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g. Jean-Paul II

Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, ce long pontificat a été marqué par un profond renouveau de la doctrine sociale de l’Église à une époque importante de l’histoire contemporaine. Après avoir vécu sous la menace du communisme, le monde a assisté à son effondrement et, en même temps, à un regain d’intérêt pour les théories libérales qui apparurent, à certains, comme désormais incontournables.

Dans ce contexte agité, Jean-Paul II va reprendre l’enseignement de ses prédécesseurs et tout spécialement celui de Léon XIII puisque l’encyclique Centesimus annus , comme son nom l’indique, commémore le centième anniversairte de l’encyclique Rerum novarum. Mais, Jean-Paul II, après avoir réaffirmé les principes toujours valables de cette encyclique, va insister sur les notions particulièrement utiles pour les temps présents et à venir, c’est-à-dire sur l’économie de marché et le rôle de l’État.

Le rappel des principes

Sans surprise, nous retrouvons, au cœur de la pensée de Jean-Paul II, le souci du bien commun, de la subsidiarité et de la solidarité.

Tout est dit en une phrase : « l’État a le devoir de veiller au bien commun et de pourvoir à ce que chaque secteur de la vie sociale, sans exclure celui de l’économie, contribue à le promouvoir, tout en respectant la juste autonomie de chacun d’entre eux. »[1] Tout est dit mais tout mérite d’être réexpliqué pour que l’actualité, les « choses nouvelles » soient justement appréciées. Et commençons par l’idée de « juste autonomie ».

Nous savons que la personne, la famille, la société sont antérieures à l’État. Dans cette mesure, par nature, l’État est un « simple instrument » qui « existe pour protéger leurs droits respectifs sans jamais les opprimer. »[2] Nous savons que la liberté authentique est le signe le plus manifeste de la transcendance de la personne. Il n’est donc pas étonnant que « la doctrine sociale de l’Église considère la liberté de la personne dans le domaine économique come une valeur fondamentale et comme un droit inaliénable à promouvoir et à protéger. »[3]. Nier, mortifier ou détruire le droit d’initiative économique, c’est nier, mortifier, détruire « la personnalité créative du citoyen »[4] qui, normalement, est à la base d’ »un libre processus d’auto-organisation de la société »[5].

Telle est la racine du principe de subsidiarité, selon lequel, « toutes les sociétés d’ordre supérieur doivent se mettre en attitude d’aide (« subsidium ») - donc de soutien, de promotion, de développement - par rapport aux sociétés d’ordre mineur. (…) A la subsidiarité comprise dans un sens positif, comme aide économique, institutionnelle, législative offerte aux entités sociales plus petites, correspond une série d’implications dans un sens négatif, qui imposent à l’État de s’abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l’espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées. »[6]

La dignité de la personne et l’exercice de sa liberté n’excluent pas l’action de l’État mais l’appellent comme une aide, une défense. La dignité et la liberté doivent être protégées et promues. C’est pourquoi Léon XIII avait, dans sa contestation du socialisme, inclut néanmoins une liste de devoirs qui incombaient à l’État, en matière d’emploi, de salaire, de formation, d’horaire, de syndicat⁠[7]. En matière économique, l’Église ne prône ni l’étatisation ni le désintérêt des pouvoirs publics. Et l’on revient à la notion de bien commun.

En effet, « la responsabilité de poursuivre le bien commun revient non seulement aux individus, mais aussi à l’État, car le bien commun est la raison d’être de l’autorité politique »[8].

Qui dit « bien commun » dit, évidemment, « bien de tous » et d’abord des plus faibles. C’est d’ailleurs « un principe élémentaire de toute saine organisation politique : dans une société, plus les individus sont vulnérables, plus ils ont besoin de l’intérêt et de l’attention que leur portent les autres, et, en particulier, de l’intervention des pouvoirs publics. »[9] Telle est la racine du principe de solidarité. Subsidiarité et solidarité vont de pair. Ceux qui contestent la liberté d’initiative au nom de l’égalité, d’une certaine idée de l’égalité, se trompent. La liberté ne peut vivre que par la solidarité et n’a de sens que pour la solidarité. Et sans liberté, il est vain de parler de solidarité à moins de tronquer la varie signification du mot.⁠[10]

Et donc l’État, au nom de la liberté et de la dignité de tout homme, remplira ses devoirs de deux manières indissociables, « directement et indirectement » dit Jean-Paul II : « Indirectement et suivant le principe de subsidiarité, en créant les conditions favorables au libre exercice de l’activité économique, qui conduit à une offre abondante de possibilités de travail et de sources de richesse. Directement et suivant le principe de solidarité, en imposant, pour la défense des plus faibles, certaines limites à l’autonomie des parties qui décident des conditions du travail, et en assurant dans chaque cas un minimum vital au travailleur sans emploi. »[11]

Les « choses nouvelles »

Ces « choses nouvelles » sont surtout « les événements survenus en 1989 dans les pays de l’Europe centrale et orientale », mais aussi l’écroulement progressif dans plusieurs pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, de « certains régimes de dictature et d’oppression » et la lente progression « vers des formes politiques qui laissent plus de place à la participation et à la justice. » ⁠[12]

Dans ces bouleversements, le modèle communiste n’en est plus un et la tentation est forte de croire que désormais il n’y a plus de salut économique et social que dans une forme ou l’autre de libéralisme et plus exactement, dans ce qui constitué, dès les origines, le caractère distinctif du libéralisme : un système défini « comme concurrence illimitée des forces économiques »[13]. Pour Jean-Paul II, « on ne peut accepter l’affirmation selon laquelle la défaite du « socialisme réel », comme on l’appelle, fait place au seul modèle capitaliste d’organisation économique ».⁠[14] Mais le mot « capitalisme », comme le mot « socialisme », peut recouvrir des significations diverses, c’est pourquoi, le Saint Père s’empresse de préciser en distinguant deux définitions du « capitalisme »:

« Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s’il serait peut-être plus approprié de parler d’« économie d’entreprise », ou d’« économie de marché », ou simplement d’« économie libre ». Mais si par « capitalisme » on entend un système où la liberté dans le domaine économique n’est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l’axe est d’ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative. »[15]

L’économie de marché et l’État

Ce n’est pas l’actualité ni sa récupération, mais le bon sens, l’expérience des peuples et la réflexion philosophique et théologique qui justifient, depuis toujours, la position de l’Église en la matière.

« Il semble, écrit Jean-Paul II, que, à l’intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins ». En somme, les mécanismes du marché présentent l’avantage fondamental de privilégier la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d’une autre personne. Mais il ne peut s’agir ici, d’une part, que de « besoins « solvables » parce que l’on dispose d’un pouvoir d’achat » et, d’autre part, de ressources « vendables », « susceptibles d’être payées à un juste prix ».⁠[16] Dans ces conditions, le marché est le meilleur moyen pour favoriser les échanges de produits. Dans ces conditions seulement.

Tout ne peut être laissé au libre jeu du marché : « il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. C’est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. En outre, il faut que ces hommes dans le besoin soient aidés à acquérir des connaissances, à entrer dans les réseaux de relations, à développer leurs aptitudes pour mettre en valeur leurs capacités et leurs ressources personnelles. Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent, il y a un certain dû à l’homme parce qu’il est homme, en raison de son éminente dignité.[17] Ce dû comporte inséparablement la possibilité de survivre et celle d’apporter une contribution active au bien de l’humanité. »[18]

Si un homme meurt de faim, de soif, de froid , de maladie, c’est parce que ses besoins ne sont pas solvables ou que manquent des ressources vendables. Et, pour la plupart des hommes, la connaissance est un besoin insolvable ou une ressource introuvable. Le marché révèle là ses premières limites. L’homme n’est pas une simple marchandise⁠[19], pas plus que sa famille⁠[20] ou son travail, dans son aspect subjectif, non plus⁠[21]. Autour de l’homme, peut-on considérer la nature, premier capital, marquée ou non par la présence de l’homme, comme une simple marchandise ? Nous savons aujourd’hui ce qu’il en coûte et ce qu’il va en coûter d’avoir exploité la terre, d’avoir remodelé les villes et les campagnes au gré des seuls intérêts matériels. En un mot, il y a des biens collectifs et qualitatifs qui ne peuvent, sous peine de graves destructions et mutilations, de dommages corporels, psychologiques et sociaux, être abandonnés aux lois du marché:

« L’État a le devoir d’assurer la défense et la protection des biens collectifs que sont le milieu naturel et le milieu humain[22] dont la sauvegarde ne peut être obtenue par les seuls mécanismes du marché. Comme, aux temps de l’ancien capitalisme, l’État avait le devoir de défendre les droits fondamentaux du travail, de même, avec le nouveau capitalisme, il doit, ainsi que la société, défendre les biens collectifs qui, entre autres, constituent le cadre à l’intérieur duquel il est possible à chacun d’atteindre légitimement ses fins personnelles.

