Aujourd’hui, de plus en plus de gens se demandent si la religion, en
définitive, n’engendre pas systématiquement la violence, ou du moins si
elle ne l’encourage pas, la cautionne néanmoins. Toute une série
d’événements ont nourri cette opinion. Non seulement la longue guerre civile en
Irlande les guerres dans
l’ex-Yougoslavie, ou les persécutions contre les chrétiens en
Indonésie, en Inde, en Asie, mais surtout une multiplication d’attentats
et d’actes violents inspirés par des groupes religieux dont les plus
meurtriers et les spectaculaires sont les attentats du 11 septembre 2001
à New-York, du 11 mars 2004 à Madrid et du 7 juillet 2005 à Londres.
Tous ces événements sont à l’origine d’un certain nombre de jugements à
l’emporte-pièce mais aussi d’études universitaires. Certains prennent
pour cible telle religion mais, généralement, la plupart des études
envisagent globalement le phénomène religieux.
Parmi les critiques partiales, voire caricaturales, on peut citer
l’œuvre d’Henri Peña-Ruiz chantre
de la laïcité, il vaudrait mieux dire, comme nous l’avons vu
précédemment, du laïcisme qui seul peut faire barrage à la violence.
L’auteur accuse régulièrement le christianisme, d’être responsable des
violences déplorées. C’est, dit-il, le christianisme qui a « inventé le
thème du peuple déicide créant l’antisémitisme
, la notion d’hérésie et les bûchers de
l’Inquisition, l’index des livres
interdits »,
il rappelle « Giordano Bruno brûlé vif en place de Rome en 1600
, Galilée obligé de se rétracter sur le
mouvement de la terre en 1632 sous peine d’être condamné à mort
, les 3.500 protestants massacrés à Paris lors de
la nuit de la Saint-Barthélemy, les assassinats
légaux du chevalier de La Barre, de Callas (sic)
_… »_. Il
dénonce 1.500 ans de « cléricalisme politique », le Syllabus qui « lance l’anathème contre la
liberté de conscience et les droits de l’homme ».
Peña-Ruiz s’en prend également aux « inspirateurs » de ces pratiques et
ceci est plus grave car la question est de savoir si les vraies
exactions commises par des religieux ou par le peuple chrétien sont en
conformité avec l’enseignement du Christ ou non.
Le premier à être mis en question est saint Anselme (sic) qui, nous dit
Peña-Ruiz, « affirmait que l’Église doit user de deux glaives : le
glaive spirituel de l’excommunication et le glaive temporel du châtiment
corporel, allant jusqu’à la mise à mort des hérétiques et des
mécréants ».
Cette accusation sans références pose problème. Est visé, sans doute, le
théologien saint Anselme de Cantorbéry mais la
pensée qu’on lui attribue ne lui ressemble pas. Si l’on met en parallèle
la pensée authentique de saint Anselme et les Croisades, on constate que
ses écrits « sont caractérisés par une douceur remarquable précisément
dans la polémique ». On nous dit aussi qu’il « connaît
tous les abus –pillages, convoitises, ravages- commis par certains
croisés lors des croisades. Il prévient donc de ce danger ceux qui s’y
préparent et, surtout, ceux qui, dans sa vision prophétique, sont
appelés à vivre dans cette Jérusalem qu’est la vie monastique »
. Par ailleurs, touchant
précisément à la question du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel
(les deux glaives), Michel Grandjean écrit : « l’archevêque de
Cantorbéry accorde une trop faible importance aux questions
institutionnelles et surtout une trop grande place au pouvoir civil pour
qu’on puisse le ranger parmi les disciples d’Hildebrand. Personne moins que lui ne cherchait d’ailleurs à entrer
en conflit avec le roi puisque, au moment tout au moins de sa
désignation à l épiscopat, il considérait sur un même plan les pouvoirs
temporel et spirituel, allant jusqu’à comparer l’Église d’Angleterre à
une charrue tirée non pas par le seul archevêque de Cantorbéry, mais par
deux bœufs d’une puissance supérieure à tous les autres, le roi (nommé
en premier !) et l’archevêque. Il accepta même sans sourciller, on l’a
vu, d’être investi par le roi : signe évident à la fois de son
désintérêt pour les affaires canoniques et de son ignorance de la
législation grégorienne. Par la suite il s’est toujours montré prêt à
reconnaître le pouvoir civil comme un pouvoir fort puisque, dans son
esprit, l’archevêque et le roi sont appelés à occuper des fonctions
étroitement complémentaires dans l’Église d’Angleterre, le premier en
tant que gardien (custos), le second en tant qu’avoué ou protecteur
(advocatus). » L’auteur note encore que la conception d’Anselme
« s’écarte donc notamment de la doctrine grégorienne qui sépare
l’Église du monde, mais encore de l’ecclésiologie carolingienne
traditionnelle, qui envisageait les ordres sacerdotal et royal au sein
de l’Église. Elle s’apparente davantage à la représentation gélasienne
de la
société. »
En réalité, la doctrine des deux glaives est due, tous les historiens
sont d’accord, à saint Bernard de Clairvaux qui, en fait, la
renouvelle, dans le De consideratione ad Eugenium
(II, 1. IV, c. 3) où il interprète d’une manière tout à fait
particulière ce passage de Lc 22, 35-38 : « Et il leur dit : « Quand
je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de
quelque chose ? » Ils répondirent : « De rien. » Il leur dit :
« Maintenant, par contre, celui qui a une bourse, qu’il la prenne ; et
celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une.
