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a. L’inspiration

Le mouvement des Focolari est lié intimement à l’œuvre de Chiara Lubich. Née en 1920, à Trente, elle connut une grande pauvreté dans son enfance: son père, socialiste, ayant été licencié à cause de ses idées sous le régime fasciste. C’est pendant la seconde guerre mondiale que son projet va naître à la vue des misères et des souffrances engendrées par le conflit.

Face aux pauvretés rencontrées, sa formation chrétienne va lui inspirer une action finalement très originale, révolutionnaire, pourrait-on dire.

Dans les Écritures, quels sont les textes qui vont marquer profondément Chiara Lubich ?

Elle sera frappée, dans l’Ancien testament par les protestations et les dénonciations des Prophètes face aux inégalités et aux injustices économiques et sociales qui déplaisent tellement à Dieu qu’il rejette tous les sacrifices des coupables. Que demande, en fait, Yahvé à chaque homme, à chacun de nous ? « Rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu ».⁠[1] Vivre en communion avec Dieu implique que l’on vive en communion avec les autres.

Le Nouveau Testament va révéler à Chiara Lubich les moyens à mettre en œuvre pour combattre les pauvretés.

Et tout d’abord, fondamentalement, l’appel du Christ à la conversion du cœur. Cette conversion a « pour effet non pas tant d’augmenter les pratiques religieuses de l’intéressé que de l’ouvrir à des rapports interpersonnels »[2]. Ainsi, la conversion du riche le débarrasse de sa cupidité, source d’injustice, le libère de Mammon, le rend capable de communion, c’est-à-dire de considérer l’autre comme un égal, comme un frère.

Seul l’Évangile, en faisant des hommes nouveaux peut créer une société nouvelle : « Le Christ a voulu libérer les hommes du mal, de toute forme de mal, a enseigné une libération précise de ses deux formes les plus insidieuses : l’avarice et la tyrannie (…)

L’homme est trop souvent assailli par la hantise du gain, le désir d’avoir davantage - la pléonexie[3] des Grecs -, l’avarice. Pour l’apôtre Paul, c’est une forme d’idolâtrie, c’est-à-dire de fausse religion, dans laquelle à Dieu Père on substitue une divinité antique. A cause d’elle, l’homme, au lieu de se servir de la richesse, s’asservit à la richesse. »[4]

Le Christ nous demande aussi de le suivre, c’est-à-dire de quitter nos repères humains et de nous abandonner nous abandonner à la Providence, en l’occurrence de quitter nos champs, sûrs de recevoir le centuple⁠[5], de regarder les oiseaux du ciel, de ne pas engranger⁠[6].

Chiara Lubich commente : « Chacun doit donc être détaché, au moins spirituellement, de ses « champs », c’est-à-dire de son travail. Nos « champs », notre travail, nous devons les aimer certes, mais pour Dieu, non pas avant lui. Chacun doit être prêt à ôter de son cœur son travail s’il prend la première place.

Quel en sera le résultat ? « Quiconque aura quitté (…), recevra le centuple et en héritage la vie éternelle ».

« Le centuple », cela veut dire un nombre indéterminé : le centuple en biens, en croissance économique. Ainsi, pour un détachement bien petit qui nous est demandé, voilà que jaillit de nouveau l’abondance de la Providence du Père. »[7]

Il est encore un autre appel du Christ que Chiara Lubich va prendre au sérieux : l’appel à l’unité. Dans sa prière, lors de la dernière cène, Jésus s’adresse à son Père : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. »[8] Elle souscrira au commentaire de Gaudium et Spes : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un…​, comme nous sommes un », il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celles des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour ».⁠[9]

Chiara Lubich dira : « Jésus, notre modèle, nous a appris deux choses qui n’en sont qu’une : être enfants d’un même Père et être frères les uns des autres »[10] ; « C’est Dieu qui de deux fait un, en devenant troisième parmi eux, relation entre eux : Jésus au milieu de nous. Ainsi l’amour circule et, à cause de la loi de communion qui lui est inhérente, il entraîne spontanément, comme un fleuve impérieux, tout ce que chacun possède, les biens de l’esprit et les biens matériels. C’est le témoignage concret et évident de l’amour qui est vrai et qui unit, celui de la Trinité. »[11]

On peut ajouter que les Écritures d’abord et puis le modèle bénédictin⁠[12] lui enseignèrent la valeur du travail.

Quand Paul déclare : « Que celui qui volait ne vole plus ; qu’il prenne plutôt la peine de travailler de ses mains, au point de pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux »[13], elle découvre dans cette parole l’importance de l’honnêteté, de l’engagement dans l’économie, dans la productivité dans un but social.

Le travail, dira-t-elle, n’est pas l’appendice d’ »une vie de contemplation de prière et d’apostolat » mais « leur vie même » ; leur vocation est d’ »offrir à Dieu leur travail »[14] . Le travail est constitutif de l’homme. Par lui se réalise le dessein de Dieu sur nous. Il faut l’accomplir le plus parfaitement possible avec un certain détachement car le travail ne doit pas prendre la place de Dieu. On travaille avec Dieu, pour Dieu, avec les autres, pour les autres.

