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Chapitre 3 : Une culture de la paix

 Le Seigneur avait donné de la sagesse à Salomon, comme il le lui avait dit :

l’harmonie fut parfaite entre Hiram et Salomon ; tous deux conclurent une alliance ».⁠[1]

Les accords politiques entre les différentes nations d’Europe et, pourquoi pas, des autres continents, voire du monde, ne peuvent, à eux seuls, garantir la paix. Et qu’en est-il de ces nombreux milieux familiaux et « de vie » où la violence est quotidienne, où les rapports de force sont une tradition ou une institution ? qu’en est-il de la culture des cours de récréation et des sorties d’école ? qu’en est-il des media, en particulier de la télévision, où se diffusent par des fictions et, pire encore, par les actualités, toutes les violences du monde ?

On peut espérer, bien sûr, que la culture de la paix l’emporte finalement mais, même dans ce cas, subsistera la question de savoir dans quelle mesure elle peut profondément éteindre dans chacun de nous toute velléité violente. Elle réclame au moins une conversion morale profonde, intellectuelle et volontariste. Il serait utopique, nous semble-t-il, de mettre d’abord notre espoir et notre confiance dans les progrès de la polémologie.⁠[2]

Au plan international, malgré les progrès structurels réalisés, depuis le XXe siècle particulièrement, les organisations internationales comme l’ONU, l’UNESCO se sont attachées, depuis la fin du XXe siècle à promouvoir une « culture de la paix »[3] qui « consiste en des valeurs, des attitudes et des comportements qui reflètent et favorisent la convivialité et le partage sur les principes de liberté, de justice et de démocratie, tous les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité, qui rejettent la violence et inclinent à prévenir les conflits en s’attaquant à leurs causes profondes et à résoudre les problèmes par la voie du dialogue et de la négociation et qui garantissent à tous la pleine jouissance de tous les droits et les moyens de participer pleinement au processus de développement de leur société. »[4]

Pour construire cette culture de la paix, le Manifeste 2000 diffusé par l’Unesco⁠[5] « pour une culture de la paix et de la non-violence » cherche à rendre chaque personne responsable de la paix et demande à chacun de s’engager en ces termes: « Je prends l’engagement dans ma vie quotidienne, ma famille, mon travail, ma communauté, mon pays et ma région, de :

1. Respecter toutes les vies. Respecter la vie et la dignité de chaque être humain sans discrimination ni préjugé.

2. Rejeter la violence. Pratiquer la non-violence active sous toutes ses formes : physique, sexuelle, psychologique, économique et sociale, en particulier envers les plus démunis et les plus vulnérables tels les enfants et les adolescents.

3. Libérer ma générosité. Partager mon temps et mes ressources matérielles en cultivant la générosité, afin de mettre fin à l’exclusion, à l’injustice et à l’oppression politique et économique.

4. Ecouter pour se comprendre. Défendre la liberté d’expression et la diversité culturelle en privilégiant toujours l’écoute et le dialogue sans céder au fanatisme, à la médisance et au rejet d’autrui.

5. Préserver la planète. Promouvoir une consommation responsable et un mode de développement qui tiennent compte de l’importance de toutes les formes de vie et préserver l’équilibre des ressources naturelles de la planète.

6. Réinventer la solidarité. Contribuer au développement de ma communauté, avec la pleine participation des femmes et dans le respect des principes démocratiques, afin de créer, ensemble, de nouvelles formes de solidarité. »

Ce texte qui reprend brièvement l’essentiel des Déclaration et Programme d’action sur une culture de la paix (1999) est intéressant parce qu’il part du principe que la paix se construit sur l’engagement de chaque personne et, à travers elle, dans chaque communauté, si petite soit-elle, où cette personne s’inscrit. Il est intéressant parce qu’il tient compte du fait que la violence est multiforme, physique, certes, mais aussi sexuelle, psychologique, économique, sociale, politique et que la paix pour s’établir et perdurer réclame de tous une attention dynamique au respect de la personne et du droit, à la justice sociale nationale et internationale, à la solidarité, etc..

Ce texte semble donner raison à Kant lorsqu’il écrit qu’« on ne doit pas attendre de la moralité, la bonne constitution politique, mais plutôt inversement d’abord de cette dernière la bonne formation morale d’un peuple ».⁠[6] Le Manifeste interpelle certes chaque personne mais l’initiative vient d’une organisation internationale qui cherche à moraliser la vie individuelle et sociale pour qu’elle substitue la « culture de la paix » à la « culture de la guerre ». En réalité il est vain de se demander si l’action morale doit suivre ou précéder l’action politique. Elles doivent être concomitantes. L’une soutenant l’autre.

Mais ce texte soulève quelques questions importantes.

Que vaut cet engagement ? Les signatures recueillies par la diffusion de ce manifeste étaient destinées à être présentées à l’Assemblée générale des nations Unies en septembre 2000, décrété « année internationale de la culture de la paix », cette année inaugurant une décade (2001-2010) appelée « Décade internationale pour une culture de paix et de non-violence pour les enfants et le monde ». Une signature suffit-elle ? La bonne intention traduite ainsi peut-elle perdurer ? Apparemment oui: qui récuse ou oserait récuser « les principes de liberté, de justice et de démocratie, tous les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité » ?

Mais quel sens donne-t-on à ces mots ? Nous savons que les hommes peuvent s’entretuer au nom de grandes valeurs universelles. De quelle liberté parle-t-on ? De quelle justice ? De quelle démocratie ? Les droits de l’homme sont-ils entendus par tous de la même manière ? La tolérance est-elle tolérance de tout et n’importe quoi ? Et au nom de la solidarité, des groupes humains affrontent d’autres groupes humains…​

On risque, sans précisions, d’en arriver à des contradictions. La notion de vérité étant parfaitement étrangère à ces déclarations, il paraît inévitable qu’en réclamant « la promotion de la compréhension, de la tolérance et de la solidarité entre toutes les civilisations, tous les peuples et toutes les cultures, y compris à l’égard des minorités ethniques, religieuses et linguistiques »[7]on aboutit à des impasses dans la mesure où toutes les cultures, toutes les religions ne conçoivent pas les valeurs citées de la même manière ou alors il leur faut entrer dans un moule sous-entendu où les différences culturelles et religieuses ne seront plus qu’un décorum folklorique et superficiel.

Le Programme d’action prévoit de lutter contre le terrorisme⁠[8] mais chacun sait que nombre de mouvements terroristes luttent au nom de la liberté, de la solidarité contre l’intolérance et la discrimination. Quelle est la vérité de ces valeurs ? Celle de l’ONU, celle des États-Unis, celle d’Al Quaïda ?

L’Unesco compte sur des « foyers d’éducation à la paix » pour diffuser les valeurs et les attitudes nécessaires à la paix. Sont cités « notamment le milieu familial, le milieu de vie, l’école et les médias ». Plus précisément, la résolution 253 stipule que « les parents, les enseignants, les hommes politiques, les journalistes, les organismes et groupes religieux, les intellectuels, les personnes qui exercent une activité scientifique, philosophique, créatrice et artistique, les agents des services de santé ou d’organismes humanitaires, les assistants sociaux, les personnes qui ont des responsabilités à divers niveaux ainsi que les organisations non gouvernementales ont un rôle primordial à jouer pour ce qui est de la promotion d’une culture de la paix. »[9]

Voilà beaucoup de monde, beaucoup de gens différents, beaucoup d’intérêts différents, beaucoup de conceptions différentes du monde, de l’homme et de la paix…​ à rassembler autour de valeurs fondamentales non définies ou mal définies.

Sans nous attarder au fait que le Manifeste oublie les groupes religieux parmi les vecteurs de paix, répondons à l’invitation de la Déclaration et consultons les « organismes et groupes religieux » pour voir quels services ils pourraient rendre à la constitution d’une culture de la paix.


1. 1 R 5, 26.
2. On se souvient des analyses de Gaston Bouthoul et de son credo :  « Si la construction de la paix est le maître problème de notre temps, elle en peut être abordée sérieusement si l’on n’est parvenu à une suffisante connaissance des formes, du rôle et des fonctions de la guerre. (…) Car guerre et paix sont les deux faces du même Janus ;, l’envers et l’endroit de la vie sociale, son oscillation majeure. » Et l’irénologie, « la science de la paix(…) est presque indiscernable de la polémologie tant est grande la proximité de leur action. » (La paix, PUF, 1974, pp. 5-6).
3. En 1992, le secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Gali, dans son Agenda pour la paix, parle de diplomatie préventive et, le 13 septembre 1999, lors de sa 53e session, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte une Déclaration et un Programme d’action pour une culture de la paix (A/RES/53/243).
4. Unesco, A/RES/52/13, le 15 janvier 1998, § 2.
5. Disponible sur www.unesco.org
6. Projet de paix perpétuelle, op. cit., p. 45.
7. A/RES/53/243, article 3, m.
8. Programme A/RES/53/243., n° 13.
9. Déclaration A/RES/53/243, article 8.

⁢i. Les religions, entre guerre et paix ?

Plusieurs estimeront qu’il n’est guère sérieux voire guère prudent de solliciter les groupes religieux pour la construction de la paix. L’idée règne, en effet, que les religions sont plutôt des facteurs de guerre que de paix. Et même que guerre et religion sont liées consubstantiellement.

Sans remonter de nouveau aux divinités guerrières des sociétés primitives et des vieilles civilisations ou aux auteurs déjà évoqués dans le premier chapitre, souvenons-nous de l’opinion défendue naguère par deux esprits apparemment aussi contrastés que Joseph de Maistre⁠[1] ou encore P.-J. Proudhon ⁠[2].


1. 1753-1821. Homme politique, écrivain et philosophe contre-révolutionnaire. Sur Maistre et la guerre, lire MADOUAS Y., Joseph de Maistre et la guerre, in Revue de métaphysique et de morale, n° 1 , 1972, pp. 21-55).
2. Pierre-Joseph Proudhon, 1809-1865.

⁢a. J. de Maistre

J. de Maistre, dans les Considérations sur la France[1], brosse un « épouvantable tableau », celui de « cette longue suite de massacres qui souille toutes les pages de l’histoire » mais admet qu’« il n’y a qu’un moyen de comprimer le fléau de la guerre, c’est de comprimer les désordres qui amènent cette terrible purification ». La guerre est purificatrice. En effet, « il y a lieu de douter (…) que cette destruction violente soit en général un aussi grand mal qu’on le croit : du moins, c’est un de ces maux qui entrent dans un ordre de choses où tout est violent et contre nature, et qui produisent des compensations. d’abord lorsque l’âme humaine a perdu son ressort par la mollesse, l’incrédulité et les vices gangréneux qui suivent l’excès de civilisation, elle ne peut être retrempée que dans le sang ». J. de Maistre introduit ici une comparaison : « On peut observer que le jardinier habile dirige moins la taille à la végétation absolue, qu’à la fructification de l’arbre : ce sont des fruits, et non du bois et des feuilles, qu’il demande à la plante. Or les véritables fruits de la nature humaine, les arts, les sciences, les grandes entreprises, les hautes conceptions, les vertus mâles, tiennent surtout à l’état de guerre. (…) En un mot on dirait que le sang est l’engrais de cette plante qu’on appelle génie. » Les désordres appellent une taille, une correction bénéfique : « C’est le courroux des cieux qui fait armer les rois ». Certes, des innocents périront mais il existe un « dogme universel, et aussi ancien que le monde », le dogme « de la réversibilité des douleurs de l’innocence au profit des coupables ». Un dogme que « le christianisme est venu consacrer ». Un dogme « qui est infiniment naturel à l’homme, quoiqu’il paraisse difficile d’y arriver par le raisonnement ». Même si nous ne comprenons pas tout, « gardons-nous de perdre courage : il n’y a point de châtiment qui ne purifie ; il n’y a point de désordre que l’Amour Eternel ne tourne contre le principe du mal. Il est doux, au milieu du renversement général de pressentir les plans de la Divinité. »

Quelques années plus tard, Joseph de Maistre revient, dans les célèbres Soirées de Saint-Pétersbourg[2], sur « la folie de la guerre ». Folie incompréhensible puisqu’« il y a dans l’homme, malgré son immense dégradation, un élément d’amour qui le porte vers ses semblables : la compassion lui est aussi naturelle que la respiration ». Dès lors, « par quelle magie inconcevable est-il toujours prêt, au premier coup de tambour, à se dépouiller de ce caractère sacré pour s’en aller sans résistance, souvent même avec une certaine allégresse, qui a aussi son caractère particulier, mettre en pièces, sur le champ de bataille, son frère qui ne l’a jamais offensé, et qui s’avance de son côté pour lui faire subir le même sort, s’il le peut ? » Pourquoi la gloire s’attache-t-elle au soldat qui tue d’autres soldats, « dhonnêtes gens » et la honte poursuit-elle le bourreau qui exécute des coupables ? « Pourquoi ce qu’il y a de plus honorable dans le monde, au jugement de tout le genre humain sans exception, est le droit de verser innocemment le sang innocent ? » Pourquoi les nations, surtout en Europe, dans cette « raisonnable Europe », ne conviennent-elles pas « d’une société générale pour terminer les querelles », d’une « société des nations » ?

Voici la réponse. Le métier de la guerre tend à perfectionner celui qui l’exerce et « rien ne s’accorde dans ce monde comme l’esprit religieux et l’esprit militaire. (…) Jamais le christianisme, si vous y regardez de près, ne vous paraîtra plus sublime, plus digne de Dieu, et plus fait pour l’homme qu’à la guerre ». Il explique : « Les fonctions du soldat sont terribles ; mais il faut qu’elles tiennent à une grande loi du monde spirituel, et l’on ne doit pas s’étonner que toutes les nations de l’univers se soient accordées à voir dans ce fléau quelque chose encore de plus particulièrement divin que dans les autres ; croyez que ce n’est pas sans une grande et profonde raison que le titre Dieu des Armées brille à toutes les pages de l’Écriture sainte. Coupables mortels, et malheureux, parce que nous sommes coupables ! C’est nous qui rendons nécessaires tous les maux physiques, mais surtout la guerre ; les hommes s’en prennent ordinairement aux souverains, et rien n’est plus naturel » mais, comme l’écrivait le poète Jean-Baptiste Rousseau : « C’est le courroux des rois qui fait armer la terre, C’est le courroux du Ciel qui fait armer les rois ». Revoilà donc l’idée déjà présentée précédemment que J. de Maistre va maintenant approfondir.

Tout l’univers est soumis à la loi de la violence et la guerre n’est qu’ « un chapitre » de cette loi générale : « la guerre est donc divine en elle-même, puisque c’est une loi du monde. » C’est ce caractère divin de la guerre qui saisit l’homme, malgré lui, « tout à coup d’une fureur divine » alors que « rien n’est plus contraire à sa nature ; et rien ne lui répugne moins ». J. de Maistre se laisse alors aller à développer, avec lyrisme, plusieurs points de vue : « la guerre est divine par ses conséquences (…). La guerre est divine dans la gloire mystérieuse qui l’environne (…). La guerre est divine dans la protection accordée aux grands capitaines (…). La guerre est divine par la manière dont elle se déclare (…). La guerre est divine dans ses résultats (…). La guerre est divine par l’indéfinissable force qui en détermine le succès (…) ». Et il conclut : « Si vous jetez d’ailleurs un coup d’œil plus général sur le rôle que joue à la guerre la puissance morale, vous conviendrez que nulle part la main divine ne se fait sentir plus vivement à l’homme : on dirait que c’est un département, passez-moi le terme, dont la Providence s’est réservée la direction, et dans lequel elle ne laisse agir l’homme que d’une manière à peu près mécanique, puisque les succès y dépendent presque entièrement de ce qui dépend le moins de lui, jamais il n’est averti plus souvent et plus vivement qu’à la guerre de sa propre nullité et de l’inévitable puissance qui règle tout. (…)

Toujours il faut demander à Dieu des succès, et toujours il faut l’en remercier ; or, comme rien dans ce monde ne dépend plus immédiatement de Dieu que la guerre ; qu’il a restreint sur cet article le pouvoir naturel de l’homme, et qu’il aime à s’appeler le Dieu de la guerre, il y a toutes sortes de raisons pour nous de redoubler nos vœux lorsque nous sommes frappés de ce fléau terrible ; et c’est encore avec grande raison que les nations chrétiennes sont convenues tacitement, lorsque leurs armes ont été heureuses, d’exprimer leur reconnaissance envers le Dieu des armées par un Te Deum ; car je ne crois pas que, pour le remercier des victoires qu’on ne tient que de lui, il soit possible d’employer une plus belle prière (…). » »

La guerre est donc divine et cette opinion est confortée par une lecture partielle de l’Ancien Testament⁠[3], la tragédie grecque⁠[4] et même le Coran⁠[5].


