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Elle déclare illicite le prêt à intérêt mais vise d’abord exclusivement les clercs[2]. Puis, surtout à partir du VIIIe siècle[3], l’excommunication frappera aussi les laïcs[4]. L’Église sera de plus en plus sévère dans la mesure où l’usure se répand de plus en plus en dépit des condamnations, et que les taux deviennent parfois exorbitants : 100, 200, voire 300% ![5] Aux XII et XIIIe siècles, le mal grandit encore et, dans les Flandres, le commerce de l’argent fleurit dans des villes comme Arras, Lens, Douai, Valenciennes, Tournai, Ypres, Gand, Bruges, etc.. L’aristocratie[6] et les villes[7] contractent des dettes considérables auprès des bourgeois ou des banquiers italiens[8].
De tels faits expliquent les condamnations du IIe concile de Latran (1139)[9] , du concile de Tours (1163)[10] et surtout du IIIe concile de Latran (1179) : « Depuis que, presque en chaque endroit, le crime d’usure est devenu tellement dominant, que beaucoup de personnes ont abandonné toutes les autres affaires pour devenir usuriers, comme si ce métier était autorisé, et sans égard à son interdiction dans les deux Testaments, nous ordonnons que les usuriers manifestes ne soient pas admis à la communion et, s’ils meurent dans leur péché, qu’ils ne soient pas enterrés chrétiennement et qu’aucun prêtre n’accepte leurs aumônes »[11].
Le pape Innocent III[12] refusa le droit d’appel aux usuriers manifestes et autorisa les évêques à les traduire devant leur tribunal, même en l’absence d’accusateur[13]. C’était, remarque C. Spicq, « déjà les traiter pratiquement comme hérétiques »[14].
Dans cette affaire, à l’époque, la position de l’Église se justifie par la nécessité de lutter contre les exactions et les maux qu’elles engendrent et par l’Écriture. L’Église s’emporte contre les usuriers, comme les Prophètes. Entre chrétiens, comme entre Juifs dans l’Ancien Testament, il est interdit de prêter à intérêt. Pour accomplir sa mission, l’Église va tenter de mobiliser le pouvoir politique. En 1274, au concile de Lyon, Grégoire X « décrète qu’aucune communauté, corporation ou individu ne pourra permettre aux usuriers étrangers de prendre des maisons en location ou de demeurer sur leur territoire ; on devra les expulser dans un délai de trois mois ». Il établissait également que « les testaments des usuriers impénitents ne seraient pas valides ». L’usure était placée sous la juridiction des cours ecclésiastiques.[15] En 1312, au concile de Vienne, Clément V « déclara nulle et vaine toute la législation civile en faveur de l’usure » et stipula que « si quelqu’un tombe dans cette erreur d’avoir la présomption d’affirmer avec entêtement que ce n’est pas un péché de pratiquer l’usure, Nous décidons qu’il doit être puni comme hérétique et Nous ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette hérésie ».[16]
Tous ces témoignages doivent-ils nous inciter à considérer, cette fois, le prêt à intérêt comme contraire au droit naturel et divin ? Il n’est pas sûr que nous puissions aller jusque là dans la mesure où, toujours en référence à la pratique décrite dans l’Ancien Testament, les Juifs qui pouvaient prêter à intérêt aux étrangers continuèrent souvent, ici et là, à jouir de cette tolérance à condition, bien sûr, de ne pas imposer des usures « lourdes et immodérées »[17]. De plus, n’oublions pas à quelle type d’économie nous avons à faire : « Dans une société rurale, le prêt de consommation, nécessaire pour se nourrir en cas de mauvaise récolte, est caractérisé par des taux d’intérêt très élevés, « usuraires », et ruine les paysans qui trop souvent ne peuvent le rembourser »[18]. Or le souci de l’Église va en priorité aux pauvres à l’instar de toutes les leçons données dans l’Écriture et par les Pères. De plus, les injonctions répétées de l’Église n’ont pas éradiqué la pratique qui, au contraire, c’est de plus en plus répandue même dans des milieux très chrétiens. A preuve, l’abondance des condamnations et mises en garde. On sait aussi que du XIe au XIIIe siècle, beaucoup d’abbayes bénédictines ont servi de banque aux propriétaires fonciers et percevaient des intérêts de leur capital prêté.[19]
En ce qui concerne, l’Église orthodoxe russe, « au même titre que les grands seigneurs féodaux, (elle) exploite d’emblée un réseau de paysans serfs liés à elle par un endettement usuraire. Elle ne développera aucune doctrine autonome sur l’usure et se contentera d’intégrer purement et simplement à sa propre législation canonique les coutumes laïques traitant de la question ». Jusqu’à l’abolition du servage en 1861. ( id., pp. 161-166).
En Grèce, sous l’occupation ottomane (du XIVe siècle à l’indépendance en 1830), les collecteurs d’impôts qui sont des notables locaux, deviendront prêteurs pour les petits paysans comme pour les négociants des grandes villes. La création en 1841 de la Banque nationale de Grèce ne modifiera pas le système : elle prêtera aux grands marchands à 8% et ceux-ci prêteront aux petits agriculteurs à 12, 24, 36 et même à 80%. C’est la création du Crédit agricole public qui mettra un terme à cette usure rurale en 1929. (Id., pp. 167-169).