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f. Jean XXIII

La réalité socio-économique ne cesse d’évoluer et présente, dans la seconde moitié du XXe siècle, un visage nouveau.,

Jean XXIII note trois changements dans la société:

\1. « La brèche entre propriété des biens de production et responsabilités de direction dans les grands organismes économiques est allée s’élargissant », que les capitaux de ces entreprises soient d’origine privée ou publique.

\2. De plus en plus de citoyens, « du fait qu’ils appartiennent à des organismes d’assurances ou de sécurité sociale, en tirent argument pour considérer l’avenir avec sérénité ; sérénité qui s’appuyait autrefois sur la possession d’un patrimoine, fût-il modeste ».

\3. Aujourd’hui, « on aspire à conquérir une capacité professionnelle plus qu’à posséder des biens ; on a confiance en des ressources qui prennent leur origine dans le travail ou des droits fondés sur le travail, plus qu’en des revenus qui auraient leur source dans le capital, ou des droits fondés sur le capital ».⁠[1]

Cette situation appelle un jugement nuancé car elle peut inquiéter et rassurer à la fois. Ainsi, pour le premier point, Jean XXIII se rend compte que la dissociation entre propriété et responsabilité rend le contrôle politique difficile et peut mettre en péril le bien commun.

Par contre, les points 2 et 3 montrent qu’il y a aujourd’hui d’autres manières que la propriété pour accéder durablement aux biens de la terre. De plus, le point 3 « est en harmonie avec le caractère propre du travail, qui, procédant directement de la personne, doit passer avant l’abondance des biens extérieurs, qui, par leur nature, doivent avoir valeur d’instrument ».⁠[2]

Jean XXIII n’en dit pas plus, il reviendra aux successeurs de tenir compte de ces éléments nouveaux. Pour l’heure, ce qui intéresse le Saint Père, c’est de savoir si, avec ces changements, « le principe de droit naturel de la propriété privée, y compris celle des biens de production, n’aurait pas perdu sa force, ou ne serait pas de moindre importance ? »[3]

Jean XXIII répond sans ambigüité et réaffirme le droit de propriété des biens de production au nom de « la priorité ontologique et téléologique des individus sur la société » ; au nom du droit à « l’initiative personnelle et autonome en matière économique » qui suppose « la libre disposition des moyens indispensables à son affirmation » ; au nom de l’histoire et de l’expérience qui prouvent que sans ce droit qui est une « garantie » et un « stimulant », « les expressions fondamentales de la liberté sont comprimées ou étouffées », histoire et expérience qui révèlent aussi que des « mouvements sociaux et politiques » soucieux de « justice et liberté » et jadis opposés à la propriété privée des biens de production, ont acquis « une attitude substantiellement positive ».⁠[4]

Il réaffirme la nécessité de permettre aux travailleurs « d’épargner, et par suite de se constituer un patrimoine » surtout que les économies modernes « accroissent rapidement leur efficacité productive en de nombreux pays ». Et de diffuser « effectivement » la propriété privée parmi toutes les classes sociales », « la propriété privée de biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l’équipement d’une ferme familiale, quelques actions d’entreprises moyennes ou grandes ».⁠[5]

Il réaffirme enfin la fonction sociale de la propriété puisque, « dans les plans du Créateur (…), les biens de la terre sont avant tout destinés à la subsistance décente de tous les hommes (…) »⁠[6]. Même si, « de nos jours, l’État et les établissements publics ne cessent d’étendre le domaine de leur initiative (…) la fonction sociale de la propriété privée n’en est pas pour autant désuète » car « elle a sa racine dans la nature même du droit de propriété ». Forts de leurs biens, des individus et des groupes peuvent toujours, et mieux que les pouvoirs publics, porter remède à « une multitude de situations douloureuses, d’indigences lancinantes et délicates ».⁠[7] Cette fonction sociale, pour Jean XXIII, relève de la « charité »⁠[8]

La reconnaissance du droit de propriété privée et de sa fonction sociale n’empêche pas qu’il puisse y avoir, à certaines conditions, des propriétés publiques comme le disait déjà Pie XI que Jean XXIII cite textuellement : « l’État et les établissements publics détiennent eux aussi, en propriété légitime, des biens de production, et spécialement lorsque ceux-ci « en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées. » (QA)

Notre temps marque une tendance à l’expansion de la propriété publique: États et collectivités. Le fait s’explique par les attributions plus étendues que le bien commun confère aux pouvoirs publics. Cependant il convient, ici encore, de se conformer au principe de subsidiarité (…). Aussi bien l’État et les établissements de droit public ne doivent étendre leur domaine que dans les limites évidemment exigées par des raisons de bien commun, nullement à seule fin de réduire pire encore, de supprimer la propriété privée.

Il convient de retenir que les initiatives d’ordre économique, qui appartiennent à L’État ou aux établissements publics, doivent être confiées à des personnes qui unissent à une compétence éprouvée, un sens aigu de leur responsabilité devant le pays. De plus, leur activité doit être l’objet d’un contrôle attentif et constant, ne serait-ce que pour éviter la formation, au sein de l’État, de noyaux de puissance économique au préjudice du bien de la communauté, qui est pourtant leur raison d’être. »[9]


1. MM, 105-107.
2. MM, 108.
3. Id..
4. MM, 109-111
5. MM, 112-115.
6. MM, 119.
7. MM, 120.
8. « Il Nous est agréable de rappeler ici comment l’Évangile reconnaît fondé le droit de propriété privée. Mais en même temps, le Divin Maître adresse fréquemment aux riches de pressants appels, afin qu’ils convertissent leurs biens temporels en bien spirituels, que le voleur ne prend pas, que la mite ou la rouille ne rongent pas, qui s’accumulent dans les greniers du Père céleste : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs perforent et cambriolent. » (Mt 6, 19-20) Et le seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l’aumône faite ou refusée au pauvre : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40) ». (MM, 121)
9. MM, 116-118.