Car je vous le déclare, il faut que s’accomplisse en moi ce texte de
l’Écriture : On l’a compté parmi les criminels. Et, de fait ce qui me
concerne va être accompli. –Seigneur, dirent-ils, voici deux épées. » Il
leur répondit : « C’est assez ». » Jésus dans ce passage dépeint
symboliquement l’hostilité universelle et, devant l’incompréhension des
apôtres qui prennent ses propos au sens matériel, Jésus coupe court
. Or, pour
saint Bernard, « si belliqueuse que puisse être l’expression, le glaive
spirituel n’est pas en premier lieu la « violence » spirituelle, mais la
parole de Dieu. Pour Bernard, il ne s’agit pas non plus que le Pape
doive exercer sa puissance avec le « glaive », mais il doit annoncer
sans crainte l’Évangile qui est plus coupant qu’un glaive à deux
tranchants (…). La conception, suivant laquelle les puissances
séculières doivent tirer le glaive temporel sur un signe de l’Église,
fut utilisée plus tard lors des procédures ecclésiastiques de
l’Inquisition ; l’exécution du jugement était alors confiée aux
puissances séculières. Bernard lui-même aura pensé ici dans ses paroles
davantage aux croisades et à l’aide de l’Empereur et d’autres souverains
comme protecteurs de l’Église (voir à ce sujet la lettre 244). » Cette
interprétation, personne ne peut plus l’approuver « tant d’un point de
vue exégétique que théologique ».
« Bernard développe une exégèse qui n’a plus grand-chose à voir avec le
texte évangélique dont il se prévaut cependant comme témoignage assuré
de la vérité de sa propre doctrine. L’épisode de l’arrestation du Christ
attesterait (…) qu’il y a un glaive temporel, que brandit Pierre pour
défendre le Christ, avant que celui-ci lui ordonne de le ranger, et un
glaive spirituel. Le glaive temporel désigne le pouvoir de coercition,
le glaive spirituel désigne la prédication et les sacrements par
lesquels les apôtres arrachent les pécheurs au Malin pour les gagner à
Dieu. Les deux glaives sont en possession des apôtres (le « c’est
assez » du Christ indiquant qu’il n’en est pas besoin de plus), donc
second, l’usage du premier étant délégué au pouvoir temporel, sous
l’autorité des apôtres qui en conservent la nue propriété
(…) »_
La théorie des deux glaives sera reprise notamment par Innocent III
dont on a gardé cette fameuse image : « De même
que la lune reçoit sa lumière du soleil auquel elle est inférieure par
les dimensions, par la qualité, par la position et par la puissance,
ainsi le pouvoir royal emprunte à l’autorité pontificale la splendeur de
sa dignité ». Innocent IV
appliquera aussi cette théorie dans la bulle
Eger cui levia contre l’empereur Frédéric II Hohenstaufen. Boniface
VIII reprendra la théorie des deux glaives dans sa
bulle Unam sanctam : « Les deux [glaives] sont
(…) au pouvoir de l’Église, le glaive spirituel et le glaive matériel.
Cependant l’un doit être manié pour l’Église, l’autre par l’Église.
L’autre par la main du prêtre, l’un par la main du roi et du soldat,
mais au consentement et au gré du prêtre. Or il convient que le glaive
soit sous le glaive, et que l’autorité temporelle soit soumise au
pouvoir spirituel. (…) En conséquence nous déclarons, disons et
définissons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute
créature humaine, d’être soumise au pontife romain. » Denzinger note
qu’il manque dans ce texte la distinction faite par Boniface VIII devant
l’ambassadeur de France précisant que le roi n’était soumis au pouvoir
temporel uniquement « quant au péché ». A la même occasion, le pape
déclara qu’il était injustement attaqué, comme si « nous avions
commandé au roi de reconnaître que la royauté [provient] de nous. Il
y a quarante années que nous sommes experts en droit, et nous savons que
deux pouvoirs ont été établis par Dieu ; qui donc est en droit de croire
ou peut croire qu’il y aurait ou qu’il y aurait eu dans notre tête une
telle fatuité ou une telle sottise ? Nous disons que nous ne voulons
usurper en rien la juridiction du roi, et ainsi l’a dit notre frère de
Porto » Mais les conflits qu’il eut avec l’empereur
d’Allemagne et Philippe le Bel démentent cette sagesse privée…
Peña-Ruiz dénonce ensuite Arnaud Amaury,
le légat du Pape qui, lors du siège de Béziers en 1209, aurait
répondu à ceux qui voulaient distinguer les catholiques et les
hérétiques : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les
siens ». « Fameuse expression » commente l’auteur que l’on trouve
« sous la plume de saint Paul « Le Seigneur connaît les siens » (2
Tm 2, 19) ». On ne peut vraiment considérer ce personnage, quels que
soient ses titres comme un inspirateur mais plutôt comme un exécuteur
mal inspiré. De plus, il faut une certaine malhonnêteté intellectuelle
ou une grande paresse pour associer les deux paroles simplement parce
qu’elles utilisent des mots semblables alors qu’elles se réfèrent à des
contextes tout à fait différents. Paul met en garde Timothée contre les
faux docteurs et les périls des derniers temps. Il cherche à le rassurer
en lui rappelant que Dieu connaît ceux qui lui sont fidèles, faisant
écho à cette parole du Christ : « Mes brebis écoutent ma voix, et je les
connais, et elles viennent à ma suite » (Jn 10, 27). Déjà dans 1 Tm
5, 24-25, Paul écrivait : « Il est des hommes dont les fautes
apparaissent avant même tout jugement ; d’autres au contraire chez qui
elles ne se découvrent qu’après ; les bonnes actions, elles aussi, se
voient ; mais celles dont ce n’est pas le cas ne sauraient demeurer
cachées. »
Il fallait s’y attendre, saint Augustin est aussi
mis en question qui affirmait « Il y a une persécution juste, celle que
font les Églises du Christ aux impies… L’Église persécute par amour et
les impies par cruauté » Nous avons déjà évoqué la position de saint
Augustin dans quelques notes mais il n’est pas inutile d’y revenir et de
préciser sa position face aux hérésies.