On retrouve ici une nouvelle limite du marché : il y a des besoins collectifs et qualitatifs qui ne peuvent être satisfaits par ses mécanismes ; il y a des nécessités humaines importantes qui échappent à sa logique ; il y a des biens qui, en raison de leur nature, ne peuvent ni ne doivent être vendus ou achetés. Certes les mécanismes du marché présentent des avantages solides : entre autres, ils aident à mieux utiliser les ressources, ils favorisent les échanges de produits ; et, surtout, ils placent au centre la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d’une autre personne. Toutefois, ils comportent le risque d’une « idolâtrie » du marché[23] qui ignore l’existence des biens qui, par leur nature, ne sont et ne peuvent être de simples marchandises. »[24]

La liberté économique doit donc être balisée, contrôlée, stimulée, par des pouvoirs publics intègres, au nom du bien commun : « L’activité économique, en particulier celle de l’économie de marché, ne peut se dérouler dans un vide institutionnel, juridique et politique. Elle suppose, au contraire, que soient assurées les garanties des libertés individuelles et de la propriété, sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces.[25] Le devoir essentiel de l’État est cependant d’assurer ces garanties, afin que ceux qui travaillent et produisent puissent jouir du fruit de leur travail et donc se sentir stimulés à l’accomplir avec efficacité et honnêteté. L’un des principaux obstacles au développement et au bon ordre économiques est le défaut de sécurité, accompagné de la corruption des pouvoirs publics et de la multiplication de manières impropres de s’enrichir et de réaliser des profits faciles en recourant à des activités illégales ou purement spéculatives. »[26]

Ces pratiques paralysent souvent le développement des pays les moins riches mais elles pourrissent aussi la confiance que les populations des pays développés doivent avoir dans leurs institutions politiques. Il est capital que ceux qui exercent des fonctions publiques soient indépendants des forces économiques et financières et qu’ils aient donc un sens aigu de leurs responsabilités au service des vrais intérêts de l’ensemble des citoyens. C’est un problème majeur que Pie XII avait déjà dénoncé mais qui, malheureusement n’a cessé de se répandre : « Le danger que l’État soit dominé par les forces économiques, au grand détriment du bien général, est exactement aussi grave dans ce cas que dans celui où la conduite de l’État est soumise à la pression du capital ».⁠[27]

Dans ses tâches, l’État n’est heureusement pas toujours seul. Nous l’avons déjà vu précédemment, la société, en vertu du principe de subsidiarité, aussi a son rôle à jouer : « L’État a par ailleurs le devoir de surveiller et de conduire l’application des droits humains dans le secteur économique ; dans ce domaine, toutefois, la première responsabilité ne revient pas à l’État mais aux individus et aux différents groupes ou associations qui composent la société. L’État ne pourrait pas assurer directement l’exercice du droit au travail de tous les citoyens sans contrôler toute la vie économique et entraver la liberté des initiatives individuelles. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’ait aucune compétence dans ce secteur, comme l’ont affirmé ceux qui prônent l’absence totale de règles dans le domaine économique. Au contraire, l’État a le devoir de soutenir l’activité des entreprises en créant les conditions qui permettent d’offrir des emplois, en la stimulant dans les cas où elle reste insuffisante ou en la soutenant dans les périodes de crise. »[28]

Il est même des cas où les pouvoirs publics sont tenus d’intervenir directement : « L’État a aussi le droit d’intervenir lorsque des situations particulières de monopole pourraient freiner ou empêcher le développement. Mais, à part ces rôles d’harmonisation et d’orientation du développement, il peut remplir des fonctions de suppléance dans des situations exceptionnelles, lorsque des groupes sociaux ou des ensembles d’entreprises trop faibles ou en cours de constitution ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. Ces interventions de suppléance, que justifie l’urgence d’agir pour le bien commun, doivent être limitées dans le temps, autant que possible, pour ne pas enlever de manière stable à ces groupes ou à ces entreprises les compétences qui leur appartiennent et pour ne pas étendre à l’excès le cadre de l’action de l’État, en portant atteinte à la liberté économique ou civile. »[29]

Tenant fermement à la liberté personnelle et à l’autorité de l’État qui la protège et la mesure à l’aune du bien commun, conjuguant les principes de subsidiarité et de solidarité, l’enseignement social de l’Église échappe aux dérives possibles de certaines théologies de la libération qui au nom de la solidarité sacrifient la liberté et réhabilitent telle ou telle forme de socialisme. Ainsi, la lecture de Marx⁠[30], d’une part, et, d’autre part, la manipulation du langage religieux chez les capitalistes néo-conservateurs américains ont persuadé un des pionniers de la théologie de la libération, Hugo Assmann⁠[31], que l’économie repose sur des présupposés religieux. Il est vrai qu’une religion fétichiste se profile derrière l’économisme qui fait confiance à la « main invisible », qui réduit l’amour du prochain à la recherche de l’intérêt privé⁠[32], qui considère que la pauvreté dans la condition humaine est une vertu et qui, dans son langage sentencieux, donne congé à l’éthique, aux philosophies et aux théologies. Cette religion est en réalité une idolâtrie qui a substitué à l’amour de Dieu et du prochain, un faux dieu nommé Marché, oppressif et impitoyable, et ses acolytes : Argent, Profit, Enrichissement, Capital, Bourgeoisie…​

Face à cette idolâtrie, « la question de l’État, c’est-à-dire de la matérialisation institutionnelle du pouvoir de commandement sur la société dans son ensemble, est absolument centrale lorsqu’on discute de l’articulation des critères économiques. »⁠[33] Mais de quel État s’agit-il ? Il faut, nous dit l’auteur, « passer par le niveau de la lutte politique, et non simplement économique, par une transformation globale de la société ».⁠[34]

Hinkelammert précise que la théologie de la libération doit rester critique vis-à-vis de la société capitaliste comme de la société socialiste au nom d’un « critère de discernement » simple : « qu’il soit loisible à l’homme de vivre autant qu’il le peut et qu’il ne se puisse jamais, au nom de la vie des uns, sacrifier la vie des autres ». Mais « à coup sûr, la société capitaliste est hors d’état de satisfaire à un tel critère, et c’est pour cette raison que l’anticipation de la nouvelle terre, telle qu’elle se fait dans la théologie de la libération, débouche sur l’option socialiste. » L’auteur, insistant la faculté critique de sa théologie, en toute circonstance, ajoute encore: « vu l’impossibilité de fait de l’option socialiste, cette disposition critique est inséparable d’une collaboration de base à la construction d’une société socialiste. »[35] Dans un autre essai, il écrira : « La théologie de la libération, quand elle met en avant le Dieu de la vie, prend parti contre le marché et se rapproche des projets économico-sociaux tels qu’il en est fait état, et tels qu’ils sont réalisés, par les mouvements socialistes d’aujourd’hui. »

Concrètement mais sans trop de précisions, Hinkelammert préconisera une « planification globale ».⁠[36] On sait que le plan est essentiel à la pensée marxiste. On sait aussi que Pie XI refusait d’« abandonner » la vie économique à elle-même, qu’il voulait la placer « sous la loi d’un principe directeur juste et efficace » qui ne s’identifie pas purement et simplement à l’État mais à « un ordre juridique et social qui informe en quelque sorte toute la vie économique ». L’État devant toutefois « diriger, surveiller, stimuler, contenir ».⁠[37] Le verbe « diriger » étant ambigu, Jean XXIII dira « encourager, stimuler, coordonner, suppléer et intégrer ». L’idée de plan n’est donc pas tout à fait étrangère à l’Église⁠[38] « mais il va sans dire que le plan, pour autant que l’Église en accepte la notion ne peut être qu’une subordination et une intégration respectant la caractère privé des démarches de production et de consommation, et n’intervenant que partiellement et dans la limite des nécessités de la justice sociale et du bien commun économique ».⁠[39]

A quel « socialisme », à quelle « planification » avons-nous affaire dans cette théologie de la libération ? Il est difficile de le dire clairement.

