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Chapitre 1 : L’Ancien Testament, lectures juives et chrétiennes

« Que la paix règne… »[1]

Avant de nous engager dans la lecture des passages les plus dérangeants de la Bible, guidés par les exégètes juifs et chrétiens, il n’est pas inutile de faire un petit détour par une analyse « neutre »  si tant est qu’une analyse puisse être neutre. L’égyptologue et historien des religions Jan Assmann⁠[2] s’est demandé, sans référence à la théologie, si les faits rapportés dans l’Ancien Testament pouvaient vraiment « servir à la légitimation d’actions violentes dans l’histoire. »[3]

Il affirme d’abord, comme beaucoup d’autres, que la  violence religieuse, définie « comme la violence exercée au nom de la volonté de Dieu ( …) n’a pris forme qu’avec l’émergence du « monothéisme ». »[4] Mais il se pose ensuite la vraie question qui est de savoir pourquoi la Bible raconte tant d’histoires dures et cruelles.

Distinguant histoire et mémoire de l’histoire, réalité et souvenir de la réalité, fait et écriture du fait, il estime que la Bible procède à une « mise en scène narrative » de la fondation et de la victoire du monothéisme⁠[5]. Les auteurs inspirés reconstruisent un passé dans un langage de violence. C’est ce langage qui fait problème car la violence, elle, est de tout temps et préexiste au monothéisme. La violence du langage donc souligne le caractère exclusif, radical, révolutionnaire du monothéisme biblique : « Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi »[6] ! Cette présentation est, en réalité, une reconstruction du passé pour souligner le caractère antagoniste de cette religion nouvelle par rapport aux religions traditionnelles.⁠[7] Là où l’histoire montre une évolution, les écrivains veulent signifier une révolution par une mise en scène violente et intolérante qui confine parfois à la satire, à la « caricature polémique » ou à l’absurde⁠[8]. Le but est de mener au paganisme « une guerre d’extermination sémantique ».⁠[9]

Avant l’alliance du Sinaï, Dieu punit mais il ne montrera sa colère jalouse⁠[10] qu’après cette alliance. Pour Assmann, sa violence est alors une « violence politique » qui relève de la souveraineté de Dieu mais non de sa nature⁠[11]. Dieu est désormais le législateur qui, par sa « violence juridique » met un terme à la « violence pure », au « chaos venu d’en haut »[12] c’est-à-dire, très concrètement, à l’ « idéologie impériale conservatrice », totalitaire, des Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Séleucides, Romains. La Bible place « un Dieu fort à la place de l’État fort »[13] dont il libère son peuple. Ici aussi on peut parler d’une révolution par rapport aux autres religions. Non seulement le culte est destiné à Dieu comme il l’était aux dieux mais ici, le droit destiné aux hommes comme dans les autres cultures, est destiné à Dieu également puisqu’il en procède.⁠[14] Conforme à la loi de Dieu, une loi « soustraite à l’autorité des rois », l’action droite, en même temps qu’elle exerce son pouvoir libérateur, « devient […] lors une nouvelle forme humaine du culte divin. »[15]

Les textes les plus durs où s’exprime la colère jalouse de Dieu sont adressés aux ennemis de l’intérieur, à ceux qui, dans le peuple élu, sont séduits ou risquent d’être séduits par le paganisme, adorateurs du veau d’or⁠[16], de quelque dieu que ce soit⁠[17], du Baal de Péor⁠[18], Hittites, Amorites, Cananéens, Perizzites, Hivvites, Jébuséens…⁠[19]. La différence de traitement entre les membres du peuple élu tenté par l’infidélité et les peuples étrangers, révèle clairement, pour J. Assmann, la nécessité d’ « exterminer le païen » qui est en nous.⁠[20] La violence du langage devient invitation à la conversion intérieure

En conclusion, on peut dire que dans la fiction littéraire, « le langage de la violence résulte seulement de la pression politique, dont le monothéisme entendait justement libérer l’humanité. »[21] « La violence n’est aucunement inscrite dans le monothéisme comme une conséquence nécessaire ( …), elle appartient à la rhétorique révolutionnaire de la conversion, du changement et du détournement radical, du saut culturel de l’ancien vers le nouveau. »[22]

La violence en acte « relève du champ de la politique, et non de la religion, et une religion qui s’empare de la violence reste figée dans le domaine du politique et manque sa véritable fonction dans ce monde » qui est « de libérer les hommes de la toute-puissance du cosmos, de l’État, de la société ou de quelque autre système à prétention totalisante. »[23]

Cette mise au point ne nous dispense pas, si nous voulons répondre à des interprétations fondamentalistes ponctuelles, d’examiner de plus près les textes apparemment les plus « dérangeants ».


1. Is. 121, 7.
2. Cf. notamment ASSMANN Jan, Violence et monothéisme, Bayard, 2009. J. Assman est professeur à l’université d’Heidelberg.
3. Op. cit., p. 9.
4. Id. p. 29. La violence religieuse, précise-t-il « fait la distinction entre ami et ennemi dans un sens religieux » et fondamentalement « entre le vrai et le faux ». (id., p. 32).
5. Id., p. 37.
6. Ex 20, 3 et Dt 5, 7.
7. Cette radicalité n’est pas historique. Dans la réalité le passage du polythéisme au monothéisme s’est fait par étapes, progressivement. On est passé du polythéisme à l’ « hénothéisme » (un seul Dieu au-delà de nombreux autres dieux) puis à la « monolâtrie » (on adore un seul Dieu tout en reconnaissant d’autres dieux) , puis au « monothéisme inclusif » (tous les dieux sont Un seul Dieu) puis, tardivement, au « monothéisme exclusif » qui s’est petit à petit dégagé des autres options et qui s’est imposé, en Israël, après l’exil (ASSMANN J ;, op. cit., pp. 44-49 et 71-88).
8. L’auteur en donne plusieurs exemples : Ps 82 ; Is 44, 12-19 ; Jr 10, 3-5 et 8-11 ; Sg 13, 11-19, Sg 14, 8-12, Sg 14, 23-27.
9. ASSMANN J., op. cit., p . 88.
10. S’appuyant sur l’hébreu, J.-Y Lacoste (in Lacoste, article « jalousie divine ») montre que la jalousie divine n’a pas la connotation négative de la jalousie humaine faite d’amour possessif, de soupçon et de haine vindicative. La jalousie divine est  un « attachement exclusif et irrévocable de Dieu à Israël comme partenaire de l’alliance (…) ; et c’est par ce concept que la Bible exprime le caractère unique et absolu de YHWH comme Dieu d’Israël. Le concept de « Dieu jaloux » apparaît en effet comme le fondement de la loi du monothéisme, et il donne sa justification à l’interdiction absolue d’avoir d’autres dieux et de rendre un culte aux idoles (…). » Quand Dieu punit dans sa jalousie, il montre combien lui adhérer est sérieux et que « la trahison de son amour (ou « haine ») équivaut à la mort (…) ». Mais sa jalousie signifie aussi « élection, amour débordant et éternellement fidèle. » Israël menacé, l’amour jaloux s’abat sur les ennemis et se révèle miséricorde et salut pour son peuple.
11. Cf. LACTANCE, De ira Dei.
12. ASSMANN J., op. cit., p. 104. Le « chaos venu d’en bas » est celui du people qui doit être maîtrisé par le pouvoir du prince.
13. Id., p. 108.
14. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire Mi 6, 6-8 ; Is 1, 11-17 ; Am 5, 21-24.
15. ASSMANN J., op . cit., pp. 103 et 111.
16. Ex 32, 1-4 ; Ex 32, 19-20 ; Ex 32, 26-28.
17. Dt 13, 7-12 ; Dt 28 ; 1 R 9, 6-7.
18. Nb 25, 1-8.
19. Dt 20, 10-18 ; Dt 13, 13-19 ; Ex 23, 31-33 ; Dt 12, 2-3. En comparant ces textes, on constate que c’est le « paganisme intérieur » qui est l’objet de la plus grande violence et non le « paganisme étranger ».
20. ASSMANN J., op. cit., p. 135.
21. J. Assmann, à la suite d’autres auteurs, fait remarquer que bien des formulations deutéronomiques sont copiées presque mot pour mot de textes assyriens. Le droit royal assyrien exigeait « une loyauté absolue de ses vassaux. » (Cf. Othmar Keel et Eckart Otto, cités in ASSMANN J., op. cit., p. 117).
22. Id., p. 165.
23. Id., pp. 169-170.

⁢i. Recours à l’exégèse

Il est très facile et peu sérieux d’affirmer que l’Ancien Testament est la source de toutes les barbaries imputables aux juifs aux chrétiens. Il suffit de relever dix, vingt ou cent citations incitant à la destruction des ennemis. Nous avons vu que de tels catalogues ont été fabriqués à partir du Coran. Ils existent aussi pour la Bible.

La plus élémentaire rigueur intellectuelle demande qu’un texte soit étudié dans toute sa complexité, dans toutes ses contradictions éventuelles.⁠[1] Si le Coran est composé de sourates mecquoises et médinoises dont l’ordonnance, la composition et l’historicité posent problème⁠[2], la Bible demande davantage encore de doigté dans son interprétation puisqu’elle est, comme on le répète, une bibliothèque qui ne couvre pas le temps d’une vie mais des siècles de l’histoire d’un peuple et que les différents livres appartiennent à des genres et à des styles différents. Les destinataires ne sont pas des hommes abstraits mais des hommes bien concrets qui étaient immergés dans une histoire, une culture, des problèmes

qui ne sont pas les nôtres.

C’est pourquoi « la tradition juive connaît deux grands livres qui alimentent sa foi : le Tanakh et le Talmud ».⁠[3] Le Tanakh désigne simplement les 24 livres de la Bible juive tandis que le Talmud reprend la tradition orale d’Israël, l’enseignement des grandes écoles rabbiniques des premiers siècles, entre le IIe et le VIe siècles.⁠[4] Dans le Talmud on apprend à lire la révélation faite par Dieu et à « humaniser ce qui est divin »[5]. Comme l’écrit un rabbin, « le Talmud n’est rien d’autre qu’une incessante relecture et la constante réactualisation de l’insondable Torah [le pentateuque] par des docteurs qualifiés. »⁠[6]

De même, Bible et tradition sont inséparables dans l’Église. Le « et », comme le fait remarquer Louis Bouyer, est même de trop : « Disons plutôt, écrit-il, que la Parole de Dieu, donnée une fois pour toutes à l’Église par les apôtres comme venant du Christ lui-même dans l’Esprit, y est gardée vivante dans l’ensemble de la tradition (…) ».⁠[7] Le Concile Vatican II confirmera cette conception : « pour vraiment découvrir ce que l’auteur a voulu affirmer par écrit, on doit tenir un compte exact soit des manières natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de l’hagiographe, soit de celles qu’on utilisait ça et là à cette époque dans les rapports humains.

Cependant, puisque la Sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger, il ne faut pas, pour découvrir exactement le sens des textes sacrés, porter une moindre attention au contenu et à l’unité de toute l’Écriture, eu égard à la Tradition vivante de toute l’Église et à l’analogie de la foi. Il appartient aux exégètes de s’efforcer, suivant ces règles, de pénétrer et d’exposer plus profondément le sens de la Sainte Écriture, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement de l’Église. Car tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Écriture est finalement soumis au jugement de l’Église, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l’interpréter. »[8]

Il est donc malvenu de citer tel quel, comme c’est souvent le cas, un extrait du chapitre 20 du Deutéronome et sans curiosité, sans effort d’interprétation, d’en conclure à la barbarie de la foi d’Israël.

Il n’est pas question non plus pour les chrétiens d’ignorer l’Ancien Testament sous prétexte que la Nouvelle Alliance annulerait la Première mais, en réalité, parce qu’ils sont embarrassés par nombre de textes qui leur paraissent en totale opposition avec ce que le Christ a révélé. Or les livres de l’Ancien Testament sont aussi « divinement inspirés »  et « conservent une valeur impérissable »[9]. « Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine. C’est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s’exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d’admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut. » ⁠[10] Et le Concile nous indique comment lire ces deux Testaments indissociables donc : « Inspirateur et auteur des livres de l’un et l’autre Testament, Dieu les a en effet sagement disposés de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l’Ancien et que, dans le Nouveau, l’Ancien soit dévoilé. Car, encore que le Christ ait fondé dans son sang la Nouvelle Alliance (cf. Luc 22, 20 ; 1 Cor, 11, 25), néanmoins les livres de l’Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique, atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament (cf. Mat. 5, 17 ; Luc 24, 27 ; Rom. 16, 25-26 ; 2 Cor. 3, 14-16), auquel ils apportent en retour lumière et explication. »[11]

Rappelons encore que l’Église a condamné ceux qui ont cherché à exclure du canon les textes de l’Ancien Testament tel que nous le connaissons. Gêné par un Dieu qui commande la guerre, Marcion⁠[12], par exemple, au IIe siècle, avait opposé la Loi et l’Évangile, le Dieu de justice et de vindicte de l’Ancien Testament, le Dieu des Juifs et le Dieu de Jésus, Dieu supérieur, Dieu de bonté et de miséricorde. Il rejeta donc tout l’Ancien Testament et ne garda comme Écriture que l’Évangile de Luc débarrassé de ses premiers chapitres et 10 épîtres de Paul. Cette position outrancière hâta l’établissement du Canon des Écritures⁠[13]. En 144, Marcion fut rejeté de la communauté chrétienne de Rome⁠[14] où il s’était établi en 140.

Après ces préliminaires, venons-en au cœur du problème.

Il y aurait⁠[15] « plus de six cents passages (qui) disent explicitement que des peuples, des rois ou des individus en ont attaqué d’autres, les ont anéantis et tués ».⁠[16] Mais, plus encore que la violence humaine, c’est la violence de Dieu qui s’exprime dans un millier de textes : « on dit que la colère de YHWH s’enflamme, qu’il punit par la mort et la ruine ; comme un feu dévorant il juge, se venge et menace d’anéantissement ».⁠[17] Dieu apparaît souvent comme impitoyable : « C’est ainsi que tu agiras à l’égard de toutes les villes qui sont très éloignées de toi, celles qui ne sont pas parmi les villes de ces nations-ci. Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. En effet, tu voueras totalement à l’interdit le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite, comme le Seigneur ton Dieu te l’a ordonné, afin qu’ils ne vous apprennent pas à agir suivant leur manière abominable d’agir pour leurs dieux : vous commettriez un péché conter le Seigneur votre Dieu. »[18] La violence est non seulement autorisée « pour défendre les intérêts du pays, de la religion et de la culture » mais elle est aussi ritualisée sous forme de guerre sainte : « Il (Saül) prit une paire de bœufs, les dépeça et, par l’entremise des messagers, en envoya les morceaux dans tout le territoire d’Israël, en faisant dire : « Celui qui ne part pas à la guerre derrière Saül et Samuel, voilà ce qu’on fera à ses bœufs ! » La Seigneur fit tomber la terreur sur le peuple et ils partirent comme un seul homme ».⁠[19] La guerre est louable et le pillage et le massacre deviennent des actes religieux réglementés : « La ville (Jéricho) sera dévouée par anathème[20] à Yahvé, avec tout ce qui s’y trouve. Seule Rahab, la prostituée, aura la vie sauve ainsi que tous ceux qui sont avec elle dans sa maison, parce qu’elle a caché les émissaires que nous avions envoyés. Mais vous, prenez bien garde à l’anathème, de peur que, poussés par la convoitise, vous ne preniez quelque chose de ce qui est anathème, car ce serait rendre anathème le camp d’Israël et lui porter malheur. Tout l’argent et tout l’or, tous les objets de bronze seront consacrés à Yavhé, ils entreront dans son trésor. »

Le peuple poussa le cri de guerre et l’on sonna de la trompe. Quand il entendit le son de la trompe, le peuple poussa un grand cri de guerre, et le rempart s’écroula sur place. Aussitôt le peuple monta vers la ville, chacun devant soi, et ils s’emparèrent de la ville. Ils dévouèrent à l’anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux taureaux, aux moutons et aux ânes, les passant au fil de l’épée. (…) On brûla la ville et tout ce qu’elle contenait, sauf l’argent, l’or et les objets de bronze et de fer qu’on livra au trésor de la maison de Yahvé. Mais Rahab, la prostituée, ainsi que la maison de son père et tous ceux qui lui appartenaient, Josué leur laissa la vie sauve. »[21]

On n’a pas manqué, à travers l’histoire, de justifier par de tels textes, les guerres et les persécutions religieuses. Plusieurs aussi ont fait remarquer que la violence contenue dans le Coran était tributaire de textes analogues de l’Ancien Testament.


1. On trouve ainsi des présentations d’une partialité éhontée comme cet article intitulé : l’Islam et le judaïsme confrontés par leurs textes (sur www.interet-general.info ). L’auteur rassemble 18 citations extraites du Coran et qui, toutes, sont des incitations à la violence face à un nombre plus ou moins équivalent de passages de l’Ancien testament qui tous invitent à l’amour. Le site www.anti-religion.net dont l’objectif est clair, exécute les trois religions monothéistes en quelques phrases. Ainsi, le judaïsme et le christianisme sont-ils accusés de propager la guerre sainte sur base d’un seul extrait du chapitre 20 du Deutéronome. De « beaux » exemples de lecture partielle et partisane !
2. Le Président musulman de la Conférence mondiale des religions pour la paix le déclare clairement : « …se libérer de cette apologétique martiale que les exaltés utilisent pour justifier leurs menées guerrières revient à stériliser la violence qu’elle secrète par un travail historique et exégétique rigoureux du Texte. Un travail d’étude et de recherche qui permet de le sonder en questionnant surtout les énoncés de « vérité », en les relativisant. Il s’agit de mettre à jour leur caractère historique tout en les dé-dogmatisant. «  (BENCHEIKH Ghaleb, Islam et violence, in Marguerat, op. cit., pp. 159-160).
3. HADDAD Philippe, Midrash, pensée libérante d’Israël, Premier Colloque International d’Etudes Midrashiques (CIEM), 2005, sur http://lemidrash.free.fr
4. Il existe deux versions du Talmud, celui de Palestine (ou de Jérusalem) et celui de Babylone.
5. HADDAD Philippe, op. cit.. Il explique : « La Torah a été donnée, c’est-à-dire que le donneur (Dieu) avait la volonté de transmettre, et le receveur (Israël) la volonté de recevoir. C’est ce transfert de propriété qui fait que la Torah, d’origine divine, devient notre Torah, puisqu’interprétée par nous, les hommes. (…) Cette conception que le sujet humain s’approprie ce qui vient de Dieu exprime une vision générale du judaïsme. Dieu commence le monde en « six jours », et le septième jour est confié à l’homme. Le Shabbat, le Créateur se repose… sur sa créature. Dieu plante un jardin dans l’Eden, et Adam doit le travailler et le garder. Tout ce qui procède de Dieu appelle une plus-value humaine. » (Id).
6. GUIGUI Albert, Dieu parle aux hommes, Racine, 2007, p. 28. Albert Guigui est Grand Rabbin de Bruxelles, Grand Rabbin attaché au Consistoire central israélite de Belgique, Grand Rabbin de la grande Synagogue d’Europe. Le Talmud comprend actuellement une vingtaine de volumes, six mille pages environ en grand format sur trois colonnes. Il contient, d’une part, la mishnah qui est une compilation de sentences de la Torah orale et son commentaire développé : la guemara.
7. BOUYER L., _Dictionnaire théologique, Desclée, 1990. Se référant au Cardinal Newman (Préface de Via media, 1880), L. Bouyer explique qu’il y a deux aspects dans la tradition : « 1° (…) la tradition prophétique, que transmet tout le corps de l’Église et où n’importe quel individu, qu’il soit clerc ou laïc, peut jouer un rôle de témoin de l’Esprit à l’œuvre dans toute l’Église pour y garder vivante et pure la vérité une fois confiée aux apôtres, et 2° (…) la tradition épiscopale, qui n’est pas une autre tradition mais une expression officiellement authentifiée de la tradition en général par ceux qui, étant les successeurs des apôtres, ont la responsabilité particulière de préserver le dépôt divin de la Parole d’être jamais contaminé par des traditions simplement humaines qui s’en écarteraient ». Cette « tradition épiscopale », nous l’appelons aujourd’hui : magistère. (Cf. la constitution dogmatique Dei verbum, 7-13).
8. Dei verbum, 12.
9. Id ., 14.
10. Id., 15.
11. Id., 16. Rappelons-nous la belle formule de Pie XI : « Il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme […​] Nous sommes spirituellement des sémites ». » (Déclaration à un groupe de pèlerins de la Radio catholique belge, 6-9-1938, in DC, t. 39, 1938, col. 1460). Ou, plus près de nous, cette déclaration du pape Jean-Paul II lors de sa visite à la Synagogue de Rome, en 1986 : « L’Église du Christ découvre son « lien » avec le judaïsme « en scrutant son propre mystère » (cf. Nostra Aetate, § 4, du concile Vatican II). « La religion juive ne nous est pas « extrinsèque », mais, en un certain sens, elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc, à son égard, des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et dans un certain sens, on pourrait dire nos frères aînés. » (cf. DC 1986, 433-439).
12. 85-160.
13. Canon signifie, suivant son étymologie, « règle », « norme ». Un écrit canonique est un écrit régulateur, qui fait autorité. Chez les Juifs, l’établissement du canon fut l’objet de discussions et de variations qui s’étendirent du Ve siècle av. J.-C.jusqu’au début du IIe siècle ap. J.-C. environ. Ce canon hébraïque, rabbinique, palestinien, dit-on aussi, était toutefois plus restrictif que le canon en vigueur dans le judaïsme hellénistique, dans ce qu’on a appelé la « Septante » qui fut traduite, semble-t-il, par des juifs égyptiens à la fin du IIIe siècle av. J.-C..
   Chez les chrétiens, la genèse du canon fut aussi un peu mouvementée. Dès le début du IIIe siècle, Origène atteste une liste complète du Nouveau Testament et, avec des nuances, la liste « large » du judaïsme hellénistique alors que saint Jérôme (347-419) exclut de l’Ancien Testament les textes qui ne sont pas reconnus par les docteurs juifs. Les Conciles de Carthage (393 et 402) ainsi qu’Innocent Ier (405) suivront la voie d’Origène. Mais, du haut-moyen-âge jusqu’au XVIe siècle, l’influence de saint Jérôme relance la question des textes exclus de la Bible hébraïque (qu’on appellera deutérocanoniques ou apocryphes et qui se trouvent mis à part dans la TOB) : la Vulgate attribuée en grande partie à saint Jérôme (IV-Ve s.), Thomas d’Aquin, le concile de Florence (1441) puis le concile de Trente (1546) les incluent tandis que les protestants les excluent avec des nuances. Les Églises orthodoxes et orientales ont encore d’autres positions.
14. Il avait été auparavant, vers 135, excommunié pour immoralité par son père qui était évêque de Sinope (port sur la mer Noire). Saint Polycarpe, évêque de Smyrne qui l’avait rencontré à Rome, lui déclara : « Je reconnais en toi le premier-né de Satan ». Le fait est raconté par saint Irénée qui fut le disciple de Polycarpe et qui souligna « dans toute son œuvre l’unité du dessein de Dieu à travers les alliances successives ». (Cf. COTHENET Ed., Marcion, in Rel et Lacoste).
15. NAYAK Anand, Violence dans le christianisme, in Religions et violences, Sources et interactions, Editions universitaires, Fribourg Suisse, 2000, pp. 185-218. L’auteur cite Giuseppe Barbaglio, Dieu est-il violent ? Une lecture des Écritures juives et chrétiennes, Seuil, 1994, qui lui-même s’appuie sur d’autres travaux.
16. NAYAK Anand, op. cit., p.187.
17. Id.
18. Dt 20, 15-18.
19. 1 S 11, 7.
20. Dévouer a ici le sens de sacrifier.
21. Jos 6, 17-21, 24-25.

⁢ii. Lectures juives

Elles sont plurielles, comme on peut s’y attendre et comme en témoigne douloureusement la Lettre⁠[1] du Grand Rabbin René Samuel Sirat⁠[2] au Premier ministre Shimon Peres⁠[3] après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Ishaq Rabin par un « extrémiste ». Son jugement est sévère vis-à-vis de ceux qui « ont armé le bras du meurtrier » et des autorités qui sont restées passives face à la montée de la violence verbale : « Les cerveaux qui ont armé le bras du meurtrier sont ceux d’hommes qui se sont rendus coupables d’idolâtrie : lorsqu’une valeur – même aussi importante que le caractère sacré de la terre d’Israël – se transforme en valeur absolue, au nom de laquelle on a le droit de tuer un Juif, un Arabe : un être humain créé à l’image de Dieu, elle devient un objet d’idolâtrie. Ainsi on abandonne le monothéisme affirmé au Sinaï et qui ordonne : « Tu ne tueras pas » pour pratiquer un culte étranger, celui de la violence et de la haine. » De même, le Rabbin dénonce le laisser-faire des autorités devant le culte que des activistes rendent sur la tombe de Barouch Gildstein qui un jour de Ramadan a tué vingt-neuf musulmans réunis en prière dans la mosquée d’Hevron. Mais si les autorités sont coupables de négligence, « un certain nombre de maîtres spirituels, de rabbins, de dirigeants d’académies talmudiques, portent à mes yeux, écrit-il, une lourde responsabilité. » Les uns pour avoir prononcé une sentence de mort ; les autres parce qu’ils n’ont pas dénoncé la « folie » qui se répandait ; d’autres encore, en Israël et dans la Diaspora, parce qu’ils affirmaient, en même temps, « leur volonté de paix et leur opposition à la restitution des territoires de Judée Samarie ». Or, « la Bible, à laquelle le peuple juif est attaché de toutes ses forces, privilégie en toutes circonstances le choix de la vie (Dt 30, 19) fût-ce au prix douloureux de la renonciation à des parcelles de la Terre de la Promesse, pourvu que la Paix soit au bout du chemin. » Accepter ou perpétrer le crime est le « blasphème suprême » et « il nous faut donc condamner les chefs coupables qui ont commis cette forfaiture. On sait que lorsqu’on est témoin d’une profanation du Nom divin, on n’a plus le droit d’honorer les maîtres qui s’en sont rendus coupables (Talmud de Babylone, Bérahot, 19b). » Et le Rabbin invoque une fois encore la tradition : « Le Rav Abraham Itshaq Hacohen Kook[4], dans une intuition géniale, avait insisté sur l’idée que puisque le Second Temple a été détruit à cause de la haine qui dévorait le cœur des Judéens et les opposait les uns aux autres, il était indispensable de rebâtir le troisième Temple dans l’amour infini qui doit unifier tous les cœurs du peuple d’Israël. Il nous faut donc de nouveaux bergers capables de formuler à nouveau les valeurs fondamentales du Judaïsme, c’est-à-dire, l’amour du prochain, le respect de l’étranger, le scrupule face à la dignité d’autrui, la volonté sans faille de promouvoir la paix et la fraternité dans l’État, dans la région, sur la terre entière. »[5]

d’une manière générale, le Rabbin Guigui estime que lorsqu’on cherche à justifier le meurtre ou la guerre, on va « contre l’esprit et la lettre du texte biblique » car on bafoue un principe fondamental : « Ne tue pas ». « Lorsqu’on tue un homme, c’est l’image de Dieu qu’on jette à terre. »[6] Dans la guerre, Dieu est la première victime. Il faut prendre en exemple Abraham qui menacé d’un conflit avec son neveu Loth, propose de partager la terre pour sauver la paix : « qu’il n’y ait pas de querelle entre moi et toi, mes bergers et les tiens : nous sommes frères. Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépara-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord. »[7] Dans la Cabbale, c’est-à-dire dans la tradition mystique juive, on découvre une sagesse semblable de la part de Dieu lors de la création du monde. Celle-ci posait un problème. Si Dieu avait rempli l’univers, où aurait été la place de l’homme  et du monde ? Dieu donc s’est autolimité pour laisser de la place. De même, l’homme ne doit pas non plus tout occuper. La vraie solution était donc et est de faire de la place à l’autre. Dès lors, il n’y a plus de place pour le conflit.

Exemplaire aussi la leçon à tirer de l’épisode de la « ligature » d’Isaac⁠[8] rappelé dans la liturgie de Roch Ha Chana, le nouvel an israélite. Cette histoire est importante et privilégiée parce qu’elle nous montre que « le seul sacrifice que Dieu veuille mettre en exergue, c’est le non-sacrifice. »[9] L’essentiel, en effet, est exprimé dans l’ordre intimé à Abraham : « Ne porte pas ta main sur ton fils, ne lui fais aucun mal. »[10] Par ailleurs, tout au début du récit, lorsque Dieu appelle Abraham, celui-ci répond « Me voici »[11]. Ce « Me voici », pour le rabbin Guigui, est un signe d’ouverture, de volonté de dialogue avec tous les hommes⁠[12], d’entraide et d’engagement contre toutes les discriminations et injustices.⁠[13]

Ainsi donc, la Bible prône la non-violence mais a une position différente du christianisme, nous dit-on, vis-à-vis de l’auto-défense et de l’opposition au mal. Quand Jésus déclare : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre »[14], le juif, lui, réplique : « Si j’aime mon prochain au point de lui tendre la joue gauche quand il me frappe sur la joue droite, j’encourage l’injustice. Comme lui, je suis donc coupable d’injustice ! »[15] Car la Bible hébraïque demande qu’on s’oppose avec vigueur au mal particulièrement dans le Deutéronome où revient sans cesse la formule : « Tu ôteras le mal du milieu de toi. »⁠[16] Il n’empêche que « malgré ce souci de se défendre contre toute agression extérieure, le combat militaire n’est pas au cœur du judaïsme. »[17] Bien au contraire.

L’auteur appuie son discours de plusieurs références.

Ainsi, « même lorsque nous sommes envoyés pour faire la guerre contre nos ennemis, Dieu nous ordonne de leur offrir en premier lieu l’opportunité de se rendre de façon pacifique, et ce n’est que lorsque la proposition a été rejetée qu’il nous est permis d’utiliser les armes contre eux ».⁠[18] On le voit, par exemple dans Dt 20, 10 : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui feras des propositions de paix. Si elle te répond : « Faisons la paix ! », et si elle t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve sera astreint à la corvée pour toi et te servira. Mais si elle ne fait pas la paix avec toi et qu’elle engage le combat, tu l’assiégeras… ».