C’est dans la lettre CLXXXV que se
trouve la citation imputée. Lettre écrite en 415 et qui traite du
châtiment des Donatistes.
Saint Augustin rappelle d’abord que les hérésies et les scandales
existent « afin que nous nous instruisions au milieu même de nos
ennemis. C’est ainsi que s’éprouvent notre foi et notre amour ; notre
foi pour que nous ne nous laissions pas tromper, notre amour pour que
nous mettions tous nos soins à ramener ceux qui s’égarent (…) ».
Comment ? En priant pour eux puis en distinguant les passages des
Écritures sur lesquels ils s’appuient et ceux qu’ils n’entendent pas
pour être « en mesure de répondre aux donatistes pour les ramener et
les guérir ». A cette fin, saint Augustin prend également la peine de
répondre à toute une série de critiques que les donatistes font aux
catholiques qui s’efforcent de les ramener dans le sein de l’Église.
Et d’abord le recours à l’empereur.
Pour Augustin, « le bien peut se faire de deux manières avec nos frères
égarés : par les discours des prédicateurs catholiques, par la loi des
princes catholiques ; que tous aillent au salut, que tous soient retirés
de la perdition, les uns par le ministère de ceux qui obéissent aux
préceptes divins, les autres par le ministère de ceux qui obéissent aux
ordres impériaux. » Les deux
persécutions, celle de l’Église et celle du pouvoir civil, sont
légitimes dans la mesure où elles se font pour la justice et nous en
arrivons au passage incriminé par Pena-Ruiz : « Si nous voulons nous en
tenir à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est
celle des impies contre l’Église du Christ, et que la persécution juste
est celle de l’Église du Christ contre les impies. Elle est donc
bienheureuse de souffrir persécution pour la justice, et ceux-ci sont
misérables de souffrir persécution pour l’iniquité. L’Église persécute
par l’amour, les autres par la haine ; elle veut ramener, les autres
veulent détruire ; elle veut tirer de l’erreur, et les autres y
précipitent. L’Église poursuit ses ennemis et ne les lâche pas jusqu’à
ce que le mensonge périsse en eux et que la vérité y triomphe ; quant
aux donatistes, ils rendent le mal pour le bien ; pendant que nous
travaillons à leur procurer le salut éternel, ils s’efforcent de nous
ôter le salut même temporel ; ils ont un si grand goût pour les
homicides, qu’ils se tuent eux-mêmes lorsqu’ils ne peuvent tuer les
autres. Tandis que la charité de l’Église met tout en œuvre pour
les délivrer de cette perdition afin que nul d’entre eux ne périsse,
leur fureur cherche à nous tuer pour assouvir leur passion de meurtre,
ou à se tuer eux-mêmes, de peur de paraître se dessaisir du droit qu’ils
s’arrogent de tuer des hommes. » Cette persécution par amour,
s’apparente à celle du médecin ou du père de famille : « Un malade
frénétique se plaint du médecin qui le lie, un fils indiscipliné se
plaint du père qui le châtie, mais tous les deux sont aimés. » Le mot
« persécution » recouvre des moyens fort divers mais ne doit pas nous
faire penser nécessairement au pire. Pour illustrer une persécution
injuste et une persécution juste, Augustin évoque la rivalité entre
Saraï l’épouse d’Abraham et Agar la servante qu’elle donna pour femme à
son mari. Agar enceinte des œuvres d’Abraham avait injustement persécuté
sa maîtresse en l’ignorant ou la méprisant. Quant à Saraï, elle
persécuta justement Agar en la maltraitant tellement qu’elle s’enfuit.
L’Ange du Seigneur renvoya Agar à sa maîtresse en lui ordonnant de lui
être soumise.
Il est que, pour Augustin, « il vaut mieux (qui en doute ?) amener par
l’instruction les hommes au culte de Dieu que de les y pousser par la
crainte de la punition ou par la douleur ; mais, parce qu’il y a des
hommes plus accessibles à la vérité, il ne faut pas négliger ceux qui ne
sont pas tels. (…) les meilleurs sont ceux qu’on mène avec le sentiment,
mais c’est la crainte qui corrige le plus grand nombre ». C’est
pourquoi, « (…) plusieurs, comme de mauvais serviteurs et en quelque
sorte de méchants fugitifs, sont ramenés au Seigneur par le fouet des
douleurs temporelles. » d’ailleurs, le Seigneur lui-même renversa Paul
et le frappa de cécité corporelle pour l’amener
à lui. C’est le Seigneur encore qui demande à ses serviteurs d’amener à
son grand festin tous ceux qu’ils trouveront en les forçant pour que
la maison soit remplie.