Toujours est-il que Hinkelammert semble prendre distance par rapport à la conception défendue par l’Église. Il oppose, en effet, sa théologie de la libération, définie comme une théologie du « Dieu de la vie », un Dieu qui se préoccupe donc du corps, à la théologie conservatrice, théologie du « Dieu de la vraie vie de l’âme », un Dieu donc qui ne se préoccupe pas des questions économiques et sociales. La théologie conservatrice, en effet, est une théologie de l’âme séparée du corps, de l’âme qui « ne cherche plus à vivre que de la mort du corps. » Une théologie « anticorporelle » qui isole les individus puisqu’ils n’ont plus de corps et qui cultive une « mystique de la douleur » et du sacrifice. La théologie de la libération, elle, prend en charge la douleur concrète des hommes et est radicalement « antisacrificielle ». Or, la « doctrine sociale classique de l’Église catholique » et il cite Rerum Novarum et Quadragesimo anno, est rangée dans cette théologie conservatrice.⁠[40]

Avec une telle position, l’auteur manifeste sa méconnaissance de la doctrine sociale de l’Église. Par ailleurs, comme le soulignent les préfaciers⁠[41], la dénonciation du marché repose sur « une vision uniformisante et assez idéologique du tiers-monde » alors qu’il y a, nous le verrons, « des tiers-mondes, et à l’intérieur des différents tiers-mondes des dynamiques d’expansion et de récession ». Voir le système du marché, systématiquement, comme une idole, c’est le « diaboliser » sans « tenir compte des configurations fort diverses de réalisation des économies concrètes où intervient toujours, sans doute de façon diversifiée mais souvent importante, l’État. »[42] De même, la pauvreté et la souffrance des hommes, auxquelles les auteurs sont, à juste titre, prioritairement sensibles, n’ont pas une seule cause, le marché. L’analyse du tragique de la condition humaine implique bien d’autres paramètres et échappe pour une part non-négligeable à la réflexion. Il serait, dans la même perspective, important de dire qui sont les pauvres dont la « force historique » est sans cesse sollicitée.

Dans la pensée de l’Église, les diverses pauvretés dues au chômage, au manque de formation ou de responsabilité, doivent être la préoccupation première de l’État et de la société, sans dirigisme, démagogie ou paternalisme : « L’État peut inciter les citoyens et les entreprises à promouvoir le bien commun en mettant en œuvre une politique économique qui favorise la participation de tous ses citoyens aux activités de production. Le respect du principe de subsidiarité doit pousser les autorités publiques à rechercher des conditions favorables au développement des capacités individuelles d’initiative, de l’autonomie et de la responsabilité personnelles des citoyens, en s’abstenant de toute intervention qui puisse constituer un conditionnement indu des forces des entreprises.

En vue du bien commun, il faut toujours poursuivre avec une détermination constante l’objectif d’un juste équilibre entre liberté privée et action publique, conçue à la fois comme intervention directe dans l’économie et comme activité de soutien au développement économique. En tout cas, l’intervention publique devra s’en tenir à des critères d’équité, de rationalité et d’efficacité, et ne pas se substituer à l’action des individus, ce qui serait contraire à leur droit à la liberté d’initiative économique. Dans ce cas, l’État devient délétère pour la société : une intervention directe trop envahissante finit par déresponsabiliser les citoyens et produit une croissance excessive d’organismes publics davantage guidés par des logiques bureaucratiques que par la volonté de satisfaire les besoins des personnes ».⁠[43]

L’État-providence et l’État social actif

Il est un autre problème que Jean-Paul II, en 1991, aborde : celui de l’État-providence. Problème aussi très délicat car, d’une part, depuis Pie XII, dénonce, dès la fin de la guerre, la tendance à accorder à l’État de plus en plus de responsabilités, au risque d’en faire un « léviathan » mais, en même temps, le développement de la sécurité sociale, qui n’est certainement pas un mal en soi, en a fait souvent un « doux léviathan », dirais-je, confortable et séduisant.⁠[44]

Il n’est pas inutile de décrire brièvement la naissance de cet État-providence ni d’évoquer les raisons de sa mise en question à l’heure actuelle.

A l’origine, est le droit social, « né de ce qu’on appelle la question sociale, l’exploitation scandaleuse d’une main-d’œuvre bridée, il s’est façonné à partir des revendications du mouvement ouvrier, des inégalités de traitement entre le patronat et le prolétariat : inégalité dans la représentation dans les juridictions, pénalités différenciées entre patron et ouvrier en cas de grève ou de lock out, foi absolue en la parole du patron qui ne devait guère prouver. Il fallut des émeutes, des grèves violentes pour que, à la fin du XIXe siècle, les politiques se mettent à bouger et à admettre que le recours au droit civil ne pouvait régler ces injustices. Il fallait un autre droit, davantage collé aux réalités sociales et économiques. Progressivement, dans un rapport de forces toujours tendu, s’opéra l’accouchement, douloureux, de ce droit différent. Il traduisait des valeurs nouvelles ainsi qu’une transformation du rôle de l’État : plus interventionniste, plus dispensateur d’égalité, plus soucieux d’une justice distributive. Ce nouveau paradigme conduira à la mise en place de l’État Providence, lequel aujourd’hui subit les assauts de la mondialisation libérale. »[45]

Cette dernière réflexion doit être complétée car, s’il est vrai que la « mondialisation libérale » s’accompagne la plupart du temps d’une mise en question de l’État-providence, force est de constater que le système que recouvre l’étiquette État-providence suscite des difficultés telles que les sociaux-démocrates eux-mêmes ont entrepris ou proposé des réformes.: « Il est frappant en effet de constater que le capitalisme a surmonté la crise sociale en se transformant. Lois sociales, reconnaissance des syndicats, mises en place de structure de discussion, sécurité sociale, redistribution des revenus, accroissement du rôle économique de l’État, (…) développement de l’État-providence, tout cela s’est fait en élargissant le domaine de la justice distributive, mise en question aujourd’hui par les erreurs de politique économique qui ont entraîné ou favorisé la crise.

Sans même décrire ici les conséquences de l’État-providence sur les comportements et les attitudes des individus (perte du sens de l’épargne individuelle, recul du sens des responsabilités, mentalité d’assistés sociaux, conflits corporatistes), il faut bien reconnaître fondées les critiques que les analystes économiques portent sur les dysfonctions et le fonctionnement bloqué du régime actuel : on a atteint une limite qui semble insurmontable. »[46]

En effet, plusieurs facteurs menacent aujourd’hui les États sociaux d’asphyxie⁠[47] dans la mesure où le nombre d’allocataires (chômeurs indemnisés, minimexés, invalides, retraités) a considérablement augmenté alors que le taux d’emploi restait plus ou moins stable ou ne se développait pas dans la même proportion. En Belgique, par exemple, il y avait, en 1970, deux actifs pour un allocataire ; 30 ans plus tard, on comptait un actif pour un allocataire⁠[48].

