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Chapitre 3 : Le prêt à intérêt et la banque

« Prêter à son prochain, c’est pratiquer la miséricorde…​ »[1]

En dehors de ces réflexions générales sur la pauvreté et la richesse, pendant des siècles, l’attention des chrétiens va surtout se focaliser sur le problème particulier du prêt.

Quelques extraits de l’Ancien testament vont servir de référence à cette réflexion. Il semble, dans la première Alliance, que le prêt à intérêt soit à condamner sévèrement : « Si tu prêtes de l’argent à un compatriote, à l’indigent qui est chez toi, tu ne te comporteras pas envers lui comme un prêteur à gages, vous ne lui imposerez pas d’intérêts »[2] ; « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige intérêt. A l’étranger tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton frère, afin que Yahvé ton Dieu te bénisse en tous tes travaux, au pays où tu vas entrer pour en prendre possession »[3] ; « Si ton frère qui vit avec toi tombe dans la gêne et s’avère défaillant dans ses rapports avec toi, tu le soutiendras à titre d’étranger ou d’hôte et il vivra avec toi. Ne lui prends ni travail ni intérêts, mais aie la crainte de ton Dieu et que ton frère vive avec toi. Tu ne lui donneras pas d’argent pour en tirer du profit ni de la nourriture pour en percevoir des intérêts ; je suis Yahvé votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte pour vous donner le pays de Canaan, pour être votre Dieu. » ⁠[4] L’homme juste « n’opprime personne, rend le gage d’une dette, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim et couvre d’un vêtement celui qui est nu, ne prête pas avec usure, ne prend pas d’intérêts (…) »⁠[5]. Quand on demande à. « Yahvé, qui logera sous ta tente, habitera ta sainte montagne ? », le psalmiste répond : celui qui, notamment, « ne prête pas son argent à intérêt »[6]. Par contre, le fils « violent et sanguinaire » qui « prête avec usure et prend des intérêts, (…) il mourra et son sang sera sur lui. »[7]

A travers ces extraits, il apparaît⁠[8] que le prêt est un service à rendre à celui, le frère, qui est dans la nécessité : « Prêter à son prochain c’est pratiquer la miséricorde, lui venir en aide c’est observer les commandements. Sache prêter à ton prochain lorsqu’il est dans le besoin »[9]. Il s’agit de resserrer ainsi les liens de fraternité au sein de la communauté en y associant peut-être l’étranger du moins celui qui est assimilé ou en voie de l’être⁠[10] Demander un intérêt serait un péché contre la miséricorde. Israël ne doit pas oublier sa libération d’Égypte et son appartenance au Peuple de Dieu : « Parce que Dieu les avait libérés d’Égypte, l’interdiction des prêts avec intérêt était le signe que les enfants d’Israël ne pouvaient être victimes de leurs frères et de leur soif de posséder. Comme peuple élu, ils devaient former une communauté où l’on s’entraiderait et où l’on se soutiendrait. Le contraire d’un peuple où certains profitaient de la pauvreté de leurs frères pour s’enrichir et asseoir leur propre pouvoir ! »[11] C’est bien ce qui apparaît dans le passage du Lévitique cité plus haut⁠[12]. Dans le même esprit religieux s’inscrivent la loi sur les gages déjà évoquée (Ex 22, 25 ; Dt 24, 6 et 11), l’année sabbatique⁠[13] (tous les sept ans) avec la remise des dettes (Dt 15, 1-3)⁠[14], la libération des esclaves juifs (Dt 15, 12-18)⁠[15], l’année jubilaire (tous les cinquante ans) (Lv 25, 13 et 23-24)⁠[16] avec la restitution des propriétés et le repos de la terre. Comme en ce qui concerne l’aumône, il ne faut pas que la division riches-pauvres s’agrandisse, que le nombre des pauvres croisse. Il faut que chacun ait la possibilité de recommencer sa vie. Il faut lutter contre les inégalités. éviter l’endettement. Tous sont solidaires et débiteurs vis-à-vis de Dieu.

Si le prêt à intérêt est donc un péché contre la miséricorde, il n’est pas injuste en lui-même puisqu’il peut être réclamé de celui qui est tout à fait étranger à Israël : « Si Yahvé ton Dieu te bénit comme il l’a dit, tu prêteras à des nations nombreuses, sans avoir besoin de leur emprunter, et tu domineras des nations nombreuses, sans qu’elles te dominent »[17]. Comme il s’agit d’une bénédiction, on peut penser que le prêt est lucratif. Le bon sens d’ailleurs impose l’idée que les Israélites n’auraient pas prêté des biens à des inconnus sans en tirer quelque bénéfice.

On a avancé l’idée que l’originalité relative d’Israël, par rapport aux autres peuples pratiquant le prêt à intérêt, avait une raison économique simple : Israël vivait d’agriculture et d’élevage tandis que, dans les autres pays, le commerce était très développé. Cette explication est insuffisante pour deux raisons. Tout d’abord, on constate que dans le Code d’Hammourabi[18]qui fixe les conditions de remboursement de dettes, une exception était faite pour l’indigent involontaire⁠[19]. Par ailleurs, on sait qu’en Israël, au retour de captivité, les paysans mettaient en gage parfois leurs enfants pour emprunter de l’argent ce qui provoqua la colère de Néhémie⁠[20]. C’est l’avarice, la cruauté des prêteurs qui est fustigée et le manque de compassion des riches.

En conclusion, en ce qui concerne l’Ancien Testament, malgré la sévérité d’un certain nombre de textes, « on n’est pas en droit d’y voir une condamnation universelle de l’intérêt, car d’une part ils définissent soit un idéal de sainteté, soit un devoir de charité »[21] : « Bienheureux l’homme qui prend pitié et prête », dit le psalmiste⁠[22]. De toute façon, même si la condamnation de l’intérêt était absolue, on ne pourrait pas plus transposer telle quelle cette condamnation dans le temps que la royauté décrite dans l’Ancien testament ou d’autres pratiques liées à la formation d’un peuple donné à une époque donnée de son histoire.


1. Si 29, 1.
2. Ex 22, 24.
3. Dt 23, 20-21.
4. Lv 25, 35-38.
5. Ez 18, 7-8 et 17.
6. Ps 15, 1 et 5.
7. Ez 18, 13 et 22, 12.
8. Cf. le commentaire du P. C. Spicq in Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, Questions 67-79, Revue des Jeunes, 1935, pp. 444-450.
9. Si 29, 1-2.
10. On distingue en effet le gèr, l’étranger qui vit dans le pays, qui respecte les lois religieuses et sociales, à demi judaïsé (Lv 25, 35 ; Dt 14, 21 ; 16,13) et le nokri, tout à fait étranger (Dt 23, 21). Pour expliquer pourquoi le Deutéronome (Dt 23, 21) autorise le prêt à intérêt à l’égard de l’étranger, le P. Perrot avance cette hypothèse: « l’étranger ne peut pas garantir le prêt par une propriété située dans le territoire. L’intérêt se trouve ainsi justifié par le risque encouru par le prêteur. Ce qui relève d’une analyse financière classique. Le corollaire m’en semble intéressant : l’interdiction du prêt à intérêt à l’égard de l’Israélite soulignerait donc l’appartenance à une même communauté dans un même lieu. Ce qu’admet implicitement la justification théorique qui nous semble aujourd’hui tellement bizarre : la fongibilité de l’argent. Le bien fongible, c’est justement ce qui s’oppose au bien rattaché à un espace, champ ou immeuble. La comparaison généralement mise en avant était celle de l’arbre fruitier. Je peux cueillir et manger les fruits de mon arbre. Quoi de plus lié au sol ! ?
   Le lien entre l’argent et l’étranger semble être confirmé par l’histoire des métiers d’argent dans diverses sociétés, y compris dans la discipline ecclésiastique du Moyen Age. Les métiers d’argent sont réservés aux résidents étrangers. La chose allait de soi dès les premières manifestations de l’urbanisation. Platon, dans Les Lois (V, 742a-b), stipule que la possession de métal jaune ou blanc est interdite aux citoyens. Ce qui, à l’origine, n’était qu’une pure question pratique - les échanges de proximité se faisaient sans intermédiaires, seuls les échanges au loin nécessitant la médiation d’un commerçant - s’est peu à peu cristallisé en habitude puis en loi. Le phénomène se renouvela à la fin du Moyen Age, à la reprise du mouvement d’urbanisation. Dans les villes marchandes, l’activité des commerçants étrangers fournissait l’essentiel de la richesse. L’examen des activités de la ville d’Anvers à l’époque de sa plus grande expansion au XVIe siècle montre le rôle prééminent des commerçants étrangers. Aujourd’hui encore demeurent quelques traces de ces stratifications internationales du commerce, comme en témoignent les « Libanais » en Afrique ou les « Chinois » en Asie.
   Réservés aux étrangers, les métiers d’argent se sont donc tout naturellement développés dans les populations rejetées aux marges de la communauté politique : juifs au Moyen Age, protestants en France, Parias en inde, Arméniens dans l’empire ottoman, sans parler de la vieille religieuse qui, se sentant marginalisée dans sa propre congrégation, accumule un petit pécule au mépris de la Règle. Bref l’argent apparaît ici comme désignant le lien social déconnecté du territoire politiquement déterminé. » (Op. cit., pp. 104-105).
11. DEBERGE P., op. cit., pp. 113-114.
12. Lv 25, 35-38.
13. La terre aussi participe à l’année sabbatique. Elle non plus ne peut être exploitée comme une simple « machine à produire »: les champs, les oliveraies et les vignobles seront laissés en jachère et leurs fruits abandonnés aux pauvres. (Cf. DEBERGE, op. cit., p. 115, note 29).
14. « Au bout de sept ans tu feras remise. Voici en quoi consiste la remise. Tout détenteur d’un gage personnel qu’il aura obtenu de son prochain, lui en fera remise ; il n’exploitera pas son prochain ni son frère*, quand celui-ci en aura appelé à Yahvé pour remise. Tu pourras exploiter l’étranger, mais tu libéreras ton frère de ton droit sur lui. » * La Bible de Jérusalem note que « le débiteur s’engageait parfois par contrat à livrer un de ses enfants comme esclave ou à travailler personnellement pour son créancier, en cas de non-remboursement ». (p. 219). Toutes ces règles n’ont peut-être pas été observées, peu importe, il n’en demeure pas moins que l’insistance est là et qu’elle doit nous interpeller. L’exemple de Néhémie pourrait inspirer les « grands » de ce monde. Au retour d’exil, devant la misère du peuple, Néhémie se mit en colère : « Ayant délibéré en moi-même, je tançai les grands et les magistrats en ces termes : « Quel fardeau chacun de vous impose à son frère ! » Et convoquant contre eux une grande assemblée, je leur dis : « Nous avons, dans la mesure de nos moyens, racheté nos frères juifs qui s’étaient vendus aux nations. Et c’est vous maintenant qui vendez vos frères pour que nous les rachetions ! » Ils gardèrent le silence et ne trouvèrent rien à répliquer. Je poursuivis: « Ce que vous faites là n’est pas bien. Ne voulez-vous pas marcher dans la crainte de notre Dieu, pour éviter les insultes des nations, nos ennemies ? Moi aussi, mes frères et mes gens, nous leur avons prêté de l’argent et du blé. Eh bien ! faisons abandon de cette dette. Restituez-leur sans délai leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leurs maisons, et remettez-leur la dette de l’argent, du blé, du vin et de l’huile que vous leur avez prêtés ». Ils répondirent : « Nous restituerons ; nous n’exigerons plus rien d’eux ; nous agirons comme tu l’as dit. » J’appelai alors les prêtres et leur fis jurer d’agir suivant cette promesse. » (Ne 5, 6-12). Nous constatons que Néhémie s’inspire de l’esprit de Dt 15 mais ne lie pas la remise de dettes à l’année sabbatique.
15. « Si ton frère hébreu, homme ou femme, se vend à toi, il te servira six ans. La septième année tu le renverras libre, tu ne le renverras pas les mains vides. Tu chargeras sur ses épaules, à titre de cadeau, quelque produit de ton petit bétail, de ton aire et de ton pressoir ; selon ce dont t’aura béni Yahvé ton Dieu, tu lui donneras. Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d’Égypte et que Yahvé ton Dieu t’a racheté : voilà pourquoi je te donne aujourd’hui cet ordre.
   Mais s’il te dit : « Je ne veux pas te quitter », s’il t’aime, toi et ta maison, s’il est heureux avec toi, tu prendras un poinçon, tu lui en perceras l’oreille contre la porte et il sera ton serviteur pour toujours. Envers ta servante tu feras de même.
   qu’il ne te semble pas trop pénible de le renvoyer en liberté : il vaut deux fois le salaire d’un mercenaire, celui qui t’aura servi pendant six ans. Et Yahvé ton Dieu te bénira en tout ce que tu feras. »
16. « En cette année jubilaire vous rentrerez chacun dans votre patrimoine ». « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes. Pour toute propriété foncière vous laisserez un droit de rachat sur le fonds. »
17. Dt 15, 6. Selon E. Perrot qui renvoie à trois exégètes, « il se pourrait que l’interdit vaille pour tous, étrangers comme autochtones » (L’argent,... op. cit., p. 98, note 2). Mais il ne tient compte que de Lv 25, 35-37et ne distingue pas les deux sortes d’étrangers. Notons que saint Thomas estimera que le « frère » désigne tout homme indistinctement. C’est évidemment une lecture chrétienne.
18. Code rédigé vers 1730 av. J.-C., à l’initiative du roi de Babylone Hammourabi. Le texte complet est disponible sur www.micheline.ca/doc—​1730 Hammourabi.htm
19. Au § 48, on lit : « Si un homme a été tenu par une obligation productive d’intérêt, et si l’orage a inondé son champ et emporté la moisson, ou si faute d’eau, le blé n’a pas poussé dans le champ - dans cette année, il ne rendra pas de blé au créancier, trempera dans l’eau sa tablette, et ne donnera pas l’intérêt de cette année. » (Op. cit.).
20. On peut ajouter d’autres protestations contre ce genre de pratique. Ainsi, Yahvé demande : « Auquel de mes créanciers vous ai-je vendus ? » (Is 50, 1). Il s’emporte contre ceux qui « s’étendent sur des vêtements pris en gage » (Am 2, 8). Il prescrit : « Si tu prends en gage le manteau de quelqu’un, tu le lui rendras au coucher du soleil. C’est sa seule couverture, c’est le manteau dont il enveloppe son corps, dans quoi se couchera-t-il ? S’il crie vers moi je l’écouterai, car je suis compatissant, moi ! » (Ex 22, 26). Eliphaz qui pense que le malheur de Job est lié à une faute, lui reproche : « Tu as exigé de tes frères des gages injustifiés, dépouillé de leurs vêtements ceux qui sont nus » (Jb 22, 6). Job proteste de son innocence et se demande : « Pourquoi le Tout-puissant n’a-t-il pas des temps en réserve, et ses fidèles ne voient-ils pas ses jours ? » Des temps qui s’ajouteraient « à celui qui mesure une vie humaine, pour exercer enfin le châtiment » et des jours « pour la rétribution des individus, analogues au « Jour de Yahvé » eschatologique » (Bible de Jérusalem, note g, p. 681). En ce qui concerne les « méchants » qui sont encore impunis, Job note qu’« on emmène l’âne des orphelins, on prend en gage le bœuf de la veuve. (…) On prend en gage le nourrisson du pauvre » (Jb 24, 3 et 9). L’insensé « prête aujourd’hui, demain il redemande : c’est un homme détestable » (Si 20, 15). Si le prêteur sur gage reçoit ainsi une leçon, l’emprunteur est aussi mis en garde car il risque beaucoup : « Le riche domine les pauvres, du créancier l’emprunteur est esclave » (Pr 22, 7). Jérémie se plaint des critiques dont il est l’objet :  »Jamais je ne prête ni n’emprunte, pourtant tout le monde me maudit » (Jr 15, 10). De même, parmi les maux souhaités à David par les méchants : « que l’usurier rafle tout son bien » (Ps 109, 11).
21. SPICQ C., op. cit., p. 448. Ez 18, 8 s’inscrit dans la description du juste qui observe tous les commandements.
22. Ps 112, 5.

⁢i. Le Nouveau testament

Le Christ confirme que le prêt est une œuvre de miséricorde : « A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos »[1]. Et, dans la parabole des talents, il met dans la bouche du Seigneur ce reproche au mauvais serviteur qui a enfoui le talent de son maître dans la terre : « tu aurais dû placer mon argent chez le banquier, et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. »[2] Selon son habitude, le Christ se réfère à une pratique familière à ses auditeurs, qui ne peut être perverse en soi⁠[3]. L’argent doit servir, produire le bien, « qu’il ne rouille pas en pure perte, sous une pierre »[4].

Le Christ va plus loin : « Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants. »[5] Il est clair que « Jésus invite à donner plus qu’à prêter, que ce soit avec ou sans intérêt »[6]. Et si le texte vise le prêt sans intérêt, « on n’est plus dans le domaine de la simple justice, mais de la perfection de la charité ». En effet, « alors que les païens consentent ce prêt non lucratif en exigeant la restitution de la somme engagée, les disciples du Christ doivent être disposés, le cas échéant, à ne pas recevoir ce qu’ils ont avancé ».⁠[7] C’est un idéal qui est proposé et non ordonné.

On ne peut donc, à partir, de l’Écriture, prendre position sur le problème économique du prêt à intérêt, d’autant moins que, dans les temps bibliques, on ne connaît guère que le prêt à la consommation, à un stade encore peu développé de l’économie. Le problème sera plus tard d’examiner le droit à de justes intérêts avec l’extension des banques et des prêts à la production.


1. Mt 5, 42.
2. Mt 25, 27 (cf. Lc 19, 23).
3. A propos de l’intendant infidèle qui dilapidait les biens de son maître et qui, renvoyé, remet au débiteurs une partie de leur dette, ce qui lui vaut les félicitations du maître (Lc 16, 1-8), la Bible de Jérusalem note (b, p. 1506) : « Selon la coutume alors tolérée en Palestine, l’intendant avait le droit de consentir des prêts sur les biens de son maître et, comme il n’était pas rémunéré, de se payer en forçant sur la quittance le montant du prêt, afin que, lors du remboursement, il profitât de la différence comme d’un surplus qui représentait son intérêt. Dans le cas présent, il n’avait sans doute prêté en réalité que cinquante barils d’huile et quatre-vingts mesures de blé : en ramenant la quittance à ce montant réel, il ne fait que se priver du bénéfice, à vrai dire usuraire, qu’il avait escompté. Sa « malhonnêteté », v.8, ne réside donc pas dans la réduction de quittance, qui n’est qu’un sacrifice de ses intérêts immédiats, manœuvre habile que son maître peut louer, mais plutôt dans les malversations antérieures qui ont motivé son renvoi, v.1. ».
4. Si 29, 10.
5. Lc 6, 34-36.
6. PERROT E., L’argent, Lectures bibliques d’un économiste, op. cit., p. 99.
7. SPICQ C., op. cit., p. 449.

⁢ii. Les Pères de l’Église

Les Pères de l’Église vont clairement et radicalement condamner le prêt à intérêt assimilé à l’usure : « c’est bien l’intérêt qui est condamné, et pas seulement ses excès ».⁠[1] Saint Ambroise, par exemple, définira ainsi l’usure : « Tout ce qui s’ajoute au capital, que ce soit de la nourriture, des vêtements ou toute autre chose de quelque nom que vous l’appeliez. »[2] Dans la langue classique, « usura » (de « utor ») a le sens d’ »usage » et, dans son sens juridique, il désigne le profit retiré de l’argent prêté.⁠[3]

La radicalité du discours patristique s’explique sans doute par les abus des prêteurs qui cherchent à profiter des malheurs publics dûs à l’instabilité du Bas-Empire et aux famines mais aussi par la sévérité des moralistes païens⁠[4]. Saint Basile dira que l’usurier étrangle le pauvre : « Quoi de plus inhumain que de se tailler des rentes dans les calamités du pauvre, et d’amasser de l’argent chez celui que le besoin contraint à solliciter un prêt »[5] ; saint Ambroise déclarera que prêter à intérêt, c’est tuer un homme⁠[6] : « Il n’y a pas de différence entre le prêt à intérêt et des funérailles »[7]. Pour saint Grégoire de Nysse, l’usurier « blesse une seconde fois celui qui est déjà blessé »[8]. Saint Jean Chrysostome dira que « rien n’est plus honteux , ni plus cruel que l’usure »[9] et saint Augustin demandera : « Celui qui soustrait ou arrache quelque chose au riche, est-il plus cruel que celui qui tue le pauvre par l’usure ? »[10]. et, une fois encore, ne nous y trompons pas, usure et prêt à intérêt sont confondus : « Si vous prêtez à un homme avec stipulation d’intérêts, c’est-à-dire si vous attendez de lui, en échange de l’argent prêté, plus que vous n’avez avancé, que ce soit de l’argent, du blé, du vin, de l’huile ou autre chose, vous êtes un usurier et en cela vous êtes blâmable »[11].

Prêter à intérêt est un péché contre la charité⁠[12] mais aussi contre la justice puisqu’il manifeste cupidité et avarice. Pour saint Léon, « C’est une avarice injuste et insolente que celle qui se flatte de rendre service au prochain alors qu’elle le trompe (…) et qui estime plus sûrs les biens présents que ceux de l’avenir (…). Il faut donc fuir l’iniquité de l’usure et éviter un gain fait au mépris de toute humanité. (…) Celui-là jouira du repos éternel qui entre autres règles d’une conduite pieuse n’aura pas prêté son argent à usure (…) ; tandis que celui qui s’enrichit au détriment d’autrui, mérite en retour la peine éternelle ».⁠[13] Et de réclamer la sévérité des évêques contre les usuriers : « Nous ne devons pas davantage passer sous silence ces victimes de la cupidité d’un gain honteux, qui prêtent leur argent à usure avec l’intention de s’enrichir à l’aide de ces pratiques. Nous nous en affligeons non seulement à l’égard de ceux qui sont engagés dans la cléricature, mais encore à l’égard des laïcs qui se prétendent chrétiens. Il faut sévir activement contre ceux qui auront été repris, afin d’enlever tout prétexte au péché »[14].

Quant aux étrangers auxquels on pouvait, dans l’Ancien testament⁠[15], prêter avec intérêt, saint Ambroise les considère comme des ennemis et écrit : « A celui auquel tu désires légitimement nuire, à celui contre lequel tu prends justement les armes, à celui-là tu peux à bon droit prendre des intérêts (…) sans que ce soit un crime de le tuer. Donc là où est le droit de la guerre, là est aussi le droit d’usure. (…) Ton frère est d’abord quiconque partage ta foi et ensuite quiconque est soumis au droit romain ».⁠[16] Il est manifeste qu’une telle conception s’oppose à l’idéal chrétien de fraternité universelle !

