La Constitution pastorale Gaudium et spes va reprendre tout l’enseignement précédent et en faire une synthèse doctrinale susceptible de guider les chrétiens dans l’avenir et face aux défis nouveaux du monde.
d’emblée, le Concile réaffirme le principe de la destination universelle des biens comme principe fondamental et directeur : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. Quelles que soient les formes de la propriété, adaptées aux légitimes institutions des peuples, selon des circonstances diverses et changeantes, on doit toujours tenir compte de cette destination universelle des biens. »[1]
En conséquence, le droit de propriété est un droit conditionnel : « L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres. d’ailleurs tous les hommes ont le droit d’avoir une part suffisante de biens pour eux-mêmes et leur famille. C’est ce qu’ont pensé les Pères et les docteurs de l’Église qui enseignaient que l’on est tenu d’aider les pauvres, et pas seulement au moyen de son superflu. Quant à celui qui se trouve dans l’extrême nécessité, il a le droit de se procurer l’indispensable à partir des richesses d’autrui. Devant un si grand nombre d’affamés de par le monde, le Concile insiste auprès de tous et auprès des autorités pour qu’ils se souviennent de ce mot des Pères : « Donne à manger à celui qui meurt de faim car, si tu ne lui as pas donné à manger, tu l’as tué » ; et que, selon les possibilités de chacun, ils partagent et emploient vraiment leurs biens en procurant avant tout aux individus et aux peuples les moyens qui leur permettront de s’aider eux-mêmes et de se développer ».[2]
Par ailleurs, la propriété privée n’est pas, comme l’avait déjà constaté Jean XXIII, l’unique moyen d’accéder aux biens de ce monde: « Fréquemment, dans des sociétés économiquement moins développées, la destination commune des biens est partiellement réalisée par des coutumes et des traditions communautaires, garantissant à chaque membre les biens les plus nécessaires. Certes, il faut éviter de considérer certaines coutumes comme tout à fait immuables, si elles ne répondent plus aux nouvelles exigences de ce temps ; mais, à l’inverse, il ne faut pas attenter imprudemment à des coutumes honnêtes qui, sous réserve d’une saine modernisation, peuvent encore rendre de grands services. De même, dans les pays économiquement très développés, un réseau d’institutions sociales, d’assurance et de sécurité, peut réaliser en partie la destination commune des biens. Il importe de poursuivre le développement des services familiaux et sociaux, principalement de ceux qui contribuent à la culture et à l’éducation. Mais, dans l’aménagement de toutes ces institutions, il faut veiller à ce que le citoyen ne soit pas conduit à adopter vis-à-vis de la société une attitude de passivité, d’irresponsabilité ou de refus de service ».[3]
C’est en vertu de cet élargissement, le Concile parlera désormais non plus simplement de la propriété mais, conjointement, de la propriété et des « autres formes de pouvoir privé sur les biens extérieurs ». Et le plaidoyer qui suit en tient compte systématiquement:
\1. « La propriété et les autres formes de pouvoir privé sur les biens extérieurs contribuent à l’expansion de la personne et lui donnent l’occasion d’exercer sa responsabilité dans la société et l’économie. Il est donc très important de favoriser l’accession des individus et des groupes à un certain pouvoir sur les biens extérieurs ».
\2. « La propriété privée ou un certain pouvoir sur les biens extérieurs assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. »
\3. « Enfin, en stimulant l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles ».[4]
Le texte ajoute encore que « les formes d’un tel pouvoir ou propriété sont aujourd’hui variées ; et leur diversité ne cesse de s’amplifier. Toutes cependant demeurent, à côté des fonds sociaux, des droits et des services garantis par la société, une source de sécurité non négligeable. Et ceci n’est pas vrai des seules propriétés matérielles, mais aussi des biens immatériels, comme les capacités professionnelles ».[5]
Si la propriété est un moyen de permettre aux biens de la terre d’être accessibles à tous, la propriété publique comme l’expropriation ou encore l’intervention de l’autorité publique peuvent être légitimes: « La légitimité de la propriété privée ne fait pas obstacle à celle de divers modes de propriétés publiques, à condition que le transfert de biens au domaine public soit effectué par la seule autorité compétente selon les exigences du bien commun, dans les limites de celui-ci et au prix d’une indemnisation équitable. L’État a, par ailleurs, compétence pour empêcher qu’on abuse de la propriété privée contrairement au bien commun. »Il ne faut, en aucune circonstance, oublier que « de par sa nature même, la propriété privée a aussi un caractère social, fondé dans la loi de commune destination des biens. »[6]
L’expropriation n’est pas seulement envisageable, aux conditions dites, pour transférer un bien privé au domaine public mais aussi pour redistribuer les biens lorsque, par exemple, l’autorité publique est confrontée au phénomène des « latifundia »[7] : « Dans plusieurs régions économiquement moins développées, il existe des domaines ruraux étendus et même immenses, médiocrement cultivés ou mis en réserve à des fins de spéculation, alors que la majorité de la population est dépourvue de terres ou n’en détient qu’une quantité dérisoire et que, d’autre part, l’accroissement de la production agricole présente un caractère d’urgence évident. Souvent, ceux qui sont employés par des propriétaires de ces grands domaines, ou en cultivent des parcelles louées, ne reçoivent que des salaires ou des revenus indignes de l’homme ; ils ne disposent pas de logement décent et sont exploités par des intermédiaires. Dépourvus de toute sécurité, ils vivent dans une dépendance personnelle telle qu’elle leur interdit presque toute possibilité d’initiative et de responsabilité, toute promotion culturelle, toute participation à la vie sociale et politique. Des réformes s’imposent donc, visant, selon les cas, à accroître les revenus, à améliorer les conditions de travail et la sécurité de l’emploi, à favoriser l’initiative, et même à répartir les propriétés insuffisamment cultivées au bénéfice d’hommes capables de les faire valoir. En l’occurrence, les ressources et les instruments indispensables doivent leur être assurés, en particulier les moyens d’éducation et la possibilité d’une juste organisation de type coopératif. Chaque fois que le bien commun exigera l’expropriation, l’indemnisation devra s’apprécier selon l’équité, compte tenu de toutes les circonstances. »[8]
On aura apprécié la clarté ordonnée de la présentation et l’élargissement du problème à d’autres formes du pouvoir que l’homme peut exercer sur les choses. On aura enfin remarqué aussi que les Pères conciliaires parlent du « caractère social » de la propriété et non plus simplement de sa fonction sociale comme chez Jean XXIII. Caractère social « fondé dans la loi de commune destination des biens » qui est bien la règle guide traduisant l’idéal auquel tous les efforts humains doivent tendre comme anticipation du Royaume.[9]