Il est difficile de définir l’entreprise autogérée. On l’associe souvent
à la coopérative ou à l’actionnariat
ouvrier. Mais l’autogestion, au sens
strict, a eu ses heures de gloire dans les années 70, suite notamment à
la publicité faite autour de l’organisation économique Yougoslave. Elle
avait pourtant des antécédents dans la littérature et dans les faits. Mais c’est la Yougoslavie qui fit rêver certains
socialistes occidentaux entre 1970 et 1980. Ils furent divisés sur le
sujet. Certains estimaient que « l’autogestion ne peut
être retenue que pour les entreprises qui seraient socialisées, car en
régime capitaliste seul le contrôle ouvrier est concevable » d’autres reconnaissaient
même, à la suite d’un certain nombre d’observateurs, « le déclin de
l’autogestion yougoslave » et voulaient renforcer et élargir le mouvement coopératif à
l’instar de la Suède.
Il n’empêche, que l’espace d’une décennie, l’autogestion apparut comme
un idéal à atteindre.
En Yougoslavie, c’est à partir de 1950 que fut décidée l’organisation
autogestionnaire. Dans l’esprit des dirigeants, il s’agissait de se
différencier du modèle soviétique mais aussi d’échapper à la faillite du
système collectiviste qui avait été imposé jusque là. Le maréchal Tito
voulait « donner plus de souplesse et de dynamisme aux entreprises en
les libérant du poids étouffant de la bureaucratie. De là notamment, la
réhabilitation du « profit » : par la participation aux bénéfices et aux
risques, les travailleurs et les cadres ont des motifs
d’efficacité. »
Comment fonctionnait cette autogestion ? « Dans chaque entreprise, les
travailleurs élisent un Conseil ouvrier (au moins quinze membres),
lequel désigne à son tour un Comité de cinq administrateurs ou plus,
dont un directeur. Ce dernier est proposé, après avoir passé un concours
public, par une commission où siègent les représentants de l’entreprise
et de la commune où elle est située. Quand l’affaire est importante, les
« services technologiques » et le Syndicat interviennent également. Ainsi
dirigé et encadré, le Conseil autogestionnaire détermine la production,
les investissements et les prix dans le cadre de la planification de
l’État. »
En Belgique, les socialistes définirent ainsi l’autogestion : « Dans une
entreprise industrielle ou agricole, la gestion est réalisée, soit par
le personnel entier, cadres et travailleurs, soit par un comité élu par
les travailleurs et parmi eux ». Et lors du Congrès doctrinal du PSB, en 1974, la stratégie
envisagée pour l’entreprise reconnaissait que « les fonctions
d’initiative économique et d’apport de capitaux supportant réellement
les risques d’entreprise appellent une rétribution. Mais, ajoutait le
document préparatoire, elles doivent prendre en compte un certain nombre
de nécessités sociales et qualitatives (…) ». Outre « se conformer aux
orientations de la politique économique générale » et « être
l’expression d’une volonté de prendre un risque économique, en faisant
progresser le processus de production de biens et de services utiles à
la collectivité », ces « fonctions » doivent « admettre le contrôle
interne exercé par les travailleurs unis au sein de leur organisation
syndicale. La démocratisation au sein de l’entreprise se fera dans une
perspective d’autogestion.
Le choix des objectifs de la politique économique à tous les niveaux
depuis l’entreprise jusqu’à la nation, doit faire l’objet d’un consensus
global indiquant la participation des travailleurs de toutes catégories
et des consommateurs.
