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ii. Retour aux Écritures

On sait que dans l’Ancien testament, la loi désigne un ensemble diversifié d’exigences, de règles, et de prescriptions qui touchent à tous les domaines de la vie, qui dirigent la conscience et les mœurs, règlent le fonctionnement des institutions familiales, sociales, économiques, judiciaires et organisent le culte. Mais cet ensemble aussi varié soit-il dans ses finalités et ses styles, trouve son origine en Dieu : « rien n’est laissé au hasard ; et puisque le peuple de Dieu a pour support une nation particulière dont il assume les structures, les institutions temporelles relèvent elles-mêmes du droit religieux positif. » Comme on risque, entre autres, « de mettre sur le même pied tous les préceptes, religieux et moraux, civils et cultuels, sans les ordonner correctement autour de ce qui devrait en être toujours le cœur », il est difficile d’éviter la confusion des pouvoirs⁠[1].

C’est la Loi donc qui règle les questions économiques : vente, achat des propriétés, année jubilaire, repos sabbatique pour la terre, lutte contre la pauvreté, prêt à intérêt, commerce, etc.

Et c’est une fonction royale de venir au secours des démunis et de les protéger contre les injustes. Dans le deuxième livre de Samuel, il est dit de David : « David régnait sur tout Israël. David faisait droit et justice à tout son peuple ».⁠[2] Dans le livre de Job, on constate que Job est honoré et respecté parce que cet homme riche et puissant se comporte de manière royale et il le rappelle⁠[3]:

« Car je délivrais le pauvre en détresse

et l’orphelin privé d’appui.

La bénédiction du mourant se posait sur moi

et je rendais la joie au cœur de la veuve.

J’avais revêtu la justice comme un vêtement,

j’avais le droit pour manteau et turban.

J’étais les yeux de l’aveugle,

les pieds du boiteux.

C’était moi le père des pauvres ;

la cause d’un inconnu, je l’examinais.

Je brisais les crocs de l’homme inique,

d’entre ses dents j’arrachais sa proie. »[4]

Il est très intéressant d’étudier cette relation entre royauté et justice car elle nous mène au bord de la sagesse chrétienne : « La justice, écrit une théologienne, est un attribut royal qui investit le roi dans sa fonction politico-religieuse, au point que dans le Proche-Orient ancien la justice apparaît comme une valeur absolue, une sorte de divinité, un principe cosmique d’équilibre et de bonheur.

Le roi est juste lorsqu’il intervient pour venir au secours des plus faibles, des pauvres qui n’ont personne pour faire respecter leurs droits. La justice est alors un combat contre le désordre du monde, elle doit permettre à chacun d’occuper la place qui lui est due, un espace de vie, sa dignité d’être humain. Elle est donc moins conformité à une norme qu’une plénitude d’être, elle connote une idée de plénitude et d’abondance, de vie heureuse où tout est à sa place et où rien ne manque. Elle peut alors être synonyme de salut et de grâce, comme l’ont bien perçu les psalmistes lorsqu’ils crient : « YHWH délivre-moi dans ta justice » (‘Ps 31, 2).

La justice biblique a donc une dimension relationnelle et sociale, elle se définit par un type de relation dans laquelle on s’engage vis-à-vis de l’autre, afin de lui permettre de devenir lui-même et de s’épanouir dans le bonheur communautaire. » Et elle ajoute cette remarque capitale: « La justice, comme l’alliance, n’est pas une relation à deux termes: Dieu et le croyant (peuple ou individu), mais à trois termes : Dieu, le peuple des croyants et les victimes de l’injustice quelles qu’elles soient. La justice dans la Bible ne se réduit donc pas à la justice sociale, mais cette dernière en est un élément primordial. »[5]

Dans le Nouveau testament, les questions économiques et sociales « ne sont pas au premier plan ». Même si « On a prétendu que, dans des paraboles comme celle des ouvriers de la onzième heure (Mt 20, 1-16) ou celle des talents (Mt 25, 14-30), Jésus donnait des principes concernant les salaires (soit très égalitaires, soit au contraire très méritocratiques !), (…) cela est fort douteux, et ces paraboles sont plutôt des moyens de faire comprendre ce qu’il avait à dire sur les rapports de Dieu et de l’humanité. »⁠[6]. Qui plus est, Jésus met si souvent en garde contre les richesses et l’argent que les chrétiens se méfieront longtemps, par exemple, des activités commerciales. Mais, le simple souci de survie amènera l’Église à se pencher sur des questions économiques. Nous l’avons vu chez saint Thomas notamment qui étudiera les problèmes de la propriété et du juste prix et nous le verrons chez les théologiens qui, depuis les Pères de l’Église, ont réfléchi sur la question de l’usure.

Peu à peu, l’économie va se dégager de cette influence religieuse. Non seulement parce que la société se sécularise mais aussi parce que l’économie devient de plus en plus complexe. Des théories économiques voient le jour et le pouvoir politique prend son autonomie.

C’est dans ce contexte nouveau que l’Église va devoir reprendre la parole, au XIXe siècle, interpellée par les enjeux profondément humains de la situation.


1. Vocabulaire de théologie biblique (VTB), Cerf, 1970, col. 667-674.
2. 2 S 8, 15.
3. Cf. GILBERT Maurice, Riches et pauvres, Réflexions des sages de la Bible, in Bible et économie, Presses universitaires de Namur, 2003, p. 19. Le P. M. Gilbert sj fut recteur des Facultés N.-D. De la Paix à Namur, professeur à l’Institut biblique de Rome et à l’Ecole biblique de Jérusalem.
4. Jb 29, 12-17.
5. FERRY Joëlle, Y a-t-il une justice économique chez les Prophètes ?. in Bible et économie, op. cit., p. 42. J. Ferry est bibliste, professeur à l’Institut catholique de Paris.
6. Lacoste, p. 365.