Version imprimable multipages. Cliquer ici pour imprimer.

Retour à la vue standard.

iv. Les droits du travailleur

[1]

On se souvient que c’est en réagissant à la condition scandaleuse dans laquelle se trouvaient les travailleurs au XIXe siècle, que Léon XIII, au nom de la dignité de la personne humaine, établit la première liste des droits de la personne au travail et, par le même coup, réconcilie l’Église avec les droits de l’homme dont la proclamation avait été ressentie comme une menace jusque là.

Parmi les droits du travailleur, l’Église en relève deux d’importance majeure : le droit à une juste rémunération et le droit d’association.


1. Le mot « travailleur » désigne bien toute personne au travail : ouvrier, employé, technicien, cadre ou directeur. P. Bigo ajoute : « Quand le chef d’entreprise est propriétaire, il faut distinguer son rôle comme travailleur et son rôle comme propriétaire. » (Op. cit., p. 314, note 1).

⁢a. Le droit à une juste rémunération.

Ce problème est très important car la rémunération est la voie par laquelle la grande majorité des hommes peut accéder concrètement aux biens naturels et aux fruits de la production, à ces biens de la terre qui sont destinés à tous. Dans une société artisanale où le travailleur est propriétaire des instruments de production et du produit, sa rémunération se fait par les prix. Mais dans une société industrielle où travail et propriété sont dissociés, la question du salaire devient essentielle.⁠[1]

Par ailleurs, la salaire est un droit personnel, nécessaire⁠[2] et non pas l’équivalent de la valeur d’une marchandise. Il fut un temps où, trop souvent, le patron avait tendance à ne faire du salaire qu’un élément du prix de revient des marchandises. Et pourtant, le théoricien du libéralisme économique, Adam Smith⁠[3], lui-même, avait établi : « Il faut de toute nécessité qu’un homme vive de son travail et que son salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances, autrement il serait impossible au travailleur d’élever sa famille ».⁠[4]

Léon XIII ira plus loin. Il montrera que la justice, au sens le plus large, reste lésée même si le salaire est « librement consenti de part et d’autre » et satisfait donc à la justice commutative : « Que le patron et l’ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu’il leur plaira. Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête. Si, contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d’un mal plus grand, l’ouvrier accepte des conditions dures que, d’ailleurs, il ne peut refuser parce qu’elles lui sont imposées par le patron ou par celui qui fait l’offre de travail, il subit une violence contre laquelle la justice proteste.

Mais, dans ces cas et autres analogues, comme en ce qui concerne la journée de travail et les soins de santé des ouvriers dans les usines, les pouvoirs publics pourraient intervenir inopportunément, vu surtout la variété des circonstances des temps et des lieux. Il sera donc préférable d’en réserver en principe la solution aux corporations ou syndicats (…), ou de recourir à quelque autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers et d’en appeler même, en cas de besoin, à la protection et à l’appui de l’État ».⁠[5]

Texte intéressant parce qu’il évoque, comme nous l’avons déjà vu, un au delà de la justice commutative, la « justice naturelle » qui nous renvoie à la « justice sociale » de Pie XI. De plus, la « subsistance de l’ouvrier » inclut bien la famille comme il est dit immédiatement après, « pour parer aisément à ses besoins et à ceux de sa famille »[6]. « Aisément » car le Saint Père souhaite aussi que l’ouvrier s’applique « à être économe », à « de prudentes épargnes », à se ménager « un petit superflu qui lui permette de parvenir un jour à l’acquisition d’un modeste patrimoine ». Enfin, le texte en appelle à la vigilance, dans l’ordre, des « corporations et syndicats », corps intermédiaires, et de l’État, si nécessaire, pour qu’ils garantissent de justes salaires et favorisent « l’esprit de propriété, le réveillent et le développent autant qu’il est possible dans les masses populaires ».

En somme, Léon XIII estime que « pour fixer la juste mesure du salaire, il y a de nombreux points de vue à considérer ».⁠[7]

Pie XI reprend l’enseignement de son prédécesseur et précise qu’il devient impossible d’estimer le travail « à sa juste valeur et de lui attribuer une exacte rémunération, si l’on néglige de prendre en considération son aspect à la fois individuel et social. »[8] Concrètement, le salaire doit permettre premièrement l’ouvrier « de pourvoir à sa subsistance et à celle des siens », notamment parce que le travail des mères de famille est à la maison. « A cet égard, écrit-il, il convient de rendre un juste hommage à l’initiative de ceux qui, dans un très sage et très utile dessein, ont imaginé des formules diverses destinées, soit à proportionner la rémunération aux charges familiales, de telle manière que l’accroissement de celles-ci s’accompagne d’un relèvement du salaire, soit à pourvoir le cas échéant à des nécessités extraordinaires. »[9] Deuxièmement, le salaire doit tenir compte « des besoins de l’entreprise et de ceux qui l’assument. Il serait injuste d’exiger d’eux des salaires exagérés, qu’ils ne sauraient supporter sans courir à la ruine et entraîner les travailleurs avec eux dans le désastre. Assurément, si par son indolence, sa négligence, ou parce qu’elle n’a pas un suffisant souci du progrès économique et technique, l’entreprise réalise de moindres profits, elle ne peut se prévaloir de cette circonstance comme d’une raison légitime pour réduire le salaire des ouvriers. Mais si, d’autre part, les ressources lui manquent pour allouer à ses employés une équitable rémunération, soit qu’elle succombe elle-même sous le fardeau de charges injustifiées, soit qu’elle doive écouler des produits à des prix injustement déprimés, ceux qui la réduisent à cette extrémité se rendent coupables d’une criante iniquité, car c’est par leur faute que les ouvriers sont privés de la rémunération qui leur est due, lorsque sous l’empire de la nécessité, ils acceptent des salaires inférieurs à ce qu’ils étaient en droit de réclamer. »[10] Enfin, troisièmement, la fixation du taux des salaires doit s’inspirer « des nécessités de l’économie générale » car « un niveau ou trop bas ou exagérément élevé des salaires engendre également le chômage ». La justice sociale demande « que tous les efforts et toutes les volontés conspirent à réaliser, autant qu’il peut se faire, une politique des salaires qui offre au plus grand nombre possible de travailleurs le moyen de louer leurs services et de se procurer ainsi tous les éléments d’une honnête subsistance. » Pour y arriver, il faut aussi « un raisonnable rapport entre les différentes catégories de salaires » et « un raisonnable rapport entre les prix auxquels se vendent les produits des différentes branches de l’activité économique (…) ». Il faut enfin que tous puissent profiter des biens produits et que ceux-ci soient « assez abondants pour satisfaire aux besoins d’une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d’aisance et de culture, qui, pourvu qu’on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilité au contraire singulièrement l’exercice. »[11]

Devant l’extension du travail féminin, Pie XII ajoutera « que l’on doit à la femme, pour le même travail et à parité de rendement, la même rémunération qu’à l’homme »[12] et qu’ »il serait injuste et contraire au bien commun d’exploiter sans ménagement le travail de la femme, seulement parce qu’on peut l’avoir à plus bas prix, au préjudice non pas uniquement de l’ouvrière, mais encore de l’ouvrier, qui se trouve ainsi exposé au danger du chômage ! »[13]

Jean XXIII reprendra les différents paramètres déjà cités par Pie XI en ajoutant quelques précisions intéressantes, en élargissant encore le concept d’ »économie générale » mais en mettant bien en évidence la primauté des obligations familiales : « Les travailleurs doivent recevoir un salaire suffisant pour mener une vie digne de l’homme et subvenir à leurs charges de famille. Mais, dans la fixation d’un juste salaire, on doit aussi considérer l’apport effectif de chacun à la production, la situation financière de l’entreprise où il travaille, les exigences qu’impose le bien du pays, en particulier le plein emploi ; ce que requiert, enfin, le bien commun de toutes les nations, c’est-à-dire les communautés internationales rassemblant les États de nature et d’étendue diverses. »[14] Ce texte nous invite à penser aux disparités mondiales et de mesurer le salaire au nom du droit au travail pour tous toujours dans la perspective d’une solidarité nécessaire pour combattre les inégalités et par là assurer plus de justice sociale.

Plus brièvement encore mais toujours avec le souci prioritaire de la famille, le Concile déclarera : « Compte tenu des fonctions et de la productivité de chacun, de la situation de l’entreprise et du bien commun, la rémunération du travail doit assurer à l’homme les ressources nécessaires qui lui permettent, à lui et à sa famille, une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel. »[15]

Enfin, si Jean-Paul II n’apporte rien de neuf d’une certaine manière, il va, très opportunément et avec force insister sur l’importance du salaire au regard de la justice générale et d’autre part, pour la vie familiale. « Le problème clé de l’éthique sociale dans ce cas est celui de la juste rémunération du travail accompli. Dans le contexte actuel, il n’y a pas de manière plus importante de réaliser la justice dans les rapports entre travailleurs et employeurs que la rémunération du travail. Indépendamment du fait que le travail s’effectue dans le système de la propriété privée des moyens de production ou dans un système où cette propriété a subi une sorte de « socialisation », le rapport entre employeur (avant tout direct) et travailleur se résout sur la base du salaire, c’est-à-dire par la juste rémunération du travail accompli ». Jean-Paul II va plus loin encore et relève « que la justice d’un système économique, et, en tout cas, son juste fonctionnement, doivent être appréciés en définitive d’après la manière dont on rémunère équitablement le travail humain dans ce système. Sur ce point, nous en arrivons de nouveau au premier principe de tout l’ordre éthico-social, c’est-à-dire au principe de l’usage commun des biens. En tout système, indépendamment des rapports fondamentaux qui existent entre le capital et le travail, le salaire, c’est-à-dire la rémunération du travail, demeure la voie par laquelle la très grande majorité des hommes peut accéder concrètement aux biens qui sont destinés à l’usage commun, qu’il s’agisse des biens naturels ou des biens qui sont le fruit de la production. Les uns et les autres deviennent accessibles au travailleur grâce au salaire qu’il reçoit comme rémunération de son travail. Il découle de là que le juste salaire devient en chaque cas la vérification concrète de la justice de tout le système socio-économique et en tout cas de son juste fonctionnement. Ce n’est pas l’unique vérification, mais celle-ci est particulièrement importante et elle en est, en un certain sens, la vérification clé. » Comme ses prédécesseurs, Jean-Paul II rappelle qu’ »une juste rémunération est celle qui sera suffisante pour fonder et faire vivre dignement sa famille et pour en assurer l’avenir. » Il précisera néanmoins que « cette rémunération peut être réalisée soit par l’intermédiaire de ce qu’on appelle le salaire familial, c’est-à-dire un salaire unique donné au chef de famille pour son travail, et qui est suffisant pour les besoins de sa famille sans que son épouse soit obligée de prendre un travail rétribué hors de son foyer, soit par l’intermédiaire d’autres mesures sociales, telles que les allocations familiales ou les allocations de la mère au foyer, allocations qui doivent correspondre aux besoins effectifs, c’est-à-dire au nombre de personnes à charge durant tout le temps où elles ne sont pas capables d’assumer dignement la responsabilité de leur propre vie. »[16]

Au salaire que touche immédiatement le salarié et qu’on appelle souvent salaire direct sont associées diverses prestations sociales -salaire indirect ou différé, dit-on parfois- qui ont aussi comme but « d’assurer la vie et la santé des travailleurs et de leurs familles ». Léon XIII y était déjà attentif et Jean-Paul II cite rapidement comme autant de droits : l’assistance sanitaire, le repos, la retraite, l’assurance-vieillesse, l’assurance pour les accidents de travail, et « des lieux et des méthodes de travail qui ne portent pas préjudice à la santé physique des travailleurs et qui ne blessent pas leur intégrité morale ».⁠[17]

Ce rappel n’est pas superfétatoire parce que « malheureusement, aujourd’hui encore, on trouve des cas de contrats passés entre patrons et ouvriers qui ignorent la justice la plus élémentaire en matière de travail des mineurs ou des femmes, pour les horaires de travail, les conditions d’hygiène dans les locaux et la juste rétribution. Cela arrive, affirme encore Jean-Paul II, malgré les Déclarations et les Conventions internationales qui en traitent, et même les lois des divers États. » Et d’évoquer à nouveau l’intervention de Léon XIII qui « assignait à l’ »autorité publique » le « strict devoir » de prendre grand soin du bien-être des travailleurs, parce qu’en ne le faisant pas, on offensait la justice, et il n’hésitait pas à parler de « justice distributive ». »[18]

Notons, pour terminer, que nous avons encore quelques problèmes annexes à aborder comme celui du salaire familial, celui de la participation éventuelle des travailleurs aux bénéfices ou celui du dépassement du salariat par un régime de société. Ces questions seront étudiées dans les chapitres suivants.