Le contrôle ouvrier devra s’exercer à tous les niveaux de la structure
de l’entreprise. Libre de déterminer les conditions dans lesquelles il
travaillera, le travailleur devra progressivement conquérir les pouvoirs
de décision. Il devra s’insérer plus concrètement et plus entièrement
dans un monde économique dont il aura acquis la propriété sociale. Les
différentes compétences seront au service de tous et de nouveaux
rapports sociaux pourront s’instaurer entre les hommes. »
En France, l’autogestion fut présentée comme « le projet révolutionnaire
de notre temps. » « Nous désignons, disaient ses partisans,
(…) par l’autogestion le socialisme réalisé, c’est-à-dire une société
caractérisée par la disparition de la propriété du pouvoir comme celle
du pouvoir de la propriété, l’abolition du salariat, la fin de
l’économie marchande ». Comme chez les
socialistes belges, est envisagée une période de transition, par
l’extension du contrôle ouvrier : « En étendant les avantages les plus
significatifs obtenus par les luttes des travailleurs, le gouvernement
de Gauche créera un climat favorable à la dynamique du contrôle », y
compris « l’extension des droits et des moyens d’action des syndicats.
(…) Le contrôle concernera ce qui est le plus directement ressenti
par les travailleurs dans leur activité quotidienne. Dans ces domaines,
l’assemblée des travailleurs sera souveraine. » Au bout du
processus, « dans ces entreprises « autogérées », le conseil
d’administration serait élu majoritairement par les travailleurs ;
l’élection directe aux emplois de direction pourrait être envisagée.
Sans doute ces mesures seraient-elles insuffisantes pour transformer du
jour au lendemain la gestion de la production en une administration
collective.
Pour résoudre les problèmes délicats du partage des compétences des
entreprises comme des autres collectivités décentralisées, la solution
serait de faire correspondre à chaque niveau de collectivité un type de
pouvoir. »
En Pologne, le syndicat Solidarnosc, fut reconnu, en 1980, comme
« syndicat indépendant et autogéré ». Dès 1981, par le biais de ce
syndicat, les travailleurs vont constituer des conseils dans les
entreprises qui procéderont à « l’élection des directeurs parmi les
spécialistes soumis à un concours organisé par le conseil. » Et lors du
premier congrès du syndicat, le programme adopté stipulera : « Nous
voulons une véritable socialisation du système de gestion et de
l’économie ». L’objectif est l’établissement d’une « République
autogérée » : « Nous exigeons une réforme autogestionnaire et
démocratique à tous les niveaux de la gestion, un nouvel ordre
socio-économique, qui va allier le plan, l’autogestion et le
marché.(…) La réforme doit socialiser la planification. Le plan
central doit refléter les aspirations de la société et être accepté par
elle. » Pour Z.M. Kowalewski, dirigeant de Solidarnosc, militant de la
IVe Internationale, la révolution Solidarnosc a été d’abord
« écrasée » par l’état de guerre proclamé dans la nuit du 12 au 13
décembre 1981, puis « trahie » par les dirigeants du syndicat
Solidarnosc tel qu’il s’est reconstruit par la suite et qui
restaurèrent le capitalisme.
Que penser de l’expérience yougoslave et des projets concoctés en
Belgique, en France et en Pologne ?
A première vue, il semble y avoir une certaine parenté avec le système
coopératiste que l’Église a toujours apprécié. La ressemblance peut être
d’autant plus troublante que le « catholicisme social (…), dans les
Balkans, s’était toujours référé aux traditions
coopératives.
Pendant l’entre-deux-guerres, le Parti populaire catholique de
Slovénie développa avec succès des
programmes d’éducation populaire et organisa des coopératives
volontaires de vente et de crédit pour les paysans. »
De son côté, l’Église, aujourd’hui, utilise parfois, et dans un sens
positif, le mot « autogestion » ! Ainsi, écrivent les évêques africains,
« s’il est vrai que l’État doit jouer son rôle, il ne peut cependant
s’arroger tous les droits et priver les individus et les groupes
intermédiaires de leur autonomie et de la responsabilité d’autogestion
de leurs biens. » Et Jean-Paul II a
souligné l’importance « d’un libre processus d’auto-organisation de la
société, avec la mise au point d’instruments efficaces de solidarité,
aptes à soutenir une croissance économique plus respectueuse des valeurs
de la personne. » Et de saluer « la fondation de coopératives de
production, de consommation et de crédit, la promotion de l’instruction
populaire et de la formation professionnelle, l’expérimentation de
diverses formes de participation à la vie de l’entreprise et, en
général, de la société. » S’arrêtant à l’expression « auto-organisation »,
le Compendium confirme que « nous pouvons trouver des témoignages
significatifs et des exemples d’auto-organisation dans de nombreuses
initiatives, au niveau d’entreprises et au niveau social, caractérisées
par des formes de participation, de coopération et d’autogestion, qui
révèlent la fusion d’énergies solidaires. »
Est-ce à dire que L’Église cautionnerait l’autogestion yougoslave, ou
les projets d’autogestion nés en Belgique, en France, en Pologne, sous
l’égide des partis socialistes ?