A ces donatistes qui cherchent la mort ou qui menacent de mort ceux qui
disent du bien de l’Église catholique, ne leur
fait –on pas « une grande miséricorde lorsqu’à l’aide des lois
impériales on les tire de cette secte où les démons menteurs leur ont
enseigné tant de mal, pour les faire passer dans l’Église catholique où
ils sont guéris par de bonnes prescriptions et de bonnes mœurs » ?
Devant de telles gens qui s’opposent au salut des autres, « quelle doit
être la conduite de la charité ? », « que doit donc faire l’amour
fraternel ? ». Ce sont leurs excèsqui ont justifié
l’établissement des lois. Auparavant, « avant l’établissement de ces
lois par les empereurs catholiques, la doctrine de la paix et de l’unité
du Christ se répandait peu à peu, et l’on y passait comme on
l’entendait, comme on le voulait, et comme on pouvait, du parti même de
Donat ». Mais vu les désordres et les exactions dont les donatistes se
sont rendus coupables, il était nécessaire que le pouvoir intervînt :
« comment donc les rois servent-ils le Seigneur avec crainte, si ce
n’est en empêchant ou en punissant, par une sévérité religieuse, ce qui
se fait contre les commandements du Seigneur ? On ne sert pas Dieu de la
même manière comme homme, et de la même manière comme roi ; comme homme,
on sert Dieu par une vie fidèle ; mais comme roi, on le sert en faisant
des lois, avec une vigueur convenable, pour ordonner ce qui est juste et
empêcher ce qui ne l’est pas. » L’objection qui consiste à dire que les
apôtres n’ont pas fait appel aux rois de la terre ne vaut pas car les
temps étaient différents puisqu’aucun « empereur » ne croyait en
Jésus-Christ. Augustin avoue qu’au départ il estimait « qu’il ne fallait pas
demander aux empereurs la destruction de l’hérésie en prononçant des
peines contre les adhérents ». Il lui semblait qu’il suffisait de
protéger les évangélisateurs en appliquant la loi de Théodose
contre les hérétiques : « cette loi condamne tout évêque
ou clerc non catholique ; en quelque lieu qu’on le trouve, à une amende
de livres d’or ». De plus, continue Augustin, « nous ne voulions pas
les soumettre tous à cette peine ; seulement dans chaque pays où
l’Église catholique aurait eu à souffrir de la part de leurs clercs, de
leurs circoncellions ou de leurs peuples, les
évêques ou d’autres ministres de ce parti, sur plainte des catholiques,
auraient été condamnés par les magistrats au paiement de l’amende. »
Cet avis fut retenu au concile de Carthage, tenu le 26 juin
404, avec comme complément de peine la privation du droit de tester et
d’hériter, alors que « la plupart des autres pontifes étaient d’avis
d’employer le pouvoir temporel pour forcer les donatistes à rentrer dans
la communion catholique ».
Cette mesure n’eut guère de succès et vu les plaintes d’évêques qui
s’accumulaient et surtout l’attentat conte l’évêque Maximien, le pouvoir
ne se borna pas à réprimer les violences mais décida de ne pas laisser
l’hérésie « subsister impunément ». « Toutefois, ajoute Augustin,
pour garder même vis-à-vis d’indignes gens la mansuétude chrétienne, on
ne les punissait pas du dernier supplice ; on prononçait seulement des
amendes et leurs ministres étaient punis de l’exil. »
On constate donc, en dehors des erreurs
matérielles commises par Peña-Ruiz, que la
réalité est bien plus complexe et nuancée qu’il y paraît à litre ses
accusations lapidaires.
d’une manière générale, face à ce type très courant de mise en question
de l’enseignement et de l’action de l’Église, on peut dire d’une part,
qu’il est délicat de vouloir juger le passé avec les critères du
présent. d’autre part, il est saugrenu d’accuser le présent en fonction
de fautes passées même si elles sont avérées.
C’est comme si on accusait le socialisme contemporain de mensonge
lorsqu’il milite pour l’égalité entre l’homme et la femme alors que
Proudhon avait écrit que « la prépondérance du mari sur la femme, du
père sur l’enfant, se résout dans le droit du plus fort. Pourquoi le
nier ? Pourquoi, hommes, en rougirions-nous ? Pourquoi, femmes, en
feriez-vous un texte de plaintes ? Papa est le maître disait une petite
fille à son frère qui se permettait de discuter une prescription
paternelle. Au jugement de cet enfant, ce père avait en lui la raison,
parce qu’il avait la puissance. » Enfin, rappelons cette règle établie par Camus :
« L’honnêteté consiste à juger une doctrine par ses sommets, non par
ses sous-produits ». Et Camus disait cela à un journaliste qui avait
déclaré que la foi chrétienne est une démission. Il répliqua : « Je
réfléchirais avant de dire comme vous que la foi chrétienne est une
démission. Peut-on écrire ce mot pour un saint Augustin ou un
Pascal ? »
Sans être aussi caricatural que Peña-Ruiz, l’islamologue Michel Dousse
en étudiant la violence au sein des
Écritures des trois monothéismes abrahamiques, s’attarde surtout à la
violence biblique, relevant que c’est Dieu qui y combat au côté d’Israël
alors que dans le Coran, c’est le croyant qui doit tuer au nom de Dieu.