1. BIGO, op. cit., p. 314.
2. Le travail « est nécessaire parce que l’homme a besoin du fruit de son travail pour conserver son existence, et qu’il doit la conserver pour obéir aux ordres irréfragables de la nature. Or, si l’on ne regarde le travail que par le côté où il est personnel, nul doute qu’il ne soit au pouvoir de l’ouvrier de restreindre à son gré le taux du salaire. La même volonté qui donne le travail peut se contenter d’une faible rémunération ou même n’en exiger aucune. Mais il en va tout autrement si, au caractère de personnalité on joint celui de nécessité dont la pensée peut bien faire abstraction, mais qui n’en est pas séparable en réalité. En effet, conserver l’existence est un devoir imposé à tous les hommes et auquel ils ne peuvent se soustraire sans crime. De ce devoir découle nécessairement le droit de se procurer les choses nécessaires à la subsistance que le pauvre ne se procure que moyennant le salaire de son travail. » (RN, 479 in Marmy).
3. 1723-1790.
4. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, II, 2, cité in JACCARD, op. cit., p. 232.
5. RN, 479 in Marmy.
6. P. Bigo explique que si Léon XIII ne parle pas explicitement de la proportionnalité entre salaire et nombre d’enfants, comme le fera Jean-Paul II, c’est pour éviter une discrimination à l’embauche ou pénaliser les entreprises qui employaient des pères de famille nombreuse. (Op. cit., p. 316).
7. RN, 450 in Marmy.
8. QA, 567 in Marmy.
9. QA, 568 in Marmy.
10. QA, 569 in Marmy.
11. QA, 570-571 in Marmy.
12. Discours aux dirigeantes féminines de l’Action catholique italienne, 21-10-1945.
13. Discours aux ouvrières catholiques, 15-8-1945.
14. MM 71.
15. GS 67, § 2.
16. LE 19. Le problème du travail féminin sera abordé plus en profondeur dans un chapitre suivant.
17. Id..
18. CA 8.

⁢b. Le droit d’association

Nous connaissons bien l’histoire des corporations et de leur suppression au XVIIIe siècle pour libérer l’accès au travail.

La fameuse loi Le Chapelier stipule que « Les citoyens de même état ou profession, les ouvriers et compagnons d’un art quelconque ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer de président ou secrétaire ou syndic, tenir registre, prendre des arrêtés, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs ».⁠[1] Et le 14 juin 1791, Le Chapelier, devant l’Assemblée nationale, critique la Municipalité de Paris qui avait accordé aux charpentiers la permission de s’assembler, en ces termes : « Il n’y a plus de corporation dans l’État. Il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général ». Autrement, dit, il n’y a plus de corps intermédiaires mais des individus et l’État.⁠[2]

Dès lors, le travailleur est livré au bon vouloir ou à l’arbitraire de l’employeur.

Mais plus ou moins rapidement, on voit apparaître des sociétés de secours mutuel, des coopératives d’achat, de production, et, en certains endroits, des associations de travailleurs se constituent clandestinement avant que le droit d’association ne soit petit à petit reconnu par les États⁠[3].

Un droit naturel

L’Église, quant à elle, reconnaît, depuis toujours, le droit d’association comme un droit naturel. Léon XIII après avoir rappelé « la bienfaisante influence des corporations » se réjouit de voir « se former partout des sociétés de ce genre » et il souhaite « qu’elles accroissent leur nombre et l’efficacité de leur action ».⁠[4] Voici comment il en justifie l’existence : « L’expérience que fait l’homme de l’exigüité de ses forces l’engage et le pousse à s’adjoindre une coopération étrangère. C’est dans les Saintes Écritures qu’on lit cette maxime : « Mieux vaut vivre à deux que solitaire ; il y a pour les deux un bon salaire dans leur travail ; car s’ils tombent, l’un peut relever son compagnon. Malheur à celui qui est seul et qui tombe sans avoir un second pour le relever » (Qo 4, 9-12) ! Et cet autre : « le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte (Pr 18, 19). De cette tendance naturelle, comme d’un même germe, naissent la société civile d’abord, puis au sein même de celle-ci, d’autres sociétés qui, pour être restreintes et imparfaites, n’en sont pas moins des sociétés véritables ».⁠[5] Au sein de la société civile, société « publique » ou encore « grande société », se constituent donc des sociétés « privées » « car leur raison d’être immédiate est l’utilité particulière exclusive de leurs membres »[6]. Ces sociétés privées « n’ont d’existence qu’au sein de la société civile, dont elles sont comme autant de parties. Il ne s’ensuit pas, cependant, à ne parler qu’en général et à ne considérer que leur nature, qu’il soit au pouvoir de l’État de leur dénier l’existence. Le droit à l’existence leur a été octroyé par la nature elle-même et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l’anéantir. C’est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s’attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés publiques et privées, tirent leur origine d’un même principe, la naturelle sociabilité de l’homme ».⁠[7]

Il est demandé à l’État qu’il « protège ces sociétés fondées sur le droit ; que toutefois, il ne s’immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts intimes qui leur donnent la vie ; car le mouvement vital procède essentiellement d’un principe intérieur et s’éteint très facilement sous l’action d’une cause externe. »[8] Mais il va de soi aussi que si une de ces sociétés « poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l’État, les pouvoirs publics auraient le droit d’en empêcher la formation, et, si elle était formée, de la dissoudre. »[9]

Est donc clairement et solidement établi, dans les limites du bien commun, le droit des citoyens de s’associer et « de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu’ils poursuivent. »[10] Cette doctrine simple sera, on s’en doute, reprise sans cesse par les Souverains Pontifes⁠[11] qui insisteront, comme leur prédécesseur, sur le fait qu’il s’agit bien d’une liberté. d’une part, on ne peut forcer les ouvriers à y adhérer⁠[12], d’autre part, l’État ne peut y être acteur et il faut éviter les monopoles ou les cartels dominateurs.

Pie XI rappellera que « les hommes sont libres d’adopter telle forme d’organisation qu’ils préfèrent, pourvu seulement qu’il soit tenu compte des exigences de la justice et du bien commun ».⁠[13] Ce qui est vrai pour les formes de gouvernement⁠[14], est vrai aussi pour les associations de travailleurs : « Mais comme les habitants d’une cité ont coutume de créer aux fins les plus diverses des associations auxquelles il est loisible à chacun de donner ou de refuser son nom, ainsi les personnes qui exercent la même profession gardent la faculté de s’associer librement en vue de certains objets qui, d’une manière quelconque, se rapportent à cette profession ».⁠[15]

Très soucieux de défendre la juste autonomie des corps intermédiaires, il mettra ses contemporains en garde contre la dérive fasciste en la matière : « (…) Il ne manque pas de personnes qui redoutent que l’État ne se substitue à l’initiative privée, au lieu de se limiter à une aide ou à une assistance nécessaire et suffisante. On craint que la nouvelle organisation syndicale et corporative ne revête un caractère exagérément bureaucratique et politique, et qu’(…) elle ne risque d’être mise au service de fins politiques particulières, plutôt que de contribuer à l’avènement d’un meilleur équilibre social « .⁠[16]

S’adressant aux évêques des États-Unis oµ les syndicats ont toujours eu quelques difficultés à rayonner comme il serait souhaitable, Pie XII dira : « puisque naturellement les hommes sont portés à vivre en société et qu’il est licite, en unissant ses forces, d’accroître ce qui est honnêtement utile, on ne peut, sans injustice, refuser ou restreindre, pour les patrons comme pour les ouvriers et les paysans, la libre faculté de former des associations ou sociétés, par lesquelles ils défendront leurs droits et obtiendront, d’une façon plus complète, des avantages relatifs aux biens de l’âme et du corps et au confort légitime de la vie ».⁠[17]

Et aux cheminots romains : « Aucun vrai chrétien ne peut rien trouver à redire si vous vous unissez en organisations fortes afin de défendre vos droits -tout en reconnaissant pleinement vos devoirs- et d’arriver à améliorer vos conditions de vie. Bien plus, précisément parce que l’action commune de tous les groupes de la nation est une obligation chrétienne, aucun d’eux ne doit devenir la victime de l’arbitraire et de l’oppression des autres. Vous agissez donc en pleine conformité avec la doctrine sociale de l’Église quand, par tous les moyens moralement licites, vous faites valoir vos justes droits. »[18]

Mais cette liberté est toujours menacée non seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur ; « Le syndicat doit se maintenir dans les limites de son but essentiel qui est de défendre les intérêts des travailleurs dans les contrats de travail. Dans le cercle de cette fonction, le syndicat exerce naturellement une influence sur la politique. Mais il ne pourrait pas dépasser ces limites sans se causer à lui-même un grave préjudice. Si le syndicat, comme tel, par suite de l’évolution politique et économique, en venait à exercer une sorte de patronage ou le droit en vertu duquel il de disposerait librement du travailleur, de ses forces et de ses biens, comme il arrive dans d’autres domaines, le concept même de syndicat qui est une union pour l’aide et la défense de ses membres, en serait altérée ou détruit. »[19] Si les syndicats visaient « à la domination exclusive dans l’État et la société, s’ils voulaient exercer un pouvoir absolu sur l’ouvrier, s’ils repoussaient le sentiment strict de la justice et la sincère volonté de collaborer avec les autres classes sociales, ils failliraient à l’attente et aux espérances que tout honnête et consciencieux travailleur met en eux. Que faudrait-il penser de l’exclusion du travail d’un ouvrier, parce qu’il n’est pas persona grata du syndicat, de la cessation forcée du travail pour l’obtention de buts politiques, de l’égarement dans de nombreux autres sentiers erronés qui mènent loin du vrai bien et de l’unité de la masse ouvrière tant souhaitée ».« La défense des intérêts légitimes des travailleurs par les contrats de travail est la tâche propre des syndicats ». Les syndicats « ne doivent pas viser à la domination exclusive dans l’État et la société », ils ne doivent pas « exercer un pouvoir absolu sur l’ouvrier ».⁠[20] Le Concile consacrera cet enseignement et le résumera ainsi : « Il faut mettre au rang des droits fondamentaux de la personne le droit des travailleurs de fonder librement des associations capables de les représenter d’une façon valable et de collaborer à la bonne organisation de la vie économique, ainsi que le droit de prendre librement part aux activités de ces associations, sans courir le risque de représailles. »[21]

Dans cette ligne et fort, non seulement de son expérience polonaise mais aussi des situations dramatiques où des travailleurs se trouvent, à travers le monde, Jean-Paul II replacera l’association dans le contexte général de la solidarité : « Une société solidaire se construit chaque jour en créant, d’abord, et en défendant ensuite les conditions effectives de la participation libre de tous à l’œuvre commune. Toute politique visant le bien commun doit être le fruit de la cohésion organique et spontanée des forces sociales. C’est là encore une forme de cette solidarité qui se manifeste d’une façon particulière à travers l’existence et l’œuvre des associations des partenaires sociaux. Le droit de s’associer librement est un droit fondamental pour tous ceux qui sont liés au monde du travail et qui constituent la communauté du travail. Ce droit signifie pour chaque homme au travail de n’être ni seul ni isolé ; il exprime la solidarité de tous pour défendre les droits qui leur reviennent et qui découlent des exigences du travail ; il offre, de manière normale, le moyen de participer activement à la réalisation du travail et de tout ce qui y a trait, en étant guidé également par le souci du bien commun. Ce droit suppose que les partenaires sociaux soient réellement libres de s’unir, d’adhérer à l’association de leur choix et de la gérer. Bien que le droit à la liberté syndicale apparaisse sans conteste comme un des droits fondamentaux les plus généralement reconnus -et la Convention numéro 87 (1948) de l’Organisation Internationale du Travail en fait foi-, il est pourtant un droit très menacé, parfois bafoué, soit en son principe, soit -plus souvent- dans tel ou tel de ses aspects substantiels, de sorte que la liberté syndicale s’en trouve défigurée. Il apparaît essentiel de rappeler que la cohésion des forces sociales -toujours souhaitable- doit être le fruit d’une décision libre des intéressés, prise en toute indépendance par rapport au pouvoir politique, élaborée dans la pleine liberté de déterminer l’organisation interne, le mode de fonctionnement et les activités propres des syndicats. L’homme au travail doit lui-même assumer la défense de la vérité et de la vraie dignité de son travail. L’homme au travail ne peut pas par conséquent être empêché d’exercer cette responsabilité, à charge pour lui de tenir compte aussi du bien commun de l’ensemble. »[22]

Syndicat ou corporation ?