Ainsi, les prophètes offrent une vision de la fin des temps où la paix sera établie. Isaïe particulièrement : « Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin… »[19] ; « Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte… »[20] ; « Alors le désert deviendra un verger, tandis que le verger aura la valeur d’une forêt. Le droit habitera dans le désert et dans le verger s’établira la justice. Le fruit de la justice sera la paix : la justice produira le calme et la sécurité pour toujours. Mon peuple s’établira dans un domaine paisible, dans des demeures sûres, tranquilles lieux de repos… »[21] ; « Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a détourné ton ennemi. Le roi d’Israël, le Seigneur lui-même, est au milieu de toi, tu n’auras plus à craindre le mal. »[22] ; « Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. »⁠[23]

Ainsi, l’importance du mot chalom qui n’est autre que le Nom de Dieu comme l’enseigne le Talmud[24]se basant sur Jg 6, 23-24⁠[25]. Or, dans le livre des Nombres, Dieu donne son « alliance en vue de la paix » au prêtre Pinhas qui a sauvé les fils d’Israël de la malédiction en tuant Zimri qui se livrait à la débauche avec la Madianite Kozbi⁠[26] : « Le Seigneur parla à Moïse : « Le prêtre Pinhas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron, a détourné ma fureur des fils d’Israël en se montrant jaloux à ma place au milieu d’eux. C’est pourquoi je n’ai pas, sous le coup de ma jalousie, exterminé les fils d’Israël. En conséquence, dis-le : Voici que je lui fais don de mon alliance en vue de la paix. Elle sera pour lui et pour ses descendants. Cette alliance leur assurera le sacerdoce à perpétuité, puisqu’il s’est montré jaloux pour son Dieu et qu’il a fait le rite d’absolution pour les fils d’Israël. »[27]

Dans le Talmud, plusieurs rabbins ont fait remarquer que le geste de Pinhas est, en réalité, loué par Dieu avec une réserve qui ne peut apparaître dans les traductions car elle est purement graphique⁠[28]. Toutefois, elle indique nettement qu’on ne peut considérer l’attitude de Pinhas comme totalement exemplaire. On ne peut en faire une règle générale car Pinhas a agi pour une bonne cause mais le moyen n’était pas bon : on ne peut faire justice soi-même ni manquer de respect à la personne humaine.⁠[29] C’est la raison pour laquelle c’est Salomon et non David qui construira le Temple : « David dit à Salomon : « Mon fils, j’avais à cœur, moi-même, de construire une Maison pour le nom du Seigneur, mon Dieu. Mais la parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : « Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres. Tu ne construiras pas de maison pour mon nom, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi. »[30] En fait, la paix (chalom) est ce qui « confère aux choses et aux êtres l’unité, la plénitude » (cf. chalem, entier)⁠[31]. Elle n’est donc pas un principe supérieur mais un idéal, un objectif, une tâche à accomplir en veillant, en premier, à sauvegarder la vie humaine.

Ce respect de la vie est un principe supérieur dans la Torah. C’est pourquoi la tradition orale juive insiste tant sur le respect de la vie et la condamnation de toute violence.

« Le respect de la vie, écrit un rabbin⁠[32], n’est lié ni à une appartenance religieuse, ni à une communauté ethnique ou nationale. Il est exigé par référence à l’image de Dieu qui existe en chaque homme. » On dira qu’« un seul être humain pèse aussi lourd que la création tout entière »[33]. On lit dans Gn 5, 1 : « Voici le livre de l’histoire de l’homme ».⁠[34] Cette parole « enseigne que l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire d’un homme » et le Talmud en déduit : « Si Dieu a créé un homme unique, c’est pour nous enseigner que celui qui détruit une seule vie humaine, c’est comme s’il détruisait la création tout entière. Et celui qui sauve une seule vie humaine, c’est comme s’il avait sauvé le monde entier. Dieu a créé un seul être humain afin que la paix règne entre les hommes. Pour qu’aucun homme ne puisse dire : mon père était plus grand que ton père. »[35]

La même pensée se retrouve dans un midrash[36] concernant le passage de la Mer rouge. On lit dans l’Exode : « L’ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël partit et passa sur leurs arrières. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s’inséra entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Il y eut la nuée, mais aussi les ténèbres ; alors elle éclaira la nuit. Et l’on ne s’approcha pas l’un de l’autre. »[37] Le midrash raconte que « les anges, au moment du passage de la Mer des Joncs, ont voulu chanter un cantique de gratitude à Dieu et Dieu les en a empêchés, en disant : « L’œuvre de ma main, des êtres humains que j’ai créés, sont en train de se noyer dans la mer et vous voudriez chanter un cantique ! » Ainsi le Créateur manifestait le même souci pour la vie de tout homme, quel qu’il soit.⁠[38]

En suivant cette inspiration, le croyant se distingue nettement du fanatique : « Le croyant est au service de Dieu, le fanatique met Dieu à son service. Le croyant rend un culte à Dieu, le fanatique se rend un culte à lui-même en s’imaginant qu’il rend un culte à Dieu. Le croyant écoute la parole de Dieu, le fanatique l’altère. Le croyant s’élève au niveau de Dieu et de son amour, le fanatique abaisse Dieu à son propre niveau. Le fanatisme est un monde du rejet simultané de Dieu et de l’homme. »[39] Ce n’est pas un hasard donc si dans la religion juive, la prière pour la paix revient sans cesse. Et la mission des hommes de religion est claire et impérative : « servir de pont entre les différentes croyances, les différentes tendances » ; en paroles et en actes, « rapprocher et non éloigner ; semer l’amour dans les cœurs et non la haine ; favoriser la fraternité entre les hommes, quels que soient leur religion, leur pays, leur langue. »[40] Comme il a été dit plus haut, « Chalom représente en dernier lieu la plénitude même, c’est-à-dire, la solution définitive de tous les conflits tant dans les rapports des hommes entre eux, que dans les relations de l’être humain avec lui-même et avec Dieu. C’est pourquoi la paix est une tâche permanente, à laquelle l’homme doit travailler tout au long de sa vie. Suivant une expression de Rabbi Yéhochoua Ben Levi, la paix a la même fonction par rapport au monde que « le levain par rapport à la pâte ». Elle est " l’éternel élément moteur du destin humain ». C’est la paix qui crée tout ce qui est noble et grand. C’est elle qui stimule l’énergie humaine et qui fait accéder à la perfection la personnalité individuelle, préparant ainsi l’époque du dénouement messianique. Notre vie n’est rien d’autre qu’une lutte permanente pour la paix perpétuelle et absolue. C’est pourquoi la dernière requête que nous adressons à Dieu est qu’il nous accorde sa bénédiction dans ce combat pour le Chalom, la paix. Ce Chalom qui dérive de la racine hébraïque lehachlim qui a pour signification : " se compléter mutuellement « . Le Chalom implique la paix dans la complémentarité. La vraie paix, c’est tendre la main vers l’autre dans le but de s’entraider et de vivre harmonieusement. L’humanité doit être perçue comme un orchestre symphonique où chacun des instruments apporte sa propre contribution pour rehausser l’oeuvre musicale. En poussant l’analogie plus loin, chacun des musiciens d’un orchestre joue son propre instrument tout en n’étant pas entièrement libre de la manière d’interpréter sa partition lorsqu’il participe à l’exécution d’un concert. Notre concert à tous c’est l’hymne à la paix et à la fraternité. »[41]

Comment, avec tout le respect dû à la nefesh, à la source de la vie⁠[42] expliquer alors certains textes jugés habituellement embarrassants parce qu’ils semblent accréditer voire encourager la violence ?

Commençons par la fameuse loi du Talion, « œil pour œil, dent pour dent… »[43]. Elle ne peut être interprétée littéralement. La mishnah précise : « Quiconque blesse son prochain est astreint à une quintuple réparation : il payera le dommage, la douleur, la médication, la perte de temps et l’humiliation. » Quant à la guemara, elle commente ainsi la mishnah : « Pourquoi la Mishnah demande-t-elle une quintuple réparation ? N’est-il pas dit : « œil pour œil, etc. » ? On devrait donc en conclure que l’œil du coupable doit effectivement être crevé. Mais pareille interprétation n’est pas admissible puisque la Torah [Lv 24, 18 et svts] dit explicitement : « Un homme qui frappe à mort toute créature humaine, il sera mis à mort. S’il frappe à mort un animal, il le paiera corps pour corps. Et si quelqu’un fait une blessure à son prochain, comme il a agi lui-même, ainsi lui sera-t-il fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ». Comme en tuant une bête, on est passible d’un dédommagement pécuniaire, on est passible d’un dédommagement de même nature lorsqu’on blesse son prochain. » Et le Talmud ajoute encore : « A l’académie de rabbi Ezéchias, il a été enseigné : « œil pour œil, vie pour vie » mais non vie et œil pour œil. Prise au pied de la lettre, cette loi pourrait être cause de mort d’homme. Car il pourrait mourir pendant qu’on lui crève l’œil. »[44] Tout le contexte indique comment un délit doit être sanctionné et jamais il n’a été pris au sens littéral dans la tradition juive. Dans les plus anciens commentaires rabbiniques, on précise que ce texte impose des amendes proportionnées au préjudice subi.⁠[45]

Dans le livre des Juges, comment les commentateurs juifs interprètent-ils le célèbre « vœu de Jephté » ? On se souvient que Jephté partant en guerre contre les Ammonites, fit ce vœu au Seigneur : « Si vraiment tu me livres les fils d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les fils d’Ammon, celui-là appartiendra au Seigneur, et je l’offrirai en holocauste. » Malheureusement, « tandis que Jephté revenait vers sa maison à Miçpa, voici que sa fille sortit à sa rencontre , dansant et jouant du tambourin. Elle était son unique enfant : il n’avait en dehors d’elle ni fils ni fille. Dès qu’il la vit, il déchira ses vêtements et dit : « Ah ! ma fille, tu me plonges dans le désespoir ; tu es de ceux qui m’apportent le malheur ; et moi j’ai ,trop parlé devant le Seigneur et je ne puis revenir en arrière. » Mais elle lui dit : « Mon père, tu as trop parlé devant le Seigneur ; traite-moi selon la parole sortie de ta bouche puisque le Seigneur a tiré vengeance de tes ennemis, les fils d’Ammon. » Puis elle dit à son père : « Que ceci me soit accordé : laisse-moi seule pendant deux mois pour que j’aille errer dans les montagnes et pleurer sur ma virginité[46], moi et mes compagnes. » Il lui dit : « Va, et il la laissa partir deux mois ; elle s’en alla, elle et ses compagnes, et elle pleura sur sa virginité dans les montagnes. A la fin des deux mois elle revint chez son père, et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait prononcé. »[47] Ce dernier verset, écrit le Chanoine Osty, est « un des versets les plus délicats de la Bible »[48]. De même, un auteur juif avoue qu’« un entendement moyen peut difficilement trouver un sens convaincant à une histoire aussi navrante. » Et il ajoute que « la littérature midrashique ne nous est pas ici d’un grand secours, les commentaires midrashiques sur ce récit sont maigres et énigmatiques. »[49]

Examinons-les.

Le Midrash⁠[50]  rapproche le vœu de Jephté des vœux semblables prononcés par Eliézer⁠[51] le serviteur d’Abraham, Caleb⁠[52] et Saül⁠[53]Or, dans ces trois cas, Dieu intervient et les promesses sont imprudentes trouvent un dénouement convenable. Dans le cas de Jephté, Dieu n’intervient pas.⁠[54] Dieu s’est-il lassé d’être tenté par ces demandes imprudentes ? Toujours est-il que Jephté non seulement a fait un vœu inconsidéré mais, qui plus est, il aurait pu en être délié par le Grand-Prêtre Pinhas. C’est pourquoi, dit le Midrash, Jephté et Pinhas furent punis.⁠[55] Cette analyse corrobore celle du Rabbin Guigui⁠[56].

A lire plusieurs passages de la Torah, on se rend compte que l’habitude était fort répandue de faire des vœux. En témoigne le livre des Nombres où l’on voit que le vœu ne doit pas se faire à la légère car le Seigneur donne cet ordre : « Lorsqu’un homme aura fait un vœu au Seigneur ou aura pris sous serment un engagement pour lui-même, il ne violera pas sa parole : il se conformera exactement à la promesse sortie de sa bouche.⁠[57] Dans le Deutéronome, on trouve aussi une mise en garde contre cette pratique : « Si tu fais un vœu à l’Éternel, ton Dieu, tu ne tarderas point à l’accomplir : car l’Éternel, ton Dieu, t’en demanderait compte, et tu te chargerais d’un péché. Si tu t’abstiens de faire un vœu, tu ne commettras pas un péché. Mais tu observeras et tu accompliras ce qui sortira de tes lèvres, par conséquent les vœux que tu feras volontairement à l’Éternel, ton Dieu, et que ta bouche aura prononcés. »[58] Jephté a obéit à cette loi et sa fille de même : « Traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche », dit-elle. Si le vœu spontané de Jephté n’avait pas été rempli, on se serait trouvé trouvait face à des difficultés religieuses et éthiques. Pour les éviter, le désir de dispensation engendra un rite d’absolution : le hatarat nedarim qui fut aussi réglementé. On en trouve la formule dans le Kol Nidre[59] (« tous les vœux ») qui est récité à la synagogue avant le coucher de soleil précédant l’office du soir de Yom Kippour, le jour de l’expiation.⁠[60] Par ce rite, Israël, au contraire de Jephté, fait le premier pas et demande l’annulation des vœux le pardon de Dieu.⁠[61]

Le Rabbin Guigui s’arrête aussi au cas d’Amalek, qui lui fournit de nouveau l’occasion de montrer qu’il ne faut pas prendre les textes au pied de la lettre⁠[62] . Il compare la guerre contre Pharaon, menée par Dieu⁠[63] à la guerre contre Amalek confiée à Josué⁠[64]et dont Israël doit effacer jusqu’au souvenir⁠[65]. Pourquoi tant de haine contre Amalek ? Pharaon représentait un danger physique : l’attrait pour les valeurs matérielles, valeurs d’ailleurs qu’Israël regrettera à certains moments dans le désert. Amalek, lui, menace la liberté d’Israël, son cheminement vers la Loi et l’Alliance conclue avec Dieu. Amalek fut défait mais non sans avoir infligé des pertes à Israël. Preuve qu’Israël n’était pas invincible. Le peuple devait s’approprier cette guerre car les commentateurs expliquent « que le mot Amalek a comme valeur numérique deux cent quarante la même valeur numérique que safek (le doute). Lorsque surgit en nous le doute sur telle ou telle valeur entraînant par la suite une distance entre nous et Dieu, c’est à nous qu’il appartient de prendre les armes et de livrer bataille à nos ennemis », conclut A. Guigui.

Amalek étant le symbole du mal, du doute à déraciner, on comprend l’implacabilité du Seigneur. Car, par ailleurs, il est question d’aimer son ennemi. Dans l’ordre, l’Écriture nous dit d’aimer notre prochain⁠[66], d’aimer l’étranger⁠[67] et d’aimer Dieu⁠[68]. Dans l’ordre car « on ne peut pas aimer Dieu si, auparavant, on n’aime pas son prochain et son lointain. »[69] Mais, qu’en est-il de l’ennemi ? Si le problème ne se pose pas pour l’ennemi religieux puisqu’il n’existe pas dans le judaïsme⁠[70] qui accepte l’autre tel qu’il est sans chercher à le « sauver », il se pose peut-être pour l’ennemi personnel. Partant de la parole rapportée par Matthieu : « aimez vos ennemis »[71], A. Guigui⁠[72] signale que, nulle part, il n’est écrit « Tu haïras ton ennemi ». En témoignent plusieurs textes : « Ne te venge pas, ni ne garde rancune à tes concitoyens »[73] ; « Si tu vois le bœuf de ton ennemi ou son âne égaré, tu les lui ramèneras. Si tu vois l’âne de ton ennemi pliant sous la charge, est-ce que tu t’abstiendras de l’aider ? Non, travaille avec lui à relever sa bête. »[74]. Et si deux personnes, un ami et un ennemi, sont en danger, le Talmud enseigne « que c’est l’ennemi qu’il faut secourir tout d’abord »[75].  Et même, à propos de l’Égyptien : « Tu ne haïras pas l’Égyptien, car tu as été étranger dans son pays. »[76] Salomon avertit : « Si tu vois tomber ton ennemi, ne t’en félicite pas ; s’il trébuche, que ton cœur n’en soit pas réjoui, de peur que l’Eternel ne te voie, qu’il ne te condamne, et ne fasse retomber tout le mal sur ta tête. »[77] Ou encore : « Ne dis pas : je rendrai le mal pour le mal ; mets ton espérance en Dieu et il t’assistera. »[78] « Ne dis pas : comme il a agi avec moi, j’agirai avec lui ; je lui rendrai selon ses œuvres. »[79] Et Job déclare : « J’appelle Dieu à témoin si jamais j’ai joui du mal de mon ennemi ; si jamais mon cœur s’est ému de joie quand il lui est arrivé malheur. »⁠[80] Lorsque Moïse menacé de lapidation se plaint au Seigneur, celui-ci répond : « Passe (…) devant tout le peuple. »[81] Parole que le Midrash traduit ainsi : « Imite mon comportement. Dieu ne rend-il pas le bien pour le mal ? alors toi aussi, tu dois rendre à Israël le bien pour le mal. »[82] Peut-on appeler la vengeance de Dieu sur les persécuteurs ? Non car « malheur à celui qui réclame, plus encore qu’à celui contre qui on réclame. Si tu réclames contre ton frère, ton compte sera examiné avant le sien ; ta punition précédera celle que demandes contre lui. »[83] Peut-on au moins répondre à l’insulte ? Non : « Ceux qu’on offense et qui ne répondent pas par des offenses, qui écoutent les injures sans mot dire, qui agissent par amour et qui se réjouissent dans les douleurs, c’est pour eux qu’il a été écrit : « Les amis de Dieu seront comme le soleil dans toute sa force. » »[84] Il faut donc pardonner et ainsi nous-mêmes serons pardonnés : « A qui Dieu pardonne-t-il les péchés ? A celui qui lui-même pardonne les injuresQuiconque est prompt à pardonner, ses péchés aussi lui seront pardonnés. »⁠[85]

Quant à la peine de mort⁠[86] réclamée dans la Torah pour toute une série de transgressions⁠[87], elle fut appliquée rarement « car dès l’origine les rabbins vont mettre en place un système d’une grande complexité[88] afin d’éviter d’arriver à l’exécution » si bien que « la peine de mort a été abolie, de facto, dans son application vers 30 e.v.[89] c’est-à-dire durant la période du début de la rédaction de la Mishna et bien avant la rédaction du Talmud. »[90]


