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ii. Lectures juives

Elles sont plurielles, comme on peut s’y attendre et comme en témoigne douloureusement la Lettre⁠[1] du Grand Rabbin René Samuel Sirat⁠[2] au Premier ministre Shimon Peres⁠[3] après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Ishaq Rabin par un « extrémiste ». Son jugement est sévère vis-à-vis de ceux qui « ont armé le bras du meurtrier » et des autorités qui sont restées passives face à la montée de la violence verbale : « Les cerveaux qui ont armé le bras du meurtrier sont ceux d’hommes qui se sont rendus coupables d’idolâtrie : lorsqu’une valeur – même aussi importante que le caractère sacré de la terre d’Israël – se transforme en valeur absolue, au nom de laquelle on a le droit de tuer un Juif, un Arabe : un être humain créé à l’image de Dieu, elle devient un objet d’idolâtrie. Ainsi on abandonne le monothéisme affirmé au Sinaï et qui ordonne : « Tu ne tueras pas » pour pratiquer un culte étranger, celui de la violence et de la haine. » De même, le Rabbin dénonce le laisser-faire des autorités devant le culte que des activistes rendent sur la tombe de Barouch Gildstein qui un jour de Ramadan a tué vingt-neuf musulmans réunis en prière dans la mosquée d’Hevron. Mais si les autorités sont coupables de négligence, « un certain nombre de maîtres spirituels, de rabbins, de dirigeants d’académies talmudiques, portent à mes yeux, écrit-il, une lourde responsabilité. » Les uns pour avoir prononcé une sentence de mort ; les autres parce qu’ils n’ont pas dénoncé la « folie » qui se répandait ; d’autres encore, en Israël et dans la Diaspora, parce qu’ils affirmaient, en même temps, « leur volonté de paix et leur opposition à la restitution des territoires de Judée Samarie ». Or, « la Bible, à laquelle le peuple juif est attaché de toutes ses forces, privilégie en toutes circonstances le choix de la vie (Dt 30, 19) fût-ce au prix douloureux de la renonciation à des parcelles de la Terre de la Promesse, pourvu que la Paix soit au bout du chemin. » Accepter ou perpétrer le crime est le « blasphème suprême » et « il nous faut donc condamner les chefs coupables qui ont commis cette forfaiture. On sait que lorsqu’on est témoin d’une profanation du Nom divin, on n’a plus le droit d’honorer les maîtres qui s’en sont rendus coupables (Talmud de Babylone, Bérahot, 19b). » Et le Rabbin invoque une fois encore la tradition : « Le Rav Abraham Itshaq Hacohen Kook[4], dans une intuition géniale, avait insisté sur l’idée que puisque le Second Temple a été détruit à cause de la haine qui dévorait le cœur des Judéens et les opposait les uns aux autres, il était indispensable de rebâtir le troisième Temple dans l’amour infini qui doit unifier tous les cœurs du peuple d’Israël. Il nous faut donc de nouveaux bergers capables de formuler à nouveau les valeurs fondamentales du Judaïsme, c’est-à-dire, l’amour du prochain, le respect de l’étranger, le scrupule face à la dignité d’autrui, la volonté sans faille de promouvoir la paix et la fraternité dans l’État, dans la région, sur la terre entière. »[5]

d’une manière générale, le Rabbin Guigui estime que lorsqu’on cherche à justifier le meurtre ou la guerre, on va « contre l’esprit et la lettre du texte biblique » car on bafoue un principe fondamental : « Ne tue pas ». « Lorsqu’on tue un homme, c’est l’image de Dieu qu’on jette à terre. »[6] Dans la guerre, Dieu est la première victime. Il faut prendre en exemple Abraham qui menacé d’un conflit avec son neveu Loth, propose de partager la terre pour sauver la paix : « qu’il n’y ait pas de querelle entre moi et toi, mes bergers et les tiens : nous sommes frères. Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépara-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord. »[7] Dans la Cabbale, c’est-à-dire dans la tradition mystique juive, on découvre une sagesse semblable de la part de Dieu lors de la création du monde. Celle-ci posait un problème. Si Dieu avait rempli l’univers, où aurait été la place de l’homme  et du monde ? Dieu donc s’est autolimité pour laisser de la place. De même, l’homme ne doit pas non plus tout occuper. La vraie solution était donc et est de faire de la place à l’autre. Dès lors, il n’y a plus de place pour le conflit.

Exemplaire aussi la leçon à tirer de l’épisode de la « ligature » d’Isaac⁠[8] rappelé dans la liturgie de Roch Ha Chana, le nouvel an israélite. Cette histoire est importante et privilégiée parce qu’elle nous montre que « le seul sacrifice que Dieu veuille mettre en exergue, c’est le non-sacrifice. »[9] L’essentiel, en effet, est exprimé dans l’ordre intimé à Abraham : « Ne porte pas ta main sur ton fils, ne lui fais aucun mal. »[10] Par ailleurs, tout au début du récit, lorsque Dieu appelle Abraham, celui-ci répond « Me voici »[11]. Ce « Me voici », pour le rabbin Guigui, est un signe d’ouverture, de volonté de dialogue avec tous les hommes⁠[12], d’entraide et d’engagement contre toutes les discriminations et injustices.⁠[13]

Ainsi donc, la Bible prône la non-violence mais a une position différente du christianisme, nous dit-on, vis-à-vis de l’auto-défense et de l’opposition au mal. Quand Jésus déclare : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre »[14], le juif, lui, réplique : « Si j’aime mon prochain au point de lui tendre la joue gauche quand il me frappe sur la joue droite, j’encourage l’injustice. Comme lui, je suis donc coupable d’injustice ! »[15] Car la Bible hébraïque demande qu’on s’oppose avec vigueur au mal particulièrement dans le Deutéronome où revient sans cesse la formule : « Tu ôteras le mal du milieu de toi. »⁠[16] Il n’empêche que « malgré ce souci de se défendre contre toute agression extérieure, le combat militaire n’est pas au cœur du judaïsme. »[17] Bien au contraire.

L’auteur appuie son discours de plusieurs références.

Ainsi, « même lorsque nous sommes envoyés pour faire la guerre contre nos ennemis, Dieu nous ordonne de leur offrir en premier lieu l’opportunité de se rendre de façon pacifique, et ce n’est que lorsque la proposition a été rejetée qu’il nous est permis d’utiliser les armes contre eux ».⁠[18] On le voit, par exemple dans Dt 20, 10 : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui feras des propositions de paix. Si elle te répond : « Faisons la paix ! », et si elle t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve sera astreint à la corvée pour toi et te servira. Mais si elle ne fait pas la paix avec toi et qu’elle engage le combat, tu l’assiégeras… ».