Pour lui, le Coran « serait presque plus irénique, voire plus tolérant
que la Bible, car il est anhistorique, reliant directement à la source
divine, assumant les deux précédents monothéismes. » Bien sûr, Jésus refuse la violence mais « l’institution
ecclésiale se livra au cours de l’histoire à de nombreuses entreprises
de conquêtes peu compatibles avec l’esprit de
l’Évangile » et c’est
précisément, par exemple, à cause des croisades que le jihad aurait pris
un sens guerrier. Comme le fait remarquer une
religieuse, l’auteur prétend s’inscrire dans une perspective
anhistorique mais il se réfère à l’histoire pour « convaincre le
christianisme de violence hypocrite » et la récuse dans le commentaire des textes aussi bien bibliques
que coraniques.
Plus dignes d’intérêt et plus rigoureuses sont les analyses proposées
par divers observatoires universitaires. Nous en retiendrons deux : la
revue canadienne Religiologiques et les publications du Centre
interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB
Dans la revue Religiologiques,
relevons d’abord quelques réflexions générales qui peuvent être utiles.
L’extrémisme ou le terrorisme religieux ne date pas d’aujourd’hui. Les
Juifs ont connu les Zélotes qui voulaient hâter la venue du Royaume par
la violence ; les musulmans, les assassins de l’ismaélite Hassan
es-Sabbah au XIIe siècle ; et les hindous, les thugs adorateurs de Kâlî
dès le XIIIe siècle. On peut retenir aussi le fait que si le religieux
est instrumentalisé par le politique à des fins qui lui sont propres, il
y a un « rapport complexe entre la religion, la violence et le contrôle
social. » A ce propos, Martin
Geoffroy entend « montrer qu’il n’y a pas de
consensus théorique sur la nature intrinsèquement violente de la
religion, mais qu’il reste toujours possible de montrer que certains
comportements religieux mènent parfois à la violence. » « La violence
religieuse est non seulement une forme de résistance, mais aussi une
tentative de contrôle social » sur les individus et les collectivités.
Toutefois, « cette résistance et ce contrôle sont, plus souvent
qu’autrement, de nature symbolique » et non
stratégique. Ce sont, bien sûr, les groupes religieux
extrêmes qui manifestent cette « résistance » identitaire qui a pour
cible l’humanisme séculier et la démocratie participative. Et, « sans
être directement responsables de la violence physique, les groupes
fondamentalistes sont un terreau fertile pour la plupart des dérives
radicales, et sectaires (…). » En effet, si les conditions
géopolitiques, les injustices jouent un rôle dans l’idéologie
terroriste, la religion aussi dans la mesure où le sacrifice de soi
comme acte purificateur est une notion ambivalente. Si la
plupart du temps ce sacrifice de soi permet de transcender les
différences et de sublimer la violence, il peut aussi pousser à la
destruction de l’ « ennemi », l’autre, le différent auquel la
mondialisation des échanges me frotte. C’est ainsi que « les
extrémistes religieux se servent (…) de la religion pour légitimer la
violence et la discrimination contre des groupes d’ethnie ou de langue
distinctes ».
Reste à expliquer comment des croyants si soucieux de moralité peuvent
se laisser aller à la violence ? C’est l’illettrisme religieux « qui
augmente la possibilité de violence collective dans les situations de
tension (…). Un très bas niveau d’auto-réflexion morale et de
connaissances théologiques de base parmi les acteurs religieux entraîne
cet illettrisme religieux. » C’est sur ce terreau que poussent des
« mythologies », celles du complot ou de la menace contre son identité
religieuse.
En conclusion, M. Geoffroy estime qu’« il n’y a pas à la base, plus de
violence religieuse qu’il n’y en avait au début du XXe siècle, mais
une plus grande visibilité médiatique des tensions et des violences
religieuses peut causer une exacerbation inédite de la violence au plan
international. »
Le même auteur, en collaboration avec un confrère de l’Université de
Montréal, pose la question précise de savoir si les groupes catholiques
intégristes sont un danger pour les institutions
sociales. Héritiers du Syllabus de
Pie IX, les intégristes catholiques, schismatiques ou non-schismatiques,
tout en étant parfois opposés entre eux, se réclament d’une tradition
qu’ils disent inchangée. Anti-modernistes dans tous les sens du terme et
sur tous les plans, ils restent attachés au Concile de Trente, au
catéchisme de saint Pie X, à la messe de saint Pie V et, pour certains
d’entre eux, à l’Ancien régime.