On l’a remarqué, le vocabulaire des Souverains Pontifes paraît avoir évolué de Léon XIII à Jean-Paul II. Alors que le premier parlait beaucoup de « corporation », le second ne parle que de « syndicat ». Voyons cela de plus près.

Léon XIII, comme ses successeurs⁠[23], encourage la création d’associations de travailleurs, « soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons »[24]. Dans le développement qui suit, le Pape continuera à parler d’ »associations », de « sociétés » mais aussi de « corporations ». Or, la corporation est précisément la société qui associe patrons et ouvriers. Formule qui sans conteste a la faveur du Pape car à plusieurs reprises, il évoquera la collaboration entre patrons et ouvriers. L’autre association réunissant seulement des ouvriers, est celle qui sera appelée syndicat. On sait que « c’est seulement sur les instances du cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore, que Léon XIII introduisit le membre de phrase décisif, « sociétés…​ composées des seuls ouvriers » (…) ».⁠[25] Ce sont donc les circonstances qui ont amené Léon XIII à accepter l’idée du syndicat, ainsi qu’en témoigne cet autre passage : « Jamais assurément à aucune époque, on ne vit une si grande multiplicité d’associations de tout genre, surtout d’associations ouvrières.(…) Mais c’est une opinion confirmée par de nombreux indices, qu’elles sont ordinairement gouvernées par des chefs occultes et qu’elles obéissent à un mot d’ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations : qu’après avoir accaparé toutes les entreprises, s’il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère. Dans cet état de choses, les ouvriers chrétiens n’ont plus qu’à choisir entre deux partis : ou s’inscrire dans ces associations périlleuses pour la religion, ou en former eux-mêmes d’autres et unir ainsi leurs forces afin de pouvoir se soustraire hardiment à un joug si injuste et si intolérable. qu’il faille opter pour ce dernier parti, est-il personne, ayant vraiment à cœur d’arracher le plus grand bien de l’humanité à un péril imminent, qui puisse avoir là-dessus le moindre doute ? »[26].

La porte était ouverte pour la reconnaissance du syndicalisme ce qui sera fait d’une manière plus nette en 1895, dans l’encyclique Longinqua où Léon XIII, à propos des classes ouvrières, déclare qu’ »elles assurément le droit de s’unir en associations pour la promotion de leurs intérêts ; un droit reconnu par l’Église et sans opposition avec la nature ».⁠[27]

Le mot « syndicat » apparaît sous la plume de Pie X qui permet aux évêques allemands de « tolérer » les « syndicats dits chrétiens », « parce que le nombre des ouvriers qu’ils comprennent est bien supérieur à celui des associations catholiques et que de graves inconvénients résulteraient du refus de cette permission. Cette demande, précise le Saint-Père, eu égard à la situation particulière du catholicisme en Allemagne, Nous croyons devoir l’accueillir (…) ». Pie X ajoute : « Nous déclarons qu’on peut tolérer et permettre que les catholiques entrent aussi dans les syndicats mixtes existant dans vos diocèses, tant que de nouvelles circonstances n’auront pas rendu cette tolérance ou inopportune ou illégitime. » Le syndicat mixte désigne ici un syndicat où catholiques et non catholiques se trouvent associés « pour travailler au bien commun (…), pour ménager à l’ouvrier un meilleur sort, arriver à une plus juste organisation du salaire et du travail, ou pour toute autre cause utile et honnête ». Il faut toutefois, recommande Pie X, que certaines précautions soient prises : que les catholiques membres de ces syndicats s’inscrivent également dans une association catholique et veillent à ce que, au sein d’un syndicat mixte, ils ne soient jamais, en théorie ou dans l’action, en opposition avec « les enseignements et les ordres de l’Église ou de l’autorité religieuse compétente » ou confrontés à des discours ou comportements répréhensibles.

La réticence de Pie X vient du fait que les associations catholiques, ont comme première tâche, sous la direction du clergé, la défense de la foi et des mœurs : « les associations catholiques, sous l’impulsion du clergé qui les conduit et gouverne avec vigilance, contribuent puissamment à sauvegarder la pureté de la foi et l’intégrité des mœurs de leurs membres, comme elles fortifient leur esprit religieux par de multiples exercices de piété. »[28]

Il n’empêche, que dans ce débat, était implicitement reconnu le droit des ouvriers à entrer dans un syndicat.

Plus directement, sous le pontificat de Pie XI qui est très attaché, nous allons le voir plus loin, à l’idée de corporation, la Sacrée Congrégation du Concile eut à prendre position dans un conflit qui opposait, en France, cette fois, un Consortium patronal et des syndicats ouvriers chrétiens⁠[29]. Dans sa lettre à l’évêque de Lille⁠[30], la Congrégation, sollicitée par les patrons, affirme que « L’Église reconnaît et affirme le droit des patrons et des ouvriers de constituer des associations syndicales, soit séparées, soit mixtes, et y voit un moyen efficace pour la solution de la question sociale ». Et à propos des sociétés d’ouvriers, que « L’Église, dans l’état actuel des choses, estime moralement nécessaire la constitution de telles associations syndicales ». Elle exhorte les catholiques à les constituer « selon les principes de la foi et de la morale chrétienne » pour être « des instruments de concorde et de paix ». Ces associations seront de préférence catholiques, mixtes si nécessaire. qu’il y ait de toute façon une certaine union entre associations catholiques diverses, entre associations ouvrières et patronales « pour un travail commun dans les liens de la charité chrétienne » et grâce, est-il suggéré, à des « commissions mixtes ».⁠[31]

Pie XII recevant les délégués du Mouvement ouvrier chrétien leur dira: « Votre mouvement comporte une forte organisation syndicale visant à sauvegarder, dans cette vaste sphère, les droits de l’ouvrier, à les maintenir au niveau des exigences modernes. Les syndicats ont surgi, comme une conséquence spontanée et nécessaire du capitalisme érigé en système économique. Comme tels, l’Église leur a donné son approbation, à la condition toutefois que, appuyés sur les lois du Christ, comme sur leur base inébranlable, ils s’efforcent de promouvoir l’ordre chrétien dans le monde ouvrier. C’est bien cela que veut votre syndicat : c’est à ce titre que Nous le bénissons. »[32]

Pour Jean-Paul II, on appelle bien syndicats ces unions de défense des « intérêts vitaux des hommes employés dans les différentes professions », intérêts vitaux qui « sont, jusqu’à un certain point, communs à tous », même si « chaque genre de travail, chaque profession a une spécificité propre, qui devrait se refléter de manière particulière dans ces organisations. »

Un distinguo historique ?

P. Bigo pense que « la dissociation opérée entre la propriété et le travail dans l’entreprise » a rendu nécessaire l’action du syndicat⁠[33]. L’ouvrier devait sortir d’une situation d’infériorité face au patron et à la concurrence et il le fit par une « association, non pas seulement avec les autres ouvriers de l’entreprise, mais avec tous les travailleurs hors de l’entreprise qui peuvent le concurrencer en acceptant des conditions inférieures aux siennes et en le supplantant ainsi dans son emploi. »[34]

De même, Jean-Paul II se placera d’un point de vue historique pour distinguer la corporation du syndicat : « Les syndicats ont en un certain sens pour ancêtres les anciennes corporations d’artisans du moyen-âge, dans la mesure où ces organisations regroupaient des hommes du même métier, c’est-à-dire les regroupaient en fonction de leur travail. Mais les syndicats diffèrent des corporations sur un point essentiel ; les syndicats modernes ont grandi à partir de la lutte des travailleurs, du monde du travail et surtout de l’industrie, pour la sauvegarde de leurs justes droits vis-vis des entrepreneurs et des propriétaires des moyens de production. Leur tâche consiste dans la défense des intérêts existentiels des travailleurs dans tous les secteurs où leurs droits sont en cause. L’expérience historique apprend que les organisations de ce type sont un élément indispensable de la vie sociale, particulièrement dans les sociétés modernes industrialisées. Cela ne signifie évidemment pas que seuls les ouvriers de l’industrie puissent constituer des associations de ce genre. Les représentants de toutes les professions peuvent s’en servir pour défendre leurs droits respectifs. En fait, il y a des syndicats d’agriculteurs et des syndicats de travailleurs intellectuels ; il y a aussi des organisations patronales. Ils se subdivisent tous, comme on l’a déjà dit, en groupes et sous-groupes selon les spécialisations professionnelles ».

Ce sont donc les conditions nouvelles du travail qui auraient imposé cette forme nouvelle d’association.

Reste que le mot « corporation » va continuer, bien au delà du XIXe siècle, à être utilisé dans l’enseignement de l’Église.