Ainsi, les prophètes offrent une vision de la fin des temps où la paix sera établie. Isaïe particulièrement : « Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin… »[19] ; « Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte… »[20] ; « Alors le désert deviendra un verger, tandis que le verger aura la valeur d’une forêt. Le droit habitera dans le désert et dans le verger s’établira la justice. Le fruit de la justice sera la paix : la justice produira le calme et la sécurité pour toujours. Mon peuple s’établira dans un domaine paisible, dans des demeures sûres, tranquilles lieux de repos… »[21] ; « Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a détourné ton ennemi. Le roi d’Israël, le Seigneur lui-même, est au milieu de toi, tu n’auras plus à craindre le mal. »[22] ; « Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. »⁠[23]

Ainsi, l’importance du mot chalom qui n’est autre que le Nom de Dieu comme l’enseigne le Talmud[24]se basant sur Jg 6, 23-24⁠[25]. Or, dans le livre des Nombres, Dieu donne son « alliance en vue de la paix » au prêtre Pinhas qui a sauvé les fils d’Israël de la malédiction en tuant Zimri qui se livrait à la débauche avec la Madianite Kozbi⁠[26] : « Le Seigneur parla à Moïse : « Le prêtre Pinhas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron, a détourné ma fureur des fils d’Israël en se montrant jaloux à ma place au milieu d’eux. C’est pourquoi je n’ai pas, sous le coup de ma jalousie, exterminé les fils d’Israël. En conséquence, dis-le : Voici que je lui fais don de mon alliance en vue de la paix. Elle sera pour lui et pour ses descendants. Cette alliance leur assurera le sacerdoce à perpétuité, puisqu’il s’est montré jaloux pour son Dieu et qu’il a fait le rite d’absolution pour les fils d’Israël. »[27]

Dans le Talmud, plusieurs rabbins ont fait remarquer que le geste de Pinhas est, en réalité, loué par Dieu avec une réserve qui ne peut apparaître dans les traductions car elle est purement graphique⁠[28]. Toutefois, elle indique nettement qu’on ne peut considérer l’attitude de Pinhas comme totalement exemplaire. On ne peut en faire une règle générale car Pinhas a agi pour une bonne cause mais le moyen n’était pas bon : on ne peut faire justice soi-même ni manquer de respect à la personne humaine.⁠[29] C’est la raison pour laquelle c’est Salomon et non David qui construira le Temple : « David dit à Salomon : « Mon fils, j’avais à cœur, moi-même, de construire une Maison pour le nom du Seigneur, mon Dieu. Mais la parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : « Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres. Tu ne construiras pas de maison pour mon nom, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi. »[30] En fait, la paix (chalom) est ce qui « confère aux choses et aux êtres l’unité, la plénitude » (cf. chalem, entier)⁠[31]. Elle n’est donc pas un principe supérieur mais un idéal, un objectif, une tâche à accomplir en veillant, en premier, à sauvegarder la vie humaine.

Ce respect de la vie est un principe supérieur dans la Torah. C’est pourquoi la tradition orale juive insiste tant sur le respect de la vie et la condamnation de toute violence.

« Le respect de la vie, écrit un rabbin⁠[32], n’est lié ni à une appartenance religieuse, ni à une communauté ethnique ou nationale. Il est exigé par référence à l’image de Dieu qui existe en chaque homme. » On dira qu’« un seul être humain pèse aussi lourd que la création tout entière »[33]. On lit dans Gn 5, 1 : « Voici le livre de l’histoire de l’homme ».⁠[34] Cette parole « enseigne que l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire d’un homme » et le Talmud en déduit : « Si Dieu a créé un homme unique, c’est pour nous enseigner que celui qui détruit une seule vie humaine, c’est comme s’il détruisait la création tout entière. Et celui qui sauve une seule vie humaine, c’est comme s’il avait sauvé le monde entier. Dieu a créé un seul être humain afin que la paix règne entre les hommes. Pour qu’aucun homme ne puisse dire : mon père était plus grand que ton père. »[35]

La même pensée se retrouve dans un midrash[36] concernant le passage de la Mer rouge. On lit dans l’Exode : « L’ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël partit et passa sur leurs arrières. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s’inséra entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Il y eut la nuée, mais aussi les ténèbres ; alors elle éclaira la nuit. Et l’on ne s’approcha pas l’un de l’autre. »[37] Le midrash raconte que « les anges, au moment du passage de la Mer des Joncs, ont voulu chanter un cantique de gratitude à Dieu et Dieu les en a empêchés, en disant : « L’œuvre de ma main, des êtres humains que j’ai créés, sont en train de se noyer dans la mer et vous voudriez chanter un cantique ! » Ainsi le Créateur manifestait le même souci pour la vie de tout homme, quel qu’il soit.⁠[38]

En suivant cette inspiration, le croyant se distingue nettement du fanatique : « Le croyant est au service de Dieu, le fanatique met Dieu à son service. Le croyant rend un culte à Dieu, le fanatique se rend un culte à lui-même en s’imaginant qu’il rend un culte à Dieu. Le croyant écoute la parole de Dieu, le fanatique l’altère. Le croyant s’élève au niveau de Dieu et de son amour, le fanatique abaisse Dieu à son propre niveau. Le fanatisme est un monde du rejet simultané de Dieu et de l’homme. »[39] Ce n’est pas un hasard donc si dans la religion juive, la prière pour la paix revient sans cesse. Et la mission des hommes de religion est claire et impérative : « servir de pont entre les différentes croyances, les différentes tendances » ; en paroles et en actes, « rapprocher et non éloigner ; semer l’amour dans les cœurs et non la haine ; favoriser la fraternité entre les hommes, quels que soient leur religion, leur pays, leur langue. »[40] Comme il a été dit plus haut, « Chalom représente en dernier lieu la plénitude même, c’est-à-dire, la solution définitive de tous les conflits tant dans les rapports des hommes entre eux, que dans les relations de l’être humain avec lui-même et avec Dieu. C’est pourquoi la paix est une tâche permanente, à laquelle l’homme doit travailler tout au long de sa vie. Suivant une expression de Rabbi Yéhochoua Ben Levi, la paix a la même fonction par rapport au monde que « le levain par rapport à la pâte ». Elle est " l’éternel élément moteur du destin humain ». C’est la paix qui crée tout ce qui est noble et grand. C’est elle qui stimule l’énergie humaine et qui fait accéder à la perfection la personnalité individuelle, préparant ainsi l’époque du dénouement messianique. Notre vie n’est rien d’autre qu’une lutte permanente pour la paix perpétuelle et absolue. C’est pourquoi la dernière requête que nous adressons à Dieu est qu’il nous accorde sa bénédiction dans ce combat pour le Chalom, la paix. Ce Chalom qui dérive de la racine hébraïque lehachlim qui a pour signification : " se compléter mutuellement « . Le Chalom implique la paix dans la complémentarité. La vraie paix, c’est tendre la main vers l’autre dans le but de s’entraider et de vivre harmonieusement. L’humanité doit être perçue comme un orchestre symphonique où chacun des instruments apporte sa propre contribution pour rehausser l’oeuvre musicale. En poussant l’analogie plus loin, chacun des musiciens d’un orchestre joue son propre instrument tout en n’étant pas entièrement libre de la manière d’interpréter sa partition lorsqu’il participe à l’exécution d’un concert. Notre concert à tous c’est l’hymne à la paix et à la fraternité. »[41]

