Le Buddha dénonce les sacrifices d’animaux qui ont été instaurés par le brahmanisme[1]. d’une part, les animaux « sont au fond des êtres humains qui souffrent d’un mauvais karma »[2]. d’autre part, les animaux ont quelque chose de sacré car ils servent souvent d’émissaires aux dieux ou aux bodhisattvas. Tuer les animaux est une impureté qui entraîne un mauvais karma en vertu de la parenté universelle. La chasse, la pêche et même l’agriculture qui exploite le travail animal et détruit des formes de vie animale sont perçues de manière négative mais on trouve, ici et là, des compromis ou des rituels d’apaisement, face à certaines situations économiques et sociales. On trouve également des « rites de délivrance » d’animaux pour hâter leur chemin vers l’Eveil.[3] Dans le même ordre d’esprit, le végétarisme a subi des fluctuations suivant les circonstances. De l’abstinence radicale de viande et de poisson à l’abandon du végétarisme en passant par l’interdiction de certaines viandes
Il existe aussi une violence moins apparente mais discriminatoire vis-à-vis des femmes. En théorie, femmes et hommes sont égaux mais on constate que les nonnes (bikhunis) ont un statut subalterne, soumises aux moines et à une règle plus stricte. Par ailleurs, la hiérarchie sociale se retrouve à l’intérieur du monastère où les filles de familles aisées ont une existence plus confortable que les filles de petite naissance. Certes ce sexisme dépasse le cadre du bouddhisme et lui est antérieur mais le bouddhisme a considéré la femme comme un danger pour les moines et l’a considérée comme impure ne fût-ce que par son rapport au sang comme dans les cultures prébouddhiques.
On peut ajouter à ce tableau les enfants sont assujettis sexuellement ou socialement comme les chigo dans les monastères japonais[4]. Les enfants sont victimes d’une violence sociale dans la mesure où ils sont retirés de la société et ils ne peuvent guère grandir, vu l’importance l’éducation bouddhique reçue, que dans le cadre du monastère.
En contrepartie, on dira que les femmes, au monastère, évitaient la mendicité, la prostitution ou pouvaient échapper à un mariage pénible, l’entrée au couvent étant la seule manière d’obtenir le divorce. Quant aux enfants, ils obtenaient protection et possibilité de s’élever dans la hiérarchie monastique.
Il faut encore parler de la violence exercée envers soi-même. Si un certain nombre de textes condamnent le suicide causé par le désir de non-existence, par le désespoir, suicide qui crée au même titre que le désir de vivre, un karma négatif, il ne faut toutefois pas oublier que « le bouddhisme n’a pas fait de la vie une valeur suprême, à la différence des traditions occidentales »[5]. Par ailleurs, si le « moi » est inexistant, pourquoi ne pourrait-on se sacrifier ?
Ainsi, d’autres textes, plus nuancés, exceptent de cette règle d’interdiction réservée aux gens ordinaires, certains arhats qui, ayant épuisé leur karma, peuvent ainsi entrer dans le Nirvana et les bodhisattvas qui se sacrifient pour autrui. Ici aussi, comme dans le cas de la violence générale, tout dépend de l’état d’esprit de la personne qui se suicide. Il y a, dans l’histoire du bouddhisme, bien des cas d’immolations par le feu[6] qui se justifient par la compassion, le don de soi, l’altruisme. Ces « auto-immolations »[7] ont un caractère religieux et s’inscrivent dans une longue tradition. Elles sont tantôt dignes d’éloges, tantôt réprouvées mais elles peuvent se réclamer de nombreuses légendes où des boddhisattvas se sacrifient pour sauver des hommes ou des animaux. En témoignent, entre autres, le Sûtra du lotus ou le Traité de la grande vertu de sagesse. On cite aussi l’immolation ou la noyade volontaire de certains croyants impatients d’atteindre le paradis (Terre pure) du buddha Amithâbâ.[8] Une autre forme de « sacrifice de soi » dont on trouve de nombreux témoignages est la momification volontaire : des ascètes s’abstiennent de nourriture jusqu’à l’inanition pour « transmuer leur corps mortel en un « corps de gloire » imputrescible ». [9] Sans aller jusque là, les pratiques ascétiques extrêmes ne sont pas rares malgré le choix du Buddha d’une Voie du Milieu.
Enfin, à côté des textes doctrinaux, il faut aussi tenir compte de l’iconographie, de la mythologie et des pratiques rituelles[10] où se développe une violence symbolique et visuelle. Le bouddhisme tantrique surtout est peuplé de divinités terribles et ambigües car « la distinction entre dieux et démons n’est pas toujours claire – elle ne recouvre en tout cas pas toujours celle du bien et du mal » dans la mesure où, in fine, théologiquement, bien et mal sont identiques[11] ou se transforment l’un en l’autre : « dans la mesure où les dieux ne sont que des « manifestations » des buddhas, la violence des premiers et la compassion des seconds ne sont que les deux faces d’un même pouvoir monastique. »[12]. Ces divinités peuvent être des bodhisattvas qui protègent et guident en usant de violence[13]. Les démons, divinités pré-bouddhiques, par exemple, doivent être convertis ou « délivrés », c’est-à-dire tués. Même converti, un démon garde son apparence terrible pour écarter leurs anciens congénères. N’oublions pas non plus l’assimilation des rivaux et des étrangers, bouddhistes ou non bouddhistes, à des démons, à des icchantika (des êtres dénués de nature de Buddha et donc incapables d’atteindre le salut), à des hinin (« non-humains » dans le bouddhisme japonais). N’oublions pas non plus que le Kâlachakra-tantra cher au Dalaï Lama évoque la confrontation finale entre bouddhistes et hérétiques (les musulmans) qui menacent le Shambhala.