Chez Léon XIII, la frontière entre le syndicat et la corporation, malgré ce qui a été dit plus haut, reste floue. A propos de la journée de travail et des soins de santé, il écrit qu’il sera « préférable d’en réserver en principe la solution aux corporations ou syndicats »[35]. Et après avoir évoqué les bienfaits des corporations au Moyen Age, il précise qu’il n’est pas « douteux qu’il faille adapter les corporations à ces conditions nouvelles »[36]. Toujours est-il que le Souverain Pontife insinue en plusieurs endroit que ces « corporations » seront bien des associations mixtes : il évoque certains « hommes de grand mérite » qui « s’occupent de fonder des corporations assorties aux divers métiers et d’y faire entrer les ouvriers » qu’ils « aident de leurs conseils et de leur fortune et pourvoient à ce qu’ils ne manquent jamais d’un travail honnête et fructueux ». Ou encore ces catholiques « pourvus d’abondantes richesses », qui, « devenus en quelque sorte compagnons volontaires des travailleurs, ne regardent à aucune dépense pour fonder et étendre au loin des sociétés, où ceux-ci peuvent trouver, avec une certaine aisance pour le présent, le gage d’un repos honorable pour l’avenir ».⁠[37]. Cette présentation peut paraître quelque peu paternaliste. Mais quels buts Léon XIII assigne-t-il à ces corporations ? L’assistance, on vient de le voir, l’« accroissement le plus grand possible, pour chacun, des biens du corps, de l’esprit et de la fortune », mais « avant tout », au « perfectionnement moral et religieux » qui est « l’objet principal ».⁠[38] Il faut, en effet, donner « une large place à l’instruction religieuse ».⁠[39] Le Pape est tout au long de l’encyclique très sensible à la menace socialiste et à l’athéisme qu’il entraîne. Mais il y a encore une fonction très importante que la corporation doit remplir : il s’agit de la paix sociale. Le socialisme a lancé les ouvriers dans la lutte des classes qui, aux yeux de l’Église est et sera toujours, inacceptable. Aussi Léon XIII souligne-t-il qu’il faut « régler avec équité les relations réciproques des patrons et des ouvriers »[40], que dans l’organisation interne des corporations, « les diverses fonctions doivent être réparties de la manière la plus favorable aux intérêts communs, et de telle sorte que l’inégalité ne nuise point à la concorde ». « Que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers », tel est l’idéal.⁠[41]

Dans le même souci majeur de « mettre un terme au conflit qui divise les classes », Pie XI insistera sur la nécessité de « provoquer et encourager une cordiale collaboration des professions ». Pour y arriver, il faut substituer aux classes opposées « des organes bien constitués, des « ordres » ou des « professions » qui groupent les hommes non pas d’après la position qu’ils occupent sur le marché du travail, mais d’après les différentes branches de l’activité sociale auxquelles ils se rattachent. »[42] Ces « ordres », « professions », « organisations professionnelles », « corps professionnels » ne remplacent pas les syndicats, comme certains l’ont cru. Pie XI précise « qu’au sein de ces groupements corporatifs la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ; entre tous le plus important est de veiller à ce que l’activité collective s’oriente toujours vers le bien commun de la société. Pour ce qui est des questions dans lesquelles les intérêts particuliers, soit des employeurs, soit des employés, sont en jeu de façon spéciale au point que l’une des parties doive prévenir les abus que l’autre ferait de sa supériorité, chacune des deux pourra délibérer séparément sur ces objets et prendre les décisions que comporte la matière. »[43] C’est ainsi qu’on a résumé la position de la doctrine sociale chrétienne en la matière par la formule: « Le syndicat libre dans la profession organisée ».⁠[44]

Organisée par qui ? Est une autre question importante. La réponse de Pie XI est claire : « ce que Léon XIII a enseigné, au sujet des formes de gouvernements, vaut également, tout proportion gardée, pour les groupements corporatifs des diverses professions, et doit leur être appliqué : les hommes sont libres d’adopter telle forme d’organisation qu’ils préfèrent, pourvu seulement qu’il soit tenu compte des exigences du bien commun. (…) Les personnes qui exercent la même profession gardent la faculté de s’associer librement en vue de certains objets qui, d’une manière quelconque, se rapportent à cette profession. (…) L’homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d’ordre et de droit privé, mais encore de leur « donner les statuts et règlements qui paraissent les plus appropriés au but poursuivi » (RN, 490 in Marmy). La même faculté doit être reconnue pour les associations dont l’objet déborde le cadre propre des diverses professions. Puissent les libres associations qui fleurissent déjà et portent de si heureux fruits se donner pour tâche, en pleine conformité avec les principes de la philosophie sociale chrétienne, de frayer la voie à ces organismes meilleurs, à ces groupements corporatifs dont Nous avons parlé, et d’arriver, chacune dans la mesure de ses moyens, à en procurer la réalisation. »[45] Cet extrait est clair : si ce sont les associations de « base », syndicats ou corporations pour reprendre la distinction prêtée à Léon XIII, associations de droit privé, qui doivent « frayer la voie » aux groupements corporatifs, ceux-ci sont aussi le fruit de la liberté d’association même si, comme le souhaitait Pie XII, ces organismes ont intérêt à relever du droit public.

Dans ces conditions, on ne peut accepter le reproche qui a été fait à Pie XI de vouloir cautionner le mouvement corporatif fascisant de son époque alors que sa théorie générale sur le principe de subsidiarité et les corps intermédiaires s’opposaient d’emblée à une telle interprétation. Analysant les organisations corporatives de plusieurs pays européens, dans les années trente, Le P. A. Muller montre bien la différence qui existe entre leur corporatisme d’État et le « corporatisme d’association » tel que souhaité par Pie XI : « Certains, écrivait-il, veulent bien concéder que le corporatisme existe, mais ils font observer qu’il n’est réalisé qu’en terre de dictature. Italie, Portugal, Allemagne, Autriche se disent à l’envi États corporatifs ; la Bulgarie a suivi leur exemple. Le corporatisme serait fait pour un régime dictatorial et ne se concevrait pas en dehors de lui. Il est l’armature rigide où l’État autoritaire emprisonne toute initiative, l’appareil qui lui sert à régenter toutes les activités économiques et à les plier à ses fins politiques. d’autre part, l’organisation corporative ne saurait fonctionner sans une discipline rigoureuse dont la dictature possède seule le secret.

Nous ne pouvons souscrire à pareille thèse.

Nous tenons, tout au contraire, que le corporatisme -le vrai- ne peut s’épanouir et prospérer que sous un régime de large liberté, compatible néanmoins avec un pouvoir fort et respecté, strictement cantonné dans l’exercice de ses fonctions naturelles. Et nous invoquons à l’appui de cette manière de voir le corporatisme tel qu’on le conçoit en Suisse, en Hollande, en Belgique, en France.

Un vrai et sincère régime corporatif est, à nos yeux, absolument incompatible avec la dictature au sens moderne du mot.

Cette dictature est par essence centralisatrice. Ayant réuni tous les pouvoirs entre ses mains, il lui répugne d’en soustraire au profit d’organismes autonomes la moindre parcelle. C’est une loi historique que tout gouvernement autoritaire incline à prendre ombrage des groupements puissants, capables de gérer en pleine indépendance, au besoin de défendre contre ses empiètements les intérêts de leurs membres. S’imagine-t-on que les dictatures modernes vont se montrer moins défiantes et constituer de gaieté de cœur des organismes soustraits, dans une large mesure, à leur ingérence ? »[46] Dans le même esprit, M. Clément, commentant la pensée de Pie XII en la matière, faisait remarquer que « l’organisation professionnelle est fondée sur la commune responsabilité des employeurs et des salariés » et que, par le fait même, « une telle structure n’est en rien comparable à celle (…) qu’avait instaurée en France la loi du 16 août 1940 »[47]

Pie XII, on le sait regretta publiquement la confusion opérée avant guerre entre le système proposé par son prédécesseur et les expériences des régimes dictatoriaux⁠[48]. Il va donc reprendre les thèses de Pie XI et les préciser.

Il relèvera le rôle fondamental des syndicats : « Quel est (…) le but essentiel des syndicats, sinon l’affirmation pratique que l’homme est le sujet et non l’objet des relations sociales, sinon de privilégier en face de l’irresponsabilité collective et des propriétaires anonymes, sinon de défendre la personne du travailleur devant ceux qui tendent à le considérer seulement comme une force productive ? »[49] Toutefois, au service du bien commun, les syndicats ne doivent pas « abuser de la force d’organisation, tentation aussi redoutable et dangereuse que d’abuser de la force du capital privé.(…) La force de l’organisation, si puissante qu’on veuille la supposer, n’est pas d’elle-même, et prise en soi, un élément d’ordre : l’histoire récente et actuelle en fournit constamment la preuve tragique : quiconque a des yeux pour voir s’en peut aisément convaincre. Aujourd’hui comme hier, dans l’avenir comme dans le passé, une situation ferme et solide ne peut s’édifier que sur les bases jetées par la nature -en réalité par le Créateur- comme fondements de la seule véritable stabilité.

Voilà pourquoi, Nous ne Nous lassons pas de recommander instamment l’élaboration d’un statut de droit public de la vie économique, de toute la vie sociale en général, selon l’organisation professionnelle. » ⁠[50]

Il avait tenu des propos semblables⁠[51] devant des patrons : « Avec une égale sollicitude, un égal intérêt, Nous voyons venir à Nous, tour à tour les ouvriers et les représentants des organisations industrielles ; les uns et les autres Nous exposent avec une confiance qui Nous touche profondément, leurs préoccupations respectives. (…) Nous venons de faire allusion aux préoccupations de ceux qui participent à la production industrielle. Erroné et funeste est, en ses conséquences, le préjugé trop répandu, qui voit en elles une opposition irréductible d’intérêts divergents.

Dans le domaine économique, il y a communauté d’intérêts et d’activités, entre chefs d’entreprises et ouvriers. Méconnaître ce lien réciproque, travailler à le briser, ne peut être que le fait d’une prétention de despotisme aveugle et déraisonnable. Chefs d’entreprise et ouvriers ne sont pas antagonistes inconciliables, ils sont coopérateurs dans une œuvre commune.

Ils mangent, pour ainsi dire, à la même table, puisqu’ils vivent en fin de compte, du bénéfice net et global de l’économie nationale. (…)

Il s’ensuit, que, des deux cotés, on a intérêt à voir les dépenses de la production nationale proportionnelles à son rendement.

Mais dès lors que l’intérêt est commun, pourquoi ne pourrait-il pas se traduire dans une expression commune ? Pourquoi ne serait-il pas légitime d’attribuer aux ouvriers une juste part de responsabilité dans la constitution et le développement de l’économie nationale ? (…)

Mais alors, pourquoi quand il en est encore temps, ne pas mettre les choses au point, dans la pleine conscience de la commune responsabilité, en sorte d’assurer les uns[52] contre d’injustes défiances, les autres[53] contre des illusions qui ne tarderaient pas à devenir un péril social ?

Cette communauté d’intérêt et de responsabilité dans l’œuvre de l’économie nationale, Notre inoubliable prédécesseur Pie XI en avait suggéré la formule concrète et opportune lorsque, dans son encyclique Quadragesimo Anno, il recommandait « l’organisation professionnelle » dans les diverses branches de la production.

Rien, en effet, ne lui semblait plus propre à triompher du libéralisme économique que l’établissement, pour l’économie sociale, d’un statut de droit public fondé précisément sur la communauté de responsabilité entre tous ceux qui prennent part à la production. »

On a bien entendu que d’une part, « le devoir et le droit d’organiser le travail du peuple appartient avant tout à ceux qui y sont immédiatement intéressés : employeurs et salariés »[54], de manière paritaire, peut-on dire, et que, d’autre part, est souhaitable » l’établissement, pour l’économie sociale, d’un statut de droit public fondé précisément sur la communauté de responsabilité entre tous ceux qui prennent part à la production ». Ce statut de droit public est nettement distingué « d’autres formes d’organisation juridique publique de l’économie sociale » comme l’étatisation ou la nationalisation dont Pie XII montre les insuffisances et les dangers.⁠[55]

Le principe de la participation de tous, employeurs et employés, dans les institutions responsables des différents secteurs de la vie économique, sera confirmé par Jean XXIII : « Il est opportun, voire nécessaire, que la voix des travailleurs ait la possibilité de se faire entendre et écouter hors des limites de chaque organisme de production, à tous les échelons. » Les choix qui influent sur le contexte économique et social « ne sont pas décidés à l’intérieur de chaque organisme productif, mais bien par les pouvoirs publics, ou des institutions à compétence mondiale, régionale ou nationale, ou bien qui relèvent soit du secteur économique, soit de la catégorie de production. d’où l’opportunité -la nécessité- de voir présents dans ces pouvoirs ou ces institutions, outre les apporteurs de capitaux et ceux qui représentent leurs intérêts, aussi les travailleurs et ceux qui représentent leurs droits, leurs exigences, leurs aspirations ».⁠[56]

De plus, même si Jean XXIII n’insiste pas, comme ses prédécesseurs sur l’organisation professionnelle⁠[57], il n’en reprend pas moins telle quelle l’idée des corps intermédiaires: « Nous estimons (…) nécessaire que les corps intermédiaires et les initiatives sociales diverses, par lesquelles surtout s’exprime et se réalise la « socialisation », jouissent d’une autonomie efficace devant les pouvoirs publics, qu’ils poursuivent leurs intérêts spécifiques en rapport de collaboration loyale entre eux et de subordination aux exigences du bien commun. »[58] En effet, selon P. Bigo, « le péril majeur des organisations professionnelles (…) c’est de tourner exclusivement à la protection professionnelle en perdant leur objectif premier qui est d’améliorer le service rendu au public, les intérêts des membres de la profession étant l’objectif second poursuivi à travers la réalisation de l’objectif premier. »[59]

Tout l’enseignement des Papes, depuis Léon XIII, s’efforce de mettre en évidence trois nécessités : la défense des droits du travailleur, la participation de ceux-ci à tous les niveaux de l’organisation de la vie économique et la coopération des employés et des employeurs. Ces trois points seront au centre des préoccupations des pères conciliaires: « Comme bien souvent, ce n’est déjà plus au niveau de l’entreprise, mais à des instances supérieures, que se prennent les décisions économiques et sociales dont dépend l’avenir des travailleurs et de leurs enfants, ceux-ci doivent également participer à ces décisions, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants librement choisis.