Comment, avec tout le respect dû à la nefesh, à la source de la vie⁠[42] expliquer alors certains textes jugés habituellement embarrassants parce qu’ils semblent accréditer voire encourager la violence ?

Commençons par la fameuse loi du Talion, « œil pour œil, dent pour dent… »[43]. Elle ne peut être interprétée littéralement. La mishnah précise : « Quiconque blesse son prochain est astreint à une quintuple réparation : il payera le dommage, la douleur, la médication, la perte de temps et l’humiliation. » Quant à la guemara, elle commente ainsi la mishnah : « Pourquoi la Mishnah demande-t-elle une quintuple réparation ? N’est-il pas dit : « œil pour œil, etc. » ? On devrait donc en conclure que l’œil du coupable doit effectivement être crevé. Mais pareille interprétation n’est pas admissible puisque la Torah [Lv 24, 18 et svts] dit explicitement : « Un homme qui frappe à mort toute créature humaine, il sera mis à mort. S’il frappe à mort un animal, il le paiera corps pour corps. Et si quelqu’un fait une blessure à son prochain, comme il a agi lui-même, ainsi lui sera-t-il fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ». Comme en tuant une bête, on est passible d’un dédommagement pécuniaire, on est passible d’un dédommagement de même nature lorsqu’on blesse son prochain. » Et le Talmud ajoute encore : « A l’académie de rabbi Ezéchias, il a été enseigné : « œil pour œil, vie pour vie » mais non vie et œil pour œil. Prise au pied de la lettre, cette loi pourrait être cause de mort d’homme. Car il pourrait mourir pendant qu’on lui crève l’œil. »[44] Tout le contexte indique comment un délit doit être sanctionné et jamais il n’a été pris au sens littéral dans la tradition juive. Dans les plus anciens commentaires rabbiniques, on précise que ce texte impose des amendes proportionnées au préjudice subi.⁠[45]

Dans le livre des Juges, comment les commentateurs juifs interprètent-ils le célèbre « vœu de Jephté » ? On se souvient que Jephté partant en guerre contre les Ammonites, fit ce vœu au Seigneur : « Si vraiment tu me livres les fils d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les fils d’Ammon, celui-là appartiendra au Seigneur, et je l’offrirai en holocauste. » Malheureusement, « tandis que Jephté revenait vers sa maison à Miçpa, voici que sa fille sortit à sa rencontre , dansant et jouant du tambourin. Elle était son unique enfant : il n’avait en dehors d’elle ni fils ni fille. Dès qu’il la vit, il déchira ses vêtements et dit : « Ah ! ma fille, tu me plonges dans le désespoir ; tu es de ceux qui m’apportent le malheur ; et moi j’ai ,trop parlé devant le Seigneur et je ne puis revenir en arrière. » Mais elle lui dit : « Mon père, tu as trop parlé devant le Seigneur ; traite-moi selon la parole sortie de ta bouche puisque le Seigneur a tiré vengeance de tes ennemis, les fils d’Ammon. » Puis elle dit à son père : « Que ceci me soit accordé : laisse-moi seule pendant deux mois pour que j’aille errer dans les montagnes et pleurer sur ma virginité[46], moi et mes compagnes. » Il lui dit : « Va, et il la laissa partir deux mois ; elle s’en alla, elle et ses compagnes, et elle pleura sur sa virginité dans les montagnes. A la fin des deux mois elle revint chez son père, et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait prononcé. »[47] Ce dernier verset, écrit le Chanoine Osty, est « un des versets les plus délicats de la Bible »[48]. De même, un auteur juif avoue qu’« un entendement moyen peut difficilement trouver un sens convaincant à une histoire aussi navrante. » Et il ajoute que « la littérature midrashique ne nous est pas ici d’un grand secours, les commentaires midrashiques sur ce récit sont maigres et énigmatiques. »[49]

Examinons-les.

Le Midrash⁠[50]  rapproche le vœu de Jephté des vœux semblables prononcés par Eliézer⁠[51] le serviteur d’Abraham, Caleb⁠[52] et Saül⁠[53]Or, dans ces trois cas, Dieu intervient et les promesses sont imprudentes trouvent un dénouement convenable. Dans le cas de Jephté, Dieu n’intervient pas.⁠[54] Dieu s’est-il lassé d’être tenté par ces demandes imprudentes ? Toujours est-il que Jephté non seulement a fait un vœu inconsidéré mais, qui plus est, il aurait pu en être délié par le Grand-Prêtre Pinhas. C’est pourquoi, dit le Midrash, Jephté et Pinhas furent punis.⁠[55] Cette analyse corrobore celle du Rabbin Guigui⁠[56].

A lire plusieurs passages de la Torah, on se rend compte que l’habitude était fort répandue de faire des vœux. En témoigne le livre des Nombres où l’on voit que le vœu ne doit pas se faire à la légère car le Seigneur donne cet ordre : « Lorsqu’un homme aura fait un vœu au Seigneur ou aura pris sous serment un engagement pour lui-même, il ne violera pas sa parole : il se conformera exactement à la promesse sortie de sa bouche.⁠[57] Dans le Deutéronome, on trouve aussi une mise en garde contre cette pratique : « Si tu fais un vœu à l’Éternel, ton Dieu, tu ne tarderas point à l’accomplir : car l’Éternel, ton Dieu, t’en demanderait compte, et tu te chargerais d’un péché. Si tu t’abstiens de faire un vœu, tu ne commettras pas un péché. Mais tu observeras et tu accompliras ce qui sortira de tes lèvres, par conséquent les vœux que tu feras volontairement à l’Éternel, ton Dieu, et que ta bouche aura prononcés. »[58] Jephté a obéit à cette loi et sa fille de même : « Traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche », dit-elle. Si le vœu spontané de Jephté n’avait pas été rempli, on se serait trouvé trouvait face à des difficultés religieuses et éthiques. Pour les éviter, le désir de dispensation engendra un rite d’absolution : le hatarat nedarim qui fut aussi réglementé. On en trouve la formule dans le Kol Nidre[59] (« tous les vœux ») qui est récité à la synagogue avant le coucher de soleil précédant l’office du soir de Yom Kippour, le jour de l’expiation.⁠[60] Par ce rite, Israël, au contraire de Jephté, fait le premier pas et demande l’annulation des vœux le pardon de Dieu.⁠[61]

