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v. L’importance du facteur humain

Nous l’avons déjà vu, au XIXe siècle, dans la société anonyme, société de choses, on a estompé la responsabilité des personnes.

Par contre, la montée du thème de la participation dans l’enseignement de l’Église nous montre, une fois de plus, que c’est la personne qui est au centre des préoccupations de l’Église, quel que soit le contexte particulier où la vie humaine se développe. Comme l’a écrit Jean XXIII, « la justice doit être observée non seulement dans la répartition des richesses, mais aussi au regard des entreprises où se développent les processus de production. Il est inscrit, en effet, dans la nature des hommes qu’ils aient la possibilité d’engager leur responsabilité et de se perfectionner eux-mêmes, là où ils exercent leur activité productrice.

C’est pourquoi si les structures, le fonctionnement, les ambiances d’un système économique sont de nature à compromettre la dignité humaine de ceux qui s’y emploient, d’émousser systématiquement leur sens des responsabilités, de faire obstacle à l’expression de leur initiative personnelle, pareil système économique est injuste, même si, par hypothèse, les richesses qu’il produit atteignent un niveau élevé, et sont réparties suivant les règles de la justice et de l’équité. »[1]

Dans le même esprit, l’enseignement de l’Église va souligner les responsabilités personnelles de l’entrepreneur surtout à une époque et dans des structures où employés et employeurs étaient directement face à face..

Au XIXe siècle, le rôle du patron est capital dans la gestion humaine de l’entreprise et c’est pourquoi Léon XIII va longuement énumérer les devoirs qui orientent sa volonté. L’un des premiers est évidemment, comme nous l’avons vu, de verser le juste salaire. A cette occasion, le Souverain Pontife développera longuement, avec saint Thomas, l’enseignement traditionnel de l’Église sur le bon usage des richesses, inspiré par l’amitié et plus encore par l’amour fraternel.

C’est cet amour fraternel qui incitera le patron, par ailleurs, à créer le climat moral de l’entreprise:

« Quant aux riches et aux patrons, ils ne doivent point traiter l’ouvrier en esclave ; il est juste qu’ils respectent en lui la dignité de l’homme, relevée encore par celle du chrétien. (…)

Ce qui est honteux et inhumain, c’est d’user de l’homme comme d’un vil instrument de lucre, de ne l’estimer qu’en proportion de la vigueur de ses bras. (…)

Aux patrons il revient de veiller à ce que l’ouvrier ait un temps suffisant à consacrer à la piété ; qu’il ne soit point livré à la séduction et aux sollicitations corruptrices ; que rien ne vienne affaiblir en lui l’esprit de famille ni les habitudes d’économie. Il est encore défendu aux patrons d’imposer à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe. (…)

Enfin, les riches doivent s’interdire religieusement tout acte violent, toute fraude, toute manœuvre usuraire qui serait de nature à porter atteinte à l’épargne du pauvre, d’autant plus que celui-ci est moins apte à se défendre, et que son avoir est plus sacré parce que plus modique. »[2]

Pie XI, on le sait, s’attardera au rôle de l’État et des organisations professionnelle qui seront les gardiens et les artisans de la justice et juguleront les volontés de puissance mais il ne néglige pas pour autant le facteur humain qui est finalement déterminant. Ainsi interpelle-t-il les patrons catholiques qui ont empêché la lecture de Qudragesimo anno, en leur rappelant que « la charité chrétienne exige la reconnaissance de certains droits qui appartiennent à l’ouvrier »[3]

Dans cette encyclique, il écrivait que les hommes doivent « tenir compte non seulement de leur avantage personnel, mais de l’intérêt de la communauté », toute propriété étant individuelle et sociale⁠[4] : « L’homme n’est pas non plus autorisé à disposer au gré de son caprice de ses revenus disponibles, c’est-à-dire des revenus qui ne sont pas indispensables à l’entretien d’une existence convenable et digne de son rang. Bien au contraire, un très grave précepte enjoint aux riches de pratiquer l’aumône et d’exercer la bienfaisance et la magnificence (…). »⁠[5]

Après la seconde guerre mondiale, indépendamment des progrès réalisés au niveau des lois et des réglementations touchant au travail, le patron continue à avoir une influence capitale sur le climat de l’entreprise. C’est pourquoi, à plusieurs reprises, Pie XII décrira le patron idéal, « les qualités du véritable chef ». Il doit avoir « avec les qualités intellectuelles les plus variées, un caractère fort et souple et, surtout, un sens moral ouvert et généreux. On attend aussi spécialement du chef d’entreprise un intense désir de vrai progrès social ». Parfois « un attachement exagéré aux avantages économiques trouble plus ou moins largement la prise de conscience du déséquilibre et de l’injustice de certaines conditions de vie ». C’est du patron « que dépend, en premier lieu, l’esprit qui anime ses employés. Si l’on note chez lui le souci de placer l’intérêt de tous au-dessus de l’avantage individuel, il lui sera bien plus facile d’entretenir cette disposition des subordonnés. Ceux-ci comprendront sans peine que le chef, auquel ils se soumettent, n’entend pas réaliser des gains injustes à leurs frais, ni profiter au maximum de leur travail, mais que, au contraire, en leur fournissant des moyens pour leur entretien et celui de leurs familles, il leur donne également la possibilité de perfectionner leurs capacités, de faire une œuvre utile et bienfaisante, de contribuer autant qu’il leur est permis au service de la société et à son élévation économique et morale. Alors, au lieu d’un sentiment déprimant de désillusion, au lieu d’attitudes de revendication, s’établira une atmosphère d’entrain, de spontanéité, de contribution volontaire à l’amélioration d’une communauté de travail, devenue intéressante, compréhensive, constructive. Quand une fabrique, un atelier a créé un tel esprit, le travail reprend toute sa signification, toute sa noblesse ; il devient plus humain, il se rapproche davantage de Dieu. »[6]

Très soucieux des relations humaines dans l’entreprise, il rappellera encore que le contrat de travail engage les employeurs envers les employés « car ils demandent à ceux-ci le meilleur de leur temps et de leurs forces. Ce n’est donc pas seulement un travailleur que l’on embauche et auquel on achète son travail ; c’est un homme, un membre de la société humaine qui vient collaborer au bien de cette même société dans l’industrie en question ». Et « si l’intérêt des employeurs est de traiter leurs employés en hommes, ils ne sauraient se contenter de considérations utilitaires : la productivité n’st pas une fin en soi. Chaque homme au contraire représente une valeur transcendante et absolue (…) »⁠[7]

En définitive, le patron a quatre responsabilités.

Une responsabilité vis-à-vis de l’entreprise qui doit bien fonctionner. Une responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de la communauté car « …​une entreprise ne saurait être menée indépendamment des conditions générales de l’économie et son chef assume de ce fait des responsabilités plus larges et non moins importantes, au service du bien commun de la nation » ; de ses décisions « peuvent dépendre la vitalité économique et la paix sociale du pays ». Une responsabilité vis-à-vis des employés, de leurs « conditions de travail matérielles et morales » ; le bon climat dépend de « la fréquence et (des) qualités humaines des relations du patron » qui « multiplier les contacts loyaux » avec tous ses collaborateurs. Enfin, une responsabilité devant Dieu, celle « de donner aux membres de son entreprise des conditions de vie et de travail qui rendent possibles à tous l’attachement au christianisme et la libre pratique de leurs devoirs religieux. »[8]

Plus précisément encore et vis-à-vis des travailleurs, « une plus grande sensibilité sociale est (…) réclamée de la part des catégories directement responsables, dans le but d’améliorer les anciennes formules de rétribution et de faire participer de plus en plus, à la vie, aux responsabilités et aux fruits proportionnels de l’entreprise, les travailleurs, qui doivent s’exposer à des risques si sérieux sur le champ du travail, comme malheureusement, on en a fréquemment la preuve douloureuse. »[9]


1. MM 84-85.
2. RN, in Marmy 450-457.
3. DR, in Marmy 172.
4. QA, in Marmy 553.
5. QA, in Marmy 555.
6. Discours au premier congrès italien de la petite entreprise, 20-1-1956.
7. Discours sur les relations humaines dans l’industrie, 4-2-1956.
8. Au nom du Saint-Père, Lettre de Mgr Dell’Acqua, substitut à la secrétairerie d’État pour les Assises nationales du Centre français du patronat chrétien, 8-3-1956.
9. Au nom du Saint-Père, Lettre de Mgr Dell’Acqua, à l’occasion de la Semaine sociale des catholiques d’Italie, 22-9-1956.

⁢a. Jean XXIII et le Concile

Nous l’avons vu, Jean XXIII et le Concile se sont attachés à promouvoir la participation et on ne trouve plus d’adresse directe aux patrons mais simplement l’affirmation renouvelée du droit de propriété qu’il faut diffuser largement mais qui a, par nature, une fonction sociale.

Si l’on parle désormais davantage de participation, si Jean XXIII et le Concile insistent « plus sur la liberté de l’ouvrier que sur celle du propriétaire »[1], c’est non seulement parce que l’expression et la croissance de la personne réclament la participation mais aussi pour une raison historique.

Pie XII jugeait « tout à fait accessoire » l’ouverture que Pie XI offrait à une forme ou l’autre de contrat de société. Jean XXIII, au contraire, donne beaucoup d’importance à cette idée⁠[2].

On peut considérer que l’essentiel a été dit à propos du rôle personnel de l’employeur alors qu’il fallait poursuivre la réflexion sur l’engagement des travailleurs au sein de l’entreprise, réflexion que Pie XII avait abordée mais qui devait être clarifiée et précisée dans un contexte qui avait évolué.

On peut aussi peut-être tenir compte d’un autre facteur. De plus en plus, les décisions économiques concernant la production, la consommation, les prix, les salaires, les investissements, les importations, etc., ne dépendent plus simplement d’une personne ou d’un petit groupe bien identifiable mais « d’une pluralité de centres qui interfèrent d’une manière très diverse dans la décision »[3]. Toutefois, l’entreprise est le seul centre qui, dans la production, « porte la responsabilité financière de ses décisions, parce qu’elle est le seul qui soit soumis aux risques de faillite ou de liquidation (…). Il n’y a pas de procédure de faillite, ni pour un organisme professionnel, ni pour un syndicat » même s’ils peuvent encourir des sanctions pénales pour des délits civils.⁠[4]

Mais que signifie exactement l’expression « l’entreprise porte la responsabilité financière de ses décisions » ? N’est-ce pas simplement la « patron » ? Si l’on répond positivement à cette question, on prolonge et accentue le vieux conflit entre le capital et le travail. Or tout l’enseignement de l’Église et finalement le bon sens nous indiquent que la solidarité entre le capital et le travail doit se substituer à la dichotomie trop habituelle⁠[5]. Solidarité et donc responsabilité commune. La participation des travailleurs à la propriété de leur entreprise, souhaitée par Jean XXIII⁠[6], participation qui exprime la solidarité, entraîne une commune responsabilité. Certes, avons-nous vu, il faut « sauvegarder l’autorité et l’efficacité nécessaires de l’unité de direction »[7] mais, aux yeux de Jean XXII, la responsabilisation de tous est un droit et un devoir⁠[8] : il faut trouver « les structures d’un système économique qui répondent le mieux à la dignité de l’homme et soient le plus aptes à développer en lui le sens des responsabilités. »[9]

Cette solidarité au sein de l’entreprise et en dehors est d’autant plus nécessaire que les centres de décisions se diversifient. Il apparaît plus que jamais important que l’entreprise parle d’une seule voix pour mieux résister aux centres de décision éloignés et puisse s’y faire entendre.

Il va sans dire que la philosophie du « patron » doit s’adapter à cette exigence. Et ce n’est pas pure utopie puisque nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer non seulement la rencontre de Bochum où patrons et ouvriers parlaient d’une même voix pour réclamer la cogestion mais aussi quelques expériences au sein d’entreprises d’avant-garde pourrait-on dire où sans verser dans la démagogie, le cadre ou le directeur ont conscience et volonté de s’inscrire dans une vraie communauté de personnes.⁠[10] Entreprises privées, publiques ou collectives ?

Jusqu’à présent, nous avons vu que l’enseignement de l’Église était très attaché, aux conditions dites, à la propriété privée et donc à l’entreprise privée, expressions de la liberté d’initiative.

Est-ce à dire que cet enseignement exclut tout autre forme d’entreprise ?

Léon XIII, nous le savons, réagit dans Rerum novarum contre le danger du socialisme. C’est dans ce contexte historique qu’il prend la défense de la propriété privée : la « conversion de la propriété privée en propriété collective, préconisée par le socialisme, n’aurait d’autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant, par le fait même, tout espoir et toute possibilité d’agrandir leur patrimoine et d’améliorer leur situation »[11]. Le désir du Saint-Père est que, par son salaire, l’ouvrier puisse, à son tour, accéder à la propriété mobilière et immobilière. Dès lors, «  la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier, comme préjudiciable à ceux-là mêmes qu’on veut secourir, contraire au droit naturel des individus, comme dénaturant les fonctions de l’État et troublant la tranquillité publique »[12]. Il s’agit bien de « la théorie socialiste de la propriété », théorie dans laquelle « le talent et l’esprit d’initiative personnels étant privés de leurs stimulants, la richesse par une conséquence nécessaire, serait tarie dans sa source même » ; théorie fondée sur un « asservissement tyrannique et odieux des citoyens » et imprégné d’égalitarisme : « le mythe tant caressé de l’égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu’un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité. »[13]

La menace du collectivisme et de l’étatisme va aussi pousser Pie XI à défendre la propriété privée. Dans la mesure où l’État «  se voit accablé sous une quantité à peu près infinie de charges et de responsabilités », Pie XI établit fermement le principe de subsidiarité⁠[14] mais il reconnaît qu’« il y a certaines catégories de biens pour lesquels on peut soutenir avec raison qu’ils doivent être réservés à la collectivité, lorsqu’ils viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains des personnes privées. »[15] Pie XI, en effet, s’est rendu compte que, dans les sociétés libérales, de grandes puissances économiques et financières constituaient elles aussi une menace pour la liberté des individus et l’initiative privée⁠[16]. Ce passage de Quadragesimo anno sera repris par les Pontifes suivants.

Pie XII qui a, en de très nombreuses occasions, rencontré des groupes d’hommes au travail, tout en maintenant la doctrine traditionnelle sur la propriété privée, évoquera la possibilité de différentes formes de propriété.

Sur un plan théorique tout d’abord, il rappellera que le devoir de travailler et « le droit correspondant au travail sont imposés et accordés à l’individu en première instance par la nature, et non par la société, comme si l’homme n’était qu’un simple serviteur ou fonctionnaire de la communauté. d’où il suit que le devoir et le droit d’organiser le travail du peuple appartiennent avant tout à ceux qui y sont immédiatement intéressés : employeurs et ouvriers. Que si, ensuite, eux ne remplissent pas leur tâche, ou ne peuvent le faire par suite de spéciales circonstances extraordinaires, alors il rentre dans les attributions de l’État d’intervenir sur ce terrain, dans la division et la distribution du travail, sous la forme et dans la mesure que demande le bien commun justement compris. »[17] Priorité donc à l’initiative privée et subsidiarité de l’État.

Toutefois, « les associations catholiques acceptent la socialisation[18] seulement dans le cas où elle apparaît réellement une requête du bien commun, c’est-à-dire comme l’unique moyen vraiment efficace pour remédier à un abus et éviter un gaspillage des forces productrices du pays, pour assurer l’ordonnance organique de ces mêmes forces, pour les diriger à l’avantage des intérêts économiques de la nation. »Il est bien entendu que « la socialisation implique dans tous les cas l’obligation d’une indemnité convenable, c’est-à-dire calculée d’après ce que les circonstances concrètes suggèrent comme juste et équitable pour les intéressés. »[19]

Au lendemain de la guerre, Pie XII prend acte du fait que « pour le moment, la faveur va de préférence à l’étatisation ou à la nationalisation des entreprises.

Il n’est pas douteux que l’Église aussi - dans certaines limites - admet l’étatisation et juge que « l’on peut légitimement réserver aux pouvoirs publics certaines catégories de biens, ceux-là qui présentent une telle puissance qu’on ne saurait, sans mettre en péril le bien commun, les abandonner aux mains des particuliers (QA).

Mais faire de cette étatisation comme la règle normale de l’organisation publique de l’économie serait renverser l’ordre des choses. La mission du droit public est, en effet, de servir le droit privé, non de l’absorber. L’économie - pas plus d’ailleurs qu’aucune autre branche de l’activité humaine - n’est de sa nature une institution d’État ; elle est, à l’inverse, le produit vivant de la libre initiative des individus et de leurs groupements constitués. »

Dans son projet d’économie sociale, Pie XII propose d’autres formules et, nous l’avons vu dans sa défense des droits du propriétaire, il envisage « que l’entreprise soit constituée sous forme de fondation ou d’association de tous les ouvriers comme copropriétaires, ou bien qu’elle soit propriété privée, d’un individu qui signe avec tous ses ouvriers un contrat de travail ». Et il répète : « Le propriétaire des moyens de production, quel qu’il soit - propriétaire particulier, association d’ouvriers, ou fondation »[20].

Dans sa Lettre à Mr Charles Flory, président des Semaines sociales de France à Strasbourg, le 10 juillet 1946, au lieu de l’ »égoïsme collectif » et de l’ »étatisme omnipotent », le pape préconise « un esprit communautaire de bon aloi ». La nationalisation « même quand elle est licite », précise Pie XII, risque d’« accentuer » « le caractère mécanique de la vie et du travail en commun » et rend « fort sujet à caution » « le profit qu’elle apporte au bénéfice d’une vraie communauté ». En lieu et place, Pie XII recommande « l’institution d’associations ou unités coopératives »[21] plus avantageuses sur le plan humain et « en même temps au meilleur rendement des entreprises », tout en souhaitant, comme ses prédécesseurs, « la forme corporative de la vie sociale ». Pie XII fera l’éloge des coopératives en déclarant que leurs principes « sont ceux-là même de la doctrine sociale chrétienne » et qu’ « elles maintiennent en éveil leur sens du bien commun, de leurs responsabilités sociales, et démontrent par leur activité les bénéfices de la collaboration intelligente et son pouvoir stimulant. » ⁠[22]

Soucieux aussi de diffuser la propriété privée, Jean XXIII « n’exclut évidemment pas que l’État et les établissements publics détiennent, eux aussi, en propriété légitime, des biens de production, et spécialement lorsque ceux-ci « en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains des personnes privées. »(QA)

Notre temps marque une tendance à l’expansion de la propriété publique: État et collectivités. Le fait s’explique par les attributions plus étendues que le bien commun confère aux pouvoirs publics. Cependant il convient, ici encore, de se conformer au principe de subsidiarité (…). Aussi bien l’État et les Etablissements de droit public ne doivent étendre leur domaine que dans les limites évidemment exigées par des raisons de bien commun, nullement à seule fin de réduire, pire encore, de supprimer la propriété privée.

Il convient de retenir que les initiatives d’ordre économique, qui appartiennent à l’État ou aux établissements publics, doivent être confiées à des personnes qui unissent à une compétence éprouvée, un sens aigu de leur responsabilité devant le pays. De plus, leur activité doit être objet d’un contrôle attentif et constant, ne serait-ce que pour éviter la formation, aus ein de l’État, de noyaux de puissance économique au préjudice du bien de la communauté, qui est pourtant leur raison d’être. »[23]

Vatican II synthétisera l’essentiel de ce qui a été dit jusqu’à présent: « la légitimité de la propriété privée ne fait toutefois pas obstacle à celle de divers modes de propriétés publiques, à condition que le transfert des biens au domaine public soit effectué par la seule autorité compétente, selon les exigences du bien commun, dans les limites de celui-ci et au prix d’une indemnisation équitable. L’État a, par ailleurs, compétence pour empêcher qu’on abuse de la propriété privée contrairement au bien commun »[24]

Fort de cette doctrine dont la source remonte à l’Évangile⁠[25] et aux rudes interpellations lancées aux riches par les Pères de l’Église, Paul VI écrira que « le bien commun exige parfois l’expropriation si, du fait de leur étendue, de leur exploitation faible ou nulle, de la misère qui en résulte pour les populations, du dommage considérable porté aux intérêts du pays, certains domaines font obstacle à la prospérité collective. »[26]

Au moment du Concile, le P. Bigo a tenté de rassembler d’une manière cohérente toute la réflexion accumulée par les souverains Pontifes depuis Léon XIII⁠[27].