Il faut mettre au rang des droits fondamentaux de la personne le droit des travailleurs de fonder librement des associations capables de les représenter d’une façon valable et de collaborer à la bonne organisation de la vie économique, ainsi que le droit de prendre librement part aux activités de ces associations, sans courir le risque de représailles. Grâce à cette participation organisée, jointe à un progrès de la formation économique et sociale, le sens des responsabilités grandira de plus en plus chez tous : ils seront ainsi amenés à se sentir associés, selon leurs moyens et leurs aptitudes personnels, à l’ensemble du développement économique et social ainsi qu’à la réalisation du bien commun universel. »[60]

On constate que, depuis Jean XXIII, tout en insistant sur le droit d’association, l’Église s’attache plus aux fonctions des ces associations qu’à leur nature. La distinction syndicat-organisation professionnelle n’est plus mise en avant comme elle l’était précédemment. Est-elle devenue obsolète pour autant ? Je ne le pense pas et pour s’en convaincre, il suffit de lire attentivement les textes de Jean-Paul II.

Nous avons vu plus haut avec quelle force Jean-Paul II défendait la liberté syndicale. Ce n’est pas seulement parce qu’il a été marqué par l’expérience polonaise et la puissance transformatrice du syndicat Solidarnosc mais aussi parce que traîne encore aujourd’hui et surtout dans le contexte néo-libéral une grande méfiance des patrons et parfois du pouvoir politique vis-à-vis de l’action syndicale qui souvent indispose, au passage, l’opinion publique ou, du moins, une large frange de ceux qui ne sont pas concernés directement mais perturbés par les manifestations ou les grèves. Il est vrai que « Le défaut du syndicalisme (d’un certain syndicalisme, devrait-on dire), c’est qu’il n’existe que pour la lutte et la revendication : ne groupant que les ouvriers, il les oppose aux échelons intermédiaires et supérieurs du travail ; il fait ainsi obstacle à toute réconciliation, à tout établissement d’une communauté durable sur le plan de l’entreprise, de la nation ou des nations ».⁠[61] Il est vrai aussi que, souvent, le syndicat est un instrument de massification, créateur de solidarités artificielles et instrument d’action politique au sens étroit, partisan, du terme⁠[62]. Ces déviations existent et nous ne les connaissons que trop mais il n’empêche et il ne faudrait pas l’oublier que « le syndicat, selon la doctrine chrétienne, est l’institution qui permet à l’ouvrier de se faire reconnaître comme personne dans les relations de travail, et de discuter d’égal à égal les conditions de l’emploi, de donner son consentement au contrat de travail. Le rôle du syndicat est de conduire la masse des travailleurs salariés à la conscience de sa dignité, à la volonté d’une promotion, aux conventions, aux institutions et aux actions qui en sont les moyens ».⁠[63]

Pour Jean-Paul II, le syndicat n’est pas seulement « le reflet d’une structure « de classe » » ni le porte-parole « d’une lutte de classe ». Il est « un élément indispensable de la vie sociale, particulièrement dans les sociétés modernes industrialisées », le « porte-parole de la lutte pour la justice sociale, pour les droits des travailleurs ». Pour que, plus précisément encore, « le travailleur non seulement puisse « avoir » plus, mais aussi et surtout puisse « être » davantage, c’est-à-dire qu’il puisse réaliser plus pleinement son humanité sous tous ses aspects. »[64]

Ceci rappelé, Jean-Paul II insiste constamment sur le fait que les travailleurs constituent des associations selon leur profession : « Les représentants de toutes les professions peuvent s’en servir syndicats de travailleurs intellectuels ; il y a aussi des organisations patronales. Ils se subdivisent tous (…) pour défendre leurs droits respectifs. En fait, il y a des syndicats d’agriculteurs et des en groupes et sous-groupes selon les spécialisations professionnelles »[65]

il est clair que Jean-Paul II veut que les associations se créent sur des solidarités naturelles et qu’ainsi soit évitée toute massification.

De même, il dénonce clairement la politisation : « l’activité des syndicats entre de manière indubitable dans le domaine de la « politique » entendue comme un souci prudent du bien commun. Mais, en même temps, le rôle des syndicats n’est pas de « faire de la politique » au sens que l’on donne généralement aujourd’hui à ce terme. Les syndicats n’ont pas le caractère de « partis politiques » qui luttent pour le pouvoir, et ils ne devraient jamais non plus être soumis aux décisions des partis politiques ni avoir des liens trop étroits avec eux. En effet, si telle est leur situation, ils perdent facilement le contact avec ce qui est leur rôle spécifique, celui de défendre les justes droits des travailleurs dans le cadre du bien commun de toute la société, et ils deviennent, au contraire, un instrument pour d’autres buts. »[66]

Très positivement, outre la défense des droits des travailleurs, les syndicats doivent être au service du « juste bien » et ne pas « se transformer en une sorte d’ »égoïsme » de groupe ou de classe ».

Ils doivent non pas lutter contre les autres mais être des instruments de solidarité dans le plus large sens du terme : « Si, dans les questions controversées, (la lutte) prend un caractère d’opposition aux autres, cela se produit parce qu’on recherche le bien qu’est la justice sociale, et non pas la « lutte » pour elle-même, ou l’élimination de l’adversaire. La caractéristique du travail est avant tout d’unir les hommes et c’est en cela que consiste sa force sociale : la force de construire une communauté. En définitive, dans cette communauté, doivent s’unir de quelque manière et les travailleurs et ceux qui disposent des moyens de production ou en sont propriétaires. A la lumière de cette structure fondamentale de tout travail -à la lumière du fait que, en définitive, le « travail » et le « capital » sont des composantes indispensables de la production dans quelque système social que ce soit-, l’union des hommes pour défendre les droits qui leur reviennent, née des exigences du travail, demeure un élément dont on ne saurait faire abstraction. »[67]

La lutte des classes est condamnable parce qu’elle fait fi de toute considération éthique ou juridique, qu’elle ne respecte pas la dignité de la personne, exclut un accommodement raisonnable et recherche non pas le bien général de la société mais plutôt un intérêt de parti qui se substitue au bien commun et veut détruire ce qui s’oppose à lui.

Il n’empêche que, dans le cadre du syndicat, on peut parfois parler de lutte contre un système économique entendu comme méthode pour assurer la primauté absolue du capital, de la propriété des instruments de production et de la terre sur la liberté et le travail de l’homme sans pour autant rêver de substituer à ce système le système socialiste qui est en fait un capitalisme d’État.

Les syndicats qui ont été souvent et longtemps parfois dominés par l’idéologie marxiste, doivent donc jouer le rôle délicat de médiation entre les travailleurs et les organes dirigeants par le dialogue et la négociation de préférence à d’autres instruments de revendication. Cette méthode fastidieuse, peut-être, se révèle, en fin de compte, plus féconde parce qu’elle favorise la compréhension réciproque et assure une meilleure base pour la stabilité des conquêtes.

Le souci d’une telle solidarité est constructif, il est pour le travail, pour la justice, la paix le bien-être et la vérité dans la vie sociale.⁠[68]

Nous vérifions donc toujours les mêmes préoccupations à travers la doctrine concernant le droit d’association avec, de nouveau, chez Jean-Paul II une accentuation du caractère professionnel des associations.

Et qu’en est-il des organisations professionnelles plus vastes si chères à Pie XI ? Nous pouvons en trouver un écho dans ce passage où le Pape met en garde contre l’élimination de la propriété privée et évoque, a contrario, les conditions d’une vraie socialisation : « on ne peut parler de socialisation que si la subjectivité de la société est assurée, c’est-à-dire si chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer en même temps comme co-propriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s’engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d’associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles: ces corps jouiraient d’une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics, ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d’une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie. »[69] Le texte qui renvoie à l’encyclique Mater et Magistra[70] qui, à cet endroit, renvoie elle-même à la doctrine des corps intermédiaires selon Pie XI, évoque un autre type de « corps » que le syndicat bien identifié comme tel dans la suite de Laborem Exercens.

Le lecteur regrettera peut-être le manque de précisons sur l’organisation professionnelle, son fonctionnement et sa conjonction avec les organisations syndicales. Il sera peut-être aussi dérouté par le flou du vocabulaire dans la mesure où aucune expression ne s’est imposée pour désigner clairement ce type de structure. Mais, d’un autre côté, il serait peut-être délicat ou inconvenant de dépasser le rappel des principes et valeurs en question. On quitterait alors le domaine de la doctrine pour se hasarder sur le terrain des programmes qui ne peuvent être que l’œuvre de l’imagination prudente d’un laïcat engagé.

Un syndicat chrétien ?

Les textes cités plus haut peuvent nous aider à répondre à cette question.

Nous avons entendu Léon XIII souhaiter que, sans négliger « les biens du corps, de l’esprit et du patrimoine familial », l’« objet principal » du syndicat soit « le perfectionnement moral et religieux ». On peut penser que la formule peut s’interpréter de diverses manières⁠[71] et considérer que, selon cette définition, le syndicat doit être confessionnel puisqu’il « serait avant tout un mouvement de ferveur et d’apostolat ». On peut penser aussi que le Souverain Pontife songe à « une action syndicale selon les principes chrétiens, donnant une priorité aux aspects moraux et religieux de son action temporelle. Dans ce cas, le syndicat reste une institution de la société civile, il n’est nullement confessionnel. »

Nous avons vu que les réalisations inspirées par Rerum Novarum, en Belgique, étaient nettement confessionnelles et nous savons qu’elles seront la préoccupation première des successeurs de Léon XIII qui, en parlant de « perfectionnement moral et religieux », s’exprimait donc littéralement.

Toutefois, du moins sur le terrain doctrinal, nous allons assister à quelques modifications dans le sens d’une plus grande ouverture. Nous avons ainsi entendu Pie X demander qu’on établisse et favorise « de toute manière des associations confessionnelles catholiques », bien dans la ligne, à mon avis, de Rerum Novarum, mais, en même temps, Pie X acceptait que ces associations collaborent avec d’autres et même que catholiques et protestants constituent des syndicats mixtes à certaines conditions.

Mgr Liénart⁠[72], de même, milite en faveur du syndicat catholique mais n’en ferme pas pour autant la porte aux non catholiques ou aux incroyants puisqu’un tel syndicat doit « préparer un sûr refuge pour les ouvriers inscrits au syndicat anti-chrétien qui sentiraient le besoin et le devoir de se libérer d’un lien qui, pour des intérêts purement économiques, rend esclave la conscience ».