Le Rabbin Guigui s’arrête aussi au cas d’Amalek, qui lui fournit de nouveau l’occasion de montrer qu’il ne faut pas prendre les textes au pied de la lettre⁠[62] . Il compare la guerre contre Pharaon, menée par Dieu⁠[63] à la guerre contre Amalek confiée à Josué⁠[64]et dont Israël doit effacer jusqu’au souvenir⁠[65]. Pourquoi tant de haine contre Amalek ? Pharaon représentait un danger physique : l’attrait pour les valeurs matérielles, valeurs d’ailleurs qu’Israël regrettera à certains moments dans le désert. Amalek, lui, menace la liberté d’Israël, son cheminement vers la Loi et l’Alliance conclue avec Dieu. Amalek fut défait mais non sans avoir infligé des pertes à Israël. Preuve qu’Israël n’était pas invincible. Le peuple devait s’approprier cette guerre car les commentateurs expliquent « que le mot Amalek a comme valeur numérique deux cent quarante la même valeur numérique que safek (le doute). Lorsque surgit en nous le doute sur telle ou telle valeur entraînant par la suite une distance entre nous et Dieu, c’est à nous qu’il appartient de prendre les armes et de livrer bataille à nos ennemis », conclut A. Guigui.

Amalek étant le symbole du mal, du doute à déraciner, on comprend l’implacabilité du Seigneur. Car, par ailleurs, il est question d’aimer son ennemi. Dans l’ordre, l’Écriture nous dit d’aimer notre prochain⁠[66], d’aimer l’étranger⁠[67] et d’aimer Dieu⁠[68]. Dans l’ordre car « on ne peut pas aimer Dieu si, auparavant, on n’aime pas son prochain et son lointain. »[69] Mais, qu’en est-il de l’ennemi ? Si le problème ne se pose pas pour l’ennemi religieux puisqu’il n’existe pas dans le judaïsme⁠[70] qui accepte l’autre tel qu’il est sans chercher à le « sauver », il se pose peut-être pour l’ennemi personnel. Partant de la parole rapportée par Matthieu : « aimez vos ennemis »[71], A. Guigui⁠[72] signale que, nulle part, il n’est écrit « Tu haïras ton ennemi ». En témoignent plusieurs textes : « Ne te venge pas, ni ne garde rancune à tes concitoyens »[73] ; « Si tu vois le bœuf de ton ennemi ou son âne égaré, tu les lui ramèneras. Si tu vois l’âne de ton ennemi pliant sous la charge, est-ce que tu t’abstiendras de l’aider ? Non, travaille avec lui à relever sa bête. »[74]. Et si deux personnes, un ami et un ennemi, sont en danger, le Talmud enseigne « que c’est l’ennemi qu’il faut secourir tout d’abord »[75].  Et même, à propos de l’Égyptien : « Tu ne haïras pas l’Égyptien, car tu as été étranger dans son pays. »[76] Salomon avertit : « Si tu vois tomber ton ennemi, ne t’en félicite pas ; s’il trébuche, que ton cœur n’en soit pas réjoui, de peur que l’Eternel ne te voie, qu’il ne te condamne, et ne fasse retomber tout le mal sur ta tête. »[77] Ou encore : « Ne dis pas : je rendrai le mal pour le mal ; mets ton espérance en Dieu et il t’assistera. »[78] « Ne dis pas : comme il a agi avec moi, j’agirai avec lui ; je lui rendrai selon ses œuvres. »[79] Et Job déclare : « J’appelle Dieu à témoin si jamais j’ai joui du mal de mon ennemi ; si jamais mon cœur s’est ému de joie quand il lui est arrivé malheur. »⁠[80] Lorsque Moïse menacé de lapidation se plaint au Seigneur, celui-ci répond : « Passe (…) devant tout le peuple. »[81] Parole que le Midrash traduit ainsi : « Imite mon comportement. Dieu ne rend-il pas le bien pour le mal ? alors toi aussi, tu dois rendre à Israël le bien pour le mal. »[82] Peut-on appeler la vengeance de Dieu sur les persécuteurs ? Non car « malheur à celui qui réclame, plus encore qu’à celui contre qui on réclame. Si tu réclames contre ton frère, ton compte sera examiné avant le sien ; ta punition précédera celle que demandes contre lui. »[83] Peut-on au moins répondre à l’insulte ? Non : « Ceux qu’on offense et qui ne répondent pas par des offenses, qui écoutent les injures sans mot dire, qui agissent par amour et qui se réjouissent dans les douleurs, c’est pour eux qu’il a été écrit : « Les amis de Dieu seront comme le soleil dans toute sa force. » »[84] Il faut donc pardonner et ainsi nous-mêmes serons pardonnés : « A qui Dieu pardonne-t-il les péchés ? A celui qui lui-même pardonne les injuresQuiconque est prompt à pardonner, ses péchés aussi lui seront pardonnés. »⁠[85]

Quant à la peine de mort⁠[86] réclamée dans la Torah pour toute une série de transgressions⁠[87], elle fut appliquée rarement « car dès l’origine les rabbins vont mettre en place un système d’une grande complexité[88] afin d’éviter d’arriver à l’exécution » si bien que « la peine de mort a été abolie, de facto, dans son application vers 30 e.v.[89] c’est-à-dire durant la période du début de la rédaction de la Mishna et bien avant la rédaction du Talmud. »[90]