1. 1796, chapitre III. Texte disponible sur http://abu.cnam.fr
2. Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, 1821, 7ème entretien. Texte disponible sur http://abu.cnam.fr
3. Il renvoie à Is 26, 21 : «  car voici le Seigneur qui sort de sa demeure pour demander le compte de leurs crimes aux habitants de la terre. Et la terre laissera paraître le sang, elle cessera de dissimuler les victimes ». Et à Gn 4, 11 : le Seigneur dit à Caïn : « Tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de ton frère. »
4. Particulièrement EURIPIDE, Oreste, V, 1677-1680, lorsqu’Apollon déclare : « qu’il ne faut point s’en prendre à Hélène de la guerre de Troie, qui a coûté si cher aux Grecs ; que la beauté de cette femme ne fut que le moyen dont les dieux se servirent pour allumer la guerre entre deux peuples, et faire couler le sang qui devait purifier la terre, souillée par le débordement de tous les crimes ». Et de Maistre fait remarquer qu’il faudrait traduire mot à mot : « pour pomper les souillures ».  
5. De Maistre, sans référence au texte original, cite cette parole de Mahomet reprise par un auteur anglais : « Si Dieu n’élevait pas nation contre nation, la terre serait entièrement corrompue. »

⁢b. Proudhon

Aussi curieux que cela puisse paraître, certains éléments de la pensée de l’écrivain traditionnaliste, vont se retrouver, explicitement d’ailleurs, sous la plume de P.-J Proudhon qui, politiquement et philosophiquement se situe pourtant aux antipodes de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Celui-ci a présenté la guerre, divine, comme une fatalité terrible mais fructueuse. Proudhon va la décrire comme une fatalité divine et bestiale mais transformable comme nous le verrons dans un autre chapitre.

En attendant, attardons-nous, à travers son ouvrage La guerre et la paix[1], une œuvre déconcertante et par endroits confuse, à cette affirmation que la guerre est un fait divin. Pour une raison que Proudhon explique ainsi : « J’appelle divin tout ce qui dans la nature procède immédiatement de la puissance créatrice, de l’homme dans la spontanéité de l’esprit ou de la conscience. J’appelle divin (…) tout ce qui, se produisant en dehors de la série, ou servant de terme initial à la série, n’admet de la part du philosophe ni question, ni doute. »[2] Ce qui n’est pas d’emblée très clair⁠[3].

En tout cas, « La guerre enveloppe, domine, régit, par la religion, l’universalité des rapports sociaux. Tout, dans l’histoire de l’humanité, la suppose. Rien ne s’explique sans elle ; rien n’existe qu’avec elle ; qui sait la guerre sait le tout du genre humain. »[4]

Dès lors n’est-il pas plus simple de voir dans le mot « guerre » ce que Proudhon appellera plus loin l’« antagonisme » ou « la « dialectique » ? « L’antagonisme, que nous acceptons comme loi de l’humanité et de la nature, ne consiste pas essentiellement pour l’homme en un pugilat, en une lutte corps à corps. »[5] Ainsi,  « la paix n’est pas la fin de l’antagonisme, ce qui voudrait dire, en effet, la fin du monde »[6]

On peut dès lors mieux comprendre cette affirmation : « Pour moi il est manifeste que la guerre tient par des racines profondes, à peine encore entrevues, au sentiment religieux, juridique, esthétique et moral des peuples. On pourrait même dire qu’elle a sa formule abstraite dans la dialectique. La guerre, c’est notre histoire, notre vie, notre âme tout entière ; c’est la législation, la politique, l’État, la patrie, la hiérarchie sociale, le droit des gens, la poésie, la théologie ; encore une fois, c’est tout. »[7]

Cela étant dit, il faut faire attention aux caractères attribués par Proudhon à la guerre : « la guerre, précise-t-il, la vraie guerre, par sa nature, par son idée, par ses motifs, par son but avoué, par la tendance éminemment juridique de ses formes, non seulement n’est pas plus injuste d’un côté que de l’autre, elle est, des deux parts et nécessairement, juste, vertueuse, morale, saine, ce qui fait d’elle un phénomène d’ordre divin, je dirai même miraculeux et l’élève à la hauteur d’une religion. »[8] La guerre est révélation de justice, révélation d’idéal mais, d’abord, révélation religieuse : « C’est à (la guerre) que la théologie doit ses mythes les plus brillants, ses dogmes les plus profonds. Aussi peut-on poser en aphorisme : Peuple guerrier, peuple religieux et théologique ».⁠[9]

A cet endroit, Proudhon convoque les divinités guerrières qui ne manquent pas, comme nous l’’avons vu, dans les différentes traditions et n’hésite pas à y associer le Dieu des chrétiens : « qu’est-ce que le Christ ? Le vainqueur des démons, le fondateur de la monarchie élue, qui voient apporter, non la paix, mais le glaive »[10]. Il n’empêche que Proudhon se rend bien compte qu’il est difficile, in fine, de faire de la religion chrétienne, en soi, une religion guerrière, aussi abandonne-t-il rapidement l’Évangile qui semble contredire sa thèse pour exalter, selon lui, ces enfants du christianisme que sont, par exemple, la chevalerie et Charlemagne. Bref, « Otez l’idée de guerre, conclut-il, la théologie devient impossible ; les dieux n’ont pas de sens ; bien plus, ils n’ont rien à faire. La terre, sans la guerre, n’aurait aucune notion du ciel ». Et « si la guerre a servi primitivement de moule à la théologie, ce n’est pas par l’effet d’une superstition féroce, mais bien parce que la guerre a été conçue de tout temps comme la loi de l’univers  (…). La guerre est la condition de toute créature (…) » La guerre « est le fond de la religion ».⁠[11]

Et, pour nous convaincre, Proudhon appelle à la rescousse Hegel⁠[12], Ancillon⁠[13], Portalis⁠[14] et Joseph de Maistre et n’hésite pas à dire, dans un curieux raccourci, que tous ces auteurs « disent à l’unisson » que la guerre « est mauvaise de sa nature ; mais elle est providentiellement, ou pour mieux dire, prophylactiquement nécessaire à l’humanité, qu’elle préserve de la corruption, comme la discipline préserve du relâchement religieux, comme la férule guérit l’élève de ses mauvais penchants. »[15]

C’est pourquoi il reprochera à Hobbes qui avait reconnu le caractère immanent à l’humanité de la guerre de penser que l’État n’est institué que pour l’empêcher.⁠[16]

C’est pourquoi il accusera les pacifistes de présenter le visage de la guerre dégradée

« On nous parle d’abolir la guerre, comme s’il s’agissait des octrois et des douanes. Et l’on ne voit pas que si l’on fait abstraction de la guerre et des idées qui s’y associent, il ne reste rien, absolument rien, du passé de l’humanité et pas un atome pour la construction de son avenir. Oh ! je puis le dire à ces pacificateurs ineptes (…)  ; la guerre abolie, comment concevez-vous la société ? Quelles idées, quelles croyances lui donnez-vous ? Quelle littérature, quelle poésie, quel art ? Que faites-vous de l’homme, être intelligent, religieux, justicier, libre, personnel, et, par toutes ces raisons, guerrier ? Que faites-vous de la nation, force de collectivité indépendante, expansive, autonome ? Que devient, dans sa sieste éternelle, le genre humain ? »[17] Il croit « non point à une abolition, mais à une transformation de la guerre »[18]. Il dira même : « j’ôterai à la guerre son caractère divin »[19]. Nous verrons plus loin comment il pense y parvenir.

En attendant, il s’en prend aussi aux « juristes » : Grotius, Vattel, Wolf, Pufendorf et surtout Kant « C’est en vain que l’immortel auteur de la Critique de la raison pure Kant, a essayé d’appliquer au problème qui nous occupe ses puissantes catégories. Fourvoyé dès le premier pas par la négation du droit de la force, il n’a pu que se traîner à la suite de Wolf, et il a fini, chose pitoyable, par s’embourber dans l’utopie (..). Kant soutient donc qu’il ne doit y avoir aucune guerre… De Grotius, Wolf et Pufendorf, nous voici tombés dans la soutane de l’abbé de Saint-Pierre. »[20] « Kant, l’incomparable métaphysicien, qui sut démêler les lois de l’esprit (…) ne connaît rien à la phénoménologie de la guerre. »⁠[21]

Que leur reproche–t-il exactement ? De ne pas avoir reconnu qu’« il existe un droit de la guerre » que « la guerre est un jugement » et que « ce jugement est rendu en vertu de la force »[22]. Ce « droit de la force, tant honni, est non seulement le premier en date, le premier reconnu, mais la souche et le fondement de toute espèce de droits. Les autres droits ne sont, à vrai dire, que les ramifications ou transformations de celui-là. En sorte que, bien loin que la force répugne par elle-même à la justice, il serait plus exact de dire que la justice n’est elle-même que la dignité de la force. » ⁠[23] Quand les juristes et les philosophes du droit parlent de droit de la guerre ou des lois de la guerre, ils parlent en fait du respect de l’humanité dans la guerre et non du droit de la force mais ils refusent le caractère justicier de la guerre.

Le droit de la force est le fondement de tous les autres droits non seulement parce qu’il permet qu’on les respecte mais il est leur souche. Il ne doit donc pas les violer.

C’est le droit de la force qui fonde le droit de la guerre : « Le droit de la guerre dérive immédiatement du droit de la force. Il a pour objet de réglementer le combat et d’en déterminer les effets, lorsque la force étant niée, ou son droit méconnu, il devient nécessaire pour vider le différend de procéder au conflit »[24]. « Le droit de la force est de sa nature, comme tous les autres droits, pacifique. Il n’implique pas nécessairement la guerre ; il ne la cherche pas. Loin de là, il proteste contre cette extrémité à laquelle les plus vaillants eux-mêmes redoutent toujours d’en venir »[25] .

Ainsi, conclut Philonenko, « si le droit de la force était toujours respecté, il n’y aurait point de guerre » mais « si l’on ne respecte pas le droit du plus fort, c’est qu’on ignore qui est le plus fort » Et l’on ignore qui est le plus fort parce qu’on vit « dans le silence des dieux ».⁠[26] Pour Proudhon « la guerre ne finira, la justice et la liberté ne s’établiront parmi les hommes, que par la reconnaissance et la délimitation du droit de la force. »[27]

Pour Maistre, la guerre, pourrait-on dire est divine dans le sens où elle est une loi du monde, une fatalité terrible⁠[28] mais fructueuse moralement⁠[29], voulue par Dieu. Pour Proudhon, elle est une fatalité bestiale certes mais divine parce qu’elle est régénératrice et liée à ce droit de la force inhérent à la condition humaine. Toutefois, cette fatalité est transformable. Nous y reviendrons.

Ces deux auteurs ont une vision relativement romanesque de la guerre, de la guerre telle qu’elle était jadis, de la guerre « en dentelles »…

Maistre vante les vertus et même la piété des grands capitaines animés des « sentiments les plus exaltés et les plus généreux » et se laisse aller à une description très lyrique de la « guerre européenne », marquée par le christianisme.⁠[30]

Proudhon, de son côté, vante « la guerre dans les formes » c’est-à-dire « celle où les puissances belligérantes sont censées remplir l’une envers l’autre les conditions qui assurent la loyauté du combat, l’efficacité de la victoire, par conséquent la légitimité et l’irrévocabilité de l’incorporation. »[31] Mais la guerre se pervertit quand on y emploie la ruse, des artifices, l’espionnage et surtout depuis l’invention de l’artillerie⁠[32].

qu’auraient-ils dit, nos deux auteurs devant nos guerres modernes, guerres totales, guerres d’extermination, guerres civiles, terrorisme aveugle ?