Pie XI, cite textuellement le passage de Rerum Novarum qui précise les buts du syndicat puis note que « les idées et les directives de Léon XIII ont été réalisées de diverses manières, selon les lieux et les circonstances. En certaines régions, une seule et même association se proposa s’atteindre tous les buts assignés par le Pontife. Ailleurs, on préféra recourir, selon qu’y invitait la situation, en quelque sorte à une division du travail, laissant à des groupements spéciaux le soin de défendre sur le marché du travail les droits et les justes intérêts des associés, à d’autres la mission d’organiser l’entraide dans les questions économiques, tandis que d’autres enfin se consacraient tout entiers aux seuls besoins religieux et moraux de leurs membres ou à d’autres tâches du même ordre ».⁠[73]

Pie XII ira dans ce sens. Aux Associations catholiques des travailleurs italiens, il déclarera que « pour ne pas défaillir le long des chemins et particulièrement pour gagner la jeunesse à votre cause, il faut avoir constamment devant les yeux la haute fin vers laquelle doit tendre votre mouvement : c’est-à-dire la formation des travailleurs vraiment chrétiens qui excellent également en capacité dans l’exercice de leur art et en conscience religieuse, sachant mettre en harmonie la ferme protection de leurs intérêts économiques avec le sentiment le plus strict de la justice et avec la sincère volonté de collaborer avec les autres classes de la société au renouveau de la vie sociale tout entière. (…)

Tel est le but élevé du mouvement des travailleurs chrétiens, même si celui-ci se divise en Unions particulières et distinctes, dont les unes visent à la défense de leurs intérêts légitimes par les contrats de travail - tâche propre des Syndicats-, d’autres aux œuvres d’assistance, telles que les coopératives de consommation ; d’autres enfin à l’aide religieuse et morale aux travailleurs, comme sont les Associations ouvrières catholiques. »[74]

Au niveau du syndicat proprement dit, il importe que l’inspiration soit chrétienne, évidemment, ce qui ne veut pas que le syndicat doit être une œuvre d’apostolat au sens étroit du terme. Il n’y a plus de confusion de fonctions désormais.

C’est bien cela qui apparaît sous la plume de Jean XIII : « Notre pensée affectueuse, Notre encouragement paternel se tournent vers les associations professionnelles et les mouvements syndicaux d’inspiration chrétienne présents et agissant sur plusieurs continents. Malgré les difficultés souvent graves, ils ont su agir, et agissent, pour la poursuite efficace des intérêts des classes laborieuses, pour leur relèvement matériel et moral, aussi bien à l’intérieur de chaque État que sur le plan mondial.

Nous remarquons avec satisfaction que leur action n’est pas mesurée seulement par ses résultats directs et immédiats, faciles à constater, mais aussi par ses répercussions positives sur l’ensemble du monde du travail, où ils répandent des idées correctement orientées et exercent une impulsion chrétiennement novatrice.

Nous observons aussi qu’il faut prendre en considération l’action exercée dans un esprit chrétien, par Nos chers fils, dans les autres associations professionnelles et syndicales qu’animent les principes naturels de la vie commune, et qui respectent la liberté de conscience ».⁠[75]

C’est dans cet esprit qu’il faut, bien entendu, relire les passages cités de Gaudium et Spes, de Laborem Exercens et de Centesimus annus, consacrés au syndicat.