Selon les auteurs, « très peu de ces groupes, même s’ils sont très
radicaux du point de vue doctrinal et qu’ils peuvent parfois être
verbalement agressifs, sont vraiment dangereux pour ces institutions,
parce que la plupart d’entre eux n’ont presque jamais eu affaire
directement à la justice et parce que nous pensons que c’est là, à peu
de chose près, la seule façon vraiment objective de mesurer la
« dangerosité » d’un de ces groupe. »
Pour en revenir à des considérations plus générales, citons les
chercheurs de l’ULB, à qui « L’étude critique des grandes religions
occidentales (…) a paru indissociable de leur rapport intime et
souvent paradoxal à la violence, à la guerre et à la paix ». Dans leurs
études, ils dégagent « une dimension anthropologique de la bataille
comme expression du sacré et une dimension théologique de la
sacralisation de la guerre ».
On retrouve ici l’ombre de Roger Caillois. C’est pourquoi les analyses
s’échelonnent dans le temps et dans l’espace, examinant tour à tour la
devotio dans le contexte militaire romain, la violence dans l’islam
médiéval et dans le judaïsme, le Sunzi attribué à Sun Wu. Dans le monde chrétien, les
auteurs épinglent les conceptions de Francisco Suarez, Hugo Grotius,
Luther à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle ; l’influence
décisive du P. Dominique de Jésus-Marie lors de la bataille de la
Montagne Blanche ; la
pensée d’Ernest Psichari ; l’héritage intellectuel de
la guerre 14-18 ; le pacifisme de Don Sturzo. Nous y
reviendrons dans la suite car ces différentes études ne peuvent prendre
leur pleine signification que dans le cadre d’une étude plus large qui
s’attardera spécialement au judaïsme, à l’islam et, bien sûr, surtout, à
l’héritage chrétien.
En attendant, arrêtons-nous à un auteur apprécié dans les milieux de la
libre-pensée : Elie Barnavi.
Elie Barnavi, s’attache davantage à l’essentiel dans son livre « Les
religions meurtrières » qu’il présente comme un « pamphlet
politique », sans doute parce qu’il y aborde, en
raccourci, de vastes domaines historiques mais avec une information qui
paraît solide même si, ici ou là, il simplifie plus ou moins la réalité
.
Pour lui, les religions produisent de la violence. Mais pourquoi ?
Parce qu’elles sont « un système symbolique, pourvoyeur de sens,
d’espoir, de valeurs et d’identité (…) : ces choses-là sont assez
importantes pour qu’elles vaillent la peine de tuer et de se faire tuer
pour elles »et cela, dans un monde où règne
« le relativisme culturel ». Et dans la mesure où ce relativisme
culturel « a parfois conduit au relativisme moral, il a été destructeur
des systèmes de défense immunitaire. Et cela, c’est une catastrophe. »
Barnavi propose une définition personnelle du « fondamentalisme »,
étiquette qui est très souvent employée sur le mode péjoratif alors que
cette attitude n’implique pas nécessairement la violence. Le
fondamentaliste est un réformateur qui,
après des siècles parfois d’interprétations des textes sacrés, veut
« retourner aux sources, aux « fondamentaux » de la foi (…), à une
« forme » primitive ». Il n’existe que dans
les religions de l’écrit. Il est « une pente savonneuse » mais
« n’est pas bien gênant pour la société ambiante ». Barnavi cite comme exemples le karaïsme qui, dans le
judaïsme, affirme la supériorité de la torah (écrite) sur la tradition
orale du talmud. Ou encore, toujours au sein du judaïsme, les Netoreï
Karta antisionistes. Au sein de l’islam, il cite le wahhabisme, fidèle à
la lettre du Coran. Mais pour qu’il devienne dangereux, « il faut que
le fondamentalisme, loin de s’abstraire du champ politique, cherche à
s’en emparer. Et qu’il s’y emploie par des moyens
violents. ». Cette dernière condition est le
critère décisif puisqu’au départ, « toute religion est
politique ». Ce fondamentalisme violent, il l’appelle « fondamentalisme
révolutionnaire » qu’il présente comme « une attitude d’esprit, qui,
selon les époques, s’est manifestée avec plus ou moins de vigueur dans
toutes les religions révélées » qui sont des
religions monothéistes, historiques, c’est-à-dire qui ont une conception
du temps linéaire. Au niveau de la méthode, le fondamentalisme
révolutionnaire est violent car il est impatient et veut « hâter
l’avènement » ; au niveau de sa doctrine, « à
l’instar du communisme ou du fascisme naguère, il fonctionne comme une
idéologie totalitaire » c’est-à-dire comme « un système où la religion
investit l’ensemble du champ politique, en réduisant la complexité de la
vie à un principe explicatif unique, violemment exclusif de tous les
autres ». Autrement dit, il faut « une
conception forte d’une vérité unique et absolue » ; « transcendante », « exclusive de toute
autre », « une, indivisible » et « c’est le christianisme qui a poussé le plus loin
l’affirmation théologique d’une vérité absolue » dans la mesure où il
s’est développé « à l’intérieur d’une tradition philosophique, le
néoplatonisme qui considère la vérité en soi comme l’expression
objective d’une réalité ontologique ».
Si l’on considère maintenant les trois religions mises en cause,
l’auteur constate que « le fondamentalisme révolutionnaire chrétien est
parti battu », que « la chance du
fondamentalisme révolutionnaire juif a été l’État, sa perte
aussi », tandis que « l’islamisme est
aujourd’hui la forme la plus nocive du fondamentalisme
révolutionnaire ».
Que veut-il dire ?