Dans l’enseignement de l’Église, l’entreprise est une société de personnes, « les unes travaillant, les autres apportant les instruments de production ». Cette communauté est volontaire, elle se construit sur un contrat librement consenti entre le travail - sa représentation syndicale - et le capital. Il y a nécessairement tension entre les deux parties mais la « conciliation reste indispensable ». Le contrat fonde l’autorité dans l’entreprise selon le droit privé.

L’entreprise est une communauté de production dont le produit commun est réparti selon la justice commutative : « chacun y reçoit selon son apport ».⁠[28]

L’entreprise est une communauté de travail qui rend un service à la société⁠[29]. Elle doit donc en respecter la loi: « à côté des éléments contractuels essentiels, il y a donc dans l’entreprise des éléments institutionnels non moins essentiels, qui échappent par nature à la volonté des parties et s’imposent aux conventions ». Comme éléments institutionnels, on citera d’abord « l’attribution à chaque salarié d’un salaire prioritaire et de sa part du produit commun », mais aussi l’information et la consultation nécessaires à la participation et à la responsabilisation des salariés. Sont contractuelles « les formes et les modes de cette participation aux bénéfices, à la gestion et à la propriété ». Il est bien entendu que « les conventions collectives de branches de production et la loi pourront consacrer, dans certains cas, les expériences qui se seront avérées concluantes, dans une industrie ou même dans toute l’industrie ».


1. BIGO P., La doctrine sociale de l’Église, PUF, 1966, p. 398.
2. Jean XXIII par contre insiste moins sur les corporations telles qu’elles étaient évoquées notamment par Léon XIII et Pie XI mais aussi par Pie XII, organisations professionnelles qui pouvaient être mixtes et donc associer patrons et travailleurs. Il les suppose mais ne s’y attarde pas autant que ses prédécesseurs.
3. BIGO P. op. cit., pp. 383-384.
4. Id., p. 384.
5. « Il faut renouer les liens naturels qui attachent l’ouvrier à son œuvre, et qui l’associent à l’entreprise - si l’on veut mettre fin au conflit paralysant né de la dissociation de la propriété et du travail » (BIGO P., op. cit., p. 392). Et Pie XII ne craignait pas d’affirmer : « Erroné et funeste en ses conséquences est le préjugé, malheureusement trop répandu, qui voit en elle (la production industrielle) une opposition irréductible d’intérêts divergents. L’opposition n’est qu’apparente. Dans le domaine économique, il y a communauté d’activité et d’intérêts entre chefs d’entreprises et ouvriers. Méconnaître ce lien réciproque, travailler _ le briser, ne peut être que le fait d’une prétention de despotisme aveugle et déraisonnable. Chefs d’entreprises et ouvriers ne sont pas antagonistes inconciliables. » (Discours à l’UNIAPAC, 7-5-1949). Plus nettement encore, Pie XII écrivait, à la fin de la guerre : « Il est temps de laisser là les phrases creuses et de songer, avec l’encyclique Quadragesimo anno, à une nouvelle organisation des forces productives du peuple. C’est-à-dire qu’au-dessus de la distinction entre employeurs et employés, les hommes doivent savoir discerner et reconnaître cette plus haute unité qui unit entre eux tous ceux qui collaborent à la production, Nous voulons dire leur entente et leur solidarité dans le devoir de pourvoir qu’ils ont ensemble et de manière durable, au bien commun et aux besoins de la communauté tout entière. Que cette solidarité s’étende à toutes les branches de la production, qu’elle devienne le fondement d’un ordre économique meilleur, d’une saine et juste autonomie, qu’elle ménage aux classes laborieuses, par des voies légitimes, l’accès à leur part de responsabilité dans la gestion de l’économie nationale ! De cette manière, grâce à cette harmonieuse coordination et coopération, à cette union plus intime du travail et des autres facteurs de la vie économique, le travailleur arrivera à tirer de son activité un gain assuré et suffisant à sa subsistance et à celle de sa famille, une véritable satisfaction pour son cœur et un puissant stimulant pour son perfectionnement. » (Allocution aux travailleurs chrétiens d’Italie, 11-3-1945).
6. « On ne gagnera son concours dans le travail qu’en l’(l’ouvrier) associant progressivement à la propriété même de son outil et de son œuvre » (BIGO P., op. cit., p. 393).
7. MM 94.
8. Cf. MM 84-85 et BIGO P., op. cit., p. 399.
9. MM 86.
10. Très concrètement, un cadre précise l’enjeu : « La recherche de l’égalitarisme, que généreusement certains confondent avec la lutte contre l’injustice, ne peut en rien s’identifier avec celle-ci et (…) apparaît contraire à la réalité profonde du monde, qui est de diversité, de démesure et de particularisme. Pire, elle prend le risque de stéréotyper les individus dans leurs aptitudes et leurs comportements. Que de frustrations et d’injustices peuvent en découler ! (…) « Les cibles à détruire sont claires : l’excès des inégalités d’abord, parce qu’il engendre les privilèges et la « supériorité », ensuite ses corollaires, l’envie et la méfiance qui entretiennent, par des formes sans cesse renouvelées, au fur et à mesure que sont contraintes de disparaître celles devenues trop criardes, une distance globale entre les hommes.
   Au niveau de l’avoir (…), les écarts de salaire, plus de revenu, encore plus de patrimoine, sont excessifs et déclenchent des phénomènes cumulatifs. Si des écarts peuvent se justifier par la différence des responsabilités et des apports dans la vie économique et sociale, ils ne doivent pas entraîner, ce qui hélas le cas aujourd’hui, un modèle dominant de niveau de vie auquel la majorité n’a pas accès, cause profonde de frustration, d’envie, de révolte.
   Lees excès du pouvoir et du savoir s’incarnent dans l’autoritarisme et l’arrogance. Dans beaucoup d’entreprises, il y a ceux qui pensent et ceux qui exécutent, ceux qui écoutent et ceux que l’on écoute. Ce sont les mêmes qui savent, qui pensent, que l’on écoute, les autres n’ont plus la latitude, les moyens de relever la tête. Souvent les procédures participatives mises en place reviennent en fait à déplacer quelque peu la frontière entre les deux catégories sans changement fondamental dans le principe dichotomique. L’homme écrasé, dominé, au fond de lui-même ulcéré de cette absence de considération, de reconnaissance, de mise en valeur de ce qu’il peut être, n’a d’autre issue souvent que de se replier sur lui-même, ou de s’oublier dans le vice, l’alcool, le jeu (la société l’y encourage même : loto, tiercé…​), ou de se raccrocher à des slogans simplificateurs correspondant au niveau intellectuel qu’il a pris l’habitude de mobiliser, promettant réhabilitation et vengeance et ouvrant, par la voie du militantisme, l’accès à l’initiative.
   Tout ce qui permettra de diminuer la « distance » entre les hommes, tout ce qui favorisera la possibilité pour chacun d’être écouté, accepté comme un autre spécifique et différent, s’attaquera à l’injustice. Comme dans la vie politique, il est, dans la vie de l’entreprise, de multiples manières, souvent aussi discrètes qu’efficaces, de participer à ce combat (…),. »(75-76) (FLINOIS Jean-Luc, Qui ose aujourd’hui parler de justice ? L’expérience d’un cadre, in Communio, III, 2, mars 1978, pp. 73, 75-76. J.-L. Flinois fut directeur commercial des marchandises à la SNCF).
   Et un dirigeant confirme en présentant ce qu’il appelle les « trois grands commandements de la justice »:
   « Premièrement, il n’est jamais permis de rien « lâcher » de son pouvoir, même s’il est considérable ; mais il est recommandé de consentir à le partager, d’accepter des contre-pouvoirs, ou pire encore de les susciter, d’organiser à soi-même la contradiction, en un mot de dépenser toute l’énergie et toute l’activité possibles, pour que les « sujets », même s’ils n’en ont spontanément aucune envie, s’affranchissent de leur sujétion pour devenir responsables. Il ne faut pas croire en effet que partager son pouvoir soit chose facile. C’est une tâche qui exige la patience, mais aussi l’autorité et la ruse, car le despotisme dans l’entreprise tient bien plus, dans la plupart des cas, à l’inertie qu’à la volonté de puissance du dirigeant ». (…) « Qui ne peut rien ne comprend rien (…) et l’accomplissement de la justice suppose le partage de la connaissance qui suppose le partage du pouvoir. (…)
   Deuxièmement, au moment des grands choix, et même des petits, il ne faut rien oublier, aucun chiffre, aucun raisonnement, mais surtout aucune des personnes en cause » et notamment il faut tenir compte des mérites et des dons individuels.  »Cette attention permanente que l’on doit porter aux personnes, à travers les masques fonctionnels que leur impose la société, suppose que la tunique du technocrate n’ait pas collé à votre peau, en d’autres termes, que vous ayez pris soin, dans votre attitude quotidienne, votre vocabulaire, vos distractions et vos relations, de rester semblable aux autres hommes : détails extérieurs - dira-t-on - mais qui ne sont pas innocents, car rien n’est plus aisé, le conformisme de caste et le snobisme aidant, de se constituer un personnage qui se substitue à votre âme et vous empêche à tout jamais de rejoindre votre prochain. (…)
   Enfin, il faut accepter l’idée que les choses peuvent changer et que les dirigeants d’aujourd’hui n’ont pas seuls vocation à les faire changer ». (FAUROUX Roger, « Une justice qui vient de Lui seul », Le témoignage d’un dirigeant, in Communio, III, 2, mars 1978 pp. 80-83. R. Fauroux fut Président-Directeur Général de Saint-Gobain Industries).
11. RN, in Marmy 436.
12. RN, in Marmy 445.
13. RN, in Marmy 444.
14. QA, in Marmy 572.
15. QA, in Marmy 594.
16. Pie XII dira que la « démocratisation de l’économie (..) n’est pas moins menacée par le monopole ou encore par le despotisme économique d’une coalition anonyme de capitaux privés que par l’hégémonie des masses organisées et disposées à user de leur force au préjudice de la justice et du droit d’autrui. » (Allocution aux travailleurs chrétiens d’Italie, 11-3-1945).
17. Radio-message, La Solennità, 1-6-1941.
18. Le mot « socialisation » est ici synonyme de « nationalisation ». Un peu plus haut, dans le même discours, Pie XII lui-même évoque « ce qu’on appelle aujourd’hui nationalisation ou socialisation de l’entreprise ». De même, Pie XII ne fait aucune distinction entre nationalisation (cf. 10-7-1946) et étatisation (cf. 7-5-1949). P. Bigo approuve en faisant remarquer que « cette distinction n’a pas de contenu et qu’elle entretient l’illusion que l’on pourrait nationaliser une entreprise sans s’exposer aux inconvénients et aux risques d’une mainmise de l’État, hypothèse qui ne tient ni devant la réflexion, ni devant l’observation. » Même la décentralisation à la yougoslave (cf. infra) « ne permet pas par elle-même d’échapper à l’emprise de l’État sur toute l’existence sociale. » « La nationalisation est une étatisation, et elle en a tous les inconvénients. Elle ne peut être opérée que si la gestion privée a de plus grands inconvénients encore. » (Op. cit., p. 427). Notons aussi en passant que « la nationalisation ne supprime pas la dualité impliquée dans l’entreprise, et ne rend pas nécessairement plus aisée la conciliation entre le point de vue de l’œuvre et le point de vue de l’ouvrier. » (Id., p. 403). En effet, la nationalisation ne confère pas la propriété aux ouvriers mais, comme le mot l’indique, à la nation.
19. Allocution aux travailleurs chrétiens d’Italie, 11-3-1945.
20. Allocution à l’UNIAPAC, 7-5-49.
21. Le texte original dit « unités corporatives » mais il s’agit sans aucun doute d’une erreur typographique. En effet, l’année suivante (18-7-1947), dans sa lettre au même président des Semaines sociales de France, Charles Flory, Pie XII écrit : « La question qui (…) se posait en relation immédiate avec l’objet de la Semaine sociale de Strasbourg, était de savoir si la nationalisation offrait un moyen approprié de procurer à la nation l’union et l’esprit de communauté. Nous nous trouvions en présence de ce problème : développer le plus puissamment qu’il se pourrait les « unités » ou « sociétés coopératives », car c’est d’elles qu’il s’agissait, comme le contexte le faisait clairement voir. »
22. Allocution aux délégués des coopératives italiennes, 10-5-1956. Dans le même esprit, Pie XII se réjouira de l’extension d’un réseau de Caisses mutuelles (cf. Discours aux Mutuelles des cultivateurs directs d’Italie, 16-5-1957), saluera les dirigeants de sociétés d’habitations à bon marché, « qui ne sont pas des organisations de l’Assistance publique » (Discours du 21-11-1953).
23. MM, 116-118.
24. GS 71, § 4. A propos des latifundia, le Concile prévoit qu’on peut même faire des réformes visant « à répartir les propriétés insuffisamment cultivées au bénéfice d’hommes capables de les faire valoir » (Id., § 6).
25. Cf. 1 Jn 3, 17: « Si quelqu’un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? »
26. PP 24. Paul VI continue : « En l’affirmant avec netteté, le Concile a rappelé aussi non moins clairement que le revenu disponible n’est pas abandonné au libre caprice des hommes et que les spéculations égoïstes doivent être bannies. On ne saurait dès lors admettre que des citoyens pourvus de revenus abondants, provenant des ressources et de l’activité nationales, en transfèrent une part considérable à l’étranger pour leur seul avantage personnel, sans souci du tort évident qu’ils font par là subir à leur patrie. »
27. BIGO P., op. cit., pp. 400-412.
28. Dans « une communauté de vie, (…) chacun recevrait comme membre une part égale » (BIGO P., p. 401).
29. Cette notion de service est importante car c’est lui qui motive l’emploi. Le licenciement ne peut se justifier que dans la mesure où le service n’est plus assuré. Il doit s’accompagner bien sûr d’un souci de reclassement et de recyclage. L’autorité est elle-même mesurée par le service à rendre.

⁢b. Une actualisation par Jean-Paul II

Nous avons déjà eu l’occasion d’étudier la conception que Jean-Paul II se fait du travail et nous savons que son souci est « de souligner et mettre en relief le primat de l’homme dans le processus de production, le primat de l’homme par rapport aux choses. »[1] On peut donc tenter de synthétiser sa pensée à partir des droits et devoirs et donc des responsabilités des différents acteurs.


1. LE 12.

⁢c. Responsabilité de l’employeur

Le pouvoir et la responsabilité de l’employeur vis-à-vis des travailleurs constituent aujourd’hui un problème complexe. En effet, il faut tenir compter, dans le monde contemporain de la présence de deux types d’employeurs : l’employeur direct et l’employeur indirect.

Par ces expressions, Jean-Paul II désigne, d’une part, « la personne ou l’institution avec lesquelles le travailleur conclut directement le contrat de travail selon des conditions déterminées (…) ».⁠[1] Et, d’autre part, « les personnes, les institutions de divers types, comme aussi les conventions collectives de travail et les principes de comportement, qui, établis par ces personnes et institutions, déterminent tout le système socio-économique ou qui en découlent.  »⁠[2]

Ce concept peut être appliqué, avant tout, à l’État puisque c’est lui « qui doit mener une juste politique du travail ».⁠[3] Mais, aujourd’hui, comme les relations économiques s’internationalisent, des « dépendances réciproques » complexes influencent les États et finalement les travailleurs.

Même si la responsabilité de cet employeur -État, organisations internationales- est, bien sûr, indirecte, elle n’en est pas moins réelle notamment, nous l’avons vu, vis-à-vis de l’emploi. Bien d’autres tâches incombent à cet employeur. Nous y reviendrons plus tard.⁠[4] Rappelons ici l’essentiel : quel que soit le niveau de pouvoir ; que ce soit celui d’un ministère, d’une société multinationale ou transnationale, d’une structure politique internationale, « la prise en considération des droits objectifs du travailleur quel qu’en soit le type (…) doit constituer le critère adéquat et fondamental de la formation de toute l’économie, aussi bien à l’échelle de chaque société ou de chaque État qu’à celui de l’ensemble de la politique économique mondiale ainsi que des systèmes et des rapports internationaux qui en dérivent. »[5] Comme les valeurs subjectives l’emportent sur les valeurs objectives, le travail ne peut subir le poids des systèmes économiques et toute l’économie doit s’ordonner aux droits objectifs des travailleurs quelle que soit la situation dans laquelle elle se trouve⁠[6].

L’employeur direct occupe une place difficile dans la mesure où il est, d’une part, tributaire de ce que fait et décide l’employeur indirect et plus directement responsable du travailleur.

C’est pourquoi, comme ses prédécesseurs, Jean-Paul II a fait l’éloge des dirigeants d’entreprises pour leur esprit d’initiative au service du bien commun : « le degré de bien-être dont jouit aujourd’hui la société serait impensable sans la figure dynamique du chef d’entreprise qui a pour fonction d’organiser le travail humain et les moyens de production de manière à produire les biens et les services ».⁠[7]

Le chef d’entreprise n’est pas qu’un homme audacieux, compétent, efficace. Il est un homme à la conscience formée et solide qui doit éviter des tentations dangereuses : « la soif insatiable de gain, le profit facile et immoral, le gaspillage, la tentation du pouvoir et du plaisir, les ambitions démesurées, l’égoïsme effréné, le manque d’honnêteté dans les affaires et les injustices à l’égard des ouvriers. »[8]

Le chef d’entreprise est un héritier, il a « reçu l’ »héritage » d’un double patrimoine » : les ressources naturelles et les fruits du travail de ceux qui l’ont précédé⁠[9]. Ce double patrimoine est le patrimoine de tous et le chef d’entreprise en est responsable comme l’intendant de cet homme riche dont parle l’Évangile⁠[10]. L’« homme riche » c’est le Seigneur mais aussi, ajoute Jean-Paul II, les hommes « qui sont appelés à participer au patrimoine » que Dieu a confié au chef d’entreprise. C’est à eux aussi qu’il faut rendre compte. « Pensez, dit Jean-Paul II aux chefs d’entreprise, que tous ces biens, le poste de travail de tant d’hommes et de femmes, sont l’avenir de beaucoup de familles, sont les talents que vous avez à faire fructifier pour le bien de la communauté. »[11]

Si l’on constate historiquement une antinomie entre le capital et le travail, elle n’est pas naturelle ni inéluctable. Cette antinomie est « factice et illogique » et a souvent été « exaspérée artificiellement par une lutte des classes programmée »[12]. Capital et travail vivent associés indissolublement Le capital, les ressources du capital, le patrimoine évoqué, les moyens de production « ne sauraient être possédés contre le travail, et ne peuvent être non plus possédés pour posséder, parce que l’unique titre légitime à leur possession est qu’ils servent au travail et qu’en conséquence, en servant au travail, ils rendent possible la réalisation du premier principe de cet ordre qu’est la destination universelle des biens et le droit à leur usage commun. »[13]

Ceci rappelé, Jean-Paul II n’hésite pas à interpeller les « patrons »: « En ce sens, vous devez contribuer à ce que se multiplient les investissements productifs et les postes de travail, à ce que soient promues les formes adéquates de participation des travailleurs à la gestion et aux revenus de l’entreprise, et à ce que s’ouvrent des voies d’accès de tous à la propriété, comme base d’une société juste et solidaire ».⁠[14]

Le chef d’entreprise doit être solidaire. Il est, dans une mesure que nous allons préciser, solidaire avec le travailleurs et il doit être solidaire avec les autres chefs d’entreprise et avec « les autres secteurs de la communauté ».⁠[15] Jean-Paul II dira que le travail possède en lui-même « une force qui peut donner vie à une communauté : la solidarité. » Une triple solidarité : « La solidarité du travail qui se développe spontanément entre ceux qui partagent le même type d’activité ou de profession, pour embrasser, avec les intérêts des individus et des groupes, le bien commun de toute la société. La solidarité avec le travail, c’est-à-dire avec chaque homme qui travaille - en dépassant tout égoïsme de classe ou les intérêts politiques unilatéraux - prend en charge le drame du chômeur ou de celui qui est dans une situation difficile de travail. Finalement, la solidarité dans le travail : une solidarité sans frontières, parce qu’elle est fondée sur la nature du travail humain, c’est-à-dire sur la priorité de la personne humaine sur toute chose.