1. 12 novembre 1995.
2. René-Samuel Sirat est Grand Rabbin de France, président du Centre européen d’Etudes et de recherches hébraïques de Troyes – Institut universitaire Rachi.
3. Né en 1923, ministre et Premier ministre à plusieurs reprises, il fut aussi longtemps leader du Parti travailliste avant de rejoindre, en 2005, le parti centriste Kadima. En 2007,il est élu Président de l’État d’Israël. Il a reçu, en 1994, le prix Nobel de la paix avec Yasser Arafat et Yitzhak Rabin.
4. 1865-1935. Grand Rabbin de la communauté ashkenaze de Palestine. Grand érudit, auteur de nombreux ouvrages. Son autorité et son influence sont encore très grandes aujourd’hui. (cf. www.terredisrael.com)
5. In Communio, n° XXI, 1-janvier-février 1996, pp. 29-33.
6. GUIGUI Albert, Dieu parle aux hommes, Racine, 2007, p. 242.
7. Gn 13, 9.
8. Gn 22. A. Guigui estime qu’il vaut mieux parler de « ligature » plutôt que de « sacrifice », d’une part parce que cette traduction correspond davantage aux termes hébraïques et que, d’autre part, Isaac n’a pas été sacrifié mais seulement lié.
9. GUIGUI A., op. cit., p. 244. Embarrassés par cette histoire, certains rabbins font intervenir Satan. Pour Rashi, ce n’est pas Dieu qui donne l’ordre du sacrifice mais Satan. Par contre, selon Bereshit Rabba, commentaire de la Genèse, Satan aurait voulu empêcher Abraham d’obéir en citant la Torah : « Qui versera le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé » (Gn 9, 6). (Cf. RÖMER Th., Dieu obscur, Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament, Labor et Fides, 1998, p. 61).
10. Gn 22, 12.
11. Gn 22, 1.
12. A propos du meurtre d’Abel par Caïn, le Rabbin fait remarquer que la version hébraïque de la Bible (et la TOB) disent : « Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. » (Gn 4, 8) alors que d’autres versions, par contre, traduisent « Cependant, Caïn dit à son frère Abel : « Allons dehors »,… ». Le fait que la Bible hébraïque ne précise pas ce que Caïn a dit est très significatif : ce silence, cette non-communication, est « la cause première de tout conflit ». Le dialogue est donc le remède à la violence. (Op. cit., pp. 248-249). Pour nous en convaincre encore, Guigui se réfère au Midrash où les rabbins se demandent pourquoi Job a été puni. Selon le Midrash, Job fut un des trois conseillers que Pharaon consulta à propos du sort à réserver aux Hébreux. Jethro conseilla la libération, Balaam l’asservissement et Job, lui, se tut. « Son silence le rendit complice. Donc coupable. » Même si Dieu se révèle dans le silence, le silence n’est pas de mise quand il s’agit de dénoncer l’injustice. (GUIGUI A., op. cit ., p. 251).
13. GUIGUI A., op. cit., pp. 244-245.
14. Mt 5, 39.
15. Ahad Ha-Aam (Acher Hirsh Ginsberg,1856-1927), penseur juif très influent, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 246. Guigui dénonce l’attitude de Gandhi, « le meilleur disciple de Jésus au XXe siècle », écrit-il, en raison de certaines de ses déclarations non-violentes. Peu de temps avant la seconde guerre mondiale, Gandhi déclara : « Je suis certain que le cœur de l’Allemand le plus dur s’attendrira [si seulement les juifs]… voulaient adopter une non-violence active. La nature humaine répond immanquablement aux gestes d’amour. Je ne désespère pas de sa réponse [celle de Hitler] aux souffrances humaines, même s’il en est la cause. » (Harijan, 1937-1938). Pendant la guerre, Gandhi conseilla aux Britanniques : « Je voudrais que vous posiez les armes comme n’étant d’aucune utilité pour votre salut et celui de l’humanité. Invitez donc Herr Hitler et Signor Mussolini à prendre ce qu’ils veulent des pays que vous appelez « vos possessions »… Si ces messieurs décident d’occuper vos maisons, vous les évacuerez. S’ils ne vous laissent pas partir, laissez-vous massacrer, hommes, femmes et enfants. Mais refusez de leur faire allégeance. » (sans référence). Et Guigui relève encore cette réflexion qui date de l’après-guerre, dans une conversation que Gandhi eut avec son biographe Louis Fisher, en juin 1946 : « -Hitler a tué cinq [sic] millions de juifs. C’est le plus grand crime de notre temps. Mais les juifs auraient dû s’offrir au couteau du boucher. Ils auraient dû se jeter dans la mer depuis les falaises.- Fisher : Vous voulez dire que les juifs auraient dû se suicider collectivement ? – Oui, cela aurait été de l’héroïsme. » Pour répondre à Gandhi, Guigui cite le philosophe Martin Buber (1878-1965) : « Nous n’avons pas répandu, comme le fit Jésus, fils de notre peuple, et comme vous le faites, l’enseignement de la non-violence, parce que nous croyons qu’un homme doit parfois user de la force pour son propre salut, et encore plus pour celui de ses enfants. » (Op. cit., pp. 246-247).
16. GUIGUI A., op. cit., p. 246, renvoie à ces passages : « Quant à ce prophète ou visionnaire, il sera mis à mort pour avoir prêché la révolte contre le Seigneur votre Dieu qui vous a fait sortir du pays d’Égypte et t’a racheté de la maison de servitude ; cet homme voulait t’entraîner hors du chemin que le Seigneur ton Dieu t’a prescrit de suivre. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (13, 6) ; « La main des témoins sera la première pour le mettre à mort, puis la main de tout le peuple en fera autant. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (17, 7) ; « Vous le traiterez comme il avait l’intention de traiter son frère. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (19, 19) ; « Tous les hommes de sa ville le lapideront, et il mourra. Tu ôteras le mal du milieu de toi… » (21, 21) ; « …on l’amènera à la porte de la maison de son père ; les hommes de sa ville la lapideront, et elle mourra, car elle a commis une infamie en Israël en se prostituant dans la maison de son père. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (22, 21) ; « S’il se trouve un homme qui commet un rapt sur la personne d’un de ses frères parmi les fils d’Israël, qui vend sa victime pour en tirer profit, l’auteur du rapt mourra. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (24, 7).
17. Id., p. 247.
18. Id., pp. 247-248.
19. Is 9, 6.
20. Is 11, 9.
21. Is 32, 15-18.
22. So 3, 15.
23. Za 9, 10.
24. Shab. 10 b.
25.  « Le Seigneur lui [à Gédéon] dit : « La paix est avec toi ! Ne crains rien ; tu ne mourras pas. » A cet endroit, Gédéon bâtit un autel au Seigneur et il l’appela « Le Seigneur est paix ». »
26. Nb 25, 1-9 : « Israël s’établit à Shittim et le peuple commença à se livrer à la débauche avec les filles de Moab. Elles invitèrent le peuple aux sacrifices de leurs dieux. Israël se mit sous le joug de Baal de Péor et le Seigneur s’enflamma de colère contre lui. Le Seigneur dit à Moïse : « Saisis tous les chefs du peuple et fais-les pendre devant le Seigneur, face au soleil, afin que l’ardente colère du Seigneur se détourne d’Israël. » Moïse dit aux juges d’Israël : « Que chacun de vous tue ceux de ses hommes qui se sont mis sous le joug du Baal de Péor ! » Et voici  que l’un des fils d’Israël, amenant une Madianite, arriva au milieu de ses frères ; et cela sous les yeux de Moïse et de toute la communauté des fils d’Israël, alors qu’ils pleuraient à l’entrée de la tente de la rencontre. A cette vue, le prêtre Pinhas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron, se leva au milieu de la communauté ; prenant en main une lance, il suivit l’Israélite dans l’alcôve et les transperça tous les deux, l’Israélite et la femme, dans l’alcôve de cette femme. Alors s’arrêta le fléau qui frappait les fils d’Israël. Les victimes de ce fléau furent au nombre de 24.000. »
27. Nb 25, 10-13.
28. La traduction est incapable de rendre la subtilité que le texte hébreu contient. En effet, dans le mot שָׁלוֹם (chalom), la deuxième lettre, le vav (littéralement : le « crochet ») est coupé ce qui constitue, écrit A. Guigui, une « anomalie grave et exceptionnelle ». Cette coupure « a valeur de conseil pour l’avenir. Mieux vaut, au départ, une paix dont une partie est coupée, c’est-à-dire une paix incomplète, plutôt qu’une discorde complète et parfaite. » (op. cit., pp. 254-5-255). La lettre vav qui sert de conjonction de coordination, symbolise l’union, ce qui réunit les choses entre elles (elle a la forme d’une cheville de bois), la fécondation qui engendre la vie (elle évoque aussi par sa forme le sexe masculin), l’harmonie, la communication entre les puissances célestes et les forces terrestres, le ciel et la terre, l’esprit et la matière, le Créateur et sa création. Elle est la sixième lettre de l’alphabet et fait ainsi sans doute allusion aux six jours de la création (Cf. www.alephbeth.net/alphabet/vav.html). La coupure du vav indique donc une rupture dans les différentes valeurs suggérées.
29. Cf. GUIGUI A., op. cit., p. 255.
30. 1 Ch 22, 7-8.
31. GUIGUI A., op. cit., p. 252.
32. HARBOUN Haïm, Le respect de la vie dans le judaïsme, (texte disponible sur http://haim.harboun.fr). Né en 1932, H. Harboun est diplômé du Séminaire israélite de France, directeur de recherche de l’Université de Provence, docteur en psychologie clinique, docteur en histoire, diplômé en ethnopsychologie.
33. Cf. Aboth (avote) de Rabbi Nathan cité par ARBOUN H., op. cit. H. Harboun rappelle l’opinion du Rabbin Akiba (ou Akiva) (vers 50-135), martyrisé par les Romains, il est l’un des maîtres les plus importants de la troisième génération de docteurs de la Mishnah, la plus importante des sources rabbiniques. Il disait : « Tu aimeras pour ton prochain ce que tu aimes pour toi-même (Lv 19), c’est là un grand principe, un principe fondamental de la Torah ». Un contemporain d’Akiba, Ben Azaï estime, lui, que le principe selon lequel l’homme équivaut à toute la création est supérieur à celui d’Akiba. H. Harboun explique : « Pour Rabbi Akiba les relations avec le prochain sont commandées par l’idée de réciprocité, alors que Ben Azaï, lui, fonde les relations de l’homme avec ses semblables sur la fraternité d’origine : un seul homme est à l’origine de toute l’humanité. L’homme a été créé à l’image de Dieu. Le prochain rappelle le Créateur commun de l’univers. » C’est pour cette même raison, que « la Torah érige en mitsva [commandement, prescription] l’obligation d’aimer l’étranger. »
34. La TOB traduit : « Voici le livret de famille d’Adam ». Les deux traductions sont justifiables. Le mot hébreu 'tôledôt' peut signifier naissance ou famille ou histoire ; c’est la même racine que l’enfant. On retrouve ce mot en Gn 2,4 : « Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création. »
35. Sanhédrine IV, cité par ARBOUN H., id.. Le Rabbin répond à l’objection de certains commentateurs « malveillants », dit-il, qui ont fait remarquer que le texte ne parlait pas d’un « homme » mais d’un Israélite. H. Harboun objecte que le mot « Israélite » n’est pas dans le texte original mais qu’il a été introduit plus tard après la clôture du Talmud.
36. Récit, enseignement, exégèse, découverte, compilation d’enseignements, de commentaires.
37. Ex 14, 19-20.
38. ARBOUN H., op. cit..
39. Op. cit., p. 250.
40. Id., p. 249.
41. GUIGUI A., Conférence sur http://ec.europa.eu/education. En conclusion, A. Guigui conte cette histoire talmudique : « Un père laissa à ses deux enfants après sa mort, un champ de blé. Les deux y travaillaient et divisaient la récolte à part égale. Un soir, en plein été, le jeune frère perdit le sommeil. Il se dit en lui même : comment puis-je partager avec mon frère à part égale ? Lui, a une grande famille à nourrir. Ses besoins sont nettement plus importants que les miens. Il se leva en pleine nuit, prit des gerbes de son tas et les ajouta au tas de blé de son frère. Mais le frère âgé, lui aussi, perdit le sommeil. Comment puis-je partager à part égale avec mon frère ? Se dit-il. Moi, j’ai une famille. Aux jours de ma vieillesse, mes enfants s’occuperont de moi. Ils prendront soin de moi et je ne manquerai de rien. Mon frère quant à lui, est seul. Qui veillera sur lui ? C’est maintenant qu’il doit faire des réserves pour ses vieux jours. Et lui aussi se leva, prit des gerbes de son tas et les ajouta au tas de son frère. Le lendemain les deux frères étaient étonnés. Le volume des tas n’avait pas changé. Le deuxième soir ce fut le même scénario. Le troisième soir, les deux frères se levèrent à la même heure. Chacun d’eux se dirigea vers le tas de son frère avec ses gerbes sur les bras. A mi-chemin, ils se croisèrent. Et les larmes aux yeux s’embrassèrent. Dieu dit alors : c’est sur ce lieu de fraternité que je construirai mon Temple symbole de paix et de concorde. C’est sur ce lieu que je ferai résider ma présence. Puisse Dieu faire résider la paix dans ce monde, une paix juste et durable. »
42. « La respiration (neshama) est l’haleine, l’indice de la vie donnée par Dieu à l’homme (Gn 2). La nefesh signifie d’abord le cou (Ps 44, 26), puis la trachée, le souffle et enfin la vie ou le principe vital (Ps 30,4 ; Pr 8,35). C’est par la puissance de Dieu que l’homme devient une nefesh vivante (Gn 2,7). Mais il peut prendre des connotations psychologiques (devoir, aspiration), comme dans le Ps 35. Ce terme revient 755 fois dans l’AT et il est traduit par âme (psyché) dans la Septante. » (TRUBLET Jacques s.j., La conception hébraïque du corps, in Choisir, juillet-août 2006, p. 23 ( Cf. www.choisir.ch).) J. Trublet est professeur d’Ancien Testament au Centre de Sèvres.
43. Ex 21, 24.
44. GUIGUI A., op. cit., pp. 29-30.
45. Cf. REMAUD Michel, Connaissance du judaïsme : la loi du Talion, in Un écho d’Israël, 26, novembre-décembre 2005. L’auteur se réfère au midrash tannaïte.
46. TOB note (u) : « C’était un déshonneur pour une femme de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants. »
47. Jg 11, 29-40.
48. OSTY E. et TRINQUET J., La Bible, Josué, Livre des Juges, Ruth, Rencontre, 1970, p. 228, note 39. La Bible de Jérusalem, p. 295, note b, déclare qu’« il ne faut pas en atténuer le sens : Jephté immole sa fille (…) pour ne pas manquer au vœu qu’il a fait. » Certes les sacrifices humains sont réprouvés en Israël, comme on le voit en Gn 22 à propos d’Isaac et d’Abraham, « mais, continue le commentateur, le narrateur rapporte l’histoire sans exprimer aucun blâme, et l’accent paraît même être mis sur la fidélité au vœu prononcé. »
49. L’énigme Jephté sur www.lechampdumidrash.net
50. Gn Rabba 60, 3 (cf. www.lechampdumidrash.net).
51. Gn 24, 10-20.
52. Jos 15, 16-17.
53. 1S 17, 25.
54. « Eliezer a dit : « La jeune fille à qui je dirai… ce sera celle que tu as destinée ». Autrement dit, si une servante quelconque était sortie à cet instant et lui avait donné à boire, il l’aurait conduite au fils de son maître ! Mais le Saint béni soit-il rectifia la chose : « Il n’avait pas fini de parler que sortait Rébecca » (…). Caleb a dit : « Celui qui battra Qiryat-Séphèr et s’en emparera, je lui donnerai pour femme ma fille Aksa » (…). Par conséquent, si un esclave s’était emparé de la ville, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il rectifia de lui-même, comme il est dit : « Celui qui s’en empara fut Otniel, fils de Qenaz, frère de Caleb, qui lui donna pour femme sa fille Aksa » (…). Saül a dit : « Celui qui l’abattra, le roi le comblera de richesses, il lui donnera sa fille » (…). Et donc, si un Ethiopien, un idolâtre ou un esclave l’avait frappé, il lui aurait donné sa fille. Mais le Saint béni soit-il corrigea la chose, comme il est dit : « David était le fils d’un Ephratéen » (…). Jephté a dit : « Celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre… Celui-là appartiendra à Yahvé, et je l’offrirai en holocauste » (…). Et donc si un âne, un chien ou un chat était sorti, il l’aurait immolé en holocauste ? Cette fois le Saint béni soit-il ne rectifia pas la chose, comme il est écrit : « Lorsque Jephté revint à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre (…). Dès qu’il l’eut aperçue, il déchira ses vêtements »…. » (www.lechampdumidrash.net)
55. « Pinhas n’aurait-il pas pu le délier de son vœu ? Mais Pinhas se disait : « C’est Jephté qui a besoin de moi, et moi je devrais aller chez lui ? » Et Jephté se disait : « Est-ce à moi qui suis à la tête des chefs d’Israël de me rendre chez Pinhas ? » A cause de ces deux hommes, la jeune fille mourut. (…) Tous deux furent punis pour son sang. Jephté mourut en perdant un à un tous ses membres (abarim) : partout où il allait il perdait un membre et on l’ensevelissait sur place. En effet, il est écrit : « Jephté le Galaadite mourut et il fut enseveli dans les villes (‘are) de Galaad (…). Il n’est pas dit : « dans la ville de Galaad », mais « dans les villes de Galaad ». Quant à Pinhas, l’esprit de sainteté lui fut retiré, comme il est dit : « Pinhas, fils d’Eléazar, en avait été autrefois le chef » (1 Ch 9, 20). Il n’est pas écrit ici : « est leur chef », mais « était leur chef (quand) Yahvé était avec lui ! ». » (id.). L’affaire se complique quand on sait que Pinhas est identifié à Elie (cf. BATSCH Christophe, La guerre et les rites de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple, Supplements to the Journal for the Study of Judaism (93), Brill, 2005, pp. 141 et svtes) ce qui fiat écrire au commentateur du Champ du Midrash que « Dieu devait envoyer le messie (et son précurseur Elie) pour alléger la loi, or il est en retard. Et donc, la faute de jephté est due en quelque sorte au retard de Dieu. » (id.).
56. Conférence à l’Ecole de la Foi de Namur, le 18 janvier 2006.
57. Nb 30, 3. Suivent toute une série de règles qui soumettent les vœux de la femme à l’autorité des pères et des maris.
58. Dt 23, 22-24.
59. La plus ancienne formulation connue de ce texte se trouve dans le livre de prières, le Siddour, d’Amram Gaon. Mort en 875, il fut le directeur de l’Académie talmudique de Soura en Babylonie.
60. Le texte qui est chanté, dit à propos des vœux que l’on pourrait être incapable de remplir dans l’année à venir : « Tous les vœux que nous pourrions faire depuis le jour de Kippour jusqu’à celui de l’année prochaine (qu’il nous soit propice), toute interdiction ou sentence d’anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœu ou par serment nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d’avance ; qu’ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus ; qu’ils n’aient ni force ni valeur ; que nous vœux ne soient pas regardés comme vœux, ni nos serments comme serments. » (Jewish History Sourcebook : An Oath Taken by Jews Frankfort on the Main, about 1392 ; cf. aussi BIRNBAUM Philip, High Holyday Prayer Book, Hebrew Publishing Company, 1951). Cette prière explique la méfiance qui entoura les serments juifs en Europe jusqu’au début du XXe siècle. Dans les cours de justice, ils furent obligés de prêter un serment spécial qui fut appelé serment « more judaïco » (selon la coutume juive).
61. Ce pardon renvoie au rituel prévu dans Nb 15, 22-29 pour les fautes involontaires. L’analyste du Champ du Midrash va plus loin encore, identifiant la fille de Jephté à Miriam la prophétesse (Ex 15, 20) qui mourrait à cause du vœu de son père mais aussi à cause de son hérésie, de son idolâtrie. Miriam représente le peuple juif tenté sans cesse par l’idolâtrie et qui mériterait que Dieu représenté par Jephté accomplisse son vœu de détruire ce peuple idolâtre, sa fille, Israël. Dans cette hypothèse, « le Kol Nidre  demanderait l’annulation de tous les vœux. Celui de Dieu et ceux d’Israël ».
62. Cf. GUIGUI A ., La Bible miroir de notre temps, Racine, 2008, notamment, en ce qui concerne Amalek : pp. 317-318.
63. Ex 14, 14.
64. Ex 17, 8.
65. Dt 25, 19.
66. Lv 19, 18.
67. Lv 19, 34.
68. Dt 6, 5.
69. GUIGUI A., Dieu parle aux hommes, Racine, 2007, p. 129.
70. Id., pp. 137-139. « Sept commandements ont été donnés aux fils de Noé [ce sont les lois nohahides, pour les non-juifs]  : -l’institution de magistrats : - l’interdiction de blasphémer le nom de Dieu : -l’interdiction de l’idolâtrie ; -l’interdiction des unions illicites ; -l’interdiction du meurtre ; -l’interdiction du vol avec violence ; -l’interdiction de prélever un fragment de chair sur un animal vivant. » (Le Talmud cité in GUIGUI A., id., p. 137). Pour A. Guigui, « le juif et le nohahide sont ainsi parfaitement égaux, non seulement devant les vérités de la Loi, mais aussi devant les exigences de la Loi, avec cette différence que la Loi du peuple juif est plus complexe et plus diversifiée. Cette diversité répond, en fait, à la responsabilité du peuple juif qui découle inéluctablement du caractère de son élection, qui exige de lui plus de devoirs pour remplir la tâche qui lui a été confiée par Dieu. (…) Maïmonide est catégorique à ce propos : « Quiconque accepte les sept commandements et les observe avec soin est considéré comme un Gentil pieux et il a part à la vie éternelle ». »  (Id., p. 138). Le Rabbin Jacques Kohn rappelle toutefois qu’en réalité, il existe « une énorme différence entre l’échelle des valeurs applicables à Israël et celle requise du monde non juif. Si un juif commet un vol d’une valeur d’une valeur au moins d’une perouta, il est condamnable (Baba Metsi’a 55a), tandis que le noahide est passible de mort pour un vol d’une valeur inférieure à ce montant (Yevamoth 47b). La différence, même si elle paraît minime, (la perouta représentant la plus petite des pièces de monnaie, un « sou » en quelque sorte) est en réalité considérable. Elle montre en effet qu’il existe toujours pour le Juif une marge de miséricorde divine, mais que cette marge fait défaut chez le noahide. C’est dire que, d’un point de vue conceptuel, il est plus « facile » à un Juif d’accomplir l’intégralité de ses devoirs envers Hachem [« le Nom », Dieu] qu’à un païen de s’exécuter des siens. » (www.techouvot.com)
71. Mt 5, 43-44.
72. L’auteur reprend ici l’analyse de BENAMOZEGH Elie (1822-1900), Morale juive et morale chrétienne, ch. 8, œuvre disponible sur le site http://ghansel.free.fr
73. Lv 19, 18. « A dit à B : « Prête-moi ta faucille » et B répond : « Non ! » Le jour suivant B dit à A : « Prête-moi ta hache. » A répond : « Je ne te la prêterai pas, comme tu as refusé de me prêter ta faucille » : ceci est la vengeance. (…) A dit à B : « Prête-moi ta hache. » B répond : « Non ! Le jour suivant B dit à A : « Prête-moi ton vêtement. » A répond : « Oui, je te le prête, quoique tu m’aies refusé ta hache l’autre jour » : cela, c’est de la rancune. » (Yoma, 23a, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 140, notes 2 et 3).
74. Ex 23, 4-5 et Dt 22, 1-4.
75. Baba Metsia 32b, cité par GUIGUI A., op. cit., p. 140.
76. Dt 23, 8.
77. Pr 24, 17-18.
78. Pr 20, 22
79. Pr 24, 29.
80. Jb 31, 29.
81. Ex 17, 4-5.
82. Chemoth Rabba, 26 cité par GUIGUI A., op. cit., p. 143.
83. Baba Kama, 93a, cité par GUIGUI A., id..
84. Jg 5, 34 in Yoma 23a, cité par A. Guigui, id., p. 144.
85. Meguilla 28b, id..
86. Par le feu, la lapidation, la pendaison ou l’épée.
87. Viol, enlèvement de personnes à fin de gain, sorcellerie, violation publique du shabbat, culte païen avec sacrifices humains ou prostitution sacrée, meurtre avec préméditation, adultère, homosexualité, blasphème, inceste, etc..
88. Il faut réunir 23 membres du Sanhédrin ni trop jeunes (ils manqueraient d’expérience), ni trop vieux (ils seraient trop sévères), qu’ils aient des enfants et qu’ils soient érudits. Ce tribunal est contrôlé par les autres membres du Sanhédrin qui veillent au respect de la Torah et à l’indépendance du tribunal. Le procès ne peut être convoqué que s’il existe au moins deux témoins oculaires directs. Ce sont eux, le cas échéant, qui exécuteront la sentence (cf. Dt 17, 7) ceci pour dissuader les faux témoignages et pour que les accusateurs comprennent la gravité de l’accusation. Face à eux, les 23 membres du Sanhédrin jouent, en quelque sorte, le rôle de défenseurs : ils interrogent les témoins puis expriment leur opinion, du moins érudit au plus érudit pour que celui-ci n’influence pas les autres. Celui qui défend l’accusé ne pourra, par la suite, se rétracter tandis que celui qui plaide la culpabilité pourra par la suite changer d’avis une seule fois. Par ailleurs, les aveux de l’accusé n’ont aucune valeur car ce serait, en cas de condamnation, un suicide. Si le moindre doute apparaît, le tribunal remet la sentence à Dieu par crainte de condamner un innocent. De telles règles expliquent que l’on puisse lire dans le Talmud : « Un Sanhédrin qui prononce une condamnation à mort en sept ans est appelé sanguinaire, selon d’autres opinions, une fois tous les septante ans. Rabbi Tarphon et Rabbi Akiva ont enseigné : « Si nous avions siégé dans un Sanhédrin, il n’y aurait jamais eu de condamnation. » »_ (Makkot 7a, cité dans l’article La justice sans peine de mort sur http://maimon.blog.lemonde.fr
89. E.v.: « ère vulgaire » ou e.c. « ère commune », expressions employées par ceux qui répugnent à parler d’ère chrétienne.
90. Cf. La justice sans peine de mort, op. cit..

⁢iii. Lectures chrétiennes

Les exégètes protestants et catholiques se sont aussi penchés sur ces textes de l’Ancienne Alliance qui heurtent bien des lecteurs et qui inspirent parfois des discours intégristes. Bien conscients que ces textes sont nés dans des circonstances historiques précises et appartiennent à divers genres littéraires, ils se sont attelés à montrer qu’ils ne peuvent être utilisés tels quels sans être décryptés et rendus compréhensibles pour leurs contemporains.

Nous suivrons tout d’abord les réflexions de quelques spécialistes protestants ou proches du protestantisme qui se sont particulièrement attachés à pénétrer le sens des épisodes les plus choquants pour notre sensibilité.⁠[1]

A l’instar de Marcion, bien des réformés émirent les plus nettes réserves vis-à-vis de l’Ancien testament. Si, dans sa jeunesse, Luther avait pris le parti de l’humaniste judaïsant Johannes Reuchlin⁠[2] et affirmé une solidarité fondamentale entre les Juifs et les chrétiens, après 1530, il changea d’attitude et plaidera pour l’expulsion des Juifs. Cette hostilité grandissante fut surtout causée par le fait que de plus en plus de contemporains, protestants compris, étaient séduits par l’exégèse rabbinique⁠[3] et valorisaient le peuple juif et l’autorité de l’Ancien Testament. Luther réagit parfois avec grossièreté et violence⁠[4] contre ce qu’il estimait une menace de judaïsation du christianisme⁠[5]. Dans son Commentaire de la Genèse[6], il s’en prend à l’exégèse rabbinique et aux exégètes chrétiens médiévaux qui s’appuyaient sur cette exégèse⁠[7]. Il n’empêche que Luther ne rejette pas l’Ancien testament, au contraire, il estime que « ce qui est ancien est plus proche de l’origine »[8] et il essaie de fonder le dogme trinitaire comme le dogme christologique sur certains passages vétérotestamentaires et de montrer que l’Ancien Testament prophétisait la venue et la mort du Christ.⁠[9] A sa suite, la Bible protestante choisit le canon juif de Yamnia⁠[10] et renvoya les livres deutérocanoniques de la Septante, au mieux, en appendice⁠[11]. A sa suite, tous les courants protestants s’emparèrent de l’Ancien Testament parfois pour le rejeter⁠[12], parfois pour le récupérer totalement c’est-à-dire pour s’identifier à l’Israël biblique⁠[13], parfois aussi, heureusement, pour étudier sérieusement ce texte inspiré comme Calvin le fit tout au long de sa vie.⁠[14] Et il ne fut pas le seul.⁠[15]

Aujourd’hui, en général, la théologie protestante a renoncé aux positions extrêmes mais Thomas Römer regrette que nos contemporains rejettent « certains énoncés que l’Ancien Testament fait sur son Dieu ». Pour lui, ce rejet « semble être lié à une lecture indifférenciée et intemporelle de l’Ancien Testament, lecture qui ne tient pas compte des circonstances historiques et culturelles des témoignages vétérotestamentaires. »[16] On voit notamment que même l’idée de Dieu a évolué. Le monothéisme ne s’impose pas d’emblée dans l’histoire d’Israël reflétée dans la Bible. Yhwh est présenté comme un Dieu tribal parmi d’autres⁠[17], puis comme un Dieu national dont le Roi est le vicaire, un Dieu qui protège et aide surtout en cas de guerre mais qui coexiste avec d’autres dieux⁠[18]. Ces dieux vont menacer le Dieu national, Baal ⁠[19] puis Assur, le dieu assyrien. Le prophète Osée va présenter la menace assyrienne comme la sanction d’un Israël infidèle à Yhwh, seul Dieu. Mais c’est l’exil à Babylone qui sera le moment décisif car cette catastrophe, selon le livre du Deutéronome, « est arrivée parce que le peuple n’a pas été capable de vénérer uniquement le Dieu d’Israël. »[20] Yhwh a puni son peuple mais s’il affirme ainsi sa supériorité c’est à la manière des dieux assyriens et babyloniens, c’est-à-dire d’un dieu guerrier. Dans le milieu sacerdotal, une autre image de Dieu se développe, celle d’un Dieu universel cette fois qui veut le bien de tous les hommes, tel qu’on le voit dans le livre de la Genèse. Toutefois, ce Dieu qui libère Israël du joug égyptien est encore un Dieu qui combat contre les dieux de l’Égypte⁠[21]. N’empêche que le monothéisme va s’affirmer clairement dans le deutéro-Esaïe, les autres dieux ne sont que des idoles, du « bois à brûler »[22]. La Bible donc garde la trace d’une expérience religieuse qui n’est pas uniforme. Yhwh est le Dieu d’Israël et le Dieu de toute l’humanité, un Dieu mâle et dur mais aussi miséricordieux et fidèle, époux et amant⁠[23], un Dieu père⁠[24] qui ne manque pas de traits féminins⁠[25]. Il faut donc éviter d’enfermer Dieu dans une représentation retreinte. Dieu le rappelle lui-même : « Je suis Dieu, et non pas un être humain »[26] et, pour cela, « Tu ne feras pas d’image… ». Mais quand les hommes inspirés parlent de Dieu, ils ne peuvent le faire qu’à travers des images toujours plus ou moins inadéquates puisque Dieu est « incomparable »[27]

Ceci dit, nous pouvons aborder, avec l’aide de Th. Römer, les passages dérangeants de l’Écriture.


1. Nous nous pencherons sur l’analyse de RÖMER Thomas, Dieu obscur, Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien testament, Labor et Fides, 1998 ainsi que sur sa conférence Dieu est-il violent ? La violence dans la Bible, 7-12-2002 (cf. www.erf-auteuil.org/conferences). Nous nous référerons aussi à Marguerat. Th. Römer est doyen de la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Lausanne.
2. Johannes Reuchlin (1455-1522) connaissait l’hébreu et l’araméen, il avait lu la Kabbale et d’autres ouvrages fondamentaux du judaïsme, dans le texte et s’était prononcé contre la destruction des livres juifs que certains réclamaient (notamment Johannes Pfefferkorn boucher juif converti au catholicisme). Il dédia son De arte cabalistica (1517) au pape Léon X. Cet ouvrage eut la faveur du cardinal Gilles de Viterbe . Ordonné prêtre il prit parti contre la réforme de l’Église de Luther.
3. « Déjà dans son Commentaire sur les petits prophètes (1524-1526), il avait formulé une série de critiques souvent véhémentes contre « les fables, les rêveries, les absurdités » des exégètes juifs. Il leur reprochait de faire violence au texte. Il rejetait leur manière d’appliquer les promesses de l’Ancien testament au règne terrestre des Juifs. ? Il rangeait le Talmud dans le même sac que les décrétales papistes et le Coran. Il s’agissait d’écrits sataniques. Dans les écrits des années 40, la discussion portera tout particulièrement sur les dogmes christologiques et trinitaires et leur fondement dans l’Ancien testament. » (LIENHARD Marc, Martin Luther, Un temps, une vie, un message, Labor et fides, 1991, p.268. Marc Lienhard est Doyen honoraire de la faculté de théologie protestante de l’Université Marc-Bloch de Strasbourg et ancien Président du Directoire de l’Église protestante de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine.
4. « Il invite les autorités à expulser les Juifs (…) ou à restreindre leurs droits, détruire les synagogues, les livres de prière et le Talmud, à interdire le culte public et l’enseignement des rabbins. » (LIENHARD Marc, op. cit., p. 271). Les mesures proposées étaient tellement inhumaines qu’en 1546, la victoire de Charles-Quint sur les États protestants de la Ligue de Smalkalde fut saluée par les Juifs : « De manière miraculeuse, il a vaincu et sauvé (ainsi) la nation d’Israël de la puissance de cette foi nouvelle que le moine Luther avait érigée, lui qui est impur. Il cherchait à détruire tous les Juifs. » (Josel de Rosheim (1480-1554), cité in LIENHARD Marc, op. cit., p. 272). Cet anti-judaïsme persista. Ainsi, Nicolas Antoine (1602-1632) fut brûlé à Genève pour judaïsme. Ce théologien protestant en était arrivé à la conclusion que seul l’Ancien Testament contenait la vérité. (Cf. SAUTER Georges, Genève 1632, Nicolas Antoine condamné à mort pour s’être converti au judaïsme : un crime de « lèse-majesté divine » pour les pasteurs de l’époque, Causerie à l’Union protestante libérale de Genève, 17-9-1990, sur www.anti-scientologie.ch)
5. Il y eut effectivement des excès dans ce sens : « influencés par l’exégèse rabbinique, certains adeptes du mouvement évangélique se mirent à prêcher que les Juifs avaient, en tant que Juifs, un rôle particulier à jouer dans le nouveau Royaume dont la venue était imminente. (…) Autour de 1530 se manifestèrent les premiers antitrinitaires dont le médecin Michel Servet. En 1534, c’était la catastrophe de Münster où des exaltés, se réclamant aussi bien de l’Ancien Testament que de visions particulières avaient tenté de dresser une théocratie sanglante, éliminant les non-croyants et réintroduisant certaines pratiques vétéro-testamentaires telles que la polygamie. En Silésie, un groupe d’anabaptistes autour d’Oswald Glait avait évolué, en 1528 déjà, vers l’observation du sabbat qui remplaçait le dimanche. En Bohême et en Moravie, certains en étaient venus à pratiquer la circoncision. » (LIENHARD Marc, op. cit., p. 269).
6. Ecrit à partir de 1535. Luther s’en prend aussi aux Juifs et au judaïsme dans d’autres ouvrages : Contre les observateurs du sabbat, 1538, Des Juifs et de leurs mensonges, Du nom Hamphoras et de la lignée du Christ, Des dernières paroles de David, 1542-1543.
7. C’est le cas du franciscain Nicolas de Lyre (1270-1349) qui, dans ses commentaires sur la Bible, s’appuie sur ceux de Schelomo Rashi (+1105) qui est encore aujourd’hui une des références majeures de l’exégèse juive. (cf. www.institut-rachi-troyes.fr/). N. de Lyre fait un peu exception car peu de théologiens, à l’époque, connaissaient le grec et l’hébreu malgré le souhait du concile de Vienne (1311) de voir se créer dans toutes les universités d’Europe des chaires de langues orientales.
8. STERNBERGER Jean-Pierre, Le patrimoine commun : la Torah, les Psaumes, les Prophètes, sur www.prostestants.org/ , site de la fédération protestante de France.
9. Ce que l’on trouve déjà chez Justin le Martyr dans son Dialogue avec le Juif Tryphon.
10. Le synode de Yamnia (ou Yavné, au sud de l’actuelle Tel Aviv) eut lieu vers l‘an 90 de notre ère.
11. Pour justifier leur choix, les théologiens protestants se réfèrent à saint Jérôme qui, au IVe siècle, avait étudié l’hébreu et considérait qu’il devait y avoir 22 livres dans la Bible comme il y avait 22 lettres en hébreu (cf. STERNBERGER J.-P., op . cit..)
12. Th. Römer cite, pour s’en tenir à l’époque moderne, Johann Salomo Semler qui, vers 1774, déclare qu’« en règle générale, les chrétiens n’ont pas accès à la connaissance de Dieu par les livres de l’Ancien testament mais seulement par la doctrine parfaite du Christ et ses apôtres. » (Institutio ad doctrinam Christianam liberaliter discendam, §79, cité in RÖMER Th., Dieu obscur, p. 10) ; ou encore Adolf von Harnack qui affirme que « rejeter l’Ancien Testament au IIe siècle fut une erreur que la grande Église à juste titre ne commit pas. Le maintenir au XVIe siècle fut un destin auquel la Réforme ne put encore se soustraire. Mais le conserver au XIXe siècle comme document canonique au sein du protestantisme est la conséquence d’une paralysie religieuse et ecclésiastique. » (Marcion, Das Evangelium vom fremden Gott, 1924, p. X, 217, in id.). Cette position se répandit largement en Allemagne et, dans les années trente, servit l’idéologie nazie comme en témoigne le livre de FRITZSCH Th., Der falsche Gott, Beweismaterial gegen Jahwe [Le faux Dieu, Argumentaire contre Yahvé], 10e édition en 1933). Sans aller jusque là, des exégètes comme Paul Volz (Das Dämonische in Jahwe (1924) ou, plus près de nous, Franz Buggle (1992) montrent que devant la « sombre colère » d’un Dieu qui n’est pas tenu aux lois morales, le sacrifice « exprime la terreur des hommes ». (SCHENKER Adrian, La douceur et le sacré, Les sacrifices de la Bible comme expression de la douceur divine, in NAYAK Adrian, op. cit., pp. 219-220) . Même le grand exégète Rudolf Bultmann (1884-1976), dans certains écrits, considère l’Ancien Testament, dit Th. Römer, comme « une sorte de symbole décrivant la relation aliénée entre Dieu et l’homme » (RÖMER Th., op. cit., p. 11).
13. Souvenons-nous des colons puritains débarquant sur la « terre promise » d’Amérique ou des camisards cévenols qui combattaient sous l’autorité des « prophètes » Abraham Mazel (1677-1710), Gédéon Laporte (+1702) ou Moïse Bonnet (+1702). (cf. STERNBERGER J.-P., op. cit.).
14. Alors que les anabaptistes et les « antinomistes » (adversaires de la loi) estimaient que le temps de la Loi était passé, Calvin (1509-1564) s’employa à montrer que Loi et Évangile n’étaient pas antithétiques. Dans L’institution de la religion chrétienne (dans l’édition de 1539) un chapitre s’intitule « De la similitude de l’Ancien et du Nouveau Testament ». Il écrivit des commentaires sur les 5 livres du Pentateuque, Josué, les Psaumes et Esaïe, des leçons sur Jérémie et les Lamentations, les vingt premiers chapitres d’Ezéchiel, Daniel et les douze petits prophètes. S’ajoutent à cela des sermons sur de nombreux livres ou chapitres de la Bible. (Cf. CRETE Liliane, Calvin exégète de l’Ancien Testament, sur le site de l’Église réformée d’Auteuil (www.erf-auteuril.org ; TOLLET Daniel (sous la direction de), Les Églises et le Talmud : ce que les chrétiens savaient du judaïsme (XVIe-XIXe siècles), PUPS, 2006, pp. 46-55 ; KAENNEL Lucie, La réforme et les Juifs , in BENBASSA Esther, Gisel Pierre et alii, L’Europe et les Juifs, Labor et Fides, 2002, pp. 79-94).
15. Cf. notamment KELLER Bernard, Paul Fagius, hébraïsant, pasteur et pionnier (1504-1549), Almanach du KKL-Strasbourg, 2004 (http://judaisme.sdv.fr). B. Keller est professeur de Théologie protestante à l’Université de Strasbourg.
16. RÖMER Th., Dieu obscur. op. cit., p. 12.
17. Dt 32, 8.
18. Jr 2,28 ; Prologue du livre de Job 1 et 2.
19. 1 R 16, 32 ; 2 R 10, 18-27.
20. RÖMER Th., id., p. 21.
21. Ex 12, 12.
22. Is 44, 15.
23. Os 2, 15-17 ; Jr 2, 2 ; 3, 6-8 ; Ez 16.
24. Is 63, 7 ; 64, 7 ; 65, 5 ; Dt 14, 1.
25. Dt 32, 18 ; Ps 29, 9 ; 90, 2 ; Is 51, 2 ; Nb 11, 12 ; Is 40 ; 42, 14 ; 44, 2-24 ; 45, 10 ; 46, 3 ; 49, 15 ; 66, 13.
26. Os 11, 9.
27. Is 46, 5.

⁢a. Caïn

Elle nous offre tout d’abord, dans la Genèse qui est bien l’histoire des origines, une réflexion sur l’origine de la violence⁠[1] à travers le meurtre commis par Caïn⁠[2]. Le personnage central est Caïn qui expérimente, comme tout le monde, pourrait-on dire, l’injustice de la vie. Car le texte ne dit pas pourquoi Dieu n’a pas apprécié son sacrifice. Ce rejet entraîne sa frustration et sa colère de telle sorte que l’on peut dire, à la lumière de cette partie de l’histoire, que « le vrai péché consiste à laisser libre cours à la violence et à ne pas savoir gérer cette expérience de l’inégalité. » On peut ajouter qu’il est lié aussi « à l’incapacité de communiquer », de s’expliquer⁠[3]. Se basant sur l’hébreu, Römer estime qu’on peut interpréter « Suis-je le gardien de mon frère ? » comme « un appel à la nécessité d’avoir des règles (…) d’avoir des repères pour pouvoir gérer cette violence. » La Loi, en effet, n’est pas encore donnée et « le mot hébreu gardien vient d’une racine qui signifie  garder, mais aussi observer, souvent liée à l’observance de la loi. » Le problème se pose d’emblée à Caïn de savoir s’il est possible d’échapper à la « spirale de la violence ». Dans un premier temps Dieu semble s’y inscrire puis, « comme s’il se reprenait », Dieu « mit un signe sur Caïn pour que personne en le rencontrant ne le frappe »[4] . Ce qui nous révèle « que la vie humaine, même si c’est celle d’un meurtrier, reste sacrée et qu’aucun humain n’a le droit de prendre la vie d’un autre. » Qui plus est, Caïn s’installe à l’est d’Eden et y fonde une ville. L’orient est traditionnellement symbole de la vie et de la résurrection. Caïn a donc un avenir, un avenir de fondateur d’une civilisation « qui apparaît comme un moyen de gérer la violence humaine ». Œuvre du premier meurtrier, elle est danger et chance à la fois.⁠[5] La question de la violence n’est pas réglée pour autant puisque, dans la descendance de Caïn, Lamek rouvre la spirale de la violence. Néanmoins, on peut lire le chapitre 4 « comme le constat d’un échec du sacrifice ». Le verset 26 dit que c’est à ce moment qu’on commença à invoquer le nom de Seigneur. Il n’est plus question de sacrifices. Ceux-ci ont amené querelle et meurtre. Si donc, dans ce texte, Dieu semble être à l’origine de la violence décrite, il donne des pistes aux hommes pour y échapper.