Péché contre la charité, contre la justice, le prêt à intérêt a aussi contre lui la raison philosophique à travers, principalement, l’argumentation d’Aristote selon lequel il est antinaturel au plus haut point que l’argent « fasse des petits », s’engendrant lui-même: « L’acquisition des biens étant double, comme nous l’avons vu, c’est-à-dire à la fois commerciale (production et richesse d’argent) et domestique (production des biens de subsistance), celle-ci nécessaire et estimée à bon droit, celle-là méprisée non moins justement comme n’étant pas naturelle et ne résultant que du colportage des objets, on a surtout raison d’exécrer l’usure, parce qu’elle est un mode d’acquisition né de l’argent lui-même et ne lui donnant pas la destination pour laquelle on l’avait créé. L’argent ne devait servir qu’à l’échange ; et l’intérêt qu’on en tire le multiplie lui-même, comme l’indique assez le nom que lui donne la langue grecque. (Le mot qui signifie en grec « intérêt »-tokos- vient d’un radical qui signifie engendrer-tekein). Les pères ici sont semblables aux enfants. L’intérêt est de l’argent issu de l’argent, et c’est de toutes les acquisitions celle qui est le plus contre nature »[17]. La condamnation paraît absolue⁠[18], qu’il s’agisse de dépenses improductives, dépenses de consommation, ou de dépenses productives qui sont des dépenses commerciales.⁠[19] Dans cet esprit, pour saint Basile, prêter à intérêt, c’est récolter où l’on n’a pas semé⁠[20], seul le travail engendre la richesse et peut « faire des petits » : « Vous avez des mains, vous connaissez un métier : travaillez donc pour recevoir le prix de votre travail. Offrez vos services pour gagner un salaire. Que de manières, que d’occasions n’y a-t-il pas de gagner sa vie ! (…) Pour vivre, la fourmi n’implore ni n’emprunte ; les abeilles nous font même présent de la nourriture qu’elles ont en trop. Cependant la nature ne leur a donné ni mains, ni métier ; et vous qui êtes des hommes, des animaux industrieux, vous ne trouvez pas un seul emploi pour votre vie ». Comme quoi le prêt peut encourager aussi la paresse.

Comme les Prophètes, les Pères de l’Église sont soucieux de la défense des pauvres qui sont les premières victimes des catastrophes naturelles et des guerres. Gagner de l’argent en profitant de leur malheur est évidemment scandaleux. Dans d’autres circonstances, avec éventuellement d’autres acteurs, il n’est pas dit que le prêt à intérêt raisonnable aurait été aussi fortement dénoncé.


1. Cf. PERROT E., L’argent, Lectures bibliques d’un économiste, op. cit., p. 99.
2. De Tobia, chap. XIV.
3. Cf. SPICQ C., op. cit., pp. 335-336. Usura est synonyme de fenus (ou foenus) et s’oppose à mutuum, (muto, echanger) prêt de consommation gratuit.
4. « qu’est-ce que le prêt à intérêt et l’usure, demande Sénèque, sinon autant de noms qu’on a cherchés à la convoitise humaine en dehors de la nature » (De Beneficiis, VII, chap. 9, n° 3-4). Cicéron rapporte cette réflexion de Caton : « qu’est-ce que prêter à intérêt ? qu’est-ce que tuer un homme ? » (De Officiis, II, 89).
5. Homélie II in Ps XIV.
6. De Tobia, chap. XIV.
7. Id., chap. X.
8. Contra Usurarios et Homélie IV sur l’Ecclésiaste.
9. Homélie V in Mt, n° 8.
10. Epître 153 Macédonius, chap. 6.
11. Enarratio in Ps XXXVI.
12. « Le chrétien doit donner son argent quand il en possède, et sans esprit de retour ; ou du moins il doit n’en recouvrer que le capital » (Saint Ambroise, Epître à Vigile, n° 4).
13. Sermo XVII, De Jejunio, chap. 2-3.
14. Epître IV (Aux évêques de Campanie, de Pise et de Toscane), chap. 3.
15. Dt 22, 20.
16. De Tobia, chap. XV.
17. Politique, Livre I, chap. III, n° 22-23.
18. Plusieurs commentateurs trouvent dans d’autres passages des affirmations qui pourraient nuancer la position d’Aristote. Cf. SPICQ C., op. cit., p. 441 ou CASTELEIN A., sj, Droit naturel, Albert Dewit, 1912, p. 346.
19. Cf. Politique I, chap. 3. La condamnation du prêt à la production s’explique en partie par le caractère rudimentaire de l’outillage à l’époque mais aussi par le mépris du philosophe vis-à-vis des métiers liés au commerce (cf. Morale à Eudème, I, chap. 3) et, plus largement, vis-à-vis de tous ceux qui ne considèrent pas que la première richesse est d’ordre spirituel : « Insolents et hautains, les riches se croient maîtres de tous les biens de la terre. Ils vous jugent à la mesure de votre fortune, seule affaire dont ils apprécient la valeur. Hommes et choses, ils ravalent tout au rang de simples marchandises. Voluptueux et grossiers, vivant pour l’ostentation, ils aspirent au pouvoir, et s’attribuent les qualités nécessaires pour commander. Bref, ils ont le caractère d’imbéciles que le sort aurait favorisés » (Rhétorique, II, chap. 16).
   Notons que saint Ambroise semble faire une exception pour le prêt commercial. Dans une épître (Ad Anthemium subdiaconatum, in Livre IX, n° 38) : « il fait prier un créancier de se contenter d’une partie des intérêts promis (…) par le débiteur ruiné. Il allègue deux motifs à l’appui de sa requête : la double condition de chrétien et de noble créancier, puis l’assurance que Dieu lui rendra avec abondance ce qu’il aura remis au pauvre ». (SPICQ C., op. cit., p. 454).
20. Homélie II in Ps XIV.

⁢iii. La législation canonique jusqu’au XIIIe siècle

[1]

Elle déclare illicite le prêt à intérêt mais vise d’abord exclusivement les clercs⁠[2]. Puis, surtout à partir du VIIIe siècle⁠[3], l’excommunication frappera aussi les laïcs⁠[4]. L’Église sera de plus en plus sévère dans la mesure où l’usure se répand de plus en plus en dépit des condamnations, et que les taux deviennent parfois exorbitants : 100, 200, voire 300% !⁠[5] Aux XII et XIIIe siècles, le mal grandit encore et, dans les Flandres, le commerce de l’argent fleurit dans des villes comme Arras, Lens, Douai, Valenciennes, Tournai, Ypres, Gand, Bruges, etc.. L’aristocratie⁠[6] et les villes⁠[7] contractent des dettes considérables auprès des bourgeois ou des banquiers italiens⁠[8].

De tels faits expliquent les condamnations du IIe concile de Latran (1139)⁠[9] , du concile de Tours (1163)⁠[10] et surtout du IIIe concile de Latran (1179) : « Depuis que, presque en chaque endroit, le crime d’usure est devenu tellement dominant, que beaucoup de personnes ont abandonné toutes les autres affaires pour devenir usuriers, comme si ce métier était autorisé, et sans égard à son interdiction dans les deux Testaments, nous ordonnons que les usuriers manifestes ne soient pas admis à la communion et, s’ils meurent dans leur péché, qu’ils ne soient pas enterrés chrétiennement et qu’aucun prêtre n’accepte leurs aumônes »[11].

Le pape Innocent III⁠[12] refusa le droit d’appel aux usuriers manifestes et autorisa les évêques à les traduire devant leur tribunal, même en l’absence d’accusateur⁠[13]. C’était, remarque C. Spicq, « déjà les traiter pratiquement comme hérétiques »[14].

Dans cette affaire, à l’époque, la position de l’Église se justifie par la nécessité de lutter contre les exactions et les maux qu’elles engendrent et par l’Écriture. L’Église s’emporte contre les usuriers, comme les Prophètes. Entre chrétiens, comme entre Juifs dans l’Ancien Testament, il est interdit de prêter à intérêt. Pour accomplir sa mission, l’Église va tenter de mobiliser le pouvoir politique. En 1274, au concile de Lyon, Grégoire X « décrète qu’aucune communauté, corporation ou individu ne pourra permettre aux usuriers étrangers de prendre des maisons en location ou de demeurer sur leur territoire ; on devra les expulser dans un délai de trois mois ». Il établissait également que « les testaments des usuriers impénitents ne seraient pas valides ». L’usure était placée sous la juridiction des cours ecclésiastiques.⁠[15] En 1312, au concile de Vienne, Clément V « déclara nulle et vaine toute la législation civile en faveur de l’usure » et stipula que « si quelqu’un tombe dans cette erreur d’avoir la présomption d’affirmer avec entêtement que ce n’est pas un péché de pratiquer l’usure, Nous décidons qu’il doit être puni comme hérétique et Nous ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette hérésie ».⁠[16]

Tous ces témoignages doivent-ils nous inciter à considérer, cette fois, le prêt à intérêt comme contraire au droit naturel et divin ? Il n’est pas sûr que nous puissions aller jusque là dans la mesure où, toujours en référence à la pratique décrite dans l’Ancien Testament, les Juifs qui pouvaient prêter à intérêt aux étrangers continuèrent souvent, ici et là, à jouir de cette tolérance à condition, bien sûr, de ne pas imposer des usures « lourdes et immodérées »[17]. De plus, n’oublions pas à quelle type d’économie nous avons à faire : « Dans une société rurale, le prêt de consommation, nécessaire pour se nourrir en cas de mauvaise récolte, est caractérisé par des taux d’intérêt très élevés, « usuraires », et ruine les paysans qui trop souvent ne peuvent le rembourser »[18]. Or le souci de l’Église va en priorité aux pauvres à l’instar de toutes les leçons données dans l’Écriture et par les Pères. De plus, les injonctions répétées de l’Église n’ont pas éradiqué la pratique qui, au contraire, c’est de plus en plus répandue même dans des milieux très chrétiens. A preuve, l’abondance des condamnations et mises en garde. On sait aussi que du XIe au XIIIe siècle, beaucoup d’abbayes bénédictines ont servi de banque aux propriétaires fonciers et percevaient des intérêts de leur capital prêté.⁠[19]


1. Nous parlerons ici de l’Église d’Occident. Beaucoup plus rapidement, « les Byzantins ont certes pris conscience de la difficulté de concilier morale divine et contraintes économiques…​ mais sans pour autant arriver à la surmonter durablement ». Empereurs rigoristes et empereurs pragmatiques se succèdent. Les uns voulant respecter le décret divin, les autres obligés de considérer « le prêt d’argent comme un palliatif illusoire mais nécessaire pour permettre aux paysans et aux petites gens de survivre ». L’empereur Justinien (527-555) réglementera le prêt, limitant les taux en tenant compte de la qualité des prêteurs. Nicéphore le Génicos (802-811) l’interdira mais fera une exception pour les prêts maritimes. Léon VI le Sage (886-912) reprendra le système de Justinien en se justifiant : « Puisqu’il n’est pas possible à tous de s’élever jusqu’à une telle hauteur d’esprit et d’accepter la voix de la loi divine mais que ceux que l’ascension de la vertu conduit là sont en très petit nombre, il serait bon qu’on vécût des lois simplement humaines ». Après une période de difficulté économique et d’abus, Nicolas Cabasilas, archevêque de Thessalonique (XIVe s), dans son Traité contre les usuriers, rappelle que l’usure est bien un péché aux yeux de Dieu mais qu’on ne peut malheureusement interdire radicalement le prêt d’argent qui remplit une fonction économique vitale. Il faut donc le considérer comme un moindre mal. (Cf. BARTHET Bernard, S’enrichir en dormant, L’argent et les religions, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 73-80).
   En ce qui concerne, l’Église orthodoxe russe, « au même titre que les grands seigneurs féodaux, (elle) exploite d’emblée un réseau de paysans serfs liés à elle par un endettement usuraire. Elle ne développera aucune doctrine autonome sur l’usure et se contentera d’intégrer purement et simplement à sa propre législation canonique les coutumes laïques traitant de la question ». Jusqu’à l’abolition du servage en 1861. ( id., pp. 161-166).
   En Grèce, sous l’occupation ottomane (du XIVe siècle à l’indépendance en 1830), les collecteurs d’impôts qui sont des notables locaux, deviendront prêteurs pour les petits paysans comme pour les négociants des grandes villes. La création en 1841 de la Banque nationale de Grèce ne modifiera pas le système : elle prêtera aux grands marchands à 8% et ceux-ci prêteront aux petits agriculteurs à 12, 24, 36 et même à 80%. C’est la création du Crédit agricole public qui mettra un terme à cette usure rurale en 1929. (Id., pp. 167-169).
2. Citons, entre autres, les conciles d’Elvire (305), d’Arles (314), de Laodicée (325), de Nicée (325). Les sanctions vont de la déchéance à l’excommunication.
3. Déjà en 443, Léon Ier le Grand décrète : « Nous avons estimé également ne pas devoir passer sous silence le fait que certains, qui sont captivés par l’envie d’un gain honteux, se livrent à des trafics usuraires et veulent s’enrichir par le prêt à intérêt ; et que cela vaille, je ne veux pas dire pour ceux qui sont établis dans un office clérical, mais aussi pour des laïcs qui veulent être appelés chrétiens, nous le déplorons beaucoup. Nous décrétons que l’on sévisse plus vivement contre ceux qui en auront été trouvés coupables, afin que soit éloignée toute occasion de pécher ». (Lettre Ut nobis gratulationem, 10-10-443).
4. Conciles d’Aix-la-Chapelle et les Capitulaires de Charlemagne (789-806). Le concile de Paris (829) définira la recherche d’intérêt comme la « rage de lucre la plus honteuse ». Le concile de Pavie (850) sera encore plus sévère. De même, le pape Alexandre III et le concile de Tours (1163).
5. Ce sont des taux exceptionnels. Déjà à Rome, la pratique du prêt à intérêt connut des hauts et des bas. Autorisé à certaines époques, limité quant au taux d’intérêt à d’autres, interdit parfois. A l’époque chrétienne, on s’inspira du droit romain pour limiter les taux d’intérêt. En général, la règle, à Rome, était 12% par an (1% par mois). Dans le Code de Justinien : 12% pour les prêts maritimes, 8% pour les prêts commerciaux, de 4 à 6% pour les particuliers. Le roi de France Philippe-Auguste (1165-1223) fixe le maximum à 43% par an. A Auxerre, au XIIIe siècle, les juifs sont autorisés à prêter à environ 9% par semaine. d’un lieu à l’autre, d’une année à l’autre, les taux changent : 12,5% à Vérone (1228), 20% à Modène (1270). A la fin du XIIIe siècle, le taux de 10% est très courant. Il s’agit de taux légaux. (Cf. SPICQ C., op. cit., pp. 343-344).
6. Le roi d’Angleterre Jean sans Terre (1167-1216) s’endetta auprès de prêteurs gantois, Gui de Dampierre (1225-1305) comte de Namur et de Flandre, Jean de Dampierre, évêque de Liège, Robert II comte d’Artois, etc., eurent recours à des prêteurs. Rien que dans le comté de Flandre, entre 1269 et 1300, les créances de Gui de Dampierre atteignaient 55.813 livres.
7. Entre 1284 et 1305, Bruges obtint des avances s’élevant à plus de 480.000 livres.
8. Au XIIe siècle, de nombreux marchands venus de Lombardie avaient établi des maisons de prêt. Pour payer aux Français la rançon de son fils, Ferrand de Portugal, comte de Flandre et de Hainaut, après la bataille de Bouvines (1214), la comtesse Jeanne obtint d’un banquier italien un crédit de 29.194 livres au prix de 34.626 livres.
9. Canon n° 13: « Détestable et scandaleuse au regard des lois divines et humaines et rejetées par l’Écriture dans l’Ancien et le Nouveau Testament est l’insatiable rapacité des usuriers : aussi la condamnons-nous et l’excluons-nous de toute consolation de l’Église, ordonnant qu’aucun archevêque, aucun abbé de quelque ordre que ce soit ou aucun clerc ordonné n’ose admettre des usuriers aux sacrements sans une extrême prudence. qu’ils soient tenus pour infâmes toute leur vie et privés de sépulture ecclésiastique s’ils ne viennent pas à résipiscence. »
10. Présidé par Alexandre III, il épingle, dans son chapitre 2, ceux qui « reculent certes devant le prêt à intérêt usuel parce qu’il est plus clairement condamné, mais prennent en gage les biens de ceux qui sont dans le besoin et auxquels ils ont prêté de l’argent, et en perçoivent les fruits produits au-delà du capital prêté. » Le concile décrète que « désormais nul qui est établi dans le clergé ne doit avoir l’audace de pratiquer cette sorte de prêt à intérêt ou une autre. »
11. Décrétales du IIIe concile de Latran, livre V, titre 19, De usuris, chap. 3. Des mesures semblables ont été prises au concile de Lisieux (1064), puis à ceux de Rouen (1214), de Château-Gontier (1231) et de bien d’autres conciles locaux.
12. 1198-1216.
13. Décrétales, livre V, tit. 19, chap. 13-18.
14. Op. cit., p. 463.
15. VIe Décrétale, livre V, tit. 5, De usuris, canons 1 et 2.Cf. SPICQ C., op. cit., p. 460.
16. Constitution Ex gravi ad Nos, Clementinae, livre V, tit. 5c1, De usuris. Cf. SPICQ C., op. cit., p. 461.
17. Innocent III, op. cit., chap. 18. Même recommandation au 4e concile de Latran (1215) qui, en même temps, constate que l’interdit fait aux chrétiens profite aux Juifs : « Plus la religion chrétienne se refuse à l’exaction de l’usure, plus la perfidie des juifs s’adonne à celle-ci, si bien que, en peu de temps, ils épuisent les richesses des chrétiens » (Canon 67, cité in PERROT E., op. cit., p. 100). Urbain III (1185-1197) et saint Louis (1214-1270) leur interdirent ce privilège. De son côté, l’historien constate : « De nombreux israélites abandonnent alors le petit commerce ou l’artisanat pour sa consacrer aux prêts sur gages, exigeant de forts intérêts. On affirme généralement que cette spécialisation tenait à leur qualité de non-Chrétiens qui leur permettait d’échapper aux condamnations religieuses. Mais il faut y voir aussi la réaction naturelle d’une minorité ethnique qui, protégée par les souverains mais menacée par le peuple, cherche à s’affirmer par la recherche de solides fortunes (L. Poliakov). Les Juifs n’ont pas alors le monopole de cette pratique ; les prêteurs sont aussi, dans les villes et les campagnes, d’autres étrangers : Lombards (gens d’Asti et de Chieri venus par les routes des foires), gens de Cahors, Siennois. Dès les années 1200, à Paris et surtout en Flandre, les mots de lombards et de cahorsins désignent indistinctement tous les prêteurs. Les succursales des compagnies de Sienne recrutent de très nombreux clients parmi les paysans de Champagne et des environs de Paris, qui leur laissent des terres en gage. Ainsi les gens des villes mettent-ils la main, peu à peu, sur les terres paysannes. » (HEERS J., Précis d’histoire du Moyen Age, PUF, 1968, p. 127: du XIe au XIIIe). Léon Poliakov (1910-1997) est un historien, spécialiste de l’antisémitisme.
18. HILAIRE Yves-Marie, Les catholiques n’ont pas toujours détesté l’argent, in Communio, n° XXI, 4, juillet-août 1996, p. 85.
19. « Deux modes d’engagement des propriétés foncières pour couvrir l’emprunt était en usage : le mort-gage, dans lequel les revenus du bien engagé ne sont point déduits de la somme prêtée, ces revenus constituant ainsi de véritables intérêts, et le vif-gage, dans lequel ces revenus sont défalqués de la somme avancée, qu’ils servent à amortir, le gage revenant au propriétaire primitif, l’amortissement achevé. Ce dernier mode est une œuvre de charité, le premier œuvre de banque (…). Ce mort-gage fut interdit par Alexandre III. Mais alors naquit l’usage des rentes perpétuelles. Les monastères employèrent les capitaux, qu’ils n’avaient pas à dépenser, à produire une rente annuelle soit en argent, soit sous forme de redevance en nature. » (CASTELEIN A., op. cit., p. 349, note 1. L’auteur s’appuie sur GENESTAL R., Du rôle des monastères comme établissements de crédit, étudiés en Normandie du XIe à la fin du XIIIe siècle, Rousseau, 1901).

⁢iv. Saint Thomas

[1]

Saint Thomas relève tous les passages de l’Écriture que nous avons cités plus haut et constate, dans les « difficultés » que certains textes semblent autoriser le prêt à intérêt, notamment Dt 23, 19-20, Dt 28, 12, Lc 19, 23 alors (« sed contra ») qu’Ex 22, 25 l’interdit. Alors, « est-ce un péché de percevoir des intérêts pour un prêt d’argent » ? La réponse de Thomas va reprendre l’argumentation d’Aristote : « Recevoir un intérêt pour l’usage de l’argent prêté est en soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas ; ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice ».

Pour nous en convaincre, Thomas rappelle qu’il existe deux sortes de biens : ceux dont l’usage se confond avec leur consommation, comme le vin ou le blé et les biens dont l’usage ne se confond pas avec leur consommation, comme une maison. Dans le premier cas, « on ne devra (…) pas compter l’usage de l’objet à part de sa réalité même ; mais du fait même que l’on en concède l’usage à autrui, on lui cède l’objet même. Voilà pourquoi, pour des objets de ce genre, le prêt transfère la propriété. Si donc quelqu’un voulait vendre d’une part du vin, et d’autre part son usage, il vendrait deux fois la même chose, ou mieux, vendrait ce qui n’existe pas. » Il serait injuste que l’emprunteur restitue à la fois la chose elle-même et le prix de son usage (usus). Le prix de l’usage est ce que l’on appelle l’usure (usura). Pour saint Thomas donc, à cet endroit, il n’ya pas de distinction entre prêt à intérêt et usure au sens moderne du terme. Dans le deuxième cas, une maison, par exemple, son usage « consiste à habiter, non à la détruire ; on pourra donc faire une cession distincte de l’usage et de la propriété (…). Voilà pourquoi on a le droit de faire payer l’usufruit d’une maison et de redemander ensuite la maison prêtée, comme cela se pratique dans les baux et les locations d’immeubles. »

Mais, qu’en est-il de l’argent que l’on prête ? Thomas répond : « Aristote remarque qu’il a été principalement inventé pour faciliter les échanges ; donc son usage propre et principal est d’être consommé, c’est-à-dire dépensé, puisque tel est son emploi dans les achats et les ventes. En conséquence, il est injuste en soi de se faire payer pour l’usage de l’argent prêté ; c’est en quoi consiste l’usure ».

Ceci dit, comment saint Thomas explique-t-il les exceptions ou concessions que l’Écriture semble envisager ? Laissons de côté le texte de Luc qui métaphoriquement parle de biens spirituels, et voyons plutôt comment saint Thomas envisage la licéité du prêt à l’étranger dans l’Ancien Testament⁠[2]. Le P. Spicq n’hésite pas à écrire que la solution proposée est  »tendancieuse »[3] dans la mesure où l’interdiction du prêt à intérêt entre « frères » doit s’étendre, dit Thomas, à tous les hommes et que les Prophètes ont parlé en ce sens : « c’était une tolérance pour éviter un plus grand mal » : prêter à intérêt aux Juifs.⁠[4]

On ne peut non plus accepter l’argument selon lequel on pourrait demander, dans le contrat, une indemnité parce qu’on ne gagne plus rien avec l’argent prêté : « on n’a pas le droit de vendre, réplique saint Thomas, ce que l’on ne possède pas encore et dont l’acquisition pourrait être compromise de bien des manières. »[5] Autrement dit, on ne peut « vendre ce que l’on n’a pas encore et ce que l’on n’aura peut-être jamais ».⁠[6]

Et qu’en est-il de la vente à crédit ?

