Le concile Vatican II, dans le même esprit, déclarera : « Les femmes travaillent à présent dans presque tous les secteurs d’activité ; il convient cependant qu’elles puissent pleinement jouer leur rôle selon leurs aptitudes propres. »[1] Mais, le plus intéressant, et peut-être le plus neuf, est qu’il fera remarquer qu’ « il importe (…) d’adapter tout le processus du travail productif aux besoins de la personne et aux modalités de son existence, en particulier de la vie du foyer (surtout en ce qui concerne les mères de famille), en tenant toujours compte du sexe et de l’âge. (…) Que tous jouissent par ailleurs d’un temps de repos et de loisir suffisant qui leur permette aussi d’entretenir une vie familiale, culturelle, sociale et religieuse. »[2] Même si le texte insiste sur le rôle de la mère de famille, il implique aussi, même si c’est à un degré moindre, le père de famille dont le rôle important, aux côtés de la mère, a été rappelé explicitement, un peu plus haut dans le texte, à propos de l’éducation des enfants : « la présence agissante du père importe grandement à leur formation ; mais il faut aussi permettre à la mère, dont les enfants, surtout les plus jeunes, ont tant besoin, de prendre soin de son foyer sans toutefois négliger la légitime promotion sociale de la femme. »[3]
A la suite du Synode de 1980, consacré à la famille, Jean-Paul II réclamera plus de présence paternelle dans la famille : « Là surtout où les conditions sociales et culturelles poussent facilement le père à se désintéresser d’une certaine façon de sa famille, ou du moins à être moins au travail d’éducation, il faut faire en sorte que l’on retrouve dans la société la conviction que la place et le rôle du père dans et pour la famille sont d’une importance unique et irremplaçable. Comme le montre l’expérience, l’absence du père provoque des déséquilibres psychologiques et moraux ainsi que des difficultés notables dans les relations familiales (…)[4]
En manifestant et en revivant sur terre la paternité même de Dieu, l’homme est appelé à garantir le développement de tous les membres de la famille. Pour accomplir cette tâche, il lui faudra, fait remarquer notamment Jean-Paul II, (…) un travail qui ne désagrège jamais la famille mais la renforce dans son union et sa stabilité (…) ».[5] « Il est nécessaire, est-il écrit dans Laborem exercens, d’organiser et d’adapter tout le processus du travail de manière à respecter les exigences de la personne et ses formes de vie, et avant tout de sa vie de famille, en tenant compte de l’âge et du sexe de chacun. »[6]
Si la présence du père est précieuse au sein de la famille, il est logique que son travail ne nuise pas non plus à l’exercice de ses responsabilités paternelles. En définitive, si la femme en fonction de sa maternité a un rôle particulier, c’est le couple et non la femme seule qui doit tenir compte de la priorité familiale. Si, comme ses prédécesseurs, il rappelle que « Dieu donne la dignité personnelle d’une manière égale à l’homme et à la femme, en les enrichissant des droits inaliénables et des responsabilités propres à la personne humaine »[7], il conclut clairement qu’« il n’y a pas de doute que l’égalité de dignité et de responsabilité entre l’homme et la femme justifie pleinement l’accession de la femme aux fonctions publiques »[8].
