de Dieu pour punir Israël.
A travers ces malheurs, la guerre apparaît alors à Israël comme un mal,
elle est le fruit du péché et elle ne disparaîtra
qu’avec le péché à la fin des
temps. La vraie victoire promise, à
laquelle Israël doit tendre, c’est la victoire sur le péché qui amènera
la paix au prix d’un combat spirituel
Et donc, derrière le combat politique se profile le combat spirituel.
L’ennemi païen lancé à l’assaut de Jérusalem devient, dans la vision de Daniel, à l’époque de
la persécution d’Antiochus, et sous la forme de quatre bêtes
monstrueuses, une attaque contre le Fils de l’homme Face à l’empire païen des Séleucides d’Antioche (IIe s
avant J.-C.), à ses destructions et persécutions, la révolte se mue de
nouveau en guerre sainte menée avec le
secours du Seigneur qui
terrassera la Bête et brisera son
pouvoir. Nous sommes au-delà des guerres
temporelles : nous entrons dans un combat religieux et entrevoyons le
couronnement des justes au jugement final qui annonce le règne de Dieu
et de sa justice, la paix éternelle.
Ajoutons encore que, chez plusieurs prophètes, s’affirme, bien avant ces
combats eschatologiques, l’idée que la foi vaut mieux que la force. Le
prophète qui annonce la destruction du Royaume du Nord, menace : « Si
vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas ». Dieu
n’a que faire, en définitive, de la puissance militaire, de son
caractère illusoire. A côté de l’école
deutéronomiste, le courant sacerdotal présente une autre version de
l’histoire d’Israël. La violence fait partie de la corruption de la
création : « La terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de
violence. Dieu regarda la terre et la vit corrompue car toute chair
avait perverti sa conduite sur la terre. Dieu dit à Noé : « Pour moi la
fin de toute chair est arrivée ! Car à cause des hommes la terre est
remplie de violence, et je vais les détruire avec la
terre. » Après le déluge, le Seigneur « se dit
en lui-même : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme.
Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus
jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. »
Dieu renoue l’alliance originelle avec l’homme:
« J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance
entre moi et la terre ». Si Dieu a déposé les
armes, les hommes sont invités eux aussi à renoncer à la guerre. Dieu
n’autorisera pas David à construire le Temple parce qu’il a du sang sur
les mains : « Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes
guerres. Tu ne construiras pas de Maison pour mon nom, car tu as répandu
beaucoup de sang sur la terre devant moi. »
Dans ces conditions, il devient difficile, comme certains l’ont fait, de
prétendre que les attentats kamikazes qui marquent trop souvent
l’actualité, pourraient se réclamer de l’exemple biblique de Samson qui
les cautionnerait.Samson ne se soucie ni de
son peuple ni de la cause de Yahwe . Il ne voit que ses problèmes
personnels et assouvit sa soif de vengeance. Il accumule les violences
jusqu’à l’absurde, incapable de se maîtriser. De plus, c’est sans
implication divine qu’il fait s’écrouler le temple sur lui et 3000
Philistins.
Stérile comme homme, enterré par ses frères, il est aussi stérile dans
sa mission. Il est une « caricature de Juge » et son action est une
« parodie d’exploit sauveur ». La lecture attentive du
récit casse « l’image simpliste d’une mort
héroïque bénie par Dieu parce qu’elle inflige à l’ennemi du peuple une
correction exemplaire. » J.-P. Sonnet et A. Wénin concluent : « la
Bible n’offre pas que des modèles à imiter ou à admirer. Elle présente
aussi au lecteur un certain nombre de contrefaçons d’humanité, de
déformations de l’œuvre divine » qui nous mettent en
garde.
Toutes ces analyses sont intéressantes mais il faudrait, si possible,
les ramasser en une synthèse qui nous révélerait, au-delà des épisodes
particuliers et de leurs commentaires que d’aucuns estimeront
heureusement orientés, les lignes de force de l’Ancien Testament, la
leçon ou les leçons essentielles qu’il veut nous livrer avant que ne
soit proclamée la bonne nouvelle.