Thomas l’assimile purement et simplement à l’usure : « vendre un objet au-dessus de son juste prix parce que l’on accorde à l’acheteur un délai de paiement, c’est une usure manifeste, car ce délai ainsi concédé a le caractère d’un prêt. Par conséquent, tout ce qu’on exige au-dessus du juste prix en raison de ce délai, est comme le prix ou l’intérêt d’un prêt, et doit donc être considéré comme usuraire. »[7]

Toutefois, on peut trouver ici et là quelques distinctions qui peuvent nuancer la sévérité du propos et qui, selon E. Gilson, pourraient fournir une justification à « bien des prêts à intérêt tels qu’on les pratique de nos jours ».⁠[8]

Ainsi, « dans son contrat avec l’emprunteur, le prêteur peut, sans aucun péché, stipuler une indemnité à verser pour le préjudice qu’il subit en se privant de ce qui était en sa possession ; ce n’est pas là vendre l’usage de l’argent, mais recevoir un dédommagement. Il se peut d’ailleurs que le prêt évite à l’emprunteur un préjudice plus grand que celui auquel s’expose le prêteur. C’est donc avec son bénéfice que le premier répare le préjudice du second. »[9]

Ainsi, Thomas envisage-t-il aussi que la dépense ne soit pas le seul usage de l’argent : « les pièces d’argent monnayé pourraient avoir un usage secondaire ; par exemple, si on les prêtait à autrui pour qu’il en fasse étalage ou les mette en gage. On pourrait alors licitement exiger un prix pour cet usage de l’argent ».⁠[10]

Le problème est différent aussi si le prêt est octroyé dans le cadre d’une entreprise économique : « celui qui confie une somme d’argent à un marchand ou à un artisan et constitue en quelque sorte avec eux une société, ne leur cède pas la propriété de son argent qui demeure bien à lui, si bien qu’il participe à ses risques et périls au commerce du marchand et au travail de l’artisan ; voilà pourquoi il sera en droit de réclamer, comme une chose lui appartenant, une part du bénéfice. »[11]

Il est clair que, pour l’essentiel, Thomas envisage des prêts simples: une personne démunie ou dans l’embarras sollicite d’un voisin, d’un ami mieux pourvu un peu de son argent qui dort. Thomas avait surtout en vue dans sa sévérité radicale contre les prêteurs la protection des emprunteurs contraints : « jamais il ne sera permis d’engager quelqu’un à prêter en exigeant des intérêts ; mais quand un homme est disposé à faire des prêts de cette nature et ainsi pratique l’usure, il est permis de lui emprunter à intérêt ; ceci en vue d’un bien, qui est de subvenir à sa propre nécessité ou à celle d’autrui ».⁠[12]

Enfin, pas plus que les auteurs de l’Ancien Testament, pas plus que les Pères, Thomas « ne prévoyait certes pas la complication des méthodes bancaires modernes »[13]


1. La réflexion de saint Thomas se trouve dans la Somme théologique, dans le chapitre consacré à la justice, IIa IIae, qu. 78, art. 1-4.
2. Art. 1, sol. 2.
3. Op. cit., p. 341.
4. E. Perrot simplifie un peu la lecture de l’article 1 en affirmant que, selon Thomas, Dt 23, 21 n’en fait pas (du prêt à intérêt) « comme tel un péché ». (Op. cit., p. 100).
5. Art. 2, sol. 1.
6. GILSON E., Le thomisme, Vrin, 1986, p. 398.
7. Art. 2, sol. 7. Thomas poursuit : « De même lorsque l’acheteur veut acheter un objet au-dessous du juste prix, sous prétexte qu’il paiera avant sa livraison, il commet lui aussi un péché d’usure ; ce paiement anticipé, est une sorte de prêt, dont l’intérêt consiste dans la remise faite sur le juste prix de l’objet vendu. Si toutefois on baisse volontairement les prix afin de disposer plus vite de l’argent, ce n’est pas de l’usure ».
   Même dans le cadre d’un contrat de société, vendre plus cher à crédit n’est pas justifiable car le temps ne se vend pas.
   Quelle était la position des papes à l’époque ? En 1179, Alexandre III s’était montré un peu hésitant : « Tu dis que dans ta ville, il arrive souvent que certains se procurent du poivre, de la cannelle, ou autres marchandises qui à ce moment ne valent pas plus que 5 livres et qu’ils promettent qu’à une date déterminée, ils paieront 6 livres à ceux de qui ils ont reçu ces marchandises. Mais même si un tel contrat ne peut pas être qualifié du nom d’usure en raison d’une telle forme, les vendeurs n’en encourent pas moins un péché, à moins qu’il existe un doute sur le point de savoir si ces marchandises vaudront plus ou moins au moment du paiement, et c’est pourquoi les concitoyens prendraient bien soin de leur salut s’ils s’abstenaient de contrats de cette sorte, car les pensées des hommes ne peuvent pas être cachées au Dieu tout-puissant. » (Lettre In civitate tua à l’archevêque de Gênes, in Décrétales, livre V, titre 19, chap. 6). Par contre, Urbain III (1187), à propos de ceux qui prêtent à intérêt ou vendent à crédit, déclarait : « puisqu’on apprend clairement dans l’évangile de Luc à quoi il faut s’en tenir dans ces cas, lorsqu’il y est dit : « Prêtez sans rien espérer en retour » (Lc 6, 35), il faut juger que de telles personnes agissent mal à cause de leur intention de lucre - car toute usure et tout surplus dans la restitution sont défendus par la loi -, et dans le jugement des âmes ils doivent être poussés fermement à restituer ce qu’ils ont acquis de cette manière. » (Lettre Consuluit nos, à un prêtre de Brescia).
8. Id., p. 399.
9. Art. 2, sol. 1.
10. Art. 1, sol. 6.
11. Art. 2, sol. 5. Notons qu’Innocent III avait autorisé de confier des fonds à un commerçant pour obtenir « un gain honorable » (Décrétales, livre IV, titre 20, chapitre 7, in SPICQ C., op. cit., p. 351). Relevons aussi cet enseignement de Grégoire IX (1227-1241) : « Quelqu’un qui prête une somme d’argent déterminée à un autre qui se rend à un marché, par terre ou par mer, et qui, parce qu’il accepte un risque pour lui-même, entend recevoir quelque chose au-delà du capital, doit (ne doit pas ?) être considéré comme usurier. De même celui qui donne dix sols pour qu’à un autre moment lui soient rendues autant de mesures de grain, de vin et d’huile à propos desquelles, même si elles valent alors davantage, on peut douter avec vraisemblance si au moment du paiement elles vaudront plus ou moins, ne doit pas à cause de cela être considéré comme usurier. En raison de ce doute est excusé également celui qui vend du drap, du vin, de l’huile et d’autres marchandises pour recevoir davantage pour elles à un moment donné que ce qu’elles valent au moment même (du contrat), à condition cependant de n’avoir pas été sur le point de les vendre à un autre moment du contrat. » (Lettre Naviganti vel, entre 1227 et 1234). (Dz propose de corriger le texte du 1er § en fonction de la liaison avec le 2e : « de même…​ »)
12. Art. 4, conclusion. Thomas justifie cette indulgence : « C’est ainsi d’ailleurs qu’il est permis à celui qui tombe aux mains des brigands de leur montrer ce qu’il possède, pour éviter d’être tué, encore que les brigands pèchent en le dépouillant. C’est ce que nous enseigne l’exemple des dix hommes tombés au pouvoir d’Ismaël et qui lui dirent : « ne nous fais pas mourir, car nous avons un trésor caché dans un champ » (Jr 41, 8) ».
13. GILSON E., op. cit., p. 398.

⁢v. Le Magistère après saint Thomas

A plusieurs reprises, les souverains pontifes vont être sollicités de juger certaines pratiques financières parfois très techniques⁠[1]. Ils vont devoir aussi, de temps à autre, rappeler les grands principes car la spéculation et la recherche illicite de gains restent des fléaux, de siècle en siècle.

Retenons que Léon X, au 5e concile du Latran⁠[2], prend la défense des Mont-de-piété qui, malgré de nombreux décrets en leur faveur⁠[3], étaient critiqués quant à leur manière d’entrer dans leurs frais. Le document confronte tout d’abord les argumentations en présence développées de part et d’autre par des personnalités compétentes:

« Certains maîtres et docteurs disent que ces monts ne sont pas licites lorsque, après un certain temps, les administrateurs de tels monts exigent des pauvres mêmes à qui le prêt est fait quelque chose de plus que le capital ; pour cette raison, ces monts n’échapperaient pas au crime d’usure…​ puisque notre Seigneur, comme l’atteste l’évangéliste Luc (Lc 6, 34s), nous a obligés par un précepte clair à ne pas attendre d’un prêt plus que le capital. En effet, il y a précisément usure lorsque, par suite de l’usage d’une chose qui ne produit pas de fruits, l’on s’efforce d’obtenir un surplus et un fruit sans effort, sans frais et sans risques. …​

De nombreux autres maîtres et docteurs affirment…​ que, pour un bien si grand et si nécessaire à la chose publique, rien ne doit être exigé ni espéré en raison du seul prêt, mais que, pour indemniser ces mêmes monts pour les dépenses des mêmes administrateurs et pour tout ce qui se rattache à leur nécessaire entretien, il est permis, sans faire preuve de lucre et pourvu que ce soit nécessaire et modéré, d’exiger et de prélever quelque chose de la part de ceux qui sont avantagés par un tel prêt, puisque la règle de droit prévoit que celui qui profite du bienfait doit aussi porter le fardeau, en particulier lorsque l’autorité apostolique y consent. Ces derniers maîtres et docteurs montrent d’autre part que cette position a été approuvée par nos prédécesseurs, les pontifes romains d’heureuse mémoire, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI et Jules II. « 

Entre ces deux avis, le Saint Père tranche sans surprise:

« Nous voulons donc Nous occuper de cette question comme il convient par souci de justice, d’une part, afin de ne pas ouvrir l’abîme de l’usure, par amour de la piété et de la vérité, d’autre part, afin de subvenir aux besoins des pauvres. En entretenant ces deux préoccupations, puisqu’elles paraissent concerner la paix et la tranquillité de toute république chrétienne, avec l’approbation du saint concile, Nous déclarons et définissons que les mont-de-piété déjà mentionnés, créés par les républiques et approuvés et confirmés depuis ce temps par l’autorité du Siège apostolique dans lesquels, en compensation et en indemnisation des seules dépenses encourues pour leurs administrateurs et les autres choses qui concernent leur maintien, on reçoit quelque chose de modéré en plus du prêt, sans lucre et à titre d’indemnité, ne présentent pas d’apparence de mal, n’incitent pas au péché et ne doivent d’aucune façon être condamnés ; bien plus, Nous déclarons et définissons qu’un tel prêt est méritoire, qu’il doit être loué et approuvé, qu’il ne doit aucunement être réputé usuraire…​

Nous voulons que tous…​ceux qui désormais oseront prêcher ou disputer, oralement ou par écrit, à l’encontre de la présente déclaration et décision…​encourent la peine d’une excommunication déjà portée. »

En 1566, le Concile de Trente prescrit très simplement que « ceux qui ne sont pas en situation de donner aux pauvres, doivent au moins leur prêter de bonne grâce, selon ce commandement du Seigneur : « Prêtez, sans rien espérer de votre prêt. »[4] Et David a exprimé en ces termes le mérite d’une telle conduite : « Heureux celui qui a compassion des pauvres et qui leur prête ! » ( Ps 111, 5). »⁠[5]

En 1590, Sixte V considère le vice de l’usure comme « odieux à Dieu et aux hommes, condamné par les canons ecclésiastiques et contraire à la charité chrétienne ».⁠[6]

Au XVIIe siècle, Alexandre VII, face à des mœurs de plus en plus libres dans la noblesse en particulier et sous la pression de l’Université de Louvain, établit une liste de 45 propositions condamnées et notamment celle-ci : « Il est licite au prêteur d’exiger quelque chose en plus de la somme prêtée s’il s’oblige à ne pas réclamer cette somme avant un certain temps »[7]. De même Innocent XI, quelques années plus tard, dans une liste de 65 propositions condamnées⁠[8].

La constance magistérielle n’empêche pas qu’en pratique, bien des accommodements aient été tolérés. Si les théologiens protestants, Luther, Melanchton et Zwingle, condamnaient le prêt à intérêt à l’exception de Calvin qui le permettait à certaines conditions⁠[9], un certain nombre de moralistes catholiques se demandèrent si la théorie classique n’était pas trop absolue surtout dans le cadre économique nouveau après la découverte de l’Amérique qui donna au commerce une extension jusqu’alors insoupçonnable. En Espagne, le cardinal de Lugo⁠[10] estimait qu’elle soulevait bien des difficultés et qu’en tout cas, elle ne pouvait être déduite bien clairement de l’Écriture sainte. A Louvain, le jésuite Lessius⁠[11] va aller plus loin et va établir un principe qui annonce la conception moderne du prêt à intérêt. Considérant l’argent comme un instrument de commerce, il estime « que tout commerçant en prêtant même une somme d’argent, dont il ne tire pas actuellement profit, peut exiger une compensation pécuniaire pour l’obligation acceptée de se priver de cette somme d’argent pendant un temps déterminé ». Pourquoi ? Parce que, dans la mesure où l’argent est un instrument de commerce, une valeur de production, « se priver pendant un temps déterminé de l’instrument de son métier est un dommage estimable en valeur d’argent ».⁠[12] E France, les jésuites s’opposèrent à l’intransigeance des jansénistes qui, dans tous les cas, condamnaient le prêt à intérêt au nom de la charité⁠[13]. En Allemagne un autre jésuite, Pichler⁠[14] justifie ainsi l’usage répandu et toléré du prêt à intérêt : « le prêt à intérêt est défendu par le droit naturel et divin conditionnellement et quand le dol, l’avarice ou la dureté y influent, de même, quand il y a usure vorace, accablant et pressurant le prochain ; mais il n’est pas défendu d’une manière absolue et quand il ne s’y trouve ni dol, ni avarice, ni oppression du prochain, ni manque de charité et qu’on n’exige qu’un intérêt modique, selon les statuts ou les usages des lieux. »[15]

En 1730, une « nouvelle controverse »[16] va provoquer une prise de position romaine. En 1730, la ville de Vérone avait emprunté de l’argent au taux de 4% et l’évêque du lieu avait condamné cette opération. La cause fut portée à Rome et, en juillet 1745, le pape Benoît XIV chargea un groupe d’experts d’étudier le problème d’un point de vue doctrinal⁠[17]. Il était, en effet, impossible à cette commission d’étudier le cas concret qui avait suscité tant de remous étant donné que Rome n’avait pas à sa disposition tous les documents concernant l’affaire. Le résultat unanime des travaux fut promulgué par le pape dans l’encyclique Vix pervenit, la même année, le 1er novembre 1745, à destination des archevêques, évêques et ordinaires d’Italie. Le Pape l’envoya plus tard à d’autres Églises et Grégoire XVI⁠[18] en étendit la leçon au monde entier.

Les experts réunis, les décrets des pontifes précédents, l’autorité des conciles et des Pères, amène Benoît XIV à réaffirmer la doctrine traditionnelle : la nature du contrat de prêt (mutuum) « demande qu’on ne réclame pas plus qu’on a reçu » sinon il y a usure⁠[19]. Peu importe que l’intérêt soit modéré ou petit, qu’il soit réclamé à un pauvre ou à un riche⁠[20], peu importe que l’argent ainsi prêté apporte des bénéfices à l’emprunteur, le prêt à intérêt reste interdit en vertu du principe d’égalité, « en vertu de cette justice qu’on appelle commutative, et à laquelle il appartient d’assurer de façon intangible l’égalité de chacun dans les contrats humains et de la rétablir strictement lorsqu’elle n’a pas été observée ». Tel est l’enseignement du sens commun et de la raison naturelle. Par essence, intrinsèquement, il ne peut en être autrement. Telle est aussi l’instruction donnée par Jésus-Christ : « Si quelqu’un veut emprunter auprès de toi, ne te dérobe pas » (Mt 5, 42).

Toutefois, d’ »autres titres », « adjoints au contrat », « des titres qui ne sont pas inhérents et intrinsèques à ce qu’est communément la nature du prêt lui-même » peuvent justifier un intérêt. Ces titres extrinsèques, accidentels, créent « une raison tout à fait juste et légitime d’exiger de façon régulière plus que la capital dû sur la base du prêt ». Le principe se trouve déjà chez saint Thomas et, depuis le XIVe siècle, était admis le versement d’une compensation si le prêt causait un préjudice au prêteur, si celui-ci était privé d’un gain licite, s’il s’exposait au risque de perdre l’argent prêté, à des frais de gestion ou à ne pas être remboursé dans les délais prévus. ⁠[21]

Enfin, Benoît XIV ne nie pas non plus « que quelqu’un pourra souvent investir et utiliser son argent de façon régulière par d’autres contrats distincts de par leur nature du contrat de prêt, soit pour obtenir des revenus annuels, soit aussi pour faire un commerce ou des affaires licites, et en percevoir des gains honorables ».

En conclusion, Benoît XIV invitait les guides spirituels et les fidèles à la prudence, à s’informer auprès des personnes compétentes, à vérifier si le contrat qu’ils voulaient conclure ou avaient conclu était un contrat de prêt à intérêt ou un autre contrat et s’il s’avérait qu’il s’agissait bien d’un contrat de prêt à intérêt de vérifier s’il y avait « un autre titre en même temps que le prêt ».

Toutefois, on constate que les thèses protestantes séduisent de plus en plus et que les titres extrinsèques évoqués par Benoît XIV permettent à certains clercs de justifier des pratiques qui n’ont jamais été éradiquées et qui, au contraire, se sont de plus en plus répandues. C’est pourquoi, en France par exemple, à la demande de quelques autorités ecclésiastiques inquiètes, M.E. Pagès, professeur de théologie morale à l’Académie de Lyon et chanoine honoraire de Montpellier, rédige sa célèbre Dissertation sur le prêt à intérêt pour défendre et expliquer la position de l’Église telle qu’elle avait été définie par Benoît XIV. En outre, l’auteur publie une série de décisions prises par Grégoire XIII (1572-1585), Pie VI (1775-1799), Pie VII (1800-1823) et quelques personnalités romaines et françaises. A la lecture de ce livre, on se rend compte que l’auteur s’efforce de raidir la position du Magistère en réduisant la portée des titres extrinsèques et en demandant aux confesseurs d’être sévères⁠[22].

C’était peut-être dépasser la pensée de Benoît XIV qui demandait explicitement d’éviter « avec le plus grand soin les extrêmes toujours vicieux. Quelques-uns, jugeant ces affaires avec beaucoup de sévérité blâment tout intérêt tiré de l’argent comme illicite et tenant à l’usure. d’autres, au contraire très indulgents et relâchés pensent que tout profit est exempt d’usure. »

Plusieurs documents d’Église ultérieurs vont rassurer les fidèles inquiets. Ainsi fit saint Alphonse de Liguori peu après la publication de l’encyclique⁠[23]. Ainsi aussi le décret Non-esse inquietendos, en 1830⁠[24]. Sollicité par l’évêque de Rennes et bien conscient des « vives discussions » dont Vix pervenit est toujours l’objet, le pape Pie VIII, le 18 août 1830 confirme les confesseurs qui font preuve de modération en la matière⁠[25]. Le Saint-Office réagira de la même manière en 1838, sous Grégoire XVI⁠[26].

Sur le fond, une dernière mise au point aura lieu en 1873, sous le pontificat de Pie IX. La Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi rappelle, dans une Instruction, onze documents qui ont traité du prêt à intérêt et conclut⁠[27]:

« 1. d’une manière générale, il faut dire à propos du gain perçu pour un prêt qu’absolument rien ne peut être perçu en vertu du prêt, c’est-à-dire de façon directe et simplement en raison de celui-ci.

2. Percevoir quelque chose en plus du capital est licite si cela vient s’ajouter au prêt à un titre extrinsèque, qui n’est pas communément lié et inhérent au prêt de par la nature de celui-ci.

3. Si quelque autre titre fait défaut, comme par exemple un gain qui cesse, une perte qui se produit, et le danger de perdre le capital ou des efforts à mettre en œuvre pour retrouver le capital, le seul titre de la loi civile peut également être considéré comme suffisant dans la pratique, aussi bien par les fidèles que par leurs confesseurs à qui il n’est donc pas permis d’inquiéter les pénitents à ce sujet aussi longtemps que cette question demeure en jugement, et que le Saint-Siège ne l’a pas explicitement définie.[28]

4. La tolérance de cette pratique ne peut aucunement être étendue jusqu’à rendre honnête une usure, si minime soit-elle, s’agissant de pauvres, ou une usure immodérée et excédant les limites de l’équité naturelle.

5 Enfin, il n’est pas possible de déterminer de façon universelle quel montant de l’usure doit être considéré comme immodéré et excessif, et lequel doit être considéré comme juste et modéré, puisque cela doit être mesuré dans chaque cas particulier en considérant toutes les circonstances tenant aux lieux, aux personnes et au moment. »

Ainsi se termine le dernier document consacré par le Magistère à cette question. Elle a, nous l’avons vu, suscité de nombreuses prises de position. Elles ont été parfois provoquées par des problèmes très précis mais aussi par le scrupule de nombreux chrétiens soucieux à la fois d’aider les pauvres et de respecter l’autorité des Pères. Enfin, les interventions se multiplient à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, au moment où l’économie change.

L’Église estime sans doute que l’essentiel a été dit avec Vix pervenit car, désormais, nous ne trouverons plus que quelques réflexions ici ou là dans les textes officiels de l’Église.