1. In Œuvres complètes, Librairie internationale, 1867-1870, vol XIII et XIV, republiées partiellement chez Marcel Rivière en 1923. Cf. PHILONENKO A., op. cit., pp. 115-184.
2. La guerre et la paix, op. cit., p. 29. Cf. également JOURDAIN Edouard, Proudhon, Dieu et la guerre, L’Harmattan 2006.
3. A propos de Dieu, Proudhon écrit notamment : « L’humanité dans son ensemble est la réalité poursuivie par le génie social sous le nom mystique de Dieu. Ce phénomène de la raison collective, espèce de mirage dans lequel l’humanité, se contemplant elle-même, se prend pour un être extérieur et transcendant qui la regarde et préside à ses destinées, cette illusion de la conscience, disons-nous, a été analysée et expliquée ; et c’est désormais reculer dans la science que de reproduire l’hypothèse théologique. Il faut s’attacher uniquement à la société, à l’homme. Dieu en religion, l’État en politique, la Propriété en économie, telle est la triple forme sous laquelle l’humanité, devenue étrangère à elle-même, n’a cessé de se déchirer de ses propres mains, et qu’elle doit aujourd’hui rejeter. » (Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846) Marcel Rivière, 1923, I, pp. 388-389)
   « Dieu, d’après la conception théologique, n’est pas seulement l’arbitre de l’univers, le roi infaillible et irresponsable des créatures, le type intelligible de l’homme ; il est l’être éternel, immuable, présent partout, infiniment sage, infiniment libre. Or, je dis que ces attributs de Dieu contiennent plus qu’un idéal, plus qu’une élévation, à telle puissance qu’on voudra, des attributs correspondants de l’humanité ; je dis qu’ils en sont la contradiction. Dieu est contradictoire à l’homme. » (Système des contradictions…, p. 389) Ailleurs, il dira : pour l’homme, « Dieu c’est le mal ». (Jésus et les origines du christianisme, 1896, in Ecrits sur la religion, Marcel Rivière, 1959, pp. 527)
   Proudhon est-il athée ? Cet homme qui se réfère volontiers à l’Évangile se présente comme antithéiste : « J’ai été amené, avoue-t-il, tour à tour à nier Dieu et à protester contre l’accusation d’athéisme. (…) J’ai appelé cette manière de résoudre le théologique, antithéisme, pour exprimer tout à la fois, d’un côté, l’opposition entre le Dieu (fixe) de la conception métaphysique, et le Dieu (progressif) de l’observation historique ; de l’autre, la perfectibilité indéfinie de l’humanité, perfectibilité en vertu de laquelle l’homme se sanctifie de plus en plus et s’éclaire, mais sans pouvoir arriver jamais ni à la sainteté absolue, ni à la science parfaite.
   En deux mots, je repousse le Dieu absolu des prêtres et la déité toujours incomplète de l’homme, bien que je reconnaisse la réalité de celle-ci : je n’adore rien, pas même ce que je crois. Voilà mon antithéisme. » (Correspondance, Ecrits sur la religion, pp. 216-217) 
   (Ces textes sont extraits d’une anthologie : Les causes de l’oppression, Textes de P.-J. Proudhon choisis par Jacques Muglioni, in Les Classiques des sciences sociales, sur http://www.uqac.quebec.ca)
   Pour aller plus loin, on peut lire LUBAC H. de, Proudhon et le christianisme, Seuil, 1945 ou VOYENNE Bernard, Proudhon et Dieu, Le combat d’un anarchiste, Cerf-Histoire, 2004. H. de Lubac rappelle notamment que « Proudhon a toujours protesté, « et le plus sérieusement du monde », contre le qualificatif d’athée. « Je pense à Dieu depuis que j’existe », déclare-t-il fièrement, « et je ne reconnais à personne plus qu’à moi le droit d’en parler. »(…)
   Bref, pas plus que pour un vulgaire « anarchiste », il ne voulait qu’on le prît pour un « athée » vulgaire. Lui-même, au reste, prononçait ce verdict : « L’athéisme se croit intelligent et fort : il est bête et poltron ».(…)
   Cependant, c’est aux déistes, qu’il réserve ses sarcasmes les plus mordants. Le vieux fond catholique de la race conspire ici avec l’audace de la pensée pour lui dicter ses jugements sur la pâle religion de l’Etre suprême. (…)
   Quoiqu’il affecte de dire de lui-même qu’il n’est point mystique, il ne veut pas davantage qu’on le dise positiviste, et il trouverait même ce mot « on ne peut plus sot en philosophie », s’il n’avait « autant de respect pour son auteur » [Comte]. (op. cit., pp ; 283-285)
   On a souvent noté que, dans ses dernières années, Proudhon s’était beaucoup rapproché des positions « conservatrices ». La chose est vraie pour la politique générale. Elle l’est surtout pour la politique religieuse. On le voit vers 1860, à l’étonnement de beaucoup de ses amis, prendre violemment parti contre l’unité italienne et s’opposer à Mazzini pour soutenir la papauté. (…)
   Quant à lui, il veut être « catholique par position » et il ne craindra pas de passer même pour « clérical ». considérant « avant tout les choses de fait », il voit que « la religion tient encore une grande place dans l’âme des peuples », que toute mesure persécutrice aurait pour effet certain « d’aviver la ; passion religieuse et de rendre le pouvoir civil odieux », et qu’au surplus, lorsque le culte établi vient à faillir, tant qu’une transformation ne s’est pas opérée dans les consciences, « il se forme aussitôt des superstitions et des sectes mystiques de toute sorte » qui sont un fléau pour la société. La religion traditionnelle, notamment en France, « c’est encore, pour l’immense majorité des mortels, le fondement de la morale, la forteresse des consciences ». Aussi l’homme d’État devra-t-il se garder de l’ébranler.
   Rien en tout cela, on le voit, qu’un sain réalisme, accentué par l’expérience, ne suffise à expliquer. La religion proprement dite n’y est pour rien. (…) Proudhon n’a pas attendu d’avoir vieilli pour célébrer la sagesse incluse dans la tradition, ni pour déplorer les ravages d’une « libre pensée », qu’il ne voulait pas laisser confondre avec se foi dans la Justice. Cette libre-pensée a « tout disséqué, tout détruit , disait-il déjà dans les Confessions ; elle a mis partout le « chaos » ; elle a mêlé le juste et l’injuste, et la liberté qu’elle prône, « n’ayant ni lest ni boussole, est celle de tous les crimes ». (…) (Id., pp. 306-307).
   Mieux qu’Auguste Comte, quoique d’une tout autre façon, il témoigne que l’homme ne peut donner à la métaphysique ni à la théologie un congé définitif ». (Id., p. 309).
   Quant à B. Voyenne, tout en soulignant l’immanentisme agnostique de Proudhon, séduit par l’idée d’une humanité divinisée par son progrès ou d’une humanité qui se réalise sans idole et sans métaphysique, montre que Proudhon reconnaît « le mystère de l’existence et l’inquiétude métaphysique du sens, mais (qu’) une honnêteté intellectuelle [refus du fidéisme, des positions traditionalistes de Maistre ou Bonald, des propositions de Lamennais ou de Lacordaire dont il se méfie] et un anticléricalisme nourri de l’expérience sociale et politique de son siècle le retiennent de passer de l’admiration pour Jésus et la morale égalitaire et communautaire des Évangiles à la Révélation transcendante. Cette distance l’écarte autant de la bienfaisance bourgeoise avec sa charité humiliante et hypocrite que de la démocratie chrétienne naissante (…), dont il craint le manque de radicalité philosophique et politique. » (Cf. présentation de Nicolas Plagne sur www.parutions.com).
4. La guerre et la paix, op. cit., p. 37. La notion de « religion », comme celle de Dieu, doit aussi être bien entendue. « J’appelle Religion, explique Proudhon, l’expression instinctive, symbolique et sommaire par laquelle une société naissante manifeste son opinion sur l’ordre universel. En d’autres termes, la Religion est l’ensemble des rapports que l’homme, au berceau de la civilisation, imagine exister entre lui, l’Univers et Dieu, l’Ordonnateur suprême. » (De la création de l’ordre dans l’humanité ou Principes d’organisation politique (1843), Marcel Rivière, 1923, p. 37).
   « Partout où apparaît la religion, ce n’est point comme principe organisateur, mais comme moyen de maîtriser les volontés. Indifférente à la forme de gouvernement, c’est-à-dire à l’ordre politique, la religion consacre ce que le législateur lui demande de consacrer ; maudit ce qu’il lui prescrit de maudire : la raison d’État fait sa loi, la religion sanctionne cette loi, imprime le respect et la terreur, commande l’obéissance. » (Id., p. 52)
5. La guerre et la paix, op. cit., p. 483.
6. Id., p. 487. Guerre et paix sont liées, elles sont toutes deux un fait divin : « La guerre et la paix, que le vulgaire se figure comme deux états de choses qui s’excluent, sont les conditions alternatives de la vie des peuples. Elles s’appellent l’une l’autre, se définissent réciproquement, se complètent et se soutiennent comme les termes inverses et inséparables d’une antinomie. (…) Nous voyons, dans l’histoire, la guerre renaître sans cesse de l’idée même qui avait amené la paix ». (Id., pp. 63-64)
   « Ainsi, la guerre et la paix, corrélatives l’une à l’autre, affirmant également leur réalité et leur nécessité, sont deux fonctions maîtresses du genre humain. Elles s’alternent dans l’histoire, comme dans la vie de l’individu, la veille et le sommeil ; comme dans le travailleur, la dépense des forces et leur renouvellement ; comme dans l’économie politique, la production et la consommation. La paix est donc encore la guerre, et la guerre la paix ; il est puéril de s’imaginer qu’elles s’excluent ». (Id., p. 68)
7. Id., p. 71.
8. La guerre et la paix, op. cit., p. 30.
9. Id., p. 33.
10. Id., p. 34.
11. Id., pp. 34-35.
12. Plus loin, il reprochera néanmoins à Hegel de ne pas s’inquiéter de savoir si le principe de la guerre est moral ou immoral (Id., p. 106).
13. Jean-Pierre Frédéric Ancillon (1766-1837) fils de David Ancillon (1617-1692), théologien protestant. Il fut pasteur, écrivain, professeur à l’Académie militaire de Berlin  et ministre des Affaires étrangères prussien. Auteur notamment de Tableau des révolutions du système politique de l’Europe depuis la fin du quinzième siècle, 1806.
14. Jean-Etienne-Marie Portalis (1746-1807), homme d’État, jurisconsulte et philosophe du droit, il est un des artisans du Code civil français. Ministre des cultes sous Napoléon. Auteur notamment de  De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, 1820
15. La guerre et la paix, op. cit., p. 52.
16. Il reproche à Hobbes de ne considérer la guerre que comme un état de malheur et d’ignorer qu’elle est justicière (Id., pp. 121-122).
17. Id., p. 72.
18. Id., p. 49.
19. Id., p. 74.
20. Id., p. 104. 
21. Id., p. 88.
22. Id., p. 76.
23. Id., p. 132.
24. Id., p. 137.
25. Id., pp. 137-138.
26. Essai sur la philosophie de la guerre, op. cit ., p. 156.
27. La guerre et la paix, op.cit., p. 162.
28. Dans Considérations sur la France, op. cit., il énumère tous les grands massacres de l’histoire depuis l’Antiquité et leurs milliers de morts.
29. « Il y a lieu de douter (…) que cette destruction violente soit en général un aussi grand mal qu’on le croit : du moins, c’est un de ces maux qui entrent dans un ordre de choses où tout est violent et contre nature, et qui produisent des compensations. » (Considérations sur la France, op. cit.). Choqué par les trois millions de morts de la révolution, Maistre n’en espère pas moins une régénération de la France. De même, il « juge sans aménité le déferlement des armées napoléoniennes sur l’Europe terrifiée » mais pense aussi qu’après ce Napoléon qu’il appelle « usurpateur » et « meurtrier », la France renaîtra. (cf. BAGGE Dominique, Les idées politiques en France sous la restauration, Ayer Publishing, 1979, p. 201)
30. « L’esprit divin qui s’était particulièrement reposé sur l’Europe adoucissait jusqu’aux fléaux de la justice éternelle, et la guerre européenne marquera toujours dans les annales de l’univers. On se tuait, sans doute, on brûlait, on ravageait, on commettait même si vous voulez mille et mille crimes inutiles, mais cependant on commençait la guerre au mois de mai ; on la terminait au mois de décembre ; on dormait sous la toile ; le soldat seul combattait le soldat. Jamais les nations n’étaient en guerre, et tout ce qui est faible était sacré à travers les scènes lugubres de ce fléau dévastateur.
   C’était cependant un magnifique spectacle que celui de voir tous les souverains d’Europe, retenus par je ne sais quelle modération impérieuse, ne demander jamais à leurs peuples, même dans le moment d’un grand péril, tout ce qu’il était possible d’en obtenir : ils se servaient doucement de l’homme, et tous, conduits par une force invisible, évitaient de frapper sur la souveraineté ennemie aucun de ces coups qui peuvent rejaillir : gloire, honneur, louange éternelle à la loi d’amour proclamée sans cesse au centre de l’Europe ! Aucune nation ne triomphait de l’autre : la guerre antique n’existait plus que dans les livres ou chez les peuples assis à l’ombre de la mort ; une province, une ville, souvent même quelques villages, terminaient, en changeant de maître, des guerres acharnées. Les égards mutuels, la politique la plus recherchée, savaient se montrer au milieu du fracas des armes. La bombe dans les airs, évitait le palais des rois ; des danses, des spectacles, servaient plus d’une fois d’intermèdes aux combats. L’officier ennemi invité à ces fêtes, venait y parler en riant de la bataille qu’on devait y donner le lendemain ; et, dans les horreurs mêmes de la plus sanglante mêlée, l’oreille du mourant pouvait entendre l’accent de la pitié et les formules de la courtoisie. Au premier signal des combats, de vastes hôpitaux s’élevaient de toutes parts : la médecine, la chirurgie, la pharmacie, amenaient leurs nombreux adeptes ; au milieu d’eux s’élevait le génie de saint Jean de Dieu, de saint Vincent de Paule, plus grand, plus fort que l’homme, constant comme la foi, actif comme l’espérance, habile comme l’amour. Toutes les victimes vivantes étaient recueillies, traitées, consolées : toute plaie était touchée par la main de la science et par celle de la charité ! » (Soirées de Saint-Pétersbourg, op. cit.)
31. La guerre et la paix, op. cit., pp. 217-218. Une guerre est légitime, aux yeux de Proudhon, dans quatre cas : Pour l’incorporation d’une nation dans une autre, pour la reconstitution des nationalités, dans le cas d’une incompatibilité religieuse, pour rétablir l’équilibre international (Cf. PHILONENKO A., op. cit., pp. 157-159).
32. Id., p. 281. Plus généralement, Proudhon estime que la guerre révèle son visage « bestial » quand on passe de l’idée à l’application  mais « cette horreur, il faut l’avouer, ajoute-t-il, est aussi légitime que l’admiration que nous avait d’abord inspirée son héroïsme » (Id., p. 314).

⁢ii. Haro sur les religions ?

Aujourd’hui, de plus en plus de gens se demandent si la religion, en définitive, n’engendre pas systématiquement la violence, ou du moins si elle ne l’encourage pas, la cautionne néanmoins. Toute une série d’événements ont nourri cette opinion⁠[1]. Non seulement la longue guerre civile en Irlande⁠[2] les guerres dans l’ex-Yougoslavie⁠[3], ou les persécutions contre les chrétiens en Indonésie, en Inde, en Asie, mais surtout une multiplication d’attentats et d’actes violents inspirés par des groupes religieux dont les plus meurtriers et les spectaculaires sont les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, du 11 mars 2004 à Madrid et du 7 juillet 2005 à Londres. ⁠[4]

Tous ces événements sont à l’origine d’un certain nombre de jugements à l’emporte-pièce mais aussi d’études universitaires. Certains prennent pour cible telle religion mais, généralement, la plupart des études envisagent globalement le phénomène religieux.

Parmi les critiques partiales, voire caricaturales, on peut citer l’œuvre d’Henri Peña-Ruiz⁠[5] chantre de la laïcité, il vaudrait mieux dire, comme nous l’avons vu précédemment, du laïcisme qui seul peut faire barrage à la violence.

L’auteur accuse régulièrement le christianisme, d’être responsable des violences déplorées. C’est, dit-il, le christianisme qui a « inventé le thème du peuple déicide créant l’antisémitisme[6], la notion d’hérésie et les bûchers de l’Inquisition[7], l’index des livres interdits »[8], il rappelle « Giordano Bruno brûlé vif en place de Rome en 1600[9], Galilée obligé de se rétracter sur le mouvement de la terre en 1632 sous peine d’être condamné à mort[10], les 3.500 protestants massacrés à Paris lors de la nuit de la Saint-Barthélemy[11], les assassinats légaux du chevalier de La Barre[12], de Callas (sic) ⁠[13]_… »_. Il dénonce 1.500 ans de « cléricalisme politique »[14], le Syllabus[15] qui « lance l’anathème contre la liberté de conscience et les droits de l’homme ».⁠[16]

Peña-Ruiz s’en prend également aux « inspirateurs » de ces pratiques et ceci est plus grave car la question est de savoir si les vraies exactions commises  par des religieux ou par le peuple chrétien sont en conformité avec l’enseignement du Christ ou non.

Le premier à être mis en question est saint Anselme (sic) qui, nous dit Peña-Ruiz, « affirmait que l’Église doit user de deux glaives : le glaive spirituel de l’excommunication et le glaive temporel du châtiment corporel, allant jusqu’à la mise à mort des hérétiques et des mécréants ».

Cette accusation sans références pose problème. Est visé, sans doute, le théologien saint Anselme de Cantorbéry⁠[17] mais la pensée qu’on lui attribue ne lui ressemble pas. Si l’on met en parallèle la pensée authentique de saint Anselme et les Croisades, on constate que ses écrits « sont caractérisés par une douceur remarquable précisément dans la polémique »[18]. On nous dit aussi qu’il « connaît tous les abus –pillages, convoitises, ravages- commis par certains croisés lors des croisades. Il prévient donc de ce danger ceux qui s’y préparent et, surtout, ceux qui, dans sa vision prophétique, sont appelés à vivre dans cette Jérusalem qu’est la vie monastique »[19]. Par ailleurs, touchant précisément à la question du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel (les deux glaives), Michel Grandjean écrit : « l’archevêque de Cantorbéry accorde une trop faible importance aux questions institutionnelles et surtout une trop grande place au pouvoir civil pour qu’on puisse le ranger parmi les disciples d’Hildebrand[20]. Personne moins que lui ne cherchait d’ailleurs à entrer en conflit avec le roi puisque, au moment tout au moins de sa désignation à l épiscopat, il considérait sur un même plan les pouvoirs temporel et spirituel, allant jusqu’à comparer l’Église d’Angleterre à une charrue tirée non pas par le seul archevêque de Cantorbéry, mais par deux bœufs d’une puissance supérieure à tous les autres, le roi (nommé en premier !) et l’archevêque. Il accepta même sans sourciller, on l’a vu, d’être investi par le roi : signe évident à la fois de son désintérêt pour les affaires canoniques et de son ignorance de la législation grégorienne. Par la suite il s’est toujours montré prêt à reconnaître le pouvoir civil comme un pouvoir fort puisque, dans son esprit, l’archevêque et le roi sont appelés à occuper des fonctions étroitement complémentaires dans l’Église d’Angleterre, le premier en tant que gardien (custos), le second en tant qu’avoué ou protecteur (advocatus). » L’auteur note encore que la conception d’Anselme « s’écarte donc notamment de la doctrine grégorienne qui sépare l’Église du monde, mais encore de l’ecclésiologie carolingienne traditionnelle, qui envisageait les ordres sacerdotal et royal au sein de l’Église. Elle s’apparente davantage à la représentation gélasienne[21] de la société. »[22]