Comment en est-on arrivé là ?

Le vieillissement de la population réclame plus de moyens pour les pensions et l’assurance maladie. L’irruption des femmes sur le marché du travail rend le plein emploi beaucoup plus difficile à réaliser. Dans le même temps, le marché du travail ne s’est pas toujours élargi mais il s’est modifié : l’économie industrielle a, de plus en plus, fait place à une économie de services et ce glissement a révélé « une inadéquation entre les qualifications demandées et existantes »[49]. Tous les moyens mis en œuvre pour faire face à ces phénomènes : retraites anticipées, allocations de chômage, interruptions de carrière, etc., ont un coût. Ajoutons encore les restructurations, les délocalisations, les licenciements pour manque de rentabilité, etc., qui gonflent le nombre d’allocataires et l’on comprendra aisément dans quelle situation dramatiques se trouvent certains états sociaux.⁠[50]

Est née alors, dans les dernières années du XXe siècle, l’idée d’un État social actif qui devrait remplacer l’État social passif qu’est l’État-providence classique.

Si ce nouveau concept a séduit des esprits libéraux, il n’est certainement pas étranger à la social-démocratie⁠[51]. En Belgique, un des plus chauds partisans de cet État social actif fut le socialiste Frank Vandenbroucke. En Angleterre, c’est le travailliste Tony Blair qui remet en cause le droit social traditionnel. On peut ajouter aussi le nom du socialiste allemand Gehrard Schröder avec son plan de réforme appelé « Agenda 2010 »[52]. C’‘est l’ensemble des pays européens qui sont invités à repenser leur politique sociale.

qu’est-ce l’État social actif ?⁠[53]

L’État social actif se présente « comme une réponse rationnelle aux défis socio-économiques auxquels les états sociaux sont de plus en plus confrontés ». Cet État social actif « vise à une société de personnes actives » tout en préservant « une protection sociale adéquate ».

En fait, « il ne s’agit plus seulement d’assurer des revenus[54], mais aussi d’augmenter les possibilités de participation sociale, de façon à accroître le nombre des personnes actives dans la société ». A cette fin, l’État doit mettre l’accent sur la prévention des risques et sur la surveillance pour « supprimer dans les meilleurs délais la dépendance de soins ». Il doit investir dans la formation et l’enseignement, agir de manière ciblée, « sur mesure » pour revaloriser « ceux qui possèdent la meilleure connaissance du terrain. » En fait, l’État social actif « ne dirige pas mais il délègue » afin de « responsabiliser tous les organismes de sécurité sociale » qui recevront « davantage d’autonomie administrative pourvu qu’ils s’engagent vis-à-vis de l’autorité à obtenir des résultats ».d’une manière générale, il faut tendre à plus de participation active pour lutter contre la pauvreté et mieux répartir les revenus. Comme la participation au marché du travail ne garantit pas automatiquement moins de pauvreté⁠[55], il faut penser à une participation sociale au sens large plutôt qu’à la participation au marché du travail formel.⁠[56]

La participation est liée à une autre notion : la notion de responsabilité. Notion souvent mal perçue, nous le verrons parce qu’elle semble véhiculer une présomption de faute chez les allocataires. Or, l’accent mis sur la responsabilité personnelle est surtout l’effet « des nouveaux risques (manque de qualifications, isolement, …​) et (du) lien créé à tort ou à raison entre ces risques et le comportement personnel. »[57] Les personnes ne sont évidemment pas responsables d’un handicap de naissance, qu’il soit physique ou intellectuel, d’une catastrophe naturelle. Elles ne sont pas responsables non plus des dons ou talents innés ou acquis dans la petite enfance « mais bien de l’usage qu’elles font de ces talents ».

La responsabilisation personnelle garantit « une véritable égalité des chances ». de tous les acteurs. Il n’y a donc pas d’égalité sans responsabilité, responsabilité de tous, chômeurs, malades, personnes âgées, employeurs, syndicats, etc.. Il n’y a pas d’égalité sans responsabilité ni, bien sûr, sans solidarité⁠[58] : il faut « oser envisager « non seulement la rhétorique commode au sujet des responsabilités morales des pauvres et des faibles, mais aussi une rhétorique plus malaisée concernant les obligations sociales des riches et des puissants ». »[59] L’État social actif « implique que les acteurs sociaux assument leurs responsabilités. Il suppose tout autant que les pouvoirs publics reconnaissent ces responsabilités et cette compétence de terrain. »[60]

Bien conscient que certaines personnes sont tout à fait responsables de la situation dramatique dans laquelle elles se retrouvent, l’auteur tient à ajouter à sa description de l’État social actif, la notion de « compassion » qui, peut-être « n’a pas sa place dans le domaine rigoureux de la justice mais qui le complète ».

Reste la difficile mise en œuvre de ces principes. Mais, quelles que soient les formules pratiques retenues, la philosophie développée révèle une plus grande attention à la personne et plus de subsidiarité liée à la solidarité puisque tous les acteurs sont mobilisés et qu’au niveau des pouvoirs publics, l’État n’est plus le seul grand dispensateur de la protection et de l’aide puisque la politique sociale relève aussi des villes et des régions.⁠[61]

L’État social actif est loin de faire l’unanimité. Dans ses différentes variantes sous d’autres appellations, il est critiqué dans les milieux ultra-libéraux évidemment⁠[62] mais aussi au sein d’organisations de travailleurs. Ainsi le Mouvement ouvrier chrétien et la revue Démocratie se montrent-ils plus que réticents défendant l’idée que les deux piliers de la vraie politique sociale sont d’une part « la réduction des inégalité de revenus et une extension/amélioration des services publics » : « C’est moins les chômeurs qu’il faut activer que la capacité régulatrice de l’État. Rompre avec le néolibéralisme suppose de réinventer une politique macroéconomique de plein emploi adaptée au contexte actuel. »[63] Franck Vandenbroucke, quant à lui, est accusé de reproduire « les poncifs les plus archaïques du discours libéral ».⁠[64]

Une observatrice universitaire porte un jugement plus nuancé. Après avoir rappelé que, jusqu’au choc pétrolier de 1980, « la question centrale de l’État social était de définir les risques à couvrir et de chercher ensuite les moyens de les financer afin d’assurer les citoyens contre leur survenance », elle remarque que, « par la suite, la démarche s’est petit à petit inversée : des enveloppes budgétaires fermées ont été préalablement fixées et l’on a examiné ensuite contre quels aléas cela permettrait encore de protéger la population. » Dès lors, on a mis « de plus en plus l’accent sur la responsabilité individuelle des travailleurs, qui sont priés de gérer au mieux - c’est-à-dire au moins cher - leur carrière. » « Le langage en arrière-plan témoigne du changement de mentalité. On ne parle plus de solidarité mais de responsabilité », note-t-elle, simplifiant un peu le discours des «  partis de gauche ». Elle relève tout de même que « l’État social actif prétend préserver certains acquis. Reste que les conditions d’ensemble se détériorent. On voit ainsi, continue-t-elle, se multiplier les emplois aux statuts précaires comme pour les contrats ALE[65] qui ne bénéficient pas des garanties individuelles et collectives du droit du travail. De même, on voit se généraliser des pratiques contraignantes comme quand les subventions des CPAS sont calculées en fonction du nombre de personnes mises au travail. (…) Les gens sont désormais obligés de se former, même si c’est dans une voie qui ne leur plaît pas du tout. » En conclusion : « Parler de crise de l’État providence n’est donc pas exagéré. »[66]

Que penser de tout cela ? L’Église, sous Jean-Paul II, a-t-elle un discours sur ces questions, qui pourrait nous éclairer ?