Est-ce à dire qu’elle cautionnerait la « dernière utopie », comme on l’a
appelée, et
qui survit aujourd’hui parmi des groupes marginaux:
communistes-anarchistes, anarchistes, libertaires, et notamment parmi
ceux qu’on appelle altermondialistes et que nous retrouverons plus loin ?
Notons tout d’abord deux faits : d’une part, en Belgique, en France et en
Pologne, nous n’avons eu affaire qu’avec des projets qui n’ont pas connu
de lendemain ; d’autre part, en Yougoslavie, l’autogestion fut sans cesse
confrontée à des difficultés malgré les incessantes réformes du système
« comme si tout un peuple n’était qu’un cobaye et un riche pays le
laboratoire pour des mauvais apprentis de chimie
sociale » . On a souligné à la fois les faiblesses du système
-concurrence féroce, chômage, constitution d’une classe dirigeante
privilégiée, indifférence au monde agricole- et ses aspects positifs - « meilleur équilibre de
l’offre et la demande ; assainissement de la balance des payements ;
amélioration de la productivité ; meilleure utilisation des
investissements ». Cette situation
a poussé certains observateurs à considérer que le système yougoslave
était plus proche du libéralisme archaïque, que du
socialisme. En fait,
l’autogestion yougoslave fut un système hybride et finalement peu
autogestionnaire étant donné l’importance du centralisme étatique. Il y
a contradiction entre la volonté de laisser libre jeu à l’offre et à la
demande et la bureaucratie socialiste, entre l’autogestion et le
socialisme : « Plus un régime (communiste) accorde de décentralisation
économique et administrative, plus il sera nécessaire d’affirmer la
centralisation politique afin de freiner le recul du pouvoir qu’a le
parti de contrôler l’économie/ mais si l’on resserre les rênes pour
contrecarrer la tendance à la désorganisation et à l’anarchie, on
étouffe dans l’œuf tout effort réel en direction du pluralisme
économique et social. (…) En théorie, le parti est l’avant-garde, le
moteur, l’inspirateur du progrès social. En fait, il n’a utilisé les
mécanismes complexes de l’autogestion et de la centralisation que comme
une façade masquant le caractère intact de la concentration
monopolistique du pouvoir suprême entre les mains des chefs placés au
sommet de la hiérarchie du Parti. » Cette
analyse est confirmée par l’ancien n° 1 soviétique, Nikita Khrouchtchev
qui après avoir visité une usine autogérée yougoslave, écrivit : « Il me
semblait évident que le gouvernement, en dernier lieu, décidait bel et
bien des programmes de production et exerçait ensuite un strict contrôle
sur leur mise en application ».
On peut conclure qu’il n’y a pas eu, en Yougoslavie, de véritable
entreprise autogérée.