Le problème du sacrifice va revenir d’une manière beaucoup plus aigüe. En effet, si l’on peut comprendre, malgré l’extrême violence du langage, que Dieu s’emporte devant certaines injustices⁠[6], il est plus difficile d’accepter qu’il réclame ou accepte un sacrifice d’enfant.

Si de nombreuses religions primitives offrent des sacrifices d’enfants⁠[7], le Deutéronome, lui, les condamne fermement⁠[8]. Dès lors, Dieu est-il en contradiction avec lui-même dans l’épisode de la « ligature » d’Isaac⁠[9] et dans celui de la fille de Jephté ?


1. Avant le premier meurtre, on peut considérer que « la violence entre dans la vie humaine suite à la transgression de l’ordre divin (ne pas manger de l’arbre) par le premier couple humain : la femme sera dominée par l’homme, contrairement à Gn1 où l’homme et la femme avaient été créés tous les deux à l’image de Dieu. De même Gn 3 se termine par l’annonce de l’hostilité entre le monde des animaux (symbolisé par le serpent) et le monde des humains. Comme la mort (« tu es poussière et à la poussière tu retourneras »), la violence fait désormais partie de la condition humaine. » (RÖMER, in Marguerat, pp. 42-43).
2. Gn 4. Nous suivrons ici le commentaire de RÖMER Th., in Marguerat, op. cit. . Cf. également Dieu obscur, op. cit., pp. 97-105 et Des meurtres et des guerres : le Dieu de la Bible hébraïque aime-t-il la violence ?, in Marguerat, pp. 35-57.
3. On constate, en effet, qu’au verset 8, « Caïn dit à Abel » n’est pas suivi d’un complément ou d’un discours.
4. Gn 4, 15.
5. Cette analyse recoupe celle que propose la psychothérapeute suisse Myriam Vaucher à partir de l’œuvre de Freud :  « Il n’y a de lien social et de civilisation qu’entre les fils de Caïn ou entre des frères parricides, qui surmontent la violence tapie en eux, et se soumettent à la Loi interdisant le meurtre et l’inceste. Les fondateurs de ville sont fratricides ! La civilisation advient sur fond de meurtre et de violence. » Mais, écrit-elle encore, « nous sommes des barbares superficiellement civilisés et n’avons d’autre moyen de lier la violence que de l’adresser à un autre, la transformant ainsi en un mouvement de haine qui donne naissance au moi et à l’autre et ouvre ainsi la voie à Eros. » (VAUCHER M., Vie, violence … La haine, voie de transformation de la violence, in Dieu est-il violent ?, op. cit., pp. 26 et 33).
6. Am 2, 13 ; Jr 5, 14.
7. 2 R 3, 26-27.
8. Dt 18, 9-13 : « Quand tu seras arrivé dans le pays que le Seigneur ton Dieu te donne, tu n’apprendras pas à agir à la manière abominable de ces nations-là : il ne se trouvera chez toi personne pour faire passer par le feu son fils ou sa fille (…). Car tout homme qui fait cela est une abomination pour le Seigneur, et c’est à cause de telles abominations que le Seigneur ton Dieu dépossède les nations devant toi. »
9. Cet épisode a profondément choqué E. Kant estimant qu’un commandement s’opposant à une loi morale universelle ne pouvait être divin. Pour lui, Abraham aurait dû répondre : « Je suis sûr que je ne dois pas tuer mon fils, mais je ne suis pas sûr que toi qui m’apparais en ce moment tu sois vraiment Dieu. » (Cité in RÖMER Th., Dieu obscur, op. cit., p. 55).

⁢b. Abraham et Isaac

L’auteur de l’épisode raconté en Gn 22 devait savoir que les pratiques barbares dénoncées fleurissaient encore en Israël malgré les interdits⁠[1]. Ce texte aurait une portée didactique⁠[2] et montrerait aux croyants que Dieu lui-même réprouve de tels gestes et leur substitue un sacrifice animal. Notons que le sacrifice demandé à Abraham est le seul sacrifice auquel le patriarche se prépare et, qui plus est, sur le mont Moriyya, c’est-à-dire, la montagne du temple de Jérusalem⁠[3], « seul lieu licite pour le culte sacrificiel »[4]. Notons aussi que ni Abraham ni Isaac ne manifestent d’émotion sous quelque forme que ce soit, ce qui, à mon sens, rend le récit irréaliste et accentue le caractère exemplaire.

Cette interprétation corrobore celle du rabbin Guigui mais Römer va plus loin et replaçant l’histoire dans le contexte de l’exil et du désespoir d’un peuple menacé de disparition ou du moins de la perte de son identité, il voit en Abraham « un paradigme pour la foi en Dieu malgré les apparences, contre le « bon sens ». »[5] En définitive, est mise en question, de nouveau, l’image que nous nous faisons de Dieu qui n’est pas tel que nous le souhaitons, à la mesure de nos désirs, à notre image.⁠[6]


1. d’après Römer, certains indices du texte nous montrent qu’il ne semble pas avoir été écrit avant le VIe siècle av. J.-C.. (id., p. 64).
2. Römer rappelle ce qui est écrit en Ez 20, 25 et 31 : « Je leur donnai moi-même des lois qui n’étaient pas bonnes et des coutumes qui ne font pas vivre. » Déclaration qui vise sans doute les sacrifices d’enfants.
3. 2 Ch 3, 1.
4. RÖMER Th., op. cit., p. 64.
5. RÖMER Th., id., p. 65.
6. Römer évoque, sans les citer, les penseurs juifs contemporains qui ont mis ce texte en rapport avec la Shoah.

⁢c. La fille de Jephté

L’histoire de Jephté⁠[1] est sensiblement différente malgré quelques ressemblances⁠[2] : elle finit mal puisque la fille de Jephté meurt et sans avoir connu d’homme. Mais la différence la plus importante vient du fait que ce n’est pas Dieu qui demande le sacrifice. C’est Jephté lui-même qui fait le vœu de sacrifier la première personne rencontrée sans savoir que ce serait sa propre fille qui se précipiterait pour l’accueillir. Pour Römer, l’analyse du texte montre que les versets 29 et 33 du chapitre 11 et les versets 1 et 2 du chapitre 12 « forment une unité narrative » où la fille de Jephté n’intervient pas. Les versets 30 et 34 à 39 du chapitre 11 ont été ajoutés après coup. Sans doute l’auteur a-t-il été influencé par l’Iphigénie d’Euripide (vers 410 av. J.-C.). Toujours est-il que ce texte où Dieu n’intervient pas, « réfléchit sur l’absence de Dieu dans le monde des hommes, mais aussi sur la responsabilité de l’homme y engageant Dieu. (…) Dieu qui peut nous paraître cruel, mais qui est surtout un Dieu qui se tait face aux aberrations des humains, et qui confronte les hommes avec leur propre cruauté. »[3]

Un autre exégète, Daniel Arnold⁠[4], nous propose de replacer le voeu de Jephté dans le contexte global du livre des Juges afin d’établir si nous nous trouvons devant le récit d’un sacrifice humain ou d’une consécration au service de Dieu⁠[5]. En effet, si certains exégètes estiment qu’il s’agit bien d’un holocauste, d’un « sacrifice entièrement brûlé » par un juge perverti par le paganisme⁠[6], d’autres font remarquer que l’esprit du Seigneur est sur Jephté⁠[7] et que celui-ci est cité par Paul parmi les gloires d’Israël⁠[8]. Pour ces exégètes, le vrai drame n’est pas la mort de la fille de Jephté mais sa virginité. Par ailleurs, le peuple, même dépravé, ne resterait pas indifférent face à un tel sacrifice puisqu’il réagit au crime de Guivéa⁠[9] ^. ^

D. Arnold penche pour cette dernière hypothèse. Le contexte du livre montre que le peuple est corrompu mais non ses juges malgré quelques écarts. Le contexte historique est aussi révélateur : si l’auteur ne reprend que douze juges pour une durée de trois siècles, c’est qu’ils sont représentatifs de tous les autres⁠[10]. Si l’on s’arrête aux « petits » juges, petits parce que l’auteur ne leur consacre que quelques versets, on constate, par la structure du texte que les regards sont focalisés sur Jephté et sur l’absence de descendance en ce qui le concerne⁠[11]. C’est aussi par la structure du texte que l’exégète établit la marginalité de Jephté responsable de trois tribus marginales par rapport aux promesses divines⁠[12]. Jephté, marginal, impur précise Arnold, par sa naissance (fils d’une prostituée) et par sa tribu, cherche à renouveler son alliance avec Dieu par une offrande dont il Lui laisse le choix mais en signe de vraie soumission, il s’agit de l’offrande d’une personne qui sera celle qu’il apprécie le plus. Consacrée à l’Eternel, elle sera offerte en « holocauste », dit le texte. Non en sacrifice, dit Arnold, mais en don total par le célibat⁠[13], en « offrande d’une agréable odeur qui monte vers Dieu ».⁠[14] Dans cette perspective, on peut se demander pourquoi Jephté ne s’offre pas lui-même ? Pour répondre à cette question, Arnold n’hésite pas à faire l’éloge de Jephté « sage et humble ». Si son « impureté » l’exclut d’un ministère spirituel⁠footnote:, il est « irréprochable sur le plan moral et spirituel », soumis au choix de Dieu, appuyant « de toutes ses forces le ministère spirituel d’une autre personne » et appliquant la loi divine, la mort, aux hommes d’Ephraïm pour leurs meurtres⁠[15]. C’est là sa mission d’ailleurs : libérer le peuple de Dieu de ses oppresseurs. Quant à dire que Dieu l’a puni en le privant d’une descendance qui est toujours signe de bénédiction dans l’Ancien Testament, ce qui mettrait en question tout ce qui précède, ce serait refuser le sens profond de ce passage. Alors que l’on voit monter à travers la descendance des juges, le désir de royauté temporelle, qui n’est en somme que le rejet de la royauté divine, Dieu, en privant Jephté de descendance, veut faire comprendre que « le Messie tant attendu ne pourra venir ni de sa maison, ni de sa région (…), que le salut dépend de l’alliance et non de la grandeur d’une maison. »[16]

Un autre auteur protestant rejoint l’analyse du Rabbin Guigui : « David Kimchi, un commentateur juif médiéval, aurait apparemment proposé la notion que Jephté aurait simplement imposé à sa fille une vie de chasteté. Sa théorie a été acceptée par plusieurs rédacteurs modernes qui refusent qu’un serviteur fidèle de Dieu ait pu tuer sa propre fille. Mais qu’est-ce que la Bible dit ? Le texte hébreu original du chapitre 11 des Juges indique en effet que Jephté a accompli son vœu et a sacrifié sa fille. Mais est-ce que Dieu aurait été heureux de l’accomplissement d’une telle action ou l’aurait-Il même demandée ? Non  ! La Parole de Dieu montre qu’Il hait les sacrifices humains. Jérémie 7 :31 déclare : « Ils ont bâti des hauts lieux à Topheth dans la vallée de Ben-Hinnom, pour brûler au feu leurs fils et leurs filles : Ce que je n’avais point ordonné, ce qui ne m’était point venu à la pensée ». Lisez également Jérémie 32 : 35. Dieu considère la pratique du sacrifice humain comme une abomination. Jephté ne pensait pas à sa fille lorsqu’il fit ce vœu. Nous lisons ses paroles dans Juges 11 : 31 : « quiconque sortira des portes de ma maison au-devant de moi… je l’offrirai en holocauste ». Dans ce temps, les maisons avaient communément des cours fermées où les animaux étaient gardés. Jephté a supposé à tort qu’il serait rencontré par un animal à son retour de la bataille. Jephté fit stupidement et hâtivement un vœu regrettable. Il exacerba sa faute en poursuivant ses intentions. Cela a dû grandement déplaire à Dieu. Toutefois, dans Hébreux 11 : 32, nous voyons que Jephté est inclus sur la liste des serviteurs fidèles de Dieu. Ceci nous amène à conclure qu’il a dû reconnaître son péché et s’est repenti, recevant ainsi le pardon de Dieu. »[17]

Autre texte souvent cité comme preuve de la cruauté de Dieu⁠[18] ou d’Israël⁠[19] et utilisé pour justifier la violence⁠[20] :


1. Jg 11.
2. Le père est obligé d’offrir en holocauste son enfant unique. Römer note aussi que dans les deux récits, « le verbe « voir » joue un rôle important » (id., p. 66).
3. RÖMER Th., id., pp. 68-69.
4. Daniel Arnold, maître en théologie du Western Conservative Baptist Seminary de Portland (USA), professeur à l’Institut biblique et missionnaire « Emmaüs » (St Légier, Suisse).
5. Cf. ARNOLD D., Jephté : L’étrange vœu d’un marginal, in Promesses, n° 105, juillet-septembre 1993 (texte disponible sur www.promesses.org).
6. Fils d’une prostituée païenne donc sans doute, Jephté a vécu à l’étranger entouré d’hommes de rien (Jg 11, 3). Dans sa guerre contre Ephraïm, 42.000 homme furent massacrés. Quant au peuple qui ne lui reproche rien, il serait aussi dépravé que Jephté.
7. Jg 11, 29
8. He 11, 32.
9. Jg 19 et 20.
10. Les chiffres sont significatifs : 12 juges nous renvoient aux douze tribus d’Israël. Ils règnent en tout septante ans, chiffre aussi symbolique.
11. Voici la structure relevée par Arnold : A1 Gédéon : 70fils (Jg 8, 29-32) ; B1 Tola : aucune précision sur la descendance (Jg 10, 1-2) ; C1 Yaïr : 30 fils (Jg 10, 3-5) ; D Jephté : privé de descendance (Jg 11, 29-40) ; C2 Ibtsâ n : 30 fils (Jg 12, 8-10) ; B2 Elôn : aucune précision sur sa descendance (Jg 12, 11-12) ; A2 Abdôn : 40 fils et 30 petits-fils (70 au total) (Jg 12, 13-15).
12. A1 La révolte du début (Jg 10, 6) ; B1 La colère de l’Eternel devant la trahison d’Israël (Jg 10, 7-16) ; C1 L’héritage laissé à Jephté (Jg 10, 17 et 11, 11) ; D Plaidoirie sur l’héritage d’Israël en Transjordanie (Jg 11, 12-28) ; C2 L’héritage laissé par Jephté (Jg 11, 29-40) ; B2 La colère de Jephté devant la trahison d’Ephraïm (Jg 12, 1-6) ; A2 La conclusion du règne (Jg 12, 7).
13. La virginité de la jeune fille est évoquée trois fois (Jg 11, 37, 38 et 39).
14. Arnold s’appuie sur l’étymologie (olâ –holocauste, vient de la racine alâ : monter) qui révèle que l’essence du sacrifice est dans la fumée et surtout l’odeur agréable qui montent vers Dieu (Lv 1, 9,13 et 17). Et il interprète le sacrifice comme Paul le fait en pensant au service de Dieu (Rm 12, 1 ; 2 Co 2, 14-16).
15. Ex 21, 12.
16. Arnold rapproche Jephté de Débora. Tous deux sont des juges inhabituels (une femme et un bâtard) qui exercent un ministère temporaire : « Débora essaie de se retirer dès que possible pour laisser la place à un homme » et « Jephté n’a pas de descendance et reçoit un règne limité à six ans ».
17. Sur le site protestant : www.thercg.org.
18. Le Seigneur voue, par exemple, Jéricho à l’interdit et le peuple sous la direction de Josué obéit : « Ils s’emparèrent de la ville. Ils vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée. » (Jos 6, 21). Et ce n’est pas par excès de zèle ou mauvaise interprétation que Josué détruit de fond en comble Jéricho, à l’exception de la « maison de Rahab ». En effet, devant Aï, le Seigneur dit à Josué : « Tu traiteras Aï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi ; cependant vous pourrez prendre pour vous comme butin ses dépouilles et son bétail. » (Jos 8, 2).
19. On se souvient de l’« affaire » Garaudy-abbé Pierre qui défraya la chronique entre 1995 et 1998. Roger Garaudy publie « Les mythes fondateurs de la politique israélienne », ( in La Vieille Taupe, n°2, 1995) qui le fait accuser de négationnisme. L’abbé Pierre qui, dit-on, n’a pas lu le livre, apporte son soutien à son ami Garaudy en publiant une lettre où on lit : « Tout a commencé, pour moi, dans le choc horrible qui m’a saisi lorsqu’après des années d’études théologiques, reprenant pour mon compte un peu d’études bibliques, j’ai découvert le livre de Josué. Déjà un trouble très grave m’avait saisi en voyant, peu avant, Moïse apportant des « Tables de la loi » qui enfin disaient : « Tu ne tueras pas, voyant le Veau d’or, ordonner le massacre de 3.000 gens de son peuple. Mais avec Josué je découvrais (certes contés des siècles après l’événement), comment se réalisa une véritable « Shoah » sur toute vie existant sur la « Terre promise ». » (Lettre du 15 avril 1996 à Roger Garaudy). R. Garaudy sera condamné en 1998 pour négationnisme et provocation à la haine raciale.
20. Th. Römer cite les colons américains, aux XVIIe et XVIIIe siècles, assimilant les peuplades autochtones aux Cananéens de même qu’en Afrique du Sud, le Deutéronome avait servi à justifier l’apartheid. (Cf. article Dieu est-il violent, 7-12-2002). Pour Römer (op. cit., p. 83), le livre de Josué est utilisé aussi « aujourd’hui par certains milieux juifs intégristes pour s’opposer au processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, et pour exiger l’expulsion de la population arabe. »

⁢d. Le livre de Josué

Ce livre n’est pas un livre historique relatant des événements qui se seraient passés au 12e siècle av. J.-C., mais plutôt une sorte de plagiat, datant des 8e et 7e siècles, des récits de guerre assyriens⁠[1]. L’Assyrie dominant alors tout le Proche-Orient, de l’Égypte à l’Iran, Israël « essaie de battre l’ennemi avec ses propres armes », utilisant « un langage qui imite le langage dominant, mais en le détournant de ses fins premières. »[2] A travers les noms de peuples difficilement identifiables, ce seraient les Assyriens qui seraient visés. Les peuples qui n’ont aucun droit sur Canaan représentent les Assyriens. Yhwh est un Dieu guerrier qui ressemble à Assur, le dieu guerrier assyrien⁠[3] mais qui, en définitive, « est plus fort que toutes les divinités tutélaires de l’Assyrie ».⁠[4] On peut aussi considérer que ce texte, écrit sous le règne de Josias qui bénéficiait d’un affaiblissement de l’empire assyrien, légitime théologiquement les conquêtes de ce roi. Par ailleurs, ce livre a été l’objet de nombreux remaniements qui, après la destruction de Jérusalem, en 587, par les Babyloniens, relativisent le discours guerrier⁠[5]. Römer en cite deux exemples. Au chapitre 1, à partir du verset 6, Josué apparaît comme serviteur de la Loi et non plus comme chef militaire. Par ailleurs, tout le chapitre 2, quant à lui, interrompt le récit qui, du chapitre 1 au chapitre 3 révèle une continuité, introduisant le personnage de Rahab, Cananéenne, ennemie donc et prostituée qui protège les espions de Josué et professe sa foi au Dieu d’Israël. Dès lors, « toute l’occupation du pays apparaît en quelque sorte comme l’œuvre de Rahab, comme résultant de son attitude ».

Il n’y a pas que le livre de Josué qui soit marqué par l’influence idéologique et stylistique assyrienne. C’est vrai aussi pour toute la littérature historique, du Deutéronome au second livre des Rois. Un texte comme le début du chapitre 7 du Deutéronome (Dt 7, 1-6) a pu mal inspirer des chrétiens fondamentalistes au cours des siècles mais, à l’époque de sa rédaction (Ve siècle ?), il n’a pas inspiré de « purification ethnique » mais par crainte de voir le peuple d’Israël détourné de la vénération exclusive du vrai Dieu, il développe une vision « ségrégationniste » qui doit être relativisée aussi par la présence de textes « universalistes » comme la Genèse[6] ou le livre des Chroniques[7].


1. Cf. FINKELSTEIN Israël et ASHER SILBERMAN Neil, La Bible dévoilée, Les nouvelles révélations de l’archéologie, Bayard, 2002 ou Gallimard-Poche 2004. Ainsi, le futur Israël se composera, en grande partie, d’une population cananéenne autochtone.
2. RÖMER, op. cit..
3. Römer rapproche cet extrait de Jos 10, 11 : « Or tandis qu’ils fuyaient devant Israël… Yhwh lança des cieux contre eux des grandes pierres jusqu’à Azéqa et ils moururent. Plus nombreux furent ceux qui moururent par les pierres de grêle que ceux que les fils d’Israël tuèrent par l’épée » d’un texte assyrien « Lettre à Dieu » : « Le reste du peuple s’était enfui pour sauver leur vie… Adad (=le Dieu de l’orage)… poussa un grand cri contre eux. A l’aide d’une pluie torrentielle et des pierres du ciel (=grêlons), il annihila ceux qui restaient. » (Dieu obscur, op. cit., p. 86).
4. Id..
5. Römer (id., p. 88) note le même phénomène de « démilitarisation » dans Ex 14 : Yhwh combat pour son peuple invité à rester tranquille (14, 14) . Ce passage deutéronomiste qui « présuppose l’expérience de l’exil babylonien » montre que la libération ne peut venir que de Yhwh. De même, dans les livres des Chroniques écrits au début de l’ère hellénistique, la conquête est escamotée, les Israéliens ont toujours été en Canaan, les rois sont des chefs liturgiques et les guerres, des processions. Si une guerre menace, c’est Dieu qui s’en occupe et non pas le peuple (1 Ch 20, 16-17). Dieu devient l’espoir du peuple, celui qui détruit les forces du mal comme dans le livre de Daniel ou encore, plus tard, dans l’Apocalypse de jean (Ap 19, 15).
6. Römer met en exergue le cas d’Hagar, ancêtres des tribus arabes, qui a vu Dieu (Gn 16, 13) et celui d’Abimelek qui invoque Dieu (Gn 20).
7. Dieu est à la fois le Dieu des Perses et des Juifs (2 Ch 36, 21).

⁢e. Le livre de Josué

De même si l’on aborde le problème de la rétribution lié à la question de la violence, on peut lire sommairement ce que la bible en dit et qui peut se résumer dans le proverbe : « Le mal poursuit les pécheurs, et le bien récompense les justes. »[1] Celui qui respecte l’ordre établi par Dieu, le juste, ajusté à Dieu, est récompensé, celui qui trahit cet ordre, est puni. Cette idée largement répandue en dehors même des cercles croyants⁠[2]. Comme on risque de dogmatiser cette vision, les Écritures nous révèlent que la réalité⁠[3] est parfois bien différente et que Dieu peut être incompréhensible. Comme on le voit dans le livre de Job, la souveraineté de Dieu le dispense de rendre des comptes à l’homme⁠[4] alors qu’il est engagé dans un combat incessant contre le chaos⁠[5]. Tandis que Job lutte un temps contre l’incompréhensible, Qohéleth l’accepte :  « De même que tu ne sais pas quel est le cheminement du souffle… de même tu ne connaîtras pas l’œuvre de Dieu qui fait tout. »[6] Job et Qohéleth « nous déplacent par rapport à notre conception anthropocentrique de Dieu et de la création, nous invitant, du même coup, aussi à nous laisser surprendre par le Dieu biblique. »[7]

En somme, pour éviter une utilisation agressive, primaire, des textes de la Bible, il faut, d’une part, « une étude sérieuse de ces textes qui prenne en considération la complexité de l’histoire de leur transmission »[8] dans des situations précises et en tenant compte du fait, majeur pour Römer, que ces textes « veulent nous mettre en garde contre des conceptions trop humaines de Dieu et insister sur les limites des discours théologiques. »[9] d’autre part, il ne faut pas oublier les textes où Dieu, par ses prophètes, invite à la paix et à la justice sociale, les textes où Dieu apparaît pacifique, ouvert aux autres nations. Enfin, il faut se rendre compte que la violence fait partie de l’histoire humaine et que s’il arrive, dans certaines circonstances pénibles que soient proférées des paroles violentes suscitées par la souffrance ou l’injustice, elles n’impliquent pas pour autant un passage à l’acte. Utiliser les cris des malheureux pour justifier notre violence est donc abusif.⁠[10] d’autant que dans les Psaumes, entre autres textes⁠[11], on remarque que l’auteur « s’en remet à Dieu pour l’exercice de la vengeance »[12]. L’homme se trouve ainsi déchargé de sa violence. Qui plus est, Dieu lui-même freine sa colère. S’il tend à répondre, à certains endroits, par la violence à la violence de l’homme, il n’agit pas comme l’homme. Après le Déluge, Dieu promet de ne plus recommencer⁠[13] et s’affirme, d’abord, comme Dieu d’amour : « Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère… car je suis Dieu et non pas un homme… je ne viendrai pas avec fureur. »[14]

Les quelques lectures juives et protestantes qui précèdent doivent nous persuader de la nécessité de l’interprétation. La Thora a été donnée à qui veut la recevoir. d’origine divine, elle devient nôtre par l’interprétation. Ainsi Dieu a commencé le monde en six jours et le septième jour, le jour du Shabat, Dieu le confie à l’homme, il se repose sur sa créature. Nous sommes invités à « prolonger le divin », non à « améliorer » la Thora divine mais à l’incarner dans la réalité terrestre.⁠[15]

Les religions monothéistes sont –elles des religions du Livre, comme on le dit souvent ou des religions de la Parole ? Telle est la vraie question car existe une tentation à laquelle plus d’un a cédé : celle de transformer l’Écriture en idole.⁠[16]

Comprendre un texte révélé ou non, « c’est, dit Paul Ricoeur, se comprendre devant le texte. Non point imposer sa propre capacité finie de comprendre, mais s’exposer au texte et recevoir de lui un soi plus vaste. »[17] Sinon le texte figé, déifié, idolâtré, nous fait violence et nous empêche d’accéder à la liberté, d’être nous-mêmes.

Les catholiques comme les protestants considèrent aujourd’hui que le Nouveau Testament ne se substitue pas à l’Ancien au contraire des musulmans qui affirment, eux, que le Coran rend obsolètes les deux testaments.

Les exégètes catholiques, comme leurs confrères protestants que nous avons cités, seront d’accord pour reconnaître qu’« avant d’instrumentaliser le Livre pour promouvoir ceci ou pourfendre cela, on ferait mieux de regarder à deux fois si les textes disent bien ce que l’on croit qu’ils disent…​ »[18] C’est du simple bon sens à appliquer d’ailleurs à toute autre œuvre littéraire qui risque toujours d’être mal lue.

Selon A. Nayak⁠[19], la violence divine ou humaine qui s’exerce pour la sauvegarde d’Israël, se trouve aussi ritualisée sous forme de guerre. Ainsi, Saül « prit une paire de bœufs, les dépeça et, par l’entremise des messagers, en envoya les morceaux dans tout le territoire d’Israël, en faisant dire : « Celui qui ne part pas à la guerre derrière Saül et Samuel, voilà ce qu’on fera à ses bœufs ! » Le Seigneur fit tomber la terreur sur le peuple et ils partirent comme un seul homme. »[20] A partir de ce moment, pour A. Nayak, la guerre devient « sainte ». On le remarque également dans la coutume de destruction totale d’une ville : « Ils vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée. »[21] L’interdit est ici une sorte de consécration qui met à part ce qui est réservé à la divinité et ne peut être laissé à l’usage ordinaire.⁠[22] Mais vous, prenez bien garde à l’anathème, de peur que, poussés par la convoitise, vous ne preniez quelque chose de ce qui est anathème, car ce serait rendre anathème le camp d’Israël et lui porter malheur. » (Jos 6,17-19) Dans le cas présent l’anathème comporte le renoncement à tout le butin et son attribution à Dieu : les hommes et les animaux sont mis à mort, la ville est incendié e et les objets précieux sont donnés au sanctuaire. C’est un acte religieux, une règle de la « guerre sainte » qui suit un ordre divin, ou un vœu pour s’assurer la victoire. Tout manquement est considéré comme un sacrilège et son auteur sévèrement puni…
    La pratique de l’anathème est étroitement liée à la conception antique de la divinité. Le sacrifice offert ou promis au dieu par vœu, fait partie d’une sorte de transaction qui peut s’exprimer ainsi : « Dieu, donnes-moi la victoire sur mes ennemis et toute la ville te sera offerte en sacrifice de remerciement. » Cette promesse ou ce vœu fait au Seigneur peut aller jusqu’au sacrifice humain. C’est ainsi que, dans le livre des javascript : newWindow%20=%20openWin('Juges (Jg 11,29-40), Jephté faire le vœu, en cas de victoire contre les ennemis d’Israël, d’offrir en sacrifice au Seigneur le premier être vivant qui sortira de sa maison, au retour de la guerre. Et ce sera sa fille qui viendra la première au-devant de lui. On mesure, à cet exemple, l’évolution qui se fera au cours des siècles dans la compréhension de la divinité
    La Bible justifie par ailleurs le rejet de Saül comme roi d’Israël par le fait de son manquement à l’anathème. On peut le voir en javascript : newWindow%20=%20openWin('1 S 15,9. Pour obtenir la victoire sur ses ennemis, Saül a jeté l’anathème sur tout le butin. Il a donc fait vœu de tout offrir à Dieu en sacrifice. En gardant pour lui et ses soldats une partie du butin acquis par la victoire, Saül manque à l’anathème, ce qui est considéré comme un sacrilège, une faute très grave. Il sera rejeté au profit de David. » (BUGNON Roland, CSSP, Fribourg, Suisse, sur www.interbible.org)  ]

Adrian Schenker,⁠[23] lui, s’attache au problème des sacrifices dans l’Ancien Testament. Il constate, ce qui peut nous choquer, que la faute involontaire, la transgression involontaire d’un interdit, est sanctionnée par la mort. Ainsi, Ouzza saisit l’arche qui allait verser et Dieu le frappe de mort⁠[24]. La violence est ici « une marque du sacré ». Il y a, en effet, « une distance insurmontable entre la sphère divine transcendante et le monde humain ». Ils ne peuvent « coexister ensemble dans le même lieu ». Ainsi le feu où YHWH se donne à voir signale la frontière mortelle entre sacré et profane⁠[25]. La colère mortelle de YHWH signifie clairement sa transcendance.