Une telle solidarité, ouverte, dynamique, universelle par nature, ne sera jamais négative ; une « solidarité contre », mais positive et constructive, « une solidarité pour », pour le travail, pour la justice, pour la paix, pour le bien-être et pour la vérité dans la vie sociale ».⁠[16]

Le chef d’entreprise est un pacificateur. Entre employeur indirect et travailleurs, plongé parfois dans une crise économique, il sera nécessairement confronté à des difficultés, à des conflits justifiés ou suscités. Aucun modèle d’entreprise n’élimine de soi les oppositions, ni le modèle familial où le patron est comme un père qui parle ne vertu de son âge et de son expérience, ni le modèle militaire, ni le modèle féodal où le patron, tel le suzerain vis-vis de ses vassaux, assure protection et aide aux salariés qui lui doivent fidélité, ni le modèle monacal de l’ancienne manufacture. Ces modèles sont aujourd’hui dépassés dans la mesure où l’ouvrier qui est souverain par le suffrage universel reste soumis dans des entreprises de ce type. Il est hasardeux de promouvoir d’une part la démocratie politique et de refuser toute démocratie économique⁠[17].

Le modèle social chrétien participatif est susceptible de réduire les risques de tension mais non de les supprimer car les intérêts conjugués ne coïncideront jamais. Toutefois, la solidarité interne organisée permettra au chef d’entreprise d’aborder les problèmes dans un esprit de paix. Il sait, en effet, que « …​ce n’est pas par les antagonismes ou la violence que les difficultés peuvent se résoudre ! ». Il n’aura pas à se demander : « Pourquoi ne pas rechercher des solutions entre les parties ? Pourquoi rejeter le dialogue patient et sincère ? Pourquoi ne pas recourir à la bonne volonté de l’écoute, au respect mutuel, à l’effort de recherche loyale et persévérante, en acceptant les accords, même partiels, mais toujours porteurs de nouvelles espérances ? »[18] Préparé par l’habitude de travailler ensemble, dans la transparence et le respect, le dialogue se nouera plus facilement aux heures de crise.

Le chef d’entreprise chrétien, est un collaborateur de Dieu. Au cœur des pires difficultés, il n’est jamais seul : « s’il y avait quelqu’un qui a perdu tout espoir dans l’édification de cette société plus juste que tous nous désirons, disons-lui avec force et amour que le système pour la solution des problèmes difficiles qui affectent l’homme existe certainement : c’est la rencontre avec Dieu, le Créateur qui continue de travailler par sa Providence dans la grande entreprise du monde et à laquelle il a voulu vous associer vous aussi comme ses collaborateurs.

Ainsi, pour dures que soient les difficultés, pour stériles que paraissent vos efforts, allez toujours de l’avant, en acceptant les défis des temps et, plus que la confiance mise ne votre capacité et en vos forces, rappelez-vous la consigne du Seigneur : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné de surcroît. » (Mt 6, 33)

Si vous savez, au milieu des difficultés, vous engager de façon magnanime pour le bien de tous par l’exercice de votre profession, si vous aimez concrètement Dieu et vos frères dans la gestion de vos entreprises, vous expérimenterez certainement l’amour de Dieu à votre égard, lui qui - comme l’écrit saint Paul - « fournira et multipliera votre semence et fera croître les fruits de votre justice » (2 Co 9, 10). Dieu accueille l’engagement et le récompense par de nouvelles bénédictions, avec des fruits qui deviendront visibles non seulement au ciel, mais aussi sur votre terre. »[19]

On se rend bien compte que le portrait de l’entrepreneur dessiné, notamment par Jean-Paul II s’éloigne du modèle autoritaire classique décidément obsolète⁠[20] comme il s’éloigne aussi du modèle proposé par F. W. Taylor. Selon ce promoteur de l’organisation scientifique du travail,⁠[21] c’est désormais l’ingénieur qui doit être le maître de l’entreprise. Puisqu’il connaît la meilleure manière de produire, « tous les participants à l’organisation - patrons et ouvriers - ne peuvent qu’être d’accord avec cette unique bonne façon de faire les choses ».⁠[22]

Certes, ce type de gestion est à l’origine de l’expansion industrielle moderne mais la « bureaucratie et la rationalité » qu’il a entraînées, ont incontestablement aliéné le travailleur, le rendant « étranger à son travail, à son entreprise, à lui-même ».⁠[23]

En accord avec le bon sens, l’Église sait que « diriger une organisation tient beaucoup plus du gouvernement des hommes que de l’administration des choses ».⁠[24] Les théoriciens et les gestionnaires s’en sont rendu compte après que le taylorisme ait révélé ses effets pervers. On a alors estimé qu’il fallait ajouter au leadership technique un leadership humain. On insista dès lors sur les « relations humaines » et plus particulièrement sur les aspirations et les motivations de l’homme au travail⁠[25], en oubliant l’organisation et en simplifiant la réalité psychologique⁠[26]. Dans cette perspective, le leader est encore dans une perspective utilitariste, soucieux de l’intérêt général alors que l’Église défend l’idée d’une autorité (pas seulement d’un pouvoir) au service du bien commun qui inclut certes l’intérêt général mais « vise la dignité de chacun indépendamment du résultat ».⁠[27]


1. LE 16.
2. LE 17.
3. Id..
4. Le rôle de l’État sera étudié dans le chapitre suivant et celui des organisations internationales plus loin.
5. LE 17.
6. Jean-Paul II va plus loin : « Dans les temps difficiles et durs pour tous - comme le sont les périodes de crise économique - on ne peut abandonner à leur sort les ouvriers surtout ceux qui - comme les pauvres et les immigrés - n’ont que leurs bras pour subsister. Il convient de toujours rappeler un principe important de la doctrine sociale chrétienne : « La hiérarchie des valeurs, le sens profond du travail exigent que le capital soit au service du travail et non le travail au service du capital » (LE 23) ». (Discours au monde du travail, Barcelone, 7-11-1982, in DC 5-12-1982, n° 1841, p. 1122).
7. Discours aux chefs d’entreprise de Milan, 22-5-1983, in DC 1983, n° 1855, p. 659. Cf. aussi CDSE 343-345.
8. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, 11-4-1987, in DC 24-5-1987, n° 1940, p. 530.
9. Id., p. 529.
10. « Il était un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le fit appeler et lui dit : « qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérér mes biens désormais. » » (Lc 16, 1-2).
11. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, id..
12. Discours au monde du travail, Barcelone, op. cit., p. 1121.
13. LE 14.
14. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, op. cit.. Aujourd’hui encore, l’idée de « cogestion » semble faire difficulté. J.-Y. Naudet qui cite (in Dominez la terre, Fleurus, 1989, pp. 63-64) de larges extraits du discours de Jean-Paul II aux dirigeants d’entreprises argentins, ne reprend pas la formule « participation des travailleurs à la gestion et aux revenus de l’entreprise » mais précise seulement que « pour que l’entreprise soit réellement un lieu de coopération, les salariés doivent être associés au mieux à la marche de l’entreprise, par l’information mais aussi par la plus grande autonomie possible dans l’action. Notons en passant qu’il y a d’ailleurs là un principe élémentaire de bonne gestion et que les entreprises purement hiérarchisées, sans autonomie ni participation des salariés, sont loin d’être les plus efficaces ». Ce commentaire est très juste mais reste en deçà de ce que Jean-Paul II a développé dans Laborem exercens à propos de la « participation des travailleurs à la gestion et aux revenus de l’entreprise ». Nous allons le voir.
15. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, op. cit., p. 530.
16. Discours au monde du travail, Barcelone, op. cit., p. 1122.
17. Léon XIII parlait favorablement de « démocratie sociale », régime de gouvernement favorable au peuple et qu’il distinguait de la démocratie politique, régime de gouvernement par le peuple (Graves de communi, 1901). On peut appeler démocratie sociale ou démocratie économique, un système participatif : « Comme la démocratie politique permet à tous les citoyens de participer de quelque façon à la direction du pays, ainsi la démocratie sociale assurera, à tous ceux qui participent à la production, une certaine participation à la direction de la vie économique » (Van GESTEL, op. cit., p. 257).
18. Discours au monde du travail, Barcelone, op. cit., p. 1122.
19. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, op. cit., p. 530.
20. « L’autoritarisme qui trahit une faiblesse, le goût du secret là où l’on doute de la qualité de ce que l’on cache, font persister les méthodes de commandement militaire les plus anciennes, les procédés pédagogiques les plus surannés, dans le monde de la production où on les a fait entrer, il y a un siècle, faute alors d’en connaître d’autres. » (Fr. Bloch-Lainé, in Préface du livre de WOOT Ph. de, Pour une doctrine de l’entreprise, Seuil, 1968, pp. 22-23). François Bloch-Lainé (1912-2002) fut, en France, un haut fonctionnaire qui réforma la Régie Renault, le Crédit lyonnais et l’État, fut Directeur du Trésor et de la Caisse des Dépôts et consignations.
21. Frederick Winslow Taylor (1856-1915) établit que « pour une opération donnée, un procédé type, un outil type et un « temps normal » pourront être imposés aux ouvriers, chacun d’eux devant accomplir le minimum de gestes dans le minimum de temps » (Mourre). Mgr J.-B. Montini, à la demande de Pie XII, dénonça cette conception en écrivant que « le processus de production, en s’insérant en une succession de phases toujours identiques, menace de faire perdre au travail tout souffle d’humanité pour se réduire à un simple mouvement mécanique ». ( Lettre au Président des Semaines sociales d’Italie, 21-9-1952).
22. AUDOYER J.-P., Le nouveau management, Critiques et réponses chrétiennes, Les presses du management, 1997, p. 38. J-P. Audoyer exerça des responsabilités d’encadrement dans de grands groupes industriels avant de devenir associé du cabinet IDES-Consultants et président-fondateur de l’AREC, association pour la promotion d’une nouvelle éthique d’entreprise.
23. WOOT Philippe de, Pour une doctrine de l’entreprise, Seuil, 1968, p. 115. Pour l’auteur, la « bureaucratie » se caractérise par « l’impersonnalité (des règles, des procédures, des nominations) ; le caractère d’experts et de spécialistes des agents de l’organisation ; l’existence d’un système hiérarchique contraignant, impliquant subordination et contrôle. » (p. 114). Qui plus est, « l’aliénation fait dégénérer la bureaucratie en « bureaucratisation ». » Celle-ci « tend alors à diminuer la flexibilité de l’entreprise et sa capacité d’adaptation à l’évolution extérieure ». (pp. 115-116). Ph. de Woot fut professeur associé à l’Université de Louvain, directeur des recherches au Centre de perfectionnement dans la direction des entreprises, lauréat de la Fondation Bekaert en 1968.
24. AUDOYER J.-P., op. cit., p. 66. L’auteur cite d’autres théories « organicistes » comme celles de Ph. Selznick ou de Joan Woodward pour qui « il faut adapter les hommes aux structures » et que « les structures s’adaptent mécaniquement à l’environnement évoluant selon le marché, la technologie ou les valeurs de la société ». (Id., p. 41)
25. Diverses théories ont vu le jour dès les années 1930, notamment celles de A. H. Maslow, Herzberg, D. Mac Gregor.
26. Cf. WOOT Ph. de, op. cit., p. 124.
27. Cf. J.-P. Audoyer, op. cit., pp. 98-103.

⁢d. Responsabilité des travailleurs

Loin donc de l’idée du Pape de porter atteinte à la liberté de propriété et d’entreprendre et aux responsabilité propres du chef d’entreprise dont l’autorité est affirmée, certes, mais, ici comme ailleurs, comme service d’une communauté particulière et de la grande communauté nationale et humaine.

Sa mission est de faire fructifier un héritage « pour le bien de tous et avec la collaboration de tous »[1]. Les fonctions sont différentes mais l’entreprise est une communauté où tous « coopèrent à une œuvre commune »[2].

L’entreprise n’est pas l’expression légitime de la liberté, de la créativité, de l’initiative d’un homme, le propriétaire ou son représentant mais de tous, patrons, dirigeants, employés, ouvriers⁠[3] : « ce sont des personnes qui sont associées entre elles, disait le Concile, c’est-à-dire des êtres libres et autonomes, créés à l’image de Dieu ».⁠[4]

Jean-Paul II va accentuer davantage cet aspect. En effet, aujourd’hui, « devient toujours plus évident et déterminant le rôle du travail humain maîtrisé et créatif et, comme part essentielle de ce travail, celui de la capacité d’initiative et d’entreprise. »⁠[5] Désormais, « avec la terre, la principale ressource de l’homme, c’est l’homme lui-même. (…) C’est son travail maîtrisé, dans une collaboration solidaire, qui permet la création de communautés de travail (…).L’économie moderne de l’entreprise comporte des aspects positifs dont la source est la liberté de la personne (…), dans ce secteur, comme en tout autre, le droit à la liberté existe, de même que le devoir d’en faire un usage responsable. (…) Si, autrefois, le facteur décisif de la production était la terre, et si, plus tard, c’était le capital, compris comme l’ensemble des machines et des instruments de production, aujourd’hui le facteur décisif est de plus en plus l’homme lui-même, c’est-à-dire sa capacité de connaissance qui apparaît dans le savoir scientifique, sa capacité d’organisation solidaire et sa capacité de saisir et de satisfaire les besoins des autres. »[6] Autrement dit, dans une formule simple et riche de sens , « plus que jamais aujourd’hui, travailler, c’est travailler avec les autres et travailler pour les autres. »[7]

La responsabilité personnelle, au plein sens du terme, pas seulement donc la responsabilité professionnelle, doit pouvoir s’exprimer et s’exercer dans l’entreprise et à tous les niveaux : « l’entreprise est appelée à réaliser (…) une fonction sociale -qui est profondément éthique- : celle de contribuer au perfectionnement de l’homme, de chaque homme, sans aucune discrimination ; en créant les conditions permettant un travail où les capacités personnelles puissent se développer de pair avec une production efficace et raisonnable des biens et des services, et qui rende l’ouvrier conscient de travailler réellement dans un domaine qui lui est propre. »[8]

Il est de la responsabilité du chef d’entreprise de favoriser l’exercice de la responsabilité de ses collaborateurs. L’entreprise, dans « une organisation solidaire », doit donc devenir une « communauté de travail », une  »communauté de vie », un lieu « où l’homme vive avec ses semblables et ait des relations avec eux ; et où le développement personnel soit non seulement autorisé mais favorisé. »Il ne faut pas se contenter « de ce que « les choses marchent », soient efficaces, productives et efficientes » mais plutôt « que les fruits de l’entreprise aboutissent à un profit pour tous par l’intermédiaire de la promotion humaine globale (…). »⁠[9]

De là, le souhait réitéré par Jean-Paul II de voir, dans la mesure du possible, les travailleurs participer à la gestion de l’entreprise.⁠[10] Rappelons-nous aussi que « comme, bien souvent, ce n’est déjà plus au niveau de l’entreprise, mais à des instances supérieures, que se prennent les décisions économiques et sociales dont dépend l’avenir des travailleurs et de leurs enfants, ceux-ci doivent également participer à ces décisions, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants librement choisis. »[11]

Vu l’évolution de l’entreprise et le contexte socio-économique dans lequel elle s’inscrit, les syndicats sont appelés à se rénover, à « s’orienter vers l’assomption de plus grandes responsabilités, non seulement dans le cadre des mécanismes traditionnels de la redistribution, mais aussi à l’égard de la production de la richesse et de la création de conditions sociales, politiques et culturelles qui permettent à tous ceux qui peuvent et désirent travailler d’exercer leur droit au travail, dans le plein respect de leur dignité de travailleurs. »[12]

La propriété, si elle est un bien, n’est pas réservée à quelques hommes. On l’a vu à de nombreuses reprises, elle doit être diffusée et il faut en faciliter l’accès au plus grand nombre possible. Ce qui a été dit du droit à la propriété privée, « subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens »[13] est valable aussi pour la propriété des moyens de production, que cette propriété soit privée, publique ou collective⁠[14].

Traditionnellement, le moyen privilégié d’y accéder est le salaire, produit de la justice commutative. Traditionnellement, la propriété promise, au bout de l’épargne, est celle d’une maison, d’un bout de terrain, d’un atelier artisanal ou d’une entreprise agricole familiale. Progressivement, d’autres revenus du travail ont été envisagés et d’autres formes de propriété. Jean-Paul II confirme ce mouvement en rappelant que « la loi fondamentale de toute activité économique est le service de l’homme, de tous les hommes et de tout l’homme, dans sa pleine intégrité matérielle, intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse. Par conséquent, les profits n’ont pas comme unique objectif le développement du capital. Ils sont aussi destinés au sens social, à l’amélioration du salaire, aux services sociaux, à la qualification technique, à la recherche et à la promotion culturelle, par le biais de la justice distributive. »[15]

Jean-Paul II reprend à ses prédécesseurs les « propositions concernant la copropriété des moyens de travail, la participation des travailleurs à la gestion et/ou aux profits des entreprises, ce que l’on nomme l’actionnariat ouvrier, etc. » Et il ajoute : « quelles que soient les applications concrètes qu’on puisse faire de ces diverses propositions, il demeure évident que la reconnaissance de la position juste du travail et du travailleur dans le processus de production exige des adaptations variées même dans le domaine du droit de propriété des moyens de production. »[16]

L’accès aux biens se fait donc par le biais de la justice commutative mais il peut être, en plus, favorisé par la justice distributive à partir du profit de l’entreprise⁠[17]. En même temps, les travailleurs peuvent être invités à une forme ou l’autre de co-propriété des moyens de production. Jean-Paul II réaffirme ainsi une idée chère aux catholiques sociaux du XIXe siècle.⁠[18] Il veut opposer « une société du travail libre, de l’entreprise et de la participation », au système qui veut « assurer la primauté absolue du capital, de la propriété des instruments de production et de la terre sur la liberté et la dignité du travail de l’homme » et, en même temps, au « système socialiste, qui se trouve être en fait un capitalisme d’État ».⁠[19]

Et si le profit est un « indicateur du bon fonctionnement de l’entreprise », il « n’est pas le seul indicateur de l’état de l’entreprise. Il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu’en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l’entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité. Non seulement cela est moralement inadmissible, mais cela ne peut pas ne pas entraîner par la suite des conséquences négatives même pour l’efficacité économique de l’entreprise. En effet, le but de l’entreprise n’est pas uniquement la production du profit, mais l’existence même de l’entreprise comme communauté de personnes qui, de différentes manières, recherchent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et qui constituent un groupe particulier au service de la société tout entière. Le profit est donc un régulateur dans la vie de l’établissement mais il n’est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d’autres facteurs humains et moraux qui, à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l’entreprise. »[20]

Il est clair que l’enseignement de l’Église tend à assurer prioritairement la promotion globale de la personne. Cette promotion globale de la personne-ci doit être la fin de toute entreprise qu’elle soit privée, publique, collective. La croissance personnelle dans la solidarité l’emporte dans tous les cas de figures. Nous avons vu que, tout en défendant le droit à la propriété pour tous, jamais l’Église n’a considéré que la propriété privée était le seul mode d’accès aux biens de ce monde.

L’entreprise « socialisée »

A travers l’histoire, Les différents textes ecclésiaux consacrés à l’entreprise ont estimé que, dans certains domaines et à certaines conditions, l’entreprise pouvait être une entreprise publique. Pie XI parlait de biens qui « doivent être réservés à la collectivité »[21], Pie XII de nationalisation ou socialisation de l’entreprise (…) dans les cas où elle s’avère indispensable au bien commun ».⁠[22]

Jean-Paul II va reprendre ce terme de « socialisation » mais d’une manière positive cette fois en notant que « le simple fait de retirer ces moyens de production (le capital) des mains de leurs propriétaires privés ne suffit pas à les socialiser de manière satisfaisante ».⁠[23] On, va se rendre compte que « socialiser », au plein sens du terme, ce n’est pas transférer un pouvoir à la société mais plutôt instituer, comme il l’a décrit plus haut, une véritable participation à la propriété du capital. Ce n’est pas parce qu’une propriété est entrée dans un système collectiviste que l’entreprise est, par le fait même, socialisée. Pour lui, la véritable socialisation n’est réalisée que « si chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer en même temps comme co-propriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s’engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d’associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles : ces corps jouiraient d’une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics ; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d’une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie. »[24]

A quoi le Saint-Père pense-t-il concrètement lorsqu’il évoque ces « corps intermédiaires autonomes », ces « communautés vivantes » où, comme dit Jean-Paul II, « la subjectivité de la société est assurée » ?

Certainement, mais pas exclusivement sans doute, Jean-Paul II songe à l’entreprise coopérative.

Ce n’est pas nouveau dans l’enseignement de l’Église. Vers 1860, Mgr Ketteler et, après la 1re guerre mondiale, Mgr Pottier propagèrent l’idée de coopératives de production.⁠[25] Pie XII souhaitait des « sociétés coopératives ».

