Après le biologiste, c’est un psychanalyste américain d’origine allemande, Erich Fromm[1], qu’E.Herr va étudier.
Fromm distingue l’« agressivité bénigne », animale et humaine, liée à la survie, et l’« agressivité maligne » ou « destructivité », c’est-à-dire la cruauté et la passion de détruire. Cette « destructivité » est propre à l’homme et n’est pas « phylogénétiquement programmée »[2]. Elle est pathologique. Il ne s’agit pas d’un instinct (c’est-à-dire une réponse biologiquement conditionnée qui répond à un besoin physiologique) mais d’une passion : la passion est une impulsion non instinctive mais psychique. Les passions organisées chez l’homme en caractère, répondent « aux besoins existentiels qui sont de nature psychique »[3]. Ces besoins existentiels sont : « le besoin d’un cadre d’orientation et de dévotion (besoin religieux), le besoin de liens et de racines, le besoin d’unité vécue avec soi et avec le monde, le besoin d’être stimulé, mis à l’épreuve (pro-voqué), mis au défi, le besoin de mettre en œuvre sa propre capacité d’action et d’intervention ». Pour satisfaire ces besoins, nous suivons tous des passions souvent inconscientes (amour, tendresse avidité, désir de puissance, vengeance, plaisir de détruire, sadisme, masochisme, connaissance profonde dévouement).[4] Il y a donc des passions « biophiles » et des passions « nécrophiles » destructrices et sadiques que l’auteur appelle donc agressivité maligne ou destructivité. Tout dépendra du caractère qui est un système de passions, une organisation passionnelle psychique non transmissible, non héréditaire. Pour Fromm, l’environnement joue un rôle primordial dans la formation du caractère et pour combattre l’agressivité maligne il faut donc agir sur l’environnement social, sur les structures socio-économiques.
On peut contester chez Fromm le fait qu’il sépare agressivité bénigne qui serait bonne et agressivité maligne mauvaise comme si la première n’était pas marquée aussi par la dimension psychique, comme si une agressivité ne pouvait pas être mauvaise sans être le produit d’un psychisme malade[5], comme si une agressivité « biologiquement adaptée » et « psychologiquement normale » ne pouvait être mauvaise. Notons aussi que des violences échappent aux deux catégories : où ranger la violence entre États ?
En définitive, on constate que Fromm néglige l’aspect éthique du problème ou le résout sommairement : l’agressivité biologique est bonne, la mauvaise agressivité naît d’une pathologie psychique.[6] Mais il oublie qu’il y a des agressivités biologiquement adaptées et psychologiquement normales que l’on rejette pour des raisons morales. Pensons à la manière dont les passions d’aimer ou de tuer peuvent être évaluées.
Fromm ne rend pas compte de tout l’homme, il le réduit au psychique ; ici aussi, l’homme est plus objet que sujet[7]. Le psychisme n’est pas nécessairement le facteur déterminant premier. Même s’il affirme que « l’homme se crée soi-même dans le déroulement de l’histoire »[8] . Le « caractère individuel » ne semble pas très différent de ce qu’il appelle le « caractère social ». En tout cas le caractère individuel semble jouer »un rôle mineur et passif » : « Au départ de cette réflexion, écrit Fromm, il y a le fait de constater que la structure du caractère de l’individu moyen et la structure socio-économique de la société à laquelle il appartient sont en relation réciproque. Le résultat de l’interaction entre la structure psychique individuelle et la structure socio-économique, c’est ce que je désigne comme caractère social.
La structure socio-économique d’une société forme le caractère social de ses membres de telle façon qu’ils veulent ce qu’ils doivent. En même temps le caractère social influence la structure socio-économique de la société ; d’ordinaire il opère comme un ciment qui assure à l’ordre de la société un surcroît de stabilité ; dans des circonstances particulières il fournit le détonateur qui provoque son effondrement. Le rapport entre le caractère social et la structure de la société n’est jamais statique ; vu que les deux éléments comportent un processus sans fin. Un changement affectant un des deux facteurs entraîne un changement des deux. »[9]
A la lecture de ces textes, certains pensent que Fromm est freudo-marxiste. E. Herr nuance cette appellation dans la mesure où Fromm a analysé les limites du freudisme et du marxisme dans plusieurs ouvrages.[10]