Nous savons déjà que Pie XII a eu l’occasion, au lendemain de la guerre, lors de l’expansion des systèmes de sécurité sociale, de prendre position. Distinguant une sécurité sociale qui fonctionnerait « grâce«  à la société et une autre qui se construirait « dans » et « avec » la société, Pie XII a voulu surtout mettre en garde contre une sécurité qui serait le monopole de l’État alors que la vraie sécurité doit naître d’abord d’un salaire suffisant, de la possibilité d’accéder à l’épargne et à la propriété, être assurée ensuite par les communautés et les organisations professionnelles, l’État intervenant pour suppléer aux carences de tous les échelons précédents.

Jean-Paul II va décrire comment s’est constitué, à partir du souci de sécurité, l’État-providence, ses intentions, ses faiblesses, ses erreurs et ses limites : « On a assisté, récemment, à un important élargissement du cadre de ces interventions, ce qui a amené à constituer, en quelque sorte, un État de type nouveau, l’« État du bien-être ». Ces développements ont eu lieu dans certains États pour mieux répondre à beaucoup de besoins, en remédiant à des formes de pauvreté et de privation indignes de la personne humaine. Cependant, au cours de ces dernières années en particulier, des excès ou des abus assez nombreux ont provoqué des critiques sévères de l’État du bien-être, que l’on a appelé l’« État de l’assistance ». Les dysfonctionnements et les défauts des soutiens publics proviennent d’une conception inappropriée des devoirs spécifiques de l’État. Dans ce cadre, il convient de respecter également le principe de subsidiarité : une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun.

En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’État de l’assistance provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d’y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d’ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde. Que l’on pense aussi aux conditions que connaissent les réfugiés, les immigrés, les personnes âgées ou malades, et aux diverses conditions qui requièrent une assistance comme dans le cas des toxicomanes, toutes personnes qui ne peuvent être efficacement aidées que par ceux qui leur apportent non seulement les soins nécessaires, mais aussi un soutien sincèrement fraternel. »[67]

Il est clair, à travers ce texte, qu’on ne peut charger, sans dommages, l’État de toute la sécurité sociale. En lui accordant le monopole de la solidarité, on gonfle et paralyse finalement ses fonctions essentielles⁠[68] ; on dépouille les personnes et les corps intermédiaires des leurs et l’on perd de vue qu’il y a des pauvretés qui ne peuvent se satisfaire des aides matérielles.

En pâtissent le principe de subsidiarité mais aussi « le principe d’économicité »[69] qui veut que l’État, comme tous les corps sociaux, emploie les biens de manière rationnelle, à bon escient et sans gaspillage.

L’État-providence ne s’épanouit qu’en appauvrissant les corps intermédiaires alors qu’ils sont les vrais organes dynamiques et protecteurs d’une société : « Le système économique et social doit être caractérisé par la présence simultanée de l’action publique et de l’action privée, y compris l’action privée sans finalités lucratives. Se configure ainsi une pluralité de centres décisionnels et de logiques d’action. Il existe certaines catégories de biens, collectifs et d’usage commun, dont l’utilisation ne peut dépendre des mécanismes du marché et ne relève pas non plus de la compétence exclusive de l’État. Le devoir de l’État en rapport à ces biens, est plutôt de mettre en valeur toutes les initiatives sociales et économiques qui ont des effets publics et sont promues par les structures intermédiaires. La société civile, organisée à travers ses corps intermédiaires, est capable de contribuer à la poursuite du bien commun en se situant dans un rapport de collaboration et de complémentarité efficace vis-à-vis de l’État et du marché, favorisant ainsi le développement d’une démocratie économique opportune. Dans un tel contexte, l’intervention de l’État doit être caractérisée par l’exercice d’une véritable solidarité qui, en tant que telle, ne doit jamais être séparée de la subsidiarité. »[70]

Dans des sociétés moins développées existent « des coutumes et des traditions communautaires, garantissant à chaque membre les biens les plus nécessaires. (…) Il faut éviter de considérer certaines coutumes comme tout à fait immuables, si elles ne répondent plus aux nouvelles exigences de ce temps ; mais, à l’inverse, il ne faut pas attenter imprudemment à des coutumes honnêtes qui, sous réserve d’une saine modernisation, peuvent encore rendre de grands services ».

Dans les sociétés développées : « un réseau d’institutions sociales, d’assurance et de sécurité, peut réaliser en partie la destination commune des biens. Il importe de poursuivre le développement des services familiaux et sociaux, principalement de ceux qui contribuent à la culture et à l’éducation. Mais dans l’aménagement de toutes ces institutions, il faut veiller à ce que le citoyen ne soit pas conduit à adopter vis-à-vis de la société une attitude de passivité, d’irresponsabilité ou de refus de service. »[71]

La famille doit conserver toutes ses capacités protectrices : « La solidité du noyau familial est une ressource déterminante pour la qualité de la vie sociale en commun…​ communauté d’amour et de solidarité…​ »⁠[72]

L’accès à la terre et à la propriété privée ou communautaire restent, malgré les nouvelles formes de protection, des moyens de se garantir contre les aléas de l’existence : « Si, dans le processus économique et social, des formes de propriété inconnues par le passé acquièrent une importance notoire, il ne faut pas oublier pour autant les formes traditionnelles de propriété. La propriété individuelle n’est pas la seule forme légitime de possession. L’ancienne forme de propriété communautaire revêt également une importance particulière ; bien que présente aussi dans les pays économiquement avancés, elle caractérise particulièrement la structure sociale de nombreux peuples indigènes. C’est une forme de propriété qui a une incidence si profonde sur la vie économique, culturelle et politique de ces peuples qu’elle constitue un élément fondamental de leur survie et de leur bien-être. » Mais ce type de propriété est amené à évoluer.

« La distribution équitable de la terre demeure toujours cruciale, en particulier dans les pays en voie de développement ou qui sont sortis des systèmes collectivistes ou de colonisation. Dans les zones rurales, la possibilité d’accéder à la terre grâce aux opportunités offertes par les marchés du travail et du crédit est une condition nécessaire pour l’accès aux autres biens et services ; non seulement elle constitue une voie efficace pour la sauvegarde de l’environnement, mais cette possibilité représente un système de sécurité sociale réalisable aussi dans les pays disposant d’une structure administrative faible. »[73] En conclusion, « Une série d’avantages objectifs dérive de la propriété pour le sujet propriétaire, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une communauté : conditions de vie meilleure, sécurité pour l’avenir, plus vastes opportunités de choix. »[74]

Quant aux systèmes de sécurité sociale mis en place par l’État-providence, il faut, vu les circonstances et leur aboutissement, les renouveler : « En poursuivant « de nouvelles formes de solidarité »[75], les associations de travailleurs doivent s’orienter vers l’assomption de plus grandes responsabilités, non seulement dans le cadre des mécanismes traditionnels de la redistribution, mais aussi à l’égard de la production de la richesse et de la création de conditions sociales, politiques et culturelles qui permettent à tous ceux qui peuvent et désirent travailler d’exercer leur droit au travail, dans le plein respect de leur dignité de travailleurs. Le dépassement graduel du modèle d’organisation basé sur le travail salarié dans la grande entreprise rend opportune en outre la mise à jour des normes et des systèmes de sécurité sociale qui ont servi à protéger les travailleurs jusqu’à présent , tout en préservant leurs droits fondamentaux. »[76]

Les systèmes actuels de sécurité sociale sont inadaptés : « la transition actuelle marque le passage du travail salarié à durée indéterminée, conçu comme une place fixe, à un parcours de travail caractérisé par une pluralité d’activités ; d’un monde du travail compact, défini et reconnu, à un univers de travaux diversifié, fluide, riche de promesses, mais aussi chargé d’interrogations préoccupantes, spécialement face à l’incertitude croissante quant aux perspectives d’emplois, aux phénomènes persistants du chômage structurel, à l’inadaptation des systèmes actuels de sécurité sociale. Les exigences de la concurrence, de l’innovation technologique et de la complexité des flux financiers doivent être harmonisés avec la défense du travailleur et de ses droits. »[77]

Sécurité sociale, certes, assistance, certes, par solidarité mais dans le respect de la subsidiarité, sans céder à ce que le Compendium de la doctrine sociale de l’Église appelle « assistantialisme »⁠[78] et à l’étatisme.