Tout d’abord en ce qui concerne le christianisme, c’est lui qui a rendu
possible, à travers, bien sûr, bien des péripéties sanglantes parfois,
le « divorce de l’Église et de l’État » et « le choix de Rome a été
le coup de génie de l’Église. ». « Les conséquences auront été
prodigieuses : la dualité de deux pouvoirs, de deux royaumes disait-on,
un temporel et un spirituel, d’emblée soigneusement distingués ». Et
« cette dualité fut la chance extraordinaire de l’Occident. (…) Entre
les deux « épées », dans le fossé creusé entre les deux pouvoirs, le
vent de la liberté a pu souffler. L’Église a imposé à l’État des bornes
morales, l’État a étouffé la tentation théocratique de l’Église, des
esprits libres ont joué de leur rivalité pour faire pièce au tropisme
absolutiste inhérent à tout pouvoir. Tout a été possible par cette
dualité, rien n’aurait été possible sans elle. Le bonheur de l’Occident,
ce fut la laïcité. » Voilà pourquoi le fondamentalisme chrétien, au fil
des siècles, a été jugulé par le principe de la distinction des pouvoirs
établi par le christianisme lui-même. Voilà pourquoi « dans l’ensemble,
l’Occident, et lui seul a échappé au monisme juif et musulman ».
Le judaïsme contemporain connaît le fondamentalisme révolutionnaire mais
il a trouvé ses limites pour deux raisons : « d’abord, sans doute,
parce que le fondamentalisme révolutionnaire juif ne s’exporte pas.
Religion nationale sans prétention universaliste, le judaïsme garde ses
fous de Dieu pour lui, en leur imposant du coup un cadre étriqué, somme
toute aisé à contrôler. Mais surtout parce qu’Israël est une société
moderne, ouverte et raisonnablement développée, où le message
messianique reste nécessairement confiné à des cercles
étroits. »
Reste l’islamisme « qui est aujourd’hui travaillé par le
fondamentalisme révolutionnaire. » Et il est dangereux sur deux fronts.
En maints endroits, « les fondamentalistes révolutionnaires sont en
guerre contre un État se réclamant de la même religion qu’eux, mais
qu’ils jugent impie et corrompu, étranger aux « vraies » valeurs de
l’Islam et vendu à l’Occident. » En même temps, « une internationale
terroriste musulmane a déclaré une guerre sans merci à l’Occident
« athée ». » Comment expliquer cette explosion
de violence ?
Tout d’abord, l’islam vit sur l’« irrémédiable confusion » du
spirituel et du temporel. Alors qu’en Occident « deux légitimités
coexistaient, (…) en islam, seul le pouvoir religieux était
pleinement légitime (…). Une loi légitime ne saurait être qu’une
variation sur les préceptes du Coran et la sunna, la tradition fondée
sur les propos et les exemples du Prophète (…). En Occident, le roi
donne la loi ; en terre d’islam, il est censé exécuter une Loi qui le
précède et le dépasse. »
Deuxièmement, alors que « la critique rationaliste des textes sacrés
est vieille comme l’Église elle-même » et que « l’interprétation des
Écritures n’est pas simplement permise, [mais] indispensable pour en
dégager la vérité », en islam, la « Loi a été donnée une fois pour
toutes, parfaite, immuable, éternelle (…). » Et même si l’islam n’est
pas « incompatible avec la raison (…), les tenants du dogme auront eu
raison de courants rationalistes (…). Petit à petit, le débat
théologique sera étouffé. » Les musulmans
ont perdu leur curiosité et leur civilisation, son éclat
.
Troisièmement, à partir du XVIIIe siècle, leur musulmans sont confrontés
« avec un passé glorieux ; et avec l’occident, dont l’hégémonie
désormais manifeste est d’autant plus insupportable qu’on a passé des
siècles à le mépriser. »
A l’intérieur, s’il y eut des imitateurs comme Atatürk en Turquie ou le
Shah en Iran qui ont dû choisir entre despotisme et islamisme avec le
résultat que l’on sait, dans la plupart des cas, les musulmans ont
choisi de « s’accrocher à un passé idéalisé, en rejetant sur les autres
la faute de sa disparition. » Pour Barnavi, « l’islamisme et son
excroissance révolutionnaire se sont développés sur ce terreau de la
mémoire et de l’échec. » Comme l’État en
maints endroits s’oppose et résiste à cet extrémisme, ses partisans
« se sont lancés dans sa conquête par en bas : par le grignotage
patient de tous les rouages de la société civile (les organisations
professionnelles, l’éducation, la santé, le crédit), par l’islamisation
des mœurs (fermeture des débits de boissons, port de la barbe et du
voile), bref par l’islamisation de la société. » En découlent les discriminations et les violences exercées
contre les minorités juives ou chrétiennes.
A l’extérieur, on a assisté à une « mutation terroriste »
que l’anthropologue
Dounia Bouzar dont s’inspire Barnavi, s’explique
non par la pauvreté ou l’oppression mais par le déracinement : « leur
religion est un prétexte, un outil de pouvoir et un rêve d’appartenance.
Ce n’est pas tant le projet qui les mobilise, que la voie pour y
parvenir. Se sentant de nulle part, ils trouvent soudain un chez-soi.
Ils ne seront jamais chez eux, pensent-ils, en France ou en
Grande-Bretagne ; ils seront chez eux dans la révolution islamique
mondiale. (…) Ce sont en fait des analphabètes religieux, que seule
intéresse l’action directe ».