Le projet d’autogestion en Pologne, est né avec l’intention de rendre
aux travailleurs le ,pouvoir dans leurs entreprises mais on ne peut le
juger puisqu’il ne s’est pas réalisé. Pas plus que ne se sont réalisés
les projets belge et français. On peut toutefois faire remarquer dans
ces deux cas, que se manifeste une volonté de prise de pouvoir collectif
dans le cadre d’une socialisation de la société sous la direction et le
contrôle des organisations socialistes. Les propositions et réalisations
sociales chrétiennes sont différentes dans la mesure où elles cherchent
un partage du pouvoir selon le principe de subsidiarité et donc dans le
respect de toutes les « autorités » particulières qui doivent s’exprimer
dans une entreprise considérée comme une communauté de travail ou de
vie. Le philosophe chrétien Gustave Thibon a simplement et parfaitement
résumé l’autogestion « chrétienne » en témoignant : « Je connais telle
moyenne entreprise où l’autogestion existe en fait, dans ce sens où
règne de haut en bas un esprit de confiance et d’équipe, où les avis et
les suggestions des plus humbles sont pris en considération et où chacun
assume sa part d’initiative et de responsabilité ».
L’autogestion conforme à la doctrine sociale chrétienne s’exprime dans
les coopératives, les différentes formes d’actionnariat ouvrier, de
participation, de cogestion, qui respectent l’initiative des personnes
et des groupes, l’autorité telle qu’elle a été précédemment définie,
comme compétence et service et dont tout travailleur détient une
parcelle liée à ses fonctions, la responsabilité donc et l’organisation
subsidiaire qui précisément laisse s’exprimer le pouvoir là où il se
trouve, dans le souci du bien commun.
Ajoutons encore que l’autogestion conforme à la doctrine sociale
chrétienne est plus accessible dans une petite ou moyenne entreprise.
Les tendances actuelles à la décentralisation de la production
pourraient être favorables à l’expansion des formes
participatives.
Ces propositions chrétiennes sont-elles réalistes ?
qu’en pensent en particulier les patrons ?
Rappelons-nous que les différentes formes de participation évoquées ont
été toutes initiées par des patrons avant que l’Église ne reprenne
l’idée et en précise les contours. Mais, en dehors de ces pionniers, les
avis sont, c’est le moins qu’on puisse dire, très partagés.
Un certain nombre de patrons d’Europe et d’Amérique latine ont réagi ,en
1991, à la publication d’une anthologie de textes du Magistère sur
l’entreprise. Leurs
réactions sont intéressantes car il s’agit d’hommes qui sont liés à
l’UNIAPAC, l’Union internationale chrétienne des dirigeants
d’entreprise. Deux caractéristiques ressortent de leurs témoignages:
« d’une part, c’est l’ensemble de l’enseignement social, pris dans sa
globalité et pas seulement sur l’entreprise, ses références à l’Évangile
et ses orientations fondamentales, qui ont surtout marqué et stimulé.
Les réactions sur des points précis sont moins fréquentes. d’ailleurs,
les textes eux-mêmes paraissent quelquefois moins bien connus qu’on ne
le laisse entendre.
d’autre part, on souhaite largement que le rôle du chef d’entreprise,
ses responsabilités, les problèmes complexes qu’il doit résoudre, soient
mieux perçus et compris. On demande aussi que l’Église s’exprime dans un
langage plus approprié à l’entreprise, qu’elle se prononce avec plus de
vigueur sur les choix économiques ». A ce dernier point de vue, les
auteurs de la synthèse posent une question pertinente : « L’Église
doit-elle s’avancer avec plus d’audace sur le terrain économique ? » Ils
répondent très justement, avec les papes, qu’« experte en humanité,
elle n’a pas pour mission d’apporter des solutions techniques
(…) ». Toujours est-il que ces témoignages
restent au niveau des généralités, centrés sur le rôle du chef
d’entreprises et qu’ils n’abordent pas sérieusement le problème de la
participation des travailleurs.
qu’en pensent les syndicalistes et les travailleurs ?
En général, les syndicats qui en sont restés au schéma ancien de la
dialectique patron-travailleur, n’apprécient guère l’idée d’une
entreprise-communauté dans la mesure même où elle n’offre plus guère de
terrain propice à la confrontation et oblige les syndicats à revoir leur
philosophie.