Mais, le culte sacrificiel peut libérer les personnes fautives de cette colère. Comme l’’immolation de l’animal n’est pas sans raison elle ne peut être considérée comme violente. Elle le serait si c’était par cruauté ou avarice que l’animal était mis à mort. Gn 9, 2-3 accepte que l’on tue l’animal pour raison alimentaire mais 2 S 12, 1-4 assimile l’abattage gratuit à l’homicide. Dans le culte sacrificiel, on offre à Dieu et on partage avec lui la meilleure nourriture comme on le ferait avec un hôte.⁠[26]

Enfin, grâce au sacrifice, Dieu pardonne et « on peut tabler sur sa douceur, parce qu’il la préfère à l’irritation et au conflit ».⁠[27] On le voit dans 1 S, 5-6 où les Philistins apaisent la colère de YHWH en rendant l’Arche enlevée et en rendant hommage à YHWH par un présent de compensation ou réparation (asham) pour le sacrilège commis et regretté.

A. Schenker conclut que « la douceur divine est plus fondamentale en YHWH que la violence »[28]. C’est pourquoi le psalmiste peut proclamer : « Israël, mets ton espoir en YHWH, car YHWH dispose de la grâce, et avec abondance du rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. »⁠[29]

Plus largement, en s’appuyant sur le vocabulaire, Xavier-Léon Dufour⁠[30] montre que la violence contre laquelle Dieu va s’emporter, se présente comme « la transgression d’une norme ». Les traducteurs grecs de l’Ancien Testament ont employé d’ailleurs souvent le mot « adikia », injustice, pour traduire le mot hébreu hamas exprimant la violence.⁠[31] Si on viole la Loi du Seigneur⁠[32], la justice sociale⁠[33], le droit⁠[34], si on viole la vérité par détraction⁠[35], faux témoignages⁠[36], etc., cette injustice violente entraîne une destruction physique ou sociale. Les victimes suscitent l’apitoiement des prophètes⁠[37] et appellent la punition des violents car le Seigneur n’aime pas le violent, l’injuste⁠[38] et Lui seul peut rétablir la justice⁠[39]. Le Serviteur opprimé par les hommes, méprisé, qui « n’ouvre pas la bouche (…) On a mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau, bien qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y eut pas de fraude dans sa bouche ». Mais « il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême »[40].

L’élément caractéristique de la violence dans l’Ancien Testament, c’est la transgression destructrice, la transgression de l’Alliance qui est une violence contre Dieu. Il y a, bien sûr, d’autres violences, les violences habituelles des hommes, liées à la force, au zèle, à la colère, à la vengeance, à la cupidité, etc., mais, même dans le cas où elles sont destructrices, dans la mesure où elles n’impliquent pas transgression d’une norme qui est la justice du Dieu de l’Alliance, tout en étant condamnables et condamnées, elles n’impliquent pas la gravité extrême des précédentes.⁠[41]

Reste que le comportement de Dieu semble « ambigu ». Il déteste l’injustice mais semble tolérer, approuver, pratiquer des actes violents.

Alors que Römer insiste sur le cadre historique, Dufour rappelle que nous sommes dans un contexte culturel donné qui n’est pas le nôtre et il insiste sur la pédagogie de Dieu.⁠[42] Celui-ci condamne toute injustice violente mais initie progressivement le peuple en tenant compte des mœurs de l’époque. Ainsi : Le Seigneur dit à Caïn :  »Eh bien ! Si l’on tue Caïn, il sera vengé 7 fois » Et Lamek dit à ses femmes : «  »Femmes de Lamek, tendez l’oreille à mon dire ! Oui, j’ai tué un homme pour une blessure. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek septante-sept fois. »[43] Plus tard, le Seigneur souscrit à la loi du Talion qui marque un progrès sur la justice des origines⁠[44]. Par la bouche des prophètes, Dieu condamne toutes sortes de violences : déportations, oppression des faibles, irrespect vis-à-vis des femmes et des morts. Le Seigneur prend la défense des victimes de l’injustice des hommes, il soutient Israël en Égypte et demande aux hommes d’agir de même avec les faibles, les orphelins, les veuves, les étrangers.

Si Dieu apparaît, en de multiples endroits, comme un Dieu guerrier⁠[45]pas l’Alliance : Dieu « manifeste qu’un bien supérieur peut entraîner la destruction de la vie terrestre ». En même temps, Dieu montre sa volonté d’extirper le mal du monde.

Enfin, petit à petit, on voit que l’image que les hommes se font de Dieu s’épure petit à petit. Dieu se manifeste d’abord spectaculairement, comme à Moïse, dans le feu, le tonnerre, le tremblement de toute la montagne⁠[46]. Mais, quand le Seigneur annonce son passage à Elie, c’est par un souffle⁠[47].

De même, au départ, Dieu apparaît terrible, guerrier⁠[48] puis humble et pacifique⁠[49] et enfin sous les traits du serviteur opprimé, préfiguration du Christ ⁠[50]

Paul Beauchamp⁠[51] confirme, pour l’essentiel cette analyse. La violence (hamas) liée, bien sûr, à la mort, aux abus sexuels⁠[52] et surtout au mensonge⁠[53] est essentiellement absence de loi. Le diable a poussé l’homme à enfreindre la loi du Seigneur et, à partir de ce moment, à partir du meurtre de Caïn, « le Seigneur vit que la méchanceté se multipliait sur la terre » (Gn 6, 5), « la terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence » (Gn 6, 11). Le Malin a détourné les hommes du vrai Dieu et ils ont créé des idoles à forme humaine : « Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes ou leurs processions frénétiques aux coutumes extravagantes, ils ne respectent plus ni les vies, ni la pureté des mariages, mais l’un supprime l’autre traîtreusement ou l’afflige par l’adultère. Tout est mêlé : sang et meurtre, vol et fourberie, corruption déloyauté, troubles, parjure, confusion des valeurs, oubli des bienfaits, souillure des âmes, inversion sexuelle, anarchie des mariages, adultère et débauche. Car le culte des idoles impersonnelles est le commencement, la cause et le comble de tout mal (…​). » (Sg 14, 23-27). L’homme qui était doux devient redoutable⁠[54]et la violence se démultiplie⁠[55]

L’Ancien Testament analyse donc la violence en révélant son origine dans le péché de l’homme instigué par l’Adversaire.

Comme X.-L. Dufour, Paul Beauchamp s’arrête à l’ « ambiguïté » de Dieu et à ses violences. Pour cet exégète, « le Dieu biblique prend sur lui une violence provisoire ou « économique ». » Cette expression mérite quelques explications. Si Dieu ordonne l’extermination des ennemis d’Israël⁠[56] pour en protéger l’esprit⁠[57], si ses prophètes ne sont pas en reste (Elie égorge 450 prophètes de Baal⁠[58], Elisée maudit 42 gamins moqueurs qui se font déchirer par deux ourses⁠[59]), le Seigneur, par la bouche de ses prophètes, promet « un nouveau David »[60] et un « paradis retrouvé » où toute la création vivra dans la paix et l’harmonie⁠[61]. Après avoir maudit Jérusalem, Dieu rappelle l’alliance qu’il a faite avec son peuple⁠[62].

Ainsi, si les hommes se sentent dépassés par la violence, celle-ci, comprennent-ils, « est dépassée par une fondation plus essentielle ». Ainsi David, retors et clément parfois par calcul, peut manifester aussi une clémence fondée « sur un vrai sens de Dieu »[63].

Mieux encore, les Psaumes montrent, d’une part, comment la victime de la violence peut réagir en termes violents. Elle demande l’humiliation des ennemis⁠[64], leur châtiment⁠[65]. Elle crie vengeance⁠[66], souhaite que le roi écrase ou assujettisse les ennemis⁠[67], que Dieu les épouvante ou les détruise⁠[68]. Mais au-delà de ces réclamations, si l’on voit que l’homme suppliant compte sur l’épée de Dieu⁠[69], il lui est enseigné qu’il ne sera pas libéré par sa seule force. Comme l’écrit P. Beauchamp, « c’est dans le lieu précis de la violence que germe son contraire » : ceux qui souffrent sont invités à la patience, à la non-résistance⁠[70], à laisser le mal s’autodétruire⁠[71]. On le voit dans d’autres textes : Dieu seul sera vainqueur⁠[72], la terre détruira les méchants⁠[73]et Dieu détruira la guerre⁠[74] et l’univers entier participera à cette destruction⁠[75].

Reste que Dieu prêche la violence⁠[76], qu’il se montre violent⁠[77], qu’il établit une loi violente sur certains points, qu’il est le Dieu vengeur, le Dieu guerrier, etc.

A propos des violences de la Loi⁠[78], on peut constater une évolution qui nous révèle qu’Israël est progressivement invité à se détacher des exigences de vieilles coutumes qui veillaient au rétablissement de la justice.⁠[79] Ainsi, le « vengeur de sang » qui, en cas de meurtre, vengeait le clan en tuant l’assassin⁠[80] a vu son rôle de justicier réglementé par la société⁠[81]. Il s’agissait d’éviter les excès de la colère. De même, la loi du Talion⁠[82] chercha à freiner les passions et, avant que le Christ rende caduque cette règle⁠[83], la Loi suggérait déjà un dépassement de cette violence quand la réconciliation est possible : « N’aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n’hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d’un péché à son égard ; ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l’égard des fils de ton peuple : c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi le Seigneur. »[84].

L’objectif poursuivi est d’éduquer la conscience, d’éradiquer le désir de vengeance, d’inviter au pardon, d’abord du frère de race⁠[85] puis de tout homme⁠[86]. Le juste donc renoncera à la vengeance car il s’en remet à Dieu qui seul, en définitive, peut rétablir la justice⁠[87]. Il est le Juge, le rédempteur d’Israël. Le Jour du Seigneur est le Jour où il triomphera de ses ennemis, est le Jour de vengeance⁠[88], Jour de réparation et de salut⁠[89].

Si, dans la culture contemporaine, le mot vengeance suggère un comportement contraire à la justice, il n’en va pas de même dans l’Ancien testament, il suggère, au contraire, le rétablissement de la justice, la punition du coupable, le dédommagement, l’indemnisation de la victime, la réparation du tort, etc..⁠[90]

Et qu’en est-il maintenant de ces guerres où Dieu est présent ?

Tous les rites religieux qui précèdent et clôturent les combats nous montrent que Dieu est le Dieu des armées qui mène ses guerres. Cette vision n’est pas propre à Israël mais se retrouve dans l’Orient ancien, notamment chez les Assyriens⁠[91]. Le roi doit faire la volonté de Dieu et défendre sa création contre toute menace de chaos qui viendrait des hommes ou des animaux sauvages. Chasse et guerre sont ainsi des prérogatives royales.

Nous savons que la naissance d’Israël est due à la victoire du Dieu des armées sur le puissant ennemi égyptien⁠[92]. De même, dans la conquête de Canaan par Josué, Dieu est finalement si présent que l’on a pu considérer que la guerre d’Israël, appelée improprement « sainte »⁠[93], était « pacifiste » puisque les hommes restent passifs. Nous avons vu aussi les récits de l’Exode et du livre de Josué ont été écrits, par compensation, semble-t-il, à une époque (vers -720) où, à cause des conquêtes assyriennes, Israélites et Judéens n’ont plus les moyens de mener des guerres. Les récits, par compensation, par réaction, cèdent aux excès littéraires et exagèrent la violence dans laquelle Dieu a fondé son peuple.

S’il y a des appels à la violence⁠[94] et si Dieu, comme chez Amos, promet de mettre le feu, de faire sauter, d’extirper, de déporter, de bouter le feu, de tuer, d’exterminer, etc., c’est pour punir de véritables « crimes de guerre » : génocide, déportation, éventrement de femmes enceintes, profanations de cadavres⁠[95].

De plus, on voit s’esquisser dans le Deutéronome esquisse un jus in bello[96] qui introduit des limitations dans la brutalité inspirée des pratiques assyriennes⁠[97] : certains seront exemptés du combat et on évitera la guerre totale.

Si Römer et Attwood insistent sur la convention littéraire des textes violents et leur enracinement historique, Henri Cazelles et Pierre Grelot⁠[98] insistent sur l’enjeu religieux des guerres bibliques. « La guerre, écrivent-ils, n’est pas seulement un fait humain qui pose des problèmes de morale. Sa présence dans le monde biblique permet à la révélation d’exprimer, à partir d’une expérience commune, un aspect essentiel du drame où l’humanité est engagée et dont son salut est l’enjeu : le combat spirituel entre Dieu et Satan. Il est vrai que le dessein de Dieu a pour fin la paix ; mais cette paix suppose elle-même une victoire acquise au prix du combat. »

La guerre est dénoncée comme un mal et si Dieu apparaît, à l’instar des anciennes divinités, comme un combattant⁠[99], c’est dans le cadre du grand dessein qu’il conçoit pour les hommes qui sont invités à collaborer avec Lui pour conquérir et garder la terre promise.⁠[100] Cette guerre est sacrée puisqu’il s’agit de préserver le véritable culte, la loi de Dieu et son règne. Toute guerre offensive⁠[101], défensive⁠[102] ou de libération contre les oppresseurs et les envahisseurs⁠[103] est une guerre du Seigneur, une guerre de Yahweh. La foi soutient l’ardeur militaire en vue d’une victoire politique et religieuse⁠[104] avec l’aide de Dieu.⁠[105] Dieu lutte contre ce qui s’oppose à ses desseins et contre le mal. Il intervient pour soutenir et préserver son peuple. Il lutte contre l’Égypte⁠[106], soutient les armées d’Israël⁠[107], assiste les rois⁠[108], délivre la ville sainte⁠[109]. Sans Dieu, rien ne peut réussir : les hommes combattent, Dieu donne la victoire⁠[110].

Le dessein de Dieu n’est pas la puissance temporelle d’Israël mais un royaume qui respecte sa loi. Si Israël est infidèle à ce projet, Dieu lui fait la guerre et Israël connaît des revers, au temps du désert ⁠[111] de Josué⁠[112], des Juges⁠[113] de Saül⁠[114], des Rois. Les malheurs et la ruine d’Israël sont bien un châtiment divin⁠[115] : Babylone et Nabuchodonosor sont aux ordres de Dieu pour punir Israël⁠[116].

A travers ces malheurs, la guerre apparaît alors à Israël comme un mal, elle est le fruit du péché⁠[117] et elle ne disparaîtra qu’avec le péché⁠[118] à la fin des temps⁠[119]. La vraie victoire promise, à laquelle Israël doit tendre, c’est la victoire sur le péché qui amènera la paix au prix d’un combat spirituel

Et donc, derrière le combat politique se profile le combat spirituel. L’ennemi païen lancé à l’assaut de Jérusalem⁠[120] devient, dans la vision de Daniel, à l’époque de la persécution d’Antiochus, et sous la forme de quatre bêtes monstrueuses, une attaque contre le Fils de l’homme⁠[121] Face à l’empire païen des Séleucides d’Antioche (IIe s avant J.-C.), à ses destructions et persécutions, la révolte se mue de nouveau en guerre sainte⁠[122] menée avec le secours du Seigneur⁠[123] qui terrassera la Bête⁠[124] et brisera son pouvoir⁠[125]. Nous sommes au-delà des guerres temporelles : nous entrons dans un combat religieux et entrevoyons le couronnement des justes au jugement final qui annonce le règne de Dieu et de sa justice, la paix éternelle⁠[126].

Ajoutons encore que, chez plusieurs prophètes, s’affirme, bien avant ces combats eschatologiques, l’idée que la foi vaut mieux que la force. Le prophète qui annonce la destruction du Royaume du Nord, menace : « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas »[127]. Dieu n’a que faire, en définitive, de la puissance militaire, de son caractère illusoire⁠[128]. A côté de l’école deutéronomiste, le courant sacerdotal présente une autre version de l’histoire d’Israël. La violence fait partie de la corruption de la création : « La terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence. Dieu regarda la terre et la vit corrompue car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. Dieu dit à Noé : « Pour moi la fin de toute chair est arrivée ! Car à cause des hommes la terre est remplie de violence, et je vais les détruire avec la terre. »[129] Après le déluge, le Seigneur « se dit en lui-même : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. » ⁠[130] Dieu renoue l’alliance originelle avec l’homme: « J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance entre moi et la terre ».⁠[131] Si Dieu a déposé les armes, les hommes sont invités eux aussi à renoncer à la guerre. Dieu n’autorisera pas David à construire le Temple parce qu’il a du sang sur les mains : « Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres. Tu ne construiras pas de Maison pour mon nom, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi. »[132]

Dans ces conditions, il devient difficile, comme certains l’ont fait, de prétendre que les attentats kamikazes qui marquent trop souvent l’actualité, pourraient se réclamer de l’exemple biblique de Samson qui les cautionnerait.⁠[133]Samson ne se soucie ni de son peuple ni de la cause de Yahwe . Il ne voit que ses problèmes personnels et assouvit sa soif de vengeance. Il accumule les violences jusqu’à l’absurde, incapable de se maîtriser. De plus, c’est sans implication divine qu’il fait s’écrouler le temple sur lui et 3000 Philistins⁠[134]. Stérile comme homme, enterré par ses frères, il est aussi stérile dans sa mission. Il est une « caricature de Juge » et son action est une « parodie d’exploit sauveur ». La lecture attentive du récit⁠[135] casse « l’image simpliste d’une mort héroïque bénie par Dieu parce qu’elle inflige à l’ennemi du peuple une correction exemplaire. » J.-P. Sonnet et A. Wénin concluent : « la Bible n’offre pas que des modèles à imiter ou à admirer. Elle présente aussi au lecteur un certain nombre de contrefaçons d’humanité, de déformations de l’œuvre divine » qui nous mettent en garde.⁠[136]

Toutes ces analyses sont intéressantes mais il faudrait, si possible, les ramasser en une synthèse qui nous révélerait, au-delà des épisodes particuliers et de leurs commentaires que d’aucuns estimeront heureusement orientés, les lignes de force de l’Ancien Testament, la leçon ou les leçons essentielles qu’il veut nous livrer avant que ne soit proclamée la bonne nouvelle.