1. Article 2 cité in JACCARD P., op. cit., p. 290.
2. Cf. JACCARD P., op. cit., p. 293. Pie XI, dans Quadragesimo anno, écrit encore : « Depuis que l’individualisme a réussi à briser, à étouffer presque, l’intense mouvement de la vie sociale qui s’épanouissait jadis en une riche et harmonieuse floraison de groupements les plus divers, il ne reste plus guère en présence que les individus et l’État. » (572 in Marmy). Il saluera, en ces termes, l’œuvre de Léon XIII : « Cet enseignement (…) venait à un moment des plus opportuns. Car en plus d’un pays à cette époque, les pouvoirs publics, imbus de libéralisme, témoignaient peu de sympathie pour ces groupements ouvriers et mêm les combattaient ouvertement. Ils reconnaissaient volontiers et appuyaient des associations analogues fondées dans d’autres classes ; mais, par une injustice criante, ils déniaient le droit naturel d’association à ceux-là qui en avaient le plus grand besoin pour se défendre contre l’exploitation des plus forts. Même dans certains milieux catholiques, les efforts des ouvriers vers ce genre d’organisation étaient vus de mauvais œil, comme d’inspiration socialiste ou révolutionnaire.
   Les directives de Léon XIII eurent le grand mérite de briser ces oppositions et de désarmer ces méfiances » (QA, 539 in Marmy).
3. En France, des sociétés de secours mutuels apparaissent en 1848. Mais ces sociétés et coopératives ouvrières subventionnées par l’État vont disparaître ce qui explique sans doute, en partie, le retard social de la France par rapport aux autres pays. Le livret ouvrier est supprimé en 1890. Aux USA, dès 1786 se constitue la première Union du travail. En Angleterre, la liberté d’association est reconnue en 1824 et les trade-unions (syndicats) organisés clandestinement agirent désormais au grand jour. En Suisse, les privilèges corporatifs sont supprimés en 1776 dans plusieurs cantons ; rapidement se forment des sociétés de secours mutuels et une caisse autonome de chômage est mise sur pied dès 1788. Enfin, en 1848, liberté d’association sera reconnue dans la Constitution fédérale. En Belgique, la liberté d’association est reconnue par la Constitution mais l’interdiction de la coalition c’est-à-dire de la grève ne sera levée qu’en 1866. Des « caisses communes » existent dans les années 1850 et les premiers syndicats voient le jour à partir de 1860. Le livret ouvrier obligatoire est supprimé en 1883.
4. RN, 485 in Marmy.
5. RN, 486 in Marmy. Nous avons expliqué précédemment le sens de l’expression « société parfaite »
6. Id..
7. RN, 487 in Marmy.
8. RN, 490 in Marmy.
9. RN, 487 in Marmy. Léon XIII toutefois recommande la plus grande prudence aux pouvoirs publics en cette circonstance : « encore faut-il qu’en tout cela ils n’agissent qu’avec une très grande circonspection. Il faut éviter d’empiéter sur les droits des citoyens et de prendre, sous couleur d’utilité publique, une décision qui serait désavouée par la raison. Car une loi ne mérite obéissance qu’autant qu’elle est conforme à la droite raison et, ainsi, à la loi éternelle de Dieu. » (Id).
10. RN, 490 in Marmy.
11. Cf. Pie XI qui formula le principe de subsidiarité s’y référera explicitement (QA, 576 in Marmy) ; Jean XXIII, PT 23 ; Jean-Paul II, CA 7.
12. Léon XIII dénonce ces sociétés qui se livrent à un chantage ou à des représailles vis-à-vis des récalcitrants: « s’il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère » (cf. infra). Les États-Unis ont connu le closed-shop qui faisait « obligation à l’employeur d’une entreprise « syndiquée » d’embaucher une main-d’œuvre syndiquée ». En 1947, les employeurs obtinrent le vote du Labor-Management Relations Act connu sous le nom de loi Taft-Hartley qui bannit le closed-shop mais non l’union-shop qui « laisse au nouvel embauché le soin de se syndiquer lui-même dans les six mois suivant son entrée dans l’entreprise ». La même loi introduisait « des clauses « de droit au travail » (…) destinées aux salariés qui choisissent de ne pas être membre d’un syndicat ». (FONDEUR Yannick et SAUVIAT Catherine, Un syndicalisme toujours en mal de reconnaissance, in Chronique internationale de l’IRES, n° 66, septembre 2000, pp. 94-95).
13. QA, 576 in Marmy.
14. Cf. Immortale Dei, 1-11-1885, 704 in Marmy.
15. QA, 576 in Marmy.
16. QA, 581 in Marmy. Visant toujours l’État fasciste, Pie XI écrit: « L’État accorde au syndicat une reconnaissance légale qui n’est pas sans conférer à ce dernier un caractère de monopole, en tant que seul syndicat reconnu pour représenter respectivement les ouvriers et les patrons, que seul il est autorisé à conclure les contrats ou conventions collectives de travail ». Très pratiquement et très habilement, Pie XI note les aspects positifs de ce syndicat mais fait remarquer que « l’affiliation est facultative » et que « le syndicat légal n’exclut pas l’existence d’associations professionnelles de fait. » On se souvient aussi de l’intervention de Pie XI après « la dissolution des Associations de jeunesse et des Associations universitaire de l’Action catholique. Dissolution exécutée par des voies de fait et par des procédés qui donnèrent l’impression que c’était une vaste et périlleuse association de criminels que l’on poursuivait (…) ». (Non abbiamo bisogno, 29-6-1931, 207 in Marmy). On se souvient aussi des protestations du même Pontife face aux attaques nazies contre les associations religieuses et les écoles confessionnelles (cf. Mit Brennender Sorge, 14-3-1937). On se souvient enfin de la condamnation du communisme qui dépouille l’homme de sa liberté (Divini Redemptoris, 19-3-1937).
   Aux États-Unis, les employeurs ont su régulièrement « mobiliser et remodeler le système institutionnel à leur avantage » et disposer ainsi d’un arsenal variable de lois anti-syndicales. Les droits syndicaux cèdent la place aux droits individuels et la représentation syndicale dans les entreprises est soumise à des règles très contraignantes qui fragilisent sa légitimité. Dans ces conditions le taux de syndicalisation est faible et à la baisse. En 1955, 33% des salariés étaient membres d’un syndicat. En 1999, ils n’étaient plus que 14%. (FONDEUR Y. et SAUVIAT C., op. cit., pp. 95 et 100).
17. Encyclique Sertum Laetitiae, 1-11-1939.
18. Discours du 26-6-1955.
19. Allocution aux Travailleurs chrétiens d’Italie, 11-3-1945.
20. Discours aux Associations catholiques des Travailleurs italiens, 29-6-1948.
21. GS 68, § 2.
22. Allocution à l’Organisation Internationale du Travail, à l’occasion de la 68e session de la Confédération internationale du travail, Genève, 15-6-1982, in DC, n° 1833, 4-7-1982, p. 650.
23. Cf. Pie X aux archevêques et évêques du Brésil : « Nous exhortons en premier lieu à constituer parmi les catholiques de ces sociétés qui s’établissent un peu partout à l’effet de sauvegarder les intérêts sur le terrain social » (Lettre Paulopolim, 18-12-1910) ; aux directeurs de l’Union économique sociale des catholiques italiens : « Quelles institutions devrez-vous de préférence promouvoir dans le sein de votre Union ? Votre industrieuse charité en décidera. Quant à Nous, celles qu’on appelle des syndicats Nous semblent très opportunes » (Lettre du 20-1-1907).
24. RN, 485 in Marmy.
25. CAVEZ J.-Y., L’économie, l’homme, la société, op. cit., p. 235. On se souvient que les Knights of Labour (Chevaliers du travail), aux États-Unis et au Canada, qui s’étaient rassemblés pour défendre les ouvriers, avaient dû entrer en clandestinité pour échapper à la tyrannie des patrons qui prétendaient contrôler le pouvoir politique et les lois. Accusés par la hiérarchie canadienne de constituer une société secrète anti-religieuse, ils furent condamnés et la sanction fut confirmée par Rome. Le Cardinal Gibbons (1834-1921), seul cardinal aux États-Unis, devait se prononcer également. Il consulta le Président Cleveland, le cardinal Manning, en Angleterre, et entra en contact avec le chef des Knights of Labour. Convaincu de l’honnêteté et de la légitimité de l’association, il entreprit de la défendre à Rome et adressa un Rapport en 1887 au Préfet de la Propagande dont la conclusion était particulièrement ferme:
   « Finalement et pour tout résumer, il me paraît que le Saint-Siège ne saurait se décider à la condamnation, attendu :
   1° qu’elle ne paraît justifiée, ni par la lettre, ni par l’esprit des constitutions et des lois de l’association incriminée, ni par les déclarations de ses chefs ;
   2° qu’elle ne paraît pas nécessaire, vu le caractère changeant de l’organisation et des conditions sociales aux États-Unis ;
   3° qu’elle ne paraît pas prudente, en raison de la réalité, reconnue par le peuple américain, des abus dont se plaignent les classes ouvrières ;
   4° qu’elle serait dangereuse pour la réputation de l’Église dans notre pays démocratique et qu’elle y pourrait même provoquer une persécution ;
   5° qu’elle serait probablement inefficace, étant donné que le sentiments général la trouverait injuste ;
   6° qu’elle serait destructive au lieu d’être bienfaisante dans ses effets, en poussant les enfants de l’Église à désobéir à leur Mère et même à entrer dans des sociétés condamnées qu’ils ont évitées jusqu’ici ;
   7° qu’elle changerait, en suspicion et hostilité, le dévouement singulier de notre peuple américain envers le Saint-Siège ;
   8° qu’elle porterait un coup terrible à l’autorité des évêques américains, lesquels, au su de tous, protestent contre une telle condamnation.
   Et maintenant, j’espère que les considérations présentées dans ce rapport ont suffisamment démontré que tel serait bien l’effet, aux États-Unis, d’une condamnation portée contre les Chevaliers du travail. » ( Cité in KOTHEN R., La pensée et l’action sociale des catholiques, 1789-1944, Warny, 1945, pp. 280-281).
26. RN, 489 in Marmy.
27. Encyclique sur le catholicisme aux États-Unis, Longinqua, n° 16, 6-1-1895. (Disponible sur www.vatican.va).
28. Encyclique Singulari Quadam, 24-9-1912. Au syndicat mixte ou interconfessionnel, le Pape préfère le cartel c’est-à-dire un pacte de collaboration entre sociétés catholiques et non-catholiques.
29. Dans la région de Roubaix-Tourcoing.
30. Lettre à Mgr Achille Liénart, 5-6-1929. Il s’agit du futur cardinal Liénart, 1884-1973.
31. A la lumière de ces principes soutenus par la plupart des citations qui ont été reprises plus haut, la Congrégation invitait les parties à se retrouver au sein d’une commission mixte permanente. Au passage, la Congrégation lavait les associations ouvrières de l’accusation de marxisme portée contre elles par les patrons et regrettait que ceux-ci aient constitué leur association « sur le terrain de la neutralité » et n’aient pas fait « ouvertement profession de catholicisme ».
32. Discours du 11-9-1949.
33. Le mot « syndicat » est dérivé du mot syndic: « celui qui assiste quelqu’un en justice ». Il désigne d’abord la fonction du syndic puis, à partir de 1839, « un groupement d’ouvriers réunis pour défendre leurs intérêts ». Le verbe « syndiquer » qui au XVIe siècle signifiait « critiquer, censurer », prend, en 1768, le sens de « former en corps les membres d’une corporation ».(Bvon W).
34. Op. cit., pp. 436-437.
35. RN, 479 in Marmy.
36. RN, 485 in Marmy.
37. RN, 489 in Marmy.
38. RN, 490 in Marmy.
39. RN, 491 in Marmy. Léon XIII la décrit ainsi : « Ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut faire en vue du salut éternel, tout cela doit leur être soigneusement inculqué. qu’on les prémunisse avec une sollicitude particulière contre les opinions erronées et toutes les variétés du vice. qu’on porte l’ouvrier au culte de Dieu, qu’on excite en lui l’esprit de piété, qu’on le rende surtout fidèle à l’observation des dimanches et des jours de fête. qu’il apprenne à respecter et à aimer l’Église, la commune mère de tous les chrétiens ; à obéir à ses préceptes, à fréquenter ses sacrements qui sont des sources divines où l’âme se purifie de ses tâches et puise la sainteté. » Avec un tel programme, il ne faut pas s’étonner que bon nombre de ces syndicats et corporations aient été fondés et animés par des prêtres pleins de zèle certes mais la confusion des pouvoirs fut souvent lourde de conséquences. La confusion est générale d’ailleurs. En Belgique, en 1907, voici comment est présenté le mouvement Démocratie chrétienne qui se détache du Parti catholique : « ...l’homme est désespéré parce qu’il ne croit plus ; la Démocratie chrétienne lui enseignera la religion catholique d’Espérance, de Justice et de Paix ; l’homme souffre de son « état de misère immérité », la démocratie chrétienne lui donnera l’exacte notion de ses devoirs et de ses droits, lui fournissant également les moyens de faire respecter ceux-ci. L’homme perdu, désespéré ne sait comment sortir de l’étau de l’adversité qui l’étreint : la démocratie chrétienne fera naître chez lui la conscience de sa dignité de créature de Dieu, et après l’avoir grandi par la religion et le bonheur (autant que ce dernier puisse se trouver ici-bas), elle le fera grand par l’esprit. » (L’Avant-Garde, novembre 1907). Pour en revenir aux syndicats, c’est le Père Georges Rutten, dominicain, qui fonde la puissante CSC et en est le secrétaire général de 1904 à 1919. Il sera aussi sénateur coopté de 1921 à 1946. Les prêtres sont partout et jouent rôle dirigeant déterminant. En 1930, par exemple, l’abbé Louis Colens écrit : « Etant donné que l’Église a le droit de déterminer et d’enseigner les principes sur lesquels doit se baser une organisation ouvrière catholique, étant donné le fait que l’organisation ouvrière doit s’occuper du relèvement moral et religieux de ses membres, l’autorité ecclésiastique a le droit de juger qu’il est non seulement utile mais encore nécessaire d’adjoindre à la direction des sociétés ouvrières chrétiennes, un représentant de l’autorité religieuse. L’autorité religieuse a le droit d’exiger que l’action d’une organisation ouvrière catholique ne soit jamais en contradiction avec l’action de l’autorité religieuse et de plus elle a le droit de demander à l’organisation ouvrière d’être un soutien efficace pour son action religieuse ». Ainsi « le prêtre-directeur sera également le conseiller moral de la section politique. » (La formation des dirigeants d’œuvres sociales, Louvain, 1930, pp. 60-61). Beaucoup rejetteront ces organisations jugées cléricales et auront malheureusement trop souvent tendance à rejeter aussi la doctrine sociale de l’Église, signe de la domination cléricale. (Cf. NEUVILLE Jean, Adieu à la Démocratie chrétienne ? Elie Baussart et le mouvement ouvrier, Vie Ouvrière, 1972).
40. RN, 489 in Marmy.
41. RN, 492 in Marmy.
42. QA, 573 in Marmy.
43. QA, 575 in Marmy.
44. Cf. BIGO P., op. cit., p. 460.
45. QA, 576 in Marmy.
46. MULLER Albert, sj, La politique corporative, Essai d’organisation corporative, Rex, 1935, pp. 212-213).
47. L’économie sociale selon Pie XII, Synthèse doctrinale, Nouvelles éditions latines, 1953, p. 210. Commentant cette loi du 16-8-1940, Le Conseil d’État, en son Assemblée du 31 juillet 1942 « qu’il résulte de l’ensemble de ses dispositions que ladite loi a entendu instituer (…) un service public ; que, pour gérer le service en attendant que l’organisation professionnelle ait reçu sa forme définitive, elle a prévu la création de comités auxquels elle a confié, sous l’autorité du secrétaire d’État, le pouvoir d’arrêter les programmes de production et de fabrication, de fixer les règles à imposer aux entreprises en ce qui concerne les conditions générales de leur activité, de proposer aux autorités compétentes le prix des produits et services ; qu’ainsi, les comités d’organisation, bien que le législateur n’en ait pas fait des établissements publics, sont chargés de participer à l’exécution d’un service public, et que les décisions qu’ils sont amenés à prendre dans la sphère de ces attributions, soit par voie de règlement, soit par des dispositions d’ordre individuel, constituent des actes administratifs - que le Conseil d’État est, dès lors, compétent pour connaître des recours auxquels ces actes peuvent donner lieu (…). » (Texte disponible sur www.rajf.org).
   Par contre, parmi les bonnes interprétations du principe corporatif, A. Muller cite l’arrêté belge du 13 janvier 1935, « arrêté royal permettant l’institution d’une réglementation économique de la production et de la distribution ». L’article 1er stipule la responsabilité des acteurs et le rôle de l’État : « Tout groupement de producteurs et distributeurs, revêtu de la personnalité civile, peut solliciter l’extension à tous les autres producteurs ou distributeurs, appartenant à la même branche d’industrie ou de commerce, d’une obligation volontairement assumée par lui, concernant la production, la distribution, la vente, l’exportation ou l’importation. » (Op. cit., pp. 198-199). Cet arrêté a été modifié par la loi du 5-8-1991.
48. Pie XII regrette que « ce point de l’encyclique fut l’objet d’une levée de boucliers » car « les uns y voyaient une concession aux courants politiques modernes, les autres, un retour au Moyen Age. Il eût été incomparablement plus sage de déposer les vieux préjugés inconsistants et de se mettre de bonne foi, et de bon cœur à la réalisation de la chose elle-même et de ses multiples applications pratiques.
   Mais à présent, cette partie de l’encyclique semble malheureusement nous fournir un exemple de ces occasions opportunes qu’on laisse échapper faute de les saisir à temps. »
   (Allocution aux membres de l’Union internationale des Associations patronales catholiques, 7-5-1949).
49. Radiomessage au monde, 24-12-1952.
50. Discours au délégués du MOC, op. cit.. Pie XII ajoute un autre garde-fou : « Voilà pourquoi Nous ne Nous lassons pas non plus de recommander la diffusion progressive de la propriété privée, des moyennes et petites entreprises. »
51. Cf. également : Allocution aux participants du Congrès des Associations chrétiennes des travailleurs italiens, 11-3-1945 ; Allocution aux représentants des organisations patronales et ouvrières de l’Industrie électrique italienne, 25-1-1946 ; Lettre à Charles Flory, président des Semaines sociales de France, 10-7-1947 ; Allocution aux membres du Sacré Collège, 2-6-1948 ; Allocution aux Associations catholiques des travailleurs italiens, 29-6-1948 ; Radiomessage aux catholiques allemands à l’occasion du Katholikentag, le 4 septembre 1949: « L’Église n’a pas renoncé un instant à sa lutte pour que l’apparente opposition du capital et du travail, de l’employeur et du salarié, se fonde en une unité supérieure, en une collaboration organique que la nature elle-même recommande, selon le travail ou le secteur économique, par l’organisation, professionnelle » ; Lettre de MONTINI J.-B. aux Semaines sociales d’Italie, 23-9-1949 ; Allocution aux Membres du Congrès du « Mouvement universel pour une Confédération mondiale », 6-4-1951 ; MONTINI J.-B., Lettre aux Semaines sociales d’Italie, 23-9-1951 ; Allocution aux membres de l’Union chrétienne des Chefs d’entreprises italiens, 31-1-1952 ; Message radiophonique aux Catholiques autrichiens, 14-9-1952 ; MONTINI J.-B., Lettre aux Semaines sociales d’Italie, 21-9-1952.
52. Les patrons qui se méfient de la place que pourrait prendre le monde ouvrier.
53. Les ouvriers qui rêvent de diriger l’économie sans les patrons.
54. Radiomessage pour le cinquantenaire de l’encyclique Rerum Novarum, 1-6-1941.
55. Allocution aux Membres de l’Union internationale des Associations patronales catholiques, 7-5-1949.
56. MM, 98 et 100.
57. P. Bigo explique : « Jean XXIII ne veut pas accréditer l’idée d’une sorte de grande administration professionnelle dotée d’un pouvoir réglementaire et résolvant tous les problèmes. L’organisation professionnelle ne peut résulter que d’une socialisation raisonnable et progressive, à partir d’expériences spontanées, et elle n’est que l’une des institutions qui permet de progresser dans la solution des problèmes de l’économie nationale » (op. cit., p. 462). L’auteur estime que les conventions collectives, les commissions paritaires qui existent dans divers pays, vont dans le sens souhaité. Mais , pour lui, le meilleur exemple d’organisation européenne a été fourni par la CECA (Communauté européenne Charbon-Acier).
58. MM 65.
59. Op. cit., p. 467.
60. GS 68, § 1 et 2.
61. JACCARD P., op. cit., p. 299.
62. Cf. CHAPELLE M.J., Le syndicalisme belge, Savoir et Agir, sd.
63. BIGO P., op. cit., p. 434.
64. C’est pourquoi, dira encore Jean-Paul II, sont souhaitables les actions syndicales en faveur de l’enseignement, de l’éducation et de la promotion de l’auto-éducation. Par ailleurs, le syndicat sert aussi au développement d’une authentique culture du travail et doit aider les travailleurs à participer d’une façon pleinement humaine à la vie de l’entreprise. Nous le verrons plus tard.
65. LE 20. La précision est récurrente : « les justes droits des travailleurs selon leurs diverses professions » ; le bien « qui correspond aux besoins et aux mérites des travailleurs associés selon leurs professions » ; « les droits des travailleurs unis dans la même profession » ; « la sauvegarde des justes droits des travailleurs selon leurs diverses professions » ; « il faut naturellement avoir toujours davantage devant les yeux ce dont dépend le caractère subjectif du travail dans chaque profession ».
66. Dans Centesimus annus, il ira plus loin et dénoncera la dérive marxiste du mouvement ouvrier. Si « ce mouvement déploya une vaste activité syndicale et réformiste, qui était loin des brumes de l’idéologie et plus proche des besoins quotidiens des travailleurs (…) par la suite, ce mouvement fut dans une certaine mesure dominé précisément par l’idéologie marxiste contra laquelle de dressait Rerum Novarum. » (CA 16).
67. CA 20.
68. Cf. de Jean-Paul II, entre autres, Discours au monde du travail en Espagne, 7-11-1982,in OR, 30-11-1982, pp. 9-10 ; Rencontre avec les représentants du monde économique à Milan, 22-5-1983, in OR, 31-5-1983, p. 14 ; Discours aux délégués de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 3-4-1987, in OR, 28-4-1987, p. 5 ; Discours aux entrepreneurs d’Argentine, 11-4-1987, in OR, 28-4-1987, p. 9 ; Rencontre avec le monde du travail en Allemagne, 2-5-1987, in OR, 26-5-1987, p. 4 ; Lettre au XVIIIe Congrès de l’UNIAPAC, 21-9-1989, in DC 1989, pp. 1004-1005 ; Discours aux ouvriers de l’usine Olivetti, 19-3-1990, in OR, 24-4-1990, pp. 9-10 ; Discours aux ouvriers et dirigeants de l’usine Lancia-Auto, id., pp. 10-11.
69. LE 14.
70. MM 54.
71. C’est l’opinion de J.-Y. Calvez, L’économie, l’homme, la société, op. cit., p. 452.
72. 1884-1973, le cardinal Liénart fut évêque de Lille et est connu pour son soutien au syndicalisme chrétien.
73. QA, 540 in Marmy. Pie XI précise : « Cette seconde méthode a prévalu là surtout où, soit la législation, soit certaines pratiques de la vie économique, soit la déplorable division des esprits et des cœurs, si profonde dans la société moderne, soit encore l’urgente nécessité d’opposer un front unique à la poussée des ennemis de l’ordre, empêchaient de fonder des syndicats nettement catholiques. Dans de telles conjonctures, les ouvriers catholiques se voient pratiquement contraints de donner leurs noms à des syndicats neutres, où cependant l’on respecte la justice et l’équité, et où pleine liberté est laissée aux fidèles d’obéir à leur conscience et à la voix de l’Église. Il appartient aux évêques, s’ils reconnaissent que ces associations sont imposées par les circonstances et ne présentent pas de danger pour la religion, d’approuver que les ouvriers catholiques y donnent leur adhésion, observant toutefois à cet égard les règles et les précautions recommandées par Notre Prédécesseur de saint mémoire Pie X. Entre ces précautions, la première et la plus importante est que, toujours, à côté de ces syndicats, existeront alors d’autres associations qui s’emploient à donner à leurs membres une sérieuse formation religieuse et morale, afin qu’à leur tour ils infusent aux organisations syndicales le bon esprit qui doit animer toute leur activité. Ainsi, il arrivera que ces groupements exerceront une influence qui dépasse même le cercle de leurs membres. » (Id., 541 in Marmy).
74. Discours du 29-6-1948.
75. MM 101-103.