Jean-Paul II va développer l’idée, lors de la visite d’une coopérative italienne⁠[26], et souligner que la coopérative, qu’elle soit coopérative de travail et de production, coopérative de consommation ou coopérative de producteurs, échappe aussi bien à la « compétition excessive » et sans pitié qu’ »aux modèles collectivistes qui étouffent l’initiative des particuliers et avilit les raisons de la collaboration ». Elle est bien, confirme le Pape, un de ces organismes appelés corps intermédiaires dans l’encyclique Laborem exercens, qui naissent d’une application du principe de subsidiarité « selon lequel le pouvoir public ne doit pas se substituer à l’initiative des citoyens, qu’elle soit individuelle ou associative, dans le domaine économique, social et culturel »

La coopération « constitue un des sujets fondamentaux de l’enseignement social de l’Église ». Si, à l’origine, la coopérative a été un moyen d’autodéfense économique et de promotion d’intérêts communs, conçu pour résister aux effets négatifs de la société industrielle, elle apparaît de plus en plus, dans le contexte moderne, comme une manière efficace et bénéfique d’« associer, autant que possible, le travail à la propriété et au capital », d’« exprimer la double dimension personnelle et sociale de l’être humain », d’être un moyen, « en même temps, de « socialisation » et de personnalisation », de faire « la synthèse entre la tutelle des droits du particulier et la promotion du bien commun ».

Cette synthèse « ne se situe pas seulement sur le plan économique mais aussi sur celui plus vaste des biens culturels, sociaux et moraux »

Sur le plan économique, la coopérative permet « le développement d’une économie locale qui cherche à mieux répondre aux exigences de la communauté ». C’est pourquoi, dans de nombreux pays, « les coopératives agricoles se proposent comme de véritables instruments de transformation sociale », ou de reconstruction. Elles permettent « une amélioration plus rapide des conditions de vie des communautés locales ».

Sur le plan moral, elles accentuent « le sens de la solidarité dans le respect de l’autonomie nécessaire du particulier qui doit croître vers une pleine maturité ». Elles mettent en valeur le rôle de chaque membre et développent en même temps le sens de la communion. Elles invitent, par là, à la découverte d’un bien commun plus grand que la somme des biens matériels et individuels.

En somme, « cette forme d’organisation économique et sociale, si elle est bien gérée, peut constituer une expérience stimulante de participation et également un instrument efficace pour réaliser un niveau plus élevé de justice ». Si elle est bien gérée, c’est-à-dire si le critère quantitatif reste intégré au critère qualitatif. Il faut, en effet, éviter « le danger que les critères pour mesurer le succès des coopératives soient séparés des résultats du marché, soient donc traités exclusivement pour les avantages matériels que celles-ci offrent aux membres. (…) La personne est la véritable mesure de toute initiative favorisant une marche de croissance et de progrès ». Autrement dit encore, « la valeur fondamentale que les coopératives encouragent : c’est la valeur d’une vie humaine meilleure, parce que ouverte à la perception plus profonde du sens véritable de tout engagement humain qui est le sens de la communion ».

La coopérative est donc un bon exemple de la socialisation chère à l’Église. Il est sûr que « la propriété coopérative n’est pas adaptée à toute production - elle a des limites, tout particulièrement, quand il est besoin de recourir au marché financier pour tel ou tel développement nécessaire-, elle n’en est pas moins adaptée à nombre d’activités, surtout de service de la personne à la personne, qui requièrent peu de capital : or celles-ci se développeront beaucoup demain. Elle sera sans doute mieux adaptée à l’avenir qu’elle ne l’a été hier, en tout cas récemment. »[27]

Elle est, en tout cas, un des moyens d’instaurer plus de démocratie économique, plus de participation et de solidarité, parmi d’autres.⁠[28]

En effet, le pape Benoît XVI, bien conscient, comme Paul VI l’avait déjà souligné, que la question sociale est devenue mondiale⁠[29], et qu’on ne pourra sortir des crises économiques et financières qui agitent notre monde et instaurer la justice qu’en ayant le souci du don et de la gratuité⁠[30], écrit qu’« à côté de l’entreprise privée tournée vers le profit, et des divers types d’entreprises publiques, il est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux puissent s’implanter et se développer. » Il ne s’agit pas simplement d’accepter et de reconnaître divers types d’entreprises qui se juxtaposeraient. Le pape espère que cette juxtaposition soit féconde et modifie la philosophie économique traditionnelle : il pense plus exactement que « C’est de leur confrontation réciproque sur le marché qu’on peut espérer une sorte d’hybridation des comportements d’entreprise et donc une attention vigilante à la civilisation de l’économie. […] Il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi. »[31]

Benoît XVI réaffirme qu’« avant d’avoir une signification professionnelle, l’entreprenariat a une signification humaine. » Et c’est au nom de cette « signification humaine » chère à ses prédécesseurs qu’il justifie l’« hybridation » qui ne peut être que bénéfique : « Il est inscrit dans tout travail, vu comme « actus personae », c’est pourquoi il est bon qu’à tout travailleur soit offerte la possibilité d’apporter sa contribution propre de sorte que lui-même « sache travailler à son compte ». Ce n’est pas sans raison que Paul VI enseignait que « tout travailleur est un créateur ». C’est justement pour répondre aux exigences et à la dignité de celui qui travaille, ainsi qu’aux besoins de la société, que divers types d’entreprises existent, bien au-delà de la seule distinction entre « privé et « public ». Chacune requiert et exprime une capacité d’entreprise singulière. Dans le but de créer une économie qui, dans un proche avenir, sache se mettre au service du bien commun national et mondial, il est opportun de tenir compte de cette signification élargie de l’entreprenariat. Cette conception plus large favorise l’échange et la formation réciproque entre les diverses typologies d’entreprenariat, avec un transfert de compétences du monde du non-profit à celui du profit et vice-versa, du domaine public à celui de la société civile, de celui des économies avancées à celui des pays en voie de développement. »[32]

L’entreprise autogérée ?

Il est difficile de définir l’entreprise autogérée. On l’associe souvent à la coopérative ou à l’actionnariat ouvrier⁠[33]. Mais l’autogestion, au sens strict, a eu ses heures de gloire dans les années 70, suite notamment à la publicité faite autour de l’organisation économique Yougoslave. Elle avait pourtant des antécédents dans la littérature⁠[34] et dans les faits⁠[35]. Mais c’est la Yougoslavie qui fit rêver certains socialistes occidentaux entre 1970 et 1980. Ils furent divisés sur le sujet⁠[36]. Certains estimaient que « l’autogestion ne peut être retenue que pour les entreprises qui seraient socialisées, car en régime capitaliste seul le contrôle ouvrier est concevable »[37] d’autres reconnaissaient même, à la suite d’un certain nombre d’observateurs⁠[38], « le déclin de l’autogestion yougoslave »[39] et voulaient renforcer et élargir le mouvement coopératif à l’instar de la Suède⁠[40].

Il n’empêche, que l’espace d’une décennie, l’autogestion apparut comme un idéal à atteindre.

En Yougoslavie, c’est à partir de 1950 que fut décidée l’organisation autogestionnaire⁠[41]. Dans l’esprit des dirigeants, il s’agissait de se différencier du modèle soviétique mais aussi d’échapper à la faillite du système collectiviste qui avait été imposé jusque là. Le maréchal Tito voulait « donner plus de souplesse et de dynamisme aux entreprises en les libérant du poids étouffant de la bureaucratie. De là notamment, la réhabilitation du « profit » : par la participation aux bénéfices et aux risques, les travailleurs et les cadres ont des motifs d’efficacité. »[42]

Comment fonctionnait cette autogestion ? « Dans chaque entreprise, les travailleurs élisent un Conseil ouvrier (au moins quinze membres), lequel désigne à son tour un Comité de cinq administrateurs ou plus, dont un directeur. Ce dernier est proposé, après avoir passé un concours public, par une commission où siègent les représentants de l’entreprise et de la commune où elle est située. Quand l’affaire est importante, les « services technologiques » et le Syndicat interviennent également. Ainsi dirigé et encadré, le Conseil autogestionnaire détermine la production, les investissements et les prix dans le cadre de la planification de l’État. »[43]

En Belgique, les socialistes définirent ainsi l’autogestion : « Dans une entreprise industrielle ou agricole, la gestion est réalisée, soit par le personnel entier, cadres et travailleurs, soit par un comité élu par les travailleurs et parmi eux ».⁠[44] Et lors du Congrès doctrinal du PSB, en 1974, la stratégie envisagée pour l’entreprise reconnaissait que « les fonctions d’initiative économique et d’apport de capitaux supportant réellement les risques d’entreprise appellent une rétribution. Mais, ajoutait le document préparatoire, elles doivent prendre en compte un certain nombre de nécessités sociales et qualitatives (…) ». Outre « se conformer aux orientations de la politique économique générale » et « être l’expression d’une volonté de prendre un risque économique, en faisant progresser le processus de production de biens et de services utiles à la collectivité », ces « fonctions » doivent « admettre le contrôle interne exercé par les travailleurs unis au sein de leur organisation syndicale. La démocratisation au sein de l’entreprise se fera dans une perspective d’autogestion.

Le choix des objectifs de la politique économique à tous les niveaux depuis l’entreprise jusqu’à la nation, doit faire l’objet d’un consensus global indiquant la participation des travailleurs de toutes catégories et des consommateurs.

Le contrôle ouvrier devra s’exercer à tous les niveaux de la structure de l’entreprise. Libre de déterminer les conditions dans lesquelles il travaillera, le travailleur devra progressivement conquérir les pouvoirs de décision. Il devra s’insérer plus concrètement et plus entièrement dans un monde économique dont il aura acquis la propriété sociale. Les différentes compétences seront au service de tous et de nouveaux rapports sociaux pourront s’instaurer entre les hommes. »[45]

En France, l’autogestion fut présentée comme « le projet révolutionnaire de notre temps. »[46] « Nous désignons, disaient ses partisans, (…) par l’autogestion le socialisme réalisé, c’est-à-dire une société caractérisée par la disparition de la propriété du pouvoir comme celle du pouvoir de la propriété, l’abolition du salariat, la fin de l’économie marchande ».⁠[47] Comme chez les socialistes belges, est envisagée une période de transition, par l’extension du contrôle ouvrier : « En étendant les avantages les plus significatifs obtenus par les luttes des travailleurs, le gouvernement de Gauche créera un climat favorable à la dynamique du contrôle », y compris « l’extension des droits et des moyens d’action des syndicats. (…) Le contrôle concernera ce qui est le plus directement ressenti par les travailleurs dans leur activité quotidienne. Dans ces domaines, l’assemblée des travailleurs sera souveraine. »[48] Au bout du processus, « dans ces entreprises « autogérées », le conseil d’administration serait élu majoritairement par les travailleurs ; l’élection directe aux emplois de direction pourrait être envisagée. Sans doute ces mesures seraient-elles insuffisantes pour transformer du jour au lendemain la gestion de la production en une administration collective.

Pour résoudre les problèmes délicats du partage des compétences des entreprises comme des autres collectivités décentralisées, la solution serait de faire correspondre à chaque niveau de collectivité un type de pouvoir. »[49]

En Pologne, le syndicat Solidarnosc, fut reconnu, en 1980, comme « syndicat indépendant et autogéré ». Dès 1981, par le biais de ce syndicat, les travailleurs vont constituer des conseils dans les entreprises qui procéderont à « l’élection des directeurs parmi les spécialistes soumis à un concours organisé par le conseil. » Et lors du premier congrès du syndicat, le programme adopté stipulera : « Nous voulons une véritable socialisation du système de gestion et de l’économie ». L’objectif est l’établissement d’une « République autogérée » : « Nous exigeons une réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveaux de la gestion, un nouvel ordre socio-économique, qui va allier le plan, l’autogestion et le marché.(…) La réforme doit socialiser la planification. Le plan central doit refléter les aspirations de la société et être accepté par elle. » Pour Z.M. Kowalewski, dirigeant de Solidarnosc, militant de la IVe Internationale, la révolution Solidarnosc a été d’abord « écrasée » par l’état de guerre proclamé dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, puis « trahie » par les dirigeants du syndicat Solidarnosc tel qu’il s’est reconstruit par la suite et qui restaurèrent le capitalisme.⁠[50]

Que penser de l’expérience yougoslave et des projets concoctés en Belgique, en France et en Pologne ?

A première vue, il semble y avoir une certaine parenté avec le système coopératiste que l’Église a toujours apprécié. La ressemblance peut être d’autant plus troublante que le « catholicisme social (…), dans les Balkans, s’était toujours référé aux traditions coopératives.[51]

Pendant l’entre-deux-guerres, le Parti populaire catholique de Slovénie[52] développa avec succès des programmes d’éducation populaire et organisa des coopératives volontaires de vente et de crédit pour les paysans. »[53]

De son côté, l’Église, aujourd’hui, utilise parfois, et dans un sens positif, le mot « autogestion » ! Ainsi, écrivent les évêques africains, « s’il est vrai que l’État doit jouer son rôle, il ne peut cependant s’arroger tous les droits et priver les individus et les groupes intermédiaires de leur autonomie et de la responsabilité d’autogestion de leurs biens. »[54] Et Jean-Paul II⁠[55] a souligné l’importance « d’un libre processus d’auto-organisation de la société, avec la mise au point d’instruments efficaces de solidarité, aptes à soutenir une croissance économique plus respectueuse des valeurs de la personne. » Et de saluer « la fondation de coopératives de production, de consommation et de crédit, la promotion de l’instruction populaire et de la formation professionnelle, l’expérimentation de diverses formes de participation à la vie de l’entreprise et, en général, de la société. » S’arrêtant à l’expression « auto-organisation », le Compendium confirme que « nous pouvons trouver des témoignages significatifs et des exemples d’auto-organisation dans de nombreuses initiatives, au niveau d’entreprises et au niveau social, caractérisées par des formes de participation, de coopération et d’autogestion, qui révèlent la fusion d’énergies solidaires. »[56]

Est-ce à dire que L’Église cautionnerait l’autogestion yougoslave, ou les projets d’autogestion nés en Belgique, en France, en Pologne, sous l’égide des partis socialistes ?

Est-ce à dire qu’elle cautionnerait la « dernière utopie », comme on l’a appelée⁠[57], et qui survit aujourd’hui parmi des groupes marginaux: communistes-anarchistes, anarchistes, libertaires, et notamment parmi ceux qu’on appelle altermondialistes et que nous retrouverons plus loin ?

Notons tout d’abord deux faits : d’une part, en Belgique, en France et en Pologne, nous n’avons eu affaire qu’avec des projets qui n’ont pas connu de lendemain ; d’autre part, en Yougoslavie, l’autogestion fut sans cesse confrontée à des difficultés malgré les incessantes réformes du système « comme si tout un peuple n’était qu’un cobaye et un riche pays le laboratoire pour des mauvais apprentis de chimie sociale »[58] . On a souligné à la fois les faiblesses du système -concurrence féroce, chômage, constitution d’une classe dirigeante privilégiée, indifférence au monde agricole⁠[59]- et ses aspects positifs - « meilleur équilibre de l’offre et la demande ; assainissement de la balance des payements ; amélioration de la productivité ; meilleure utilisation des investissements »[60]. Cette situation a poussé certains observateurs à considérer que le système yougoslave était plus proche du libéralisme archaïque, que du socialisme⁠[61]. En fait, l’autogestion yougoslave fut un système hybride et finalement peu autogestionnaire étant donné l’importance du centralisme étatique. Il y a contradiction entre la volonté de laisser libre jeu à l’offre et à la demande et la bureaucratie socialiste, entre l’autogestion et le socialisme : « Plus un régime (communiste) accorde de décentralisation économique et administrative, plus il sera nécessaire d’affirmer la centralisation politique afin de freiner le recul du pouvoir qu’a le parti de contrôler l’économie/ mais si l’on resserre les rênes pour contrecarrer la tendance à la désorganisation et à l’anarchie, on étouffe dans l’œuf tout effort réel en direction du pluralisme économique et social. (…) En théorie, le parti est l’avant-garde, le moteur, l’inspirateur du progrès social. En fait, il n’a utilisé les mécanismes complexes de l’autogestion et de la centralisation que comme une façade masquant le caractère intact de la concentration monopolistique du pouvoir suprême entre les mains des chefs placés au sommet de la hiérarchie du Parti. »[62] Cette analyse est confirmée par l’ancien n° 1 soviétique, Nikita Khrouchtchev qui après avoir visité une usine autogérée yougoslave, écrivit : « Il me semblait évident que le gouvernement, en dernier lieu, décidait bel et bien des programmes de production et exerçait ensuite un strict contrôle sur leur mise en application ».⁠[63]

On peut conclure qu’il n’y a pas eu, en Yougoslavie, de véritable entreprise autogérée.

Le projet d’autogestion en Pologne, est né avec l’intention de rendre aux travailleurs le ,pouvoir dans leurs entreprises mais on ne peut le juger puisqu’il ne s’est pas réalisé. Pas plus que ne se sont réalisés les projets belge et français. On peut toutefois faire remarquer dans ces deux cas, que se manifeste une volonté de prise de pouvoir collectif dans le cadre d’une socialisation de la société sous la direction et le contrôle des organisations socialistes. Les propositions et réalisations sociales chrétiennes sont différentes dans la mesure où elles cherchent un partage du pouvoir selon le principe de subsidiarité et donc dans le respect de toutes les « autorités » particulières qui doivent s’exprimer dans une entreprise considérée comme une communauté de travail ou de vie. Le philosophe chrétien Gustave Thibon a simplement et parfaitement résumé l’autogestion « chrétienne » en témoignant : « Je connais telle moyenne entreprise où l’autogestion existe en fait, dans ce sens où règne de haut en bas un esprit de confiance et d’équipe, où les avis et les suggestions des plus humbles sont pris en considération et où chacun assume sa part d’initiative et de responsabilité ».⁠[64]

L’autogestion conforme à la doctrine sociale chrétienne s’exprime dans les coopératives, les différentes formes d’actionnariat ouvrier, de participation, de cogestion, qui respectent l’initiative des personnes et des groupes, l’autorité telle qu’elle a été précédemment définie, comme compétence et service et dont tout travailleur détient une parcelle liée à ses fonctions, la responsabilité donc et l’organisation subsidiaire qui précisément laisse s’exprimer le pouvoir là où il se trouve, dans le souci du bien commun.

Ajoutons encore que l’autogestion conforme à la doctrine sociale chrétienne est plus accessible dans une petite ou moyenne entreprise. Les tendances actuelles à la décentralisation de la production pourraient être favorables à l’expansion des formes participatives.⁠[65]

Ces propositions chrétiennes sont-elles réalistes ?

qu’en pensent en particulier les patrons ?

Rappelons-nous que les différentes formes de participation évoquées ont été toutes initiées par des patrons avant que l’Église ne reprenne l’idée et en précise les contours. Mais, en dehors de ces pionniers, les avis sont, c’est le moins qu’on puisse dire, très partagés.

Un certain nombre de patrons d’Europe et d’Amérique latine ont réagi ,en 1991, à la publication d’une anthologie de textes du Magistère sur l’entreprise⁠[66]. Leurs réactions sont intéressantes car il s’agit d’hommes qui sont liés à l’UNIAPAC, l’Union internationale chrétienne des dirigeants d’entreprise. Deux caractéristiques ressortent de leurs témoignages: « d’une part, c’est l’ensemble de l’enseignement social, pris dans sa globalité et pas seulement sur l’entreprise, ses références à l’Évangile et ses orientations fondamentales, qui ont surtout marqué et stimulé. Les réactions sur des points précis sont moins fréquentes. d’ailleurs, les textes eux-mêmes paraissent quelquefois moins bien connus qu’on ne le laisse entendre.

d’autre part, on souhaite largement que le rôle du chef d’entreprise, ses responsabilités, les problèmes complexes qu’il doit résoudre, soient mieux perçus et compris. On demande aussi que l’Église s’exprime dans un langage plus approprié à l’entreprise, qu’elle se prononce avec plus de vigueur sur les choix économiques ». A ce dernier point de vue, les auteurs de la synthèse posent une question pertinente : « L’Église doit-elle s’avancer avec plus d’audace sur le terrain économique ? » Ils répondent très justement, avec les papes, qu’« experte en humanité, elle n’a pas pour mission d’apporter des solutions techniques (…) ».⁠[67] Toujours est-il que ces témoignages restent au niveau des généralités, centrés sur le rôle du chef d’entreprises et qu’ils n’abordent pas sérieusement le problème de la participation des travailleurs.

qu’en pensent les syndicalistes et les travailleurs ?

