Si saint Thomas, métaphysicien et non économiste, « va à l’économie par
le chemin de l’éthique », il
montre qu’ »il n’y a économie véritable que là où il y a travail
humain ».
Voyons cela de plus près.
d’une part, comme l’Écriture le souligne, l’homme est sujet et fin du
monde, il est seigneur de cette nature créée pour lui et dont il use
selon la raison. En effet, « tout fut mis sous ses pieds » dit le
psaume. « Tout », le monde, est objet pour lui.
d’autre part, le sujet l’emportant sur l’objet, les valeurs humaines,
valeurs spirituelles surtout, l’emportent sur les valeurs matérielles et
doivent toujours l’emporter.
Il s’ensuit logiquement que l’économie, même la plus développée, est
bonne si elle respecte cette hiérarchie, si ses valeurs restent
subordonnées aux valeurs spirituelles, si les biens extérieurs sont
considérés comme des moyens en vue d’une fin qui les dépasse, s’ils sont
ordonnés à cette fin qu’est l’homme considéré dans l’intégralité de son
être et d’abord dans ce qui fait sa spécificité : être créé à l’image et
à la ressemblance de Dieu, appelé à faire croître en lui cette image et
cette ressemblance. « Partout où le bien consiste dans une mesure
déterminée, explique saint Thomas, l’excès ou le défaut constitue un
mal. De plus, dans tout ce qui est relatif à une fin, le bien consiste
dans une certaine mesure, déterminée par cette fin, comme, par exemple,
un remède par rapport à la guérison. Or, les biens extérieurs ont le
caractère de moyens relatifs à une fin. Leur usage sera donc bon, s’il
est proportionné, si l’homme recherche la richesse dans la mesure où
elle est nécessaire à sa vie et à sa condition. Dépasser cette mesure,
vouloir acquérir ou amasser plus que de raison, c’est
pécher ». Et l’auteur précise encore:
« L’homme désire naturellement les biens extérieurs comme des moyens
relatifs à une fin. Ce désir est bon pour autant qu’il respecte la
proportion entre les moyens et la fin ». Nous allons éclairer cette notion importante de « bien
relatif à une fin » mais il est important de faire remarquer que saint
Thomas envisage aussi le cas de ceux qui disposent de plus qu’il n’est
nécessaire à leur « vie » et à leur « condition » : « Comme le disent saint
Ambroise et saint Basile, Dieu donne à certains hommes une
surabondance de richesses « afin qu’ils aient le mérite de les dispenser
vertueusement ». A chacun il suffit de peu. L’homme libéral agit donc
bien en faisant la part plus large aux autres qu’à
lui-même ». Les biens
temporels sont donc, peut-on dire, des biens relatifs par rapport à
diverses fins, à d’autres biens : vivre selon sa condition ou aider les
autres. Mais ils sont relatifs aussi par rapport à un bien absolu, une
fin ultime. Ordonnés au bien absolu, ils acquièrent leur plus grande
perfection morale. A la question de savoir si les biens temporels
peuvent être mérités, Thomas répond : « L’objet du mérite consiste en
une récompense ou un salaire dont le caractère essentiel est d’être un
bien. Mais il y a deux sortes de biens pour l’homme : le bien absolu et
le bien relatif. Le bien absolu de l’homme c’est d’abord sa fin ultime,
selon la parole du Psaume : « Le bien pour moi, c’est d’être uni à
Dieu » ; c’est aussi tout ce qui est de nature à
conduire à cette fin. Tout cela est objet de mérite absolument. Le bien
relatif et non absolu de l’homme est ce qui est un bien pour le moment
ou sous un certain rapport. cette sorte de bien n’est pas objet de
mérite absolument mais relativement.
Ces précisions étant données, il faut dire que, si l’on considère les
biens temporels en tant qu’ils favorisent l’accomplissement des œuvres
des vertus qui nous mènent à la vie éternelle, alors ils deviennent
directement et absolument objet de mérite, au même titre que
l’accroissement de la grâce et tous les autres secours qui nous
permettent de parvenir à la béatitude, une fois la première grâce
reçue. (…) Si, par contre, on considère les biens temporels en
eux-mêmes, alors ils ne sont point absolument des biens pour l’homme,
mais seulement à certains égards ».
A propos du « magnanime », il dira qu’il « méprise les biens extérieurs, en ce sens
qu’il ne les regarde pas comme des biens tels qu’il faille jamais
s’abaisser pour eux ; mais il les estime comme d’utiles auxiliaires de la
vertu ». Certes, « la vertu
peut exister sans les biens de la fortune, mais ils facilitent son
action ».
Il résulte de tout ceci que l’acquisition des biens matériels comme leur
production ne peuvent être autonomes. Elles doivent rester soumises à
une régulation éthique pour que l’ordre des valeurs ne soit pas
bouleversé et n’entraîne la société dans une culture matérialiste. Ceci
dit, « L’étendue des biens désirés est de soi moralement
indifférente »
La production et l’acquisition des biens régulées selon les principes
éthiques rappelés, sont essentiellement le fruit du travail humain. Nous
verrons plus loin que saint Thomas a, comme Aristote, une position
réservée face au commerce et qu’il est, comme dans l’Ancien testament,
relativement sévère vis-à-vis du prêt à intérêt dans la mesure où
l’argent ne peut pas, au sens propre, « travailler ».