1. CA 11.
2. Id.
3. CDSE 336.
4. SRS 15.
5. CA 16.
6. CDSE 186.
7. L’État doit « déterminer le cadre juridique à l’intérieur duquel se déploient les rapports économiques », « sauvegarder ainsi les conditions premières d’une économie libre, qui présuppose une certaine égalité entre les parties, d’une manière telle que l’une d’elles ne soit pas par rapport à l’autre puissante au point de la réduire pratiquement en esclavage. » Pratiquement, l’État et la société (car ce n’est pas de la seule responsabilité de l’État) doivent « défendre le travailleur contre le cauchemar du chômage. Cela s’est réalisé historiquement de deux manières convergentes : soit par des politiques économiques destinées à assurer une croissance équilibrée et une situation de plein emploi ; soit par des assurances contre le chômage et par des politiques de recyclage professionnel appropriées pour faciliter le passage des travailleurs de secteurs en crise vers d’autres secteurs en développement.
   En outre, la société et l’État doivent assurer des niveaux de salaire proportionnés à la subsistance du travailleur et de sa famille, ainsi qu’une certaine possibilité d’épargne. Cela requiert des efforts pour donner aux travailleurs des connaissances et des aptitudes toujours meilleures et susceptibles de rendre leur travail plus qualifié et plus productif ; mais cela requiert aussi une surveillance assidue et des mesures législatives appropriées pour couper court aux honteux phénomènes d’exploitation, surtout au détriment des travailleurs les plus démunis, des immigrés ou des marginaux. Dans ce domaine, le rôle des syndicats, qui négocient le salaire minimum et les conditions de travail, est déterminant.
   Enfin, il faut garantir le respect d’horaires « humains » pour le travail et le repos, ainsi que le droit d’exprimer sa personnalité sur les lieux de travail, sans être violenté en aucune manière dans sa conscience ou dans sa dignité. Là encore, il convient de rappeler le rôle des syndicats, non seulement come instruments de négociation mais encore comme  »lieux » d’expression de la personnalité : ils sont utiles au développement d’une authentique culture du travail et ils aident les travailleurs à participer d’une façon pleinement humaine à la vie de l’entreprise. » (CA 15).
8. CDSE 168.
9. CA 10.
10. « L’action de l’État et des autres pouvoirs publics doit se conformer au principe de subsidiarité et créer des situations favorables au libre exercice de l’activité économique ; elle doit aussi s’inspirer du principe de solidarité et établir des limites à l’autonomie des parties pour défendre les plus faibles. La solidarité sans subsidiarité peut en effet facilement dégénérer en assistantialisme, tandis que la subsidiarité sans solidarité risque d’alimenter des formes de régionalisme égoïste. Pour respecter ces deux principes fondamentaux, l’intervention de l’État dans le domaine économique ne doit être ni envahissante, ni insuffisante, mais adaptée aux exigences réelles de la société (…). » (CDSE 351).
11. CA 15.
12. CA 22.
13. CDSE 91.
14. CA 35.
15. CA 42.
16. CA 34.
17. « L’acte de justice consiste à rendre à chacun son dû » (Somme Théologique, IIa IIae, qu 58). Et ce qui est dû à l’homme, c’est d’abord son humanité.
18. CA 34.
19. Cf. CA 49: « L’individu est souvent écrasé aujourd’hui entre les deux pôles de l’État et du marché. En effet, il semble parfois n’exister que comme producteur et comme consommateur de marchandises, ou comme administré de l’État, alors qu’on oublie que la convivialité n’a pour fin ni l’État ni le marché, car elle possède en elle-même une valeur unique que l’État et le marché doivent servir. L’homme est avant tout un être qui cherche la vérité et qui s’efforce de vivre selon cette vérité, de l’approfondir dans un dialogue constant qui implique les générations passées et à venir. »
20. Cf. CA 49 « Il est urgent de promouvoir non seulement des politiques de la famille, mais aussi des politiques sociales qui aient comme principal objectif la famille elle-même, en l’aidant, par l’affectation de ressources convenables et de moyens efficaces de soutien, tant dans l’éducation des enfants que dans la prise en charge des anciens, afin d’éviter à ces derniers l’éloignement de leur noyau familial et de renforcer les liens entre les générations. » La famille est la première « communauté de travail et de solidarité ». Et des groupes sociaux intermédiaires sont aussi des lieux de solidarité qui « acquièrent la maturité de vraies communautés de personnes et innervent le tissu social, en l’empêchant de tomber dans l’impersonnalité et l’anonymat de la masse. » La famille et les corps intermédiaires doivent, par leur antériorité et leur valeur humaine, être respectés par l’État et le marché.
21. Cf. CDSE 291 : « Les problèmes de l’emploi interpellent les responsabilités de l’État, auquel il revient de promouvoir des politiques actives de travail, aptes à favoriser la création d’opportunités de travail sur le territoire national, en stimulant à cette fin le monde productif. »
22. « La première structure fondamentale pour une « écologie humaine » est la famille (…) fondée sur la mariage (…) sanctuaire de la vie... » (CA 39).
23. L’idolâtrie du marché est le titre d’un livre de Hugo Assmann et Franz J. Hinkelammert (Critique théologique de l’économie de marché, Collection Libération, Cerf, 1993), dont nous parlerons plus loin.
24. CA 40.
25. Cf. CDSE 352: « Pour remplir la tâche qui est la sienne, l’État doit élaborer une législation opportune, mais aussi orienter judicieusement les politiques économiques et sociales, afin de ne jamais devenir prévaricateur dans les diverses activités du marché, dont le déroulement doit demeurer libre de superstructures et de contraintes autoritaires ou, pire encore, totalitaires. »
26. CA 48.
27. Lettre à M. Charles Flory, Président des Semaines sociales de France, 18-7-1947.
28. Id..
29. Id.. Le CDSE commente ainsi ce passage : « Diverses circonstances peuvent porter l’État à exercer une fonction de suppléance. Que l’on pense, par exemple, aux situations où il est nécessaire que l’État stimule l’économie, à cause de l’impossibilité pour la société civile d’assumer cette initiative de façon autonome ; que l’on pense aussi aux réalités de grave déséquilibre et d’injustice sociale où seule l’intervention publique peut créer des conditions de plus grande égalité, de justice et de paix. A la lumière du principe de subsidiarité, cependant, cette suppléance institutionnelle ne doit pas se prolonger ni s’étendre au-delà du strict nécessaire, à partir du moment où elle ne trouve sa justification que dans le caractère d’exception de la situation. En tout cas, le bien commun correctement compris, dont les exigences ne devront en aucune manière contraster avec la protection et la promotion de la primauté de la personne et de ses principales expressions sociales, devra demeurer le critère de discernement quant à l’application du principe de subsidiarité. » (N° 188).
30. Le P. Sertillanges avait déjà mis en évidence le « lyrisme de nature évidemment mystique » de Marx et « le caractère d’hérésie chrétienne » de sa théorie qui se présente comme un « décalque » de l’histoire du salut. (Cf. Le christianisme et les philosophes, L’âge moderne, Aubier, 1941, pp. 217-224).
31. Cf. Marx et l’usage des symboles bibliques, in ASSMANN et HINKELAMMERT, op. cit., pp. 327-347. Hugo Assmann, théologien brésilien, né en 1933, a fondé le département œcuménique d’investigations (DEI) au Costa Rica, enseigne à l’université méthodiste de Piracicaba (Brésil). Franz Hinkelammert, économiste allemand, né en 1931, enseigne dans diverses université d’Amérique centrale et travaille au DEI.