⁢c. Le droit de grève

[1]

Parmi les moyens d’action du syndicat, c’est certainement la grève qui fait souvent problème à la conscience chrétienne dans la mesure où elle apparaît comme la manifestation d’une certaine violence.

La position de Léon XIII, sur ce sujet, semble, à première vue, très négative : « s’il arrive que des ouvriers, abandonnant le travail ou le suspendant par les grèves, menacent la tranquillité publique (…), il faut absolument appliquer, dans de certaines limites, la force et l’autorité des lois ».⁠[2] A relire cette phrase, on peut avoir finalement l’impression que la grève est un mal dans la mesure où elle menace la tranquillité publique. Il n’y a pas de condamnation formelle et préalable de ce type d’action qui est un signe de malaise mais qui peut avoir des conséquences très dommageable pour la société. C’est cette idée que l’on retrouve un peu plus loin : « Il n’est pas rare qu’un travail trop prolongé ou trop pénible, et un salaire jugé trop faible, donnent lieu à ces chômages, voulus et concertés qu’on appelle des grèves. A cette maladie si commune et en même temps si dangereuse, il appartient au pouvoir public de porter remède. Ces chômages, en effet, non seulement tournent au détriment des patrons et des ouvriers eux-mêmes, mais ils entravent le commerce et nuisent aux intérêts généraux de la société. Comme ils dégénèrent facilement en violences et en tumultes, la tranquillité publique s’en trouve gravement compromise.

Mais ici il est plus efficace et plus salutaire que l’autorité des lois prévienne le mal et l’empêche de se produire, en écartant avec sagesse les causes qui paraissent de nature à exciter des conflits entre ouvriers et patrons »[3].

Comme on le voit, pour Léon XIII, il s’agit prioritairement de supprimer les causes de conflit plutôt que d’interdire purement et simplement les grèves malgré ce qu’il en dit. C’est pourquoi il est si attaché à la concertation entre ouvriers et patrons.

Pie XI n’évoque la grève qu’au moment où il signale, sans porter de jugement, que le système fasciste qu’il n’apprécie pas, interdit « grève et lock-out »[4].

Le Concile Vatican II prend un position moins négative et déclare: « s’il faut toujours recourir d’abord au dialogue sincère entre les parties, la grève peut cependant, même dans les circonstances actuelles, demeurer un moyen nécessaire, bien qu’ultime, pour la défense des droits propres et la réalisation des justes aspirations des travailleurs. Que les voies de la négociation et du dialogue soient toutefois reprises, dès que possible, en vue d’un accord. »[5]

Dans le même sens, Jean-Paul II dira de la grève, non sans solennité, que « c’est un procédé que la doctrine sociale catholique reconnaît comme légitime sous certaines conditions et dans de justes limites. » C’est « une sorte d’ultimatum adressé aux organismes compétents et, avant tout, aux employeurs ». Il ajoutera que « les travailleurs devraient se voir assurer le droit de grève et ne pas subir de sanctions pénales personnelles pour leur participation à la grève ». Mais il précisera les « conditions » et les « limites ». C’est « un moyen extrême » : « on ne peut pas en abuser (…) spécialement pour faire le jeu de la politique ». Ensuite, « lorsqu’il s’agit de services essentiels à la vie de la société, ces derniers doivent être toujours assurés, y compris, si c’est nécessaire, par des mesures légales adéquates. L’abus de la grève peut conduire à la paralysie de toute la vie socio-économique. Or cela est contraire aux exigences du bien commun de la société qui correspond également à la nature bien comprise du travail lui-même. »[6]


1. La grève a existé aussi jadis. On disait parfois «  monopole «  ou « conspiration » ou « tric » ( du néerlandais trekken : émigrer, déménager, aller ailleurs). Les ouvriers réclament des salaires suffisants, plus de liberté dans l’horaire de travail (souvent pour travailler plus), protestent contre la multiplication des apprentis qui porte préjudice aux compagnons.
   Lors de la grève des imprimeurs à Lyon ,en juillet 1539, une sentence est édictée, où l’on peut lire : « Avons ordonné (…) et défendons aux dits compagnons et apprentis d’icelle imprimerie de ne faire aucun serment, ni monopole, ni eux assembler hors les maisons et poêles de leurs maîtres en plus grand nombre de cinq sans congé et autorité de justice, sur peine d’être emprisonnés, bannis, punis comme monopoleurs et autres amendes arbitraires. » Suit une série de mesures concrètes:
   « 1° Interdiction aux compagnons de quitter la tâche, individuellement ou collectivement, sous peine de payer au maître le montant de la forme qui se trouve perdue et la valeur des journées de travail.
   2° Obligation pour les maîtres, dès que la presse est commencée, de payer le salaire jusqu’à complet achèvement de la besogne.
   3° Interdiction au maître de renvoyer dans le même moment l’ouvrier qui fait correctement son travail.
   4° Droit pour le maître de remplacer à sa guise l’ouvrier qui tombe malade au cours de ce travail.
   5° En cas de travail pressé ou abondant, droit pour le maître de faire appel à des ouvriers supplémentaires.
   6° Interdiction pour les compagnons de travailler les jours de fête et de cesser le travail plus tôt qu’à l’ordinaire les veilles de jours de fête.
   7° Limitation du chômage - en dehors des jours de fête - au cas de deuil pour la mort du maître et de sa femme, et pour la mort d’un compagnon d’atelier. »(cf. LEFRANC, op. cit., pp. 199-200). Cette sentence fut confirmée, un mois plus tard, sur un plan général par l’ordonnance de Villers-Cotterets et vint affirmer surtout le droit du patron de faire travailler. Elle stipule : « Nous défendons à tous lesdits maîtres, ensemble aux compagnons et serviteurs de tous métiers, de ne faire aucunes congrégations ou assemblées grandes ou petites et pour quelque cause ou occasion que ce soit, ni faire aucuns monopoles, et n’avoir ou prendre aucune intelligence les uns avec les autres du fait de leur métier. » (Cf. LEFRANC, op. cit., p. 200).
   Il y eut ainsi et malgré tout, sous l’Ancien régime, des troubles, des soulèvements à cause de la fiscalité, de la dictature des corporations, etc. Les sanctions furent lourdes. Ainsi, à Lyon, en 1717, suite à une manifestation d’ouvriers de la soie réclamant une diminution du prix du pain, l’un fut condamné à cinq ans de galère et l’autre aux galères à perpétuité. Ils furent astreints « à faire amende honorable, nus en chemise, la corde au cou, tenant chacun en leur main une torche de cire du poids de deux livres, au-devant de la principale porte et entrée de l’hôtel commun de cette ville où ils seront menés et conduits par l’exécuteur de haute justice et là, nu tête et à genoux, dire et déclarer à haute et intelligible voix que méchamment et comme mal avisés, ils se sont tumultueusement assemblés, joints au nombre des séditieux et jeté des pierres, dont ils se repentent et demandent pardon à Dieu, au roi et à la justice. » (In LEFRANC, op. cit., p. 216)
2. RN, 470 in Marmy.
3. RN, 473 in Marmy.
4. QA, 580 in Marmy. Le « lock-out » est une « fermeture des ateliers par les patrons pour amener à composition leurs ouvriers ou employés qui menacent de faire grève ». (Larousse).
5. GS 68, § 3.
6. LE 20.