Dans le Code de droit canon de 1917, on lit que « dans la prestation d’une chose fongible, il n’est pas de soi illicite de fixer par contrat un profit légal », pour autant, ben sûr, que ce soit au nom de titres extrinsèques⁠[29]. Quant au Code de 1983, il estime que des administrations catholiques peuvent emprunter puisqu’il recommande: « Les administrateurs sont tenus de payer au temps prescrit les intérêts d’un emprunt ou d’une hypothèque, et de veiller à rembourser à temps le capital. »[30]


1. C’est le cas notamment de Calixte III à propos des contrats de cens (Constitution Regimini universalis, 6-5-1455), de Pie V sur les lettres de change fictives (sèches) (Constitution In eam pro nostro, 28-1-1571).
2. Bulle Inter multiplices, 10e session, 4-5-1515.
3. Le premier est de Pie II, Cum dilecti, 3-7-1463.
4. L c 6, 36.
5. Catéchisme du concile de Trente, XXXV, § 6.
6. In Detestabilis avariae, cité in CASTELEIN A., op. cit., p. 351.
7. Proposition 42, Décret du Saint-Office du 18-3-1666.
8. Liste établie de nouveau sous la pression de l’Université de Louvain. Propositions condamnées dans le décret du Saint-Office du 2 mars 1679. Les propositions 40, 41 et 42 disaient : « -Le contrat Mohatra est licite quand il se fait à l’égard de la même personne et avec une clause préalable de revente dans une intention de lucre. -Une somme versée étant plus précieuse qu’une somme à verser, et puisqu’il n’y a personne qui ne préfère une somme présente à une somme future, le prêteur peut exiger du débiteur quelque chose en plus du capital prêté, et être excusé d’usure à ce titre. -Il n’y a pas usure lorsque quelque chose est exigé comme un dû en sus du capital prêté au titre de la bienveillance en quelque sorte et de la gratitude, mais seulement si cela est exigé comme un dû au titre de la justice. » On appelait en Espagne « contrat Mohatra » « une forme particulière de revente qui peut être illustrée par l’exemple suivant: Lazare a besoin immédiatement d’argent, par exemple de cent écus. Mais étant donné qu’il ne trouve personne qui soit disposé à lui prêté de l’argent sans bénéfice, il achète à crédit, pour une somme qui devra être remboursée à une date ultérieure, des marchandises au prix maximal de cent dix écus, et revend aussitôt ces mêmes marchandises (dont Lazare n’a pas besoin) à Grassus au prix minimal de cent écus, à condition que Grassus lui donne aussitôt cette somme.«  (DZ, p. 529, note 2140).
9. Un auteur protestant précise : « Calvin a non seulement donné ses lettres de noblesse aux échanges économiques (en défendant, par exemple, la division du travail ou la liberté d’entreprise), mais encore, et c’était beaucoup plus hardi, aux activités financières, à condition que celles-ci soient subordonnées à une éthique sociale rigoureuse ». Le prêt, selon la Bible, doit être gratuit comme les dons de Dieu le sont. Selon l’auteur, Calvin serait le premier à avoir distingué l’usure, condamnée parce qu’elle remplace la charité tout comme « le prêt de secours ou d’assistance », et le « prêt de production », exigé par le marché et qui échappe au devoir de charité. Ce type de prêt reste soumis à une éthique. Ainsi, en période de crise et de pénurie, faut-il un contrôle des prix pour éviter la spéculation sur des biens de première nécessité ; ainsi Calvin s’oppose-t-il aussi à la « professionnalisation du prêt à intérêt » et ne tolérait pas l’intérêt « si l’emprunteur n’avait pas gagné, avec la somme prêtée, un montant supérieur à l’intérêt demandé » (taux fixé, au début à 5% puis à 6,66, à Genève). (Cf. JOHNER M., Travail, richesse et propsérité dans le protestantisme, in La Revue réformée, 3, juin 2002, tome LIII, www.unpoissondansle.net/rr).
   On peut ajouter que Calvin ne faisait que légitimer pour sa part une pratique financière qui s’exerçait à Genève depuis 1387. En effet, à cette date, l’évêque du lieu avait accordé aux Genevois des « franchises ». Ils jouissaient du privilège unique en chrétienté de pratiquer le prêt à intérêt. (Cf. Les racines du capitalisme sur www.geneva-finance.ch).
10. 1583-1660.
11. Leonardo Leys, dit Lessius, (né à Anvers en 1554, mort à Louvain en 1623). Cf. De Justitia et Jure et coeterisque virtutibus cardinalibus, Livre IV, vol. 1, chap. 20, 123-127.
12. Cf. CASTELEIN A., op. cit., p. 350. Lessius « prétend même que tout marchand peut exiger pareil intérêt, alors que ce motif spécial ne s’appliquerait pas à lui et qu’il n’aurait pas besoin de cet argent qu’il prête, parce qu’il peut profiter de l’opinion commune, qui considère l’argent des commerçants comme l’instrument de leur métier et une valeur de production, dont la privation pendant un temps fixe prend dans l’estimation commune un titre et une compensation déterminée. » (Id.).
13. Cf. article « jansénisme » sur www.maristas.com. Bossuet écrivit aussi un Traité de l’usure où il défend avec sévérité la position traditionnelle.
14. Gui ou Vitus Pichler, canoniste bavarois mort en 1736.
15. Cité in CASTELEIN A., op. cit., p. 351. L’usage était en Allemagne depuis le XVIe siècle de demander un intérêt de 5% dans le commerce.
16. BENOÎT XIV, Vix pervenit, 1-11-1745.
17. « Nous avons expliqué toute l’affaire à quelques-uns de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, qui se sont acquis une plus grande considération par leur profond savoir en théologie et en droit ecclésiastique. Nous avons aussi appelé plusieurs réguliers qui tiennent le premier rang dans les deux facultés, et que nous avons pris en partie chez les moines, en partie chez les religieux mendiants et enfin parmi les clercs réguliers ? Nous y avons même adjoint un prélat qui est docteur en droit civil et canonique, et qui a longtemps suivi le barreau . » (Vix pervenit, 1745).
18. 1831-1846.
19. « Le péché appelé péché d’usure, et dont le lieu propre est le contrat de prêt, consiste dans le fait que quelqu’un veut qu’en vertu d’un prêt lui-même - qui de par sa nature demande qu’il soit rendu autant seulement que ce qui a été reçu - il soit rendu davantage que ce qui a été reçu, et qu’il est affirmé par conséquent qu’en raison du prêt lui-même il est dû un gain allant au-delà du capital (prêté). Pour cette raison, tout gain qui dépasse le capital (prêté) est illicite et usuraire. » (Id.).
20. Dans son Traité du Synode diocésain, Benoît XIV rappelle que Calvin enseignait « qu’il est permis d’exiger précisément à raison du prêt, un profit modéré, non du pauvre, mais du riche », du marchand notamment. Il condamné cette opinion qui fut défendue par deux réformés qu’il cite également : Charles Dumoulin (1500-1566) dans son Tractatus Contractuum et Usurarum redituumque pecunia Constituorum et Claude Saumaise (1588-1653) dans De usuris, De modo usurarum liber (publié à Leyde) et De trapezitico foenore (Du profit bancaire) qui fit scandale à l’époque. (Cf. PAGES M.E., Dissertation sur le prêt à intérêt, Malines, 1825, pp. 13-14 et www.wikipedia.com).
21. A cela s’est traditionnellement ajoutée la décision du prince fixant le taux de prêt. Cf. PERROT E., op. cit., p. 101 et De LASSUS A., La doctrine de l’Église sur l’argent, in Revue de l’Action familiale et scolaire, n° 96, août 1991. Saint Thomas écrivait : « Les lois humaines laissent certains péchés impunis à cause de l’imperfection des hommes ; elles priveraient, en effet, la société de nombreux avantages, si elles réprimaient tous les péchés en édictant des peines distinctes pour chacun d’eux. C’est pourquoi la loi humaine tolère le prêt à intérêt, non point qu’elle l’estime conforme à la justice, mais pour ne pas nuire au plus grand nombre » (Qu. 78, art. 1, sol. 3).
22. « Or, il est de la dernière certitude que l’usure est, non une simple absurdité, mais une chose inique par elle-même ; qu’elle est opposée, non au seul droit positif, mais au droit naturel ; qu’elle est connue, non du seul confesseur, mais encore d’autres personnes ; et que le confesseur ne peut garder le silence vis-à-vis de celui qui en est coupable, sans le confirmer dans sa mauvaise pratique, et occasionner le scandale de ceux qui la connaîtraient, en les portant à croire qu’elle est innocente. Il faut donc conclure nécessairement que d’après Benoît XIV et Pie VI, le confesseur est étroitement obligé, dans le cas proposé, d’interroger et d’avertir le pénitent, et de lui refuser l’absolution, s’il ne renonce à sa mauvaise pratique, et s’il ne se soumet à toutes les réparations nécessaires. » (PAGES M.E., op. cit., p. 128).
23. 1696-1787, in Théologie morale, IV, 765. Cf. les œuvres d’A. de Liguori sur www.jesusmarie.com. Parallèlement, on peut évoquer, sur le fond, la réflexion d’éminents moralistes qui tentèrent d’adapter les thèses traditionnelles à la réalité du commerce moderne : le cardinal de la Luzerne (1738-1821, évêque-duc de Langres) avec ses volumineuses Dissertations sur le prêt de commerce, Douillier, 1823 (5 tomes) et l’abbé Marco Mastrofini et sa Discussion sur l’usure, Guyot, 1834. Cet ouvrage eut huit éditions en Italie et fut approuvé par les consulteurs du Saint-Office (cf. CASTELEIN A., op. cit., pp. 355-356).
24. Décret de la Sacrée pénitencerie cité par E. Perrot, op. cit., p. 102. Ce décret « somme les confesseurs de ne pas inquiéter les pénitents qui s’accusent d’avoir prêté à intérêt, pour peu que le pénitent s’engage à se soumettre à la décision de l’Église lorsqu’elle se sera prononcée sur ce sujet. » (Id).
25. Le pape expose tout d’abord le problème : « (Les confesseurs sont en désaccord) au sujet du gain perçu à partir de l’argent prêté à des gens d’affaires pour qu’ils en tirent profit. Le sens de l’encyclique Vix pervenit fait l’objet de vives discussions. Des deux côtés, des raisons sont mises en avant à l’appui de la position qu’on tient : favorable ou opposée à un gain de cette sorte. d’où des querelles, des dissensions, des refus des sacrements pour la plupart des gens d’affaires qui cherchent à s’enrichir de cette manière, et d’innombrables dommages pour les âmes.
   Pour prévenir les dommages pour les âmes, certains confesseurs estiment pouvoir tenir une voie médiane entre les deux positions. Lorsque quelqu’un les consulte au sujet d’un gain de cette sorte, ils cherchent à l’en détourner. Si le pénitent persévère dans l’intention de prêter de l’argent à des gens d’affaires et objecte que la position qui est en faveur d’un tel prêt a de nombreux patronages, et que de surcroît elle n’a pas été condamnée par le Saint-Siège qui, pas une seule fois, n’a été consulté à ce sujet, dans ce cas les confesseurs demandent que le pénitent promette qu’il se soumettra avec une obéissance filiale au jugement du souverain pontife s’il se prononce, quel qu’il soit, et s’ils obtiennent cette promesse, ils ne refusent pas l’absolution, même lorsqu’ils considèrent la position opposée à un tel prêt comme plus probable.
   Si le pénitent ne confesse rien au sujet d’un gain ayant son origine dans un tel prêt et semble être de bonne foi, ces confesseurs, même s’ils savent par ailleurs qu’un tel gain a été perçu et continue de l’être, lui donnent l’absolution sans l’avoir interrogé à ce sujet lorsqu’ils craignent que le pénitent, s’il était averti d’avoir à restituer ce gain ou d’y renoncer, refuserait de le faire. » A propos de ces agissements, l’évêque de Rennes pose deux questions : 1. L’évêque « peut-il approuver la façon de faire de ces derniers confesseurs ? » La réponse du pape est : « Ils ne doivent pas être inquiétés » ; 2. « Lorsque d’autres confesseurs, plus rigoureux, viennent à lui pour lui demander conseil, peut-il les exhorter à suivre la façon de faire des premiers jusqu’à ce que le Saint-Siège émette un jugement explicite en cette matière ? » La réponse de Pie VIII est : « Il est répondu sous 1 ». (Dz, pp. 630-631).
26. Le 17 janvier 1838, le Saint-Office répond à une question posée par l’évêque de Nice. Question: « Des pénitents qui, sur la base d’un titre légal, ont tiré un gain modeste d’un prêt et qui doutent dans leur conscience ou ont une mauvaise conscience, peuvent-ils recevoir l’absolution sacramentelle sans qu’il leur soit imposé de (le) restituer, dès lors du moins qu’ils éprouvent une douleur sincère à cause du péché qu’ils ont commis dans le doute ou avec mauvaise conscience, et qu’ils sont disposés à se conformer avec une obéissance fidèle aux commandements du Saint-Siège ? » Réponse : «  »Oui, dans la mesure du moins où ils sont disposés à se conformer aux commandements du Saint-Siège ». (Dz, pp. 634-635).
27. Les parties qui ne sont pas en italiques sont mises en évidence dans le texte original. (Dz, p. 695).
28. M. E. Pagès, contestait cette licence civile. Avec quelques exemples historiques soigneusement choisis, il montrait que des princes chrétiens avaient interdit le prêt à intérêt. Il aurait dû ajouter : à certains endroits, à certains moments. Mais on pourrait citer d’innombrables pratiques contraires comme on l’a entrevu précédemment. C. Spicq va même plus loin en rappelant que le pape Léon IV avait demandé à Lothaire, en 847, de maintenir en vigueur la loi romaine sans doute pour « revenir aux taux raisonnables qu’elle fixait » (op. cit., pp. 344-345).
29. Canon 1543.
30. Canon 1284, § 5.

⁢vi. Les problèmes de l’argent dans l’enseignement magistériel contemporain.

A partir du XIXe siècle, dans l’enseignement des souverains pontifes, la question de l’argent et du prêt sera insérée dans les mises en garde contre les excès du capitalisme libéral⁠[1].

Pie XI, rappelons-nous, remarque : « Ce qui à notre époque frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simple dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré.

Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre les mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer »[2] Il souhaite que le capital et son investissement qu’il relie à la vertu de magnificence⁠[3], soient bien orientés : « Des principes posés par le Docteur Angélique, nous déduisons que celui qui consacre les ressources plus larges dont il dispose à développer une industrie, source abondante de travail rémunérateur, pourvu toutefois que ce travail soit employé à produire des biens réellement utiles, pratique d’une manière remarquable et particulièrement appropriée aux besoins de notre temps, l’exercice de la vertu de magnificence. »[4]

Mais, le plus impressionnant dans l’enseignement de Pie XI est, nous l’avons déjà évoqué, l’extrême lucidité qu’il a manifestée dans l’analyse de l’évolution du capitalisme et notamment la transformation inquiétante du monde économique qui trouve un dynamisme nouveau dans la spéculation plutôt que dans le travail. Il n’est pas inutile de citer le texte suivant dans son entièreté car il met d’emblée en évidence la racine d’un mal qui ne cessera d’empirer, nous en sommes les témoins:

« La déchristianisation de la vie sociale et économique et sa conséquence, l’apostasie des masses laborieuses, résultent des affections désordonnées de l’âme, triste suite du péché originel qui, ayant détruit l’harmonieux équilibre des facultés, dispose les hommes à l’entraînement facile des passions mauvaises et les incite violemment à mettre les biens périssables de ce monde au-dessus des biens durables de l’ordre surnaturel. De là, cette soif insatiable des richesses et des biens temporels qui, de tout temps sans doute, a poussé l’homme à violer la loi de Dieu et à fouler aux pieds les droits du prochain, mais qui, dans le régime économique moderne, expose la fragilité humaine à tomber beaucoup plus fréquemment. L’instabilité de la situation économique et celle de l’organisme tout entier exigent de tous ceux qui y sont engagés la plus absorbante activité. Il en est résulté chez certains un tel endurcissement de la conscience que tous les moyens leur sont bons, qui permettent d’accroître leurs profits et de défendre contre les brusques retours de la fortune les biens si péniblement acquis ; les gains si faciles qu’offre à tous l’anarchie des marchés attirent aux fonctions de l’échange trop de gens dont le seul désir est de réaliser des bénéfices rapides par un travail insignifiant, et dont la spéculation effrénée fait monter et baisser incessamment tous les prix au gré de leur caprice et de leur avidité, déjouant par là les sages prévisions de la production. Les institutions juridiques destinées à favoriser la collaboration des capitaux, en divisant et en limitant les risques, sont trop souvent devenues l’occasion des plus répréhensibles excès ; nous voyons, en effet, les responsabilités atténuées au point de ne plus toucher que médiocrement les âmes ; sous le couvert d’une désignation collective se commettent les injustices et les fraudes les plus condamnables ; les hommes qui gouvernent ces groupements économiques trahissent, au mépris de leurs engagements, les droits de ceux qui leur ont confié l’administration de leur épargne. Il faut signaler enfin ces hommes trop habiles qui, sans s’inquiéter du résultat honnête et utile de leur activité, ne craignent pas d’exciter les mauvais instincts de la clientèle pour les exploiter au gré de leurs intérêts. »[5] Devant la gravité de cette situation, Pie XI ne voit de remède que dans « une sûre discipline morale, fortement soutenue par l’autorité sociale ».⁠[6]

Comme son prédécesseur, Pie XII va se pencher sur le problème de l’investissement si important pour l’emploi⁠[7] mais qui ne peut faire fi de la vie des travailleurs : « La solidarité des hommes entre eux exige, non seulement au nom du sentiments fraternel mais aussi de l’avantage mutuel lui-même, que l’on utilise toutes les possibilités pour conserver les emplois existants et pour en créer de nouveaux. Dans ce but, ceux qui sont capables d’investir des capitaux doivent se demander, au nom du bien commun, si leur conscience leur permet de ne pas faire de pareils investissements, dans les limites des possibilités économiques, dans des proportions et au moment opportuns, et de se retirer à l’écart dans une vaine prudence. »[8] « Une politique d’expansion économique n’exige pas seulement des investissements considérables, dont il faut savoir apprécier les possibilités et les risques, elle ne requiert pas seulement un progrès constant de la recherche scientifique et donc de la préparation dans le pays de savants et d’ingénieurs appliqués à cet effort, elle engage aussi la vie des travailleurs et de leurs familles. Ce n’est pas à leurs dépens que doivent s’opérer les reconversions nécessaires à la vie de l’industrie, ainsi que les indispensables évolutions de l’agriculture et du commerce ».⁠[9]

L’enseignement de Pie XII ne s’arrête pas là. A partir du moment où, selon le caractère particulier de son pontificat, il rencontre les banquiers et leurs employés, Pie XII élargit sa réflexion et repense en profondeur le rapport du chrétien à l’argent car, apparemment, comme il le dit, « monde bancaire et idée chrétienne ; argent et évangile » sont des « termes en soi antithétiques pour qui a présente la prédication de Jésus-Christ, l’exaltation par Lui de la pauvreté, le contraste solennellement affirmé par Lui entre Dieu et Mammon ».⁠[10] Certes, le cœur dominé par l’argent est prêt à toutes les turpitudes mais s’il « vient au pouvoir d’âmes non encombrées de cupidités, libres de cette liberté des choses contingentes que nous a procurée Jésus-Christ, alors il n’y a bonne œuvre qu’il ne puisse susciter et entretenir pour le bien des hommes et la gloire de Dieu, devenant ainsi, par un miracle de la grâce, un escalier lui-même vers la justice et la sainteté chrétiennes. »[11] Ce lyrisme à propos de l’argent est nouveau, il rompt avec la mauvaise conscience qui a souvent animé les chrétiens vis-à-vis de l’argent. Pie XII n’hésite pas à s’en prendre à cette « conception malsaine » qui considère le système bancaire comme s’il « était par sa nature même entaché d’une faute. Comme si l’exercice de votre profession, dit-il aux employés, et l’objet même de votre travail vous mettaient inévitablement en danger de contaminer votre cœur. Comme s’il était particulièrement difficile pour vous de libérer votre âme de l’attachement aux biens éphémères et fallacieux, de passer à travers la flamme des richesses temporelles de façon à ne pas perdre les trésors éternels »[12]. Même le financier « au sens propre du mot (…) peut lui-même unir à l’application de sa compétence et à l’utilisation de sa capacité professionnelle, le véritable esprit évangélique, c’est-à-dire la liberté d’un cœur profondément détaché de l’argent qu’il manie, des valeurs qu’il négocie, des biens matériels qu’il administre, en ne connaissant qu’un seul Seigneur, Dieu (Mt 6, 24), qu’il sert dans une obéissance d’esprit et d’action à ses commandements et dans la fidélité au Christ. »[13] Cela clairement affirmé, Pie XII, souligne le rôle économique et social important que les banques ont joué à toutes les époques et qu’elles jouent davantage encore aujourd’hui⁠[14]:

d’une manière générale, la banque est « le carrefour où se rencontrent le capital, la pensée, le travail »[15]. Le chrétien donc ne peut que se réjouir de cette mise en relation puisqu’il refuse d’opposer ces différentes composantes de la vie économique et sociale.

« Si l’argent n’a pas été défini à tort comme le sang dans l’organisme du corps économique[16], on pourra bien en conclure que les Banques sont comme le cœur qui doit en régler la circulation pour le plus grand bien des familles, des individus, des groupes sociaux, dont l’ensemble forme le corps national économique ; d’où la puissance, l’utilité, la responsabilité du système bancaire. »[17]

« L’influence et la responsabilité des banques est énorme. Elles sont les intermédiaires du crédit et les fournisseuses des fonds au commerce, à l’agriculture et à l’industrie ; elles tirent de là une haute importance sociale. L’ordre économique actuellement en vigueur est inconcevable sans le facteur argent. Les banques en dirigent le cours ; il importe donc que celui-ci ne soit pas dirigé vers des entreprises économiquement malsaines, violant la justice, funestes au bonheur du peuple, pernicieuses pour la vie civile, mais soit en harmonie avec la saine économie publique et avec la vraie culture.

