En 2005, le Compendium de la doctrine sociale de l’Église prend en compte la planétarisation des relations économiques et financières et souhaite que les États collaborent efficacement contre les dérives, que les syndicats se rénovent dans le même but[1].
Si sous le pontificat de Jean-Paul II, comme par le passé, le Magistère de l’Église s’est penché principalement sur le travail et son aspect subjectif prioritaire, il n’a pas oublié les antiques condamnations de l’usure. Le Compendium rappelle que « si dans l’activité économique et financière la recherche d’un profit équitable est acceptable, le recours à l’usure est moralement condamné »[2], puis il aborde la situation contemporaine. Si les marchés financiers existent depuis longtemps[3] et sont indispensables dans l’économie moderne, « la création de ce que l’on a qualifié de « marché global des capitaux » a entraîné des effets bénéfiques, grâce à une plus grande mobilité des capitaux permettant aux activités productives d’avoir plus facilement des ressources disponibles », la mobilité accrue « fait augmenter aussi le risque de crises financières ».[4] De plus, l’activité financière contemporaine devient une fin en soi et et n’est plus au service de l’économie ni des sociétés. Certains pays, hors du système financier international, en subissent malgré tout les « éventuelles conséquences négatives de l’instabilité financière sur leurs systèmes économiques réels, surtout s’ils sont fragiles ou si leur développement est en retard. » Pour être stable et efficace à la fois, pour « encourager la concurrence entre les intermédiaires et (…) assurer la plus grande transparence au profit des investisseurs », un « cadre normatif » est indispensable.[5] Or, la mondialisation de l’économie et de la finance rend de plus en plus caduque l’action de l’État[6]. Il est donc nécessaire et urgent que la communauté internationale se dote « d’instruments politiques et juridiques adéquats et efficaces », que les institutions économiques et financières internationales et les Organismes internationaux orientent le changement en étant très attentifs aux pays plus faibles et plus pauvres.[7] C’est à une action politique internationale que revient le devoir de guider les processus économiques pour qu’ils ne soient pas inspirés seulement par leurs intérêts propres mais pare le souci du bien commun de toute l’humanité. Cette réforme réclame « la consolidation des institutions existantes, ainsi que la création de nouveaux organes auxquels confier cette responsabilité ». En effet, « le développement économique peut être durable s’il se réalise au sein d’un cadre clair er défini de normes et d’un vaste projet de croissance morale, civile et culturelle de l’ensemble de la famille humaine. »[8]
Fort de l’enseignement de ses prédécesseurs, à travers, en particulier, Populorum progressio et Sollicitudo rei socialis, et face à l’ampleur notamment de la crise financière des années 2007-2008, conscient des déséquilibres du monde, de l’« activité financière mal utilisée et qui plus est, spéculative » qui s’ajoute à d’autres problèmes dramatiques, Benoît XVI, dans son encyclique Caritas in veritate, prend le mal à la racine en appelait à une « nouvelle synthèse humaniste » dont les maîtres-mots devraient être, comme nous l’avons déjà vu : don et gratuité. Le Saint-Père sait que « le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien à la façon de le créer que de l’utiliser. » Il sait aussi que « la visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »[9] Il insiste opportunément sur ce que la doctrine sociale ne cesse d’affirmer : la clé de toute la question sociale, c’est l’homme invité à vivre selon sa nature le plus profonde, celle d’un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, Dieu qui est don, don gratuit de l’amour[10], de la création[11], de la vie[12], Dieu qui nous appelle donc à vivre ce don : aimer, est « la vocation déposée par Dieu dans le cœur et dans l’esprit de chaque homme. »[13]
Nourris de ces grands principes[14], il reste aux chrétiens à trouver les solutions pratiques puisque « l’Église n’a pas de solutions techniques à offrir et ne prétend « aucunement s’immiscer dans la politiques des États ». »[15] Toutefois, entre doctrine et solutions techniques, n’y a-t-il pas place pour une réflexion plus concrète qui puisse orienter les actions ?
Les Églises locales parfois campent sur la position du Magistère romain et parfois avancent des propositions de réforme.
C’est surtout le monde agricole qui est menacé par la pratique de l’usure. « Le petit cultivateur rencontre de grosses difficultés d’accès au crédit nécessaire pour améliorer la technologie de production, pour accroître sa propriété, pour faire face aux adversaires, à cause du rôle assigné à la terre comme instrument de garantie et à cause des coûts plus importants que comportent les financements d’un montant limité pour les instituts de crédit.
Dans les zones rurales, le marché légal du crédit est souvent inexistant. Le petit cultivateur est conduit à recourir à l’usure pour les prêts dont il a besoin, s’exposant ainsi à des risques pouvant mener à la perte, partielle ou même totale, de sa terre. De fait ; l’activité de l’usurier tend habituellement à la spéculation foncière. Il se produit de la sorte un ratissage de petites propriétés qui accroît à la fois le nombre des sans terre et le patrimoine des grands propriétaires, des agriculteurs les plus riches ou des commerçants du cru.
Dans les économies pauvres, l’accès au crédit à long terme tend, en substance, à être directement proportionnel à la propriété des moyens de production, en particulier de la terre et, par conséquent, à devenir une prérogative exclusive des grands propriétaires terriens. » (Conseil pontifical « Justice et Paix », Pour une meilleure répartition de la terre, Le défi de la réforme agraire, 23-11-1997, in DC, n° 2175, 1-2-1998, p. 113).