1. Pr 13, 21.
2. « Les sidéens n’ont que ce qu’ils méritent » ou « qu’ai-je fait de mal pour mériter ça ? ». Même les disciples de Jésus ont cette idée de rétribution  puisqu’à propos d’un aveugle, ils demandent : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (Jn 9, 1-2).
3. « Je vois la chance des impies. Ils ne se privent de rien jusqu’à leur mort, ils ont la panse bien grasse. Ils ne partagent pas la peine des gens, ils ne sont pas frappés avec les autres. » (Ps 73, 3-5).
4. Jb 38, 1-41.
5. Jb 40.
6. Qo 11, 5. On comprend, à cet endroit, comme en d’autres, que le problème de la rétribution est lié à celui du mal et au rapport entre Dieu et le mal.
7. RÖMER, op. cit., p. 125.
8. Id., p. 91.
9. Id., p. 130.
10. Ainsi en est-il des appels à la vengeance dans les Psaumes, par exemple. Ce sont des expressions de désarroi liés à la certitude que Dieu interviendra ou est intervenu en faveur des opprimés (cf. Ps 137, 8-9 ; Ps 136, 17-18).
11. Gn 4, 15 (à propos de Caïn) ; Dt 32, 25 (Cantique au Rocher d’Israël) repris dans Rm 12, 19 : « Ne vous vengez-pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : A moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. »
12. Dans le Ps 58, par exemple. Cf. RÖMER, op. cit., p. 109.
13. Gn 8, 21.
14. Os 11, 9.
15. Cf. HADDAD Ph., op. cit., pp.10-11: le Talmud « rapporte que lorsque Dieu voulut intervenir dans une discussion de halakha, Rabbi Yéoshoua se leva pour crier : « Elle n’est pas dans les Cieux », sous-entendu : elle n’est plus dans les Cieux. » (TB Baba Métsia 59b).
16. Cette tentation du « c’est écrit » se manifeste chez certains évangélistes fondamentalistes. Elle existe aussi en Islam où le « mektoub » (c’est écrit) empêche toute discussion. Cf. AUBERT Raphaël, L’interprétation comme rempart à la violence, in Marguerat,. op cit., pp. 117-140. Aubert donne deux exemples : celui de Salman Rushdie auteur du roman Les versets sataniques, qui fut l’objet d’une fatwa de l’Imam Khomeiny en 1989 parce que dans cette œuvre d’imagination il ne respectait pas le texte révélé. Il cite aussi, le commentaire de l’Epître aux Romains (1922) du grand théologien Karl Barth qui voulant réaffirmer la transcendance de Dieu, met une distance quasi infranchissable entre l’homme qui doit se soumettre et un Dieu auteur d’un implacable « c’est écrit », juge défini comme « un mur de feu qui interdit tout regard ». R. Aubert est écrivain, journaliste et théologien suisse.
17. RICOEUR P., Du texte à l’action, Seuil, 1986, p. 117, cité in AUBERT R., op. cit., p. 137.
18. SONNET Jean-Pierre et WENIN André, La mort de Samson bénit-elle l’attentat suicide ? De la nécessité de mieux lire, in Revue Théologique de Louvain, 35, 2004, p. 372. J.-P. Sonnet est professeur à l’IET (Bruxelles) et A. Wénin à la Faculté de théologie de l’UCL.
19. Op. cit., pp. 187-188.
20. 1 S 11, 7.
21. Jos 6, 21.
22. Le mot « interdit » peut être rapproché du mot « anathème ». Ce mot « anathème » « vient du grec « ana-thema » que l’on traduit par : ce qui est posé au-dessus (sous-entendu : de l’autel du Temple). En hébreu, on utilise le mot « herem » qui désigne « ce qui est exclusivement consacré à Dieu ». L’offrande faite à Dieu est sacralisée par le fait qu’elle est déposée sur l’autel : elle exclut alors tout usage profane. Voici ce que dit le livre du Lévitique (javascript : newWindow%20=%20openWin('27, 28). d’abord la Bible de Jérusalem : « Cependant rien de ce qu’un homme dévoue par anathème au Seigneur ne peut être vendu ou racheté, rien de ce qu’il peut posséder en hommes, bêtes ou champs patrimoniaux. Tout anathème est chose très sainte qui appartient au Seigneur. » La traduction de la TOB donne un autre éclairage : « De plus, de tout ce qu’on possède homme, bête ou champ de sa propriété ce qu’on a voué au Seigneur par l’interdit ne peut être vendu ni racheté : tout ce qui est voué par l’interdit est chose très sainte pour le Seigneur. » Vous remarquez l’utilisation possible de deux mots - anathème ou interdit - ils expriment l’un comme l’autre le sens du mot « herem ».
    La pratique de l’anathème ou de l’interdit est une très vieille pratique religieuse de l’humanité dont témoigne le livre de Josué. Voilà comment est racontée l’histoire de la prise Jéricho, au moment où Josué et le peuple hébreu mettent pour la première fois le pied sur la Terre promise : « La ville sera dévouée par anathème au Seigneur, avec tout ce qui s’y trouve […
23. SCHENKER A., Les sacrifices de la Bible comme expression de la douceur divine, in NAYAK, Religions et violences, op. cit., pp.219-228. A. Schenker est dominicain, professeur émérite d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg. Il enseigne à l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem.
24. 2 S 6, 6-7. 
25. SCHENKER A., op. cit., pp. 221-222.
26. Id., pp. 223-224.
27. Id., p. 224.
28. Id., p. 228.
29. Ps 130, 7.
30. In Vocabulaire Théologie Biblique. X.-L. Dufour (1913-2007), jésuite, théologien, fut professeur d’Écriture sainte.
31. Dina, fille de Jacob est enlevée et violée par Sichem fils d’Hamor (Gn 34, 1-2). Hamor demande Dina en mariage pour son fils, propose à Jacob un échange de leurs filles respectives, et l’ouverture de son pays (Gn 34, 8-10), Sichem demande grâce, offre à Jacob la dot et de la dotation qu’il souhaitera (Gn 34, 11-12). Les fils de Jacob exigent en plus la circoncision de toute la famille d’Hamor et de tous les mâles de la ville (Gn 34, 13-17). Ce qui fut accepté et réalisé (Gn 34, 18-24). Malgré cela, le troisième jour, Siméon et Lévi, frères de Diana, entrent dans la ville, tuent tous les mâles et reprennent leur soeur. Ses frères pillent la ville et emportent les richesses, les enfants, les femmes au grand scandale de Jacob. (Gn 34, 25-31). A la fin de sa vie, Jacob reprochera à Siméon et Lévi leur conduite : « Siméon et Lévi sont frères, leurs accords (leurs épées) ne sont qu’instruments de violence. Je ne veux pas venir à leur conseil, je ne veux pas me réjouir à leur rassemblement ; car dans leur colère ils ont tué des hommes, et dans leur frénésie mutilé des taureaux. Maudite soit leur colère, si violente ! Et leur emportement, si brutal ! Je les répartirai en Jacob, je les disperserai en Israël. »(Gn 49, 5-7).
32. Ez 22, 26 ; So 3, 4.
33. So 1, 9.
34. Ez 45, 9.
35. Ps 140, 12.
36. Ex 23, 1 ; Dt 19, 16 ; Ps 27, 12 ; Ps 35, 11.
37. Am 3, 10 ; Jr 6, 7 ; Jr 20, 8 ; Is 60, 18.
38. « Le Seigneur apprécie le juste ; il déteste le méchant et l’ami de la violence. qu’il fasse pleuvoir des filets sur les méchants ! Feu, soufre et tourmente, telle est la coupe qu’ils partagent ! Car le Seigneur est juste ; il aime les actes de justice, et les hommes droits le regardent en face. » Ps 11, 5-7.
39. « Seigneur, délivre-moi de l’homme mauvais, préserve-moi de l’homme violent, de ceux qui ont prémédité le mal, qui provoquent des guerres chaque jour. Ils ont dardé leur langue comme le serpent, ils ont du venin d’aspic entre les lèvres. (…) Seigneur, ne cède pas aux désirs de l’impie, ne laisse pas réussir leurs intrigues, car ils se redresseraient. Que le crime de leurs lèvres recouvre mes assiégeants jusqu’à la tête ! Que des braises se déversent sur eux, qu’il les précipite dans le feu, dans des gouffres d’où ils ne se relèveront pas ! Les mauvaises langues ne resteront pas dans le pays ; l’homme violent et méchant, on le pourchassera sans répit. Je sais que le Seigneur fera justice aux malheureux, qu’il fera droit aux pauvres. Oui, les justes célébreront ton nom et les hommes droits habiteront en ta présence. » (Ps 140).
   « Vive le Seigneur ! Béni soit mon Roc ! qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire ! Ce Dieu m’accorde la revanche et me soumet des peuples. Tu me libères de mes ennemis ; bien plus, tu me fais triompher de mes agresseurs et tu me délivres d’hommes violents. » (Ps 18, 47-49).
40. Is 53, 9 et 13. Pour résumer cette première partie, on peut analyser le psaume de David (2 S 22).
41. Parmi ces violences qui ne rentrent pas dans le cadre du mot hamas, Dufour range ce qu’on pourrait appeler les violences « classiques » des hommes, dues à la cupidité, la concupiscence, la volonté de puissance, la colère, la calomnie, etc.. Par exemples : le crime de Caïn (Gn 4, 10), celui de Lamech (Gn 4, 23), l’oppression d’Israël en Égypte (Ex 1, 12 ; Dt 26, 6 ; 2 S 7 et svts), le viol ( Dt 22, 24.29 ; Gn 34, 2 ; Jg 19, 24 ; Jg 20, 5 ; 2 S 13, 12. 14 ; Lm 5, 11), le crime de David qui fait tuer Urie (2 S 11, 15), David maudit par Shiméi (2 S 16, 7s ; 19, 19-24) épargner Saül (1 S 24 ; 26) malgré ses embûches (18, 10 s ; 19, 9-17), Achab et Jézabel (1 R 21, 8-16).
42. De même, A. Nayak explique, un peu sommairement toutefois, que l’Église voit dans les textes  dérangeants  « l’expression d’un peuple en marche, qui, des ténèbres, s’éveille progressivement à la lumière, et qui, des pratiques sauvages, cruelles et violentes apprend le sens de la souffrance » (Op. cit. p. 189). En témoignent, précise-t-il, les Psaumes et le livre d’Isaïe.
43. Gn 4, 15 et 23-24.
44. Ex 21, 23-25.
45. Ex 12, 29: « A minuit, le Seigneur frappa tout premier-né d’Égypte, du premier-né du pharaon, qui devait s’asseoir sur son trône, au premier-né du captif dans la prison et à tout premier-né du bétail. »
   Ex 19, 12-13. Dieu interdit au peuple de monter sur le Sinaï : « Quiconque touchera la montagne sera mis à mort ! Nulle main ne touchera le coupable, mais il sera lapidé ou percé de traits. »
   Jos 7, 24-26: Parce qu’il a mis la main sur quelques objets de « l’interdit » du Seigneur (le butin réservé à Dieu), et que le Seigneur exige le châtiment sous peine d’abandonner Israël : « Josué emmena Akân, fils de Zérah, ainsi que l’argent, la cape et le lingot d’or, ses fils et ses filles, son taureau, son âne, son petit bétail, sa tente et tout ce qui était à lui. Tout Israël était avec lui, et on les fit monter à la vallée de Akor. Et Josué dit : « Pourquoi nous as-tu porté malheur ? Que le Seigneur te porte malheur en ce jour ! » Tout Israël le lapida ; et ils les brûlèrent et on leur jeta des pierres. Ils élevèrent sur lui un grand monceau de pierres qui existe jusqu’à ce jour. Alors le Seigneur revint de son ardente colère. » (La TOB (note y, p. 263) explique que punir toute la famille « est une ancienne coutume (…) contre laquelle s’élevèrent les auteurs du Deutéronome (24, 16) : « Les pères ne seront pas mis à mort pour leurs fils ; les fils ne seront pas mis à mort pour leurs pères ; c’est à cause de son propre péché que chacun sera mis à mort. » On lit aussi dans Ez 18,4 : « Oui ! Toutes les vies sont à moi ; la vie du père comme la vie du fils, toutes deux sont à moi ; celui qui pêche, c’est lui qui mourra. »)
   Le Seigneur dit à David 2 S 5, 24) : « Quand tu entendras un bruit de pas à la cime des micocouliers, alors décide-toi. C’est qu’alors le seigneur sera sorti devant toi pour frapper l’armée des Philistins ».
   Le Seigneur approuve et soutient la vengeance de Samson qui incendie les cultures des Philistins, en tue mille avec une mâchoire d’âne, arrache les portes de Gaza et meurt en détruisant le temple des Philistins qui s’écroule « sur les tyrans et tout le peuple qui s’y trouvait » (Jg 15 et 16)
   Celui qui ne respecte pas le sabbat en ramassant du bois : « le Seigneur dit à Moïse : « Cet homme sera mis à mort ; toute la communauté le lapidera, en dehors du camp. » Toute la communauté l’emmena hors du camp ; on le lapida et il mourut. C’est ce que le Seigneur avait ordonné à Moïse » (Nb 15, 35-36)
46. Ex 19, 16-19: « Or, le troisième jour quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s’amplifia ; Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. »
47. 1 R 19, 11-13: « Il y eut devant le Seigneur un vent fort et puissant qui érodait les montagnes et fracassait les rochers ; le Seigneur n’était pas dans le vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre ; le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; le Seigneur n’était pas dans le feu. Et après le feu le bruissement d’un souffle ténu. Alors, en l’entendant, Elie se voila le visage avec son manteau ; il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Une voix s’adressa à lui : « Pourquoi es-tu ici, Elie ? »
48. Ps 110, 5-6: « Le Seigneur est à ta droite ; il a écrasé des rois au jour de sa colère ; il juge les nations ; les cadavres s’entassent : partout sur la terre, il a écrasé des têtes (…). » ; Jr 17, 27: « Si vous ne m’écoutez pas au sujet de la consécration du jour du sabbat -éviter de porter des fardeaux et de franchir les portes de Jérusalem le jour du sabbat-, alors j’allumerai à ses portes un feu qui dévorera les belles maisons de Jérusalem et ne s’éteindra pas. » Le Seigneur s’adresse au roi de Juda, à ses serviteurs et à son peuple (Jr 22, 5) : « mais si vous n’écoutez pas ces paroles, je le jure par moi-même -oracle du Seigneur-, cette maison deviendra un monceau de ruines. »
49. Za 9, 9-10: « Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne -sur un ânon tout jeune. Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du Fleuve (l’Euphrate) jusqu’aux extrémités du pays. »
50. Is 50, 5-7 ; 53, 3-9.
51. In Lacoste. P. Beauchamp (1924-2001), jésuite, théologien et exégète.
52. Par exemple : les gens de Sodome veulent s’emparer avec violence des « deux Anges » qui sont hébergés par Lot pour avoir avec eux des relations sexuelles (Gn 19, 1-11). Ou encore, de même, à Guivéa, le lévite hébergé par un vieillard est la cible des « vauriens de la ville » qui veulent abuser de lui. Il leur échappe en leur livrant sa concubine (Jg 19).
53. « Rien dans leur bouche n’est sûr, leur coeur est plein de crimes ; leur gosier est une tombe béante et leur langue une pente glissante. » (Ps 5, 10) ; « Sa bouche est pleine de malédiction, de tromperie et de violence ; il a sous la langue forfait et méfait. » (Ps 10, 7) ; « Ne me livre pas à l’appétit de mes adversaires, car de faux témoins se sont levés contre moi, en crachant la violence. » (Ps 27, 12) ; « On a mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau, bien qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y eut pas fraude dans sa bouche. » (Is 53, 9) : « Beaucoup sont tombés sous le tranchant de l’épée, mais moins que ceux qui sont tombés à cause de la langue. » (Si 28, 18). Est-ce étonnant dans la mesure où le diable, « dès le commencement (…) s’est attaché à faire mourir l’homme ; il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Lorsqu’il profère le mensonge, il puise dans son propre bien parce qu’il est menteur et père du mensonge. » (Jn 8, 44).
54. Végétarien, en bonne intelligence avec les animaux, il sera craint et redouté par les animaux et mangera leur chair, à l’exception du sang (Gn 9, 1-5). Ce rite commémore le statut originel et anticipe la réconciliation future (Lacoste) : lorsque naîtra le nouveau David, « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira (…). Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11, 1-9) ; « Je conclurai pour eux en ce jour-là une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les reptiles du sol ; l’arc, l’épée et la guerre, je les briserai, il n’y en aura plus dans le pays, et je permettrai aux habitants de dormir en sécurité. » (Os 2, 20).
55. Caïn vengé 7 fois, Lamek 77 fois jusqu’au déchaînement cosmique (de Gn 4, 15 à Gn 6).
56. Jos 6, 21 ; 8, 2. 23-39 ; 9, 24 ; 10, 22-26.
57. Ex 23, 33 (cf. aussi : Gn 125, 16  ; Dt 20, 16s).
58. 1 R 18, 20-40 (cf ; aussi : 2 R 1, 1-12 où l’on voit Elisée faire descendre le feu du ciel sur les soldats du roi Akhazias qui voulait consulter le dieu Baal-Zeboub).
59. 2 R 2, 23-24.
60. Ces expressions sont de la TOB.
61. Is 11 ; Os 2, 20.
62. Ez 16, 59-63.
63. David épargne Saül et sa descendance (1 S 24, 20). A l’intercession d’Avigayil, David épargne les gens du méchant Nabal qui avait refusé l’hospitalité à ses garçons (1 S 25, 33). David accepte patiemment les malédictions de Shiméï en espérant le pardon de Dieu (2 S 16, 12). David dans ses recommandations à [[QuickMark]]Salomon se montre sévère et bon (1 R 2).
64. Ps 6, 11 ; 31, 18s ; 40, 15 ; 71, 13.
65. Ps 17 ; 28, 4s ; 35, 4-8 ; 55, 16-24 ; 58, 7-11 ; 63, 10s ; 69, 23-29 ; 125, 5 ; 139, 19-22 ; 140, 10s ; 143, 12 ; etc..
66. Ps 109, 18s ; 137 ; 149, 7, etc..
67. Ps 2, 8s ; 21 ; 45, 6 ; 110, 1 ; 118, 10s.
68. Ps 9, 21 ; 10, 15s, 79, 6 ; 83, 10-19 ; 97, 3.
69. Ps 44, 4.
70. Ps 37.
71. Ps 7, 16 ; 9, 16 ; 34, 22, 37, 14s ; 57, 7 ; 140, 10.
72. Ex 14, 13s ; 2 Ch 20, 15-20 ; Es 7, 4-9.
73. Lv 18, 25, 28.
74. Ps 46, 9-11: « Allez, contemplez les hauts faits de Yahvé, lui qui remplit la terre de stupeurs. Il met fin aux guerres jusqu’au bout de la terre ; l’arc, il l’a rompu, la lance, il l’a brisée, il a brûlé les boucliers au feu. « Arrêtez, connaissez que moi je suis Dieu, exalté sur les peuples, exalté sur la terre ! » »
75. Sg 5, 20 et 16, 17et 24.
76. Il suffit de relire les imprécations de Dieu contre Jérusalem, la « prostituée » qui s’est laissé aller à des « abominations » : « Je t’applique le châtiment des femmes adultères et de celles qui répandent le sang ; je te mettrai en sang par ma fureur et ma jalousie. (…) (Tes amants) raseront ton estrade et démoliront tes podiums ; ils te dépouilleront de tes vêtements et prendront tes splendides bijoux ; ils te laisseront sans vêtements, nue. Ils dresseront la foule contre toi ; ils te lapideront, ils te lacéreront de leurs épées, ils brûleront tes maisons, ils exécuteront contre toi la sentence, aux yeux d’une multitude de femmes ; je mettrai fin à ta vie de prostituée ; tu ne pourras plus donner de salaire. J’irai jusqu’au bout de ma fureur contre toi ; puis ma jalousie se détournera de toi, je m’apaiserai, je ne serai plus offensé. » (Ez 16, 38-42).
   Aux ordres du Seigneur, Josué jette l’interdit sur la ville de Jéricho: « Ils vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée. » (Jos 6, 21). Ce n’est pas un ordre interprété puisque, un peu plus tard, « le Seigneur dit à Josué : _« (…) _Tu traiteras Aï, et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi. » » (Jos 8, 2). Tombèrent, ce jour-là, dit le texte, douze mille hommes et femmes. Et ce ne sont que deux exemples de la manière dont Josué conquiert, sur l’ordre du Seigneur, les terres qu’il a données à Israël. Cette « épuration ethnique », Dieu l’avait justifiée devant Moïse par le souci d’éviter à son peuple un dévoiement religieux : « Ils n’habiteront pas dans ton pays, de peur qu’ils ne te fassent pécher contre moi : tu servirais leurs dieux et cela deviendrait pour toi un piège. »(Ex 23, 33). « Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. En effet, tu voueras à l’interdit le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusiste, comme le Seigneur ton Dieu te l’a ordonné, afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les actions abominables qu’ils font pour leurs dieux : vous commettriez un péché contre le Seigneur votre Dieu. » (Dt 20, 16-18). Rappelons la note de la TOB (DT w 2.34) à propos de l’interdit : « A l’origine, cette coutume des peuples sémitiques réservait au chef une part de ce qui était pris à l’ennemi. En Israël, qui mène la guerre sainte avec Dieu pour chef (Dt 20, 4), la part consacrée à Dieu doit être détruite. L’interdit peut concerner les êtres vivants (2, 34) aussi bien que les objets matériels (Jos 6, 17-19). Le but religieux de l’interdit est défini en Dt 7, 4-6 et 20, 16-18. En dehors de la guerre l’interdit est une simple consécration à Dieu sans destruction (Nb 18, 14). »
   Elie égorge les prophètes de Baal (1R 18, 40) et fait descendre le feu du ciel sur les soldats du roi Akhazias qui voulait consulter le dieu Baal-Zeboub (2 R 1, 1-12). Elisée maudit des gamins qui se moquaient de lui et qui vont être tués par des ours (2 R 2, 23-24).
77. Jusqu’à provoquer dans le déluge une « violence cosmique » (Gn 6).
78. Dans le développement du code de l’alliance, le Seigneur est présenté comme l’instigateur de ce qui est, en fait, un vieux droit coutumier que l’on retrouve dans le Code d’Hammurabi (-1730), le Code hittite ou encore le Décret d’Horemheb (Bible de Jérusalem, p. 106, note f).
79. Cf. DARRIEUTORT André et DUFOUR X.-L., article « vengeance » in Vocabulaire de théologie biblique.
80. Nb 35, 21.
81. Ex 21, 12 ; Lv 24, 17 ; Dt 19, 6 ; Dt 24, 16 ; Nb 35, 24-30.
82. Cf. Ex 21, 23-25 ; Lv 24, 19-20 ; Dt 19, 21. « Talion » vient du latin « talis », « tel », « pareil ». Cette loi, pour limiter la vengeance, établit une riposte adéquate, une équivalence compensatrice ou le maximum autorisé. Pour Pietro Bovati (in Lacoste) cette loi porte mal son nom dans la mesure où elle établit le principe de la proportionnalité de la peine par rapport au délit et non un principe d’équivalence. P. Bovati est professeur d’exégèse de l’Ancien testament à l’Institut biblique pontifical de Rome.
83. « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent. Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos. » (Mt 5, 38-42). La Bible de Jérusalem commente ce passage : « Il s’agit (…) du mal par lequel on est soi-même lésé : il est défendu d’y résister par mode de vengeance, en rendant le mal pour le mal (…). Jésus n’interdit, ni de s’opposer dignement aux attaques injustes (…​) ni encore moins de combattre le mal dans le monde. » Cf Jn 18, 22-23: « A ces mots, un des gardes qui se trouvait là gifla Jésus en disant : « C’est ainsi que tu réponds au Grand Prêtre ? » Jésus lui répondit : « Si j’ai mal parlé, montre-moi en quoi ; si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? ». »
84. Lv 19, 17-18. De même dans le Coran : « O vous qui croyez ! (La loi) du talion vous est prescrite pour le meurtre : l’homme libre pour l’homme libre, l’esclave pour l’esclave, la femme pour la femme. Quant à celui qui est pardonné (de la part) de son frère, on doit user à son égard de bons procédés et lui-même s’acquittera de son devoir avec bienveillance.
   C’est un allègement (de la part) de votre Seigneur, et (un effet de Sa) Miséricorde. Quant à celui qui, après cela, agit d’une manière malveillante, à lui (est réservé) un châtiment douloureux. » (II, 173-174). A propos de la Torah : « Nous y avons prescrit pour eux : vie pour vie, oeil pour oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent, blessure pour blessure. Mais (quant à) celui qui remet (la peine, cet acte constitue) une expiation. » (V, 49). E. Montet commente ce dernier verset : «  celui qui remet la peine du talion qu’il a le droit d’exercer reçoit de Dieu l’équivalent en expiation de ses fautes. » (Op. cit., p. 194, note 12).
85. On peut citer l’exemple de Joseph (Gn 45, 3s et 7 ; 50, 19) . Rappelons-nous aussi ce que nous avons dit de David (cf. ci-dessus).
86. « Celui qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur qui de ses péchés tiendra un compte rigoureux. Pardonne à ton prochain l’injustice commise ; alors, quand tu prieras, tes péchés seront remis. Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander au Seigneur la guérison ? Il n’a nulle pitié pour un homme, son semblable ; comment peut-il prier pour ses propres péchés ? Si lui qui n’est que chair entretient sa rancune, qui lui obtiendra le pardon de ses propres péchés ? Songe à la fin qui t’attend, et cesse de haïr, à la corruption et à la mort, et observe les commandements. Souviens-toi des commandements, et ne garde par rancune à ton prochain, de l’alliance du Tr ès-Haut, et passe par-dessus l’offense. » (Si 28, 1-7).
87. « Ne dis pas : « Je rendrai le mal qu’on m’a fait ! ». Espère plutôt dans le Seigneur et il te sauvera. » (Pr 20, 22).
88. Jr 46, 10.
89. « Dites à ceux qui s’affolent : soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même pour vous sauver. » (Es 35, 4) ; « Il a revêtu la justice comme une cuirasse, mis sur sa tête le casque du salut ; il a revêtu comme tunique l’habit de la vengeance, il s’est drapé de jalousie comme d’un manteau. » (Es 59, 17) (« jalousie » entendue comme « amour sans compromis ») ; le Seigneur m’a envoyé « proclamer l’année de la faveur du Seigneur, le jour de la vengeance de notre Dieu. » (Es 61, 2).
90. Cf. BOVATI Pietro, article « vengeance », in Lacoste.
91. Cf. ATTWOOD David (Trinity College, Bristol), article « guerre » in Lacoste.
92. Ex 14.
93. L’expression n’est pas biblique.
94. Jl 4, 9-10: « Publiez ceci parmi les nations : sanctifiez-vous pour la guerre, stimulez les braves ; qu’ils approchent, qu’ils montent tous les guerriers. De vos socs, forgez des épées, de vos serpes, forgez des lances. Que celui qui est faible dise : « Je suis un brave ! ».
95. Am 1 et 2.
96. La Bible de Jérusalem fait remarquer que « ces règles n’avaient plus l’occasion d’être appliquées lorsque le Deutéronome fut promulgué sous Josias (…). Ce regain d’intérêt pour la guerre sainte est peut-être à mettre en relation avec le renouveau national et militaire de l’époque de Josias ». (p. 223, note a).
97. « Y a-t-il ici un homme qui a construit une maison neuve et ne l’a pas encore inaugurée ? qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure au combat et qu’un autre n’inaugure la maison. Y a-t-il un homme qui a planté une vigne et n’en a pas encore cueilli les premiers fruits ? qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure au combat et qu’un autre homme n’en cueille les premiers fruits. Y a-t-il un homme qui a choisi une fiancée et ne l’a pas encore épousée ? qu’il s’en aille et retourne chez lui de peur qu’il ne meure au combat et qu’un autre homme n’épouse la fiancée. Les scribes parleront encore au peuple en ajoutant ceci : « Y a-t-il un homme qui a peur et dont le courage faiblit ? qu’il s’en aille et retourne chez lui, qu’il ne fasse pas fondre le courage de ses frères comme le sien. » (Dt 20, 5-9)
   « Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui feras des propositions de paix. Si elle te répond : « Faisons la paix ! », et si elle t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve sera astreint à la corvée pour toi et te servira. Mais si elle ne fait pas la paix avec toi et qu’elle engage le combat, tu l’assiégeras ; le Seigneur ton Dieu la livrera entre tes mains, et tu frapperas tous les hommes au tranchant de l’épée. Tu garderas seulement comme butin les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qu’il y a dans la ville, toutes ses dépouilles ; tu te nourriras des dépouilles de tes ennemis, de ce que le Seigneur ton Dieu t’a donné. C’est ainsi que tu agiras à l’égard de toutes les villes de ces nations-ci.
   Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. » (Dt 20, 10-16).
   « Quand tu soumettras une ville à un long siège en la combattant pour t’en emparer, tu ne brandiras pas la hache pour détruire ses arbres, car c’est de leurs fruits que tu te nourriras : tu ne les abattras pas. L’arbre des champs est-il un être humain, pour se faire assiéger par toi ? Seul l’arbre que tu reconnaîtras comme n’étant pas un arbre fruitier, tu le détruiras et tu l’abattras, et tu en feras des ouvrages de siège contre la ville qui te combat, jusqu’à ce qu’elle tombe. » (Dt 20, 19-20).
98. Cf. article « guerre » in Vocabulaire de théologie biblique. H. Cazelles (1912-2009) exégète, fut secrétaire de la Commission biblique pontificale. P. Grelot (1917 -2009) théologien, fut professeur à l’Institut catholique de Paris.
99. Ps 74 12-14: « Toi pourtant, Dieu, mon roi dès l’origine, et l’auteur des victoires au sein du pays, tu as maîtrisé la mer par ta force, fracassant la tête des dragons sur les eaux ; tu as écrasé les têtes du Léviathan, le donnant à manger à une bande de chacals. » Ps 89, 10-11: « C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la Mer ; quand ses vagues se soulèvent, c’est toi qui les apaises. C’est toi qui as écrasé le cadavre de Rahav, qui as dispersé tes ennemis par la force de ton bras. »
100. Ex 23, 27-33: « J’enverrai devant toi ma terreur, je bousculerai tout peuple chez qui tu entreras, je te ferai voir tous tes ennemis de dos. J’enverrai le frelon devant toi, qui chassera devant toi le Hivvite, le Cananéen et le Hittite. Je ne les chasserai pas devant toi en une seule année, de peur que le pays ne devienne une terre désolée, et que les animaux sauvages ne se multiplient à tes dépens. C’est peu à peu que je les chasserai devant toi, jusqu’à ce que, ayant fructifié, tu puisses recevoir le pays comme patrimoine. J’établirai ton territoire de la mer des Joncs à la mer des Philistins et du désert au Fleuve. Quand j’aurai livré entre vos mains les habitants et que tu les auras chassés de devant toi, tu ne concluras pas d’alliance avec eux et leurs dieux, ils n’habiteront pas dans ton pays, de peur qu’ils ne te fassent pécher contre moi : tu servirais leurs dieux et cela deviendrait pour toi un piège. » De même Dt 7, 1-6: « Lorsque le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu viens prendre possession, et qu’il aura chassé devant toi des nations nombreuses (…) sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi, lorsque le Seigneur ton Dieu te les auras livrées et que tu les auras battues, tu les voueras totalement à l’interdit. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, tu ne prendras pas leur fille pour ton fils, car cela détournerait ton fils de me suivre et il servirait d’autres dieux ; la colère du Seigneur s’enflammerait contre vous et il t’exterminerait aussitôt. Mais voici ce que vous ferez à ces nations : leurs autels, vous les démolirez ; leurs stèles, vous les briserez ; leurs poteaux sacrés, vous les casserez ; leurs idoles, vous les brûlerez. Car tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu ; c’est toi que le Seigneur ton Dieu a choisi pour devenir le peuple qui est sa part personnelle parmi tous les peuples qui sont sur la surface de la terre. »
101. Contre Sihôn, Og ( Nb, 21, 10 et svts ; Dt 2, 26 et svts), Canaan (Jos 6-12)
102. Contre Madiân (Nb 31)
103. Jg 3-12 ; 1 S 11-17 ; 28-30 ; 2 S 5 ; 8 ; 10.
104. Dans les psaumes, lire Ps 2. Cf. également Ps 45, 4-6: «  O brave, ceins ton épée au côté, ta splendeur et ton éclat. Avec éclat, chevauche et triomphe pour la vraie cause et la juste clémence. Que ta droite lance la terreur : tes flèches barbelées. Sous toi tomberont des peuples, les ennemis du roi frappés en plein coeur. ». Ps 60 ; Ps 110.
105. La tentation est et sera de confondre la cause de Dieu avec la prospérité d’Israël.
106. Ex 3, 20 ; 11, 4 et svts ; 14, 18 et svts.
107. Jg 5, 4. 20 ; Jos 5, 13 et svts ; 10, 10-14 ; 2 S 5, 24.
108. Ps 20 ; 21.
109. Ps 48, 4-8 ; 2 R 19, 32-36.
110. Ps 118, 10-14: « Toutes les nations m’avaient encerclé : au nom du Seigneur, je les pourfendais. Elles m’ont encerclé, encerclé : au nom du Seigneur, je les pourfendais. Elles m’ont encerclé comme des guêpes ; elles se sont éteintes comme un feu d’épines, au nom du Seigneur, je les pourfendais. Tu m’avais bousculé pour m’abattre, mais le Seigneur m’a aidé. « Ma force et mon cri de guerre, c’est Lui ! » « Je lui dois la victoire ! » «  Ps 124: « Sans le Seigneur qui était pour nous, -qu’Israël le redise !- sans le Seigneur qui était pour nous quand des hommes nous attaquèrent, alors, dans leur ardente colère contre nous, ils nous avalaient tout vifs, alors des eaux nous entraînaient, un torrent nous submergeait ; alors nous submergeaient des eaux bouillonnantes. Béni soit le Seigneur qui n’a pas fait de nous la proie de leurs dents ! Comme un oiseau, nous avons échappé au filet des chasseurs ; le filet s’est rompu, nous avons échappé. Notre secours, c’est le nom du Seigneur, l’auteur des cieux et de la terre. »
111. Nb 14, 39-44.
112. Jos 7, 2 et svts.
113. 1 S 4.
114. 1 S 31.
115. Is 1, 4-9 ; Jr 4, 5-5, 17 ; 6 ; Is 5, 26-30.
116. Jr 25, 14-38 ; Jr 27, 6 et svts.
117. Gn 4.
118. Ps 46, 10 ; Ez 39, 98.
119. Is 2, 4 ; 11, 6-9, etc.
120. Ez 38 ; Za 14, 1 et svts ; Jdt 1-7.
121. Dn 7et 11, 40-45.
122. 1 M 2-4 ; 2 M 8-10.
123. 2 M 15, 22 et svts ; Jdt 9.
124. Dn 7, 11. 26.
125. Dn 8, 25 ; 11, 45.
126. Is 59, 15-20 ; 63, 1-6 . Ps 35, 1 et svts. Sg 5, 17-23. Dn 12, 1 et svts. Sg 4, 7 et svts ; 5, 15 et svts.
127. Is 7, 9.
128.  »Mais la maison de Juda, je l’aimerai et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu ; je ne les sauverai ni par l’arc ni par l’épée ni par la guerre, ni par les chevaux ni par les cavaliers. » (Os 1, 7) ; « Malheur ! Ils descendent en Égypte pour y chercher du secours. Ils s’en remettent à des chevaux, ils font confiance aux chars parce qu’ils sont nombreux, aux cavaliers parce qu’ils sont en force, mais ils n’ont pas un regard pour le Saint d’Israël, ils ne cherchent pas le Seigneur. » (Is 31, 1) ; le Seigneur qui promet la paix et la fin de toute guerre, de toute violence : « Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. » (Is 2, 4) (Mi 4, 3) ; « Le loup habitera avec l’agneau. »(Is 11, 6-9) ; « je conclurai pour eux en ce jour-là une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les reptiles du sol ; l’arc, l’épée et la guerre, je les briserai, il n’y en aura plus dans le pays, et je permettrai aux habitants de dormir en sécurité. » (Os 2, 20) ; « Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. » (Za 9, 10).
129. Gn 6, 11-13.
130. Gn 8, 21.
131. Gn 9, 13.
132. 1 Ch 22, 8.
133. En 2005 encore, le cinéaste israélien Avi Mograbi, au grand scandale de nombreux compatriotes suggérait que les kamikazes pouvaient se réclamer de l’exemple de Samson auquel le titre de son film « Pour un seul de mes yeux » renvoie directement. Par ailleurs, prenant unilatéralement le parti des Palestiniens menacés par l’armée israélienne, le cinéaste les comparait aux zélotes juifs assiégés par l’armée romaine à Massada en 72.
134. « Point de signe d’une réponse de Dieu à la prière ou d’une causalité divine dans l’écroulement du temple ; et point de confirmation non plus, de la part du narrateur, sur le lien entre croissance des cheveux et force surhumaine. Au contraire, pour la première fois dans l’histoire de Samson, nous avons droit à la description de l’effort que requiert l’exploit herculéen. » (SONNET J.-P. et WENIN A., La mort de Samson : Dieu bénit-il l’attentat suicide ?, in Revue théologique de Louvain, 35, 2004, p. 378.)
135. Jg 13-16.
136. Op. cit., p. 381.

⁢iv. L’œuvre d’André Wénin peut nous introduire au cœur du message

[1].

Tout d’abord, si la Bible nous parle de vie et de mort, de notre vie, de notre mort, de notre histoire, elle ne peut éviter de montrer la violence qui est, d’une manière ou d’une autre, constamment présente dans toute existence et de nous inciter à prendre position face à cette réalité à laquelle nous sommes confrontés tout au long de notre cheminement.⁠[2]

Ainsi la Bible est, pour une part, le « miroir » de nos violences qu’elle analyse finement jusqu’à leurs racines⁠[3]. Et il est « heureux qu’il en soit ainsi. Car si la violence était occultée, tout un pan de la réalité humaine lui échapperait. Alors, la Bible, au lieu de m’offrir des pages pour penser cette réalité omniprésente dans l’histoire, me priverait de pouvoir la penser. Et, faute de refléter l’humain, elle perdrait de sa pertinence en parlant de Dieu… »[4]

Mais, on remarque aussi que la Bible implique Dieu lui-même dans la violence. Dieu tente de la réfréner, il la punit parfois d’une violence mesurée, parfois aussi de manière cruelle. Parfois enfin, Dieu encourage la violence des hommes.

Si on s’arrête à un récit sanglant particulier sans tenir compte de toute l’ampleur des livres qui constituent la Bible, on passe à coup sûr, à côté de l’essentiel. Car Dieu qui accompagne les hommes dans leurs tribulations les entraîne progressivement à résoudre leurs problèmes autrement que par des moyens violents.

Les auteurs inspirés, lorsqu’ils parlent de Dieu, nous révèlent certes des vérités, un Dieu qui combat le mal, un Dieu juste, fidèle, libérateur, exigeant mais aussi, dans une mesure incommensurable, un Dieu inconnaissable, indicible qu’ils ne peuvent exprimer qu’avec leurs mots à travers des représentations toujours approximatives. Le lecteur qui se fait aussi des images de Dieu, est donc sommé de dialoguer avec le Livre⁠[5].

Or, que constatons-nous lorsque nous essayons, non de sélectionner les textes suivant nos intérêts, mais de tout recevoir, contradictions apparentes ou réelles comprises ?

Il ne faut pas oublier, pour bien lire l’ensemble de la Bible, de méditer le récit des origines : le livre de la Genèse qui « offre une clé de lecture pour l’ensemble du récit biblique »[6].

d’emblée, Dieu apparaît comme le défenseur de la vie contre les forces du mal. Il maîtrise le chaos initial sans destruction ni violence pour faire naître la vie. De plus, il limite sa maîtrise en se reposant le septième jour. A son image, l’homme est invité à maîtriser l’animal sans le tuer⁠[7] : il donne comme nourriture les céréales et les fruits à l’homme et l’herbe aux animaux⁠[8]. Ainsi la vie s’écoule sans lutte dans un monde de douceur et d’harmonie. Mais, maîtriser l’animal, c’est aussi maîtriser l’animalité, la force vitale brute qui est en nous et qui s’exprime par la convoitise. A l’école du serpent⁠[9], la convoitise s’exaspère devant la limite et le manque, elle veut tout savoir et jouir de tout et suscite la jalousie et la violence. Or c’est précisément par le manque que Dieu veut éduquer notre désir pour que nous reconnaissions comme don ce qu’il nous accorde et que nous fassions confiance au donateur, un donateur qui ne comble pas notre désir mais manifeste ainsi sa volonté de le combler. La stérilité temporaire, la circoncision, le sabbat, le régime alimentaire, etc., sont autant de « manques » à accepter pour éviter l’idolâtrie qui n’est que le produit d’un homme qui, voulant échapper au mystère, s’asservit à lui-même et finalement à la mort.

Après la chute, la première violence qui s’insinue entre l’homme et la femme, est celle de la convoitise⁠[10]. On la retrouve encore dans la relation entre Eve et Caïn « possédé » par sa mère qui en fait son « homme » excluant Adam.⁠[11] Cet amour outrancier explique la violence de Caïn qui ne peut supporter que Dieu privilégie Abel⁠[12]. Il n’a pu accepter le manque, canaliser, exprimer par des mots la force (la violence du désir) qui est en lui et cette force s’extériorise dans la brutalité.⁠[13]

Parallèlement à ces tristes histoires, Dieu non seulement promet la victoire dans la lutte contre le mal⁠[14] mais accompagne l’homme qui, confronté à la violence, a désormais tendance à la reproduire. Dieu s’efforce de lui inculquer un autre chemin : il met en garde Caïn contre la « bête tapie » qui le convoite puis, après le crime, après avoir dénoncé le coupable, il le protège pour éviter l’escalade de la violence mais en vain.⁠[15] La justice clémente de Dieu se révèle inefficace et c’est pourquoi, devant le déchaînement de la violence (hamas), Il décide de détruire « toute chair »[16] à l’exception de Noé, le juste, ses fils, sa femme, les femmes de ses fils et un couple de chaque espèce d’animaux soumis à un régime végétal qui rappelle que la maîtrise de l’homme doit être non-violente. De plus, non seulement Dieu qui voulait détruire toute chair, sauve la famille de Noé et un couple d’animaux mais il se repent et promet de ne plus recourir lui-même à la violence extrême.