Tout ceci exige dans les dirigeants des banques et dans leurs employés, l’expérience des questions économiques, le sens social, une absolue conscience et loyauté. »[18]

Plus concrètement encore, Pie XII dira que « la fonction sociale de la Banque » consiste « à mettre l’individu en état de faire fructifier le capital, même minime, au lieu de le dissiper ou de le laisser dormir sans aucun profit ni pour soi ni pour les autres (…)[19]. C’est pourquoi les services que la banque peut rendre sont multiples : faciliter et encourager l’épargne ; réserver l’épargne pour l’avenir en la rendant fructueuse déjà dans le présent ; lui permettre de participer à des entreprises utiles qui ne pourraient être engagées sans son concours ; rendre faciles et parfois tout simplement possibles, le règlement des comptes, les échanges, le commerce entre l’État et les organismes privés et, en un mot, toute la vie économique d’un peuple ; établir, en quelque sorte, un régulateur qui aide à surmonter les périodes difficiles, sans courir à la catastrophe. »[20]

A propos du crédit, Pie XII louera une institution de droit public - la Banque nationale du Travail d’Italie - qui vint « en aide, au moyen de concessions de crédit, aux Coopératives, surtout agricoles » d’abord, puis « aux moyennes et petites industries, rendues vivantes et confiantes grâce aux crédits qui assurent et facilitent leur production autonome. Cette fonction elle aussi, - en l’heure présente, ajoute Pie XII, d’une portée capitale, - est une application heureuse et pratique de la doctrine sociale de l’Église. » De plus, grâce à ses « avances d’argent », la Banque contribue « à renforcer et accélérer la construction d’habitations (…) qui (…) donnent aux familles « l’espace, la lumière, l’air »[21] pour accomplir leur missions. »[22]

Le prêt et même le prêt à intérêt peut être une institution bienfaisante dans la mesure où il permet « la rencontre du capital et de l’idée. En proportion de l’importance de ce capital, de la valeur pratique de cette idée, la crise du travail se trouvera plus ou moins enrayée. L’ouvrier laborieux et consciencieux obtiendra plus aisément une occupation ; l’accroissement de la production permettra de tendre, lentement peut-être, mais progressivement, vers un équilibre économique ; les multiples inconvénients et désordres, fruits déplorables du chômage, seront atténués pour le plus grand bien d’une saine vie domestique, sociale et, partant, morale. Dans une certaine mesure, si modique qu’elle puisse être, l’épargne deviendra possible à un plus grand nombre, avec les avantages de tout ordre (…). »⁠[23]

On l’a compris, Pie XII n’envisage pas le prêt dans n’importe quel contexte.

d’une part, le banquier doit tenir compte de l’intérêt personnel du possesseur du capital car « le souscripteur veut être assuré de ne pas perdre sa mise de fonds. Il désire même, sans préjudice d’un honnête revenu pour son propre compte, en faire un instrument au bénéfice d’autrui et de la société. Cela suppose, évidemment, que l’entreprise mérite sa collaboration, et qu’elle est, en elle-même, de nature à l’intéresser, parce qu’elle s’harmonise avec ses dispositions et ses goûts personnels. »

d’autre part, le banquier doit évaluer celui qui fait appel au crédit: celui qui cherche à obtenir un crédit, « c’est un jeune inventeur, c’est un homme d’initiative, un bienfaiteur de l’humanité ». Il conseille au banquier de « l’étudier, pour ne pas risquer de livrer le prêteur confiant à un utopiste ou à un aigrefin, pour ne pas risquer non plus d’éconduire un solliciteur méritant, capable de rendre d’immenses services, auquel ne manquent que les ressources indispensables à la réalisation. » Il faut « peser sa valeur, comprendre ses projets et ses plans, l’aider, le cas échéant, de quelque conseil ou suggestion pour lui épargner une imprudence ou pour rendre sa conception plus pratique, pour voir enfin à quel bailleur de fonds l’adresser et le recommander. Que de génies, que d’hommes intelligents, généreux, actifs, meurent dans la misère, découragés, ne laissant vivre que l’idée, mais une idée que d’autres plus habiles sauront exploiter à leur profit. » A côté de ces créateurs en recherche de fonds, « il y a, en outre, tous ceux, qu’une année mauvaise, une récolte déficiente, des dommages causés par la guerre ou la révolution, par la maladie, ou quelque circonstance imprévue et imprévisible, sans qu’il y ait de leur faute, mettent en difficulté passagère. Ils pourraient, grâce à un crédit, se relever, se remettre en train et, avec le temps, amortir leur dette. »[24]

Pie XII ne prend pas en considération le crédit à la consommation tel qu’il s’est développé aujourd’hui. On peut même penser qu’implicitement il le réprouve puisqu’il ne manque jamais une occasion de demander à ses interlocuteurs de « résister avec persévérance aux mille tentations de plaisirs, de jouissances, d’amour-propre, de confort qui, même sans en arriver jusqu’au luxe, n’en dépassent pas moins ce qui est le juste nécessaire. »⁠[25] C’est dans cet esprit que le Saint Père louera l’action des banques populaires qui ont été constituées « pour échapper à l’emprise des usuriers » et pour « subvenir aux nécessités économiques des petites entreprises industrielles, agricoles, artisanales, en leur fournissant les capitaux requis pour leur bon fonctionnement. » Les banques populaires sont « des instruments destinés à recueillir l’épargne, et à en assurer la meilleure utilisation à l’endroit même où elles se trouvent et au profit général de ceux qui l’ont fournie. Elles intéressent donc un nombre assez étendu d’associés aux parts modestes dont elles soutiennent les entreprises par des prêts consentis avec discernement, et en se gardant d’exposer leurs capitaux à des risques trop graves. L’argent dont elles disposent, constitue en effet le moyen d’existence et de travail indispensable aux associés ; il a été gagné par un labeur persévérant et ne peut servir à des opérations hasardées, fussent-elles prometteuses. Il convient donc de le consacrer surtout à la consolidation des activités et au bien des personnes sur lesquelles repose pour une bonne part la stabilité des institutions sociales et la valeur morale de la nation et qui, en tout temps ont démontré leur attachement à la patrie, à la famille et à leur foi religieuse. » Pour Pie XII, les banques populaires illustrent parfaitement le respect de la hiérarchie des valeurs même dans le domaine économique puisque « c’est le bien de tous qui prime ici les autres considérations comme seraient par exemple l’ambition d’obtenir de brillants succès financiers ou de s’arroger dans l’économie générale une autorité plus en vue. » Mieux encore, elles mettent « en évidence comment le sens d’l’épargne et la juste limitation de la tendance à la consommation conditionnent le mouvement d’expansion de l’économie (…) Au lieu de céder au penchant de la facilité et de l’égoïsme, qui se désintéresse de l’avenir pour jouir avec insouciance du présent, l’individu apprend à organiser sa vie suivant un plan réfléchi, à l’ordonner en fonction de la solidarité qui l’unit aux membres de la communauté sociale à laquelle il appartient. » Preuve de cette juste appréciation des valeurs, les banques populaires attribuent « une large part de leurs profits à des activités éducatives, qui n’offrent pas la perspective d’un rendement immédiat, mais visent avant tout l’élévation intellectuelle et spirituelle de la population ». Ces banques réalisent ainsi « de façon éminente la fin pour laquelle elles ont été fondées. Elles confèrent par là une nouvelle dimension à tout l’ensemble de l’économie qui, loin de constituer un but en soi, reste subordonné à une finalité plus haute, celle de l’âme humaine et des valeurs transcendantes de l’esprit. »[26]


1. Bien entendu, le thème de l’argent continue d’être abordé sur le plan de la morale personnelle et est l’occasion des classiques mises en garde contre l’avidité, la cupidité, l’égoïsme, l’envie, la jalousie, etc.
2. QA 586 in Marmy.
3. Cf. IIa IIae, qu. 134.
4. QA 555 in Marmy.
5. QA 603 in Marmy.
6. Id..
7. « Que de capitaux se perdent dans le gaspillage, dans le luxe, dans l’égoïste et fastidieuse jouissance, ou s’accumulent et dorment sans profit ». (Allocution aux membres du Congrès international du crédit, 24-10-1951).
8. Radiomessage au monde, 24-12-1952.
9. Lettre de Mgr Dell’Acqua, Substitut à la Secrétairerie d’État à la Semaine sociale de France, 10-7-1956. Il ne faut pas, dira ailleurs Pie XII, « viser uniquement, dans les progrès de la technique, le maximum possible de gain, mais les fruits qu’on peut en tirer, s’en servir pour améliorer les conditions personnelles de l’ouvrier, pour rendre sa tâche moins difficile et moins dure, pour renforcer les liens de sa famille avec le sol où il habite, avec le travail dont il vit ». (A des travailleurs italiens, 13-6-1943).
10. Allocution aux employés de la Banque de Naples, 20-6-1948.
11. Id..
12. Allocution au personnel de la Banque de Rome, 18-6-1950.
13. Id..
14. Il mettra aussi en évidence en 1948, la « bienfaisance » et la « miséricorde » exercées par les banques pour « soulager les infortunes publiques et privées » durant la guerre et l’après-guerre. (Op. cit., 20-6-1948).
15. Allocution aux membres du Congrès international du Crédit, 24-10-1951.
16. L’expression, est de Pie XI (QA).
17. Allocution au personnel de la Banque de Rome, 18-6-1950.
18. Id..
19. Pie XII insiste pour que l’argent, le capital serve au développement de la vie sociale et économique : « Que de capitaux se perdent dans le gaspillage, dans le luxe, dans l’égoïste et fastidieuse jouissance, ou s’accumulent et dorment sans profit ! Il y aura toujours des égoïstes et des jouisseurs, il y aura toujours des avares et des timides à courte vue.
   Leur nombre pourrait être considérablement réduit si l’on savait intéresser ceux qui possèdent à un emploi plus judicieux et profitable de leurs fonds, opulents ou modestes. C’est en grande partie faute de cet intérêt, que l’argent coule ou dort. Pour y remédier, vous pouvez beaucoup par le souci de transformer les simples déposants en collaborateurs, à titre d’obligataires ou d’actionnaires, d’entreprises dont le lancement ou la prospérité serait de grande utilité commune: qu’il s’agisse d’activité industrielle ou de production agricole, de travaux publics ou de construction de logements populaires, d’instituts d’éducation ou de culture, d’œuvres de bienfaisance ou de service social.
   On a beaucoup médit des conseils d’administration. La critique peut être justifiée dans la mesure où leurs membres n’ont en vue que l’accroissement de leurs dividendes. Si au contraire ils ont à cœur la sage et saine orientation des capitaux, ils font, à ce seul titre, œuvre sociale de premier ordre. » (Allocution aux membres du Congrès international du Crédit, op. cit.).
20. Allocution au personnel de la Banque d’Italie, 25-4-1950.
21. Cf. Radiomessage du 24-12-1942.
22. Allocution au personnel de la banque nationale du Travail d’Italie, 18-3-1951.
23. Allocution aux membres du Congrès international du Crédit, 24-10-1951. On se rappelle que Léon XIII insistait sur la possibilité pour les travailleurs d’épargner et de se constituer ainsi un petit pécule. Le souci de l’épargne reste présent dans l’enseignement de Pie XII. Une caisse d’épargne « est éminemment sociale et, par conséquent, digne des plus grands éloges ». Le service qu’elle propose « fortifie et stimule le sens et l’habitude de la prévoyance et (…) en propage la notion et l’usage parmi les classes les moins fortunées ». Le sens et l’habitude de l’épargne « favorisent et développent réciproquement le sain climat d’une vie ordonnée et vertueusement courageuse ». L’épargne « contribue considérablement à maintenir dans la famille l’union, l’allégresse dans une simplicité sereine et la dignité morale (…). » Enfin, l’épargne donne aux modestes capitaux des déposants « un emploi productif, non seulement à leur avantage privé, mais encore au profit des œuvres de bienfaisance ou d’utilité publique ». (Allocution au personnel de la Caisse d’épargne de Rome, 3-12-1950). Les caisses d’épargne drainent pour l’État, les sociétés financières et les entreprises des ressources qui, dispersées, ne seraient pas utilisables. « Sans doute, en fournissant du crédit à l’État, aux grandes sociétés industrielles ou financières, les Caisses d’épargne contribuent largement au bien commun ; fondées toutefois dans le but d’aider des classes laborieuses, elles doivent aussi se préoccuper, dans le choix de leurs placements, des avantages directs qu’en retireront les épargnants. qu’elles contribuent donc plus encore que par le passé à soutenir et encourager les diverses formes de crédit agraire et professionnel, les coopératives, les sociétés de crédit pour la construction d’habitations, ainsi que tous les instituts destinés à promouvoir l’initiative des particuliers ou des petites entreprises, en leur procurant des matières premières ou l’équipement dont elles ont besoin, pour leur permettre ainsi d’augmenter le rendement de leur activité. De la sorte se réalisera la collaboration féconde du capital et du travail au profit immédiat des travailleurs eux-mêmes. La communauté nationale s’enrichira d’une production accrue et d’une mise en valeur appréciable de toutes ses forces saines. » (Allocution aux membres du Conseil de gestion de l’Institut international d’Epargne, 16-5-1955).
24. Allocution aux membres du Congrès international du Crédit, 24-10-1951
25. Allocution au personnel de la Caisse d’épargne de Rome, 3-12-1950.
26. Discours à des représentants des Banques populaires, 9-6-1956.

⁢a. Il faut aller plus loin.

La question du libéralisme financier, disait le P. Calvez, est celle qui « importe le plus pour l’avenir » et elle ne se limite pas à cet autre problème crucial qu’est le développement des peuples. Tout le monde est concerné et risque d’être victime dans l’interdépendance grandissante des peuples. Dans les pays développés, les meilleures politiques risquent à tout moment d’être contrecarrées par les pratiques autonomes de la sphère financière moderne⁠[1].

La question mais elle n’échappe pas aux préoccupations de le l’Église. Elle ne peut lui échapper car « la monnaie a un trop grand rôle économique, social et politique pour n’être pas examinée attentivement par un chrétien ». En effet, « la monnaie est un signe essentiel de l’état des rapports entre les hommes (…). Les innombrables répercussions des modalités de la gestion monétaire font qu’elle est au cœur de la conscience du sentiment que chacun éprouve de son appartenance à une communauté humaine solidaire ».⁠[2]

En 1991, le pape Jean-Paul II rappelle que la possession des moyens de production « devient illégitime quand la propriété n’est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d’ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l’exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail. »[3] Ces grands principes traditionnels condamnent bien des pratiques économiques et financières d’aujourd’hui mais sans les évoquer directement ni les analyser pour proposer des pistes d’action.

En 1994, le Conseil pontifical « Justice et paix » publie une petite étude de deux fonctionnaires du Ministère de l’Economie français⁠[4], intitulée « Le développement moderne des activités financières au regard des exigences éthiques du christianisme »[5]. Ce texte est « surtout destiné à ouvrir une discussion et à animer un débat. Il ne prétend pas, face à une réalité si mouvante, présenter des positions définitives ; et celles que l’on y trouve restent, bien entendu, celles des auteurs eux-mêmes ».⁠[6]

Pour les auteurs, le développement moderne des activités financières risque de mettre à mal l’exigence de solidarité, une des deux exigences majeures de la doctrine sociale de l’Église. En effet, l’activité financière moderne risque de favoriser la concentration du pouvoir⁠[7], l’inégalité entre les nations⁠[8], l’oubli de la destination universelle des biens dans l’allocation des ressources et de la justice dans l’emploi des richesses.

Pour ce qui est de l’autre exigence essentielle de la doctrine, à savoir la priorité du travail sur le capital, elle risque aussi d’être mise à mal par la spéculation et les investissements non productifs c’est-à-dire les placements dans la « sphère financière » au détriment de la « sphère réelle ».

Comment éclairer la réalité nouvelle, se guider éthiquement dans le monde économique nouveau ? C’est à répondre à cette question que vont s’employer les auteurs, conscients du fait que « l’intermédiation financière » n’a pas encore été l’objet d’une attention spécifique de la part du magistère⁠[9].

Pour jeter les bases d’une réflexion éthique, Salins et Villeroy commencent par analyser les rapports actuels entre la « sphère financière » et « l’économie réelle » pour constater que si elles sont opposées, comme le soulignent traditionnellement les Papes depuis Pie XI, elles sont aussi complémentaires. Si « l’activité financière se déploie dans un univers très largement déréglementé », ignorant les frontières et se nourrissant de spéculation, elle cultive l’innovation , soutient le développement industriel ou commercial des entreprises et leur compétitivité, et offre aux acteurs économiques les moyens techniques pour gérer les incertitudes dues aux déséquilibres économiques, aux chocs pétroliers ou encore l’instabilité du système monétaire international.

Cette analyse nuancée amène les auteurs à adoucir un peu le jugement porté habituellement sur la spéculation⁠[10]. Certes, la spéculation est corruptrice puisque sa loi est l’enrichissement à tout prix ; par là, elle dissout les finalités de l’économie et anesthésie les consciences de ceux qui sont chargés de la réguler. Mais si dangereuse soit-elle, elle est liée à la finance. Celle-ci, « est, en effet, observation (spéculation) de l’avenir, anticipation des conséquences de cet avenir estimé sur la valeur d’un actif financier, et, surtout, fait nouveau, possibilité d’échanger aisément ces anticipations sur un marché ».⁠[11] Et, citant le P. E. Perrot, ils ajoutent que l’utilisation des procédés spéculatifs « permet de mieux prévoir les revenus à venir et d’investir à meilleur escient, ce qui est conforme à l’action morale ».⁠[12] La spéculation n’est pas un simple jeu de hasard permettant un enrichissement rapide. Elle repose souvent sur une capacité d’analyse qui peut s’exercer souvent aussi dans une relative transparence. Elle n’est pas non plus nécessairement délictueuse et n’engendre pas automatiquement de l’argent facile ou illégitime. Force est de constater que « le producteur doit (…) souvent utiliser les instruments mêmes qui servent au spéculateur.

Il n’empêche que la spéculation « fait partie de ces « terrae incognitae » dangereuses où l’individu et l’entreprise ne doivent s’aventurer que s’ils se fixent des limites claires. »[13]

Considérant la « financiarisation de l’économie » comme inéluctable, les auteurs pensent qu’il faut renouveler « la manière d’aborder certaines questions d’éthique sociale »[14] . Ainsi, l’Église a encouragé l’actionnariat populaire mais, étant bien entendu que cela « ne suffit pas à donner à l’homme toute la place qui lui revient dans l’entreprise », il faut reconnaître aujourd’hui que « la sphère financière a, en quelque sorte, « médiatisé » la propriété de l’entreprise » et que, par le fait même, « le droit de propriété n’est plus personnel mais s’exerce dans l’anonymat », les fonds étant désormais gérés par des professionnels.⁠[15] Ainsi aussi, à propos des offres publiques d’achat (OPA) qui manifestent à première vue la priorité du capital sur le travail et risquent de déstabiliser les entreprises voire de les conduire au dépeçage, il faut apprendre à discerner les bonnes et les mauvaises manœuvres car si une OPA peut être agressive et strictement financière, une autre peut permettre à une entreprise de croître et d’être plus productive. Ainsi encore, la sphère financière a bousculé les règles qui présidaient au partage des richesses en agissant sur les taux d’intérêt, sur la gestion de l’épargne et, dans la globalisation, en rendant inefficace les politiques traditionnelles de redistribution. Une fois encore le capital a acquis une « liberté supérieure » souvent au détriment du bien commun et de la justice sociale.

L’Église ne peut évidement rester indifférente face à ce développement de la finance qui privilégie le temps court et favorise la croissance d’une économie de l’endettement « sans souci du lendemain » et elle a raison « d’insister pour que les choix économiques individuels soient tournés vers l’avenir » en rappelant que le temps de l’industrie et des activités productives traditionnelles est un temps long et qu’il convient de favoriser l’épargne et l’accès à la propriété.⁠[16] En effet, « notre présent n’est pas le tout du projet humain » et « notre vie économique n’est qu’une part de notre finalité ». C’est pourquoi, l’Église appelle les prêteurs et les emprunteurs à la responsabilité afin que les dettes ne soient pas supportées par d’autres. C’est pourquoi aussi l’Église préfère l’investissement utile socialement et économiquement à la pure et simple consommation.

Très concrètement donc, chacun de nous, en tant qu’épargnant est invité à « privilégier des placements « socialement utiles même s’ils sont moins rémunérateurs »[17] », à éviter les placements suspects et la fraude fiscale. Quant à la rémunération de l’épargne, elle n’échappe pas au devoir traditionnel de pauvreté et de partage. En tant qu’emprunteur, outre que nous devons apprécier notre capacité de remboursement et veiller à utiliser l’argent efficacement « au service d’une finalité plus haute » comme nous y invite la parabole des talents, « le meilleur résumé de cette morale financière »[18], nous disent les auteurs.⁠[19]

Quant au financier qui est l’intermédiaire incontournable, il est très exposé à toutes les tares et déviations de la sphère financière. Il doit d’autant plus mériter la confiance des clients par le respect d’une déontologie claire et rigoureuse⁠[20], en évitant les abus, en informant et en conseillant ce qui convient le mieux à la situation du client. Le financier peut aussi être acteur, « spéculateur » dans le bon sens du terme, sur les marchés mais en construisant « sur le roc et pas sur le sable ».⁠[21]

Pour ce qui est des responsables d’entreprises, ils sont les gardiens de la priorité du travail sur le capital et, pour cela, ils doivent, dans la transparence, veiller à ce « que l’entreprise soit fidèle à son objet social » et surveiller de près l’activité financière de l’entreprise.⁠[22]

Enfin, last but not least, les gouvernants ont un rôle essentiel car ils sont « les garants ultimes de la justice : justice pour chaque individu, dans la protection de ses droits contre les risques d’iniquité associés à l’activité financière ; justice sociale, en veillant à ce que la finance ne contribue pas à accroître les inégalités de revenu ou de patrimoine. »[23] Dans cette action, pour réguler efficacement le marché dans le bon sens, la coopération internationale est indispensable et l’interdépendance doit déboucher sur une vraie solidarité dans le souci du long terme pour le développement intégral de l’homme et de tout homme.

Les auteurs n’ont donc pas oublié ce que beaucoup d’auteurs chrétiens oublient lorsqu’ils abordent la question économique et financière : la bonne volonté toujours problématique de chaque acteur a besoin du soutien et des balises que seul le pouvoir politique peut apporter. Un évêque confirme en dénonçant « la faiblesse du politique devant l’économique » : « cela n’est pas moral », écrit-il.⁠[24]


