La constitution pastorale Gaudium et spes a consacré tout un chapitre à « la vie économico-sociale »[1]. Ce chapitre est une synthèse actualisée de l’enseignement de l’Église sur ce sujet. L’évolution de l’économie au cours du XXe siècle[2], loin de rendre caducs les principes directeurs de cet enseignement, les rend plus indispensables que jamais. En effet, si, d’une part, « le progrès dans les modes de production et dans l’organisation des échanges de biens et de services a fait de l’économie un instrument apte à mieux satisfaire les besoins accrus de la famille humaine »[3] et si, en même temps, une « saine socialisation » s’étend[4], l’obsession économiste et la persistance, voire l’accroissement, des inégalités déshumanisent un grand nombre de personnes.[5]
Cette situation se caractérise donc par toute une série de déséquilibres : déséquilibres personnels, familiaux, sociaux dans les communautés et entre les communautés, provoqués par la civilisation industrielle et urbaine[6] ; déséquilibres économiques et sociaux entre secteurs de production, entre les secteurs de production et le secteur des services, entre régions, entre nations.[7] Ces déséquilibres qui sont de plus en plus apparents, interpellent les consciences dans la mesure où les hommes sont « profondément persuadés que les techniques nouvelles et les ressources économiques accrues dont dispose le monde pourraient corriger ce funeste état de choses. »[8]
Il faut corriger cette situation car « …en dépit de légitimes différences entre les hommes, l’égale dignité des personnes exige que l’on parvienne à des conditions de vie justes et plus humaines. En effet, les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d’une seule famille humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à l’équité, à la dignité de la personne humaine ainsi qu’à la paix sociale et internationale. »[9]
Pour répondre à l’attente des hommes, l’Église qui n’est liée « à aucun système politique, économique ou social »[10], propose donc des réformes mais insiste aussi sur le fait qu’une conversion générale des mentalités et des attitudes est nécessaire[11] aux « progrès d’une saine socialisation et de la solidarité au plan civique et économique. »[12]
C’est tout « un ordre politique, social et économique » qui doit être institué au service de toute personne.[13] Toutes les institutions privées ou publiques doivent s’efforcer « de se mettre au service de la dignité et de la destinée humaine. »[14]
L’énumération des nécessités révèle l’effort personnel et institutionnel indispensable à une vie socio-économique plus épanouissante pour tout homme, pour « l’homme tout entier, selon la hiérarchie de ses besoins matériels comme des exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse », pour tout homme, « tout groupe d’hommes, sans distinction de race ou de continent. »[15]
Les verbes employés traduisent parfaitement l’idée que la vie économique ne peut être abandonnée à elle-même mais doit se dérouler dans un cadre moral et politique . Il s’agit, en effet, d’« encourager » le progrès, l’innovation, l’initiative, la modernisation[16] ; de « contrôler » le développement, de « ne pas l’abandonner » à quelques-uns ou à quelques puissances économiques ou politiques ; de veiller à ce que le plus grand nombre puise l’« orienter » ; de « coordonner » les initiatives privées et publiques[17] ; de « faire disparaître » les énormes inégalités économiques ; d’aider » les agriculteurs[18] ; d’« aménager » la vie économique pour éviter l’instabilité et la précarité ; de « développer » les services familiaux et sociaux[19] ; de « ne pas discriminer » mais « d’aider » les travailleurs immigrés, de « favoriser » leur insertion et « faciliter » la présence de leur famille[20] ; d’« assurer » à chacun, un emploi, une formation ; de « garantir » les moyens d’existence[21] ; de « prendre des dispositions », de « prévoir l’avenir » ; d’ « adapter » la production aux besoins de la personne, d’« équilibrer » les besoins de la consommation et les exigences d’investissement [22] ; de « permettre de jouir » de repos et de loisirs ; de « donner la possibilité » de s’épanouir dans le travail[23] ; de « promouvoir » la participation, l’association, la formation, la négociation, le dialogue[24] ; de « tenir compte » de la destination universelle des biens[25] ; d’« avoir en vue » les besoins des plus pauvres[26] ; de « favoriser » l’accès à la propriété et aux biens[27] ; d’« empêcher » qu’on abuse de la propriété[28] ; etc..
Tous ces verbes d’action supposent comme sujets les responsables économiques et politiques mais ils impliquent en fait tous les hommes, quel que soit leur pouvoir, quelle que soit leur situation dans la société, puisque tous les citoyens doivent « contribuer » au progrès de leur communauté[29]. On peut inclure aussi les responsables « culturels », au sens le plus large du terme, dans la mesure où ce renouvellement de la vie économique et sociale suppose qu’on « dénonce » les erreurs des doctrines libérales et socialistes [30].