En réalité, la doctrine des deux glaives est due, tous les historiens sont d’accord, à saint Bernard de Clairvaux qui, en fait, la renouvelle⁠[23], dans le De consideratione ad Eugenium (II, 1. IV, c. 3) où il interprète d’une manière tout à fait particulière ce passage de Lc 22, 35-38 : « Et il leur dit : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? » Ils répondirent : « De rien. » Il leur dit : « Maintenant, par contre, celui qui a une bourse, qu’il la prenne ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une. Car je vous le déclare, il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : On l’a compté parmi les criminels. Et, de fait ce qui me concerne va être accompli. –Seigneur, dirent-ils, voici deux épées. » Il leur répondit : « C’est assez ». » Jésus dans ce passage dépeint symboliquement l’hostilité universelle et, devant l’incompréhension des apôtres qui prennent ses propos au sens matériel, Jésus coupe court ⁠[24]. Or, pour saint Bernard, « si belliqueuse que puisse être l’expression, le glaive spirituel n’est pas en premier lieu la « violence » spirituelle, mais la parole de Dieu. Pour Bernard, il ne s’agit pas non plus que le Pape doive exercer sa puissance avec le « glaive », mais il doit annoncer sans crainte l’Évangile qui est plus coupant qu’un glaive à deux tranchants (…). La conception, suivant laquelle les puissances séculières doivent tirer le glaive temporel sur un signe de l’Église, fut utilisée plus tard lors des procédures ecclésiastiques de l’Inquisition ; l’exécution du jugement était alors confiée aux puissances séculières. Bernard lui-même aura pensé ici dans ses paroles davantage aux croisades et à l’aide de l’Empereur et d’autres souverains comme protecteurs de l’Église (voir à ce sujet la lettre 244). » Cette interprétation, personne ne peut plus l’approuver « tant d’un point de vue exégétique que théologique »[25]. « Bernard développe une exégèse qui n’a plus grand-chose à voir avec le texte évangélique dont il se prévaut cependant comme témoignage assuré de la vérité de sa propre doctrine. L’épisode de l’arrestation du Christ attesterait (…) qu’il y a un glaive temporel, que brandit Pierre pour défendre le Christ, avant que celui-ci lui ordonne de le ranger, et un glaive spirituel. Le glaive temporel désigne le pouvoir de coercition, le glaive spirituel désigne la prédication et les sacrements par lesquels les apôtres arrachent les pécheurs au Malin pour les gagner à Dieu. Les deux glaives sont en possession des apôtres (le « c’est assez » du Christ indiquant qu’il n’en est pas besoin de plus), donc second, l’usage du premier étant délégué au pouvoir temporel, sous l’autorité des apôtres qui en conservent la nue propriété (…) »_⁠[26]

La théorie des deux glaives sera reprise notamment par Innocent III ⁠[27] dont on a gardé cette fameuse image : « De même que la lune reçoit sa lumière du soleil auquel elle est inférieure par les dimensions, par la qualité, par la position et par la puissance, ainsi le pouvoir royal emprunte à l’autorité pontificale la splendeur de sa dignité »[28]. Innocent IV ⁠[29] appliquera aussi cette théorie dans la bulle Eger cui levia contre l’empereur Frédéric II Hohenstaufen. Boniface VIII⁠[30] reprendra la théorie des deux glaives dans sa bulle Unam sanctam[31] : « Les deux [glaives] sont (…) au pouvoir de l’Église, le glaive spirituel et le glaive matériel. Cependant l’un doit être manié pour l’Église, l’autre par l’Église. L’autre par la main du prêtre, l’un par la main du roi et du soldat, mais au consentement et au gré du prêtre. Or il convient que le glaive soit sous le glaive, et que l’autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel. (…)  En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d’être soumise au pontife romain. » Denzinger note qu’il manque dans ce texte la distinction faite par Boniface VIII devant l’ambassadeur de France précisant que le roi n’était soumis au pouvoir temporel uniquement « quant au péché ». A la même occasion, le pape déclara qu’il était injustement attaqué, comme si « nous avions commandé au roi de reconnaître que la royauté [provient] de nous. Il y a quarante années que nous sommes experts en droit, et nous savons que deux pouvoirs ont été établis par Dieu ; qui donc est en droit de croire ou peut croire qu’il y aurait ou qu’il y aurait eu dans notre tête une telle fatuité ou une telle sottise ? Nous disons que nous ne voulons usurper en rien la juridiction du roi, et ainsi l’a dit notre frère de Porto[32] » Mais les conflits qu’il eut avec l’empereur d’Allemagne et Philippe le Bel démentent cette sagesse privée…

Peña-Ruiz dénonce ensuite Arnaud Amaury⁠[33], le légat du Pape qui, lors du siège de Béziers en 1209⁠[34], aurait répondu à ceux qui voulaient distinguer les catholiques et les hérétiques : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens »[35]. « Fameuse expression » commente l’auteur que l’on trouve « sous la plume de saint Paul « Le Seigneur connaît les siens » (2 Tm 2, 19) ». On ne peut vraiment considérer ce personnage, quels que soient ses titres comme un inspirateur mais plutôt comme un exécuteur mal inspiré. De plus, il faut une certaine malhonnêteté intellectuelle ou une grande paresse pour associer les deux paroles simplement parce qu’elles utilisent des mots semblables alors qu’elles se réfèrent à des contextes tout à fait différents. Paul met en garde Timothée contre les faux docteurs et les périls des derniers temps. Il cherche à le rassurer en lui rappelant que Dieu connaît ceux qui lui sont fidèles, faisant écho à cette parole du Christ : « Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite » (Jn 10, 27). Déjà dans 1 Tm 5, 24-25, Paul écrivait : « Il est des hommes dont les fautes apparaissent avant même tout jugement ; d’autres au contraire chez qui elles ne se découvrent qu’après ; les bonnes actions, elles aussi, se voient ; mais celles dont ce n’est pas le cas ne sauraient demeurer cachées. »

 Il fallait s’y attendre, saint Augustin⁠[36] est aussi mis en question qui affirmait « Il y a une persécution juste, celle que font les Églises du Christ aux impies… L’Église persécute par amour et les impies par cruauté »  Nous avons déjà évoqué la position de saint Augustin dans quelques notes mais il n’est pas inutile d’y revenir et de préciser sa position face aux hérésies.

C’est dans la lettre CLXXXV⁠[37] que se trouve la citation imputée. Lettre écrite en 415 et qui traite du châtiment des Donatistes.⁠[38]

Saint Augustin rappelle d’abord que les hérésies et les scandales existent « afin que nous nous instruisions au milieu même de nos ennemis. C’est ainsi que s’éprouvent notre foi et notre amour ; notre foi pour que nous ne nous laissions pas tromper, notre amour pour que nous mettions tous nos soins à ramener ceux qui s’égarent (…) ». Comment ? En priant pour eux puis en distinguant les passages des Écritures sur lesquels ils s’appuient et ceux qu’ils n’entendent pas pour être « en mesure de répondre aux donatistes pour les ramener et les guérir ». A cette fin, saint Augustin prend également la peine de répondre à toute une série de critiques que les donatistes font aux catholiques qui s’efforcent de les ramener dans le sein de l’Église.

Et d’abord le recours à l’empereur.⁠[39]

Pour Augustin, « le bien peut se faire de deux manières avec nos frères égarés : par les discours des prédicateurs catholiques, par la loi des princes catholiques ; que tous aillent au salut, que tous soient retirés de la perdition, les uns par le ministère de ceux qui obéissent aux préceptes divins, les autres par le ministère de ceux qui obéissent aux ordres impériaux. »⁠[40] Les deux persécutions, celle de l’Église et celle du pouvoir civil, sont légitimes dans la mesure où elles se font pour la justice et nous en arrivons au passage incriminé par Pena-Ruiz : « Si nous voulons nous en tenir à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies contre l’Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l’Église du Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir persécution pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir persécution pour l’iniquité. L’Église persécute par l’amour, les autres par la haine ; elle veut ramener, les autres veulent détruire ; elle veut tirer de l’erreur, et les autres y précipitent. L’Église poursuit ses ennemis et ne les lâche pas jusqu’à ce que le mensonge périsse en eux et que la vérité y triomphe ; quant aux donatistes, ils rendent le mal pour le bien ; pendant que nous travaillons à leur procurer le salut éternel, ils s’efforcent de nous ôter le salut même temporel ; ils ont un si grand goût pour les homicides, qu’ils se tuent eux-mêmes lorsqu’ils ne peuvent  tuer les autres[41]. Tandis que la charité de l’Église met tout en œuvre pour les délivrer de cette perdition afin que nul d’entre eux ne périsse, leur fureur cherche à nous tuer pour assouvir leur passion de meurtre, ou à se tuer eux-mêmes, de peur de paraître se dessaisir du droit qu’ils s’arrogent de tuer des hommes. » Cette persécution par amour, s’apparente à celle du médecin ou du père de famille : « Un malade frénétique se plaint du médecin qui le lie, un fils indiscipliné se plaint du père qui le châtie, mais tous les deux sont aimés. » Le mot « persécution » recouvre des moyens fort divers mais ne doit pas nous faire penser nécessairement au pire. Pour illustrer une persécution injuste et une persécution juste, Augustin évoque la rivalité entre Saraï l’épouse d’Abraham et Agar la servante qu’elle donna pour femme à son mari. Agar enceinte des œuvres d’Abraham avait injustement persécuté sa maîtresse en l’ignorant ou la méprisant. Quant à Saraï, elle persécuta justement Agar en la maltraitant tellement qu’elle s’enfuit. L’Ange du Seigneur renvoya Agar à sa maîtresse en lui ordonnant de lui être soumise.⁠[42]

Il est que, pour Augustin, « il vaut mieux (qui en doute ?) amener par l’instruction les hommes au culte de Dieu que de les y pousser par la crainte de la punition ou par la douleur ; mais, parce qu’il y a des hommes plus accessibles à la vérité, il ne faut pas négliger ceux qui ne sont pas tels. (…) les meilleurs sont ceux qu’on mène avec le sentiment, mais c’est la crainte qui corrige le plus grand nombre ». C’est pourquoi, « (…) plusieurs, comme de mauvais serviteurs et en quelque sorte de méchants fugitifs, sont ramenés au Seigneur par le fouet des douleurs temporelles. » d’ailleurs, le Seigneur lui-même renversa Paul et le frappa de cécité corporelle⁠[43] pour l’amener à lui. C’est le Seigneur encore qui demande à ses serviteurs d’amener à son grand festin tous ceux qu’ils trouveront en les forçant pour que la maison soit remplie⁠[44].

A ces donatistes qui cherchent la mort ou qui menacent de mort ceux qui disent du bien de l’Église catholique⁠[45], ne leur fait –on pas « une grande miséricorde lorsqu’à l’aide des lois impériales on les tire de cette secte où les démons menteurs leur ont enseigné tant de mal, pour les faire passer dans l’Église catholique où ils sont guéris par de bonnes prescriptions et de bonnes mœurs » ? Devant de telles gens qui s’opposent au salut des autres, « quelle doit être la conduite de la charité ? », « que doit donc faire l’amour fraternel ? ». Ce sont leurs excès⁠[46]qui ont justifié l’établissement des lois. Auparavant, « avant l’établissement de ces lois par les empereurs catholiques, la doctrine de la paix et de l’unité du Christ se répandait peu à peu, et l’on y passait comme on l’entendait, comme on le voulait, et comme on pouvait, du parti même de Donat ». Mais vu les désordres et les exactions dont les donatistes se sont rendus coupables, il était nécessaire que le pouvoir intervînt : « comment donc les rois servent-ils le Seigneur avec crainte, si ce n’est en empêchant ou en punissant, par une sévérité religieuse, ce qui se fait contre les commandements du Seigneur ? On ne sert pas Dieu de la même manière comme homme, et de la même manière comme roi ; comme homme, on sert Dieu par une vie fidèle ; mais comme roi, on le sert en faisant des lois, avec une vigueur convenable, pour ordonner ce qui est juste et empêcher ce qui ne l’est pas. »⁠[47] L’objection qui consiste à dire que les apôtres n’ont pas fait appel aux rois de la terre ne vaut pas car les temps étaient différents puisqu’aucun « empereur » ne croyait en Jésus-Christ.⁠[48] Augustin avoue qu’au départ il estimait « qu’il ne fallait pas demander aux empereurs la destruction de l’hérésie en prononçant des peines contre les adhérents ». Il lui semblait qu’il suffisait de protéger les évangélisateurs en appliquant la loi de Théodose[49] contre les hérétiques : « cette loi condamne tout évêque ou clerc non catholique ; en quelque lieu qu’on le trouve, à une amende de livres d’or ». De plus, continue Augustin, « nous ne voulions pas les soumettre tous à cette peine ; seulement dans chaque pays où l’Église catholique aurait eu à souffrir de la part de leurs clercs, de leurs circoncellions[50] ou de leurs peuples, les évêques ou d’autres ministres de ce parti, sur plainte des catholiques, auraient été condamnés par les magistrats au paiement de l’amende. » Cet avis⁠[51] fut retenu au concile de Carthage, tenu le 26 juin 404, avec comme complément de peine la privation du droit de tester et d’hériter, alors que « la plupart des autres pontifes étaient d’avis d’employer le pouvoir temporel pour forcer les donatistes à rentrer dans la communion catholique ».

Cette mesure n’eut guère de succès et vu les plaintes d’évêques qui s’accumulaient et surtout l’attentat conte l’évêque Maximien, le pouvoir ne se borna pas à réprimer les violences mais décida de ne pas laisser l’hérésie « subsister impunément ». « Toutefois, ajoute Augustin, pour garder même vis-à-vis d’indignes gens la mansuétude chrétienne, on ne les punissait pas du dernier supplice ; on prononçait seulement des amendes et leurs ministres étaient punis de l’exil. »

On constate donc, en dehors des erreurs matérielles⁠[52] commises par Peña-Ruiz, que la réalité est bien plus complexe et nuancée qu’il y paraît à litre ses accusations lapidaires.

d’une manière générale, face à ce type très courant de mise en question de l’enseignement et de l’action de l’Église, on peut dire d’une part, qu’il est délicat de vouloir juger le passé avec les critères du présent. d’autre part, il est saugrenu d’accuser le présent en fonction de fautes passées même si elles sont avérées⁠[53]. C’est comme si on accusait le socialisme contemporain de mensonge lorsqu’il milite pour l’égalité entre l’homme et la femme alors que Proudhon avait écrit que « la prépondérance du mari sur la femme, du père sur l’enfant, se résout dans le droit du plus fort. Pourquoi le nier ? Pourquoi, hommes, en rougirions-nous ? Pourquoi, femmes, en feriez-vous un texte de plaintes ? Papa est le maître disait une petite fille à son frère qui se permettait de discuter une prescription paternelle. Au jugement de cet enfant, ce père avait en lui la raison, parce qu’il avait la puissance. »[54] Enfin, rappelons cette règle établie par Camus : « L’honnêteté consiste à juger une doctrine par ses sommets, non par ses sous-produits ». Et Camus disait cela à un journaliste qui avait déclaré que la foi chrétienne est une démission. Il répliqua : « Je réfléchirais avant de dire comme vous que la foi chrétienne est une démission. Peut-on écrire ce mot pour un saint Augustin ou un Pascal ? »[55]

Sans être aussi caricatural que Peña-Ruiz, l’islamologue Michel Dousse ⁠[56] en étudiant la violence au sein des Écritures des trois monothéismes abrahamiques, s’attarde surtout à la violence biblique, relevant que c’est Dieu qui y combat au côté d’Israël alors que dans le Coran, c’est le croyant qui doit tuer au nom de Dieu. Pour lui, le Coran « serait presque plus irénique, voire plus tolérant que la Bible, car il est anhistorique, reliant directement à la source divine, assumant les deux précédents monothéismes. »[57] Bien sûr, Jésus refuse la violence mais « l’institution ecclésiale se livra au cours de l’histoire à de nombreuses entreprises de conquêtes peu compatibles avec l’esprit de l’Évangile »[58] et c’est précisément, par exemple, à cause des croisades que le jihad aurait pris un sens guerrier.⁠[59] Comme le fait remarquer une religieuse, l’auteur prétend s’inscrire dans une perspective anhistorique mais il se réfère à l’histoire pour « convaincre le christianisme de violence hypocrite »[60] et la récuse dans le commentaire des textes aussi bien bibliques que coraniques.⁠[61]

Plus dignes d’intérêt et plus rigoureuses sont les analyses proposées par divers observatoires universitaires. Nous en retiendrons deux : la revue canadienne Religiologiques et les publications du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB

Dans la revue Religiologiques[62], relevons d’abord quelques réflexions générales qui peuvent être utiles. L’extrémisme ou le terrorisme religieux ne date pas d’aujourd’hui. Les Juifs ont connu les Zélotes qui voulaient hâter la venue du Royaume par la violence ; les musulmans, les assassins de l’ismaélite Hassan es-Sabbah au XIIe siècle ; et les hindous, les thugs adorateurs de Kâlî dès le XIIIe siècle. On peut retenir aussi le fait que si le religieux est instrumentalisé par le politique à des fins qui lui sont propres, il y a un « rapport complexe entre la religion, la violence et le contrôle social. »[63] A ce propos, Martin Geoffroy⁠[64] entend « montrer qu’il n’y a pas de consensus théorique sur la nature intrinsèquement violente de la religion, mais qu’il reste toujours possible de montrer que certains comportements religieux mènent parfois à la violence. » « La violence religieuse est non seulement une forme de résistance, mais aussi une tentative de contrôle social » sur les individus et les collectivités. Toutefois, « cette résistance et ce contrôle sont, plus souvent qu’autrement, de nature symbolique » et non stratégique⁠[65]. Ce sont, bien sûr, les groupes religieux extrêmes qui manifestent cette « résistance » identitaire qui a pour cible l’humanisme séculier et la démocratie participative. Et, « sans être directement responsables de la violence physique, les groupes fondamentalistes sont un terreau fertile pour la plupart des dérives radicales, et sectaires (…). » En effet, si les conditions géopolitiques, les injustices jouent un rôle dans l’idéologie terroriste, la religion aussi dans la mesure où le sacrifice de soi comme acte purificateur est une notion ambivalente⁠[66]. Si la plupart du temps ce sacrifice de soi permet de transcender les différences et de sublimer la violence, il peut aussi pousser à la destruction de l’ « ennemi », l’autre, le différent auquel la mondialisation des échanges me frotte. C’est ainsi que « les extrémistes religieux se servent (…) de la religion pour légitimer la violence et la discrimination contre des groupes d’ethnie ou de langue distinctes »[67]. Reste à expliquer comment des croyants si soucieux de moralité peuvent se laisser aller à la violence ? C’est l’illettrisme religieux « qui augmente la possibilité de violence collective dans les situations de tension (…). Un très bas niveau d’auto-réflexion morale et de connaissances théologiques de base parmi les acteurs religieux entraîne cet illettrisme religieux. » C’est sur ce terreau que poussent des « mythologies », celles du complot ou de la menace contre son identité religieuse.