1. A la fin de la seconde guerre mondiale, en juillet 1944, furent signés, par 44 pays, les accords de Bretton Woods (USA). Le but était de poser les bases « d’un système monétaire unique pour l’ensemble du monde, fondé sur la convertibilité des monnaies, afin d’éviter le retour aux pratiques de l’entre-deux guerre : dévaluations en chaîne, élévation des barrières douanières, contrôle des changes, etc. Il s’agissait en outre de fournir aux pays dévastés par la guerre une aide à long terme, afin de permettre la reconstruction de leur économie ». C’est là que furent institués un Fonds monétaire international (FMI) et une Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). (Mourre). Dans les années soixante, la convertibilité du dollar en or est remise en question et le 15-8-1971, Richard Nixon suspend cette convertibilité suite aux problèmes de financement de la guerre au Vietnam. Dès lors, les banques centrales ne peuvent plus réclamer le règlement des dettes américaines en or, la spéculation se déclenche. En 1976, les changes flottants deviennent la règle, l’or est démonétisé, exclu des relations monétaires. En 1979, on supprime le contrôle des mouvements de capitaux. L’instabilité règne désormais.
2. HAUTCOEUR Pierre-Cyrille, La justesse de la monnaie, in Communio n° XXI, 4, juillet-août 1996, p. 50.
3. CA, 43.
4. Antoine de Salins et François Villeroy de Galhau.
5. Libreria editrice vaticana, Cité du Vatican, 1994. On pourra lire une courte présentation de ce texte et quelques réflexions du P. Calvez in Les silences de la doctrine sociale de l’Église, Editions de l’Atelier, 1999, pp. 59-67. Voir aussi la réflexion d’ALBERT Michel (membre de l’Institut et du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France), Pour la construction d’un ordre financier, in Communio, n° XXI, 4, juillet-août 1996, pp. 69-70.
6. Présentation du cardinal Etchegaray, président du Conseil pontificale et de Mgr Jorge Mejia, vice-président, op. cit., p. 3. La préface est due au P. Calvez, membre du Conseil pontifical.
7. Cf. QA 586-587 in Marmy.
8. Cf. PP et SRS.
9. Op. cit., p. 22.
10. Cf. Pie XI : « les gains si faciles qu’offre à tous l’anarchie des marchés attirent aux fonctions de l’échange trop de gens dont le seul désir est de réaliser des bénéfices rapides par un travail insignifiant, et dont la spéculation effrénée fait monter et baisser incessamment tous les prix au gré de leur caprice et de leur avidité, déjouant par là les sages prévisions de la production » (QA, 603 in Marmy). Pie XII : « Il faut aujourd’hui une grande fermeté de principes et d’énergie de volonté pour résister à la diabolique tentation du gain facile qui spécule honteusement sur les nécessités du prochain, au lieu de gagner sa vie à la sueur de son front » (Discours aux membres du Congrès de la Confédération nationale des agriculteurs italiens, 15-11-1946). Jean-Paul II : « La propriété des moyens de production (…) devient illégitime quand elle n’est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d’ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l’exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail » (CA 43). « L’un des principaux obstacles au développement et au bon ordre économique est le défaut de sécurité, accompagné de la corruption des pouvoirs publics et de la multiplication de manières impropres de s’enrichir et de réaliser des profits faciles en recourant à des activités illégales ou purement spéculatives » (CA 48).
11. Op. cit., pp. 27-28. Les auteurs poursuivent : « Constituant une appréciation de la valeur économique du temps, l’attitude spéculative est au cœur de la sphère moderne qui s’est développée sur les ruines d’un ordre monétaire où la valeur des actifs financiers évoluait très lentement. » Notons que si l’on s’en réfère à l’étymologie, la spéculation, du moins au départ, est une attitude normale dans les affaires : speculari signifie observer d’en haut, être en observation, suivre des yeux et plus rarement espionner.
12. PERROT E., Finance et morale, in Cahiers pour croire aujourd’hui, novembre 1988, cité in SALINS et VILLEROY, op. cit., p. 27.
13. Op. cit., p. 34. Un acteur du système financier moderne, affirme aussi que le rôle économique de la spéculation est « incontestable. Elle donne à nos intuitions une valeur réelle, reflète notre part de liberté dans la transcription économique du monde. Chrétiens, ajoute-t-il, nous devons reconnaître la sphère financière comme duale de la sphère réelle. C’est à nous, alors, d’y occuper la première place : promouvoir nos idées, défendre les valeurs du christianisme, charger progressivement cette sphère de conscience d’une tension chrétienne, l’utiliser pour les finalités sociales que l’Église prétend défendre ». Et de préciser: qu’il s’agit, dans un premier temps, comme chrétien, de ne pas spéculer sur des mouvements qui paraissent enfreindre les valeurs fondamentales par lesquelles passe le salut de l’homme. (…) Le chrétien devra, ensuite, utiliser la sphère spéculative pour faire part de ses analyses et les répandre dans un monde dont la communication est le vecteur essentiel. » Les chrétiens engagés dans ce monde doivent donc développer leur conscience chrétienne.
   Pour l’auteur de ces lignes, la seule action souhaitable est une action personnelle qui ne remet pas en question le système mais cherche à l’orienter au mieux. Cette attitude préconisée dans la sphère financière rappelle l’attitude de ces patrons chrétiens qui demandaient ou demandent encore la liberté d’agir en dehors de tout contrôle de l’État, réclamant confiance dans leur bonne volonté et la bonne orientation de leur conscience. Qui ne verrait pas là l’expression d’un certain libéralisme chrétien ? (AUDREN de KERDREL Hervé, Faut-il condamner la spéculation ? in Communio, n° XXI, 4, juillet-août 1996, pp. 66-67. H.A. de Kerdel est responsable de la salle des marchés de la banque Indosuez à Tokyo). Sur la spéculation, on peut lire aussi Pierre de LAUZUN, L’évangile, le chrétien et l’argent, Cerf, 2003, pp. 257-258.
14. SALINS et VILLEROY, op. cit., , p. 35.
15. Id., pp. 36-37.
16. Id., pp. 42-44.
17. Les auteurs citent ici les évêques français dans leur appel à de nouveaux modes de vie en 1982.
18. Mt 25, 14-30.
19. SALINS et VILLEROY, op. cit., pp. 47-48.
20. L’établissement de cette déontologie incombe d’abord, en fonction du principe de subsidiarité, à la profession avant les pouvoirs publics.
21. Cf. Mt 7, 24-27: « le meilleur résumé de la sagesse et de la confiance nécessaires », disent les auteurs (op. cit., p. 50)
22. SALINS et VILLEROY, op. cit., p. 51.
23. Id., p. 52. Très concrètement, les auteurs proposent « une législation adaptée sur les OPA, sur la spéculation ou sur la fiscalité de l’épargne et des activités financières. Il est souhaitable, écrivent-ils, que, dans la mesure du possible, les revenus tirés de ces activités soient - au niveau de l’entreprise comme des individus - taxés de la même façon que ceux des activités productives : une discrimination en faveur des revenus du capital, au détriment de ceux du travail, est difficilement justifiable. Il faut naturellement tenir compte, pour cette comparaison, de l’éventuelle fiscalité sur le capital lui-même. »
24. ROUET Albert, archevêque de Poitiers, L’argent, 15 questions à l’Église, Mame/Plon, 2003, p. 110. Tout le chapitre 7, Est-il moral de gagner de l’argent en dormant ? (pp. 101-111) constitue un bref résumé des problèmes financiers d’aujourd’hui.

⁢vii. Et aujourd’hui ?

L’enseignement de Pie XII, toujours valable dans ses principes et injonctions, peut sembler, à première vue, bien dépassé par les faits, par l’évolution de la banque, du système de prêt, de l’épargne et l’expansion de la spéculation comme des pratiques liées à l’argent sale. Et on pourrait regretter, avec le P. Calvez, que, face à cette dégradation, la question du libéralisme financier n’ait plus guère été traitée par la suite, « alors que c’est elle qui est devenue centrale désormais, aux yeux de beaucoup : c’est le point qui importe le plus pour l’avenir. »⁠[1]

Disons que, d’une manière générale, l’Église continue sporadiquement à rappeler la nécessité de faire servir les investissements à l’emploi⁠[2], de mettre le capital au service du travail⁠[3]. « le revenu excédentaire, écrit le P. Calvez, qui n’est pas encore moyen de production, mais est susceptible de s’investir en moyens de production, ne peut être « possédé pour posséder », ni gaspillé à un usage de luxe personnel : il ne peut être possédé que pour une finalité sociale. »[4]

Toutefois, l’attention de l’Église va se porter de plus en plus sur les questions financières liées au développement des peuples et notamment sur la dette des pays les plus pauvres.

A l’approche du troisième millénaire, Jean-Paul II déclarait solennellement que « dans l’esprit du Livre du Lévitique (25, 8-12)[5], les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total , de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations. »[6]

Plus caractéristique encore fut, en 1997, cette journée d’étude présidée par le cardinal Poupard sur L’Église et le prêt à intérêt, hier et aujourd’hui[7]. On y rappela l’évolution de la position de l’Église jusqu’à l’encyclique Vix pervenit, la nécessité de protéger les faibles contre la rapacité des riches et la difficulté de maintenir ce principe dans une culture moderne dominée par le dynamisme créateur, l’exaltation des libertés et l’affirmation de l’autonomie des consciences. On rappela aussi l’événement que fut la célèbre encyclique Populorum progressio[8] où Paul VI réitère la condamnation de « l’impérialisme international de l’argent » prononcée par Pie XI⁠[9]. A partir de ce moment, l’attention de l’Église s’est portée sur la finance internationale et les pays en voie de développement et, très précisément, sur la dette extérieure de ces pays.⁠[10] Nous y reviendrons.


1. CALVEZ J.-Y., Les silences de la doctrine sociale catholique, Editions de l’Atelier, 1999, p. 55.
2. Le Concile Vatican II déclarera brièvement : « Les investissements (…) doivent tendre à assurer des emplois et des revenus suffisants tant à la population active d’aujourd’hui qu’à celle de demain. Tous ceux qui décident de ces investissements, comme de l’organisation de la vie économique (individus, groupes, pouvoirs publics) doivent avoir ces buts à cœur et se montrer conscients de leurs graves obligations ; d’une part, prendre des dispositions pour faire face aux nécessités d’une vie décente, tant pour les individus que pour la communauté tout entière ; d’autre part, prévoir l’avenir et assurer un juste équilibre entre les besoins de la consommation actuelle, individuelle et collective, et les exigences d’investissement pour la génération qui vient. On doit également avoir toujours en vue les besoins pressants des nations et des régions économiquement moins avancées. Par ailleurs, en matière monétaire, il faut se garder d’attenter au bien de son propre pays ou à celui des autres nations. On doit s’assurer en outre que ceux qui sont économiquement faibles ne soient pas injustement lésés par des changements dans la valeur de la monnaie. » (GS, n° 70).
3. Relire LE 12-15 et se rappeler : « La propriété s’acquiert avant tout par le travail et pour servir au travail ». Les moyens de production « ne sauraient être possédés contre le travail, et ne peuvent être non plus possédés pour posséder, parce que l’unique titre légitime à leur possession (…) est qu’ils servent au travail et qu’en conséquence, en servant au travail, ils rendent possible la réalisation du premier principe de cet ordre qu’est la destination universelle des biens et le droit à leur usage commun. » (LE 14).
4. CALVEZ J.-Y., L’économie, l’homme, la société, Desclée de Brouwer, 1989, pp. 150-151.
5. « Tu compteras sept semaines d’années, sept fois sept ans, c’est-à-dire le temps de sept semaines d’années, quarante-neuf ans. Le septième mois, le dixième jour du mois, tu feras retentir de la trompe : le jour des Expiations vous sonnerez de la trompe dans tout le pays. Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan. Cette cinquantième année sera pour vous une année jubilaire : vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas les épis qui n’auront pas été mis en gerbe, vous ne vendangerez pas les ceps qui auront poussé librement. Le jubilé sera pour vous chose sainte, vous mangerez des produits des champs. ». Dans son interprétation de ce texte, le P. Perrot retient surtout l’idée de « la restauration de chacun dans son clan d’origine ». Il y voit, « au-delà de la suppression de la dette, un enjeu plus fondamental, la restauration de la crédibilité du débiteur. C’est-à-dire sa réinsertion dans la communauté humaine ». Il note que « la crédibilité fait mauvais ménage avec une trop grande publicité mettant en avant l’abandon des créances » et en conclut que « l’annulation de la dette -lorsque l’annulation est nécessaire- doit se cacher discrètement derrière un ensemble d’aménagements socio-politiques qui ouvre la porte d’un nouveau crédit ». (PERROT E., L’argent, Lectures bibliques d’un économiste, in Bible et économie, op. cit., p. 106). De son côté, Joëlle Ferry note que « l’appel à la remise des dettes des pays pauvres très endettés a été souvent situé par rapport aux appels des prophètes à la justice » ( Y a-t-il une justice économique chez les Prophètes ? in Bible et économie, op. cit., p.72).
6. Lettre apostolique Tertio Millenio Adveniente, 10-11-1994, n°51, in DC, n° 2105, 1994, p. 1030.
7. A l’occasion du 50e anniversaire de la faculté d’Economie de l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan. A cette journée d’étude organisée avec le concours du Centre de recherches pour l’étude de la doctrine sociale de l’Église, participèrent notamment le Recteur Adriano Bausola, les professeurs Alberto Cova, Sergio Zaninelli, Giancarlo Andenna, Paola Vismara, Paolo Pecorari, Luciano Boggio, Oscar Garavello et le Conseiller de la Banque mondiale Giuseppe Zampaglione. Compte-rendu disponible sur www.vatican.va.
8. 26 mars 1967.
9. PP, n° 26.
10. Les intervenants ont souligné la complexité du problème de la dette « surtout quand les fonds prêtés, au lieu d’aider au développement économique, ont alimenté le clientélisme, la corruption, l’achat d’armes dispendieuses ». Devant l’extrême gravité de certaines situations, en Afrique principalement, « la communauté internationale doit prendre en compte les facteurs extérieurs qui ont pénalisé ces peuples, en particulier la réduction de l’inflation dans les pays industrialisés, la fluctuation des monnaies, la chute des prix des matières premières ». Par ailleurs et contrairement à certains stéréotypes qui insistent sur le transfert des richesses, il a été montré que « l’essentiel est de transférer les connaissances et la capacité qui permettront aux pays pauvres d’utiliser avec efficience les modernes technologies productives en faisant croître les comportements, les habitudes, les usages, les institutions adaptés. Il s’agit donc au premier chef d’un problème culturel. (…) Le prêt extérieur est un instrument extrêmement important, à condition d’être utilisé pour transférer la capacité technologique qui est la véritable clé du développement économique moderne ; » (cf. www.vatican.va)

⁢viii. Et le Catéchisme, et le Compendium ?

En 2005, le Compendium de la doctrine sociale de l’Église prend en compte la planétarisation des relations économiques et financières et souhaite que les États collaborent efficacement contre les dérives, que les syndicats se rénovent dans le même but⁠[1].

Si sous le pontificat de Jean-Paul II, comme par le passé, le Magistère de l’Église s’est penché principalement sur le travail et son aspect subjectif prioritaire, il n’a pas oublié les antiques condamnations de l’usure. Le Compendium rappelle que « si dans l’activité économique et financière la recherche d’un profit équitable est acceptable, le recours à l’usure est moralement condamné »[2], puis il aborde la situation contemporaine. Si les marchés financiers existent depuis longtemps⁠[3] et sont indispensables dans l’économie moderne, « la création de ce que l’on a qualifié de « marché global des capitaux » a entraîné des effets bénéfiques, grâce à une plus grande mobilité des capitaux permettant aux activités productives d’avoir plus facilement des ressources disponibles », la mobilité accrue « fait augmenter aussi le risque de crises financières ».⁠[4] De plus, l’activité financière contemporaine devient une fin en soi et et n’est plus au service de l’économie ni des sociétés. Certains pays, hors du système financier international, en subissent malgré tout les « éventuelles conséquences négatives de l’instabilité financière sur leurs systèmes économiques réels, surtout s’ils sont fragiles ou si leur développement est en retard. » Pour être stable et efficace à la fois, pour « encourager la concurrence entre les intermédiaires et (…) assurer la plus grande transparence au profit des investisseurs », un « cadre normatif » est indispensable.⁠[5] Or, la mondialisation de l’économie et de la finance rend de plus en plus caduque l’action de l’État⁠[6]. Il est donc nécessaire et urgent que la communauté internationale se dote « d’instruments politiques et juridiques adéquats et efficaces », que les institutions économiques et financières internationales et les Organismes internationaux orientent le changement en étant très attentifs aux pays plus faibles et plus pauvres.⁠[7] C’est à une action politique internationale que revient le devoir de guider les processus économiques pour qu’ils ne soient pas inspirés seulement par leurs intérêts propres mais pare le souci du bien commun de toute l’humanité. Cette réforme réclame « la consolidation des institutions existantes, ainsi que la création de nouveaux organes auxquels confier cette responsabilité ». En effet, « le développement économique peut être durable s’il se réalise au sein d’un cadre clair er défini de normes et d’un vaste projet de croissance morale, civile et culturelle de l’ensemble de la famille humaine. »⁠[8]

Fort de l’enseignement de ses prédécesseurs, à travers, en particulier, Populorum progressio et Sollicitudo rei socialis, et face à l’ampleur notamment de la crise financière des années 2007-2008, conscient des déséquilibres du monde, de l’« activité financière mal utilisée et qui plus est, spéculative » qui s’ajoute à d’autres problèmes dramatiques, Benoît XVI, dans son encyclique Caritas in veritate, prend le mal à la racine en appelait à une « nouvelle synthèse humaniste » dont les maîtres-mots devraient être, comme nous l’avons déjà vu : don et gratuité. Le Saint-Père sait que « le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien à la façon de le créer que de l’utiliser. » Il sait aussi que « la visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »⁠[9] Il insiste opportunément sur ce que la doctrine sociale ne cesse d’affirmer : la clé de toute la question sociale, c’est l’homme invité à vivre selon sa nature le plus profonde, celle d’un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, Dieu qui est don, don gratuit de l’amour⁠[10], de la création⁠[11], de la vie⁠[12], Dieu qui nous appelle donc à vivre ce don : aimer, est « la vocation déposée par Dieu dans le cœur et dans l’esprit de chaque homme. »[13]

Nourris de ces grands principes⁠[14], il reste aux chrétiens à trouver les solutions pratiques puisque « l’Église n’a pas de solutions techniques à offrir et ne prétend « aucunement s’immiscer dans la politiques des États ». »[15] Toutefois, entre doctrine et solutions techniques, n’y a-t-il pas place pour une réflexion plus concrète qui puisse orienter les actions ?

Les Églises locales parfois campent sur la position du Magistère romain et parfois avancent des propositions de réforme.


1. CDSE, 292, 308 et 321. Cf. Jean-Paul II : « Les nouvelles réalités qui touchent avec force le processus de production, tel que la globalisation de la finance, de l’économie, des commerces et du travail, ne doivent violer la dignité et la centralité de la personne humaine, ni la liberté et la démocratie des peuples. La solidarité, la participation et la possibilité de gouverner ces changements radicaux constituent certainement, si ce n’est la solution, du moins la garantie éthique nécessaire afin que les personnes et les peuples ne deviennent pas des instruments, mais les acteurs de leur avenir. Tout cela peut être réalisé et, puisqu’on peut le faire, devient un devoir » (Homélie lors de la messe pour le Jubilé des travailleurs, 1-5-2000, in DC n° 2226, p. 451-452).
2. CDSE 341. Le Compendium s’appuie sur deux articles du catéchisme et une déclaration de Jean-Paul II : « Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable » (CEC 2269) ; le n° 2438 dénonce « des systèmes financiers abusifs sinon usuraires » ; et Jean-Paul II demande de « ne pas pratiquer l’usure, une plaie qui, à notre époque également, constitue une réalité abjecte, capable détruire la vie de nombreuses personnes. » (Discours à l’audience générale du 4-2-2004, in DC n° 2309, p. 204).
   C’est surtout le monde agricole qui est menacé par la pratique de l’usure. « Le petit cultivateur rencontre de grosses difficultés d’accès au crédit nécessaire pour améliorer la technologie de production, pour accroître sa propriété, pour faire face aux adversaires, à cause du rôle assigné à la terre comme instrument de garantie et à cause des coûts plus importants que comportent les financements d’un montant limité pour les instituts de crédit.
   Dans les zones rurales, le marché légal du crédit est souvent inexistant. Le petit cultivateur est conduit à recourir à l’usure pour les prêts dont il a besoin, s’exposant ainsi à des risques pouvant mener à la perte, partielle ou même totale, de sa terre. De fait ; l’activité de l’usurier tend habituellement à la spéculation foncière. Il se produit de la sorte un ratissage de petites propriétés qui accroît à la fois le nombre des sans terre et le patrimoine des grands propriétaires, des agriculteurs les plus riches ou des commerçants du cru.
   Dans les économies pauvres, l’accès au crédit à long terme tend, en substance, à être directement proportionnel à la propriété des moyens de production, en particulier de la terre et, par conséquent, à devenir une prérogative exclusive des grands propriétaires terriens. » (Conseil pontifical « Justice et Paix », Pour une meilleure répartition de la terre, Le défi de la réforme agraire, 23-11-1997, in DC, n° 2175, 1-2-1998, p. 113).
3. Habituellement, on « place la naissance des marchés organisés Aux Pays-Bas, au début du XVIIe siècle. Le marché à terme de la tulipe était né, permettant aux producteurs et aux consommateurs de couvrir le risque d’évolution défavorable des cours de cette fleur ». (AUDREN de KERDREL Hervé, op. cit., p. 52).
4. CDSE 368.
5. CDSE 369.
6. CDSE 370.
7. CDSE 371. Cf. l’Exhortation de Jean-Paul II, Ecclesia in America, 22-1-1999, in DC, n° 2197, pp. 106-141 et notamment les n° 55-60 où Jean-Paul II évoque les problèmes liés à la mondialisation, au néolibéralisme et la question de la « dette extérieure qui étouffe beaucoup de peuples du continent américain » ; les mêmes questions seront abordées par Jean-Paul II dans l’Exhortation Ecclesia in Asia , in DC n° 2214, pp. 978-1009, notamment les n° 7, 34, 39-40 ; cf. aussi l’intervention de Mgr Giuseppe Bertello au Conseil économique et social de l’ONU, « La réduction de la dette pour les plus pauvres peut favoriser leur développement, in DC n° 2211, pp. 837-838 ou encore l’intervention du Saint-Siège à la Conférence des nations-Unies pour le Commerce et le Développement, Une polarisation de la société entre riches et pauvres malgré la croissance économique, in DC, n° 2223, 2-4-2000, pp. 320-323.
8. CDSE 372.
9. CV 21.
10. « Tout provient de l’amour de Dieu, par lui tout prend forme et tout tend vers lui. L’amour est le don le plus grand que Dieu ait fait aux hommes, il est sa promesse et notre espérance. » ( CV 2) ; « Objets de l’amour de Dieu, les hommes sont constitués sujets de la charité, appelés à devenir eux-mêmes les instruments de la grâce, pour répandre la charité de Dieu et pour tisser des liens de charité. » (CV 5) ; « L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. » (CV 34).
11. « La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. […​] La nature est à notre disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard » (Héraclite), mais comme un don du Créateur quii en a indiqué les lois intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires pour la « garder et la cultiver » (Gn 2, 15). » (CV 48).
12. « L’ouverture à la vie est au centre du vrai développement. » (CV 28).
13. CV 1.
14. François rappellera aussi l’essentiel dans Laudato si’ : « La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. » Et en ce qui concerne plus particulièrement le monde financier, il ajoute avec beaucoup de lucidité : « Sauver les banques à tout prix, en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir ni de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, coûteuse et apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d’une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l’activité financière spéculative et de la richesse fictive. » Le pape regrette qu’« il n’y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde. » (LS 189).
15. CV 9, citant GS 36, OA 4, CA 43.

⁢ix. Les Églises locales

Les Églises locales, elles aussi, se sont penchées sur les activités financières modernes.

En 1996, les évêques de Hongrie publie une longue lettre⁠[1] où ils abordent notamment la vie économique de leur pays, après le communisme et dans le contexte mondial et européen. A la recherche d’une « économie de marché sociale », ils dénoncent l’endettement de l’État, le taux d’inflation, les intentions intéressées des investissements étrangers, les contradictions de la privatisation, le travail au noir et l’économie sauvage, le chômage, la dégradation de la nature, etc., et rappellent pour combattre « les effets néfastes du fonctionnement du marché », l’importance de la mission de l’État qui doit prendre les mesures adéquates.

En 1988, la Commission sociale de la Conférence épiscopale française publiait « Créer et partager » où on lisait ; « 24 heures sur 24 fonctionne désormais, à l’échelle de la planète, un marché monétaire et financier, à caractère largement spéculatif. Il contribue à augmenter, d’une façon que certains estiment excessive, le poids des aspects financiers des décisions par rapport à celui de leurs aspects économiques et humains ; beaucoup de pays maîtrisent ainsi de moins en moins leur destin. Les graves perturbations qui se sont produites sur les marchés boursiers (en 1987) ne font que renforcer cette analyse. Elles témoignent d’une instabilité et d’une fragilité du système qui suscitent des craintes graves quant à l’évolution à venir de l’activité économique mondiale et de l’emploi. » Cette remarque toutefois s’inscrivait dans une réflexion générale sur l’économie et la société pour répondre au défi du chômage. Sur la question financière, l’épiscopat français s’arrêtait à l’analyse citée qui résume parfaitement le problème.

En 1999, la proximité du jubilé fut l’occasion en maints endroits, de réclamer l’allègement du poids de la dette qui pèse sur les pauvres.⁠[2]

En 2000, le Conseil National de la Solidarité et de la Commission sociale des évêques de France⁠[3], à l’occasion du Jubilé, publie une déclaration sur l’argent. Les évêques insistent sur le partage : les impôts en sont une forme, les collectes de l’Église et des organisations humanitaires, une autre. Il serait évangélique, précisent-ils, que « la somme des multiples collectes puisse atteindre le niveau de la dîme ». A propos des grands problèmes actuels, les évêques émettent des souhaits sans proposer de solutions concrètes : « Pour vivre pleinement le Jubilé, les catholiques peuvent-ils se désintéresser des campagnes pour « l’annulation de la dette », pour un commerce plus équitable et plus solidaire, pour une mondialisation plus sérieuse des flux financiers incontrôlés qui gravitent autour de notre planète ?