1. 12 novembre 1995.
2. René-Samuel Sirat est Grand Rabbin de France, président du Centre européen d’Etudes et de recherches hébraïques de Troyes – Institut universitaire Rachi.
3. Né en 1923, ministre et Premier ministre à plusieurs reprises, il fut aussi longtemps leader du Parti travailliste avant de rejoindre, en 2005, le parti centriste Kadima. En 2007,il est élu Président de l’État d’Israël. Il a reçu, en 1994, le prix Nobel de la paix avec Yasser Arafat et Yitzhak Rabin.
4. 1865-1935. Grand Rabbin de la communauté ashkenaze de Palestine. Grand érudit, auteur de nombreux ouvrages. Son autorité et son influence sont encore très grandes aujourd’hui. (cf. www.terredisrael.com)
5. In Communio, n° XXI, 1-janvier-février 1996, pp. 29-33.
6. GUIGUI Albert, Dieu parle aux hommes, Racine, 2007, p. 242.
7. Gn 13, 9.
8. Gn 22. A. Guigui estime qu’il vaut mieux parler de « ligature » plutôt que de « sacrifice », d’une part parce que cette traduction correspond davantage aux termes hébraïques et que, d’autre part, Isaac n’a pas été sacrifié mais seulement lié.
9. GUIGUI A., op. cit., p. 244. Embarrassés par cette histoire, certains rabbins font intervenir Satan. Pour Rashi, ce n’est pas Dieu qui donne l’ordre du sacrifice mais Satan. Par contre, selon Bereshit Rabba, commentaire de la Genèse, Satan aurait voulu empêcher Abraham d’obéir en citant la Torah : « Qui versera le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé » (Gn 9, 6). (Cf. RÖMER Th., Dieu obscur, Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament, Labor et Fides, 1998, p. 61).
10. Gn 22, 12.
11. Gn 22, 1.
12. A propos du meurtre d’Abel par Caïn, le Rabbin fait remarquer que la version hébraïque de la Bible (et la TOB) disent : « Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. » (Gn 4, 8) alors que d’autres versions, par contre, traduisent « Cependant, Caïn dit à son frère Abel : « Allons dehors »,… ». Le fait que la Bible hébraïque ne précise pas ce que Caïn a dit est très significatif : ce silence, cette non-communication, est « la cause première de tout conflit ». Le dialogue est donc le remède à la violence. (Op. cit., pp. 248-249). Pour nous en convaincre encore, Guigui se réfère au Midrash où les rabbins se demandent pourquoi Job a été puni. Selon le Midrash, Job fut un des trois conseillers que Pharaon consulta à propos du sort à réserver aux Hébreux. Jethro conseilla la libération, Balaam l’asservissement et Job, lui, se tut. « Son silence le rendit complice. Donc coupable. » Même si Dieu se révèle dans le silence, le silence n’est pas de mise quand il s’agit de dénoncer l’injustice. (GUIGUI A., op. cit ., p. 251).
13. GUIGUI A., op. cit., pp. 244-245.
14. Mt 5, 39.
15. Ahad Ha-Aam (Acher Hirsh Ginsberg,1856-1927), penseur juif très influent, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 246. Guigui dénonce l’attitude de Gandhi, « le meilleur disciple de Jésus au XXe siècle », écrit-il, en raison de certaines de ses déclarations non-violentes. Peu de temps avant la seconde guerre mondiale, Gandhi déclara : « Je suis certain que le cœur de l’Allemand le plus dur s’attendrira [si seulement les juifs]… voulaient adopter une non-violence active. La nature humaine répond immanquablement aux gestes d’amour. Je ne désespère pas de sa réponse [celle de Hitler] aux souffrances humaines, même s’il en est la cause. » (Harijan, 1937-1938). Pendant la guerre, Gandhi conseilla aux Britanniques : « Je voudrais que vous posiez les armes comme n’étant d’aucune utilité pour votre salut et celui de l’humanité. Invitez donc Herr Hitler et Signor Mussolini à prendre ce qu’ils veulent des pays que vous appelez « vos possessions »… Si ces messieurs décident d’occuper vos maisons, vous les évacuerez. S’ils ne vous laissent pas partir, laissez-vous massacrer, hommes, femmes et enfants. Mais refusez de leur faire allégeance. » (sans référence). Et Guigui relève encore cette réflexion qui date de l’après-guerre, dans une conversation que Gandhi eut avec son biographe Louis Fisher, en juin 1946 : « -Hitler a tué cinq [sic] millions de juifs. C’est le plus grand crime de notre temps. Mais les juifs auraient dû s’offrir au couteau du boucher. Ils auraient dû se jeter dans la mer depuis les falaises.- Fisher : Vous voulez dire que les juifs auraient dû se suicider collectivement ? – Oui, cela aurait été de l’héroïsme. » Pour répondre à Gandhi, Guigui cite le philosophe Martin Buber (1878-1965) : « Nous n’avons pas répandu, comme le fit Jésus, fils de notre peuple, et comme vous le faites, l’enseignement de la non-violence, parce que nous croyons qu’un homme doit parfois user de la force pour son propre salut, et encore plus pour celui de ses enfants. » (Op. cit., pp. 246-247).
16. GUIGUI A., op. cit., p. 246, renvoie à ces passages : « Quant à ce prophète ou visionnaire, il sera mis à mort pour avoir prêché la révolte contre le Seigneur votre Dieu qui vous a fait sortir du pays d’Égypte et t’a racheté de la maison de servitude ; cet homme voulait t’entraîner hors du chemin que le Seigneur ton Dieu t’a prescrit de suivre. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (13, 6) ; « La main des témoins sera la première pour le mettre à mort, puis la main de tout le peuple en fera autant. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (17, 7) ; « Vous le traiterez comme il avait l’intention de traiter son frère. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (19, 19) ; « Tous les hommes de sa ville le lapideront, et il mourra. Tu ôteras le mal du milieu de toi… » (21, 21) ; « …on l’amènera à la porte de la maison de son père ; les hommes de sa ville la lapideront, et elle mourra, car elle a commis une infamie en Israël en se prostituant dans la maison de son père. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (22, 21) ; « S’il se trouve un homme qui commet un rapt sur la personne d’un de ses frères parmi les fils d’Israël, qui vend sa victime pour en tirer profit, l’auteur du rapt mourra. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (24, 7).
17. Id., p. 247.
18. Id., pp. 247-248.
19. Is 9, 6.
20. Is 11, 9.
21. Is 32, 15-18.
22. So 3, 15.
23. Za 9, 10.
24. Shab. 10 b.