32. Assmann revient à l’image du gâteau, si chère aux économistes, « à l’image du gâteau, déjà préparé, mais que personne ne doit partager, parce que le gâteau doit d’abord grandir pour que la sagesse du marché puisse se charger, un jour, d’en distribuer une part à tous. De telles fantaisies dépassent les facultés d’imagination de tout pâtissier, qui sait parfaitement que les gâteaux qui existent déjà peuvent être partagés, ce qui n’empêche aucunement d’en fabriquer d’autres. Si nous passons du gâteau au pain, se présente alors bien vite l’idée d’une eucharistie éternellement ajournée. » (Op. cit., pp. 205-206).
33. Op. cit., p. 256.
34. Id., p. 261. L’auteur affirme « le primat du politique » et « le primat du spirituel », faisant justement remarquer que « lorsque je connais des difficultés matérielles, il s’agit pour moi d’un problème matériel ; mais lorsque c’est mon prochain qui connaît des difficultés matérielles, il s’agit pour moi d’un problème spirituel ». (Id., p. 262).
35. L’histoire du ciel, Problèmes du fondamentalisme chrétien, in L’idolâtrie du marché, op. cit., p. 325.
36. HINKELAMMERT Fr., Economie et théologie, in L’idolâtrie du marché, op. cit., pp. 365- 366.
37. QA 577 et 573 in Marmy.
38. Le mot se trouve chez Paul VI. Aux chefs d’entreprise italiens, il demandait « que l’on dépasse le particularisme des intérêts et des mentalités qui aujourd’hui opposent (…) l’initiative particulière à l’initiative rationnellement planifiée. » (Allocution du 8-6-1964, in DC 1964, col. 805).
39. BIGO P., op. cit., p. 473.
40. HINKELAMMERT Fr., Economie et théologie, op. cit., pp. 354 et 361.
41. PERENNES Jean-Jacques, assistant du maître général des Dominicains pour la vie apostolique et Justice et Paix, et PUEL Hugues, secrétaire général d’Economie et Humanisme. (L’idolâtrie du marché, op. cit., pp. 13-17).
42. Cf. CDSE 353 commentant CA 48: « Il faut que le marché et l’État agissent de concert l’un avec l’autre et deviennent complémentaires. Le marché libre ne peut avoir des effets bénéfiques pour la collectivité qu’en présence d’une organisation de l’État qui définisse et oriente la direction du développement économique, qui fasse respecter des règles équitables et transparentes, qui intervienne également d’une façon directe, pour la durée strictement nécessaire, dans les cas où le marché ne parvient pas à obtenir les résultats d’efficacité désirés et quand il s’agit de traduire dans la pratique le principe de redistribution. Dans quelques secteurs, en effet, en faisant appel à ses propres mécanismes, le marché n’est pas en mesure de garantir une distribution équitable de certains biens et services essentiels à la croissance humaine des citoyens : dans ce cas, la complémentarité entre l’État et le marché est plus nécessaire que jamais. »
43. CDSE 354.
44. Il est piquant de constater qu’en 2020, trois personnalités très différentes aient signé un article intitulé : Léviathan, sors de ton confinement ! (La Libre Belgique, 1er avril 2020), pour réclamer non pas un État totalitaire mais pour restaurer une juste autorité de l’État face à l’hypercapitalisme qui a dépouillé l’État de son efficacité. il s’agit de Bruno Colmant, économiste, professeur à l’UCL, d’Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal du diocèse de Liège et de Baudouin Decharneux, philosophe, professeur à l’ULB.
45. NANDRIN Jean-Pierre, Le droit, instrument de transformation ?, in La Libre Belgique, 23-4-2003. J.-P. Nandrin est professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis et à l’UCL.L’auteur fait cette remarque : « Le droit n’est pas une bulle hors du temps. Image de la société, il en est aussi un instrument de transformation pour autant que ses hérauts ne le figent pas dans un culte glacial. » Un autre auteur souligne la capacité d’adaptation de l’État-providence : Il « a vu le jour au XIXe siècle avec l’avènement du suffrage universel, et (…) s’est étoffé tout au long du XXe siècle au gré de l’adaptation des régimes de protection étatiques aux risques sociaux inhérents à l’économie de marché (…). » (RAPHAËL Laurent, Le droit social à la moulinette libérale, in La Libre Belgique, 23-4-2003).
46. RAES J., op. cit., pp. 176-177.
47. Cf. VANDENBROUCKE Frank, (VDB) L’État social actif: une ambition européenne, Exposé du 13 décembre 1999, Amsterdam, disponible sur http://minsoc.fgov.be et De LATHOUWER Lieve (DL), L’État social actif et les incitants négatifs : les suspensions et sanctions dans l’assurance-chômage, Centrum voor Sociaal Beleid, Universiteit Antwerpen, Décembre 2000.
48. VDB, p. 3 et DL pp. 2 et 4.
49. DL, p. 4. Plus le niveau de formation est faible et plus le risque d’exclusion grandit. (VDB, p. 2).
50. A propos de la proportion de population active occupée par rapport à l’ensemble de la population, le rapport La politique fédérale de l’emploi, Rapport d’évaluation 1997 (Ministère fédéral de l’emploi et du travail, rue Belliard, 51, 1040 Bruxelles) nous apprend ceci:
   En Belgique, en arrondissant les chiffres on peut dire qu‘aux alentours de l’an 2000, sur une population totale de 10.000.000, moins de 4.000.000 sont occupés. Dans les 6.000.000 restant, on compte un demi-million de chômeurs. On peut ajouter encore que dans les 4.000.000 occupés, tous les travailleurs ne sont pas producteurs de richesses, loin de là ! (Op. cit., p. 33). Les 5.500.000 d’ »inactifs » ne sont pas tous des enfants en bas âge ou des personnes âgées. Le facteur démographique intervient également : « Les creux, et les pics démographiques caractérisant certaines catégories d’âge de la population influencent directement le volume de la population active. A la fin des années septante, alors que le nombre d’emplois allait en s’amenuisant chaque jour, les jeunes qui entraient sur le marché du travail étaient bien plus nombreux que les travailleurs qui le quittaient pour partir à la retraite. La pression démographique était donc forte et beaucoup de nouveaux entrants ne trouvaient pas d’emploi. Cette conjoncture démographique défavorable s’est immédiatement traduite par une aggravation du chômage. A la veille de l’an 2000, la population potentiellement active tend à se stabiliser entraînant un amenuisement de l‘influence du facteur démographique. » Ce qui est déterminant aussi c’est « la propension à participer au marché du travail », selon le sexe et les tranches d’âge. (Id., p. 31). Ainsi, depuis la fin des années soixante, on constate que la participation des femmes au marché du travail est de plus en plus importante et de plus en plus semblable au modèle masculin mais en s’insérant surtout dans le travail à temps partiel (Id, p.170). d’autre part, Il faut tenir compte aussi dans la société contemporaine de « la chute des taux d’activité aux classes d’âge extrêmes. Les jeunes retardent leur entrée en activité et les plus âgés avancent le moment de leur retrait définitif. Ce sont les taux de scolarité et leur évolution qui permettent de comprendre la participation de plus en plus faible des jeunes à la vie active. Si beaucoup prolongent leurs études pour parfaire leur formation, d’autres le font aussi par crainte des difficultés d’insertion sur le marché du travail. A l’autre extrémité, les mesures de prépension, celles en faveur des chômeurs âgés et l’assouplissement de la fin de carrière ont, dans une certaine mesure, permis d’amortir les effets des restructurations de l’appareil de production. Elles ont néanmoins entraîné le retrait complet de la vie active d’une partie substantielle de la main-d’œuvre la plus âgée ». (Id., p. 31).
51. Cf. Pascale Vielle, professeur de Droit social à l’UCL, co-animatrice avec Philippe Pochet, directeur de l’Observatoire social européen, d’un groupe de recherche interdisciplinaire sur l’État social actif, citée par RAPHAËL L., op. cit..