En conclusion, M. Geoffroy estime qu’« il n’y a pas à la base, plus de violence religieuse qu’il n’y en avait au début du XXe siècle, mais une plus grande visibilité médiatique des tensions et des violences religieuses peut causer une exacerbation inédite de la violence au plan international. »[68]

Le même auteur, en collaboration avec un confrère de l’Université de Montréal, pose la question précise de savoir si les groupes catholiques intégristes sont un danger pour les institutions sociales.⁠[69] Héritiers du Syllabus de Pie IX, les intégristes catholiques, schismatiques ou non-schismatiques, tout en étant parfois opposés entre eux, se réclament d’une tradition qu’ils disent inchangée. Anti-modernistes dans tous les sens du terme et sur tous les plans, ils restent attachés au Concile de Trente, au catéchisme de saint Pie X, à la messe de saint Pie V et, pour certains d’entre eux, à l’Ancien régime.⁠[70] Selon les auteurs, « très peu de ces groupes, même s’ils sont très radicaux du point de vue doctrinal et qu’ils peuvent parfois être verbalement agressifs, sont vraiment dangereux pour ces institutions, parce que la plupart d’entre eux n’ont presque jamais eu affaire directement à la justice et parce que nous pensons que c’est là, à peu de chose près, la seule façon vraiment objective de mesurer la « dangerosité » d’un de ces groupe. »[71]

Pour en revenir à des considérations plus générales, citons les chercheurs de l’ULB, à qui « L’étude critique des grandes religions occidentales (…) a paru indissociable de leur rapport intime et souvent paradoxal à la violence, à la guerre et à la paix ». Dans leurs études, ils dégagent « une dimension anthropologique de la bataille comme expression du sacré et une dimension théologique de la sacralisation de la guerre ».⁠[72] On retrouve ici l’ombre de Roger Caillois. C’est pourquoi les analyses s’échelonnent dans le temps et dans l’espace, examinant tour à tour la devotio dans le contexte militaire romain, la violence dans l’islam médiéval et dans le judaïsme, le Sunzi attribué à Sun Wu⁠[73]. Dans le monde chrétien, les auteurs épinglent les conceptions de Francisco Suarez, Hugo Grotius, Luther à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle ; l’influence décisive du P. Dominique de Jésus-Marie lors de la bataille de la Montagne Blanche⁠[74] ; la pensée d’Ernest Psichari⁠[75] ; l’héritage intellectuel de la guerre 14-18 ; le pacifisme de Don Sturzo⁠[76]. Nous y reviendrons dans la suite car ces différentes études ne peuvent prendre leur pleine signification que dans le cadre d’une étude plus large qui s’attardera spécialement au judaïsme, à l’islam et, bien sûr, surtout, à l’héritage chrétien.

En attendant, arrêtons-nous à un auteur apprécié dans les milieux de la libre-pensée : Elie Barnavi⁠[77].

Elie Barnavi, s’attache davantage à l’essentiel dans son livre « Les religions meurtrières » qu’il présente comme un « pamphlet politique »[78], sans doute parce qu’il y aborde, en raccourci, de vastes domaines historiques mais avec une information qui paraît solide même si, ici ou là, il simplifie plus ou moins la réalité ⁠[79].

Pour lui, les religions produisent de la violence. Mais pourquoi ?

Parce qu’elles sont « un système symbolique, pourvoyeur de sens, d’espoir, de valeurs et d’identité (…)  : ces choses-là sont assez importantes pour qu’elles vaillent la peine de tuer et de se faire tuer pour elles »[80]et cela, dans un monde où règne « le relativisme culturel ». Et dans la mesure où ce relativisme culturel « a parfois conduit au relativisme moral, il a été destructeur des systèmes de défense immunitaire. Et cela, c’est une catastrophe. »[81]

Barnavi propose une définition personnelle du « fondamentalisme », étiquette qui est très souvent employée sur le mode péjoratif alors que cette attitude n’implique pas nécessairement la violence. Le fondamentaliste⁠[82] est un réformateur qui, après des siècles parfois d’interprétations des textes sacrés, veut « retourner aux sources, aux « fondamentaux » de la foi (…), à une « forme » primitive »[83]. Il n’existe que dans les religions de l’écrit. Il est « une pente savonneuse » mais « n’est pas bien gênant pour la société ambiante »[84]. Barnavi cite comme exemples le karaïsme qui, dans le judaïsme, affirme la supériorité de la torah (écrite) sur la tradition orale du talmud. Ou encore, toujours au sein du judaïsme, les Netoreï Karta antisionistes. Au sein de l’islam, il cite le wahhabisme, fidèle à la lettre du Coran. Mais pour qu’il devienne dangereux, « il faut que le fondamentalisme, loin de s’abstraire du champ politique, cherche à s’en emparer. Et qu’il s’y emploie par des moyens violents. »[85]. Cette dernière condition est le critère décisif puisqu’au départ, « toute religion est politique »[86]. Ce fondamentalisme violent, il l’appelle « fondamentalisme révolutionnaire » qu’il présente comme « une attitude d’esprit, qui, selon les époques, s’est manifestée avec plus ou moins de vigueur dans toutes les religions révélées »[87] qui sont des religions monothéistes, historiques, c’est-à-dire qui ont une conception du temps linéaire. Au niveau de la méthode, le fondamentalisme révolutionnaire est violent car il est impatient et  veut « hâter l’avènement »⁠[88] ; au niveau de sa doctrine, « à l’instar du communisme ou du fascisme naguère, il fonctionne comme une idéologie totalitaire » c’est-à-dire comme « un système où la religion investit l’ensemble du champ politique, en réduisant la complexité de la vie à un principe explicatif unique, violemment exclusif de tous les autres »[89]. Autrement dit, il faut « une conception forte d’une vérité unique et absolue »[90] ; « transcendante », « exclusive de toute autre »[91], « une, indivisible »⁠[92] et « c’est le christianisme qui a poussé le plus loin l’affirmation théologique d’une vérité absolue » dans la mesure où il s’est développé « à l’intérieur d’une tradition philosophique, le néoplatonisme qui considère la vérité en soi comme l’expression objective d’une réalité ontologique »[93].

Si l’on considère maintenant les trois religions mises en cause, l’auteur constate que « le fondamentalisme révolutionnaire chrétien est parti battu »[94], que « la chance du fondamentalisme révolutionnaire juif a été l’État, sa perte aussi »[95], tandis que « l’islamisme est aujourd’hui la forme la plus nocive du fondamentalisme révolutionnaire »[96]. Que veut-il dire ?

Tout d’abord en ce qui concerne le christianisme, c’est lui qui a rendu possible, à travers, bien sûr, bien des péripéties sanglantes parfois, le « divorce de l’Église et de l’État » et « le choix de Rome a été le coup de génie de l’Église. ». « Les conséquences auront été prodigieuses : la dualité de deux pouvoirs, de deux royaumes disait-on, un temporel et un spirituel, d’emblée soigneusement distingués ». Et « cette dualité fut la chance extraordinaire de l’Occident. (…) Entre les deux « épées », dans le fossé creusé entre les deux pouvoirs, le vent de la liberté a pu souffler. L’Église a imposé à l’État des bornes morales, l’État a étouffé la tentation théocratique de l’Église, des esprits libres ont joué de leur rivalité pour faire pièce au tropisme absolutiste inhérent à tout pouvoir. Tout a été possible par cette dualité, rien n’aurait été possible sans elle. Le bonheur de l’Occident, ce fut la laïcité. » Voilà pourquoi le fondamentalisme chrétien, au fil des siècles, a été jugulé par le principe de la distinction des pouvoirs établi par le christianisme lui-même. Voilà pourquoi « dans l’ensemble, l’Occident, et lui seul a échappé au monisme juif et musulman ». ⁠[97]

Le judaïsme contemporain connaît le fondamentalisme révolutionnaire mais il a trouvé ses limites pour deux raisons : « d’abord, sans doute, parce que le fondamentalisme révolutionnaire juif ne s’exporte pas. Religion nationale sans prétention universaliste, le judaïsme garde ses fous de Dieu pour lui, en leur imposant du coup un cadre étriqué, somme toute aisé à contrôler. Mais surtout parce qu’Israël est une société moderne, ouverte et raisonnablement développée, où le message messianique reste nécessairement confiné à des cercles étroits. »[98]

Reste l’islamisme « qui est aujourd’hui travaillé par le fondamentalisme révolutionnaire. » Et il est dangereux sur deux fronts. En maints endroits, « les fondamentalistes révolutionnaires sont en guerre contre un État se réclamant de la même religion qu’eux, mais qu’ils jugent impie et corrompu, étranger aux « vraies » valeurs de l’Islam et vendu à l’Occident. » En même temps, « une internationale terroriste musulmane a déclaré une guerre sans merci à l’Occident « athée ». »[99] Comment expliquer cette explosion de violence ?

Tout d’abord, l’islam vit sur l’« irrémédiable confusion » du spirituel et du temporel. Alors qu’en Occident « deux légitimités coexistaient,  (…) en islam, seul le pouvoir religieux était pleinement légitime (…). Une loi légitime ne saurait être qu’une variation sur les préceptes du Coran et la sunna, la tradition fondée sur les propos et les exemples du Prophète (…). En Occident, le roi donne la loi ; en terre d’islam, il est censé exécuter une Loi qui le précède et le dépasse. »⁠[100]

Deuxièmement, alors que « la critique rationaliste des textes sacrés est vieille comme l’Église elle-même » et que « l’interprétation des Écritures n’est pas simplement permise, [mais] indispensable pour en dégager la vérité », en islam, la « Loi a été donnée une fois pour toutes, parfaite, immuable, éternelle (…). » Et même si l’islam n’est pas « incompatible avec la raison (…), les tenants du dogme auront eu raison de courants rationalistes (…). Petit à petit, le débat théologique sera étouffé. »[101] Les musulmans ont perdu leur curiosité et leur civilisation, son éclat ⁠[102].

Troisièmement, à partir du XVIIIe siècle, leur musulmans sont confrontés « avec un passé glorieux ; et avec l’occident, dont l’hégémonie désormais manifeste est d’autant plus insupportable qu’on a passé des siècles à le mépriser. »⁠[103]

A l’intérieur, s’il y eut des imitateurs comme Atatürk en Turquie ou le Shah en Iran qui ont dû choisir entre despotisme et islamisme avec le résultat que l’on sait, dans la plupart des cas, les musulmans ont choisi de « s’accrocher à un passé idéalisé, en rejetant sur les autres la faute de sa disparition. » Pour Barnavi, « l’islamisme et son excroissance révolutionnaire se sont développés sur ce terreau de la mémoire et de l’échec. »⁠[104] Comme l’État en maints endroits s’oppose et résiste à cet extrémisme, ses partisans « se sont lancés dans sa conquête par en bas : par le grignotage patient de tous les rouages de la société civile (les organisations professionnelles, l’éducation, la santé, le crédit), par l’islamisation des mœurs (fermeture des débits de boissons, port de la barbe et du voile), bref par l’islamisation de la société. »⁠[105] En découlent les discriminations et les violences exercées contre les minorités juives ou chrétiennes.⁠[106]

A l’extérieur, on a assisté à une « mutation terroriste »[107] que l’anthropologue Dounia Bouzar⁠[108] dont s’inspire Barnavi, s’explique non par la pauvreté ou l’oppression mais par le déracinement : « leur religion est un prétexte, un outil de pouvoir et un rêve d’appartenance. Ce n’est pas tant le projet qui les mobilise, que la voie pour y parvenir. Se sentant de nulle part, ils trouvent soudain un chez-soi. Ils ne seront jamais chez eux, pensent-ils, en France ou en Grande-Bretagne ; ils seront chez eux dans la révolution islamique mondiale. (…) Ce sont en fait des analphabètes religieux, que seule intéresse l’action directe ».⁠[109]

Enfin, l’islam est « une religion sans autorité centrale ». Dès lors, « n’importe quel ouléma [savant religieux] peut proclamer la guerre sainte, voire n’importe qui. » Et les techniques modernes de communication favorisent la constitution d’un « archipel de la terreur ».⁠[110]

Devant le danger de l’islam, quelles solutions propose Barnavi ? Si l’on choisit le bâton, il faut le manier avec une « force écrasante »[111], mais il faut aussi une « carotte », c’est-à-dire des « investissements immédiats et massifs » car « même si le fondamentalisme révolutionnaire islamique n’est pas né de la misère et du sous-développement, c’est sur la misère et le sous-développement qu’il prospère. »[112] Enfin, « étayée par la force » une diplomatie qui soit la voix d’un Occident uni autour de « valeurs partagées, nettement définies et fortement affirmées »[113]. Quelles valeurs ? Non pas le multiculturalisme qui est « un leurre »[114] qui « conduit au ghetto »[115] non pas le dialogue des civilisations qui est un « miroir aux alouettes »[116] mais la « laïcité » comme « religion civile » avec ses « ingrédients : les Droits de l’homme, bien sûr, mais aussi l’histoire, la nation souveraine, la Constitution, la république. »⁠[117]

d’une manière générale, les auteurs mettent en cause surtout les monothéismes en fonction de leur rapport à la vérité. C’est le cas chez Barnavi, c’est aussi le cas chez Régis Debray qui remarque que « les Anciens sacralisaient la guerre, mais ignoraient la guerre sainte, cette idée propre au « berceau abrahamique » que la foi exclusive impose une propagation. Car avec Dieu il en va de la Vérité. (…) Même si le monothéisme n’est pas responsable des violences de groupe –on n’a pas attendu Dieu le Père pour se faire la guerre !- il est certain que l’idée du dieu unique a exaspéré ce penchant humain. Bref, l’idée de d’exclusivité n’arrange rien et celle du diable encore moins… ».

De plus, « la foi du monothéiste est plus qu’une observance rituelle, qu’un encadrement social, qu’un signe d’appartenance. (…) Cette foi chevillée au corps et inscrite dans le cœur implique non seulement l’abnégation, mais l’engagement de tout son être dans l’affrontement à l’autre. »

Il n’en va pas de même dans le polythéisme et c’est pourquoi « les Anciens sacralisaient la guerre, mais ignoraient la guerre sainte. »[118]

Cette mise en question des monothéismes, nous la retrouvons sous la plume d’un dominicain⁠[119]. S’appuyant sur les livres de Joseph Yacoub et de Michel Dousse, Jean-Michel Maldamé⁠[120] « constate que loin d’assurer une heureuse manière de vivre, les attitudes religieuses sont source de conflits et de guerres (…), que, dans tous les conflits actuels, le facteur religieux est déterminant » dans la mesure où « il y a un lien structurel entre la violence et la religion ». « Même si toute violence n’est pas due exclusivement à une religion », la violence, aujourd’hui, s’en nourrit et « le monothéisme est en première ligne de la violence liée aux religions. »

De plus, il serait trompeur de croire que cette violence est due aux seuls fanatiques qui « trahissent leur référence à Dieu ». Les textes fondateurs démentent cette vision simpliste, comme le prouvent le livre de Josué et d’autres textes⁠[121] qui, comme dans d’autres textes de la tradition monothéiste, justifient la violence, « à partir de la notion de « terre sainte » et de « terre promise ». » A partir aussi de la consécration de Jérusalem comme capitale du monde, « fâcheux exemple, dit l’auteur, qui a été transposé dans d’autres lieux », Rome ou La Mecque. Il serait faux aussi de privilégier une explication sociale et économique de la violence et de croire que le travail, le logement, l’éducation, la liberté d’expression feront reculer la violence. L’auteur l’affirme : « les promoteurs de la violence ne sont pas des victimes de la situation économique actuelle. Les intégristes catholiques sont riches et bien en place dans les cercles du pouvoir. Les réseaux islamiques s’appuient sur l’abondance des pétrodollars. »

Comment l’auteur explique-t-il ce « lien structurel » entre la violence et la religion ?