25.  « Le Seigneur lui [à Gédéon] dit : « La paix est avec toi ! Ne crains rien ; tu ne mourras pas. » A cet endroit, Gédéon bâtit un autel au Seigneur et il l’appela « Le Seigneur est paix ». »
26. Nb 25, 1-9 : « Israël s’établit à Shittim et le peuple commença à se livrer à la débauche avec les filles de Moab. Elles invitèrent le peuple aux sacrifices de leurs dieux. Israël se mit sous le joug de Baal de Péor et le Seigneur s’enflamma de colère contre lui. Le Seigneur dit à Moïse : « Saisis tous les chefs du peuple et fais-les pendre devant le Seigneur, face au soleil, afin que l’ardente colère du Seigneur se détourne d’Israël. » Moïse dit aux juges d’Israël : « Que chacun de vous tue ceux de ses hommes qui se sont mis sous le joug du Baal de Péor ! » Et voici  que l’un des fils d’Israël, amenant une Madianite, arriva au milieu de ses frères ; et cela sous les yeux de Moïse et de toute la communauté des fils d’Israël, alors qu’ils pleuraient à l’entrée de la tente de la rencontre. A cette vue, le prêtre Pinhas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron, se leva au milieu de la communauté ; prenant en main une lance, il suivit l’Israélite dans l’alcôve et les transperça tous les deux, l’Israélite et la femme, dans l’alcôve de cette femme. Alors s’arrêta le fléau qui frappait les fils d’Israël. Les victimes de ce fléau furent au nombre de 24.000. »
27. Nb 25, 10-13.
28. La traduction est incapable de rendre la subtilité que le texte hébreu contient. En effet, dans le mot שָׁלוֹם (chalom), la deuxième lettre, le vav (littéralement : le « crochet ») est coupé ce qui constitue, écrit A. Guigui, une « anomalie grave et exceptionnelle ». Cette coupure « a valeur de conseil pour l’avenir. Mieux vaut, au départ, une paix dont une partie est coupée, c’est-à-dire une paix incomplète, plutôt qu’une discorde complète et parfaite. » (op. cit., pp. 254-5-255). La lettre vav qui sert de conjonction de coordination, symbolise l’union, ce qui réunit les choses entre elles (elle a la forme d’une cheville de bois), la fécondation qui engendre la vie (elle évoque aussi par sa forme le sexe masculin), l’harmonie, la communication entre les puissances célestes et les forces terrestres, le ciel et la terre, l’esprit et la matière, le Créateur et sa création. Elle est la sixième lettre de l’alphabet et fait ainsi sans doute allusion aux six jours de la création (Cf. www.alephbeth.net/alphabet/vav.html). La coupure du vav indique donc une rupture dans les différentes valeurs suggérées.
29. Cf. GUIGUI A., op. cit., p. 255.
30. 1 Ch 22, 7-8.
31. GUIGUI A., op. cit., p. 252.
32. HARBOUN Haïm, Le respect de la vie dans le judaïsme, (texte disponible sur http://haim.harboun.fr). Né en 1932, H. Harboun est diplômé du Séminaire israélite de France, directeur de recherche de l’Université de Provence, docteur en psychologie clinique, docteur en histoire, diplômé en ethnopsychologie.
33. Cf. Aboth (avote) de Rabbi Nathan cité par ARBOUN H., op. cit. H. Harboun rappelle l’opinion du Rabbin Akiba (ou Akiva) (vers 50-135), martyrisé par les Romains, il est l’un des maîtres les plus importants de la troisième génération de docteurs de la Mishnah, la plus importante des sources rabbiniques. Il disait : « Tu aimeras pour ton prochain ce que tu aimes pour toi-même (Lv 19), c’est là un grand principe, un principe fondamental de la Torah ». Un contemporain d’Akiba, Ben Azaï estime, lui, que le principe selon lequel l’homme équivaut à toute la création est supérieur à celui d’Akiba. H. Harboun explique : « Pour Rabbi Akiba les relations avec le prochain sont commandées par l’idée de réciprocité, alors que Ben Azaï, lui, fonde les relations de l’homme avec ses semblables sur la fraternité d’origine : un seul homme est à l’origine de toute l’humanité. L’homme a été créé à l’image de Dieu. Le prochain rappelle le Créateur commun de l’univers. » C’est pour cette même raison, que « la Torah érige en mitsva [commandement, prescription] l’obligation d’aimer l’étranger. »
34. La TOB traduit : « Voici le livret de famille d’Adam ». Les deux traductions sont justifiables. Le mot hébreu 'tôledôt' peut signifier naissance ou famille ou histoire ; c’est la même racine que l’enfant. On retrouve ce mot en Gn 2,4 : « Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création. »
35. Sanhédrine IV, cité par ARBOUN H., id.. Le Rabbin répond à l’objection de certains commentateurs « malveillants », dit-il, qui ont fait remarquer que le texte ne parlait pas d’un « homme » mais d’un Israélite. H. Harboun objecte que le mot « Israélite » n’est pas dans le texte original mais qu’il a été introduit plus tard après la clôture du Talmud.
36. Récit, enseignement, exégèse, découverte, compilation d’enseignements, de commentaires.
37. Ex 14, 19-20.
38. ARBOUN H., op. cit..
39. Op. cit., p. 250.
40. Id., p. 249.
41. GUIGUI A., Conférence sur http://ec.europa.eu/education. En conclusion, A. Guigui conte cette histoire talmudique : « Un père laissa à ses deux enfants après sa mort, un champ de blé. Les deux y travaillaient et divisaient la récolte à part égale. Un soir, en plein été, le jeune frère perdit le sommeil. Il se dit en lui même : comment puis-je partager avec mon frère à part égale ? Lui, a une grande famille à nourrir. Ses besoins sont nettement plus importants que les miens. Il se leva en pleine nuit, prit des gerbes de son tas et les ajouta au tas de blé de son frère. Mais le frère âgé, lui aussi, perdit le sommeil. Comment puis-je partager à part égale avec mon frère ? Se dit-il. Moi, j’ai une famille. Aux jours de ma vieillesse, mes enfants s’occuperont de moi. Ils prendront soin de moi et je ne manquerai de rien. Mon frère quant à lui, est seul. Qui veillera sur lui ? C’est maintenant qu’il doit faire des réserves pour ses vieux jours. Et lui aussi se leva, prit des gerbes de son tas et les ajouta au tas de son frère. Le lendemain les deux frères étaient étonnés. Le volume des tas n’avait pas changé. Le deuxième soir ce fut le même scénario. Le troisième soir, les deux frères se levèrent à la même heure. Chacun d’eux se dirigea vers le tas de son frère avec ses gerbes sur les bras. A mi-chemin, ils se croisèrent. Et les larmes aux yeux s’embrassèrent. Dieu dit alors : c’est sur ce lieu de fraternité que je construirai mon Temple symbole de paix et de concorde. C’est sur ce lieu que je ferai résider ma présence. Puisse Dieu faire résider la paix dans ce monde, une paix juste et durable. »