Ceci dit, nous retrouvons les réserves habituelles : l’égalité « signifie pour la femme, non pas le renoncement à sa féminité ni l’imitation du caractère masculin, mais la plénitude de la véritable humanité féminine telle qu’elle doit s’exprimer dans sa manière d’agir, que ce soit en famille ou hors d’elle, sans oublier par ailleurs la variété des coutumes et des cultures dans ce domaine. »[9] Qui dit féminité, dit maternité[10]. Et donc, « la vraie promotion de la femme exige que soit clairement reconnue la valeur de son rôle maternel et familial face à toutes les autres fonctions publiques et à toutes les autres professions.[11] Il est du reste nécessaire que ces fonctions et ces professions soient étroitement liées entre elles si l’on veut que l’évolution sociale et culturelle soit vraiment et pleinement humaine. »[12] Il faut mettre en lumière « le lien fondamental qui existe entre le travail et la famille, et donc la signification originale et irremplaçable du travail à la maison et de l’éducation des enfants. » Comme nous l’avons vu, cette remarque concerne aussi les pères mais, il faut « dépasser la mentalité selon laquelle l’honneur de la femme vient davantage du travail à l’extérieur que de l’activité familiale ». Pour en arriver là, un changement culturel et social est indispensable. d’une part, il faut que « les hommes estiment et aiment vraiment la femme en tout respect de sa dignité personnelle » et d’autre part, « que la société crée et développe des conditions adaptées pour le travail à la maison. » La société y a intérêt. Car toute carence, déficience ou faiblesse familiale sur le plan de l’éducation, de la sociabilisation doit être compensée, tant bien que mal, par la société, l’école diverses institutions spécialisées. Et tout cela a un coût humain et matériel.[13]
Pour éviter le grave discrédit dont souffrent les tâches familiales, il est donc nécessaire que « le travail de la femme à la maison soit reconnu et honoré par tous dans sa valeur irremplaçable. Cela revêt une importance particulière en ce qui concerne l’œuvre d’éducation ; en effet la racine même d’une discrimination éventuelle entre les divers travaux et les diverses professions est éliminée s’il apparaît clairement que tous, dans tout domaine, s’engagent avec des droits identiques et un sens identique de la responsabilité. Et ainsi l’image de Dieu dans l’homme et dans la femme resplendira davantage.
Si le droit d’accéder aux diverses fonctions publiques doit être reconnu aux femmes comme il l’est aux hommes, la société doit pourtant se structurer d’une manière telle que les épouses et les mères ne soient pas obligées concrètement à travailler hors du foyer et que, même si elles se consacrent totalement à leurs familles, celles-ci puissent vivre et se développer de façon convenable. »[14]
Concrètement, dans Laborem exercens, Jean-Paul II, un peu plus tôt, avait déjà réclamé « la revalorisation sociale des fonctions maternelles » et une « juste rémunération du travail de l’adulte chargé de famille (…) suffisante pour fonder et faire vivre dignement sa famille et pour en assurer l’avenir. » Il proposait soit le salaire familial, « salaire unique donné au chef de famille pour son travail et qui est suffisant pour les besoins de sa famille sans que son épouse soit obligée de prendre un travail rétribué hors de son foyer » ; soit « d’autres mesures sociales telles que les allocations familiales ou les allocations de la mère au foyer, allocations qui doivent correspondre aux besoins effectifs, c’est-à-dire au nombre de personnes à charge durant tout le temps où elles ne sont pas capables d’assumer dignement la responsabilité de leur propre vie ».[15]
De tout ce long parcours, retenons si le travail permet à la famille d’être et de se développer, il est précisément mesuré par cette finalité. Qui plus est, « la famille est à la fois une communauté rendue possible par le travail et la première école interne de travail pour tout homme. »[16] De même que la famille est le premier lieu d’apprentissage de la vie sociale, et du bien commun, le premier lieu d’acquisition de connaissances et de découverte de la confiance mutuelle[17], elle est aussi un facteur économique important.
Une politique familiale suppose que la puissance publique établisse un style de vie sociale qui donne aux familles les moyens de s’épanouir normalement. » (Face au chômage, changer le travail, Centurion, 1993, p. 210). En 1982, le Conseil permanent de l’épiscopat français proposait, entre autres, ces mesures pour lutter contre le chômage: « -Alors que certains ménages bénéficient du cumul de salaires plus que suffisants, le renoncement total ou partiel à l’un d’entre eux, celui de l’homme ou celui de la femme, faciliterait le partage du travail. (…) -Il semble que l’on n’ait pas encore suffisamment exploré la possibilité d’emplois à temps partiel, au moins à certaines époques de la vie d’une famille. » (Id., p. 236).
Il est acquis et accepté par tout le monde que l’homme, qu’il soit célibataire, marié ou père de famille doit obligatoirement offrir le meilleur de sa forme et de son temps et de ses capacités à son travail professionnel et l’absence du père aussi inéluctable qu’une institution n’est pas une des moindres difficultés à la survivance de la famille » (S. Boonen-Moreau, La famille, dernier refuge ou premier rivage ? Savoir et Agir, 1978, p. 12).