En général, les syndicats qui en sont restés au schéma ancien de la dialectique patron-travailleur, n’apprécient guère l’idée d’une entreprise-communauté dans la mesure même où elle n’offre plus guère de terrain propice à la confrontation et oblige les syndicats à revoir leur philosophie⁠[68]. Mais il y a aussi un frein du côté des travailleurs qui souvent aussi trouvent plus confortable d’être des exécutants que des participants surtout si la participation implique des responsabilités et des risques. La participation doit être le fruit d’une culture d’entreprise adéquate qui demande, d’une part, nous allons y revenir, confiance et maturité et, d’autre part, un cadre légal adéquat.⁠[69]

qu’en pensent les économistes ?

Finalement, c’est du côté des économistes que nous allons trouver les plus chauds partisans du concept de participation.

Ainsi, au terme d’une analyse très rigoureuse à partir, non des principes éthiques chrétiens - même s’il les connaît⁠[70] - mais des théories en présence et de la réalité complexe de l’entreprise, Ph. de Woot écrit : « La participation véritable est nécessaire à la fonction de créativité. » Ce n’est que par la créativité que, dans un monde où la concurrence se mondialise, l’entreprise peut survivre et progresser. Et « il n’y aura pas de participation véritable sans réforme de l’entreprise.

La réforme comporte deux aspects complémentaires.

d’une part, la participation fonctionnelle à la créativité ; elle suppose une transformation profonde de l’organisation et des modes de gestion ainsi qu’un engagement plus actif des participants. »[71] La participation fonctionnelle ou « imposée » vise à diminuer ou supprimer les aliénations professionnelles et sociales en augmentant deux libertés : « une certaine autodétermination et une certaine liberté de s’exprimer dans et par son travail ». Ces deux libertés permettent de satisfaire un certain nombre de besoins mis en évidence par les psychologues et les sociologues, besoins « dont les plus importants sont le besoin de compétence, le développement de la conscience de soi et des autres, le besoin d’être estimé, celui d’être reconnu ». La satisfaction de ces besoins fait croître la maturité des travailleurs.⁠[72]

« d’autre part, la participation politique au contrôle du pouvoir »[73], préférée dans la plupart des cas à l’exercice du pouvoir dans la cogestion, doit établir un climat de confiance.⁠[74]

« Une réforme qui négligerait l’un de ces aspects serait inefficace ou nuisible à l’entreprise : sans participation politique, la participation fonctionnelle serait freinée par les travailleurs et ce frein empêcherait l’entreprise d’accroître sa créativité ; sans participation fonctionnelle, le contrôle du pouvoir tournerait à la lutte politique et diminuerait le dynamisme de l’entreprise.

Une réforme qui réaliserait simultanément la participation à la vie de l’entreprise et la participation au contrôle de son pouvoir augmenterait la créativité de celle-ci.

Le réalisme commande de rappeler en terminant qu’une telle évolution, par ses liens avec le phénomène du pouvoir, revêt un caractère politique. Les formes et le rythme qu’elle adoptera dépendront finalement de la stratégie et du pouvoir des groupes en présence.

Si l’inertie idéologique actuelle continue, on risque évidemment de voir se prolonger le « face à face hostile » qui a tant contribué à figer la situation. Il n’y a pas de raison de penser que la confiance s’établira sans une volonté et un effort délibéré des groupes en présence. L’initiative pourrait venir des dirigeants d’entreprise puisqu’ils ont le pouvoir de faire évoluer les structures. Mais que l’impulsion vienne du monde patronal ou du monde ouvrier, il est important de considérer qu’un accroissement de participation - fonctionnelle ou politique - est une condition essentielle du dynamisme des entreprises européennes. Il ne s’agit pas d’une recommandation d’ordre moral mais de simple réalisme. Si l’on veut augmenter la créativité et la puissance concurrentielle des entreprises, il est indispensable d’en faire évoluer les structures de direction, d’organisation et de contrôle. Avant d’être un problème éthique, l’évolution de l’entreprise est une condition de survie. »[75] Encore faut-il, comme il a été souligné, que l’on puisse compter sur la maturité de tous les acteurs et créer un climat de confiance. Maturité⁠[76] pour l’exercice de la liberté : avoir conscience, disait Jean-Paul II de travailler « à son compte »[77] ; confiance par la participation au pouvoir ou par son contrôle, pour l’exercice de la liberté.⁠[78]

Publié en 1968, le livre de Ph. de Woot rend compte d’innombrables recherches effectuées pour tenter d’établir le meilleur mode de fonctionnement possible de l’entreprise. Il s’appuie sur une critique de l’organisation bureaucratique et du mouvement des relations humaines pour dégager des « formes nouvelles d’organisation » et développer longuement, comme nous l’avons vu, la notion de participation.

Trente ans plus tard, J.-P. Audoyer, dans une perspective résolument chrétienne, confirme le jugement porté par Ph. de Woot sur l’organisation bureaucratique et le mouvement des relations humaines : « Les modèles d’inspiration fonctionnaliste qu’ils soient à « productivité orientée » (…​) comme le taylorisme (…) ou à « personnel orienté » (…) comme l’école des Relations Humaines sont pour l’Église des modèles réducteurs dans le sens où leur préoccupation se situe exclusivement sur le terrain de l’efficacité (intérêt général) en évacuant la dimension du bien commun. Ce qui ne garantit pas pour autant l’efficacité (…) ».⁠[79]

Après cela, l’auteur dresse le bilan des « nouvelles formes d’organisation » apparues à partir des années 1970⁠[80], et constate que « dans certaines conditions, leur rencontre avec la doctrine sociale de l’Église est possible parce qu’(elles n’excluent) pas la recherche du bien commun contrairement aux modèles précédents .» On retrouve dans ces formes d’organisation que l’auteur appelle « Ecoles du 3e type », des thèmes qui nous sont familiers, comme celui de la participation, mais les mots peuvent recouvrir des réalités différentes et, en fait, dans ces entreprises de 3e type, « les préoccupations restent souvent dominées par le seul souci de l’efficacité, ce qui conduit inéluctablement à l’idéologie de l’entreprise »[81] manifestée, par exemple, dans la « business ethics »⁠[82], le « projet d’entreprise »⁠[83], la « culture d’entreprise »⁠[84] ou, plus simplement, le « team building »⁠[85] tellement à la mode au début du XXIe siècle.

Pour que les mots « autonomie », « participation », « initiative » aient leur plein sens, pour que les entreprises du « 3e type » ne soient pas des leurres, il importe de les jauger, demande J.-P. Audoyer⁠[86], à l’aune des principes fondamentaux et liés, de subsidiarité, de solidarité et de bien commun.

La subsidiarité va s’exprimer dans la « délégation » : on passe « d’un management directif où le chef donne des ordres à un management délégataire dans lequel on donne l’autonomie aux acteurs, à tous les acteurs, c’est-à-dire des pouvoirs en vue de l’efficacité de chacun ».⁠[87]

Le principe de subsidiarité modifie le rôle du patron qui ne se situe plus « exclusivement sur le registre du pouvoir mais sur celui de l’autorité ».⁠[88] La vraie autorité est celle qui se met au service des autres pour les faire grandir, pour leur permettre d’être libres, responsables et compétents. Ainsi, donner de l’autonomie à un travailleur, c’est « lui permettre de faire comme il veut ce qu’il doit ».⁠[89] Le chef est plus un « coach » qu’un « leader »⁠[90] car la délégation doit se faire précisément dans l’esprit de la subsidiarité qui « n’est pas un principe absolu de non-intervention, mais d’intervention modulée en fonction de la situation réelle des personnes »[91] étant établi que « les échelons supérieurs ne sont suppléants des échelons inférieurs que lorsque ces derniers sont défaillants. »[92]

La subsidiarité et donc la liberté, l’autonomie, l’initiative, n’ont pas de sens sans la solidarité. Solidarité de tous les échelons de l’entreprise, on vient de le voir dans le nouveau rôle que le patron doit jouer.⁠[93]

Enfin, c’est par la subsidiarité et la solidarité que l’entreprise peut dépasser l’intérêt général et s’ouvrir au bien commun c’est-à-dire devenir une communauté de personnes au service d’une communauté plus vaste⁠[94]