Trois éléments sont déterminants dans les religions instituées comme dans les « religions séculières »⁠[122]:

  1. Si les conflits ont des causes non religieuses, économiques ou sociales, par exemple, « l’attitude religieuse porte à l’absolu les éléments à la source du conflit ». Une terre, une ville deviennent saintes, un peuple est élu. Les autres doivent être assimilés ou détruits.

  2. La notion de sacrifice, beaucoup l’ont souligné, est centrale et même la notion de sacrifice total, celui de la vie, qui rend hommage à Dieu.

  3. La recherche de la pureté et le rejet de ce qui est considéré comme impur.

A la fin de son article, l’auteur ne propose évidemment pas de jeter l’opprobre sur les religions. Au contraire, il médite sur le Sermon sur la Montagne et y découvre toute une pédagogie pacifique sur la quelle nous reviendrons plus tard. Il nous suffit ici de prendre acte de la dangerosité des religions monothéistes. Une dangerosité soulignée par plusieurs voix et qui nous oblige à y regarder de plus près.


1. Pour un large panorama des conflits ethno-religieux dans le monde, on peut se référer à YACOUB Joseph, Au nom de Dieu ! Les guerres de religion d’aujourd’hui et de demain, J.C. Lattès, 2002. L’auteur, professeur de relations internationales à l’Université catholique de Lyon montre que le retour du religieux se manifeste par ces conflits et qu’on ne peut aujourd’hui négliger la dimension religieuse de l’homme dans la société et la politique.
2. Il s’agit ici de rappeler la manière dont les media ont présenté et présentent le conflit. Telle n’était pas l’analyse de Jean-Paul II en visite à Drogheda : « … nous rencontrons nos frères chrétiens d’autres Églises comme des personnes qui confessent ensemble que Jésus-Christ est le Seigneur et qui se rapprochent les unes des autres en Lui dans la recherche de l’unité et du témoignage commun.
   Cette démarche vraiment fraternelle et œcuménique de la part de représentants des Églises témoigne aussi que les tragiques événements d’Irlande du Nord n’ont pas leur source dans le fait d’appartenir à des Églises et à des Confessions différentes ; qu’il ne s’agit pas ici –malgré ce qui est si souvent répété devant l’opinion mondiale- d’une guerre de religion, d’un conflit entre catholiques et protestants. (…)
   Nous devons tout d’abord mettre clairement en évidence où résident les causes de cette lutte dramatique. Nous devons appeler par leur nom les systèmes, et les idéologies qui sont responsables de ce conflit. Nous devons aussi nous demander si l’idéologie de la révolution travaille pour le véritable bien de votre peuple, pour le véritable bien de l’homme. (…)*
   Tant qu’il existe des injustices dans un domaine quelconque touchant la dignité de la personne humaine, que ce soit sur le plan politique, social ou économique, que ce soit au niveau culturel ou religieux, il n’y aura pas de paix véritable. Les causes des inégalités doivent être déterminées grâce à un examen courageux et objectif, et elles doivent être éliminées de telle sorte que chaque personne puisse se développer et atteindre la pleine mesure de son humanité.
   Par ailleurs, la paix ne peut pas être établie par la violence, la paix ne peut jamais s’épanouir dans un climat de terreur, d’intimidation et de mort. » (Discours du 29-9-1979, O.R., n° 41, 9-10-1979, pp. 1 et 16).
   * Tout au long de leur histoire, les nationalistes irlandais ont cherché ou accepté de l’aide d’où qu’elle vienne et quelle que soit ses vraies motivations : l’Allemagne durant les guerres 14-18 et 40-45 avec l’opération « Arthur », puis le KGB qui fut un grand pourvoyeur d’armes (cf. ANDREW Christopher et MITROKHINE Vassili, Le KGB contre l’Ouest : 1917-1991, Fayard, 2000) et aujourd’hui, les irréductibles de l’IRA mettent leur « savoir » au service du Hezbollah, des Gardiens de la révolution en Iran ou des Farc en Colombie (cf. THOMAS Gordon, Mossad, Les nouveaux défis, Nouveau Monde, 2006.
3. Où se sont mêlées identités religieuses et identités nationales.
4. On peut citer parmi de nombreux autres, l’attentat antisémite de la rue des Rosiers à paris en 1982 ; l’incendie, par des intégristes catholiques du cinéma Saint-Michel à Paris, en 1988, où l’on projetait La dernière tentation du Christ de M. Scorsese (13 blessés) ; l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo par la secte bouddhiste Aum Shinrikyo en 1995 ; les attentats dans le métro parisien en 1995 par les membres du Groupe islamique armé (GIA) ; l’attentat contre la synagogue de Djerba en Tunisie en 2002 ; les attentats islamistes de Bali en octobre 2002 (plus de 200 morts), de Casablanca, le 16 mai 2003 et du 1er octobre 2005, à Bali de nouveau (26 morts), à Jaipur (Inde) en 2008 (60 morts). On pourrait parler aussi de certains suicides collectifs mais il est difficile parfois d’établir la distinction entre suicide et meurtre (Jonestown en 1978, la tribu Ata en 1985, la tragédie de Waco en 1993, celle du Temple solaire en 1994, du groupe Heaven’s gate en 1997, du Mouvement pour la Restauration des Dix Commandements de Dieu en 2000).
5. Essayiste français, agrégé de philosophie, est maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la laïcité.
6. Voilà un raccourci surprenant dans une matière complexe ! « Antisémitisme, écrit Mourreest un mot moderne, apparu en Allemagne au milieu du XIXe siècle, qui correspond à une théorisation politique d’un antijudaïsme plus ancien.(…) Le racisme antijuif a pris des formes différentes suivant les époques et l’on doit distinguer l’hostilité aux juifs de certaines sociétés antiques, l’antijudaïsme chrétien, l’antisémitisme et enfin l’antisionisme [le sionisme est une idéologie et un mouvement politique « visant à donner un État au peuple juif dispersé de la diaspora » (Mourre)] qui, par certains aspects, peut être perçu comme une forme d’antisémitisme » (lire les articles « antisémitisme » et « juifs »). Par ailleurs, le Concile de Trente, condamne l’expression « peuple déicide » (Lacoste). Le Catéchisme de ce concile (chapitre V, Quatrième article du symbole, §3) dénonce comme causes de la Passion, « outre la faute héréditaire de nos premiers parents, les péchés et les crimes que les hommes ont commis depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, ceux qu’ils commettront encore jusqu’à la consommation des siècles. (…) Nous devons donc regarder comme coupables de cette horrible faute, ceux qui continuent à retomber dans leurs péchés. (…) Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre (1 Cor 2, 8), s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides. »
   Face à l’antijudaïsme musclé, des voix s’élevèrent au cours des siècles et face à l’antisémitisme du XIXe et du XXe siècles, d’autres encore : Léon Bloy (1846-1917)(Le salut par les Juifs, 1892), Jacques Maritain (1882-1979), Erik Peterson (1890-1960) (théologien protestant allemand converti au catholicisme en 1930 opposant au nazisme), Charles Journet (théologien suisse, 1891-1975), Gaston Fessard (1897-1978). Le 25 septembre 1928, un décret du Saint-Office déclare que le Saint-Siège « condamne au plus haut point la haine contre le peuple autrefois choisi par Dieu, cette haine qu’aujourd’hui on a coutume de désigner sous le nom « d’antisémitisme ». » N’oublions pas non plus cette déclaration faite par le Pape Pie XI, le 6-9-1938 à des pèlerins belges : « …​ par le Christ et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham (…) Non, il n’est pas possible de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre et de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes. Mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des sémites… » (La Libre Belgique, 14-9-1938).
   Aujourd’hui, la Déclaration Nostra Aetate (Vatican II) balise le rapport que nous devons avoir avec les Juifs.
7. Mourre : « La lutte contre les hérésies s’imposa à l’Église dès ses origines, mais jusqu’au XIIe siècle, l’autorité ecclésiastique s’en tint habituellement à des peines spirituelles dont la plus grave était l’excommunication. La majorité des Pères de l’Église condamnaient le châtiment des hérétiques par des peines physiques. Cependant, dès l’époque constantinienne, le christianisme étant devenu la religion officielle de l’État, beaucoup d’empereurs eurent tendance à assimiler l’hérésie à un crime de lèse-majesté susceptible d’être puni par la confiscation des biens ou même par la mort, comme ce fut le cas aux Ive/Ve s., dans la répression du donatisme [partisans d’une église de purs] et du priscillianisme . Cette tendance se renforça au Moyen Age, la paix de l’État et celle de l’Église apparaissant étroitement solidaires dans l’unité de croyance » (article « Inquisition »). « La répression de l’hérésie changea de caractère au Moyen Age du fait que, dans une société « sacrale » comme l’était la chrétienté, le régime politique et social tout entier reposait sur l’unité de foi ; l’hérésie apparut désormais non seulement comme une erreur, comme une déchirure dans l’Église, mais comme une atteinte à l’ordre établi qui devait être réprimée aussi bien par les pouvoirs temporels que par la puissance spirituelle » (article « hérésie »). « Aussi, dès la seconde moitié du XIIe s., alors que l’Église s’en tenait encore au principe rappelé par Bernard de Clairvaux : fides suadenda, non imponenda (« la foi doit être persuadée, non imposée »), vit-on aussi bien des princes dévots tels que Louis VII de France que des rois en révolte contre le pape, tels qu’Henri II d’Angleterre et Frédéric Ier Barberousse, recourir contre les Hérétiques à des châtiments physiques. L’ampleur prise par l’hérésie cathare ou albigeoise précipita cette évolution. L’Église se préoccupa alors de donner une organisation légale à la lutte contre l’hérésie » (article « Inquisition ») pour éviter les abus de la justice seigneuriale. En 1215 le concile de Latran établit les mesures canoniques contre l’hérésie. En 1231, avec la constitution Excomunicamus, le pape Grégoire IX codifie la répression et définit les peines qui frappent les hérétiques. L’inquisition doit respecter un certain nombre de règles et suivre toute une procédure. Elle prévoit toute une série de jugements et de peines variables : des peines canoniques (jeûne, assistance aux offices, pèlerinage, flagellation) « à la confiscation des biens, à l’emprisonnement à temps ou perpétuel et enfin à la remise au bras séculier, qui signifiait la peine de mort par le feu » (id.). Il n’est pas question, en effet, que l’Église donne la mort, en vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem.
   En 1542, la Sacrée congrégation de l’Inquisition romaine et universelle fut établie par Paul III comme cour d’appel suprême pour les procès d’hérésie (Constitution Licet ab initio du 21 juillet 1542). C’est la plus ancienne des neuf Congrégations de la Curie romaine.
   Le 29 juin 1908, cette Congrégation devient la Sacrée Congrégation du Saint-Office (Constitution Sapienti consilio du Pape Pie X)
   Enfin, elle devient Congrégation pour la doctrine de la foi sous Paul VI (Motu proprio Integrae servandae, du 7 décembre 1965) qui en redéfinit les compétences à la veille de la conclusion du Concile Vatican II.
   Aujourd’hui, selon l’article 48 de la Constitution apostolique sur la Curie romaine Pastor bonus, promulguée par le Jean-Paul II en 1988, « la tâche propre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est de promouvoir et de protéger la doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique : tout ce qui, de quelque manière, concerne ce domaine relève donc de sa compétence ».
   Aujourd’hui, à la suite de K. Rahner qui s’appuie sur 1 Co 11, 19, on peut considérer que l’hérésie est une mise à l’épreuve des chrétiens et que « l’erreur et la contradiction peuvent aider l’Église à progresser dans la connaissance de la vérité (…) dans la mesure où certains traits essentiels du christianisme, que l’Église possède virtuellement en elle, n’ont pas encore été pleinement actualisés. » (Lacoste)
   Quant à l’inquisition espagnole, si elle fut créée en 1479 avec l’approbation pontificale, elle fut dès le début sous le contrôle de l’État et non de l’Église. Elle avait comme but principal de distinguer les vrais et les faux convertis. Sa procédure parfois expéditive provoqua les protestations du Saint-Siège. Elle fut supprimée en 1820.
8. Paul VI supprima l’Index le 7 décembre 1965.
9. Giordano Bruno (1548-1600). Cet ancien dominicain, excommunié en 1578 par la communauté calviniste à Genève, critiqué par l’Église anglicane en Angleterre, excommunié par l’Église luthérienne en Allemagne, fut condamné par l’inquisition à être livré au bras séculier au terme d’un procès qui dura de 1593 à 1600. Voici les huit propositions rassemblées par le cardinal Bellarmin, qu’il refusa d’abjurer :
1. - L’affirmation de « deux principes réels et éternels de l’existence : âme du monde et matière originelle dont dérivent les êtres »_
2. - La doctrine de l’Univers infini et des mondes innombrables s’opposant à l’idée de Création : « Qui nie l’effet infini, nie la puissance infinie »_
3. - L’idée que toute réalité réside dans l’âme du monde éternelle et infinie, y compris le corps : « il n’y a pas de réalité qui ne soit accompagnée d’un esprit et d’une intelligence »._
4. - La thèse selon laquelle « il n’y a pas de mutation dans la substance » puisque celle-ci est éternelle et n’engendre rien mais se transforme._
6. - La désignation des astres comme les « messagers et interprètes de la voie divine « ._
7. - L’attribution d’une âme « non seulement sensitive mais aussi intellective » à la terre._
8. - L’opposition à la doctrine de Saint Thomas sur l’âme, « réalité spirituelle » retenue captive dans le corps et non considérée comme la forme du corps humain_.
   Notons que le nombre insuffisant de documents ne permet pas de reconstituer le procès dans son ensemble, ni de répertorier l’exacte liste des accusations (cf. asv.vatican.va et http://www.bruno-giordano.net).
10. Rappelons que l’Église a réhabilité Galilée en 1757 en retirant ses écrits sur l’héliocentrisme de l’Index. Sur l’ »affaire Galilée », on peut lire sous la direction de Mgr Paul Poupard avec une déclaration de Jean-Paul II, Galileo Galilei, 350 ans d’histoire , 1633-1983, in Cultures et Dialogue, 1 Studi Galileiani, Desclée International, 1983.
11. Il s’agit d’un fait politique où une populace excitée et fanatique vu son manque de formation religieuse a été scandaleusement manipulée. (Cf. LABROUSSE E., JOUTARD Ph., ESTEBE J. et LECUIR J., Le Massacre de la Saint-Barthélemy, ou les résonances d’un massacre, Labor et Fides, 1976).
12. 1747-1766. Condamné à avoir la langue, le poing coupé, à être décapité et brûlé pour avoir prétendument mutilé une statue du Christ. Le roi de France Louis XV, sollicité, lui refuse la grâce malgré l’intervention de l’évêque d’Amiens. Voltaire s’emparera de cette affaire pour dénoncer l’arbitraire de la justice au XVIIIe siècle. La Barre est devenu un martyr de la libre-pensée, honoré comme tel.
13. Jean Calas 1698-1761. Ayant trouvé son fils pendu, il maquille le suicide en assassinat pour que son fils ne subisse pas l’infamie réservée aux suicidés. La rumeur l’accusa de ce meurtre qu’il aurait perpétré pour empêcher son fils de se convertir au catholicisme. Il fut condamné à la roue et exécuté. Sa femme et son plus jeune fils sollicitèrent et obtinrent l’aide de Voltaire. L’enquête fut reprise : Jean Calas et sa famille furent déclarés innocents. Cette affaire comme la précédente mettant en cause la justice d’Ancien Régime est devenue un devenue un exemple d’intolérance catholique. (Mourre)