Comment dès lors, à l’avenir, gérer cette violence que l’on ne pourrait extirper définitivement qu’en détruisant la création ? En instaurant « le régime de la loi » qui va limiter l’exercice de la violence⁠[17]. L’homme sera autorisé à manger la chair animale et l’herbe qui était réservée aux animaux, signe de l’animalité qui est en lui⁠[18]. Mais Dieu impose des restrictions. Tout d’abord, par l’interdit du sang⁠[19], Dieu nous met en garde métaphoriquement contre ce qui meut la violence, c’est-à-dire la convoitise et la haine enfouis dans le cœur de l’homme. Ensuite Dieu demandera des comptes à l’agresseur⁠[20] et instaure la loi du talion⁠[21] qui ne laisse pas le crime impuni mais limite la vengeance. La loi apparaît néanmoins comme violente. Elle est imparfaite dans la mesure où elle ne peut « établir une justice accomplie »[22] ni instaurer la douceur, faire que l’homme, à l’image de Dieu, renonce carrément à la violence. Si la loi est nécessaire dans un premier temps, elle a ses limites. L’homme est donc invité à aller au-delà, à renoncer à la violence. Dès avant le Sinaï, des décrets, des usages et des juges sont établis⁠[23]. Mais, au Sinaï, l’objectif des 10 paroles est de contrer la violence, et d’éradiquer sa source : la convoitise.⁠[24]

Il est intéressant de constater l’importance du berger, du pasteur dans les récits de la Genèse. Le berger est celui qui maîtrise l’animal mais en prend soin, celui aussi que maîtrise son animalité.⁠[25] C’est l’homme tel que Dieu le souhaite, l’homme qui, comme Abram, Jacob ou Joseph, apprend à renoncer à la maîtrise totale sur les gens et les événements et à éteindre ainsi la convoitise.

C’est surtout dans les relations de couple et dans les relations entre parents et enfants que cette pédagogie apparaît. C’est dans ces relations que l’un peut être objet de l’autre comme on l’a vu avec Adam et Eve, Eve et Caïn. Si Abraham et Sara se manipulent, au début de leur relation, pour organiser leur vie comme ils l’entendent, ils découvrent harmonie et fécondité à partir du moment où, à l’invitation de Dieu, Abram consent à renoncer au nom de ses parents et consent à la circoncision qui est le signe de son consentement au plan de Dieu. Acceptant ce manque, il s’ouvre à l’autre, à sa femme, aux visiteurs aux chênes de Mamré, à la confiance en Dieu, au don de la vie.⁠[26]

Pour en revenir aux insuffisances de la loi et à la nécessité d’arrêter la violence, le premier personnage qui incarne bien l’au-delà de la justice, c’est Joseph⁠[27]. Il n’y a pas au début de cet épisode fameux un innocent et des coupables. Joseph fait violence à ses frères en les provoquant, Jacob à ses autres fils en préférant Joseph et les frères à Joseph, bien sûr. Joseph arrête la violence en ne répondant pas aux accusations de la femme de Putiphar⁠[28]. Il s’enfuit nu, signe de son innocence retrouvée. Il a rompu avec le modèle parental⁠[29], il est devenu sage et lorsqu’il sera confronté à ses frères, il ne se vengera pas mais par quelque stratagème, par une violence « juste et mesurée » il amènera les coupables à reconnaître leur faute. Cette histoire montre que « la stricte justice est parfois trop courte parce que, lorsqu’elle châtie un violent, celui-ci ne se sent pas reconnu comme victime, alors que, la plupart du temps, il en est une aussi. »[30] La fraternité ne s’établit pas d’emblée comme on le voit avec Abel et Caïn, Jacob et Esaü⁠[31], Joseph et ses frères⁠[32] mais elle se construit lentement et il en est de même en ce qui concerne les relations entre peuples.⁠[33]

Derrière Joseph, se profile l’image du Serviteur souffrant⁠[34]. Celui-ci, mieux encore que Joseph, imite le Dieu de l’Alliance, refuse la violence, refuse le mensonge, accepte le manque, renonce à maîtriser son avenir et arrête à lui le mal, ouvrant ainsi un chemin de paix. En l’exaltant, Dieu « se contente de dénoncer l’injustice dont il a été victime, permettant ainsi aux violents de découvrir leur violence insue. »[35] Il ne les châtie pas mais leur offre une possibilité de reconnaître leur erreur, de se détourner du mal et rendre le bonheur possible, puisque « le bonheur surgit […] au lieu où s’entrecroisent amour de Dieu et amour de l’autre (re)commandés par la Loi ».⁠[36]

En définitive, quelle leçon tirer de cette lecture ? La violence est inévitable, elle fait « partie intégrante de la réalité des humains ». Mais, d’une part, pour l’empêcher d’être destructrice, il faut veiller à ce que le désir ne dégénère pas en convoitise ; autrement dit, il faut apprendre à accepter le manque, à accepter de ne pas avoir prise sur tous les aspects de notre vie comme la Loi l’indique : « le consentement à une parole imposant un manque […] apparaît comme le chemin du devenir humain ».⁠[37] d’autre part, cette violence, quand elle risque de nous emporter, « il faut apprendre à la gérer » par « la parole qui permet de ne pas passer à l’acte ou en tout cas de [la] vivre […] autrement » par des exutoires, comme Dieu le signifie à Caïn⁠[38].

Dans la société contemporaine pétrie de libéralisme, on a tendance à exclure le vide, le manque et, en même temps, on nie que la violence soit « humaine », qu’elle fasse « partie intégrante de la réalité des humains » ; on veut éviter tout conflit tout en doutant qu’il y ait Quelqu’un au-dessus de chacun, une Loi au-dessus des lois. Et quand la violence éclate, on se trouve démuni⁠[39].

C’est le drame des sociétés développées : « il s’est développé un esprit de liberté qui met en cause toute instance supérieure, tout ordre qui, là aussi, prétendraient imposer la limite. A la place du devoir, le désir ; et en fait de désir, l’envie. Naguère le grand Principe (Dieu, l’Idée, la Patrie, la Révolution…) déléguait au maître le pouvoir de faire obéir ; il y avait un maître des maîtres, qui autorisait leur autorité. Dans le marché de l’économie triomphante, le Maître des maîtres c’est le grand moteur du système : l’envie elle-même, l’envie de chacun prise dans le magma de l’Envie universelle, célébrée et soutenue par la publicité. »[40] Et, « s’il n’y a plus l’instance qui ordonne et unifie, la pensée devient, sous le signe du désir, une kyrielle de conflits recouverts et insolubles. »[41]

Il est toujours dangereux de laisser notre désir dégénérer en convoitise. La Bible le révèle constamment et la psychanalyse confirme que « La religion soutient la violence ou l’entrave, selon qu’elle favorise ou non le possible renoncement à un objet source de toute satisfaction. Si elle permet de ne pas renoncer, et ne fait que fondre les exigences pulsionnelles individuelles dans celles du groupe, le risque est grand que le groupe se fasse alors l’amplificateur des pulsions destructrices, alors tournées vers l’extérieur pour défendre la possibilité de la satisfaction de l’intérieur. »[42]

Il est toujours dangereux, en même temps, de considérer que la violence est l’apanage de l’autre toujours coupable d’agresser notre innocence, de ne voir que la paille qui est dans son œil alors qu’il y a une poutre dans le nôtre⁠[43]. La psychanalyse confirme que « La tentation reste forte, le mouvement légitime, de vouloir mettre cette part d’inintégrable hors de soi, ne serait-ce que pour la contrôler, et trouver pour cela une peuplade, un groupe, un « Turc », un étranger. Un peu plus barbare, un peu plus sauvage que soi. Si le jeu est permis, la mise en scène nécessaire, pour mettre dehors ce qui menace de l’intérieur, nous ne pouvons toutefois plus être dupes, personne ne nous déchargera de notre responsabilité. Tel est le drame de l’homme désenchanté. »⁠[44]

Or la violence est d’abord en nous et il convient de le reconnaître, de reconnaître que « L’agressivité est une disposition instinctive primitive et autonome de l’être humain, et [que] la civilisation y trouve son entrave la plus redoutable. »⁠[45]

Mais, il n’y a pas à désespérer car « si la vie et la mort sont inséparables, humanité et barbarie ne se laissent pas non plus disjoindre ! »[46] « Si la pulsion de mort est à l’œuvre, inexorablement, Eros n’en est pas moins là, qui pousse toujours et encore à chercher, à maintenir ou à rétablir la relation à l’objet. […] La vie est possible malgré la mort. Il y a une humanité possible malgré la barbarie. Si l’on s’imagine toutefois épargné par la pulsion de mort, si l’ambivalence n’est pas possible, si le « mauvais » reste au-dehors, étranger au moi, toutes les violences se justifient et les barbares se réveillent au nom de la sécurité, ou de l’illusoire pureté du moi, de la race ou de la nation. L’indomptable, le sexuel infantile d’avant toute castration et soumission à la Loi, peut donner libre cours à son déchaînement. La déshumanisation menace, parce qu’alors il ne peut y avoir d’autre en soi, l’autre étant devenu l’incarnation du mal ou du non-humain. Lorsqu’on ne joue plus, ou lorsqu’on se prend trop au jeu, lorsqu’on se raconte qu’en exterminant le mal, le bien triomphera, alors le danger du déchaînement de la violence se fait menaçant, qui se nourrit des forces du mal qu’il pose en dehors pour les combattre. Et pourtant nous ne pouvons vivre sans croire, un peu, que l’homme vaut mieux que le barbare qu’il ne surveille jamais aussi bien que lorsqu’il le reprend en lui ![47]


1. Notamment : WENIN André, La Bible ou La violence surmontée, DDB ; SONNET Jean-Pierre et WENIN André, La mort de Samson : Dieu bénit-il l’attentat suicide ? op. cit., pp. 372-381 ; LEBRUN Jean-Pierre et WENIN André, Des lois pour être humain, Humus Entretiens, Erès, 2008. A. Wénin s’appuie sur les travaux du P. Paul Beauchamp, sj (1924-2001)
2. On peut ajouter avec Th. Römer que « Dieu ne se retire d’aucun domaine de la vie humaine ; il est présent aussi là où l’homme est confronté à ses côtés obscurs : la haine, l’égoïsme, la cruauté, la guerre, la violence. » (Des meurtres et des guerres : Le Dieu de la Bible hébraïque aime-t-il la violence, in Maguerat, op . cit., pp. 55-56).
3. WENIN A., La Bible ou La violence surmontée, op. cit., pp. 19-22. L’auteur scrute l’histoire de Joseph vendu par ses frères (Gn 37) et montre que tous les personnages font violence aux autres : Joseph qui calomnie et provoque la jalousie des frères, Jacob qui privilégie Joseph et bien sûr les frères qui se vengeront en vendant Joseph et en infligeant le chagrin du deuil à leur père.
4. LEBRUN Jean-Pierre et WENIN André, Des lois pour être humain, op. cit., p. 77.
5. A. Wénin cite en exemple le lecteur juif et rappelle ce qu’E. Lévinas écrivait : « tout se passe comme si la multiplicité des personnes (…) était la condition de la plénitude de la « vérité absolue » comme si chaque personne par son unicité, assurait la révélation d’un aspect unique de la vérité. » (in Au-delà du verset, Minuit, 1982, p. 163, cité in WENIN A., La Bible ou la violence surmontée, op. cit., pp. 18-19).
6. WENIN A., op. cit., p. 31.
7. Gn 1, 28-30.
8. Gn 1, 1-2.
9. Non seulement il se présente comme un dieu soucieux du bonheur de l’homme mais, en plus, il donne de Dieu une fausse image. (WENIN A., op. cit., p. 98). La convoitise qu’il suscite est donc liée à la double idolâtrie dénoncée par le Décalogue (Ex 20, 3-4).
10. Gn 3, 16 : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi ». L’autre, de partenaire, devient objet.
11. « …la grande tentation de la mère est de prendre l’enfant pour elle et de vivre sa jouissance avec lui. Quant à la tentation du père, c’est au fond d’abdiquer de sa position de mari devant cette situation-là… » (LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., Des lois pour être humain, op. cit., p. 85) Et le psychanalyste confirme : « C’est extrêmement proche du pari de Freud d’avoir fait de la mère la première chose à laquelle il faut renoncer. C’est comme si le texte biblique disait déjà ça… ». (Id.)
12. Gn 4, 1-5.
13. C’est aussi, rappelons-nous, l’analyse du Rabbin Guigui. Elle trouve une confirmation dans la psychanalyse comme l’indique le titre d’un ouvrage d’un élève de Jacques Lacan (1901-1981) : La parole ou la mort de SAFOUAN Moustapha, Seuil, 1993 : « Entre deux sujets, il n’y a que la parole ou la mort, le salut ou la pierre. Poser la violence au principe de ce qu’on appelle » la condition humaine » sans tenir compte de ce qu’elle comporte comme défaite de la parole, ne mène nulle part ». (Cité in LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., op. cit., p. 82).
14. Gn 3, 15.
15. Gn 4, 9-16.
16. A. Wénin (La Bible ou la violence surmontée, op. cit., pp. 32-36) s’arrête à l’expression « toute chair avait perverti sa conduite (son chemin) sur la terre » (Gn 6, 12) qui renvoie à Gn 1, 29-30 et au régime végétarien de toute « chair », régime de douceur qui a été perverti. Dans l’arche, les provisions sont végétales (Gn 6, 21).
17. Id., p. 40-51. Mais ne peut-on considérer aussi la loi comme une « violence » ? Th. Römer pose cette question sur le plan politique : « La loi indispensable à toute démocratie ne contient-elle pas une violence nécessaire au fonctionnement de la société ? » (Des meurtres et des guerres : Le Dieu de la Bible hébraïque aime-t-il la violence ? in Maguerat, op. cit., p. 56). S’il existe, comme Freud le pense, une pulsion de haine et d’extermination, alors « il semble que toute tentative de substituer au pouvoir réel le pouvoir des idées est aujourd’hui encore vouée à l’échec. C’est une erreur de calcul de ne pas considérer que le droit n’était à l’origine que violence à l’état brut, et qu’il ne peut de nos jours non plus se passer du soutien de la violence. » (S. Freud, A. Einstein, Pourquoi la guerre ?, in Résultats, idées, problèmes II, PUF, (1933) 1985, p. 209). Toutefois, fait remarquer M. Vaucher, « La haine à l’égard de celui qui impose des limites auxquelles il est lui-même soumis n’est pas une haine à mort, elle permet une transaction et favorise un double mouvement de différenciation et d’indentification. » (Vie, violence…La haine, voie de transformation de la violence, in Maguerat, op. cit., p. 22). De plus, la « violence juridique ou violence du droit est une contre-violence, une violence dont le but est l’élimination de la violence pure » (ASSMAN Jan, op. cit., p. 24). Pour Assman, la « violence pure » ou « violence affective » est celle qui est animée par la colère, la peur et la jalousie (id., pp20-23). Cette « contre-violence » ne serait pas effective sans violence.
18. Gn 9, 1-3 : « Dieu bénit Noé et ses fils, il leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre. Vous serez craints et redoutés de toutes les bêtes de la terre et de tous les oiseaux du ciel. Tout ce qui remue sur le sol et tous les poissons de la mer sont livrés entre vos mains. Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture comme déjà l’herbe mûrissante, je vous donne tout. » »
19. Gn 9, 4 : « Toutefois vous ne mangerez pas la chair avec sa vie, c’est-à-dire son sang. »
20. Gn 9, 5 : « Et de même, de votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai compte à l’homme : à chacun je demanderai compte de la vie de son frère. »
21. Gn 9, 6: « Qui verse le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé… ».
22. WENIN A., op. cit., p. 44.
23. Ex 15, 25 ; 18, 13-26.
24. On peut en effet s’étonner de la formulation des neuvième et dixième commandements dans un texte à caractère juridique. Mais comme l’écrit Joan Chittister, « l’essence des neuvième et dixième commandements est vraiment, finalement, la substance et l’incarnation du premier. Elle consiste à rejeter les idoles, à se fondre en Dieu, à être pleinement conscient –enfin- qu’une seule chose compte vraiment dans la vie ». Idolâtrie, convoitise, cupidité, jalousie, envie, sont les obstacles majeurs à une vraie vie avec Dieu. (CHITTISTER J., Les dix commandements, Les lois du cœur, Bayard, 2009, pp. 107-126)
25. Abel préféré à l’agriculteur (Gn 4, 3-4), Noé gardien de la gent animale (Gn 7, 7-16), Abraham (Gn 13, 2 et ), Isaac (Gn 25, 14), Jacob (Gn 30, 29-43), Joseph (Gn 37, 2) tandis que ses frères, pasteurs aussi, ressemblent plus à la « bête féroce » qui, prétendront-ils, a tué Joseph.
26. Il n’empêche qu’Abraham cède à la toute-puissance paternelle lorsqu’il « décide de tuer son fils. qu’un Dieu le lui ait apparemment ordonné, peu importe au fond : on peut très bien assouvir sa jouissance en obéissant à la parole d’un autre. Du reste, dans ce récit, Dieu vient arrêter le geste du père en lui disant de ne pas faire de mal au garçon. Dès lors, dans la main du père, le couteau ne servira plus qu’à trancher le lien qui, symboliquement, servait à lier Isaac, à le paralyser. » Le psychiatre et psychanalyste Jean-Pierre Lebrun renchérit : « C’est d’ailleurs la lecture que l’on peut faire du tableau du Caravage, Le sacrifice d’Isaac (…) l’ange ne s’y contente pas d’arrêter le geste d’Abraham ; il montre au père qu’il s’est trompé, qu’il a mal compris ce qui lui était demandé. Si Dieu a réclamé Isaac, ce n’est pas pour le prendre, c’est pour le libérer. Ce n’est donc pads le fils qui doit être sacrifié, mais l’emprise paternelle. » (LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., Des lois pour être humain, op. cit., pp. 73-74).
27. Gn 37-47.
28. Gn 39, 7-20.
29. Gn 29, 15-30. Allusion aux marchandages entre Laban, père de Léa et de Rachel, et Jacob
30. WENIN A., op . cit., p. 57.
31. Gn 25 et svts. Dans Gn 33, 4-11 , on assiste à leur transformation.
32. Cf. WENIN A., Joseph ou l’invention de la fraternité, Lessius, 2005.
33. Cf. les épisodes mettant en scène Abraham et Mzlkisédeq (Gn 14, 18-20), Abraham et Abimélek (Gn 21, 27. 31-31), Isaac et Abimélek ( Gn 26, 26-31), Joseph et putiphar (Gn 39, 2-6), Joseph et Pharaon (Gn 41, 38-40), Pharaon et la famille de Joseph (Gn 47, 38-40).
34. Is 52-53.
35. WENIN A.,La Bible ou La violence surmontée, op. cit., p. 59.
36. WENIN A.,id., p. 143.
37. LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., op. cit., p. 228.
38. LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., Des lois pour être humain, op. cit., p. 90. Comme la Bible le montre, la psychanalyse et le travail cliniques attestent aussi « qu’effectivement, il n’est pas possible de ne pas la [la violence] rencontrer mais qu’il s’agit toujours de nous mettre au travail pour arriver à ce qu’elle soit autre que destructrice ». (Id., pp. 91-92). Comme on l’a dit et répété, la parole est importante : « nous ne sommes hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole » disait Montaigne précisant que « le mentir est un maudit vice » (Essais, Livre I, chap. IX, cité in LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., op. cit ., p. 112). Mais si « l’absence de parole engendre un mécanisme de violence, d’exclusion et d’écrasement de l’autre », la parole peut elle aussi être violente et pousser à la violence, ne serait-ce que sous la forme du mensonge : ainsi, Esaü veut tuer Jacob parce qu’il a menti (Gn 27). Toutefois, « on peut sortir du processus de la violence, à travers une parole qui, peut-être, fait violence dans un premier temps parce qu’elle oblige la personne à se mettre en face d’elle-même et de sa propre violence, mais qui ensuite permet d’ajuster les relations. […] C’est cela qui permet d’en sortir sans qu’il y ait ni vainqueur ni vaincu. » C’est pourquoi A. Wénin parle d’une « parole juste » et non d’une parole vraie. La parole juste par rapport à un événement permet l’ajustement des personnes. Ainsi en est-il avec Joseph face à ses frères en Égypte, ainsi en est-il avec Nathan face à David (2 S 11-12). A. Wénin rappelle que « la vérité est un concept eschatologique » et qu’ « il est impossible, comme être humain de s’accorder pleinement à la vérité, de la « trouver ». »(Id., pp. 101-126)
39. Le psychanalyste constate la disparition, dans le face à face, de ce qu’il appelle la « place tierce » ou encore « la figure tutélaire » occupant une « place différente » sur le plan moral ou sur le plan social. Tout le monde prétend occuper une place équivalente. Dans cette situation, « il n’y aura pas de légitimité à ce que l’un des deux décide, à ce que mon avis puisse prévaloir sur le vôtre, ou que l’avis du professeur prévale sur celui de l’élève, celui de l’expert sur celui qui ne connaît rien, celui du parent sur l’enfant, ou du roi sur ses sujets ou d’un Premier ministre sur son gouvernement… Si on n’a plus cette possibilité reconnue comme allant de soi, on se voit contraint de rester l’un et l’autre dans l’expectative, ce qui ne peut que favoriser tôt ou tard la prise de pouvoir de force par l’un des deux. Autrement dit, imposer par la contrainte réelle ce qui ne peut plus s’imposer par une contrainte symbolique. » Contrainte de la « figure tutélaire ». Dès lors, « on n’a plus à sa disposition ce qui permet de trouver une issue au conflit ; et c’est dans ce contexte-là que notre société doit éviter celui-ci, parce qu’elle sait très bien qu’on ne peut plus en sortir ; mais en pratiquant cette politique de l’évitement, elle laisse le cancer se propager, puisque de toute façon, viendra bien le moment où elle sera contrainte à la prise de position qui entérinera la différence des places. » De plus, si, à l’origine, on nie une différence de places, « les gens sont mis en situation de se sentir en danger s’ils soutiennent leur propre parole, puisque celui qui dit risque toujours de se voir contredire, et donc d’être confronté à l’altérité concrète de l’autre sans avoir à sa disposition une voie pacifique pour s’en sortir… ; de ce fait, beaucoup taisent ce qu’ils ont à dire.
   Hier, ils se taisaient parce qu’il y avait un interlocuteur qu’ils pensaient être le grand castrateur, mais aujourd’hui, ils se taisent parce que la confrontation avec quiconque peut se retourner en castration. Dans les deux cas, certes dans des contextes différents, ne pas dire accomplit anticipativement le meurtre de l’autre. » L’exégète ajoute : « Le meurtre, et même parfois, aussi, la négation de soi, quand on n’ose plus dire ce que l’on a à dire. Celui qui s’engage dans cette voie se nie lui-même en tant que sujet, fait violence au sujet en lui. » (LEBRUN Jean-Pierre et WENIN A., Des lois pour être humain, op. cit., pp. 90-100).
40. BELLET Maurice, « Je ne suis pas venu apporter la paix… », Essai sur la violence absolue, Albin Michel, 2009, p. 18. (Né en 1923, prêtre, théologien, philosophe, psychanalyste).
41. Id., p. 56.
42. VAUCHER Myriam, Vie, violence… La haine, voie de transformation de la violence, in Maguerat, op. cit., pp. 32-33.
43. Lc 6, 41-43 : « qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : « Frère, attends. Que j’ôte la paille qui est dans ton œil », toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Homme au jugement perverti, ôte d’abord la poutre de ton œil ! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. »
44. VAUCHER Myriam, op. cit., p.15.
45. Freud  Malaise dans la civilisation, PUF, 1930, p. 77. M. Vaucher confirme : « Les hommes ne sont civilisés que tardivement, contre leur gré et en surface ! Au fond, ils restent des barbares, des enfants, des frères luttant les uns contre les autres ! » (op. cit., p. 21).
46. VAUCHER Myriam, op. cit., p. 14.
47. Id., p. 32. Retenons aussi cette réflexion de l’auteur sur l’importance du rite et de ce qu’il traduit : « Violence de vie. Violence de mort. Cela ne fonctionne que si le rite permet une mise en scène de la violence dans un espace symbolique, et non sa mise en scène sur la scène du monde. » (id., p. 31).

⁢v. Joseph Comblin et le thème de la paix

Si l’Ancien testament nous éclaire sur l’origine du mal et de la violence, il introduit aussi dans le monde, comme l’a montré le P. J. Comblin, trois idées fondamentales : « le thème de la paix perpétuelle, le thème d’universalité du salut et celui de la puissance de Dieu dans la faiblesse des hommes »[1]

Et tout d’abord, la paix biblique.

Le mot shalôm que nous avons traduit par « paix » est un concept large, « un terme vaste, ample, souple ; il peut désigner le terme de toutes les aspirations. (…) Le shalôm est toujours un peu comme un don, incertain mais espéré, (…) un état de grâce collectif.  »⁠[2] Don espéré et possible, il est par le fait même de nature religieuse. Il est décrit dans le Deutéronome sous forme de bénédictions⁠[3]. C’est « le pays qui ruisselle de lait et de miel »[4]. C’est la vie, une plénitude de vie !⁠[5] Ces bénédictions, cette vie, cette paix, Israël l’attend uniquement de Dieu et non de circonstances historiques favorables, d’une bonne politique ou d’un roi qui promet la paix en faisant la guerre⁠[6]. David, le guerrier, n’a pu bâtir le temple à cause du sang versé. C’est Salomon le pacifique qui le construira.⁠[7] Salomon est le type du roi soumis à la loi religieuse qui annonce le Roi à venir⁠[8].

Mais Dieu répétera-t-on fait la guerre ! Oui mais d’une manière toute différente des divinités orientales ou grecques. Celles-ci sont guerrières par essence alors que si l’on dit que « Yahweh est un guerrier »[9] c’est parce qu’il a libéré son peuple. De plus, si toute guerre du peuple devient guerre de la divinité, dans la Bible c’est Dieu qui détermine les guerres de son peuple et toute guerre ne reçoit pas son investiture : il y a les guerres de Yahweh qu’il mène pour réaliser son dessein contre ceux qui s’y opposent, les pécheurs⁠[10] et les guerres profanes, purement politiques. La guerre de Yahweh est comme un jugement, « un prélude non aux guerres historiques, même si celles-ci se prétendaient inspirées par Dieu - et toutes les guerres des États, nous le savons se prétendent telles, plus ou moins - mais au Jugement des nations à la fin du monde, tel qu’il est annoncé par le Nouveau Testament. Donc les guerres saintes de la Bible n’ont pas existé comme telles ; elles sont un sens révélé, prophétique, ajouté aux récits du passé d’Israël. »[11]

Seules ces guerres-jugements trouvent grâce aux yeux des prophètes qui condamnent les guerres profanes⁠[12] et dénoncent les faux prophètes qui annoncent les victoires profanes⁠[13]. De plus, ces guerres-jugements, guerres de Yahweh sont provisoires et exceptionnelles, elles appartiennent au temps de la préparation du peuple d’Israël.⁠[14] Et donc, une fois de plus, on peut affirmer que « la guerre n’est pas sainte, elle n’est pas une manifestation « spéciale » de la providence divine. On peut et on doit même dire que, non seulement le Nouveau, mais encore l’Ancien testament ont désacralisé la guerre. Ils lui ont précisément enlevé son caractère traditionnel d’opération divine en réservant ce caractère divin à quelques cas précis. Il n’y a plus rien de sacré, sinon l’économie du salut biblique. Dieu ne se révèle pas par la guerre. La guerre est seulement humaine, sauf quand elle est le jugement de Dieu sur les pécheurs. En fin de compte, il y aura seulement une seule guerre sainte : le jugement dernier. »[15]

Dieu n’est pas un guerrier. Le récit de la création en témoigne aussi. Alors que les mythes cosmogoniques nous montrent qu’au commencement était la guerre, que la création du monde se moule sur la création des États par la guerre, la Genèse révèle que Dieu, en toute liberté et par don, crée un monde en paix. Dieu n’a créé ni la mort, ni le mal, ni la guerre. Et il condamne les puissants orgueilleux et guerriers égyptien, assyrien⁠[16], babylonien⁠[17], romain, Gog et Magog⁠[18] : « par un simple jugement, Dieu fait la guerre à la guerre, il disperse comme d’un souffle la guerre qui était comme l’arme ultime du péché contre lui. »[19]

La paix promise par les prophètes et telle qu’ils la décrivent, paix du peuple élu et paix des nations, ne peut venir que de Dieu et de son Règne. C’est Dieu d’abord qu’il faut chercher et reconnaître, la paix viendra ensuite. Israël sera en paix avec ses puissants voisins quand ceux-ci reconnaîtront Yahweh⁠[20] et il en va de même pour toutes les nations⁠[21]. Dieu offre sa paix à Israël et, par Israël, à toutes les nations, non pas par leur soumission à Israël mais par l’écoute de l’instruction et de la parole dispensées à Jérusalem, préfiguration de l’Église. C’est dans la mesure où les hommes se convertissent au Dieu de paix que la paix se fera car « point de paix, a dit mon Dieu, pour les méchants ! »[22] La paix n’est pas une récompense qui vient de l’extérieur, elle est concomitante de la transformation radicale de l’homme immoral, pécheur et impie. C’est la condition sine qua non⁠[23] : que la loi du Seigneur vive dans le cœur de l’homme⁠[24] et Dieu le purifiera⁠[25]. La promesse vaut pour Israël et pour les nations : « Tous tes fils seront disciples du Seigneur, et grande sera la paix de tes fils. »[26] La justice -l’intégrité morale et religieuse- et la paix sont solidaires : « Le fruit de la justice sera la paix ; la justice produira le calme et la sécurité pour toujours »[27] ; « Fidélité et Vérité se sont rencontrées, elles ont embrassé Paix et Justice. »[28] Celui qui veut la paix doit avoir foi dans la paix de Dieu, et lui prêter patiemment ses forces.