Dans la règle bénédictine « Ora et labora »[15], prière et travail sont une seule et même chose : « la vocation du focolarino n’est pas tant de consacrer à Dieu des heures d’adoration, mais plutôt son travail »[16]. Elle remarque aussi que les Bénédictins produisaient plus que nécessaire pour leur propre subsistance pour avoir de quoi aider les nécessiteux et, dans le même esprit, ils investissaient pour agrandir leurs terres et donner du travail aux indigents qui ne pouvaient s’organiser eux-mêmes. La pratique de la communion des biens était alliée à une très haute idée du travail.

De même, Chiara Lubich découvre, dans les Actes des Apôtres⁠[17], une première illustration, à Jérusalem, d’une vraie communauté chrétienne dans laquelle il n’y a pas de pauvre. Elle se rend compte que la charité, l’amour réciproque fait que la propriété, la richesse ne sépare pas, mais est un moyen de réaliser l’égalité sociale, de supprimer la pauvreté et toute lutte de classe.

« Adoptons, dira-t-elle, un comportement nouveau, celui du chrétien. Tout l’Évangile en est imprégné. C’est le comportement de « l’anti-fermeture », de « l’anti-préoccupation ». Renonçons à mettre notre sécurité dans les biens de la terre et prenons appui sur Dieu. C’est là qu’on verra notre foi en lui et elle sera vite confirmée par les dons qui nous parviendrons en retour.

Naturellement, Dieu n’agit pas ainsi pour nous enrichir. Il le fait pour que d’autres, beaucoup d’autres, en voyant les petits miracles qui se produisent lorsque nous donnons, fassent de même.

Il le fait pour que, plus nous ayons, plus nous puissions donner. Il le fait pour que nous fassions circuler, en véritables administrateurs des biens de Dieu, toute chose dans la communauté qui nous entoure, jusqu’à pouvoir dire de nous, comme pour la première communauté chrétienne de Jérusalem, qu’il n’y avait plus de pauvre parmi eux. Cette attitude ne concourt-elle pas à donner une âme à la révolution sociale que le monde attend ? »[18]

Nourrie de ces certitudes, Chiara Lubich, on peut le dire sans se tromper, va en fait mettre en œuvre, sur le plan économique et social, les chapitres correspondants de la doctrine sociale de l’Église telle que nous l’avons décrite.⁠[19]


1. Mi 6, 8.
2. ROSSE Gérard, in QUARTANA et alii, op. cit., p. 31.
3. En grec, πλεονεξία signifie: le fait d’avoir plus qu’autrui, la prépondérance, le fait de désirer plus qu’on ne doit, la cupidité, l’esprit de convoitise, les appétits insatiables.
4. GIORDANI Igino, La Rivoluzione Cristiana, 1969, p. 115, cité in QUARTANA et alii, op. cit., p. 56.
5. Jésus promet : « nul n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Mc 10, 29-30)« Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle ». (Mt 19, 29) ;  ; « nul n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci, et dans le monde à venir la vie éternelle » (Lc 18, 29-30).
6. Comme on ne peut servir Dieu et l’Argent, Jésus rassure : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu’eux ? Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Que si Dieu habille de la sorte l’herbe des champs, qui est aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! Ne vous inquiétez donc pas en disant : qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain: demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6, 24-34) ; id. in Lc 12, 13-34.
7. In Il Lavoro e l’economia oggi nella visione cristiana, 1984, pp. 13-14, cité in QUARTANA et alii, op. cit., pp. 58-59. On lit dans les Statuts de l’Œuvre de Marie, article 23: « Les membres de l’Œuvre font confiance à la Providence de Dieu qui donne le nécessaire à ceux qui cherchent son royaume. Ils s’engagent en effet à mettre en pratique les paroles de Jésus qui affirme : « Voyez les oiseux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu’eux ? » (Mt 6, 26) « Ne vous inquiétez donc pas en disant: qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? De quoi nous allons-nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 31-33) ».
8. Jn 17, 20-21.
9. GS 24.
10. Scritti Spirituali, 3, 1979, cité in QUARTANA et alii, op. cit., p. 55.
11. Résurrection de Rome, 1949, cité in QUARTANA et alii, op. cit., p. 55.
12. Ses biographes nous disent qu’elle fut très impressionnée, en Suisse, par la vue de l’abbaye d’Einsiedeln, de ses dépendances et de ses terres. Cette abbaye bénédictine fut fondée en 934.
13. Ep 4, 28.
14. LUBICH Ch., Economia e lavoro nel Movimiento Umanità Nuova, cité in QUARTANA et alii, op. cit., p. 93.
15. St Benoît demande qu’on considère les outils du travail avec la même vénération que les vases sacrés de l’autel (c. 31).
16. LUBICH Ch., Economia e lavoro nel movimiento Umanità Nuova, cité in QUARTANA et alii, op. cit., p. 103.
17. Ac 2, 42. 44-45 ; 4, 32. 34-35 ; 5, 4.
18. Essere la tua parola, 1980, pp. 50-51, cité in, op. cit., p. 57.
19. QUARTANA et alii, op. cit., pp. 39-64.