1. Id., p. 529.
2. Id., p. 530.
3. Ici encore apparaît une différence importante entre le libéralisme et la doctrine de l’Église : «  le libéralisme courant défend la liberté d’initiative économique, liberté d’entreprendre, mais sans un très grand souci de mettre chacun en condition d’exercer une telle liberté, alors que ceci ne va nullement de soi pour le plus grand nombre des hommes. L’Église lutte, elle, en vue de l’initiative pour tous…​ «  (CALVEZ J.-Y., L’Église devant le libéralisme économique, Desclée de Brouwer, 1993, p. 84).
4. GS 68.
5. CA 32. Jean-Paul II renvoie à SRS 15 où il affirme le droit à l’initiative économique face aux systèmes socialisés. Mais ce qu’il dit vaut aussi pour les systèmes capitalistes qui peuvent aussi bafouer ce droit qui est un droit pour toute personne dans le monde du travail : « Il faut remarquer que, dans le monde d’aujourd’hui, parmi d’autres droits, le droit à l’initiative économique est souvent étouffé. Il s’agit pourtant d’un droit important, non seulement pour les individus mais aussi pour le bien commun. L’expérience nous montre que la négation de ce droit ou sa limitation au non d’une prétendue « égalité » de tous dans la société réduit, quand elle ne le détruit pas en fait, l’esprit d’initiative, c’est-à-dire la personnalité créative du citoyen. Ce qu’il en ressort, ce n’est pas une véritable égalité mais un « nivellement par le bas ». A la place de l’initiative créatrice prévalent la passivité, la dépendance et la soumission à l’appareil bureaucratique, lequel, comme unique organe d’« organisation » et de « décision » - sinon même de « possession » - de la totalité des biens et des moyens de production, met tout le monde dans une position de sujétion quasi absolue, semblable à la dépendance traditionnelle de l’ouvrier-prolétaire par rapport au capitalisme. Cela engendre un sentiments de frustration ou de désespoir, et cela prédispose à se désintéresser de la vie nationale, poussant beaucoup de personnes à l’émigration et favorisant aussi une sorte d’émigration « psychologique ». »
6. CA 32.
7. CA 31.
8. Discours au monde du travail, Barcelone, op. cit., pp. 1121-1122.
9. Id..
10. LE 14. Cf. infra.
11. GS 68, § 1.
12. CDSE 308-309.
13. LE 14.
14. Jean-Paul II rappelle qu’ « en considération du travail humain et de l’accès commun aux biens destinés à l’homme, on ne peut pas exclure non plus la socialisation, sous les conditions qui conviennent, de certains moyens de production » (LE 14).
15. Discours aux dirigeants d’entreprises d’Argentine, op. cit., p. 530.
16. LE 14.
17. Parlant de l’autofinancement des entreprises qui entraîne souvent « une capacité de production rapidement et considérablement accrue », Jean XXIII estime qu’« en ce cas, (…) l’entreprise doit reconnaître un titre de crédit aux travailleurs qu’elle emploie, surtout s’ils reçoivent une rémunération qui ne dépasse pas le salaire minimum ».(MM 77). Le Document du Comité de préparation des journées jubilaires du monde du travail, va encore plus loin. Evoquant Mt 20, 1-16, les auteurs rappellent que : « La parabole du propriétaire qui, tout au long de la journée, embauche des ouvriers pour sa vigne, en remettant un salaire identique à ceux de la première heure et à ceux de la dernière heure (…) ne se soucie certes pas des règles syndicales ni ne veut fournir des indications sur le problème du salaire ; elle insiste plutôt sur une logique différente que le Christ est venu apporter, celle du Royaume de Dieu, qui peut modeler toute la vie et les choix des hommes. » Mais, ajoutent immédiatement les auteurs, « Ce n’est pas par hasard que le Christ se réfère à un événement tout à fait vraisemblable, pris dans le monde du travail, pour expliquer une manière nouvelle de voir les choses qui conduit à aller au-delà de la justice distributive. Aujourd’hui comme à l’époque de jésus, le monde du travail est traversé par des contradictions et des contrastes, des jalousies et des envies, des conflits et des injustices. Par cette parabole, Jésus révèle la générosité et la bonté du Père, qui se traduisent dans un projet précis qui fait du partage, de la solidarité et de la gratuité les principes inspirateurs d’une nouvelle civilisation de l’amour.
   Même si le Royaume de Dieu ne sera pas réalisé définitivement dans notre histoire, de toutes façons celle-ci sera marquée par sa présence, commencée par le Christ, soutenue et développée par l’Esprit. » (DC, 21-5-2000, n° 2226, p. 468).
18. L’idée suivant laquelle, l’octroi du juste salaire ne satisfait pas entièrement à la justice, que le contrat de travail doit se compléter d’un contrat de société, est ancienne. Van Gestel en trouve un premier témoignage dans l’œuvre de saint Bernardin de Sienne qui, au cœur du Moyen-Age, réclamait déjà la participation aux bénéfices. Pour le XIXe siècle, voici quelques-uns des exemples qu’il cite (op. cit., pp. 258-260):
   En 1891, quelques semaines avant Rerum novarum, l’Union de Fribourg déclarait : « Le salaire indispensable à l’entretien de la classe ouvrière dans sa condition normale, eu égard au temps et au lieu, constitue l’élément primordial de ce que tout accord de travail doit procurer en stricte justice.
   Ce salaire répond-il suffisamment aux exigences de la justice sociale (qui règle en vue du bien commun les rapports entre les diverses classes de la société ou entre les individus et le corps social) ? Il faut en douter. La classe ouvrière a droit de trouver dans un certain complément au salaire indispensable un moyen d’améliorer sa condition, notamment d’arriver à la propriété.
   Le complément au salaire indispensable ne saurait avoir partout même forme et même mesure. Il est constitué par une participation à la prospérité de l’industrie. L’équité demande que la participation de l’ouvrier à la prospérité de l’industrie qui l’emploie, lui soit corrélative. » L’Union de Fribourg réunit autour de Mgr Mermillod, M. Python , M. Decutins (Suisse), le prince de Loewenstein, le comte de Blome (Allemagne), le comte Kuefstein, le théologien Lehmkuhl (Autriche), le marquis de la Tour du Pin, Louis Milcent, le comte Albert de Mun, le P. De pascal, Henri Lorin (France), le comte Medolago, le professeur Toniolo (Italie), le duc d’Ursel et Georges Helleputte (Belgique).
   Dans les conclusions du congrès de la Ligue démocratique belge (25-26-9-1892), on peut lire : « Attendu que le travail est un facteur indispensable dans l’industrie, dont il porte, pour une large part, les risques et les périls, il est équitable d’accorder au travailleur, en surplus d’un juste salaire, une part dans les bénéfices de l’entreprise. (…) La meilleure application du système est celle qui permet à l’ouvrier de devenir un jour copropriétaire de l’entreprise. »(Rapport du congrès, Louvain, 1892, p. 22). La ligue démocratique belge fédéra tous les groupements ouvriers du pays sous l’impulsion de Georges Helleputte (1852-1925) et d’Arthur Verhaegen (1847-1917).
   En 1892 également, A. de Mun revendique « la faculté pour l’ouvrier de participer aux bénéfices et même, par la coopération, à la propriété des entreprises auxquelles il concourt par son travail ». Il précise que ces idées « ne sont autre chose que l’application des principes posés dans l’encyclique sur la condition des ouvriers ».
   Notons, au passage, qu’un socialiste qui refuse la lutte des classes peut être séduit par cette vision.
   En 1846, Victor Hennequin (1816-1854) qui fut influencé par Fourier, écrit : « Accorder aux ouvriers le droit de participer aux bénéfices de l’œuvre à laquelle ils concourent, c’est non seulement faire acte de justice, mais c’est aussi relever leur dignité et provoquer entre eux et les maîtres des sentiments de bienveillance réciproque. Ainsi se préparait cette nouvelle évolution qui doit faire passer le travailleur de l’état de simple manœuvre salarié à la condition de membre sociétaire, comme l’indiquent les lois naturelles et le progrès économique » (in Démocratie pacifique, 15-7-1846. Hennequin, « socialiste utopiste » est l’auteur d’un ouvrage inachevé : Religion, tome 1, E. Dentu, 1854).
   Avant la seconde guerre mondiale, H. De Man écrivait : « Ce qui manque presque totalement à l’ouvrier, c’est une base concrète, à partir de laquelle il pourrait sentir qu’en faisant son travail il accomplit un devoir envers la communauté. La production pour le profit a détruit chez lui ce mobile de production presque autant que chez le capitaliste ; ce dont on se soucie jour après jour, c’est de gagner de l’argent. La conclusion est claire : pour que s’éveille un nouveau sens communautaire, il faut d’abord une communauté nouvelle. Pas d’esprit de corps dans l’entreprise sans communauté d’entreprise ; pas de communauté d’entreprise sans communauté de volonté et d’intérêt ; pas de communauté de volonté, sans droit de co-détermination ; pas de communauté d’intérêt sans droit de co-disposition. » (La joie au travail, Paris, 1930, pp. 183-184, cité in Van GESTEL, op. cit., p. 264).
19. CA 35.
20. Id..
21. QA, 594 in Marmy.
22. Allocution aux travailleurs chrétiens d’Italie, le 11-3-1945.
23. LE 14.
24. Id.. Jean-Paul II dira aussi que l’important est, bien sûr la rémunération due au travailleur « mais aussi qu’on prenne en considération, dans le processus même de production, la possibilité pour lui d’avoir conscience que, même s’il travaille dans une propriété collective, il travaille en même temps « à son compte ». » (LE 15).
25. Van GESTEL, op. cit., p. 258.
26. Rencontre avec les agriculteurs à la coopérative P.A.F (Producteurs agricoles de Faenza), 10-5-1986, in OR, 27-5-1986, pp. 10-11. Ce fut l’occasion, pour le Saint-Père, de rappeler l’histoire ancienne des coopératives dans la région de la Romagne. C’est entre 1890 et 1900 qu’apparurent les Caisses rurales et artisanales pour le « progrès des communautés locales », la « défense des épargnes des familles », le « soutien aux activités d’entreprises, surtout les petites et moyennes ».
27. J.-Y. Calvez, Les silences de la doctrine sociale catholique, Editions de l’Atelier, 1999, p. 82.
28. Dans le Document du Comité de préparation des journées jubilaires, « la propriété de l’entreprise sous forme de coopérative » est de nouveau citée. (DC, 21-5-2000, n° 2226, p. 454).
29. Cf. PP 3 et CV 13.
30. Nous y reviendrons en abordant la question du développement des peuples.
31. CV 38.
32. CV 41.
33. En Belgique, l’actionnariat ouvrier existe. Pour prendre un exemple récent, on peut citer le cas de Belgacom qui est entré à la Bourse et a permis à ses salariés de devenir actionnaires. Toutefois, ces salariés actionnaires ne contrôlent pas l’entreprise dans la mesure où la majorité des parts leur échappent. Par contre, en Espagne, à partir des années 80, se sont constituées des Sociedades laborales où la majorité des actions sont détenues par les travailleurs à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Finlande et dans les sociétés coopératives. Le phénomène des Sociedades laborales (SAL) s’est répandu dans de petites entreprises en difficulté. Dans la mesure où le capital privé rechignait à investir, vu la situation, pour sauver les emplois, les travailleurs ont décidé de reprendre ces entreprises: ils « ont injecté dans le capital social leur prime de licenciement ou leurs allocations de chômage « activées » et capitalisées. » Les SAL ont été aidées par les pouvoirs publics qui leur ont facilité l’accès au crédit avant de leur donner un cadre légal.
   Comment fonctionnent les SAL ?
   « -Le capital est détenu majoritairement par les travailleurs employés sous contrat à durée indéterminée. Ils doivent disposer obligatoirement de 51% des parts.
   -Personne, hormis les pouvoirs publics ou une asbl ne peut détenir plus du tiers des parts.
   -Les SAL ne peuvent employer plus de 15% (entreprises de plus de 25 travailleurs) ou 25% (entreprises de moins de 25 travailleurs) de personnel « non associé » (…).
   -25% des bénéfices sont versés dans un fond de réserve de l’entreprise ; le reste des bénéfices est redistribué aux actionnaires.
   -Lors de son départ (volontaire, à la retraite ou en cas de décès), le travailleur associé (ou son héritier) doit revendre ses parts au prix d’achat (seulement indexé) à un travailleur de la SAL qui n’a pas encore d’actions ou à un travailleur temporaire ou à défaut à la SAL elle-même.
   -L’assemblée générale au minimum annuelle des actionnaires désigne le conseil d’administration qui désigne le directeur. Les décisions sont prises à la majorité. Le principe n’est pas d’un homme une voix, mais « une action, une voix ». Le poids des actionnaires est donc proportionnel à leurs parts. »
   Les SAL ont remporté un grand succès : 17.000 entreprises (105.000 personnes) en 2004. Elles créent de l’emploi, se diversifient, se regroupent en fédérations régionales regroupées elles-mêmes dans une fédération nationale qui leur apporte juridique. Les SAL sont aussi aidées politiquement et techniquement par les syndicats.
   La question s’est posée de savoir si ce modèle était transposable en Belgique et dans le reste de l’Europe. Cette question est l’objet du programme mis en œuvre en partenariat avec la CONFESAL (Confédération espagnole des SAL) et la FEAS (Fédération européenne d’actionnariat salarié). Ce projet a débuté avec l’organisation d’une Conférence au Parlement fédéral belge le 21-3-2003.
   Il est intéressant de constater qu’en Belgique, les SAL ont suscité l’intérêt de tous les partis et de l’industrie à l’instar de ce qui s’est passé en Espagne où les SAL ont été soutenues tant par le gouvernement Gonzalez (socialiste) que par le gouvernement Aznar (centre-droit).
   Pour obtenir davantage de renseignements, les textes officiels, des témoignages, on peut visiter les sites www.sociedades-laborales.netou www.actionnariat.salarie.be.
   On trouvera aussi sur ces sites de la documentation sur une pratique américaine, plus précisément en Ohio où l’Ohio Employee Ownership Center, attaché depuis 1987 à la Kent State University, accompagne le transfert d’entreprises aux salariés (buyouts), que ce soit dans les cas de successions ou dans les cas de reprises d’entreprises en difficultés.
34. Beaucoup citent Proudhon et son coopératisme ou évoquent cette citation de Jaurès : « En démontrant que les ouvriers peuvent s’organiser eux-mêmes, se discipliner eux-mêmes, elle accoutume les esprits à l’idée d’un affranchissement général des salariés et d’une organisation nouvelle » (Cité sur membres.lycos.fr/pac).
35. On évoque les soviets de Kronstadt, Petrograd, Yartchouk, en 1917, détruits par les bolcheviks.
36. A propos du Congrès doctrinal du PSB, en 1974, Guy Spitaels, alors sénateur socialiste, écrivait : « Il y a eu des divergences qu’il ne faut pas cacher, par exemple sur le problème de l’autogestion » (In Le peuple, 21-11-1974). En France, on constata une opposition, à ce point de vue, entre le PSU de Michel Rocard, d’une part et le PS et le PCF, d’autre part : « L’apport fondamental du PSU à la pensée socialiste française, c’est l’établissement d’un schéma précis d’une France autogestionnaire. Le Programme commun signé par le PS et le PCF, présente, en effet, aux yeux de M. Rocard, de trop grands dangers de « dégénérescence bureaucratique ». »(In Le Peuple, 14-11-1974). Michel Rocard avait publié une brochure intitulée L’Autogestion, collection Eglantine.
37. E. Glinne, in Le Peuple, 20 novembre 1974.
38. Cf. J.-Fr. Revel, in L’Express, 12-18 janvier 1976, pp. 33-34.
39. Roger Ramackers, in Le Peuple, 8-11-1974.
40. La Suède a fait rêver également. Mais la Suède est un cas particulier et inexportable dans la mesure où l’histoire et la géographie ont développé une vie associative très forte et un sens aigu de l’intérêt général au sein d’une économie mixte (capitaliste et socialiste). (Cf. HUNTFORD Roland, Le nouveau totalitarisme, Le « paradis » suédois, Fayard, 1975 ; ARNAULT J., Une société mixte, Seghers, 1971 ; De FARAMOND G., La Suède et la qualité de la vie, Le Centurion, 1975).
41. Par la Loi sur la gestion des entreprises et des associations économiques supérieures par les collectivités de travail, 27-6-1950.
42. VAUTE Paul, Tito et la Yougoslavie socialiste, Réalités belges, 1980, p. 65.
43. Id., pp. 65-66.
44. Du POB au PSB, PAC, 1974, p. 282.
45. Du POB au PSB, PAC, 1974, p. 104.
46. Le CERES par lui-même, un Dessein socialiste pour la France, Ed. Christian Bourgois, 1978, p. 134. Le CERES, Centre d’études, de recherches et d’éducation socialistes, a été fondé en 1966, notamment par J.-P. Chevènement. Celui-ci et M. Rocard étaient considérés comme les deux grands penseurs du Parti socialiste (Le Quotidien, 26-10-1981).
47. Id., p. 137.
48. CHARZAT M., CHEVENEMENT J.-P. et TOUTAIN G., Le CERES, un Combat pour le socialisme, 2e édition, 1977, Calmann-Lévy, p. 186.
49. Id., p. 188.
50. MALEWSKI Jan, Solidarnosc, Révolution écrasée ; in Nowy Robotnik, n° 18, 15-8-2005, disponible sur www.lcr-rouge.org et www.sap-pos.org.
51. P. Vaute (op. cit., p. 66) explique qu’ « appliquée à l’entreprise ou à la commune, l’autogestion fait retour à la zadruga, cette coopérative familiale patriarcale typique des peuples balkaniques. La commune auto-administrée se fonde sur le « droit usuel et moral humaniste séculaire », proclame un officiel yougoslave (STOJKOVIC Andrija, L’humanisme et l’autogestion, in Le socialisme dans la théorie et la pratique yougoslaves, Recueil de conférences, 3, Beograd, 1971, pp. 75-107). Et de citer les anciennes communes paysannes russes ou les communautés auto-administrées en Suisse. Tito y songeait-il déjà, quand il déclarait en 1946 (…) : « Nous ne collectiviserons jamais. Nos agriculteurs ont un système coopératif » ? (SULZBERGER C.L., Dans le tourbillon de l’histoire, Mémoires, Paris 1971, p. 534). »
52. Dirigé par le P. Anton Korosec (1872-1940) qui « fut sans doute l’un des plus grands politiciens du siècle » (VAUTE P., op. cit., p. 67). Il fut l’artisan de l’union des territoires slovènes, croates et serbes de l’Empire austro-hongrois en un État fédéral. Il fut aussi président du Conseil national de ces peuples. Il s’opposa à la dictature monarchique et centralisatrice du roi Alexandre Ier. Après l’assassinat du roi, en 1934, il fut membre du cabinet qui réalisa l’accord avec le parti paysan croate très attaché à son autonomie.(Larousse et Mourre).
53. VAUTE P., op. cit., pp. 66-67.
54. Lettre pastorale du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), in DC, 20-1-2002, n° 2262, p. 78.
55. CA 16.
56. Conseil pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine sociale de l’Église (CDSE), Libreria editrice vaticana, 2005, n° 293.
57. Cf. Calenda, 13-11-2000 sur calenda.revues.org.
58. DRACHKOVITCH Milorad M., Lettre ouverte à MM. Paul-Henry Spaak et Max Buset, Bruges, 1952, p. 4, cité in VAUTE P., op. cit., p. 74.
59. Cf. VAUTE P., op. cit., pp. 73-78.
60. FEJTÖ François, Histoire des démocraties populaires, 2, Après Staline, Seuil, 1969, p. 240.
61. Fr. Fejtö cite des analyses où l’on dénonce « l’inspiration manchesterienne » ou « une férocité paléocapitaliste inconnue ailleurs ». (Op. cit., pp. 231 et 240).
62. LENDVAI Paul, L’Europe des Balkans après Staline, Entre nationalisme et communisme, Fayard, 1972, pp. 66 et 144, cité in VAUTE P., op. cit., pp. 70-71. P. Lendvai, autrichien né en 1929 à Budapest, est un analyste politique reconnu internationalement. Il a participé au Forum économique mondial à Davos et Salzbourg et est titulaire de nombreux prix et distinctions.
63. Souvenirs, Ed. E. Grankshaw, 1971, pp. 365-366, cité in VAUTE P., op. cit., p. 70.
64. In Itinéraires, septembre-octobre 1981, p. 118, cité in Le socialisme « à la française », Action familiale et scolaire, sd, p. 25.
65. « La décentralisation de la production, qui assigne aux petites entreprises de multiples tâches, précédemment concentrées dans les grandes unités de production, renforce les petites et moyennes entreprises et leur imprime un nouvel élan. A côté de l’artisanat traditionnel, on voit ainsi émerger de nouvelles entreprises caractérisées par de petites unités de production dans les secteurs modernes ou dans des activités décentralisées par rapport aux grandes entreprises. De nombreuses activités qui, hier, exigeaient un travail salarié sont réalisées aujourd’hui sous de nouvelles formes qui favorisent le travail indépendant et se caractérisent par un élément plus important de risque et de responsabilité.
   Le travail dans les petites et moyennes entreprises, le travail artisanal et le travail indépendant peuvent constituer une occasion de rendre la vie de travail plus humaine, à la fois grâce à la possibilité d’établir des relations interpersonnelles positives dans des communautés de petites dimensions et aux opportunités offertes par un plus grand esprit d’initiative et d’entreprise (…). » (CDSE 315).
   « Un exemple très important et significatif (de coopération) est donné par l’activité en rapport avec les coopératives, les petites et moyennes entreprises, les entreprises artisanales et les exploitations agricoles à dimension familiale. La doctrine sociale a souligné la contribution qu’elles offrent à la mise en valeur du travail, à la croissance du sens de responsabilité personnelle et sociale, à la vie démocratique, aux valeurs humaines utiles au progrès du marché et de la société. » (CDSE 339).
66. Les Églises face à l’entreprise, Cent ans de pensée sociale, réflexions et documents réunis pour l’UNIAPAC par LAURENT Philippe sj et JAHAN Emmanuel, Centurion, pp. 234-261.
67. Id., p. 233.
68. J.-P. Audoyer signale qu’en France, « les syndicalistes (CGT et CGT-FO) (…) dénoncèrent toujours la participation directe comme une forme de collaboration de classe et sa mise en œuvre dans les années 80, comme le triomphe de nouvelles stratégies patronales manipulatoires (…) ». (Op. cit., p. 88).
69. Lors de la Conférence organisée au Parlement fédéral, le 21-3-2003 sur les Sociedades laborales, un participant cita «  l’exemple des années 1970 dans l’industrie textile du Tournaisis où l’on proposait aux travailleurs le rachat de leur entreprise en faillite pour 1 franc symbolique tandis que leurs indemnités étaient transformées en actions. Les travailleurs ont renoncé à leurs droits pour maintenir un équilibre précaire et artificiel. » (Cf. www.actionnariat-salarie.be).
70. Dans sa bibliographie très spécialisée, Ph. de Woot cite MM et PT.
71. Op. cit., p. 215. Notons que l’auteur met d’abord en évidence ce qu’il appelle « la participation ou intégration objective » qui se diffuse avec les progrès de l’automation. Elle se fait au niveau de la formation professionnelle réclamée par une technologie de plus en plus spécialisée ; au niveau des salaires déterminé pour chaque travailleur par la situation économique de l’entreprise ; au niveau de la sécurité de l’emploi réclamée par les syndicats et souhaitée par les directions qui doivent assurer la formation de leur main-d’œuvre qui doit s’adapter aux progrès de l’automation ; au niveau du travail lui-même, enfin, dans la mesure où « l’automation détruit l’émiettement du travail et reconstitue, au niveau de l’équipe, ou de l’ensemble de l’entreprise, une vision synthétique des opérations. »(Op. cit., pp. 208-209).
72. Cette participation fonctionnelle découle de plusieurs facteurs:
   « -l’assouplissement des structures d’organisation ; la diffusion des responsabilités par une délégation poussée des pouvoirs ; l’élargissement et la rotation des rôles (…) en vue d’en augmenter l’intérêt et la variété ;
   -le style de commandement centré sur l’homme et sur le groupe autant que sur la tâche ; parmi les méthodes permettant de se centrer sur l’homme, on peut citer notamment l’interview, l’appréciation du mérite, les plans de carrière…​ ;
   -le travail de groupe, la décision de groupe, les structures de groupe chaque fois que la tâche les rend possibles ;
   -une information très poussée des membres de l’entreprise et l’établissement de systèmes de communications multilatérales et aussi libres que possible ;
   -l’adoption et la généralisation des outils de gestion modernes ; ceux-ci permettent d’augmenter la compétence des individus, de diffuser les responsabilités et d’établir les relations d’autorité sur des bases objectives ;
   -la formation continue des cadres et du personnel ; celle-ci ne concerne pas seulement les problèmes fonctionnels mais les problèmes humains, le travail des groupes et leur conduite. » (Op. cit., p. 210).
73. Id., p. 216.
74. Pour que les travailleurs s’identifient à l’entreprise, « intériorisent » sa fonction, fassent leurs ses objectifs, liberté et contrôle doivent se conjuguer : « Pour les psychologues, il est nécessaire que l’organisation permette à l’individu de définir ses buts immédiats et de choisir les moyens adéquats pour les atteindre ; qu’elle lui permette de relier ses buts à ceux de l’entreprise, d’évaluer son efficacité dans ce cadre élargi et de manifester librement son dynamisme.
   De plus, les psychologues suggèrent qu’une véritable « intériorisation » par l’individu des buts de l’organisation elle-même, suppose une participation aux décisions et une participation aux résultats. (…) Les recherches en sociologie vont dans le même sens. » (Id., pp. 212-213).
75. Op. cit., pp. 215-216. L’auteur ajoute et nous y reviendrons, que la créativité est tributaire aussi de la concertation : de l’organisation professionnelle, du dialogue social et d’une politique industrielle. ( Id., pp. 217-241).
76. Voici comment Ph. de Woot décrit la maturité du travailleur: « l’individu arrivé à maturité est capable de se consacrer à la tâche pour elle-même. Il se réalise à travers l’œuvre à accomplir. Celle-ci devient une fin poursuivie pour elle-même et non pour satisfaire un besoin particulier de l’individu comme la sécurité, le prestige ou la puissance.
   Dans cette optique, l’individu mûr perçoit la réalité comme elle est ; il accepte les autres et lui-même pour ce qu’ils sont ; il est capable de s’adapter à l’évolution des situations ; il parvient à s’identifier à l’œuvre et, par là, il supprime la divergence entre l’organisation et l’individu. » (Op. cit., pp. 127-128).
77. LE 15. Les travailleurs doivent s’efforcer « d’obtenir le plein respect de leur dignité et une participation plus large à la vie de l’entreprise, de manière que, tout en travaillant avec d’autres et sous la direction d’autres personnes, ils puissent en un sens travailler « à leur compte », en exerçant leur intelligence et leur liberté. » (CA 43).
78. Beaucoup de chercheurs « soulignent l’attitude ambigüe de l’individu à l’égard de la participation. d’une part, il aspire à diminuer les aliénations dont il souffre ; d’autre part, il adopte un comportement réservé, sinon hostile, à l’égard de la participation.
   Celle-ci en effet implique un effort, un dynamisme, des risques qui n’existent pas dans un système bureaucratique rigide. La participation ne va pas de soi ; elle ne se fera pas sans contrepartie substantielle ». (WOOT Ph. de, op. cit., p. 213).
79. AUDOYER J.-P., op. cit., p. 113. On trouvera un résumé du livre de J.-P. Audoyer sur biblio.domuni.org: PRADINES Ph., Management, La subisdiarité, Organisation de l’entreprise et enseignement de l’Église, sur. https://www.domuni.eu/media/kit_upload/PDF/fr/resources/Subsidiarite-Pradines.pdf
80. Il y eut des précurseurs, nous l’avons vu. J.-P. Audoyer cite Hyacinthe Dubreuil (1883-1971). Ce serrurier, Compagnon du devoir, militant de la CGT (1900), fut secrétaire général du syndicat des ouvriers mécaniciens de la Seine (1914). Il partit travailler chez Ford, à Détroit et, de cette expérience, il tira une critique du taylorisme et proposa de réorganiser le travail par la création d’unités décentralisées, la participation aux bénéfices, la désignation par chaque groupe autonome de son chef, etc.. Il développera ses idées dans de nombreux livres dont les premiers sont restés célèbres : Standards, Grasset, 1929 ; Nouveaux Standards, Grasset, 1931 ; La chevalerie du travail, chez Grasset également.
81. Id., p. 114.
82. La « business ethics », très en vogue à partir des années 1990, aux États-Unis d’abord, « renvoie davantage à l’efficacité qu’au bien agir » et apparaît surtout comme un alibi en détournant le sens du mot « éthique » pour garantir plus d’efficacité par le biais de la motivation et de l’adhésion du personnel. « L’éthique d’entreprise se présente la plupart du temps sous l’aspect d’un code de bonne conduite ou d’une charte. Mais, contrairement à la réalité, ces textes n’ont jamais pour vocation explicite de « mobiliser » le personnel, de se protéger des agissements non conformes des salariés oui d’améliorer l’image de l’entreprise. Ils veulent aussi suggérer aux salariés des comportements moraux. Ils cherchent à discipliner leurs instincts et leurs passions.
   Derrière les codes et autres chartes, nous voyons donc resurgir les morales de l’obligation d’autrefois (…) ». (Id., pp. 108-109).
   Comme l’écrivait un caricaturiste ; « L’éthique a une place importante dans notre entreprise…​ Elle nous a d’ailleurs permis de gagner 4% de parts de marché ! ».
83. « Le concept de projet implique (…) qu’il soit d’abord l’œuvre de l’entreprise pour devenir projet d’entreprise. (…) Les déceptions remarquées ici et là après la mise en place d’un projet d’entreprise résultent pour l’essentiel de cette erreur initiale.
   La démarche « projet d’entreprise » doit se concevoir comme un acte d’intercompréhension, un acte de communication, compris et conçu dans le sens de « rendre humain » ; ceci exclut (…) l’action stratégique (c’est-à-dire orientée vers le succès) et la négociation (comme compromis entre intérêts particuliers). (…)
   Si mis en œuvre, il devient un « agir communicationnel » destiné à faire participer l’ensemble des membres de la communauté-entreprise à la définition du bien commun, il est alors en tout point compatible avec les principes de la morale sociale chrétienne ». (AUDOYER J.-P., op. cit., pp. 105-106 et 108).
84. Ce qui est visé ici ce n’est pas la « saine culture d’entreprise » souhaitée par Jean-Paul II et qui, pour lui est liée à une « culture de l’initiative », à une « culture du travail » et à une « culture de la solidarité » (Discours aux représentants du monde des entreprises, Agrigente, 9-5-1993, OR 1-6-1993, p. 4). Ce qui est visé, c’est la « culture d’entreprise » telle qu’elle a été conçu par William G. Ouchi, à partir du modèle japonais, dans son livre Théorie Z, InterEditions, 1981. La culture d’entreprise, selon Ouchi, est « un levier supplémentaire pour l’action. L’entreprise est amenée à proposer un système de croyances et de valeurs, une morale de l’action propre à entraîner l’adhésion des salariés. Travailler dans une entreprise implique alors l’adhésion à tout un système de valeurs, à une philosophie (…) ». Dans la pensée de l’Église, « l’unité est (…) davantage à réaliser dans le respect des différences que dans la recherche d’un unanimisme réducteur. » (AUDOYER J.-P., op. cit., pp. 186-187).
85. Ensemble d’activités visant au renforcement ou à l’amélioration de l’esprit d’équipe. Des sociétés spécialisées proposent des événements que les entreprises rendent plus ou moins obligatoires : navigation d’entreprise, parcours-aventure, fitness, improvisation théâtrale, cuisine, musique, etc..
86. Op. cit., pp. 117-178.
87. Id., pp. 138-139.
88. « Il n’est plus ni le meilleur exécutant ni le meilleur expert. il est celui qui clarifie les objectifs à atteindre, les priorités à respecter, les interdictions à ne pas transgresser, les erreurs à ne pas répéter. Il est le gardien des finalités, celui qui négocie les compromis entre progrès technique et rentabilité, qualité de vie des salariés et respect des délais, entre le souhaitable et le possible, entre la pression d’objectifs descendant du haut et celle des moyens demandés par la base ». Il est « un communicateur, un négociateur, un pédagogue, un anticipateur ». (Id., p. 135). « Le rôle du chef sera désormais d’éduquer, au terme de la mission, le collaborateur. Il analysera avec lui ses résultats, il valorisera ses réussites, corrigera ses erreurs en apportant des éléments tirés de sa propre expérience. Cet accompagnement sera d’autant plus pertinent que le chef aura délégué de préférence ce qu’il sait bien faire lui-même et ce qu’il aime faire, car ce sont les domaines où il saura le mieux conseiller et contrôler. Le chef déterminera la durée et le champ d’autonomie en fonction de la sécurité psychologique du subordonné et de sa compétence professionnelle. C’est la prudence du chef qui en fixera les limites et celles-ci ne sont jamais définitives mais doivent évoluer en fonction du développement de la personnalité du collaborateur. Le passage de la directivité à la délégation oblige donc à une évaluation régulière du subordonné. Le rôle du chef délégant apparaît ainsi comme essentiellement éducatif et il le restera tout au long du passage au management délégataire, se faisant tantôt plus directif, tantôt plus persuasif. Toutefois il ne devra jamais être laxiste en pratiquant le contrôle et faible e’n sanctionnant les manquements le cas échéant. » (Id., p. 143). Jean-Paul II disait à des entrepreneurs : la « vocation à l’initiative se révèle être (…) un appel au service. Placée dans le cadre d’une dynamique d’amour, elle aide celui qui a le don de l’interdépendance et la responsabilité d’un rôle de guide, à comprendre qu’il doit prendre en charge ses frères. » (Discours aux représentants du monde des entreprises, Agrigente, 9-5-1993, OR 1-6-1993, p. 4).
89. Id., p. 141.
90. Dans le sens habituel du mot « leader » car nous verrons, dans la dernière partie, qu’un bon leader est un coach !
91. Id., p. 153.
92. Id., p. 133.
93. La solidarité ne se limite pas aux relations patron-employé ; rappelons la solidarité de tous les acteurs d’une entreprise en difficulté pour sauver l’emploi, par exemple, la solidarité professionnelle, la solidarité syndicale traditionnellement dans la revendication mais aussi et surtout parce que le syndicat peut et devrait, de plus en plus, aider les travailleurs « à participer d’une façon pleinement humaine à la vie de l’entreprise » (CA 15).
94. Cf. Paul VI : « toute activité particulière doit se replacer dans cette société élargie et prend, par là même, la dimension du bien commun ». (OA 24).