Dans les débats actuels concernant le pouvoir de l’argent, la bulle financière, la Bourse sur Internet, le choix des investissements, les chrétiens ne peuvent pas rester bras croisés ni être absents du débat, laissant à d’autres le soin de prendre des initiatives pour que les pauvres ne soient ni les victimes ni les otages d’un système sans alternative ! » Nous verrons effectivement plus loin, que l’initiative en la matière n’est pas souvent le fait des catholiques…​ Et pourtant, l’invitation à « mettre l’homme au cœur de l’économie de marché » se répète.⁠[4]

Plus engagée, la même année, est la brochure « Malheur à nous qui jouons avec l’argent du monde » publiée par la Commission Justice et Paix de la communauté francophone de Belgique⁠[5]. Après une analyse précise et concise des maux financiers que nous avons énumérés précédemment, la Commission propose une action à 4 niveaux : une action individuelle sur la consommation et l’épargne par le choix de produits « made in dignity », de banques et de placements alternatifs ; une action citoyenne au sein de la vie associative le « monde des ONG ») ; un langage clair et ferme pour l’éradication de toute misère et de toute exclusion ; un retour de la loi et donc du politique pour soumettre la recherche égoïste du profit. Sur ce plan, la Commission soutient le principe d’une taxation de certaines transactions financières internationales⁠[6], la restauration d’un étalon commun pour stabiliser les parités financières, l’harmonisation des politiques et des législations fiscales.

Ce document avait été précédé, en 1981 par une réflexion œcuménique très engagée à laquelle cette Commission Justice et Paix avait participé avec l’Association Œcuménique pour Église et Société⁠[7]. Le résultat fut la publication d’une brochure intitulée Pouvoir bancaire et Problèmes éthiques. Après avoir décrit l’évolution de la banque, son internationalisation qui la fait échapper à bien des contrôles et des réglementations , son pouvoir d’influence sur l’économie⁠[8], sur notre comportement, les auteurs soulignent les inégalités qu’elle consolide et aggrave (« on ne prête qu’aux riches…​ »)⁠[9] et se demandent finalement si le pouvoir bancaire, tel qu’il est, coopère « à la construction d’un monde plus intelligible, plus juste et plus solidaire ? »

Leur réponse est négative car, outre qu’il accentue les inégalités, le pouvoir de la banque est un « pouvoir occulté, opérant dans la discrétion et le secret », un « pouvoir réservé à une minorité non contrôlée démocratiquement » ( un petit nombre d’initiés, de spécialistes et d’informaticiens dont le travail échappe au commun des mortels), et un « pouvoir émietté favorisant la « spirale de l’irresponsabilité ». »[10]

Cette opacité et ce pouvoir sur les personnes et leurs activités⁠[11], interpellent la conscience chrétienne qui a appris à travers la Bible l’interdépendance des riches et des pauvres, la faveur que le Seigneur accorde aux pauvres et le danger d’une richesse qui peut faire obstacle à la Parole de Dieu. La question dès lors se pose de savoir s’il est possible, au niveau du crédit, de l’investissement et des décisions de tenir compte des pauvres, de leur état et de leur avis.

Pour plus de clarté et de solidarité et sans nécessairement opter d’emblée pour la nationalisation ou la socialisation⁠[12], les auteurs avancent huit propositions concrètes, plus ou moins radicales, plus ou moins réalisables, mais qui visent à plus de contrôle, plus de transparence, plus de solidarité et plus d’attention aux plus pauvres.⁠[13]

Nous allons voir que c’est précisément dans ce sens que de nombreuses initiatives sont prises aujourd’hui en dehors de l’influence de l’Église, suscitées sans doute par les excès du système mais aussi par la volonté de certains d’être fidèle à leur manière à ce qui leur paraît comme une injonction divine..


1. Pour un monde plus juste et fraternel, 1996, in DC, n° 2174, pp. 68-92 et notamment les n° 37-64.
2. Cf., par exemple, le communiqué du Conseil national de la Solidarité des évêques de France, de Justice et Paix-France et de la Commission sociale des évêques de France, Pour célébrer le Jubilé 2000: libérer les pauvres du poids de la dette, in DC, n° 2196, pp. 75-79.
3. In DC 2229 pp. 638-641.
4. Cf. Perspectives après la 74e session des Semaines sociales de France, in DC, n° 2221, 5-3-2000, p. 220
5. Commission Justice et Paix, janvier 2000.
6. La brochure cite la fameuse « taxe Tobin », appelée aussi taxe Tobin-Spahn. Cette taxe fut proposée en 1978 par l’économiste américain James Tobin, Prix Nobel d’économie en 1981 et professeur à l’Université de Yale jusqu’en 1980.Cette taxe au taux faible, quelques dixièmes ou centièmes de pour cent, serait prélevées sur toutes les opérations de change d’une monnaie à une autre. Sans pénaliser les opérations de l’économie réelle (importations, exportations, investissements), elle freinerait la spéculation et donc l’instabilité excessive du marché monétaire. Les fonds recueillis seraient reversés à un organisme géré par le FMI, la Banque mondiale ou un organisme indépendant placé sous le contrôle de l’ONU et redistribués prioritairement aux pays les moins avancés. (Cf. CASSEN Bernard, Vive la taxe Tobin !, in Le Monde diplomatique, août 1999, p. 4 ; Taxe Tobin, in Wikipédia sur http://fr.wikipedia.org ; James Tobin : un économiste à contre-courant, Propos recueillis par Sophie Boukhari, Ethirajan Anbarasan et John Kohut, in Le Courrier de l’Unesco, février 1999). Quant à Paul Bernd Spahn, c’est un économiste allemand, conseiller au FMI, qui a proposé un aménagement de la taxe Tobin. Le 1er juillet 2004, la Belgique a adopté une loi instaurant une taxe de 0,02% sur les opérations de change. Cette loi, une première mondiale, n’entrera en application que quand les autres pays de la zone Euro auront adopté des mesures similaires. (Cf. COLLIGNON Fabrice, Taxe Tobin-Spahn adoptée en Belgique : un vote historique, sur http://wb.attac.be).
7. Respectivement 12 et 23, avenue d’Auderghem, 1040 Bruxelles.
8. « En tant que régulatrice des flux monétaires, la banque assume un rôle économique important voire décisif. Elle peut accorder ou refuser le crédit, elle établit les conditions du crédit. Dans une économie de marché elle irrigue ou assèche l’ensemble du tissu économique aussi bien au niveau du micro-économique que du macro-économique » (op. cit., p. 43).
9. « Seuls les détenteurs d’une épargne brute importante et de très gros emprunteurs peuvent obtenir, les uns pour leurs dépôts, les autres pour leurs crédits, les conditions les plus avantageuses qui sont imposées par la concurrence internationale » (LAMBERT M.H., Marge d’intermédiation du système bancaire et son affectation, in Revue de la Banque, n° 7 et 8, 1978, cité in Pouvoir bancaire et problèmes éthiques, op. cit., p. 26).
10. Op. cit., p. 55.
11. La banque a le pouvoir de juger, de choisir ses clients et dispose de nombreuses informations sur eux.
12. « Une prise de contrôle des banques par les pouvoirs publics n’a de portée réelle selon nous, que s’il existe un projet économique valable et une volonté politique de réaliser ce projet. En dehors de ces conditions, une nationalisation des banques nous paraît une solution illusoire. » (Op. cit., p. 56).
13. Voici ces propositions:
   1. « Favoriser tout effort visant à la démonétarisation ou non monétarisation des activités humaines, notamment par la création ou le maintien des économies parallèles » pour « développer des alternatives où les relations de production et de consommation ne s’appuient pas sur les rapports « marchands ». »
   2. « Imposer aux banques un fonctionnement à rentabilité nulle » en sauvegardant la possibilité de « constituer toutes les provisions et les réserves nécessaires pour couvrir les risques inhérents à leur activité et alimenter convenablement leurs fonds propres ». Quant aux actions, elles « seraient transformées en une sorte d’actions privilégiées ou d’obligations ou bons de caisse. »
   3. Affecter « des profits à un fonds spécial servant à subsidier certaines opérations de crédit ». Mais cette proposition paraît aux auteurs peu intéressante car elle s’inscrit encore dans une logique de profit qui « servirait même d’alibi, de bonne conscience, couvrant certains excès commis dans les opérations bancaires normales. »
   4. Limiter progressivement le « secret bancaire dans la perspective d’une transparence bancaire aussi grande que possible ». Ce secret se cantonnant « à la non publication des données se rapportant aux personnes physiques ».
   5. Etablir un « système de coefficients discriminatoires selon la catégorie des crédits », pour avantager « notamment les pauvres (ex.: prêts logement), les pays en voie de développement (prêts à bas taux d’intérêt), les régions en déclin ou les secteurs en restructuration ». A l’inverse, on pourrait prévoir des « coefficients pénalisateurs pour des opérations « déconseillées ». »
   6. Relancer « des formules de coopération », telles qu’il en a existé en Allemagne (les Schulze-Detlitzsch et Raiffeisen du XIXe siècle ou les Creditgarantiegemeinschaften), en Angleterre (les Terminating Building Societies du XVIIIe siècle) , les coopératives de clients (à l’instar des Allemands) ou d’autres institutions alternatives comme la Société coopérative œcuménique de développement à Amersfoort aux Pays-Bas..
   7. Créer un « ombudsman » ou un jury pour apprécier « la moralité de certaines opérations bancaires ». Le mot suédois « ombudsman » désigne un « médiateur », défenseur » ou « protecteur ».
   8. Etendre le contrôle des banques. « Ceci impliquerait que les Commissions bancaires, chargées du contrôle des banques dans divers pays, soient toutes soustraites à l’influence parfois prépondérante du secteur bancaire lui-même, et soient directement intégrées à l’autorité publique compétente, et démocratiquement surveillée. »

⁢x. La banque islamique

[1]

Le débat sur le prêt à intérêt est relancé aujourd’hui non par l’Église, mais par la position de l’Islam, position inspirée par la tradition juive qui a marqué le Coran. Les musulmans d’ailleurs se plaisent à souligner cette parenté entre leur loi et l’interdit de l’Ancien Testament. Mais, contrairement à l’Occident chrétien, ils prétendent être restés fidèles aux prescriptions divines.⁠[2]

Notons tout d’abord qu’en terre d’Islam comme en terre chrétienne, « le prêt d’argent (riba pour les musulmans) s’est toujours pratiqué (…) ».⁠[3] Qui plus est, le Coran lui-même semble ruser avec le riba.⁠[4] Mahomet a vécu dans un monde de marchands et avait un oncle -Al Abas- qui était connu comme prêteur à intérêt. Il connaît donc le milieu des affaires et a pu constater les méfaits du prêt à intérêt. Si l’on essaye de suivre l’ordre chronologique très approximatif des sourates⁠[5] on découvre un enseignement progressif en quatre étapes. L’ayat 38 de la sourate des Grecs (30)⁠[6] de la troisième période mecquoise (vers 614?) dit : « Et ce que vous livrez à l’usure, pour l’augmenter avec les biens des autres hommes, ne sera pas accru auprès d’Allâh ; mais ce que vous placez en aumônes, désirant (voir) la face d’Allâh, c’est cela qui sera doublé de valeur. » Le riba s’oppose ici à zakat, l’aumône légale, et est simplement déconseillé. L’ayat 159 de la sourate des femmes (4), de la période médinoise (entre 625 et 627?), à propos de l’interdiction faite aux Juifs de prêter à intérêt, Mahomet déclare: « Et aussi pour avoir pratiqué l’usure, lorsque Nous l’avions défendue, et pour avoir dévoré les biens des autres, pour de vaines choses. (Aussi) avons-nous préparé, pour ceux d’entre eux qui ne croient pas, un supplice douloureux. » Plus précis est l’ayat 125 de la sourate de la famille d’Imran (3) (627-629?) Destiné cette fois aux croyants (musulmans) : « O vous qui croyez ! Ne dévorez pas avec l’usure doublement doublée. Mais craignez Allâh ; peut-être serez-vous heureux. » La menace s’exprime dans l’ayat suivant : « Craignez le Feu, préparé pour les incroyants, et obéissez à Allâh et à (Son) Apôtre ; il se peut que vous obteniez la Miséricorde (divine) ». Reste une question : cet ayat vise-t-il seulement l’intérêt qui atteint le double du capital ou l’intérêt qui augmente lorsqu’un débiteur ne peut rembourser ? La réponse se trouve peut-être dans les ayats 276-280 de la sourate de la génisse (2) écrite dans la période médinoise (peu avant sa mort en 632?) : « Ceux qui se nourrissent de l’usure, ne se lèveront pas (au jour de la résurrection, si ce n’est comme se lève celui que Satan a violemment frappé de (son) contact. C’est parce qu’ils disent qu’il en est de l’usure comme de la vente. Mais Allâh a permis la vente et a interdit l’usure. Celui à qui parviendra l’avertissement de son Seigneur, et qui (y) renoncera, ce qui leur est arrivé dans le passé sera l’affaire d’Allâh. Mais quant à celui qui (y) retourne, ceux-là (seront) les compagnons du Feu et ils y demeureront éternellement. » « Allâh fera disparaître l’usure et augmentera avec usure l’aumône. Car Allâh n’aime pas quiconque est un pécheur incroyant. En vérité, quant à ceux qui croient et font le bien, se lèvent pour la prière, et donnent l’aumône, à eux (est réservée) leur récompense auprès de leur Seigneur ; il n’y aura pas de crainte pour eux et ils ne seront point affligés ». « O vous qui croyez ! Craignez Allâh et remettez ce qui est resté de l’usure, si vous êtes croyants ». «  Et si vous ne (le) faites pas, (attendez-vous) à entendre la proclamation de la guerre de la part d’Allâh et de Son Apôtre. Mais si vous vous repentez, le capital de vos biens vous (reste). Ne faites pas de tort, et il ne vous sera pas fait de tort ». « Si quelqu’un se trouve dans des difficultés, attendez de meilleures circonstances. Et si vous (lui) remettez (sa dette) comme aumône, cela vaut mieux pour vous, si vous (le) savez ». Il est clair, d’après ces derniers textes, que le Prophète veut favoriser le zakat (l’aumône), un des cinq piliers de l’Islam, en condamnant le riba⁠[7]. Notons que, dans la pensée musulmane, il n’existe aucune distinction entre « usure » et le prêt à intérêt tel que nous l’entendons. Il s’agit d’une seule et même pratique condamnée en principe.⁠[8]

Toutefois, très vite, dès le IXe siècle, apparaissent des commentateurs qui vont développer des techniques pour contourner l’interdit : les hiyals. Certaines de ces « ruses » reposent sur des pratiques arabes préislamiques et sont adoptées aujourd’hui par les banques islamiques⁠[9]. Ainsi en est-il des contrats « mourabaha »⁠[10], « moudharaba »⁠[11] et « mousharaka »⁠[12] auxquels se sont ajoutés d’autres types de transactions (idjar⁠[13], salam⁠[14], istisna’a⁠[15])⁠[16] qui sont soumises au préalable à un Comité de la Charia, Conseil de surveillance religieux, qui s’assure de leur conformité avec les principes du Coran et donnent une fatwa, un avis de conformité ou de non-conformité.⁠[17]

qu’en penser ?⁠[18]

Passons sur les problèmes de gestion pour nous en tenir à l’originalité et à l’éthique de ces banques, tout en étant bien conscient que le monde musulman n’est pas uniforme et que certains courants « modernistes », minoritaires, affirment que le Coran n’a pas interdit l’intérêt « légitime » mais seulement condamné l’intérêt usuraire.

Dans les banques islamiques, en tout cas, à l’interdiction du prêt à intérêt⁠[19] est lié le refus de toute spéculation purement financière. Pour l’Islam, comme pour Aristote⁠[20], l’argent est un simple moyen d’échange sans valeur propre. Donc, « si sa circulation ne traduit pas une activité économique réelle, il serait immoral qu’elle rapporte quelque prime que ce soit ».⁠[21]

Ce principe fondateur présente le système financier islamique comme bien distinct du système capitaliste et du système socialiste puisqu’il repose sur le droit à la propriété y compris des moyens de production mais n’accepte l’enrichissement que s’il découle du travail.

De plus, « les économistes musulmans constatent (…) que, dans le système occidental, les fonds disponibles vont surtout aux emprunteurs offrant les meilleures garanties « financières » et ne profitent pas nécessairement aux projets les plus productifs pour le bien-être de la communauté (…). En d’autres termes, il convient de rechercher au moins autant la « plus-value sociale » du projet qu’une simple plus-value économique (…). Enfin, les charges d’intérêt réduisent, disent-ils, l’offre de capital à risque et entravent donc la croissance. »[22]

Selon les formules⁠[23], la banque partage avec le client les pertes et les profits selon diverses modalités⁠[24]. Au lieu de financer un prêt, l’emprunteur propose  »au prêteur un engagement actif dans l’entreprise demandeuse, laquelle, en retour, va offrir un partage des bénéfices futurs. Ceci correspond généralement à une prise de participation sous forme de parts ou d’actions. La raison économique du bénéfice n’est alors pas seulement la possibilité de le redistribuer, mais plutôt l’efficacité, la stabilité économique et la croissance des entreprises dont ce bénéfice témoigne. »⁠[25] Il faut reconnaître que « le simple financement assorti d’intérêts peut être très injuste lorsque seuls les entrepreneurs subissent la perte ou, au contraire, récoltent des bénéfices d’un montant disproportionné. »[26] Dans tous les cas, la banque islamique supporte un risque beaucoup plus grand que la banque classique.

La solidarité semble être donc le maître-mot de la finance musulmane. On sait que la zakat (l’aumône) est un des cinq piliers de l’Islam. Cette contribution de 2,5% « est perçue sur les marchandises échangées et sur les revenus professionnels et immobiliers, mais pas sur les propriétés personnelles (maisons, meubles, bijoux, etc.). Les particuliers peuvent verser leur zakat directement à un bénéficiaire ou à une institution spécialisée dans la redistribution de ces fonds, telle que la plupart des banques islamiques. »[27] Lorsque la banque acquiert un équipement ou un immeuble et qu’elle le met à disposition du client par une location, celui-ci peut devenir propriétaire « en effectuant des remboursements échelonnés versés à un compte d’épargne. Le réemploi de ce capital accumulé se fait au profit du client, car cela lui permet de compenser le coût de sa location ». Enfin, les banques islamiques peut consentir à des prêts purs et simples, sans intérêt : « le prêt de bienfaisance ou de charité (forme de découvert), et le compte à terme multiple de régularisation ». La banque islamique de développement « peut fournir des fonds propres et des prêts sans intérêt pour des projets de développement » et apporter une assistance technique.⁠[28]

Certes, la banque islamique paraît une institution fragile dans la mesure où elle doit faire face à la concurrence des banques classiques et dans la mesure où elle est plus exposée aux risques. Certes, il n’est pas sûr que les fonds recueillis ne servent à des mouvements fondamentalistes malgré l’interdit de financer l’armement. Certes, elle ne paraît peut-être pas très bien armée pour relever les défis industriels contemporains et on peut lui reprocher d’orienter ses capitaux vers l’étranger au détriment du développement national⁠[29]. Il n’empêche que sa volonté de respecter une certaine éthique est interpellante et rejoint un souci très actuel qui s’exprime dans l’émergence de banques solidaires ou éthiques en dehors du monde islamique.