42. « La respiration (neshama) est l’haleine, l’indice de la vie donnée par Dieu à l’homme (Gn 2). La nefesh signifie d’abord le cou (Ps 44, 26), puis la trachée, le souffle et enfin la vie ou le principe vital (Ps 30,4 ; Pr 8,35). C’est par la puissance de Dieu que l’homme devient une nefesh vivante (Gn 2,7). Mais il peut prendre des connotations psychologiques (devoir, aspiration), comme dans le Ps 35. Ce terme revient 755 fois dans l’AT et il est traduit par âme (psyché) dans la Septante. » (TRUBLET Jacques s.j., La conception hébraïque du corps, in Choisir, juillet-août 2006, p. 23 ( Cf. www.choisir.ch).) J. Trublet est professeur d’Ancien Testament au Centre de Sèvres.
43. Ex 21, 24.
44. GUIGUI A., op. cit., pp. 29-30.
45. Cf. REMAUD Michel, Connaissance du judaïsme : la loi du Talion, in Un écho d’Israël, 26, novembre-décembre 2005. L’auteur se réfère au midrash tannaïte.
46. TOB note (u) : « C’était un déshonneur pour une femme de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants. »
47. Jg 11, 29-40.
48. OSTY E. et TRINQUET J., La Bible, Josué, Livre des Juges, Ruth, Rencontre, 1970, p. 228, note 39. La Bible de Jérusalem, p. 295, note b, déclare qu’« il ne faut pas en atténuer le sens : Jephté immole sa fille (…) pour ne pas manquer au vœu qu’il a fait. » Certes les sacrifices humains sont réprouvés en Israël, comme on le voit en Gn 22 à propos d’Isaac et d’Abraham, « mais, continue le commentateur, le narrateur rapporte l’histoire sans exprimer aucun blâme, et l’accent paraît même être mis sur la fidélité au vœu prononcé. »
49. L’énigme Jephté sur www.lechampdumidrash.net
50. Gn Rabba 60, 3 (cf. www.lechampdumidrash.net).
51. Gn 24, 10-20.
52. Jos 15, 16-17.
53. 1S 17, 25.
54. « Eliezer a dit : « La jeune fille à qui je dirai… ce sera celle que tu as destinée ». Autrement dit, si une servante quelconque était sortie à cet instant et lui avait donné à boire, il l’aurait conduite au fils de son maître ! Mais le Saint béni soit-il rectifia la chose : « Il n’avait pas fini de parler que sortait Rébecca » (…). Caleb a dit : « Celui qui battra Qiryat-Séphèr et s’en emparera, je lui donnerai pour femme ma fille Aksa » (…). Par conséquent, si un esclave s’était emparé de la ville, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il rectifia de lui-même, comme il est dit : « Celui qui s’en empara fut Otniel, fils de Qenaz, frère de Caleb, qui lui donna pour femme sa fille Aksa » (…). Saül a dit : « Celui qui l’abattra, le roi le comblera de richesses, il lui donnera sa fille » (…). Et donc, si un Ethiopien, un idolâtre ou un esclave l’avait frappé, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il corrigea la chose, comme il est dit : « David était le fils d’un Ephratéen » (…). Jephté a dit : « Celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre… Celui-là appartiendra à Yahvé, et je l’offrirai en holocauste » (…). Et donc si un âne, un chien ou un chat était sorti, il l’aurait immolé en holocauste ? Cette fois le Saint béni soit-il ne rectifia pas la chose, comme il est écrit : « Lorsque Jephté revint à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre (…). Dès qu’il l’eut aperçue, il déchira ses vêtements »…. » (www.lechampdumidrash.net)
55. « Pinhas n’aurait-il pas pu le délier de son vœu ? Mais Pinhas se disait : « C’est Jephté qui a besoin de moi, et moi je devrais aller chez lui ? » Et Jephté se disait : « Est-ce à moi qui suis à la tête des chefs d’Israël de me rendre chez Pinhas ? » A cause de ces deux hommes, la jeune fille mourut. (…) Tous deux furent punis pour son sang. Jephté mourut en perdant un à un tous ses membres (abarim) : partout où il allait il perdait un membre et on l’ensevelissait sur place. En effet, il est écrit : « Jephté le Galaadite mourut et il fut enseveli dans les villes (‘are) de Galaad (…). Il n’est pas dit : « dans la ville de Galaad », mais « dans les villes de Galaad ». Quant à Pinhas, l’esprit de sainteté lui fut retiré, comme il est dit : « Pinhas, fils d’Eléazar, en avait été autrefois le chef » (1 Ch 9, 20). Il n’est pas écrit ici : « est leur chef », mais « était leur chef (quand) Yahvé était avec lui ! ». » (id.). L’affaire se complique quand on sait que Pinhas est identifié à Elie (cf. BATSCH Christophe, La guerre et les rites de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple, Supplements to the Journal for the Study of Judaism (93), Brill, 2005, pp. 141 et svtes) ce qui fiat écrire au commentateur du Champ du Midrash que « Dieu devait envoyer le messie (et son précurseur Elie) pour alléger la loi, or il est en retard. Et donc, la faute de jephté est due en quelque sorte au retard de Dieu. » (id.).
56. Conférence à l’Ecole de la Foi de Namur, le 18 janvier 2006.
57. Nb 30, 3. Suivent toute une série de règles qui soumettent les vœux de la femme à l’autorité des pères et des maris.
58. Dt 23, 22-24.
59. La plus ancienne formulation connue de ce texte se trouve dans le livre de prières, le Siddour, d’Amram Gaon. Mort en 875, il fut le directeur de l’Académie talmudique de Soura en Babylonie.
60. Le texte qui est chanté, dit à propos des vœux que l’on pourrait être incapable de remplir dans l’année à venir : « Tous les vœux que nous pourrions faire depuis le jour de Kippour jusqu’à celui de l’année prochaine (qu’il nous soit propice), toute interdiction ou sentence d’anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœu ou par serment nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d’avance ; qu’ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus ; qu’ils n’aient ni force ni valeur ; que nous vœux ne soient pas regardés comme vœux, ni nos serments comme serments. » (Jewish History Sourcebook : An Oath Taken by Jews Frankfort on the Main, about 1392 ; cf. aussi BIRNBAUM Philip, High Holyday Prayer Book, Hebrew Publishing Company, 1951). Cette prière explique la méfiance qui entoura les serments juifs en Europe jusqu’au début du XXe siècle. Dans les cours de justice, ils furent obligés de prêter un serment spécial qui fut appelé serment « more judaïco » (selon la coutume juive).