Mais il y a aussi un frein du côté des travailleurs qui souvent aussi
trouvent plus confortable d’être des exécutants que des participants
surtout si la participation implique des responsabilités et des risques.
La participation doit être le fruit d’une culture d’entreprise adéquate
qui demande, d’une part, nous allons y revenir, confiance et maturité
et, d’autre part, un cadre légal adéquat.
qu’en pensent les économistes ?
Finalement, c’est du côté des économistes que nous allons trouver les
plus chauds partisans du concept de participation.
Ainsi, au terme d’une analyse très rigoureuse à partir, non des
principes éthiques chrétiens - même s’il les connaît - mais
des théories en présence et de la réalité complexe de l’entreprise, Ph.
de Woot écrit : « La participation véritable est nécessaire à la fonction
de créativité. » Ce n’est que par la créativité que, dans un monde où la
concurrence se mondialise, l’entreprise peut survivre et progresser. Et
« il n’y aura pas de participation véritable sans réforme de
l’entreprise.
La réforme comporte deux aspects complémentaires.
d’une part, la participation fonctionnelle à la créativité ; elle
suppose une transformation profonde de l’organisation et des modes de
gestion ainsi qu’un engagement plus actif des
participants. » La
participation fonctionnelle ou « imposée » vise à diminuer ou supprimer
les aliénations professionnelles et sociales en augmentant deux
libertés : « une certaine autodétermination et une certaine liberté de
s’exprimer dans et par son travail ». Ces deux libertés permettent de
satisfaire un certain nombre de besoins mis en évidence par les
psychologues et les sociologues, besoins « dont les plus importants
sont le besoin de compétence, le développement de la conscience de soi
et des autres, le besoin d’être estimé, celui d’être reconnu ». La
satisfaction de ces besoins fait croître la maturité des
travailleurs.
« d’autre part, la participation politique au contrôle du
pouvoir », préférée dans la plupart des cas à
l’exercice du pouvoir dans la cogestion, doit établir un climat de
confiance.
« Une réforme qui négligerait l’un de ces aspects serait inefficace ou
nuisible à l’entreprise : sans participation politique, la participation
fonctionnelle serait freinée par les travailleurs et ce frein
empêcherait l’entreprise d’accroître sa créativité ; sans participation
fonctionnelle, le contrôle du pouvoir tournerait à la lutte politique et
diminuerait le dynamisme de l’entreprise.
Une réforme qui réaliserait simultanément la participation à la vie de
l’entreprise et la participation au contrôle de son pouvoir augmenterait
la créativité de celle-ci.
Le réalisme commande de rappeler en terminant qu’une telle évolution,
par ses liens avec le phénomène du pouvoir, revêt un caractère
politique. Les formes et le rythme qu’elle adoptera dépendront
finalement de la stratégie et du pouvoir des groupes en présence.
Si l’inertie idéologique actuelle continue, on risque évidemment de
voir se prolonger le « face à face hostile » qui a tant contribué à figer
la situation. Il n’y a pas de raison de penser que la confiance
s’établira sans une volonté et un effort délibéré des groupes en
présence. L’initiative pourrait venir des dirigeants d’entreprise
puisqu’ils ont le pouvoir de faire évoluer les structures. Mais que
l’impulsion vienne du monde patronal ou du monde ouvrier, il est
important de considérer qu’un accroissement de participation -
fonctionnelle ou politique - est une condition essentielle du dynamisme
des entreprises européennes. Il ne s’agit pas d’une recommandation
d’ordre moral mais de simple réalisme. Si l’on veut augmenter la
créativité et la puissance concurrentielle des entreprises, il est
indispensable d’en faire évoluer les structures de direction,
d’organisation et de contrôle. Avant d’être un problème éthique,
l’évolution de l’entreprise est une condition de survie. » Encore faut-il, comme il a été souligné, que l’on
puisse compter sur la maturité de tous les acteurs et créer un climat de
confiance. Maturité pour l’exercice de la
liberté : avoir conscience, disait Jean-Paul II de travailler « à son
compte » ; confiance par la participation au pouvoir ou par
son contrôle, pour l’exercice de la
liberté.