14. Nous aussi.
15. 1864. L’auteur l’attribue à Grégoire XVI alors qu’il est de Pie IX.
16. PEÑA-RUIZ H., La spiritualité est irréductible à la religion, in l’Humanité, 27-12-2007.
17. 1033-1109.
18. Cf. BARTH Karl, CORREZE Jean, S. Anselme : Fides quaerens intellectum ; La preuve de l’existence de Dieu, Labor et Fides, 1989, p. 58.
19. Cf. COLOMAN Viola (CNRS-Paris), Saint Anselme, ses historiens et les théologiens, Critique de quelques vues récentes, A propos des Actes du Colloque de Bec Hellouin, 1982 : Les mutations socio-culturelles des XIe-XIIe s. dans Cahiers de Civilisation médiévale. Xe-XIIe s., XXVIe année, n° 4 (octobre –décembre) 1983, pp. 385-388 ; voir aussi son article in Lacoste).
20. Il s’agit de Grégoire VII qui posa les bases d’une véritable théocratie pontificale en affirmant le droit du pape de déposer les souverains (Mourre).
21. De Gélase Ier, +496, qui distingua les deux pouvoirs tout en soulignant la plus grande importance du pouvoir pontifical.
22. GRANDJEAN M., Laïcs dans l’Église, Beauchesne, 1994, pp. 272-273 et 280.
23. 1090-1153. Saint Augustin, comme nous le verrons plus loin, avait déjà évoqué la responsabilité du pouvoir temporel en matière religieuse et établit les moyens d’action respectifs des deux pouvoirs face aux hérésies.
24. Notes i et j de la Bible de Jérusalem, p. 1514.
25. BREM Hildegard, o.c., Introduction au De Consideratione de saint Bernard, disponible sur www.citeaux.net/brem/instructions-4.htm)
26. Cf. http://ecours.univ-reunion.fr, site de la Faculté de droit et d’économie de l’Université de la Réunion.
27. 1198-1216. 
28. Cité in GIRRE Claire et Xavier, L’indispensable des notions politiques, Studyrama, 2005, p. 45.
29. 1180 ?-1254.
30. 1235-1303.
31. 1302.
32. Il s’agit du cardinal Matthieu d’Acquasparta, rédacteur présumé de la bulle.
33. Arnaud Amalric ou Amabric ou Amaury (+1225) ancien abbé de Poblet puis de Cîteaux, fut désigné par le pape Innocent III (1160 ?-1216) pour diriger la croisade contre les Albigeois. Il finit archevêque et duc de Narbonne. Ce cistercien-soldat plus préoccupé de guerre et de conquête que d’évangélisation n’a jamais prononcé cette parole devenue fameuse (Mourre). Le seul auteur à citer cette phrase est le moine cistercien allemand Césaire d’Heisterbach (in Dialogus miraculorum, 1219-1232). « Le mot ne peut être tenu pour authentique. Mais il est vrai qu’Arnaud voulut, comme les barons français, des gestes sanglants pour terroriser le pays » (VICAIRE Marie-Humbert Histoire de saint Dominique, Cerf, 2004, p. 190, citant Molinier dans VIC Claude de, VAISSETE Joseph, MEGE Alexandre du, Histoire générale du Languedoc, Paya, 1841, VI, 289, n. 7).
   Arnaud Amalric outrepassa la volonté du pape. Marie-Humbert Vicaire rappelle (op. cit., p. 192) que saint Augustin, dans la campagne contre les donatistes recommandait, dans l’ordre, d’argumenter, d’avertir, d’excommunier, de sévir. Vu le peu d’effet des exhortations, reproches, supplications, menaces fraternelles, il fallait se résoudre à l’anathème.  Et, « après avoir hésité davantage, saint Augustin avait également accepté l’appui de la législation impériale contre les hérétiques, à l’exception de la peine de mort ». Saint Bernard qui soutint Innocent II et conseilla Eugène III, son ancien disciple, suivit cette politique : « Prédication, monition, réconciliation ou excommunication, punition, telles étaient encore les quatre étapes des opérations contre les hérésies que saint Bernard enseignait à ses correspondants, ou distinguait dans ses sermons ». Notamment dans les lettres à Everwin de Steinfeld et les 3 sermons sur Capite nobis vulpes parvulas. Vicaire en donne quelques extraits (op. cit., pp. 192-193): « Ce n’est point par les armes, mais par les arguments qu’il faut prendre les hérétiques », c’est-à-dire « les convaincre et les convertir ». « La foi se transmet par la persuasion et non par la contrainte. » Si les « malsentants », cependant, ne se laissent pas convertir, « après une, deux et trois monitions », il faut les séparer de la communauté et « les éviter désormais ». Enfin, s’ils s’obstinent encore et deviennent un danger pour tout le troupeau, le mieux est de les « mettre en fuite », en les expulsant par le bras séculier. (PL 183, 1086 D, 1087 A, 1101 A.)
   Dans la correspondance d’Innocent III, on retrouve ces principes. Il faut d’abord « aller porter la bonne parole du Seigneur » (Lettre à Philippe-Auguste, 7-2-1205). Il faut « se consacrer au ministère de la parole et de l’enseignement doctrinal » (Lettre à Bérenger de Carcassonne, 28-V-1204). Le légat doit « remplir avec cœur son ministère propre, sa charge d’évangéliste, en insistant à temps et à contretemps, par ses arguments, ses supplications, ses reproches, en toute patience et clarté de doctrine » (Lettre à Pierre de Castelnau –légat du pape, 26-1-1205). « Nous voulons et vous exhortons à procéder de telle sorte que la simplicité de votre attitude manifeste aux yeux de chacun, ferme la bouche aux ignorants comme aux gens sans bon sens, et que rien n’apparaisse dans vos actes ni dans vos paroles que même un hérétique soit capable de critiquer » (Lettre du 31-5-1204).
34. Le 22-7-1209 les ribauds à l’insu des chevaliers pillent Béziers, massacrent et mettent le feu à la ville quand les chevaliers intervinrent (VICAIRE Marie-Humbert, op. cit., pp 282-283).
35. On en connaît, hélas, une version moderne avec cette photographie d’un soldat américain en Irak lisant la Bible, avec sur son bandana l’inscription : « Kill them all ». (cf .Télérama, n° 2778, 10-4-2003).
36. 354-430.
37. Le texte est disponible sur www.abbaye-saint-benoit.ch
38. Durant les persécutions du début du IIIe siècle, un certain nombre de chrétiens menacés de mort avaient renié leur foi. Ces « lapsi » (ceux qui sont tombés), le synode de 251 proposa de les réadmettre après un temps de pénitence.
   Sous Dioclétien (284-305), entre 303 et 305, une nouvelle persécution poussa de nombreux membres du clergé à livrer les Écritures. Ils furent appelés « traditeurs » (ceux qui livrent –traditor signifie traître). Les donatistes, disciples de Donat, évêque de Cellae Nigrae en Numidie, les bannirent définitivement de l’Église. « Dans leur opposition aux traditeurs, les donatistes furent amenés à proclamer que la validité des sacrements dépendait de la sainteté des ministres » (Lacoste). Se constitua ainsi une église de purs, établie en Afrique et détachée de l’Église universelle Cette intransigeance eut beaucoup de succès d’autant plus que les adeptes recherchaient le martyre et impressionnaient ainsi le peuple. Malgré une condamnation de l’empereur Constantin (306-337), une dure répression de l’empereur Constant (337-350) confronté à des révoltes, puis encore des mesures prises par l’empereur Honorius (395-423), le mouvement donatiste ébranla l’Église d’Afrique jusqu’au VIIe siècle. Toutefois, il perdit de son influence à partir de 411 où eut lieu la Conférence de Carthage qui donna enfin la victoire aux catholiques minoritaires jusque là.
39. Il s’agit de Constantin auquel les donatistes avaient eux-mêmes recouru dans l’espoir de déposer un évêque soupçonné (à tort) d’avoir été « traditeur » ou du moins d’avoir eu de la compassion pour un de ces « traditeurs ».
40. Saint Augustin ajoute : « Quand les empereurs font de mauvaises lois pour le mensonge, la vraie foi est éprouvée et la persévérance couronnée ; quand ce sont des lois pour la vérité contre le mensonge, les méchants tremblent et ceux qui comprennent se corrigent. Quiconque donc refuse d’obéir aux lois des empereurs portées pour la vérité de Dieu, s’expose à un grand supplice. » Il renvoie aux rois de l’Ancien Testament.
41. Il faut savoir que dans leur recherche du martyre, les donatistes, comme le raconte saint Augustin, « allaient en grands troupes au milieu des fêtes païennes, non point pour renverser les idoles, mais pour se faire tuer par leurs adorateurs. (…) Quelques-uns de ces furieux se jetaient même sur des voyageurs armés, les menaçant de les tuer si ces voyageurs ne les tuaient pas. Parfois encore ils demandaient violemment à des juges qui passaient qu’ils les livrassent aux bourreaux. (…) Et même aussi c’était un jeu de tous les jours de se jeter dans des précipices, dans l’eau et le feu pour y trouver la mort. »
42. Gn 16, 1-9.
43. Ac 9, 1-48.
44. Lc 14, 22-23.
45. « Que dirons-nous de ceux qui chaque jour nous avouent que depuis longtemps ils voulaient être catholiques, mais qu’ils vivaient au milieu de gens qui les faisaient trembler et qui les menaçaient de leur vengeance eux et leur maison, au premier mot en faveur de l’Église catholique. »
46. « Quel maître n’était forcé de craindre son serviteur, quand celui-ci se mettait sous la protection de ces forcenés ? Qui eût osé parler trop haut à un pillard, contraindre un voleur ou un débiteur qui les auraient appelés à leur secours ? De méchants esclaves, qui voulaient devenir libres, menaçaient leurs maîtres du bâton, de l’incendie et de mort, et obtenaient la destruction des titres de leur servitude. On arrachait aux créanciers leurs titres pour les rendre aux débiteurs. Quiconque méprisait les dures paroles de ces furieux était forcé par des coups plus cruels à faire ce qu’ils ordonnaient. Des innocents qui avaient eu le malheur de leur déplaire voyaient leurs maisons jetées bas ou dévorées par les flammes. Des pères de famille de bonne naissance et de noble éducation ont été emportés à peine vivants après les violences exercées sur eux ; ou bien attachés à la meule ils ont été forcés, à coups de fouet, de la tourner comme de vils animaux. (…) il n’y avait presque aucune de nos églises qui se trouvât à l’abri de leurs insultes, de leurs agressions, et de leurs brigandages ; tout chemin avait perdu sa sécurité pour ceux qui prêchaient, contre leurs violences, la paix catholique et opposaient à tant de folies les lumières de la vérité. Une dure situation était faite non seulement aux laïcs et aux clercs, mais encore aux évêques catholiques : ils étaient placés dans l’alternative de taire la vérité ou d éprouver tout ce que peut la barbarie. » Un évêque eut les mains et la langue coupées, d’autres furent massacrés, des maisons furent pillées, incendiées, de même que des églises avec leurs livres saints. Augustin évoque des fidèles dont les yeux furent brûler avec de la chaux détrempée dans du vinaigre (cf. lettre 880) ou encore l’évêque Maximien roué de coups de bâton et de bois arrachés à l’autel de sa basilique, il reçut un coup de poignard puis fut jeté du haut d’une tour. Soigné par de pieuses gens, il survécut à ses blessures.
47. Augustin cite de nouveau ses exemples tirés de l’Ancien Testament : Ezéchias (2 R 18, 4), Josias (2 R 22), le roi des Ninivites (Jon 3, 6-9), Darius (Dn 6), Nabuchodonosor (Dn 3, 28-29).
48. Augustin rappelle tout de même que Paul menacé s’en alla trouver l’autorité romaine et lui demanda secours ( cf. Ac 22-25).
49. Théodose Ier (346-395). Augustin ne retient ici qu’une loi mais cet empereur qui fit du christianisme une religion d’État prit de nombreuses mesures légales contre le paganisme. Il interdit les opérations divinatoires (381), l’entrée des temples (392), le culte domestique des dieux (392). Il donna aussi aux chrétiens d’anciens temples et fit détruire ceux que les païens refusaient de céder (Mourre).
50. Littéralement : « ceux qui rôdent autour des greniers ». Ce sont à l’origine des ouvriers agricoles qui louaient leurs services. Au IV e siècle, leur situation empira et ils formèrent des bandes révoltées. Les donatistes s’allièrent à ces circoncellions pour lutter contre le pouvoir de l’empereur. Leur rébellion fut anticatholique et anti-romaine.
51. « En sollicitant dans ces termes la mise en vigueur du décret de Théodose, on ne contraignait point à la foi par voie de politique, mais on invoquait le secours des lois dans le dessein de protéger la vie, les intérêts, la liberté d’une portion considérable de sujets africains. »
52. Il accuse aussi (cf. Libération, 20-9-2006) saint Augustin d’être l’auteur du credo quia absurdum alors que la formule est attribuée à Tertullien ( 160 ?-225 ?) dans le De carne Christi (5,4) (Cf. ASKANI Hans-Christoph, KAENNEL Lucie, BIRMELE André, BUHLER Pierre, Introduction à la théologie systématique, Edicioes Loyola, 2008, p. 42).
   « Que n’a-t-on pas dit à propos du fameux credo quia absurdum, credo quia impossibile ? On a reproché à Tertullien, non seulement d’opposer la foi à la science, mais de tirer de cette opposition une preuve de la divinité du Christianisme. La violence de l’expression lui servait de correctif. Quoi ! Tertullien aurait déclaré le Christianisme absurde aux yeux de la saine raison et fait valoir cette absurdité même comme le plus solide fondement de sa croyance ! Mais lui-même a entrepris de justifier la religion chrétienne, et montre l’accord de la raison avec la foi ; il prouve la haute antiquité des Écritures, l’inspiration surnaturelle des Prophètes, la divinité de Jésus-Christ ; puis il invite les païens à peser la valeur de ses arguments. « Examinez, dit-il, si le Christ est vraiment Dieu, si la croyance à sa divinité corrige et rend meilleurs ceux qui la professent. Si cela est, il s’ensuit qu’il faut mettre les objets de votre culte au rang des fausses divinités. » Ailleurs, il déclare téméraire toute croyance dont on n’a pas reconnu et vérifié les fondements. Que signifie donc le credo quia absurdum ? L’absurdité dont il s’agit n’a rien de flétrissant pour al foi ; elle n’est autre chose que la folie de la Croix dont parle l’Apôtre. Le mystère du Verbe incarné contredit la fausse sagesse de l’homme charnel ; loin d’en rougir, le chrétien doit au contraire s’en glorifier : car la sagesse du monde est folie devant Dieu. Tertullien n’a donc fait que traduire à sa manière la pensée de saint Paul. » (THOMAS abbé, La philosophie grecque et la théologie chrétienne dans les premiers siècles, in Revue du monde catholique, Sixième année, Tome quinzième, Paris, 1806,  Deuxième partie, § III p. 457).
   René Braun (université de Nice) confirme (in Lacoste) : « il n’a pas été ce champion de l’irrationalisme qu’on a longtemps voulu voir en lui : le fameux credo quia absurdum est inauthentique mais ce qu’il a dit d’approchant (cf De carne Christi, 5, 4) ne fait que prolonger le paradoxe paulinien de1 Co 1, 25 en le combinant avec un argument rhétorique tiré d’un lieu commun qui mettait en jeu le vraisemblable et l’invraisemblable. Tertullien d’ailleurs a su largement puiser dans l’arsenal d’une pensée philosophique à base stoïcienne. » Si, dans un premier temps, il a refusé toute discussion laissant à l’Église toute autorité dans l’interprétation des Écritures, « il a dépassé cette attitude négative, pour réfuter avec des arguments de raison des conceptions théologiques, christologiques, anthropologiques (…). »