1. COMBLIN J., Théologie de la paix, Principes, Editions universitaires, 1960, p. 36.
2. Id., pp. 44-45.
3. Dt 7, 6-14 ; 28, 2-10.
4. Nb 14, 8.
5. Dt 30, 19.
6. Cf. Dt 17, 17 et surtout 1 S 8, 11.
7. 1 Ch 22, 7-10.
8. Is 9, 5-6 : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : « Merveilleux - Conseiller, Dieu - Fort, Père à jamais, Prince de la paix. » Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin pour le trône de David et pour sa royauté, qu’il établira et affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours - l’ardeur du Seigneur, le tout-puissant, fera cela. »
9. Ex 15, 3. Quant à l’expression « Yahweh Sabaoth », souvent traduite par « Dieu des armées » ou « Dieu des armées d’Israël », elle désigne plus vraisemblablement le « Dieu des armées célestes », le Dieu du « monde des cieux et des astres (…), le Dieu unique qui dispose de toutes les puissances de l’univers » (GUILLET Jacques in Vocabulaire de théologie biblique, Cerf, 2005).
10. Cf. Dt 9, 4-6.
11. COMBLIN J., op. cit., p. 69.
12. « Malheur ! Ils descendent en Égypte pour y chercher du secours. Ils s’en remettent à des chevaux, ils font confiance aux chars parce qu’ils sont nombreux, aux cavaliers parce qu’ils sont en force, mais ils n’ont pas un regard pour le Saint d’Israël, ils ne cherchent pas le Seigneur. Lui aussi, pourtant, il est habile : il peut faire venir le malheur. Il ne retire pas ce qu’il a dit. Il se dresse contre le parti des méchants et contre les malfaisants qu’on appelle au secours. » (Is 31, 1-2). Lire aussi Is 22, 8-14 ; Is 7.
13. Cf. Jr 6, 14.
14. On peut aussi citer les guerres que Yahweh mène contre son propre peuple lorsqu’il est infidèle en se servant des puissances ennemies : « Malheur à l’Assyrie, gourdin de ma colère ; ce bâton dans sa main, c’est mon indignation. Je l’envoie contre une nation impie, je le dépêche contre le peuple qui m’excède, pour y faire du butin et le mettre au pillage, pour le fouler aux pieds comme la boue des rues. » (Is 10, 5-6)
15. COMBLIN J., op. cit., p. 73. L’auteur précise que des textes comme le cantique de Débora (Jg 5) ou le cantique du passage de la mer Rouge (Ex 15) sont des textes « infiltrés » et « maintenus dans le corps du Livre sacré à cause de la coutume des historiens anciens de transcrire leurs sources sans les remanier, et de faire l’histoire par adjonction de documents, sans se soucier toujours de les corriger. » (Id., p. 66).
16. « Mais quand le seigneur aura achevé toute son œuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem, « j’interviendrai, dit-il, contre les prétentions orgueilleuses du roi d’Assyrie et contre l’éclat de son regard hautain, car il s’est dit : « C’est par la force de ma main que j’ai agi et par ma sagesse ; car je suis intelligent. J’ai supprimé les frontières des peuples et pillé leurs réserves. Comme un héros, j’ai fait descendre ceux qui siégeaient sur des trônes. (…) » »_ (Is 10, 12-13).
17. « Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l’Aurore ? Comment as-tu été précipité à terre, toi qui réduisais les nations, toi qui disais : « Je monterai dans les cieux, je hausserai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je siégerai sur la montagne de l’assemblée divine à l’extrême nord, je monterai au sommet des nuages, je serai comme le Très-Haut. » » (Is 14, 12-14).
18. Ez 38-39 et Ap 20, 8.
19. COMBLIN J., op. cit., p. 76.
20. Is 19, 19-24 : « Ce jour-là, il y aura un autel du Seigneur au cœur du pays d’Égypte et une stèle du Seigneur près de sa frontière. Ce sera un signe et un témoin pour le Seigneur, le tout-puissant, dans le pays d’Égypte : quand ils crieront vers le Seigneur à cause de ceux qui les oppriment, il leur enverra un sauveur qui les défendra et les délivrera. Le Seigneur se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens, ce jour-là, connaîtront le Seigneur. Ils le serviront par des sacrifices et des offrandes, ils feront des vœux au Seigneur et ils les accompliront. Alors, si le seigneur a vigoureusement frappé les Égyptiens, il les guérira : ils reviendront au Seigneur qui les exaucera et les guérira.
   Ce jour-là, une chaussée ira d’Égypte en Assyrie. Les Assyriens viendront en Égypte, et les Égyptiens en Assyrie. Les Égyptiens adoreront avec les Assyriens.
   Ce jour-là, Israël viendra le troisième, avec l’Égypte et l’Assyrie. Telle sera la bénédiction que, dans le pays, prononcera le Seigneur, le tout-puissant : « Bénis soient l’Égypte, mon peuple, l’Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël, mon patrimoine. » »
21. Is 2, 2-5 : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins, et nous marcherons sur ses routes. » Oui, c’est de Sion que vient l’instruction et de Jérusalem la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Venez, maison de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur. » 
22. Is 57, 21.
23. Jr 6, 14 : « Tous, petits et grands, sont âpres au gain. Tous, prophètes et prêtres, ont une conduite fausse. Ils ont bien vite fait de remédier au désastre de mon peuple, en disant « Tout va bien ! tout va bien ! » Et rien ne va. » Jérusalem traduit : « …​ en disant : Paix ! Paix ! » alors qu’il n’y a point de paix. ». Ou encore Jr 14, 11-16 : « Le Seigneur me dit « N’intercède pas en faveur de ce peuple, ne souhaite pas son bonheur ! S’ils jeûnent, je n’écoute pas leur plainte. S’ils me présentent holocaustes et offrandes, cela ne me plaît pas. C’est par l’épée, la famine et la peste que je vais les exterminer. » Je dis : « Ah ! Seigneur Dieu, mais les prophètes leur disent : Vous ne verrez pas l’épée, et la famine ne vous surprendra pas ; je vous donnerai en ce lieu une prospérité assurée . » Le Seigneur me répondit : « C’est faux ce que les prophètes prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai rien demandé, je ne leur ai pas parlé. Fausses visions, vaticinations, mirages, trouvailles fantaisistes, tel est leur message prophétique ! » C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur : « Pour ce qui est des prophètes qui prophétisent en mon nom alors que je ne les ai pas envoyés : bien qu’ils prétendent que l’épée et la famine ne surprendront pas ce pays, c’est en fait par l’épée et la famine que ces prophètes disparaîtront. Et les gens à qui ils prophétisent joncheront les ruelles de Jérusalem à cause de la famine et de l’épée (…). »
24. Jr 31, 31-34 : « Des jours viennent -oracle du Seigneur- où je conclurai avec la communauté d’Israël -et la communauté de Juda - une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte. Eux, ils ont rompu mon alliance ; mais moi, je reste le maître chez eux -oracle du Seigneur. Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là -oracle du Seigneur : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : « Apprenez à connaître le Seigneur », car ils me connaîtront tous, petits et grands -oracle du Seigneur,. Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en parle plus. »
25. Ez 36, 25-28 : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes. Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères ; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. Je vous délivrerai de toutes vos souillures, j’appellerai le blé, je le ferai abonder, je ne vous imposerai plus la famine. Je ferai abonder le fruit de l’arbre, le produit des champs afin que vous n’ayez plus à supporter parmi les nations la honte d’avoir faim. »
26. Is 54, 13.
27. Is 32, 17.
28. Ps 85, 11.

⁢vi. qu’en est-il de l’universalisme biblique ?

Dès la Genèse, il apparaît que le message est universel. Dieu est le Dieu de tout, créateur et Seigneur de tout, « roi des nations »[1] : « La Bible est une histoire universelle, c’est-à-dire l’histoire de toutes les choses que Dieu a faites. Que cette histoire paraisse se restreindre (…) et se concentrer autour du destin d’un petit peuple, ne lui enlève pas sa portée universelle. Au contraire, cela ne fait que consacrer le rôle de ce peuple et lui donner une envergure mondiale. »[2] qu’ils le veuillent ou non, tous les hommes ont été créés par Dieu, frères d’un même Père, et sont embarqués dans son dessein : « Des cieux, le Seigneur regarde et voit tous les hommes. Du lieu où il siège, il observe tous les habitants de la terre, lui qui leur modèle un même cœur, lui qui est attentif à toutes leurs œuvres ».⁠[3] Le monothéisme affirmé est universaliste. Dieu n’est pas simplement le Dieu d’Israël, il est le Dieu de toutes les nations : « N’est-ce pas moi le Seigneur, et nul autre n’est Dieu, en dehors de moi ; un dieu juste qui sauve, il n’en est pas, excepté moi ! Tournez-vous vers moi et soyez sauvés, vous, tous les confins de la terre, car c’est moi qui suis Dieu Il n’y en a pas d’autre. »[4] « Tous, dans toutes les nations de la terre entière, reviendront et craindront Dieu en toute vérité. Tous abandonneront leurs idoles trompeuses qui les faisaient s’égarer dans leur erreur et ils béniront le Dieu des siècles dans la justice. »[5] Mais le rassemblement final ne sera pas simplement l’œuvre des hommes. S’ils sont invités à y travailler, c’est Dieu qui convoque l’ultime pèlerinage. Son empire remplacera les empires orgueilleux des hommes.⁠[6]

L’élection d’Israël implique, en effet, un service.  Le récit de l’élection d’Abraham se termine par cette promesse : « Et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. »[7] Israël a une mission parmi les nations. Ce peuple est choisi en vue du salut de tous.⁠[8] A part des autres nations, Israël, éduqué par les prophètes, doit progressivement se détacher des pratiques des autres nations et représenter la sainteté⁠[9] : « Dieu donne la paix au monde par le choix qu’il fait d’un peuple auquel il enseigne la paix »[10] pour que ce peuple enseigne la paix au monde en vivant selon les mœurs de Dieu.⁠[11]

Mais comment tout cela se fera-t-il ?


1. Jr 10, 7.
2. COMBLIN J., op. cit., p. 117.
3. Ps 33, 13-16. 
4. Is 45, 21-22.
5. Tb 14, 6.
6. Cf. Dn 7, 13-14 : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’au Vieillard , et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous les peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite. »
7. Gn 12, 3.
8. Ce caractère est nettement présent dans le livre d’Isaïe à propos du Serviteur de Dieu : « C’est moi le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai tenu par la main, je t’ai mis en réserve et je t’ai destiné à être l’alliance du peuple, à être la lumière des nations, (…). » (Is 42, 6) ; « Il m’a dit : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur en relevant les tribus de Jacob, et en ramenant les préservés d’Israël ; je t’ai destiné à être la lumière des nations, afin que mon salut soit présent jusqu’à l’extrémité de la terre ». » (Is 49, 6) .
9. Cf. Gn 18, 18-19 : « Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, car j’ai voulu le connaître afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie du Seigneur en pratiquant la justice et le droit (…) ».  Lv 18, 3 : « Ne faites pas ce qui se fait au pays d’Égypte, où vous avez habité ; ne faites pas ce qui se fait au pays de Canaan, où je vais vous faire entrer ; ne suivez pas leurs lois ; mettez en pratique mes coutumes et veillez à suivre mes lois. »
10. COMBLIN J., op. cit., p. 113. Ce peuple sera infidèle  et son élection nourrira souvent un nationalisme plutôt qu’un universalisme. Dieu se servira des autres nations pour châtier cette infidélité et il faudra que Dieu mette à part, à nouveau, au sein du peuple, un petit reste pour témoigner de son projet. N’empêche qu’Israël aura, malgré ses fautes, préparé un terreau fertile, une relative sainteté qui tranchera quand même sur les mœurs païennes.
11. J. Comblin précise que si Israël a une mission vis-à-vis des nations païennes, celles-ci ont aussi un rôle à jouer dans le dessein de Dieu : purifier Israël de ses infidélités. (Op. cit., p. 118). Toutes les nations ont une origine commune. Comme le montre la généalogie des nations (Gn 10), par Noé, elles découlent toutes du couple initial et sont toutes appelées à retrouver l’unité à la fin de l’histoire : « Aussi, je vous le dis, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux, tandis que les héritiers du Royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents. » (Mt 8, 11). Les Juifs qui n’auront pas cru au Christ verront les païens prendre leur place (Bible de Jérusalem, p. 1425, note d).

⁢vii. La puissance de Dieu dans la faiblesse des hommes.

La puissance de Dieu est force et pouvoir, il est « le puissant de Jacob », le « rocher », la « citadelle », le « bouclier d’Israël » qui « déploie la force de son bras » ou « de sa droite » en faveur de son peuple. Puissance créatrice dont dérivent toutes les autres puissances humaines vouées à achever la création : Dieu donne à l’homme un jardin pour qu’il le cultive et domine sur les animaux. Et le pouvoir politique tout provisoire, relatif et imparfait⁠[1] qu’il soit, fondé sur la force et même la violence, vient aussi de Dieu et a son rôle à jouer sachant qu’il est limité et voué à préparer les voies du Seigneur.⁠[2]

La puissance de Dieu réside en sa parole créatrice et efficace, une parole qui convainc et entraîne par la bouche des prophètes⁠[3]. Et la parole essentielle de l’Ancien testament est la parole du Sinaï, la Loi, la Torah, les cinq livres du Pentateuque qui fondent le peuple de Dieu. Peuple des « pauvres de Yahweh », peuple de ceux qui écoutent humblement le message et non le peuple d’l’Israël orgueilleux et sourd.⁠[4] Peuple patient qui souffrira la persécution à l’instar de ses prophètes, de Moïse, d’Elie, Zacharie ou encore Jérémie mais toutes ces souffrances seront salvatrices car la puissance de Dieu s’y manifestera⁠[5] dans la mesure où, dans la faiblesse la plus extrême, le serviteur gardera sa confiance en Dieu et s’abandonnera à sa puissance. Telle est la puissance paradoxale de Dieu.⁠[6] Et le peuple médiateur de la paix sera l’humble peuple de Dieu : « il ne fera pas la guerre pour obtenir la paix. Il aura la puissance de Dieu. »[7]


1. A l’image de Nabuchodonosor, le pouvoir politique a tendance à se donner un caractère religieux empiétant sur l’autorité de Dieu. (Cf. Dn 3).
2. Cf. Rm 13, 1-7 : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Fais le bien et tu recevras ses éloges, car elle est au service de Dieu pour t’inciter au bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience. C’est encore la raison pour laquelle vous payez des impôts : ceux qui les perçoivent sont chargés par Dieu de s’appliquer à cet office. Rendez - chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez. » Si le pouvoir politique était intrinsèquement mauvais, le psalmiste ne nous dessinerait pas le portrait du roi idéal (cf. Ps 2 ; 20 ; 21 ; 45 ; 72 ; 101 ; 110 et 144 et notamment Ps 45, 2, 7 ; 72, 3,4,7,16).
3. Cf. Jr 1, 4-10 : « La parole du Seigneur s’adressa à moi : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations. » Je dis : « Ah ! Seigneur Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune. » Le Seigneur me dit : « Ne dis pas : je suis trop jeune. Partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis ; n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer -oracle du Seigneur. » Le Seigneur, avançant la main, toucha ma bouche, et le Seigneur me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter. » » Isaïe dira : « Il a disposé ma bouche comme une épée pointue, dans l’ombre de sa main il m’a dissimulé. Il m’a disposé comme une flèche acérée, dans son carquois il m’a tenu caché. » (Is 49, 2). Et Dieu dit par le prophète : « C’est que, comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat , sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée. » (Is 55, 10-11).
4. Comme l’annonce le Seigneur par la bouche de Sophronie : « En ce jour-là, tu n’auras plus à rougir de toutes tes mauvaises actions, de ta révolte contre moi ; car à ce moment-là, j’aurai enlevé du milieu de toi tes vantards orgueilleux, et tu cesseras de faire l’arrogante sur ma montagne sainte. Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres ; et ils chercheront refuge dans le nom du Seigneur. Le reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité ; ils ne diront plus de mensonges, on ne surprendra plus dans leur bouche de langage trompeur ; mais ils pourront paître et se reposeront sans personne pour les faire trembler. » (So 3, 11-13).
5. Cf. Is 53, 11-12, à propos du serviteur souffrant : « Ayant payé de sa personne, il verra une descendance, il sera comblé de jours ; sitôt connu, juste, il dispensera la justice, lui, mon Serviteur, au profit des foules, et c’est avec des myriades qu’il constituera sa part de butin, puisqu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort et qu’avec les pécheurs, il s’est laissé recenser, puisqu’il a porté, lui, les fautes des foules et que, pour les pécheurs, il vient s’interposer. »
6. Cf. Za 9, 9-10 : « Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne - sur un ânon tout jeune. Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du Fleuve jusqu’aux extrémités du pays. »
7. COMBLIN J., op. cit., p. 176.

⁢viii. Que conclure après ce long périple ?

Ce n’est qu’à partir d’une lecture sélective et littérale que l’on peut tirer de l’Ancien Testament des justifications ou des prétextes à la violence religieuse. De même, seuls un découpage savant et une interprétation simpliste permettent de dessiner le visage d’un Dieu dur et sanguinaire.

Qui scrute l’Écriture dans toute sa variété, conscient qu’il va de genre littéraire en genre littéraire et qu’il ne peut se passer de guides éclairés, philologues, historiens, exégètes, celui-là découvre, au moins, un chemin de sagesse, au mieux une invitation à reconnaître l’amour que Dieu lui porte. Un Dieu qui a pris l’initiative sans attendre notre mérite, un Dieu qui, en retour, demande l’exclusivité de notre dévotion, qui nous propose bénédiction et donc la paix si nous suivons le chemin qu’il nous indique par ses commandements.

Dans cette découverte de l’Ancien Testament, le chrétien, d’emblée, se débarrassera de la présentation dialectique qui traîne encore trop souvent dans les esprits et selon laquelle le Nouveau Testament, lui, offrirait enfin le visage d’un Dieu de bonté et de tendresse après l’effroi provoqué par la révélation d’un Dieu intransigeant et impitoyable.⁠[1]

Le lecteur tiendra compte de la pédagogie divine : « Dieu s’est choisi un peuple et s’est révélé progressivement à lui ; il n’est pas intervenu brutalement dans son histoire, mais il a respecté la lenteur de son évolution ».⁠[2]

Le lecteur se souviendra aussi du contexte historique, qu’« Israël était un petit peuple qui cherchait à subsister entre de grands empires » et que « les bouleversements politiques rendaient la guerre inévitable. Il ne faut donc pas projeter sur l’Ancien Testament les exigences (relativement récentes !) de notre conscience humaine et chrétienne. »[3]

En fait, l’Ancien Testament annonce le Nouveau et le Nouveau n’annule ni ne corrige l’Ancien. Il le complète et l’accomplit. Nous allons le voir.

En attendant, nous avons constaté que l’Ancien Testament met en évidence la cause fondamentale de la violence humaine. Elle naît du désir non maîtrisé, de la convoitise⁠[4]. Cette révélation interpelle singulièrement la culture libérale ou libertaire où nous sommes immergés, culture individualiste où, comme nous l’avons vu, nous avons l’impression que notre dignité n’est pas reçue mais à acquérir par la revendication incessante de droits qui, au-delà du nécessaire, sont autant de manifestations de notre volonté particulière.

Nous entrons, pour reprendre les termes de Maurice Bellet, dans le temps de la « violence pure »« l’ « autre », littéralement, n’existe pas », une violence qui annonce « non la violence en général, mais celle-ci qui, au nom même de la vie, donne la mort ; qui se justifie de l’ordre premier et nécessaire pour jeter l’humain dans l’abominable », la « violence absolue »[5] Sans l’ « antique Parole » des « grandes Instances », l’homme ne tient plus debout que par la consommation et la concurrence, la jouissance et la puissance : « le désir tourné en envie, devient compulsion . La concurrence, dévorant la convivialité, se fait meurtre (…). On passe de la consommation au surencombrement (…). On va de l’exploitation (…) à l’exclusion (…). Finalement, tout se ramène à la compulsion : un appétit, une urgence d’appétit qui ne connaît plus que la hâte de la satisfaction. »⁠[6]

A la rencontre de ce monde-là qui est notre monde, le Christ, Verbe de Dieu, Parole faite chair, crucifié, mort et ressuscité, peut-il nous sauver de la violence ?


1. Adrian Schenker, spécialiste de l’Ancien Testament (né en1939, ce dominicain, professeur émérite d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg, professeur à l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem) en étudiant les rites de sacrifice dans la Bible hébraïque dégage, en conclusion de ses recherches, sept traits caractéristiques :
   1. Le rituel du sacrifice appelé « asham » (Lv 5, 7, 1-7), sacrifice de compensation en contrepartie d’un sacrilège (cf 1 S 5 et 6) comme celui du sacrifice appelé « hattât » (Lv 1, 1-2 ; 4, 1-2 ; 5, 14-15) pour l’expiation du péché, ont été codifiés aux 6e et 5e siècles et peut-être avant.
   2. « L’existence même d’un sacrifice fondé par Dieu pour servir de compensation apaisante exprime et signifie la douceur divine. »
   3. « Le rituel sacrificiel n’est pas violent en lui-même bien qu’il comporte l’immolation d’une victime animale innocente, puisque cette immolation n’est ni gratuite ni cruelle vu qu’elle sert une nécessité vitale et grave dans l’existence des éleveurs de troupeaux. » L’abattage n’est pas ici dicté par la cruauté ou l’avarice (ce qui est condamnable : cf. 2 S 12, 1-4) mais peut être rapporté symboliquement au repas offert en hommage où l’on sert le meilleur produit de son travail (Gn 9, 2-3)
   4. « La colère divine signifie la transcendance divine par rapport au monde profane. C’est le mysterium tremendum [terreur mystérieuse] qui s’exprime dans les métaphores de la colère mortelle de YHWH. » (cf 2 S 6, 6-10 ou encore les passages où « YHWH se donne à voir dans le feu inaccessible à l’homme et dont le contact met sa vie en danger mortel » : Gn 15 , 17 ; Ex 3, 1-6 ; Jg 6, 21 ; 13, 20).
   5. « En revanche, les récits et les rites qui manifestent la douceur divine révèlent une autre dimension du sacré, celle de l’accueil de l’homme dans une transcendance infiniment bienveillante, maternelle et tendre. Paradoxalement l’homme est ici davantage chez lui que dans son propre monde, celui des hommes et de la nature. Car il y est en repos et rassasié d’affection au-delà de ce qui est possible dans la réalité profane. L’homme s’abîme dans la transcendance où il est accueilli avec une attention et une délicatesse infinies. (…) C’est l’expérience d’une paix sans fond, de pure bienveillance et de douceur sans aspérité qui s’ouvre dans la transcendance. Ici prend racine le désir mystique de Dieu (…). Car le sacré est aussi un mystère de douceur au-delà de toute limite, et cette douceur se révèle en particulier dans le pardon dissipant toute peur de la colère divine. » (cf. Ps 130, 7).
   6. « Il semble ainsi que la violence « démoniaque » de YHWH soit en face, dans une relation dialectique, d’une douceur qui est encore plus grande. L’une ne peut être sans l’autre, faute de quoi le sacré serait vidé de sa substance. » (Le mot « démoniaque » renvoie à une conférence prononcée en 1924 par VOLZ Paul, intitulée Das Dämonische in Jahwe (ancien titulaire de la chaire d’histoire de l’Ancien Testament de Tübingen (1871-1941).)
   7. « Ce rapport entre la colère et la douceur de Dieu était exposé dans l’histoire, et reste exposé aujourd’hui, à des interprétations tendancieuses justifiant la violence en matière religieuse. Peut-être peut-on déduire une règle herméneutique des textes bibliques qui montrent le Dieu d’Israël donnant la préférence à la douceur sur la violence. Il faut par conséquent interpréter les textes de la colère ou de la violence de Dieu à la lumière de ceux qui manifestent sa douceur puisque c’est elle la basse continue de toute la partition. »
   (SCHENKER Adrian, La douceur et le sacré, Les sacrifices de la Bible comme expression de la douceur divine, in Religions et violences, Sources et interactions, Editions universitaires, Fribourg Suisse, 2000, pp. 227-228.)
2. BARBIER Maurice, in Francisco de Vitoria, Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre, Droz, 1966, p. LII.
3. Id..
4. « La convoitise (…) dénie à l’autre le statut de sujet et de partenaire. » (WENIN A., La Bible ou la violence surmontée, op. cit., p. 170.
5. BELLET Maurice, op. cit., pp. 31 et 34.
6. Id., pp. 58-59.

⁢ix. Note complémentaire sur l’interdit:

« Institution fort ancienne, qui s’est transmise, avec des modifications, jusque dans l’Église chrétienne. Elle s’inspire d’une idée primitive très générale : ce qui doit servir à l’usage de la
divinité doit être détourné de son usage ordinaire et mis à part (objets consacrés, offrandes votives, etc.). L’interdit est un cas particulier de consécration : ce qui a été voué par interdit, doit être entièrement détruit (ou égorgé s’il s’agit d’êtres vivants, animaux ou créatures humaines), cet anéantissement étant le seul moyen d’éviter que ce qui a été consacré à la divinité puisse servir à qui que ce soit. Ainsi le mot « interdit » est-il devenu synonyme de « destruction totale ».

  1. La forme la plus ancienne et la plus répandue de l’interdit est l’interdit en temps de guerre. En théorie, il doit toujours être exercé de la manière la plus rigoureuse : lorsqu’une ville prise est vouée à l’interdit, tout doit être détruit : hommes, femmes, enfants, bestiaux sont passés au fil de l’épée et les biens de toute nature sont anéantis par le feu (Dt 13:15-18). Le traitement des Amalécites (1S 15) en est un exemple célèbre. Le cas d’Acan (Jos 7), après la prise et la mise à l’interdit de Jérico, éclaire d’un jour particulier l’idée religieuse associée à la coutume de l’interdit : toute chose vouée à l’interdit devient la propriété inviolable de l’Éternel ; si elle peut être mise dans le « trésor de la maison de l’Éternel », on ne la détruit pas (Jos 6:19,24) ; sinon elle devient « tabou » et possède la contagion mortelle de ce qui est sacré. (cf. Lv 27:28) Ainsi, en retenant une partie des objets voués à l’interdit pour se les approprier, Acan provoqua une rupture du peuple avec l’Éternel et toutes les désastreuses conséquences qu’elle comportait (Jos 6:18 7, cf. Dt 7:25). En pratique, on rencontre fréquemment une forme adoucie de l’interdit, mais d’un caractère moins religieux et moins moral. On détruit les êtres humains que l’on craint, mais le bétail et le butin deviennent la propriété des vainqueurs (Dt 2:34 3:6 et suivant, Jos 11:14). La loi permet même parfois que les femmes et les enfants fassent partie du butin et soient épargnés (Dt 20:10 et suivant). Dans certaines circonstances spéciales, les jeunes filles seules ont la vie sauve (Nb 31:17 et suivant, Jg 21,11 et suivant).

  2. Une autre forme de l’interdit s’applique comme punition juridique parmi les membres de la communauté théocratique que forme Israël. Elle apparaît dans la législation la plus ancienne, à l’égard de l’apostolat (Ex 22:20), et le code deutéronomique l’étend à la cité idolâtre (Dt 13:12,18). Ici, l’interdit doit toujours être rigoureusement appliqué. Mais plus tard, la mise à mort se transforme en exclusion (Esd 10:8). Ce sera le point de départ d’une lente évolution, qu’on retrouve ainsi au début de l’ère chrétienne dans les communautés juives, et dans l’Église chrétienne (voir excommunication)

  3. Enfin, l’interdit peut être appliqué à des circonstances privées, par une personne : (Lv 27:28) dans ce passage, l’interdit désigne la consécration particulièrement rare et solennelle, inaliénable, par un Israélite, d’êtres ou d’objets déterminés (personne, animal ou champ du patrimoine) à l’Éternel. Cet acte dépasse la consécration ordinaire, dont il est question dans les passages précédents. Tandis que, pour celle-ci, les objets sont désignés par les termes de « consacrés » (Vers. Syn.), ou « sanctifiés » (Sg.), et peuvent être rachetés, ceux qui sont voués à l’interdit sont « entièrement consacrés » (Vers. Syn.), ou « d’une sainteté éminente » (traduction du Rabbinat français), et ne sont pas susceptibles de rachat (cf. Nb 18:14, Ez 44:29, et l’expression « corban » dans Mc 7:11). La Bbl. Cent., jugeant incroyable que la loi sacerdotale pût reconnaître à un particulier le droit de tuer l’un des siens en le vouant à YHWH, suppose que cet article « est un rappel, sans application pratique, d’un antique usage tombé en désuétude », à moins qu’il ne s’agisse, malgré les apparences, d’une sentence de tribunal comme Ex 22,20.

  4. L’interdit était pratiqué, en dehors d’Israël, sous sa forme la plus rigoureuse, par divers peuples, les Moabites, peut-être aussi les Ammonites. On retrouve des pratiques semblables chez beaucoup de peuples non civilisés modernes. Lorsque des tribus ennemies considèrent chacune leurs dieux respectifs comme alimentés, entretenus, soutenus par les sacrifices de leurs fidèles, l’extermination des vaincus devient œuvre aussi religieuse que patriotique, en ce qu’elle contribue à anémier leur dieu en lui supprimant non seulement des soldats, mais aussi des adorateurs. Quant à son application par les Hébreux, dans la conquête de Josué, il est vraisemblable qu’elle n’a pas été aussi brutale que ne la décrivent les textes plus tardifs et pénétrés de l’esprit de généralisation de l’époque exilique. Certes les Hébreux de la conquête étaient bien de leur époque ; mais des massacres aussi effroyables que ceux qui sont décrits dans des passages comme Jos 11:11-14 sont probablement exagérés sous l’influence des prescriptions plus tardives du Dt. ; nous ne pouvons déterminer dans quelle mesure le paganisme cananéen, dont l’action pernicieuse s’est exercée pendant plusieurs siècles sur la religion israélite, a pu influencer la rédaction de ces prescriptions deutéronomistes et des passages de Josué relatifs à l’interdit, mais cette influence semble réelle.

  5. Quoi qu’il en soit, on peut distinguer quelques-uns des éléments déterminants, à caractère nettement moral et religieux, qui ont été à l’origine de cette pratique ; ainsi dans Nb21:2 et suivant, elle se présente comme un acte de reconnaissance envers l’Éternel, en conformité avec un vœu précédemment fait : car il y a une solidarité réelle entre un dieu et son clan, et, même en Israël, les guerres des Hébreux sont les « guerres de l’Éternel » (voir Guerre). Il faut aussi voir à l’origine de l’interdit un moyen de protéger la communauté contre une menace sérieuse pour sa vie religieuse ; c’est ce que met en lumière le passage Dt 20:13-16, qui n’autorise des adoucissements à l’interdit du temps de guerre que lorsque les ennemis vaincus habitent loin du territoire palestinien, mais maintient toute sa rigueur à l’égard des peuples au milieu desquels vivait Israël, « afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les pratiques abominables qu’ils font en l’honneur de leurs dieux, et que vous ne péchiez pas contre l’Éternel votre Dieu » (Dt 20:18). Ainsi, dans la forme la plus rigoureuse de l’interdit, on trouve un élément religieux, et même moral, puisqu’il oblige au renoncement complet à tout bénéfice ou profit matériel quelconque dans la victoire, et accentue la gratitude du vainqueur pour le Dieu qui lui a permis cette victoire. Mais les atténuations apportées à l’interdit lui ont enlevé cet élément moral, en ne lui laissant que sa signification religieuse. « L’interdit est donc une manifestation du zèle religieux à une époque où le sens moral était moins développé que le sens religieux. » (A.R.S. Kennedy.) R. de R. (sur http://456-bible.123-bible.com)