Publié en 1968, le livre de Ph. de Woot rend compte d’innombrables
recherches effectuées pour tenter d’établir le meilleur mode de
fonctionnement possible de l’entreprise. Il s’appuie sur une critique de
l’organisation bureaucratique et du mouvement des relations humaines
pour dégager des « formes nouvelles d’organisation » et développer
longuement, comme nous l’avons vu, la notion de participation.
Trente ans plus tard, J.-P. Audoyer, dans une perspective résolument
chrétienne, confirme le jugement porté par Ph. de Woot sur
l’organisation bureaucratique et le mouvement des relations humaines :
« Les modèles d’inspiration fonctionnaliste qu’ils soient à
« productivité orientée » (…) comme le taylorisme (…) ou à
« personnel orienté » (…) comme l’école des Relations Humaines sont
pour l’Église des modèles réducteurs dans le sens où leur préoccupation
se situe exclusivement sur le terrain de l’efficacité (intérêt général)
en évacuant la dimension du bien commun. Ce qui ne garantit pas pour
autant l’efficacité (…) ».
Après cela, l’auteur dresse le bilan des « nouvelles formes
d’organisation » apparues à partir des années 1970, et
constate que « dans certaines conditions, leur rencontre avec la
doctrine sociale de l’Église est possible parce qu’(elles n’excluent)
pas la recherche du bien commun contrairement aux modèles
précédents .» On retrouve dans ces formes d’organisation que l’auteur
appelle « Ecoles du 3e type », des thèmes qui nous sont familiers, comme
celui de la participation, mais les mots peuvent recouvrir des réalités
différentes et, en fait, dans ces entreprises de 3e type, « les
préoccupations restent souvent dominées par le seul souci de
l’efficacité, ce qui conduit inéluctablement à l’idéologie de
l’entreprise » manifestée, par exemple, dans la
« business ethics », le « projet
d’entreprise », la « culture
d’entreprise » ou, plus simplement, le « team building » tellement à la mode au début du XXIe siècle.
Pour que les mots « autonomie », « participation », « initiative » aient leur
plein sens, pour que les entreprises du « 3e type » ne soient pas des
leurres, il importe de les jauger, demande J.-P. Audoyer, à l’aune des principes fondamentaux et liés, de
subsidiarité, de solidarité et de bien commun.
La subsidiarité va s’exprimer dans la « délégation » : on passe « d’un
management directif où le chef donne des ordres à un management
délégataire dans lequel on donne l’autonomie aux acteurs, à tous les
acteurs, c’est-à-dire des pouvoirs en vue de l’efficacité de
chacun ».
Le principe de subsidiarité modifie le rôle du patron qui ne se situe
plus « exclusivement sur le registre du pouvoir mais sur celui de
l’autorité ».
La vraie autorité est celle qui se met au service des autres pour les
faire grandir, pour leur permettre d’être libres, responsables et
compétents. Ainsi, donner de l’autonomie à un travailleur, c’est « lui
permettre de faire comme il veut ce qu’il doit ». Le chef est plus un « coach » qu’un « leader » car la délégation doit se faire
précisément dans l’esprit de la subsidiarité qui « n’est pas un principe
absolu de non-intervention, mais d’intervention modulée en fonction de
la situation réelle des personnes » étant
établi que « les échelons supérieurs ne sont suppléants des échelons
inférieurs que lorsque ces derniers sont défaillants. »
La subsidiarité et donc la liberté, l’autonomie, l’initiative, n’ont pas
de sens sans la solidarité. Solidarité de tous les échelons de
l’entreprise, on vient de le voir dans le nouveau rôle que le patron
doit jouer.
Enfin, c’est par la subsidiarité et la solidarité que l’entreprise peut
dépasser l’intérêt général et s’ouvrir au bien commun c’est-à-dire
devenir une communauté de personnes au service d’une communauté plus
vaste