61. Ce pardon renvoie au rituel prévu dans Nb 15, 22-29 pour les fautes involontaires. L’analyste du Champ du Midrash va plus loin encore, identifiant la fille de Jephté à Miriam la prophétesse (Ex 15, 20) qui mourrait à cause du vœu de son père mais aussi à cause de son hérésie, de son idolâtrie. Miriam représente le peuple juif tenté sans cesse par l’idolâtrie et qui mériterait que Dieu représenté par Jephté accomplisse son vœu de détruire ce peuple idolâtre, sa fille, Israël. Dans cette hypothèse, « le Kol Nidre  demanderait l’annulation de tous les vœux. Celui de Dieu et ceux d’Israël ».
62. Cf. GUIGUI A ., La Bible miroir de notre temps, Racine, 2008, notamment, en ce qui concerne Amalek : pp. 317-318.
63. Ex 14, 14.
64. Ex 17, 8.
65. Dt 25, 19.
66. Lv 19, 18.
67. Lv 19, 34.
68. Dt 6, 5.
69. GUIGUI A., Dieu parle aux hommes, Racine, 2007, p. 129.
70. Id., pp. 137-139. « Sept commandements ont été donnés aux fils de Noé [ce sont les lois nohahides, pour les non-juifs]  : -l’institution de magistrats : - l’interdiction de blasphémer le nom de Dieu : -l’interdiction de l’idolâtrie ; -l’interdiction des unions illicites ; -l’interdiction du meurtre ; -l’interdiction du vol avec violence ; -l’interdiction de prélever un fragment de chair sur un animal vivant. » (Le Talmud cité in GUIGUI A., id., p. 137). Pour A. Guigui, « le juif et le nohahide sont ainsi parfaitement égaux, non seulement devant les vérités de la Loi, mais aussi devant les exigences de la Loi, avec cette différence que la Loi du peuple juif est plus complexe et plus diversifiée. Cette diversité répond, en fait, à la responsabilité du peuple juif qui découle inéluctablement du caractère de son élection, qui exige de lui plus de devoirs pour remplir la tâche qui lui a été confiée par Dieu. (…) Maïmonide est catégorique à ce propos : « Quiconque accepte les sept commandements et les observe avec soin est considéré comme un Gentil pieux et il a part à la vie éternelle ». »  (Id., p. 138). Le Rabbin Jacques Kohn rappelle toutefois qu’en réalité, il existe « une énorme différence entre l’échelle des valeurs applicables à Israël et celle requise du monde non juif. Si un juif commet un vol d’une valeur d’une valeur au moins d’une perouta, il est condamnable (Baba Metsi’a 55a), tandis que le noahide est passible de mort pour un vol d’une valeur inférieure à ce montant (Yevamoth 47b). La différence, même si elle paraît minime, (la perouta représentant la plus petite des pièces de monnaie, un « sou » en quelque sorte) est en réalité considérable. Elle montre en effet qu’il existe toujours pour le Juif une marge de miséricorde divine, mais que cette marge fait défaut chez le noahide. C’est dire que, d’un point de vue conceptuel, il est plus « facile » à un Juif d’accomplir l’intégralité de ses devoirs envers Hachem [« le Nom », Dieu] qu’à un païen de s’exécuter des siens. » (www.techouvot.com)
71. Mt 5, 43-44.
72. L’auteur reprend ici l’analyse de BENAMOZEGH Elie (1822-1900), Morale juive et morale chrétienne, ch. 8, œuvre disponible sur le site http://ghansel.free.fr
73. Lv 19, 18. « A dit à B : « Prête-moi ta faucille » et B répond : « Non ! » Le jour suivant B dit à A : « Prête-moi ta hache. » A répond : « Je ne te la prêterai pas, comme tu as refusé de me prêter ta faucille » : ceci est la vengeance. (…) A dit à B : « Prête-moi ta hache. » B répond : « Non ! Le jour suivant B dit à A : « Prête-moi ton vêtement. » A répond : « Oui, je te le prête, quoique tu m’aies refusé ta hache l’autre jour » : cela, c’est de la rancune. » (Yoma, 23a, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 140, notes 2 et 3).
74. Ex 23, 4-5 et Dt 22, 1-4.
75. Baba Metsia 32b, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 140.
76. Dt 23, 8.
77. Pr 24, 17-18.
78. Pr 20, 22
79. Pr 24, 29.
80. Jb 31, 29.
81. Ex 17, 4-5.
82. Chemoth Rabba, 26 cité par GUIGUI A., op. cit., p. 143.
83. Baba Kama, 93a, cité par GUIGUI A., id..
84. Jg 5, 34 in Yoma 23a, cité par A. Guigui, id., p. 144.
85. Meguilla 28b, id..
86. Par le feu, la lapidation, la pendaison ou l’épée.
87. Viol, enlèvement de personnes à fin de gain, sorcellerie, violation publique du shabbat, culte païen avec sacrifices humains ou prostitution sacrée, meurtre avec préméditation, adultère, homosexualité, blasphème, inceste, etc..
88. Il faut réunir 23 membres du Sanhédrin ni trop jeunes (ils manqueraient d’expérience), ni trop vieux (ils seraient trop sévères), qu’ils aient des enfants et qu’ils soient érudits. Ce tribunal est contrôlé par les autres membres du Sanhédrin qui veillent au respect de la Torah et à l’indépendance du tribunal. Le procès ne peut être convoqué que s’il existe au moins deux témoins oculaires directs. Ce sont eux, le cas échéant, qui exécuteront la sentence (cf. Dt 17, 7) ceci pour dissuader les faux témoignages et pour que les accusateurs comprennent la gravité de l’accusation. Face à eux, les 23 membres du Sanhédrin jouent, en quelque sorte, le rôle de défenseurs : ils interrogent les témoins puis expriment leur opinion, du moins érudit au plus érudit pour que celui-ci n’influence pas les autres. Celui qui défend l’accusé ne pourra, par la suite, se rétracter tandis que celui qui plaide la culpabilité pourra par la suite changer d’avis une seule fois. Par ailleurs, les aveux de l’accusé n’ont aucune valeur car ce serait, en cas de condamnation, un suicide. Si le moindre doute apparaît, le tribunal remet la sentence à Dieu par crainte de condamner un innocent. De telles règles expliquent que l’on puisse lire dans le Talmud : « Un Sanhédrin qui prononce une condamnation à mort en sept ans est appelé sanguinaire, selon d’autres opinions, une fois tous les septante ans. Rabbi Tarphon et Rabbi Akiva ont enseigné : « Si nous avions siégé dans un Sanhédrin, il n’y aurait jamais eu de condamnation. » »_ (Makkot 7a, cité dans l’article La justice sans peine de mort sur http://maimon.blog.lemonde.fr
89. E.v.: « ère vulgaire » ou e.c. « ère commune », expressions employées par ceux qui répugnent à parler d’ère chrétienne.
90. Cf. La justice sans peine de mort, op. cit..