1. En 1975 existait une banque islamique. Trente ans plus tard, on en compte 300 dans plus de 75 pays, surtout au Moyen-Orient et dans l’Asie du Sud-Est. Mais elles apparaissent aux États-Unis et en Europe. Cet essor est dû, de l’avis des musulmans, à la forte demande du grand nombre de musulmans émigrés, à l’augmentation de la manne pétrolière « qui fait exploser la demande d’investissements acceptables » et, enfin, comme nous allons le voir, au carctère compétitif de nombreux produits offerts par ces banques. (Cf. La finance islamique : concepts et outils, sur www.casafree.com : Portail marocain participatif). Ibrahim Warde ajoute comme autres causes de ce développement : les mutations technologiques, la déréglementation de la finance, les changements politiques, économiques, démographiques et sociaux, les fluctuations du marché pétrolier, la montée en puissance des économies asiatiques, l’émergence d’une bourgeoisie musulmane, les excès de la finance globale, etc. (Cf. Paradoxes de la finance islamique, in Le Monde diplomatique, septembre 2001, p. 20. I. Warde est professeur associé à la Fletcher School of Law and Diplomacy, Medford Massachusetts).
2. Certains auteurs rappellent qu’Aristote qualifiait la pratique du prêt à intérêt de détestable : «  La monnaie, écrivait le philosophe, n’a été faite qu’en vue de l’échange ; l’usure, au contraire, multiplie cet argent même ; c’est de là que l’usure a pris son nom (tokos), parce que les êtres engendrés sont semblables à leurs parents, et l’intérêt est de l’argent d’argent ; ainsi l’usure est-elle de tous les modes d’acquisition le plus contraire à la nature » (ARISTOTE, Politique, I, X, 5, Belles lettres, p. 31. Ils rappellent aussi volontiers que l’Église catholique y était également, à l’origine, très opposée. Ils mettent en épingle aussi l’avis négatif de divers économistes comme Adam Smith. (Cf. Introduction au système bancaire islamique sur www.fleurislam.net).
3. BARTHET Bernard, op. cit., p. 82. L’auteur cite de nombreux exemples à travers le monde depuis le IXe siècle et des taux qui selon les époques et les lieux, varient de 30 à 100% et non seulement de la part de banquiers juifs mais aussi d’usuriers musulmans. Les commerçants comme les califes recourent aux prêts. Le mot riba qu’on traduit par « usure » signifie, littéralement, « augmentation ». C’est l’aspect « fixe et prédéterminé » de l’intérêt qui suscite l’opposition de l’islam. (Cf. WARDE Ibrahim, op. cit.).
4. Pour commenter les sourates qui parlent du riba, Bernard Barthet suit la thèse de Al MASRI Rafic, Essai d’intégration d’une banque de développement dans une société islamique : les problèmes que pose la conception islamique de l’intérêt, Rennes, 1975.
5. Cf. MONTET Edouard, La chronologie des sourates, in Mahomet, Le Coran, Payot, 1949, pp. 43-47.
6. On peut traduire sourate par chapitre et ayat par verset.
7. Condamnation confirmée par les hadiths. Le hadith (« conversation », « récit »), dans le monde sunnite, désigne des actes et des paroles du Prophète, qui ne se trouvent pas dans le Coran mais qui forment une tradition (sunna) et ont été rassemblés en recueils, pour la plupart au IXe s. Les spécialistes ont classé ces hadiths en authentiques et inauthentiques suivant qu’ils ont été rapportés par une personne honnête ou non. Quelques-uns sont sacrés car ils rapportent une parole divine. On peut lire sur un site islamique (www.islam-documents.com) : « Depuis que Muhammad s’est proclamé prophète, tous ses faits et gestes remportent l’admiration et le respect de ses adeptes. Comment il dormait, comment il marchait, comment il faisait l’amour, comment il mangeait, qu’est-ce qu’il mangeait…​ Bref, la moindre action et la moindre parole sont à suivre. Ce que Muhammad faisait est bien et ce qu’il ne faisait pas est mauvais. Il est l’exemple à suivre sur tous les plans et dans tous les domaines par excellence. C’est ce qu’on appelle la Sunna « Hadiths ». C’est la deuxième source après le Coran ». Si le Coran ne dit rien d’un sujet particulier, on consulte les hadiths sinon on en est remis à son propre jugement.
8. Cf. Introduction au système bancaire islamique sur www.fleurislam.net.
9. « L’éthique particulière de l’Islam a longtemps entraîné une forte résistance au développement des outils financiers modernes dans de nombreuses régions du monde musulman, particulièrement dans les pays arabes. Des banques spécifiquement arabes sont seulement apparues dans la région dans les années 20. L’idée selon laquelle les banques sont des institutions étrangères servant les intérêts des « infidèles » était présente dans l’esprit de nombreux musulmans ce qui avait pour conséquence que seuls les Arabes les plus occidentalisés avaient recours aux services bancaires de ce type.
   Bien que la première banque à suivre les principes islamiques soit apparue en Égypte en 1963 (la Banque d’Epargne Misr Ghams, qui deviendra plus tard la Nasser Social Bank), le concept de « banque islamique » est né suite au Sommet Islamique de Lahore de 1974 qui avait recommandé la création d’une Banque islamique de développement (BID) ». Ajoutons que des banques occidentales, devant l’expansion des banques islamiques, ont ouvert des comptes conformes à la charia destinés aux clients musulmans. Elles s’engagent donc à ne pas investir l’argent de ces comptes dans des entreprises condamnables : pornographie, tabac, alcool, jeu et armement. C’est le cas, par exemple, de Citycorp ou encore de l’Union des banques suisses. La première banque islamique d’Europe a été fondée à Londres en 2004, la Islamic Bank of Britain (IBB) avec comme objectif de séduire aussi les non-musulmans.(Cf. Institut de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe, sur www.medea.be et www.casafree.com (Portail marocain participatif)).
10. « La banque acquiert une marchandise pour le compte de son client, moyennant une marge bénéficiaire fixée à la signature du contrat. La banque transfère la propriété de la marchandise à son client une fois qu’il a payé le prix de celle-ci ainsi que la marge fixée à la signature. Ce type de contrat diffère du prêt à intérêt car la marge est fixe et n’augmente pas avec le délai de paiement ».(www.fleurislam.net).
11. « La banque finance entièrement l’entrepreneur et partage les bénéfices (s’il y en a) avec celui-ci selon un pourcentage fixé à la signature du contrat. La seule source de revenu possible pour l’emprunteur est sa part de bénéfice (il ne reçoit aucun salaire) et la banque prend à son entière charge les pertes éventuelles ». (Id.).
12. « La banque agit dans ce type de contrat comme un actionnaire, profits et pertes étant partagés entre elle et l’emprunteur, selon les proportions de leurs parts respectives dans l’actif e l’entreprise ». (Id.)
13. C’est un contrat de leasing.
14. Contrat de vente avec livraison différée de la marchandise : « La Banque (acheteur) passe une commande à son client pour une quantité donnée de marchandises, d’une valeur correspondant à son besoin de financement. Le client (vendeur) adresse à la banque une facture pro forma indiquant la nature, les quantités et le prix des marchandises commandées. Les deux parties, une fois d’accord sur les conditions de la transaction signent un contrat de salam reprenant les clauses convenues (nature des marchandises, quantités, prix, délais et modalités de livraison et/ou de vente pour le compte de la banque, etc..). Parallèlement, les deux parties signent un contrat de vente par procuration par lequel la banque autorise le vendeur à livrer ou à vendre (selon le cas) les marchandises à une tierce personne. Le vendeur s’engage, sous sa pleine responsabilité à recouvrer et à verser le montant de la vente à la Banque ». (www.albaraka-bank.com). (Une facture pro forma, « pour la forme », est une évaluation du montant qui sera facturé si le client accepte cette « facture-devis »).
15. Ce contrat s’apparente au salam mais ici « l’objet de la transaction porte sur la livraison, non pas de marchandises achetées en l’état, mais de produits finis ayant subi un processus de transformation ». (www.albaraka-bank.com).
16. On trouvera, par exemple, sur le site de la Banque Al Baraka d’Algérie (www.albaraka-bank.com) la description de tous les services offerts, de leur utilité et de leur conformité à la Charia.
17. En 1965, des juristes musulmans de 36 pays ont confirmé unanimement l’interdit coranique lors d’une réunion à al-Azhar (Égypte). « Des avis particuliers (fatwa) ont cependant été énoncés par certains savants, dont Youssouf al-Qaradâwî, qui autorise les musulmans vivant en Occident, et qui ne peuvent bénéficier de prêts sans intérêt, à avoir recours au prêt à intérêt dans l’unique but d’acheter un bien indispensable, de première nécessité. Il faut cependant rappeler que cet avis n’est pas partagé par la grande majorité des savants contemporains, qui proposent plutôt aux musulmans d’avoir recours à la location, au lieu de l’achat ». (Introduction au système bancaire islamique, op. cit.). Sur cette question on peut lire aussi les cas de conscience posé s sur le site www.muslimfr.com (La page de l’Islam) : « Est-il permis à un musulman qui vit en France de contracter un emprunt à intérêts pour acquérir une maison qui lui servira d’habitation principale ? » Et à propos de l’argent placé à la banque : « Est-il interdit par l’Islam d’en garder les intérêts étant donné que la banque est une entreprise fonctionnant grâce aux intérêts ? » La réponse est : « dans la mesure du possible, il faut absolument éviter d’ouvrir des comptes bancaires de cette nature » sinon « il reste strictement interdit de faire usage des intérêts ainsi obtenus pour soi et d’en tirer un quelconque profit. » Conseil est donné de faire œuvre de charité avec cet argent.
18. Si l’on veut lire un plaidoyer pour le système islamiste et une critique du système libéral, on peut lire PELISSIER Julien, L’interdiction de l’intérêt résout-elle les contradictions du libéralisme économique ? Sur oumma.com.
19. « Aucune banque islamique ne charge des intérêts sur des emprunts ou n’en paie sur des dépôts. Mais certaines opérations commerciales de fiducie permettent aux partenaires de contourner cette difficulté. » Pour certains auteurs, l’intérêt peut être autorisé pour les opérations financières avec les non-musulmans mais pas avec les musulmans.(VERNA G. et CHOUICK Ab., Etude sur le fonctionnement des banques islamiques, Département de Management, Université Laval, Québec, juin 1989. Texte disponible sur www.fsa.ulaval.ca.).
20. Un commentateur autorisé du Coran, Al Ghazali (XIIe s), reprend la théorie d’Aristote et écrit : « (…) La monnaie en elle-même sans valeur, n’a été créée par Dieu que pour être un jugement des autres valeurs (…) et quand on prête de l’argent avec usure on fait commerce d’argent, on détourne la monnaie de sa fonction (…) la monnaie ne pourra plus être le miroir qui reflète toutes les couleurs puisqu’elle sera déjà colorée par l’intérêt. » (Ihia ouloum Al Dine, cité in BARTHET B., op. cit., p. 172).
21. VERNA Gérard et CHOUICK Ab., op. cit.
22. Id..
23. Pour plus de renseignements techniques, on peut lire BA Ibrahim, PME et institutions financières islamiques, synthèse par Bérangère Delatte sur www.globenet.org.
24. Si, comme dans le cas des comptes à vue, elle ne partage pas les bénéfices, elle assure seule les risques. (Cf. Institut européen sur la Coopération méditerranéenne et euro-arabe, op. cit.).
25. VERNA G. et CHOUICK Ab., op. cit..
26. Id..
27. La zakat est de 5 à 10% sur les récoltes et de 20% sur certains minéraux et sur quelques têtes de bétail. (Cf. BA Ibrahim, op. cit.).
28. Id..
29. Institut européen sur la Coopération méditerranéenne et euro-arabe, op. cit..

⁢xi. Les banques solidaires ou banques éthiques

Au nom d’un des fondements de l’enseignement social chrétien, on pourrait dénoncer la collusion entre le religieux et le temporel dans la pratique des banques islamiques puisque les différents types de contrats doivent être conformes à la charia. Mais si nous donnons comme norme à la banque de respecter non la charia, non une règle éthico-religieuse mais le bien commun ou des principes moraux naturels et universels, l’objection de la confusion des pouvoirs ne vaut plus. Rappelons-nous l’éloge que Pie XII faisait des banques populaires.

Or il existe aujourd’hui des institutions bancaires ou financières qui ont choisi de fonctionner en respectant des valeurs et des principes dont certains paraîtront familiers aux chrétiens. Ces institutions présentent aux épargnants et aux investisseurs des produits moins rentables financièrement que dans les institutions classiques mais plus intéressants, plus « rentables » sur les plans social, culturel, environnemental.

Ainsi, la banque Triodos⁠[1] finance des « projets jugés non-rentables par les banques traditionnelles. Sont ainsi financés les projets d’insertion de personnes défavorisées sur le marché du travail ou encore les formules novatrices du logement - pour l’aspect social -, les énergies renouvelables et l’agriculture biologique bénéficient également de l’attention de Triodos - pour l’aspect environnemental - tout comme les institutions de formation artistique ou les centres d’enseignement alternatif (pour le côté culturel). » d’où proviennent les crédits ? « De groupes de personnes se portant garantes sur de petites parts de la somme totale du crédit attribué ».⁠[2] La banque fonctionne donc sur les principes de solidarité, de responsabilité et de transparence car les clients doivent être régulièrement et correctement informés de l’utilisation de leur argent.

La Nef, société coopérative de finances solidaires⁠[3], fonctionne plus ou moins selon les mêmes principes et, dans la présentation de sa philosophie, précise qu’elle « s’inspire d’une vision résolument humaniste : elle place l’attention pour la personne humaine au centre des systèmes économiques et financiers et se situe dans une perspective de transformation sociale vers une économie fraternelle ». Elle « veille à écarter de son champ d’action tout projet qui porterait atteinte à la dignité humaine ou nuirait gravement à la qualité et à la durabilité de l’environnement. »

Cette institution, comme d’autres du même genre⁠[4], « s’inscrit au cœur d’un réseau européen de banques éthiques rassemblées au sein de la Fédération européenne des banques éthiques et alternatives. Toutes s’inspirent d’un modèle de développement humain et social dans lequel la production et la distribution de richesses sont fondées sur des valeurs de solidarité et de responsabilité vis-à-vis de la société, en vue de la réalisation du bien commun. »[5]

Quant au prêt sans intérêts, il n’est pas totalement absent de l’offre de la banque éthique. Ainsi, en France, l’État a mis en place le PTZ (prêt taux zéro) qui est distribué par les banques sous certaines conditions. Même un particulier peut y accéder pour l’achat d’une résidence principale. Le prêt est, bien sûr, « soumis à des conditions de ressources qui dépendent de la zone géographique où vous habitez et de la taille de votre ménage ».⁠[6]

En Belgique, la loi autorise un employeur à prêter sans intérêt ou avec un intérêt réduit, à tout membre de son personnel ou à l’un de ses dirigeants.⁠[7] Des associations diverses proposent aussi ce genre de prêt. Ce n’est en fait et en définitive que l’extension d’une pratique familiale, basée sur la confiance et la solidarité⁠[8].

Notons, pour être complet que depuis quelques années, toutes les grandes banques proposent des produits éthiques⁠[9]


1. Cette banque née aux Pays-Bas en 1980 était présente en 2004 en Belgique et en Grande-Bretagne et envisageait son implantation en Espagne. Le nom Triodos (« trois chemins », en grec) indique la volonté d’associer la finance à la culture, à l’environnement et au développement social.
2. Cf. STAM Claire, Triodos, banque éthique européenne, sur www.novethic.fr.
3. Solidarité dans la constitution d’un capital, solidarité avec l’emprunteur mais aussi solidarité dans le gain : « certains placements sont rémunérés mais chaque épargnant a aussi la possibilité de faire don de tout ou partie des revenus de son épargne à la Nef. » (Cf. Attac, Banques solidaires, placements et financements alternatifs, sur www.local.attac.org).
4. En Belgique, en 2020, la banque NewB est sortie des limbes après des années de préparation. Il s’agit d’une banque coopérative qui se présente comme une « banque éthique et durable au service d’une société respectueuse de la planète et des droits humains. » L’argent récolté finance l’économie locale » […​] pour des projets durables avec une vraie plus-value pour notre société. » L’investissement est déclaré honnête et professionnel pour que l’argent ne coure aucun risque. (Cf. www.newb.coop).
5. Cf. www.lanef.com.
6. Cf., par exemple, www.crédit-cooperatif.coop/.
7. Cf www.claeysengels.be.
8. On trouve même actuellement un système de troc modernisé, mis au point en Suisse, dès 1934, le Res Barter System. Il s’agit d’un réseau de commerçants locaux, d’indépendants et des PME, à l’exclusion des chaînes de magasins, ce « réseau fonctionne via une banque complémentaire avec une monnaie interne légale, le RES-euro - l’argent complémentaire - où 1 RES-euro a la même valeur que l’euro, mais qui s’échange exclusivement contre des marchandises ou des services proposés par les membres du réseau RES. De plus, les consommateurs sont invités, via la carte de paiement unique Res-euro, à acheter auprès des membres affiliés chez RES. » En janvier 2006, il y avait en Belgique, 75.000 détenteurs de la carte RES (5000 membres et 70.000 consommateurs. Le chiffre d’affaire dépassait les 30 millions de RES par an. (Cf. www.res.be). Ainsi, « si vous n’avez pas besoin de la contre-prestation du boulanger dont vous avez réparé la voiture, ce dernier attribue un certain nombre de points sur votre carte de paiement, ce qui vous permet d’aller faire vos achats chez le boucher » (De MOL Gerry, L’argent fait-il vraiment le bonheur, in Touring Explorer, octobre 2006, p. 63).
9. On peut en obtenir la liste sur le site de réseau financement alternatif (www.rfa.be) qui veut « concilier argent, éthique et solidarité ».

⁢xii. La Grameen Bank et le micro-crédit

Le 13 octobre 2006, le Bangladais Muhammad Yunus⁠[1] recevait le prix Nobel de la paix pour sa lutte efficace contre la pauvreté. Né en 1940, professeur d’économie à l’Université du Colorado puis responsable du Département d’économie à l’Université de Chittagong au Bangladesh, Muhammad Yunus s’est rendu compte lors d’une famine, en 1976, qu’il suffisait de prêter une petite somme, 27 dollars en l’occurrence, à des pauvres pour que s’amorce un processus d’émancipation économique⁠[2]. De là est née l’idée du micro-crédit et de la Grameen Bank⁠[3] qu’il a créée ensuite.

Alors que le crédit « est vu en général comme l’instrument par excellence du développement durable …​de la dépendance », Muhammad Yunus va l’utiliser en en changeant totalement l’esprit : « Alors que la gestion du risque la plus commune, basée sur un a priori de défiance, consiste à prêter à court terme (un ou deux mois) avec un remboursement en une traite, Grameen se fonde sur un préjugé favorable et prête pour un an, mais avec un remboursement hebdomadaire, auquel il est plus aisé de faire face, vu sa modicité. Alors que le crédit est en général considéré comme une affaire privée, que l’on dissimule pudiquement, Grameen en fait une affaire collective. Dès la période de formation, qui est obligatoire, les candidats emprunteurs forment des groupes de cinq. Si chacun est responsable de son propre crédit, le groupe est nécessairement un lieu de solidarité. Au démarrage d’un groupe, un seul prêt est accordé. Après six semaines de remboursement sans défaut, deux autres prêts peuvent être accordés dans les mêmes conditions, et ainsi de suite. Si un membre se retire ou est exclu, les autres reviennent à la case « départ ». »[4]

La formule a incontestablement réussi au Bangladesh où la banque est présente dans 43.000 villages.⁠[5] En 2003, la banque avait prêté 4 milliards de dollars à 2,4 millions d’emprunteurs⁠[6] dont 94% de femmes pauvres⁠[7]. Le taux de remboursement est resté au-dessus de 98%.⁠[8] La formule s’est exportée mais « les idées de base doivent être transposées dans chaque contexte particulier. En Afrique, en Amérique latine, en Asie, le plus souvent en milieu rural, des expériences inspirées de Grameen ont fleuri. En Occident, en particulier en milieu urbain, il s’avère plus difficile de mettre au point des formules de crédit solidaire. Des échecs ont été enregistrés. »[9]

En Belgique⁠[10] où la Reine Mathilde s’est faite l’ambassadrice du micro-crédit, la Fondation Roi Baudouin met à la disposition du public un Guide pratique sur le micro-crédit[11].

La philosophie du micro-crédit est particulièrement intéressante. M. Yunus est parti de l’idée que « les pauvres sont fiables »[12] et que « pour créer de la richesse, il faut donner accès au capital »[13]. La lutte contre la pauvreté est une affaire de volonté et non de charité : « Le plus souvent, nous utilisons la voie de la charité pour éviter de reconnaître le problème et de trouver une solution. La charité devient un moyen de nous débarrasser de notre responsabilité. Les dons ne sont pas une solution à la pauvreté. Ils maintiennent la pauvreté en enlevant l’initiative aux pauvres. » Or, « chaque individu est très important. Chaque personne a un potentiel extraordinaire. Il ou elle peut influer la vie des autres dans les communautés, les nations, au-delà même du temps. »[14] Dans cet esprit, M. Yunus invite les jeunes à « ne jamais chercher un travail mais à le créer » et « reste persuadé que les entreprises à but social sont le meilleur remède contre la pauvreté et seront mieux armées dans le futur que les entreprises traditionnelles. »[15] Mais « il faut donner à chacun la possibilité de devenir entrepreneur. »[16]

Ces expériences nées souvent en dehors de tout contexte chrétien⁠[17] semblent correspondre aux vœux de l’Église qui s’est toujours préoccupée du sort des plus pauvres et qui sait aussi que, dans les pays riches, « les consommateurs, qui disposent très souvent de vastes marges de pouvoir d’achat, bien au-delà du seuil de subsistance, peuvent beaucoup influer sur la réalité économique par leurs libres choix entre consommation et épargne. La possibilité d’influencer les choix du système économique se trouve en effet entre les mains de ceux qui doivent décider de la destination de leurs ressources financières. Aujourd’hui plus que par le passé, il est possible d’évaluer les options disponibles, non seulement sur la base du rendement prévu ou de leur degré de risque, mais aussi en exprimant un jugement de valeur sur les projets d’investissement que ces ressources iront financer, conscients que « le choix d’investir en un lieu plutôt que dans un autre, dans un secteur de production plutôt qu’un autre, est toujours un choix morale et culturel »[18]. »⁠[19]

Les expériences que nous avons évoquées prouvent qu’il est possible d’ »influer sur la réalité économique », d’ »influencer les choix du système économique », de respecter une éthique dans la production et la distribution des richesses. Mais une question se pose alors : est-il possible de changer le système capitaliste de manière à ce que, tout en préservant l’économie de marché, cette économie soit vraiment une économie solidaire, une économie qui ait comme finalité l’éradication de la pauvreté dans le respect des valeurs morales et spirituelles ?

C’est la question que nous allons examiner dans le chapitre suivant.


1. Il est l’auteur de Vers un monde sans pauvreté, J.-Cl. Lattès, 1997.
2. Celui qui peut acheter une poule peut chaque jour en vendre les œufs, etc..
3. En bengali, « grameen » veut dire  »village ».
4. COBBAUT Pr Robert, Discours de présentation du Pr. Muhammad Yunus, lors de la remise des insignes de Docteur Honoris causa de l’Université catholique de Louvain, le 3-2-2003. (Texte disponible sur www.ucl.ac.be).
5. M.Yunus a aussi fondé Téléphonie Grameen, Energie Grameen, Internet et logiciels Grameen pour que les plus pauvres aient accès à tous les services modernes. Le 7 novembre 2006, la société Danone inaugurait au Bangladesh une coentreprise avec la Grameen Bank pour produire des yaourts ultra-nutritifs à bas coût. (Cf. www.lemonde.fr).
6. 3 millions et demi en 2004. En 2006, la banque avait 6 millions de clients, 1861 agences, 17.400 employés, 5,7 milliards de dollars de prêts distribués, soit 1% du PIB du pays. (Cf. www.lemonde.fr)
7. Pourquoi principalement des prêts aux femmes ? M. Yunus s’en explique: « Les femmes au Bangladesh comme partout ailleurs, ont le profil idéal pour ce type de prêt. En effet, elles sont capables avec un petit budget d’améliorer leur condition de vie familiale et font beaucoup de choses avec presque rien tout en prévoyant l’avenir.
   Voilà comment une situation de pauvreté peut être dépassée grâce à ce petit coup de pouce initial. Ainsi 100% des enfants de la Banque Grameen vont à l’école, même ceux venant de familles analphabètes. La majorité d’entre eux peuvent même accéder à l’université.
   Ceci montre bien que le changement est possible et nous le faisons simplement en leur offrant l’opportunité d’améliorer leurs foyers, d’aller à l’école, d’avoir une raison de travailler et de se soigner. Il est facile de vérifier que l’espoir a redonné à tous ces gens une dignité et leur a permis de prospérer. » (Entretien de M. Yunus avec l’Association Intervida, Forum universel des cultures, Barcelone, 2004).
8. YUNUS M, Discours lors de la réception des insignes de Docteur Honoris Causa à l’Université catholique de Louvain, le 3-2-2003.(Texte disponible sur www.ucl.ac.be).
9. COBBAUT Pr Robert, op. cit.. L’espoir de M. Yunus est « d’atteindre les acteurs de la politique nationale, les agences internationales comme la Banque mondiale, la Banque pour le développement en Afrique…​ Au final, les pays donnant de l’argent à la Banque Mondiale sont au nombre de 8 et ce sont eux qui en même temps donnent les directives. Or la banque Mondiale garde son argent et l’investit dans des projets conventionnels, mais ne pourrait-elle pas plutôt investir, par exemple, 1% du montant total des pétroles en microcrédit, si l’Union européenne le demandait ? » (Entretien avec Association Intervida, op. cit.).
10. En 1992, M. Yunus a reçu le Prix de la Fondation Roi Baudouin.
11. Guide pratique sur le micro-crédit : l’expérience du prêt solidaire (téléchargeable sur le site www.kbs-frb.be).
12. Discours du 3-3-2003, op. cit..
13. Cf. www.lemonde.fr.
14. Discours du 3-2-2003, op. cit..
15. Cf. www.80hommes.com.
16. Cf. www.lemeonde.fr.
17. Un des rares documents catholiques qui ait une position forte sur le prêt à intérêt émane d’un groupe marginal. On y lit une dénonciation radicale de l’usure en ces termes : « C’est l’usure qui permet aux puissances d’argent de devenir souveraines à l’échelle nationale puis internationale. Le retour à l’ordre ne pourra s’opérer que par une restauration de l’État dans son rôle de défenseur du bien commun…​ Ce qui suppose un État indépendant des puissances d’argent, ayant repris la maîtrise monétaire de la nation et assez fort pour réprimer l’usure.
   En attendant ce retour à l’ordre, en y travaillant dans toute la mesure de leurs moyens, les catholiques devraient appliquer plus strictement, dans leur conduite personnelle, la doctrine de l’Église sur l’argent…​ en particulier en développant l’usage de prêts indexés sans intérêt au profit de personnes et d’initiatives qui méritent d’être soutenues. » Et de rappeler aussi la gratuité nécessaire du prêt-assistance. (De LASSUS A., La doctrine de l’Église sur l’argent, in Revue Familiale et scolaire, n° 96, août 1991). Indépendamment de l’insistance sur le rôle de l’État, dépassé aujourd’hui, et indépendamment de l’âge des références utilisées, cette interpellation des catholiques est à méditer.
18. CA, 36.
19. CDSE 358.