52. Le 14 mars 2003, le Chancelier fédéral présentait l’Agenda 2010 et ses projets de réforme dans une déclaration gouvernementale devant le Bundestag sous le titre « Haut les cœurs pour la paix et haut les cœurs pour le changement ». Parmi les projets, on trouve une plus grande flexibilisation du marché de l’emploi, la limitation de l’indemnisation des chômeurs, la modification de la protection en matière de licenciement (http://fr.bundesregierung.de). De son côté, mais dans le même esprit, la Commission gouvernementale chargée de la réforme du financement des systèmes sociaux proposait de repousser l’âge du départ à la retraite à 67 ans et de limiter sur le long terme la hausse du niveau des pensions (www.professionpolitique.com). Toutes ces propositions ont été critiquées par l’aile gauche du SPD et par la Confédération des syndicats allemands (DGB).
53. Nous emprunterons à Frank Vandenbroucke (op. cit.) les citations de cette brève description.
54. F. Vandenbroucke n’est pas partisan du « revenu de base universel et inconditionnel ». (VDB, p. 8).
55. Les États-Unis, par exemple, avaient, en 1999, un taux d’emploi plus élevé que la Belgique (72% contre 57% en 1999) alors que le taux de pauvreté y était respectivement de 20% contre 5%. Par contre le Danemark parvenait à combiner une forte protection sociale avec un taux de participation élevé (77% d’emploi et 3% de pauvreté).(Source : Ive Marx, Low Pay and Poverty in OECD Countries, Employement Audit, hiver 1999, cité in VDB, p. 8).
56. La participation sociale s’exprime, par exemple, dans les soins prodigués à un membre de la famille ou à un ami, dans un engagement social ou culturel volontaire, dans le temps consacré à une formation, etc.. Dans une telle perspective, les femmes sans emploi et les personnes âgées « ne sont plus considérées comme des personnes dépendantes de fait, mais comme des forces productives dont l’apport peut être précieux dans une collectivité sociale. » (VDB, p. 8).
57. L’auteur explique : « Il s’agit d’une évolution dont nous devons tenir compte en tout état de cause. L’approche classique du social en termes « d’assurance » contre les risques imprévisibles a entraîné sa catégorisation dans les statistiques et l’étude des probabilités, de sorte que l’opinion au sujet du comportement des individus est passée à l’arrière-plan. La question des fautes personnelles et de l’admissibilité d’attitudes individuelles était d’un intérêt secondaire. Ce dernier aspect l’emporte à présent de plus en plus ».(VDB, pp. 8-9).
58. « Mon égalitarisme repose sur la conviction qu’il est injuste de porter préjudice à des individus par rapport à d’autres en raison de caractéristiques ou de circonstances pour lesquelles ils ne sont pas responsables. J’y associe une double conclusion. Premièrement, la recherche d’égalité inclut par définition une question de responsabilité, sinon nous en arrivons à des solutions absurdes (…). Deuxièmement, étant donné que l’idée d’égalité constitue l’essence de la démocratie sociale, nous ne pouvons intégrer la responsabilité individuelle dans notre discours que si cette responsabilité renvoie à une solidarité logique avec les personnes qui, indépendamment de leur volonté, sont victimes des circonstances. » (VDB, p. 9).
59. WRIGHT T., Socialismes. Old and New, London, Routledge, 1996, cité in VDB, p. 10.
60. VDB, pp. 10-11.
61. Cf. VDB, p. 12.
62. Certains auteurs libéraux se demandent si l’excès de sécurité sociale n’est pas générateur d’insécurité sociale. d’aucuns prétendraient que « la protection sociale incite les couches les plus pauvres à procréer plus que de besoin et engendre un sous-prolétariat à l’intelligence trop rudimentaire pour s’intégrer à la société moderne ». B. Majnoni d’Intigano accuse R. Herrnstein et Ch. Murray, auteurs d’un livre qui a été un succès de librairie aux USA : The Bell Curve, Intelligence and Class Structure in American Life, The Free Press, 1994. Richard Herrnstein, décédé en 1994, était professeur de psychologie à Harvard tandis que Charles Murray est chercheur en sciences politiques à l’American Enterprise Institute, auteur, notamment, de Losing Ground American Social Policy, 1950-1980, Basic Books, 1984, où il affirme que les politiques sociales mises en place aux USA dans les années soixante ont fait plus de mal que de bien (cf. www.douance.org).. Ces auteurs constatent que, depuis la deuxième guerre mondiale, le QI s’affirme de plus en plus comme un prédicteur plus fiable de la réussite sociale future que la situation socio-économique des parents dans la mesure où la société s’est réorganisée de manière assez spectaculaire en fonction du QI. Hernstein et Murray mettent en évidence des différences génétiques mesurables du niveau d’intelligence entre les races. Ainsi, le quotient intellectuel des noirs et des hispaniques serait inférieur à celui des blancs.
   Ce livre a soulevé une énorme polémique. Les calculs statistiques des deux auteurs sont contestés par les spécialistes comme Thierry Foucart qui écrit : « les auteurs Murray et Herrnstein, se fondant sur des analyses statistiques nombreuses et relativement complexes comme des régressions linéaires multiples et logistiques, interprètent des résultats d’une façon pourtant très contestable : ils prétendent ni plus ni moins apporter une preuve scientifique de l’infériorité de certaines races sur d’autres. Les résultats de leurs analyses statistiques montrent selon eux qu’aux États-Unis, les noirs ont une moins bonne réussite sociale que les autres races toutes choses égales par ailleurs. Comment un journaliste ou un philosophe convaincu de l’égalité entre hommes peut-il contester les résultats d’un modèle linéaire et l’interprétation d’un coefficient de corrélation partielle ? Les arguments dont il dispose relèvent des sciences « molles » et lui paraissent bien faibles - à tort - par rapport à une argumentation relevant des sciences « dures ». La contestation de cette thèse est surtout le fait de scientifiques : la plus connue a été publiée par S.J. Gould, dans son ouvrage « La mal-mesure de l’homme » (Odile Jacob, 1997). Sa démarche consiste à montrer les limites des méthodes statistiques utilisées par Murray et Herrnstein, ce qui lui permet de contredire totalement leurs raisonnements et de mettre en évidence l’idéologie raciste sous-jacente. Il a utilisé la même démarche scientifique que les auteurs dont il condamne les conclusions ». ( Statistique et idéologies scientifiques, Communication au laboratoire de mathématiques, équipe de probabilités, 11-12-2003, disponible sur www2.univ-poitiers.fr).
63. Cf. DELAVAUX Joëlle, Du souffle pour l’égalité, in En Marche, 16-1-2003, p. 7 ; LEBEAU Etienne, État social actif, un bilan ambigu, in Démocratie, 1er décembre 2002.
64. LEBEAU E., L’État social actif et ses lacunes, in Démocratie, 15-5-2002.
65. Il existe dans chaque commune ou groupe de communes en Belgique, une Agence Locale pour l’Emploi (ALE) qui, en collaboration avec l’Office national de l’emploi, propose des contrats de travail à certains demandeurs d’emploi, volontaires, ou inscrits d’office à l’ALE. Ces contrats leur permettent d’exercer certaines activités pour le compte d’utilisateurs: familles, associations non-commerciales, autorités locales, écoles, entreprises du secteur agricole ou horticole (cf. www.zero8.be).
66. VIELLE Pascale, in RAPHAËL L., op. cit..
67. CA, 48.
68. « Certaines formes de concentration, de bureaucratisation, d’assistance, de présence injustifiée et excessive de l’État et de l’appareil public contrastent avec le principe de subsidiarité (…). » (CDSE 187).
69. CDSE 346.
70. CDSE 356.
71. GS 69 § 2.
72. CDSE 229.
73. CDSE 180 avec références à GS 69 et Justice et paix : « Pour une meilleure répartition de la terre. Le défi de la réforme agraire, 1997.
74. CDSE 181.
75. JEAN-PAUL II, Message aux participants au Symposium international sur le Travail, (14-9-2001), OR 25-9-2001, p. 9.
76. CDSE 309.
77. CDSE 314.
78. CDSE 351.