Enfin, l’islam est « une religion sans autorité centrale ». Dès lors,
« n’importe quel ouléma [savant religieux] peut proclamer la guerre
sainte, voire n’importe qui. » Et les techniques modernes de
communication favorisent la constitution d’un « archipel de la
terreur ».
Devant le danger de l’islam, quelles solutions propose Barnavi ? Si l’on
choisit le bâton, il faut le manier avec une « force
écrasante », mais il faut aussi une
« carotte », c’est-à-dire des « investissements immédiats et
massifs » car « même si le fondamentalisme révolutionnaire islamique
n’est pas né de la misère et du sous-développement, c’est sur la misère
et le sous-développement qu’il prospère. »
Enfin, « étayée par la force » une diplomatie qui soit la voix d’un
Occident uni autour de « valeurs partagées, nettement définies et
fortement affirmées ». Quelles valeurs ?
Non pas le multiculturalisme qui est « un leurre » qui « conduit au ghetto » non pas le
dialogue des civilisations qui est un « miroir aux
alouettes » mais la « laïcité » comme
« religion civile » avec ses « ingrédients : les Droits de l’homme,
bien sûr, mais aussi l’histoire, la nation souveraine, la Constitution,
la république. »
d’une manière générale, les auteurs mettent en cause surtout les
monothéismes en fonction de leur rapport à la vérité. C’est le cas chez
Barnavi, c’est aussi le cas chez Régis Debray qui remarque que « les
Anciens sacralisaient la guerre, mais ignoraient la guerre sainte, cette
idée propre au « berceau abrahamique » que la foi exclusive impose une
propagation. Car avec Dieu il en va de la Vérité. (…) Même si le
monothéisme n’est pas responsable des violences de groupe –on n’a pas
attendu Dieu le Père pour se faire la guerre !- il est certain que l’idée
du dieu unique a exaspéré ce penchant humain. Bref, l’idée de
d’exclusivité n’arrange rien et celle du diable encore moins… ».
De plus, « la foi du monothéiste est plus qu’une observance rituelle,
qu’un encadrement social, qu’un signe d’appartenance. (…) Cette foi
chevillée au corps et inscrite dans le cœur implique non seulement
l’abnégation, mais l’engagement de tout son être dans l’affrontement à
l’autre. »
Il n’en va pas de même dans le polythéisme et c’est pourquoi « les
Anciens sacralisaient la guerre, mais ignoraient la guerre sainte. »
Cette mise en question des monothéismes, nous la retrouvons sous la
plume d’un dominicain. S’appuyant sur les livres de Joseph Yacoub et de Michel
Dousse, Jean-Michel Maldamé
« constate que loin d’assurer une heureuse manière de vivre, les
attitudes religieuses sont source de conflits et de guerres (…), que,
dans tous les conflits actuels, le facteur religieux est déterminant »
dans la mesure où « il y a un lien structurel entre la violence et la
religion ». « Même si toute violence n’est pas due exclusivement à
une religion », la violence, aujourd’hui, s’en nourrit et « le
monothéisme est en première ligne de la violence liée aux religions. »
De plus, il serait trompeur de croire que cette violence est due aux
seuls fanatiques qui « trahissent leur référence à Dieu ». Les textes
fondateurs démentent cette vision simpliste, comme le prouvent le livre
de Josué et d’autres textes qui, comme dans d’autres textes de la
tradition monothéiste, justifient la violence, « à partir de la notion
de « terre sainte » et de « terre promise ». » A partir aussi de la
consécration de Jérusalem comme capitale du monde, « fâcheux exemple,
dit l’auteur, qui a été transposé dans d’autres lieux », Rome ou La
Mecque. Il serait faux aussi de privilégier une explication sociale et
économique de la violence et de croire que le travail, le logement,
l’éducation, la liberté d’expression feront reculer la violence.
L’auteur l’affirme : « les promoteurs de la violence ne sont pas des
victimes de la situation économique actuelle. Les intégristes
catholiques sont riches et bien en place dans les cercles du pouvoir.
Les réseaux islamiques s’appuient sur l’abondance des pétrodollars. »
Comment l’auteur explique-t-il ce « lien structurel » entre la violence
et la religion ?
Trois éléments sont déterminants dans les religions instituées comme
dans les « religions séculières »:
-
Si les conflits ont des causes non religieuses, économiques ou
sociales, par exemple, « l’attitude religieuse porte à l’absolu les
éléments à la source du conflit ». Une terre, une ville deviennent
saintes, un peuple est élu. Les autres doivent être assimilés ou
détruits.
-
La notion de sacrifice, beaucoup l’ont souligné, est centrale et
même la notion de sacrifice total, celui de la vie, qui rend hommage à
Dieu.
-
La recherche de la pureté et le rejet de ce qui est considéré comme
impur.
A la fin de son article, l’auteur ne propose évidemment pas de jeter
l’opprobre sur les religions. Au contraire, il médite sur le Sermon sur
la Montagne et y découvre toute une pédagogie pacifique sur la quelle
nous reviendrons plus tard. Il nous suffit ici de prendre acte de la
dangerosité des religions monothéistes. Une dangerosité soulignée par
plusieurs voix et qui nous oblige à y regarder de plus près.