⁢e. Responsabilité des consommateurs

On a trop souvent oublié, dans la vie économique, un troisième acteur: le consommateur. Son rôle peut être très important aujourd’hui : « les consommateurs, qui disposent très souvent de vastes marges de pouvoir d’achat, bien au-delà du seuil de subsistance, peuvent beaucoup influer sur la réalité économique par leurs libres choix entre consommation et épargne. (…) Aujourd’hui plus que par le passé, il est possible d’évaluer les options disponibles non seulement sur la base du rendement prévu ou de leur degré de risque, mais aussi en exprimant un jugement de valeur sur les projets d’investissement que ces ressources iront financer (…). »⁠[1] Les consommateurs ont « la possibilité d’orienter, grâce à une plus grande circulation des informations, grâce à une plus grande circulation des informations, le comportement des producteurs, à travers la décision - individuelle ou collective[2] - de préférer les produits de certaines entreprises à d’autres, en tenant compte non seulement des prix et de la qualité des produits, mais aussi de l’existence de conditions de travail correctes dans les entreprises, ainsi que du degré de protection assuré au milieu naturel environnant. »[3]

Il reviendra à Jean-Paul de soutenir l’idée et de dénoncer « les excès de la société de consommation »[4] qui se sont manifestés à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Mais Jean-Paul II reprendra et adaptera aux nouveautés du temps des principes simples mais fondamentaux que l’Église ne cesse de rappeler depuis Léon XIII dans sa morale sociale.

Le but de l’économie est de répondre à des besoins. L’homme, avons-nous dit, est né pauvre, démuni, il a besoin pour croître d’un certain nombre de biens divers. Mais comme sa vocation ultime est surnaturelle, les biens surnaturels doivent l’emporter et il doit user des choses du monde autant qu’elles lui sont nécessaires mais pas davantage suivant l’heureux principe et fondement de saint Ignace. L’économie, au service de l’homme et de son développement doit tenir compte de cette hiérarchie, de cette éthique qui doit guider chacun d’entre nous qu’il soit entrepreneur ou client.

Cette philosophie est bien présente dans Rerum novarum : « Nul ne saurait avoir une intelligence vraie de la vie mortelle, ni l’estimer à sa juste valeur, s’il ne s’élève jusqu’à la considération de cette autre vie qui est immortelle. Celle-ci supprimée, toute espèce et toute vraie notion de bien disparaît. »[5] « La vraie dignité de l’homme et son excellence résident dans ses mœurs, c’est-à-dire dans sa vertu ; la vertu est le patrimoine commun des mortels, à la portée de tous, des petits et des grands, des pauvres et des riches ; seuls la vertu et les mérites, partout où on les rencontre, obtiendront la récompense de l’éternelle béatitude ».⁠[6] C’est pourquoi la vie du travailleur-consommateur est présentée, par Léon XIII, sans opulence : « L’ouvrier qui percevra un salaire assez fort pour parer aisément à ses besoins et à ceux de sa famille, s’appliquera, s’il est sage, à être économe. Suivant le conseil que semble lui donner la nature elle-même, il visera, par de prudentes épargnes, à se ménager un petit superflu qui lui permette de parvenir un jour à l’acquisition d’un modeste patrimoine. »[7] On remarquera l’appel à la sagesse, à l’économie, et les adjectifs « petit » et « modeste ». Dans la poursuite des biens essentiels à la vie chrétienne, sobriété, tempérance, modération, détachement, etc., nous permettent de nous attacher à ce qui en vaut vraiment la peine et ne pas nous laisser détourner de notre véritable vocation.⁠[8]

« La loi naturelle, dira Pie XI, c’est-à-dire la volonté divine manifestée par elle, exige que les ressources de la nature soient mises au service des besoins humains d’une manière parfaitement ordonnée (…) »[9] Quand il parle de rétablir l’ordre dans la vie économique, il vise « cet ordre qui place en Dieu le terme premier et suprême de toute activité créée, et n’apprécie les biens de ce monde que comme de simples moyens dont il faut user dans la mesure où ils conduisent à cette fin. » Le Créateur « a placé l’homme sur la terre pour qu’il la travaille et la fasse servir à toutes ses nécessités. Il n’est donc pas interdit à ceux qui produisent d’accroître honnêtement leurs biens ; il est équitable, au contraire, que quiconque rend service à la société et l’enrichit profite, lui aussi, selon sa condition, de l’accroissement des biens communs, pourvu que, dans l’acquisition de la fortune, il respecte la loi de Dieu et les droits du prochain, et que, dans l’usage qu’il en fait, il obéisse aux règles de la foi et de la raison. Si tout le monde, partout et toujours, se conformait à ces règles de conduite, non seulement la production et l’acquisition des biens de ce monde, mais encore leur consommation, aujourd’hui souvent si désordonnée, seraient bientôt ramenées dans les limites de l’équité et d’une juste répartition ; à l’égoïsme sans frein, qui est la honte et le grand péché de notre siècle, la réalité des faits opposerait cette règle à la fois très douce et très forte de la modération chrétienne, qui ordonne à l’homme de chercher avant tout le règne de Dieu et de sa justice, dans la certitude que les biens temporels eux-mêmes lui seront donnés par surcroît en vertu d’une promesse formelle de la libéralité divine. »[10]

Une des erreurs du libéralisme, du socialisme, de toutes les doctrines qui nient Dieu ou le relèguent au fond des consciences, est de ne retenir que les buts matériels : « La déchristianisation de la vie sociale et économique et sa conséquence, l’apostasie des masses laborieuses, résultent des affections désordonnées de l’âme, triste suite du péché originel qui, ayant détruit l’harmonieux équilibre des facultés, dispose les hommes à l’entraînement facile des passions mauvaises et les incite violemment à mettre les biens périssables de ce monde au-dessus des biens durables de l’ordre surnaturel. De là cette soif insatiable des richesses et des biens temporels qui, de tout temps sans doute, a poussé l’homme à violer la loi de Dieu et à fouler aux pieds les droits du prochain, mais qui, dans le régime économique moderne, expose la fragilité humaine à tomber beaucoup plus fréquemment. »[11]

Loin de ces égarements, dans une perspective chrétienne mais aussi de sagesse humaine, « …​il importe à l’intérêt commun que les travailleurs et employés puissent, une fois couvertes les dépenses indispensables, mettre en réserve une partie de leurs salaires afin de se constituer ainsi une modeste fortune. »[12] Les biens produits « doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d’une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d’aisance et de culture, qui, pourvu qu’on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l’exercice. »[13]

A de nombreuses reprises, Pie XII développera cette « philosophie » : la production doit répondre aux besoins de l’homme mais des besoins ordonnés. Si « la fin de l’organisme économique et social, à laquelle il faut ici se référer, est de procurer à ses membres et à leurs familles tous les biens que les ressources de la nature et de l’industrie, ainsi qu’une organisation sociale de la vie économique ont le moyen de procurer », on doit, en même temps, dénoncer « l’accroissement intolérable des dépenses superflues et déraisonnables » parce qu’elles « contrastent durement avec la misère du plus grand nombre ». Il faut tendre « à une plus juste distribution de la richesse »[14], éviter la « consommation sans frein, cancer de l’économie sociale d’aujourd’hui », et faire « passer le nécessaire avant ce qui est seulement utile et agréable »[15]

De plus, « Celui qui veut porter secours aux besoins des individus et des peuples, ne peut attendre le salut d’un système impersonnel d’hommes et de choses, même fortement développé sous l’aspect technique. Tout plan ou programme doit s’inspirer du principe que l’homme comme sujet, gardien et promoteur des valeurs humaines est au-dessus des choses et au-dessus des applications du progrès technique et qu’il faut avant tout préserver d’une « dépersonnalisation » malsaines les formes fondamentales de l’ordre social (…) et les utiliser pour créer et développer les relations humaines. Quand les forces sociales seront ordonnées à ce but, non seulement elles s’acquitteront de leur fonction naturelle, mais elles apporteront une contribution importante au soulagement des nécessités présentes parce que la mission leur appartient de promouvoir la pleine solidarité réciproque des hommes et des peuples. » En effet, « la fin de l’économie publique », c’est d’« assurer la satisfaction permanente des besoins en biens et services matériels, ordonnés à leur tour à l’élévation du niveau moral, culturel et religieux. »[16]

Certains prétendent que « l’économie (…) a ses lois et (que) l’homme doit tenir compte uniquement de celles-ci dans l’exercice de ses activités économiques, sans d’autres limites que celles imposées par le calcul utilitaire. Mais si la construction fictive de l’homo oeconomicus peut être possible dans un domaine abstrait, elle ne l’est plus quand on descend sur le terrain pratique ; et les douloureuses expériences de ces dernières décades ont démontré avec éloquence combien il était dangereux, même dans le domaine économique, de subordonner l’honnête à l’utile, et combien il était illusoire de croire que la satisfaction des impératifs économiques suffit à apaiser et à remplacer les exigences de l’esprit, qui réclame sa supériorité sur la matière. (…)

Avant tout, il faut que l’économie soit organisée de manière à répondre toujours mieux à son but final, qui est de satisfaire les besoins de l’homme ; c’est-à-dire (…) « qu’elle doit mettre de manière stable à la portée de tous les membres de la société les conditions matérielles réclamées pour le développement de leur vie culturelle et spirituelle »[17]. En effet, dans une société bien ordonnée doit se trouver, comme l’affirme justement le Docteur angélique[18], corporalium bonorum sufficientia, quorum usus est necessarius ad actum virtutis. »[19]

L’idée des Souverains Pontifes n’est donc pas de prêcher en faveur d’une économie de disette confinée dans la satisfaction des besoins les plus élémentaires et les plus immédiats mais de préserver, dans toute expansion économique, les valeurs humaines les plus hautes.

Le concile Vatican II est bien conscient que « le progrès dans les modes de production et dans l’organisation des échanges de biens et de services a fait de l’économie un instrument apte à mieux satisfaire les besoins accrus de la famille humaine ».⁠[20] Un peu plus loin, le texte présentera la production comme réponse aux « aspirations plus vastes du genre humain » : « Aujourd’hui plus que jamais, pour faire face à l’accroissement de la population et pour répondre aux aspirations plus vastes du genre humain, on s’efforce à bon droit d’élever le niveau de la production agricole et industrielle, ainsi que le volume des services offerts. C’est pourquoi il faut encourager le progrès technique, l’esprit d’innovation, la création et l’extension d’entreprises, l’adaptation des méthodes, les efforts soutenus de tous ceux qui participent à la production, en un mot tout ce qui peut contribuer à cet essor. »[21]

Les besoins changent et s’accroissent au fil de l’histoire humaine et Gaudium et spes semble même indiquer un saut qualitatif en ne parlant plus seulement de besoins mais d’aspirations. Serait-ce de simples synonymes, interchangeables ?

Paul VI définit ainsi les « aspirations des hommes » : « Etre affranchis de la misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un emploi stable ; participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression, à l’abri de situations qui offensent leur dignité d’hommes, être plus instruits ; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus : telle est l’aspiration des hommes d’aujourd’hui, alors qu’un grand nombre d’entre eux sont condamnés à vivre dans des conditions qui rendent illusoire ce désir légitime. »[22]

Commentant ce paragraphe, J.-Y Calvez fait remarquer que l’ »aspiration » dans le texte de Paul VI comporte d’abord des besoins élémentaires, puis des « requêtes qui ont trait à la dignité ». Pour lui, cette formulation indique « une continuité des uns aux autres »[23] et la nécessité de prêter attention à toutes les dimensions de la personne. C’est d’ailleurs, pour cette raison, que nous avons vu l’Église réclamer, après le juste salaire, la participation toujours plus large des travailleurs à la vie de l’entreprise. La production des biens ne se fait pas n’importe comment. Il ne suffit pas de satisfaire, même parfaitement, les besoins, encore faut-il que les moyens soient adaptés à la fin. Si la production est pour les hommes, elle se fait par les hommes⁠[24] : le but de la vie économique « c’est de mettre d’une façon stable, à la portée de tous les membres de la société, les conditions matérielles requises pour le développement de leur vie culturelle et spirituelle. (…) La vie économique, vie sociale, est une vie d’hommes, et par conséquent, elle ne peut se concevoir sans liberté. (…) La vraie et saine liberté ne peut être que la liberté d’hommes qui, se sentant solidairement liés en vue du but objectif de l’économie sociale, sont en droit d’exiger que l’ordre social de l’économie loin de porter la moindre atteinte à leur liberté dans le choix des moyens adaptés à ce but, la garantisse et la protège. Ceci vaut également pour tout genre de travail, indépendant ou dépendant, car, en regard de la fin de l’économie sociale, tout membre producteur est sujet et non pas objet de l’économie sociale. »[25]

La vie économique est donc ordonnée aux besoins intégraux des hommes qu’elle sert ou qu’elle emploie respectueusement, comme elle est aussi, rappelons-le, ordonnée à la nature qu’elle utilise et transforme respectueusement. « Le but fondamental de la production n’est pas la seule multiplication des biens produits, ni le profit, ni la puissance ; c’est le service de l’homme : de l’homme tout entier, selon la hiérarchie de ses besoins matériels comme des exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse ; de tout homme (…), de tout groupe d’hommes, sans distinction de race ou de continent. »[26].

Pie XII distinguait les besoins « élémentaires », « primordiaux », « réels »[27], « normaux » des « exigences excitées artificiellement »[28], « telles que le désir antichrétien et immodéré du plaisir ». Comme besoins à satisfaire « d’urgence », Pie XII citait: « les aliments, le vêtement, l’habitation, l’éducation des enfants, la saine restauration de l’âme et du corps. »[29] La liste n’est pas exhaustive car, à tel stade de la croissance humaine, tel besoin qui n’était pas primordial ou urgent peut le devenir. Comme l’écrit justement le P. Calvez, « dès que l’homme a échappé aux contraintes les plus immédiates, il est à même de mettre un certain ordre dans la satisfaction de ses besoins. »[30] Ils n’ont pas tous la même importance ni la même urgence pour tous à tout moment. Il n’empêche que certains besoins sont si élémentaires, primordiaux, réels, normaux, qu’on les a considéré comme des droits qui constituent « la règle suprême de la vie économique ».⁠[31]

Un des grands dangers actuels, c’est l’« économisme »⁠[32] que le Concile a analysé en constatant qu’à côté des progrès précieux de la vie économique et sociale, « ...les sujets d’inquiétude ne manquent pas. Beaucoup d’hommes, surtout dans les régions du monde économiquement développées, apparaissent comme dominés par l’économique : presque toute leur existence personnelle et sociale est imbue d’un certain « économisme », et cela aussi bien dans les pays favorables à l’économie collectiviste que dans les autres. A un moment où le développement de l’économie, orienté et coordonné d’une manière rationnelle et humaine, permettrait d’atténuer les inégalités sociales, il conduit trop souvent à leur aggravation et même, ici ou là, à une régression de la condition sociale des faibles et au mépris des pauvres. Alors que des foules immenses manquent encore du strict nécessaire, certains, même dans les régions moins développées, vivent dans l’opulence ou gaspillent sans compter. Le luxe côtoie la misère. Tandis qu’un petit nombre d’hommes disposent d’un très ample pouvoir de décision, beaucoup sont privés de presque toute possibilité d’initiative personnelle et de responsabilité ; souvent même, ils sont placés dans des conditions de vie et de travail indignes de la personne humaine. »[33]

Jean-Paul II dénoncera à nouveau cet « économisme » dans Laborem exercens parce qu’il « comporte, directement ou indirectement, la conviction du primat et de la supériorité de ce qui est matériel, tandis qu’il place, directement ou indirectement, ce qui est spirituel et personnel (l’agir de l’homme, les valeurs morales et similaires) dans une position subordonnée par rapport à la réalité matérielle. »[34]

Dans Centesimus annus[35], le saint Père reviendra sur les liens entre économisme et consommation. « Dans les étapes antérieures du développement, explique Jean-Paul II, l’homme a toujours vécu sous l’emprise de la nécessité. Ses besoins étaient réduits, définis en quelque sorte par les seules structures objectives de sa constitution physique, et l’activité économique était conçue pour les satisfaire ». A l’heure actuelle, « le problème n’est pas seulement de lui offrir une quantité suffisante de biens, mais de répondre à une demande de qualité : qualité des marchandises à produire et à consommer ; qualité des services dont on doit disposer ; qualité du milieu et de la vie en général ». En principe, cette « demande d’une existence plus satisfaisante qualitativement et plus riche en soi est légitime ». Mais ces besoins nouveaux et les méthodes nouvelles nécessaires pour les satisfaire doivent aussi s’inspirer « d’une image intégrale de l’homme qui respecte toutes les dimensions de son être et subordonne les dimensions physiques et instinctives aux dimensions intérieures et spirituelles. » Autrement dit, « il n’est pas mauvais de vouloir vivre mieux, mais ce qui est mauvais, c’est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l’avoir et non vers l’être, et quand on veut avoir plus, non pour être plus mais pour consommer l’existence avec une jouissance qui est à elle-même sa propre fin.«  Les pays riches ressentent « souvent une sorte d’égarement existentiel, une incapacité à vivre et à profiter justement du sens de la vie, même dans l’abondance des biens matériels, une aliénation et une perte de la propre humanité chez de nombreuses personnes, qui se sentent réduites au rôle d’engrenages dans le mécanisme de la production et de la consommation et ne trouvent pas le moyen d’affirmer leur propre dignité d’hommes, faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. »[36]

Voilà le danger de « la société de consommation ». Danger manifeste dans la consommation de la drogue, de la pornographie⁠[37] et, dit Jean-Paul II, « d’autres formes de consommation, exploitant la fragilité des faibles, cherchent à remplir le vide spirituel qui s’est produit. » Comment dès lors éviter les pièges de la consommation et les égarements de la production, comment éviter l’irruption d’un certain matérialisme dans la vie quotidienne ?

Le système économique n’est pas capable par lui-même de faire le tri entre les vrais besoins et les besoins aliénants : Il ne possède pas « dans on propre cadre des critères qui permettent de distinguer correctement les formes nouvelles et les plus élevées de satisfaction des besoins humains et les besoins nouveaux induits qui empêchent la personnalité de parvenir à sa maturité ». Les causes des dérèglements de la vie économique et sociale ne sont pas tant à chercher « dans le système économique lui-même, mais dans le fait que le système socio-culturel, ignorant la dimension éthique et religieuse, s’est affaibli et se réduit alors à la production des biens et des services. »[38] Il est donc nécessaire et urgent, à la lumière d’une juste conception de l’homme, d’éduquer les consommateurs « à un usage responsable de leur pouvoir de choisir », de former, chez les producteurs et surtout chez les professionnels des moyens de communication sociale, « un sens aigu de leurs responsabilités » et de prévoir l’intervention des pouvoirs publics⁠[39]. « Il est donc nécessaire de s’employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement[40] soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune ». Un mode de vie, ne l’oublions pas, qui soit aussi mesuré par la nécessité de respecter le milieu naturel et le milieu humain: la ville, la famille, le mariage et la vie.⁠[41]

Hélas, aujourd’hui, la publicité s’avère souvent l’adversaire le plus redoutable du mode de vie sage et chrétien. Elle est indispensable et présente bien des avantages sur le plan économique⁠[42] mais elle est source aussi de nombreux préjudices.