53. Inversement, il est aberrant de justifier le présent par le passé. Considérer qu’une chose est bonne parce qu’on l’a toujours considérée ainsi ou excuser une attitude répréhensible par l’erreur commise par d’autres jadis. Ainsi, lorsque Ayaan Hirsi Ali (née Somalie en 1969, a collaboré avec Théo van Gogh à la réalisation de son film Submission) a déclaré que l’islam est incompatible avec la démocratie, l’homme politique français François Bayrou a réagi en disant que « le christianisme aussi, il y a trois cents ans, était incompatible avec la démocratie », un journaliste (STOENESCU Radu, Délivrons les musulmans du discours de Dounia Bouzar, 19-3-2008 sur www.ripostelaïque.com) réagit vivement : « Comme si c’était un contre-argument ! Monsieur Bayrou, on s’en fout complètement de l’incompatibilité du christianisme d’il y a trois cents ans avec la démocratie d’aujourd’hui. Ayaan parle de l’islam d’aujourd’hui, pas de celui qui existera peut-être dans trois siècles ! qu’est-ce que cela peut nous faire si l’islam sera enfin compatible avec les valeurs de la république quand nous serons morts depuis longtemps ? Le problème que soulève Ayaan est celui de l’incompatibilité présente entre l’islam actuel et la démocratie actuelle. Monsieur Bayrou, et tous ceux qui reprennent ce pseudo-argument, ne font qu’éluder le problème : ils ne veulent pas voir l’islam d’aujourd’hui, mais celui qu’ils fantasment, et qu’ils aimeraient voir enfin exister : l’islam démocratique. Dire que le christianisme d’il y a trois siècles était aussi incompatible avec la démocratie, n’excuse pas l’islam de l’être aujourd’hui. Ce n’est pas parce que la démocratie a eu des problèmes avec d’autres religions qu’elle n’en a pas avec celle-ci ! Remettons les choses à l’endroit, Monsieur Bayrou : si vous faites ce parallèle, vous reconnaissez en effet que l’islam est arriéré ! Si vous faites ce parallèle, vous avouez en fait que l’islam d’aujourd’hui est comme le christianisme d’il y a trois siècles : fanatique, fermé et dangereux pour la république. »
54. La guerre et la paix, op. cit., p. 137.
55. Cité in JUGNET L., Problèmes et grands courants de la philosophie, Cahiers de l’Ordre français, 1974, p. 170.
56. Docteur en histoire des religions l’université de Paris-Sorbonne, membre de l’Institut de Recherches pour l’Étude des Religions, auteur de Dieu en guerre, La violence au cœur des trois monothéismes, Albin-Michel, 2002.
57. Cf. RASTOIN Sr Cécile, O.C.D., in Esprit & Vie, n° 171, mai 2007, pp. 24-25.
58. DOUSSE M., op. cit., p. 226.
59. Id., p. 222.
60. RASTOIN Sr Cécile, op. cit..
61. Nous verrons plus loin que la guerre de Josué dont l’auteur fait grand cas, avec d’autres, ne s’est pas déroulée en Israël ; que beaucoup font une distinction entre sourates médinoises et mecquoises. Enfin, nous aurons l’occasion d’étudier la violence, dans la Bible, à la fois dévoilée, dénoncée et surmontée.
62. Religiologiques est une revue de sciences humaines qui s’intéresse aux manifestations du sacré dans la culture ainsi qu’au phénomène religieux sous toutes ses formes. Elle s’intéresse également au domaine de l’éthique. Religiologiques est publiée avec l’appui financier du Département des sciences religieuses, du Comité des publications de l’Université du Québec à Montréal et du fonds Gérard-Dion (Québec). Elle paraît deux fois l’an.
63. Cf. GEOFFROY Martin, VAILLANCOURT Jean-Guy et CAMPOS Élisabeth, « Présentation. Perspectives sur les liens entre la religion, la violence et le contrôle social » in Religiologiques, no. 31, Printemps 2005, pp. 7-14. Martin Geoffroy est sociologue, professeur adjoint de sociologie à l’Université de Moncton. J ;-G. Vaillancourt sociologue, professeur Université de Montréal : Elisabeth Campos, juriste, Centre de Criminologie comparée, Université de Montréal
64. GEOFFROY Martin, Le nouveau paradigme de la violence religieuse comme forme de résistance et de contrôle social dans le contexte de la modernité avancée, in Religiologiques, n° 31, Printemps 2005, pp. 27-36.
65. L’auteur reprend cette définition du terrorisme : « Ce sont des actes publics de destruction, commis sans objectif militaire clair, qui stimulent un sentiment général de peur ». (JUERGENSNEYER M., Terror in the Mind of God, The Global Rise of Religious Vilolence, in Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 43, n° 3, p. 5).
66. Régis Debray parle aussi de l’ambivalence du religieux mais en insistant sur un autre aspect : « Ce qui m’intrigue c’est comment s’articulent la charité et l’agressivité, l’identité (c’est-à-dire la séparation) et la réconciliation. Evidemment de telles oppositions sont imputables à l’homme, qui les projette sur un écran mythique, qui transpose en les agrandissant ses propres contradictions dans un monde surnaturel. Nous avons besoin de nous rassembler, et nous ne pouvons le faire que dans une valeur qui nous dépasse. Mais celle-ci nous oblige à nous opposer à d’autres, autrement dit on ne peut s’identifier qu’en refusant l’identité de l’autre. Toutes les civilisations sont nées d’une dissidence ou d’une révolte, avec pour raison d’être de n’être pas la civilisation voisine. » (R. Debray, à propos de son livre Le feu sacré, Fonctions du religieux, Fayard, 2003, in Télérama, op. cit.). Nous verrons plus tard que cette situation peut être dépassée.
67. M. Geoffroy s’appuie ici sur les travaux du sociologue américain APPLEBY Scott R., The Ambivalence of the Sacred. Religion, Violence and Reconciliation, Rowan and Littlefield, 2000.
68. Par exemple, « lorsque des soldats américains ont supposément jeté des exemplaires du Coran aux toilettes, cette information a rapidement fait le tour de la planète et de violentes manifestations ont alors éclaté un peu partout dans le monde musulman. Il est évident que les extrémistes religieux de tout acabit profitent de la globalisation des moyens de communication et de transport pour répandre leur culture de la peur et de la mort. »
69. GEOFFROY Martin et VAILLANCOURT Jean-Guy, Les groupes catholiques intégristes, Un danger pour les institutions sociales, in DUHAIME Jean et ST-ARNAUD Guy-Robert, La peur des sectes, Fides (Montréal), 2001, pp. 127-141.
70. Les auteurs citent, en France, la Fraternité Saint Pie X, et la Contre-réforme Catholique ; au Canada, les Bérets Blancs, l’Armée de Marie et les Apôtres de l’Amour infini.
71. Le plus dangereux d’entre eux est le groupe canadien des Apôtres de l’Amour infini qui a eu des ennuis avec la justice pour agressions sexuelles et séquestration d’enfants surtout. Le cas des Béret Blancs est moins grave : ils refusent d’envoyer leurs enfants à l’école pour des raisons morales (éducation sexuelle et suppression des emblèmes religieux)
72. Théologies de la guerre, Spiritualités et pensées libres, Université de Bruxelles, 2006, p. 7.
73. Entre le Ve et le IVe siècle avant notre ère.
74. Bataille qui eut lieu le 8-11-1620, près de Prague, qui vit la victoire d’une armée catholique sur une coalition réputée hérétique (cf. CHALINE O., La bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620), Un mystique chez les guerriers, Noesis, 1999.
75. Né en1883 et tué au combat en 1914, à Rossignol, au nord de la Gaume (Belgique).
76. 1871-1959.
77. Professeur d’Histoire de l’Occident moderne à l’Université de Tel-Aviv, ancien ambassadeur d’Israël en France, directeur du Comité scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles. Sans que nous puissions être entièrement d’accord avec toutes ses considérations, l’auteur ne manque pas d’intérêt. Il déclarait dans L’Echo du 10-10-2008 : « Je ne suis ni chrétien, ni croyant. Et je ne pense pas que l’Europe soit un club chrétien. Mais l’Église a été le fondement de l’Europe (…). Ce n’est qu’énoncer un fait d’histoire. Il faut dire que l’on reconnaît cela, avec ce qui a été grand, petit, misérable, criminel… Il faut expliquer comment cela a évolué, comment l’héritage chrétien s’est sécularisé »
78. Les religions meurtrières, Café Voltaire-Flammarion, 2006, p. 16.
79. Affirmer que le christianisme « a évangélisé à la pointe de l’épée l’Amérique, puis des morceaux d’Asie et d’Afrique » paraît un peu court (op. cit., p. 11).
80. Id., p. 19.
81. Id., p. 23.
82. Dans un premier temps, l’auteur avait distingué le fondamentaliste de l’intégriste en considérant le premier comme « sécessionniste et pacifique » et le second comme « politique et violent ». A la réflexion, il maintient une différence : l’intégriste « entend figer toute évolution des croyances et des pratiques dans un système supposé définitif et immuable, dans une tradition sacralisée une fois pour toutes par l’usage et l’autorité des anciens ». Mais reconnaît-il finalement, l’intégriste ne serait gênant que s’il décidait « de prendre le maquis pour imposer à tout le monde l’abrogation des décrets de Vatican II et la messe selon saint Pie X (sic !) » (pp. 39-40). A propos de l’islam, « la différence, écrira-t-il, entre fondamentalisme et intégrisme d’une part, fondamentalisme révolutionnaire de l’autre » se remarque au fait que « les premiers veulent appliquer la charia et ramener les individus vers l’islam, c’est ainsi qu’agit le prosélytisme wahhabite. Le second cherche à instaurer un ordre islamique mondial » (p. 93), le « califat mondial » de l’islamiste britannique Abou Hamza (p. 105)
83. Id., pp. 34-35.
84. Id., pp. 36-37.
85. Id., p. 38.
86. Id., p. 25. L’auteur ajoute : « sauf dans nos sociétés dûment sécularisées, précisément. » Ce qui nous révèle qu’il considère que dans ces sociétés, la religion ne serait plus qu’une affaire privée. Ce qui est le rêve du laïcisme mais qui est contraire, nous le savons, à la nature même de la foi chrétienne et à la vocation du laïcat.
87. Id., p. 41.
88. Id., p. 56.
89. Id., p. 43.
90. Id., p. 49.
91. Id., p. 50.
92. Id., p. 54.
93. Id., p. 51.
94. Id., p. 57.
95. Id., p. 67.
96. Id., p. 79. On retrouve « dans l’islam radical les mêmes structures mentales et sentimentales que dans le catholicisme ligueur » (id., p. 16) c’est-à-dire dans la Sainte Ligue ou Sainte Union conduite par la maison de Guise. De 1576 à 1596, elle lutta politiquement et avec les armes, contre toutes les concessions faites aux protestants, menaçant sans cesse Henri III jugé trop tendre et peu fiable. Le roi fut finalement déchu puis assassiné par un moine ligueur. Cette contestation religieuse et politique s’éteignit avec la conversion au catholicisme d’Henri de Navarre, Henri IV (Mourre).
97. BARNAVI, op. cit., pp. 62-65.
98. Id., p. 78.
99. Id., p. 79.
100. Id., pp. 82-83.
101. Id., pp. 84-85.
102. Id., p. 86. Se basant sur un rapport du Programme des Nations-Unies pour le Développement, l’auteur note que « l’ensemble du monde arabo-musulman a traduit en dix siècles moins d’ouvrages étrangers que l’Espagne n’en traduit en une seule année ! » Il commente : « censure politique et religieuse, manque de curiosité, mépris pour ce qui se fait ailleurs, tout se combine pour transformer une civilisation jadis brillante et dominatrice en un vaste ghetto coupé du reste du monde. » (Id., p. 90).
103. Id., p. 87.
104. Id. p. 92. Ses théoriciens principaux sont les Égyptiens Hassan el-Banna (1906-1949) fondateur des Frères musulmans et Sayyid Qotb (1906-pendu en 1966).On peut aussi citer le Pakistanais Abou el-Alaa al Maoudoudi ((1903-1979)
105. Id., pp. 96-97.
106. Id., pp. 97-98.
107. Id., p. 101. Ce terrorisme a ses théoriciens. Barnavi cite Abdullah Azzam, d’origine palestinienne, formé en Égypte et actif en Afghanistan (1941-assassiné en 1989), le jordanien Abou Moussab al-Zarkaoui 1966-tué en 2006 par les Américains), le malaisien Nasir Abas (condamné en 2002 pour l’attentat de Bali), l’Égyptien Abou Hamza (1967- tué en Irak lors d’un raid américain).
108. Dounia Bouzar est née à Grenoble en1964 et s’est convertie à l’islam en 1991. Elle est anthropologue du fait religieux, expert pour l’Union Européenne sur la prévention de l’intégrisme. En janvier 2005, elle a démissionné du Conseil Français du Culte Musulman. Elle a été désignée par le Time Magazine « héroïne européenne » pour son travail novateur sur l’islam. Elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques. Chargée de recherche à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, elle a co-fondé le projet Dynamique Diversité (cf. Saphirnews.com). Ses prises de position sont contestées aussi bien dans certains milieux musulmans que dans les milieux laïcistes. Outre Quelle éducation face au radicalisme religieux ?, Denoël, 2006, dont s’inspire Barnavi, elle a publié divers ouvrages où elle lutte contre les préjugés et les raccourcis liés au fait islamique et dénonce l’islamisation des problèmes sociaux et la politisation de l’islam : L’islam des banlieues. Les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux ? Syros 2001 ; A la fois française et musulmane, La Martinière, 2002 ; L’une voilée l’autre pas, Albin-Michel, 2003 ; A la rencontre des musulmans, La Martinière, 2003 ; Monsieur, l’islam n’existe pas, Hachette, 2004 ; Ca suffit ! Denoël, 2005 ; L’intégrisme, l’islam et nous, on a tout faux !, Plon, 2007.
109. BARNAVI, op. cit., p. 1108.
110. Id., pp. 109-110.
111. Id., p. 118.
112. Id., p. 119.
113. Id., pp. 19-121.
114. Id., p. 125.
115. Id., p. 126
116. Id., p. 137.
117. Id., p. 136.
118. In Télérama, op. cit..
119. Fr J.-M. Maldamé, professeur de théologie à l’Institut catholique de Toulouse, membre de l’Académie pontificale des sciences.
120. MALDAME J.-M., La violence des religions, Un regard critique, sur http://www.portstnicolas.org
121. L’auteur cite Gn 9, 25-26 ; Ps 149, 6 ; Is 60, 13-16.
122. C’est le politologue Raymond Aron (1905-1983) qui a développé ce concept de religion séculière. Il a employé pour la première fois cette expression en 1943 : « Je propose d’appeler religions séculières les doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité » Il pensait surtout au socialisme. Dans le même sens, avant lui, l’historien Arnold Toynbee (1889-1975) parlait d’ « idéologies post-chrétiennes » : « Etant donné que l’homme ne peut vivre sans religion, quelle qu’en soit la forme, le recul du christianisme en Occident a été suivi par la montée de religions de remplacement sous la forme des idéologies post-chrétiennes –le nationalisme, l’individualisme et le communisme » (cf. SIRONNEAU Jean-Pierre, Sécularisation et religions politiques, Walter de Gruyter, 1982, pp.205- 206). Aujourd’hui , cette expression de « religion séculière » ou d’« utopie sociale » n’est plus seulement appliquée au national-socialisme (cf. BEDARIDA François, Kérygme nazi et religion séculière, in Esprit, janvier 1996) ou au marxisme-léninisme qui sont passés de mode. Marcel Gauchet reprend ces idées dans La religion dans la démocratie (Gallimard 2000 ; cf. http://gauchet.blogspot.com) ; L’économiste William Nordhaus (New York Review of Books ) écrit : « Il existe une religion séculière à l’échelle mondiale, qu’on peut appeler l’écologie. Selon cette religion nous sommes responsable de la terre, polluer la planète des déchets de notre vie de luxe est un péché, et pour retourner sur le droit chemin nous devons vivre aussi frugalement que possible. Cette morale écologique est enseignée dans les maternelles, les écoles et les universités du monde entier. L’écologie a remplacé le socialisme comme principale religion séculière…C’est une religion que nous pouvons partager, que nous croyons ou non que le réchauffement climatique est néfaste. Malheureusement, un article de foi de certains écologistes veut que le réchauffement soit la menace la plus grave pesant sur notre planète. C’est pourquoi les débats sur cette question sont devenus si vifs et passionnés » ; K.-J. Kuschel pose la question : La culture esthétique, religion séculière ? in Concilium n° 279, Editions universitaires (Fribourg-Suisse), 1999 ; sous le pseudonyme de Zone-7, un autre auteur affirme : A chacun ses droits de l’homme-Une nouvelle religion séculière, in  Courrier international, 10-12-2008 ; édulcorant l’expression, Susan George et Fabrizio Sabelli écrivent Crédits sans frontières, La religion séculière de la Banque mondiale, La découverte, 1994.