Souvent, « ...la publicité est utilisée moins pour informer que pour persuader et pour motiver les gens - convaincre les personnes d’agir d’une certaine manière ; d’acheter certains produits ou de recourir à certains services, de patronner certaines institutions, et d’autres attitudes semblables. C’est en ce domaine que des abus spécifiques peuvent se vérifier. La pratique d’une publicité de choc centrée sur la « marque » commerciale soulève de nombreux problèmes. Souvent il n’y a que quelques différences négligeables entre des produits de genre similaire, vendus par des entreprises commerciales concurrentes. La publicité tente alors de pousser les personnes à se décider sur la base de motivations irrationnelles (« fidélité à un label » ou à une « griffe », prestige du statut social, mode, « sex appeal », etc.) au lieu de présenter les différences qui concernent le prix et la qualité des produits comme des bases de choix rationnel. La publicité peut aussi être, et elle l’est souvent, un instrument au service du « phénomène de la société de consommation » (…). Parfois les publicitaires affirment qu’un des devoirs de leur profession consiste en la « création » de besoins pour des produits et des services - c’est-à-dire de faire en sorte que les personnes ressentent et se laissent guider par un vif désir d’articles ou de services dont ils n’ont pas besoin » et qui peuvent entraîner des habitudes de consommation et des styles de vie illégitimes et malsains à tous points de vue. « Il s’agit là d’un abus grave ainsi que d’un affront à la dignité humaine et au bien commun quand cela se produit dans des sociétés opulentes. Toutefois l’abus est encore plus grave si ces attitudes de consommation et ces options sont diffusées par les medias et par la publicité dans des pays en voie de développement où ils exacerbent les crises socio-économiques et portent atteinte aux pauvres. (…) De même, la tâche des pays qui tentent de mettre sur pied des économies de marché au service des besoins et des intérêts des personnes, après des décennies de systèmes centralisés sous un strict contrôle de l’État, est rendue plus ardue par la publicité qui favorise des attitudes de consommation et des choix qui offensent la dignité humaine et le bien commun. La problème est particulièrement aigu lorsque, comme cela arrive souvent, la dignité et le bien-être des membres les plus pauvres et les plus faibles de la société sont en jeu. » En conclusion, l’Église invite « les professionnels de la publicité, ainsi que tous ceux qui sont engagés dans le processus de commissionnement et de diffusion publicitaires, à en éliminer tous les aspects socialement nuisibles et à adopter des règles éthiques fermes en ce qui concerne la véracité, la dignité humaine et les responsabilités sociales. »[43]

La réforme économique et sociale esquissée dans ses principes réclame l’engagement de tous les acteurs, entrepreneurs, travailleurs, consommateurs et que l’État, nous allons le voir dans le volume suivant, retrouve sa véritable vocation et exerce sans compromissions ses responsabilités. Mais, une fois de plus, cet engagement ne peut naître que d’une conversion personnelle de chacun. On n’est pas spontanément solidaire et tempérant et même si, on a pu constater que la raison et même parfois l’intérêt pouvaient conduire à des réformes intéressantes, la construction d’un nouvel ordre économique et social réclame que la conscience s’ouvre à un appel plus profond. Pour éviter l’anarchie ou la contrainte et que l’acte économique devienne à son tour témoignage ou du moins qu’il permette à chacun de croître et de s’épanouir à l’image de Dieu.


1. CDSE 358.
2. Pensons aux associations de consommateurs.
3. CDSE 359.
4. CA 36.
5. RN, 451 in Marmy.
6. RN, 456 in Marmy.
7. RN, 479 in Marmy.
8. A ce propos, Pie XII rappelant Léon XIII, expliquera que la pratique de la vie chrétienne « contribue par elle-même à la prospérité extérieure (…) parce qu’elle conduit à ces vertus qui préservent l’homme d’une estime excessive des choses de ce monde et qui donnent spécialement à ceux qui jouissent des biens de la fortune, la fermeté dans ce qui a été à juste titre appelé l’« aurea mediocritas » : l’inestimable modération. De la sorte, la juste mesure, la véritable harmonie et l’authentique stabilité favorisent le progrès de la société humaine, progrès conforme à la nature et par conséquent accepté par Dieu. » (Allocution à des ouvriers italiens, 14-5-1953).
9. QA, 556 in Marmy.
10. QA, 607 in Marmy. Cf. Mt 6, 25-34: « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu’eux ? Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Que si Dieu habille de la sorte l’herbe des champs, qui est aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! Ne vous inquiétez donc pas en disant : qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain: demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. »
11. QA, 603 in Marmy.
12. QA, 570 in Marmy.
13. QA, 571 in Marmy.
14. Lettre à M. Charles Flory, président des Semaines sociales de France, 7-7-1952.
15. Allocution aux Dirigeants de Sociétés d’Habitations à bon marché, 21-11-1953.
16. Radiomessage au monde, 24-12-1952.
17. PIE XII, Discours aux membres du Congrès des échanges internationaux, 7-3-1948.
18. De Regimine Principium, I, c 15.
19. Au nom de Pie XII, Lettre de Mgr Dell’Acqua, substitut à la Secrétairerie d’État à l’occasion de la Semaine sociale des catholiques d’Italie, 22-9-1956.
20. GS 63.
21. GS 64.
22. PP 6.
23. L’économie, l’homme, la société, Desclée De brouwer, 1989, p. 77.
24. PIE XII, Lettre à M. Charles Flory, président des Semaines sociales de France, 18-7-1947.
25. Pie XII, Discours aux membres du Congrès des Echanges internationaux, 7-3-1948.
26. GS 64.
27. Allocution aux Membres du Bureau international du travail, 25 mars 1949.
28. Allocution à des ouvriers italiens, 14-5-1953.
29. Discours aux Associations catholiques des travailleurs italiens, 29-6-1948.
30. CALVEZ J.-Y., L’économie, l’homme, la société, op. cit., p. 80. Il explique que l’homme est « un être-de-besoin fondamentalement tourné vers la nature, il ne l’est cependant pas que par des instincts. Même prenant racine dans des instincts, ses besoins sont vite au-delà. En d’autres termes encore, il y a, chez l’homme, conscience de son orientation vers la nature. Conscient du besoin. Il en résulte qu’entre le besoin et sa satisfaction, l’homme intervient par une activité propre, intelligente, un travail (…). Mais il en résulte d’abord que l’homme est capable de comprendre ses besoins mêmes, de les organiser, de les hiérarchiser.
   Il y est même obligé. C’est en effet le propre du besoin de l’homme de n’être pas limité, comme l’est l’appétit instinctif de l’animal. Le besoin de l’homme est universel et s’adresse en un certain sens à la totalité de la nature. L’homme doit donc ordonner ses besoins. »
31. Id., p. 82. Cf PC 12.
32. Sans utiliser le mot, c’est ce processus que Pie XII décrit en faisant remarquer que « plus exclusivement et incessamment se renforce la tendance à la consommation, d’autant plus l’économie cesse d’avoir pour objet l’homme réel et normal, l’homme qui ordonne et mesure les exigences de la vie terrestre à sa fin ultime et à la loi de Dieu. » (Allocution à des ouvriers italiens, 14-5-1953).
33. GS 63 § 3.
34. LE 13.
35. CA 36.
36. JEAN-PAUL II, Discours à l’Audience générale, 1-5-1991, in OR 7-5-1991, p. 4.
37. Rien de puritain dans ce constat qui est très en deçà de la dénonciation d’un Michel Clouscard (Le capitalisme de la séduction, Editions sociales, 1981) ou d’un Jean Baudrillard (La société de consommation, Idées/Gallimard, 1970), sociologues « marxiens », pourrait-on dire. Le premier décrit sans complaisance notre culture de la « frivolité », s’ingéniant à montrer que « l’objet produit à son tour un usage » (p. 18) et que l’acquisition de certains objets motivée au départ par une volonté contestatrice aboutit à un asservissement. Ainsi en est-il notamment pour la drogue et la sexualité. « Le drogué, écrit-il, est l’essence même de la société de consommation. Alors que son image idéologique prétend le contraire. La drogue est le fétiche par excellence de la consommation » (p. 89). Par ailleurs, «  l’idéologie de la consommation fait de la sexualité une consommation parmi d’autres. La psyché se paupérise, se banalise à l’extrême. Après avoir écarté l’imaginaire de l’attente, l’idéologie dévalorise l’acte sexuel en le réduisant à un acte d’usage, à la consommation (du plaisir) » (p. 113). Pour J. Baudrillard, le corps est devenu « le plus bel objet de consommation » (p. 199). Objet désormais de toutes les sollicitudes, le corps est « réapproprié » mais il « ne l’est pas selon les finalités autonomes du sujet, mais selon un principe normatif de jouissance et de rentabilité hédoniste, selon une contrainte d’instrumentalité directement indexée sur le code et les normes d’une société de production et de consommation dirigée » (p. 204).
   Pour ce qui est des autres consommations aliénantes, Clouscard cite le rock, la mode vestimentaire, la moto, la chaîne hi-fi, la guitare électrique, le nikon, et ces lieux de consommation aliénante que sont la « boîte », la bande, le club de vacances ; Baudrillard dénonce le pop, le fun-system, le pop, la mode « néo », le computer, le gadget, le kitsch, l’obsession de la forme, de la minceur, le culte médical, la publicité, etc.. On pourrait, hélas, aujourd’hui, encore allonger la liste et évoquer, par exemple, les jeux video.
38. CA 39. Plus radicalement, Benoît XVI écrira que « l’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain. » De plus, « l’amour de Dieu nous appelle à sortir de ce qui est limité et non définitif ; il nous donne le courage d’agir et de persévérer dans la recherche du bien de tous, même s’il bne se réalise pas immédiatement, même si ce que nous-mêmes, les autorités politiques, ainsi que les acteurs économiques réussissons à faire est toujours inférieur à ce à quoi nous aspirons. » (CV 78).
39. Nous reviendrons sur ce dernier point dans la partie suivante.
40. « Le choix d’investir en un lieu plutôt que dans un autre, dans un secteur de production plutôt qu’en un autre, est toujours un choix moral et culturel. Une fois réunies certaines conditions nécessaires dans les domaines de l’économie et de la stabilité politique, la décision d’investir, c’est-à-dire d’offrir à un peuple l’occasion de mettre en valeur son travail, est conditionnée également par une attitude de sympathie et par la confiance en la Providence qui révèlent la qualité humaine de celui qui prend la décision. » (CA 36).
41. Cf. CA 37 et 38.
42. Nous laissons ici de côté son impact positif ou négatif sur les plans politique, culturel, moral et religieux. Pour une étude plus complète: Conseil pontifical pour les Communications sociales, Ethique et publicité, in DC 16-3-1997, n° 2156, pp. 252-259.
43. Ethique et publicité, op.cit., pp. 254-255. On pourrait évidemment développer longuement les aspects idéologiques ou immoraux de la publicité. Contentons-nous ici d’ajouter cette remarque d’H. Declève : « Si ce genre d’information était simplement un des moyens de relancer le jeu de l’échange, il n’y aurait qu’à s’en louer. Et c’est à quoi les associations de consommateurs s’efforcent de la ramener tant bien que mal. Toutefois le caractère propre de la publicité est la réalisation d’un travers de notre époque que Nietzsche annonçait et qu’il critiquait en le reconnaissant dans le théâtre de Wagner : en notre siècle tout, sans restriction, est devenu ou tend à devenir « spectacle ». Ce que la publicité a de purement théâtral, avec la passivité ludique qu’elle induit chez ceux qu’elles transforme en purs spectateurs, - son grand art consistant à le leur faire oublier - voilà ce qui la rend complice des tendances les moins justifiables à maximiser le profit et à hypnotiser l’homme sur des besoins qui lui masquent le véritable plaisir, la joie de vivre en communion avec autrui. » (Justice sociale et vie sensée, in La justice sociale en question ?, Facultés Saint-Louis, 1985, pp. 251-252). Plus radicalement, M. Richard avait écrit, dans une étude assez complète et accessible, que « ce discours sur l’homme est un discours contre l’homme, un homme réduit à ses pulsions, à ses fantasmes comme à ses besoins. L’effet le plus évident de la publicité consiste à « coller » ainsi en permanence à un corps et à un psychisme artificialisés où le désir perd de sa transcendance et le besoin de sa réalité. Si bien que la publicité contribue et participe de cette chute de la transcendance de l’humain en l’homme. » (Besoins et désirs en société de consommation, Chronique sociale, 1980, p. 110).

⁢f. Conclusion.

[1]

Les mots clés de la pensée de l’Église en ce qui concerne l’entreprise étaient connus d’avance. Les principes d’autorité et de liberté, de subsidiarité et de solidarité, de bien commun, sont des principes valables partout et toujours. Ce serait une grave erreur de les confiner dans l’ordre politique comme si le respect et la croissance de la personne humaine dans ses dimensions individuelles et sociales devaient être laissés à la porte des entreprises.

Tout découle de là. Quelles que soient les solutions pratiques choisies, il est indispensable qu’elles s’articulent autour de ces principes qui doivent être mis en œuvre d’une manière ou d’une autre.⁠[2]

La liberté de la personne a le droit de s’exprimer dans le domaine économique comme dans les autres formes de l’activité humaine mais cette liberté s’accompagne aussi du devoir d’en faire un usage responsable, conforme à la dignité humaine au service du bien commun de la société « grâce à la production de biens et de services utiles ».⁠[3]

Ainsi, l’initiative en matière économique travaille à la prospérité et au progrès des familles et de la communauté.

L’entreprise a aussi une fonction sociale profondément éthique : elle contribue au perfectionnement de tout homme, sans discrimination,

-si elle permet un travail où les capacités personnelles puissent se développer de pair avec une production efficace et raisonnable des biens et des services,

-et si elle rend l’ouvrier conscient de travailler réellement dans un domaine qui lui est propre.

Elle mobilise de nombreuses vertus : l’application, l’ardeur au travail, la ténacité, la prudence face aux risques raisonnables à prendre, la confiance méritée et la fidélité dans les rapports interpersonnels, l’énergie dans l’exécution de décisions difficiles et douloureuses mais nécessaires pour le travail commun de l’entreprise et pour faire face aux éventuels renversements de situation, la confiance en Dieu, le sens de la justice, du sacrifice, de la magnanimité surtout dans les périodes difficiles où l’ouvrier, surtout le pauvre et l’immigré, ne peut être abandonné à son sort.⁠[4] L’entreprise ne s’identifie pas seulement avec les détenteurs du capital. Elle doit certes tenir compte des lois économiques mais elle est fondamentalement une communauté de vie où le développement personnel doit être favorisé de même que les relations humaines. Ce sont des êtres libres et autonomes créés à l’image de Dieu qui s’associent dans une unité de travail. Il faut donc promouvoir, le mieux possible, la participation active de tous à la gestion de l’entreprise, tout en prenant en considération les fonctions des uns et des autres (propriétaires, employeurs, cadres et ouvriers) et en sauvegardant la nécessaire unité de direction⁠[5]. Cette entreprise « communautaire » ou solidaire doit créer entre tous ses membres une interdépendance véritable et efficace, un climat de respect mutuel, d’aide et de soutien réciproques, les conditions nécessaires de justice et d’équité, grâce auxquelles tous peuvent se sentir respectés dans leur dignité et valorisés dans leurs différentes capacités professionnelles respectives. Dans cet esprit, doit être condamné tout fonctionnalisme qui ne juge le travail, la production et les relations entre les êtres que du seul point de vue de l’efficacité et de la compétition économique.

La structure d’une entreprise ne peut manquer d’être soumise, au besoin, à révision, afin qu’elle puisse servir au vrai bien des personnes en faveur desquelles s’exerce son activité.

Comme on le voit, le domaine de l’économie parce qu’elle est par l’homme et pour l’homme, n’échappe pas au regard de la morale : « Le rapport entre morale et économie est nécessaire et intrinsèque : activité économique et comportement moral sont intimement liés l’un à l’autre. La distinction nécessaire entre morale et économie ne comporte pas une séparation entre les deux domaines mais, au contraire, une réciprocité importante. »[6]

Ainsi se trouve confirmée l’intuition des meilleurs experts:

« Les moralistes et les experts en management sont forcément associés. Il se peut que le zèle des uns risque de faire faire aux autres des faux pas. Mais l’exclusion des uns expose les autres à trébucher beaucoup plus gravement. Cela n’est pas nouveau. La première révolution industrielle aurait sans doute mieux réussi su elle avait eu plus d’égards pour les sciences de l’homme. La seconde, que nous vivons, ne peut en tout cas s’en passer. La créativité dépend du bonheur des agents de la production, et ce bonheur dépend lui-même pour beaucoup, des satisfactions données à leur sens de la justice. »

En un mot : « La morale sociale est indivisible et, dès lors qu’on tend à une pensée cohérente, à une philosophie complète, on ne peut négliger, par précaution, aucune de ses parties. »⁠[7]


1. Pour une bonne synthèse sur l’entreprise, on peut lire LE TOURNEAU Ph., La vision chrétienne de l’entreprise, in Exigences chrétiennes et droit de l’entreprise, Actes du VIIe Colloque national des Juristes catholiques, 13-14 décembre 1986,Téqui, 1987, pp. 61-83.
2. Nous étudierons, dans la dernière partie, l’exemple de l’« entreprise libérée ».
3. CDSE 338.
4. L’oppression sociale n’est pas la seule cause de la souffrance au travail, de l’allergie au travail. Le problème n’est pas non plus la monotonie. Les problèmes naissent de l’absence de liberté. Que le travail puisse être librement choisi, qu’il concilie justice et liberté, qu’il s’associe au loisir, qu’il soit utile (pensons à la dépression du pensionné), qu’il réconcilie les acteurs, ouvriers et patrons, qu’il s’exerce dans la loyauté et non sur de simples promesses, avec une bonne volonté effective et non sur des intentions, dans la justice et charité et non par l’aumône. La revalorisation du travail et du travailleur est donc fondamentale. L’intérêt matériel ne doit pas être seul en jeu : le travail doit recéler aussi son intérêt intellectuel, affectif, social. Que le travailleur se sente associé à l’effort commun, qu’il se sente participant à l’entreprise. Voilà comment on pourrait résumer toute l’anthropologie de base.
5. Le rôle de la direction est, bien sûr, déterminant. Si l’enseignement de l’Église se construit à partir de l’anthropologie, il est possible que, dans la fidélité scrupuleuse et désintéressée à la parole de Dieu, un dirigeant en arrive à envisager l’organisation subsidiaire de l’entreprise et trouve toutes les ressources nécessaires à la résolution des inévitables conflits. En témoigne l’expérience d’Alain Setton, in Bible et management, Desclée de Brouwer, 2003. Dans ce livre et notamment pp. 73-104, l’auteur décrit « les sept fonctions psycho-spirituelles du manager », conjuguant injonctions bibliques et découvertes psychologiques. Il arrive à la conclusion que le management instauré sur ces bases, sera participatif. Et ce « management participatif, mis en œuvre et pleinement vécu à la lumière des sept fonctions, témoigne d’une véritable foi en l’homme, et donc en Dieu. Il permet, au-delà de ses revers et de ses tâtonnements, de faire infuser dans les consciences un esprit de responsabilité, de remise en cause, d’innovation, de dialogue, de respect de l’autre. Il offre aux gens la possibilité de se rencontrer, de se découvrir, de contacter en eux-mêmes et chez l’autre leur part d’« essentiel ». A l’instar de « Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33), on constate que la mise en œuvre des sept fonctions apporte « de surcroît » une contribution décisive à la prospérité de l’entreprise » (p 104). De même, psychologie et Bible apportent un éclairage constructif sur la gestion des conflits comme sur l’exercice de l’autorité, à condition d’accepter un travail sur soi et une profonde conversion. Nous verrons dans la dernière partie la proposition d’Alexandre Dianine-Havard pour un « leadership vertueux ».
6. CDSE 331.
7. BLOCH-LAINE Fr., in WOOT Ph. de, op. cit., pp. 25-26.