On peut résumer ainsi la position de saint Thomas face au travail : tous
les hommes sont tenus de travailler, comme il est dit dans le livre de
la Genèse. C’est d’ailleurs une donnée qui découle de la nature même
de l’homme. Le travail est un acte nécessaire à la vie et
donc moralement bon : si, explique saint Thomas, « l’objet d’un acte
humain est constitué par quelque chose qui correspond à l’ordre
rationnel, il sera bon selon son espèce (…) ».
De plus, l’homme au travail est particulièrement image de Dieu puisqu’il
est cause relative à l’image de la Cause absolue. A l’image d’un Dieu
créateur, il insère aussi dans le monde quelque chose de la bonté et de
la beauté de Dieu.
Alors que la cause de l’activité chez l’animal est l’instinct, elle est
toujours chez l’homme l’œuvre de la raison, l’œuvre de la personne,
l’œuvre de l’esprit humain: « les actions (…) émanent de la personne
et du tout, et non pas de la partie ou de la forme ou de la puissance.
On ne dit pas, à proprement parler, que la main frappe, mais que l’homme
frappe avec la main (…) ».
Tout travail a donc une valeur humaine, morale, sociale et même religieuse:
en effet, comme déjà suggéré, « quel que soit le bien qu’il recherche,
un être s’approche par là de la divine ressemblance puisque tout être
créé est une participation à la bonté divine. Du fait qu’ils sont causes
des autres, les êtres tendent donc à ressembler à
Dieu ». « Quel que soit le
bien qu’il recherche… » ! d’aucuns objecteront immédiatement le
caractère spirituel de la nature humaine et sa vocation suprasensible et
s’indigneront que l’on puisse découvrir une valeur religieuse, quelque
chose de la vie et de la bonté de Dieu dans la recherche d’un bien
matériel, par exemple, dans la « sollicitude pour la nourriture ».
Thomas répond : « Tout acte (…) requiert de l’attention. Si donc
l’homme ne doit appliquer son attention à rien de ce qui est temporel,
il doit rester inactif dans cet ordre, ce qui est impossible et
déraisonnable. Dieu a réglé l’activité de tout être selon le propre de
sa nature. Or l’homme est formé de chair et d’esprit. En conséquence,
selon le plan divin, il doit déployer ses activités corporelles en même
temps qu’il s’applique aux choses spirituelles ; et plus il est parfait,
plus il s’adonne à celles-ci. Néanmoins cette perfection humaine
n’exclut pas toute activité corporelle. Ce genre d’activité est ordonné
à la conservation de la vie ; le négliger serait négliger sa vie ; or
chacun est tenu de l’assurer. Ne pas agir et attendre de Dieu quelque
secours, alors que l’on peut s’aider par ses propres moyens, c’est être
insensé et tenter Dieu. N’appartient-il pas à la divine Bonté d’exercer
sa providence, non en produisant tous les effets immédiats, mais en
promouvant les êtres à leurs activités propres (…). On ne doit donc
pas attendre de secours de dieu sans apporter sa propre collaboration:
ceci répugne au plan de Dieu et à sa bonté. »
Même si Thomas estime que le travail intellectuel est supérieur au
travail manuel,
tout travail, dans la mesure où il parfait l’homme et contribue
au bien commun, est honorable, respectable et au service de
Dieu.
Ainsi, à la question de savoir si les religieux sont obligés de
travailler de leurs mains, saint Thomas répond que : « le travail manuel
a un quadruple but. Le premier et principal, c’est d’assurer la
subsistance. d’où cette parole adressée au premier homme : « Tu mangeras
ton pain à la sueur de ton front. » Et cette autre d’un Psaume (127, 2):
« Alors tu te nourris du travail de tes mains. » Le second, c’est de
supprimer l’oisiveté, mère d’un grand nombre de maux. C’est pourquoi il
est écrit : « Envoie ton serviteur travailler pour qu’il ne reste pas
oisif : l’oisiveté est une grande maîtresse de malice. »(Si 33, 28-29) Le
troisième, c’est de refréner les mauvais désirs en macérant le corps.
Aussi est-il écrit : « Dans les travaux, les jeûnes, les veilles, la
chasteté. »(2 Co 6, 5-6) Le quatrième, c’est de faire l’aumône. Témoin
cette parole : « Celui qui volait, qu’il ne vole plus. qu’il travaille
plutôt, qu’il mette les mains à quelque ouvrage honnête pour avoir de
quoi donner à l’indigent. »(Ep 4, 28) ».
De ces quatre buts, seuls le premier est obligatoire, les autres peuvent
être atteints par d’autres voies.
Le travail est nécessaire à la subsistance. Il peut nous détourner de
l’oisiveté et de la convoitise et nous permettre éventuellement de faire
l’aumône. Il est indispensable à la vie matérielle et a de bons effets donc
sur la vie morale et sociale. Plus exactement encore, le travail nous
évite surtout des maux : misère, dépendance, péchés. Son seul aspect
vraiment positif est de nous permettre de soulager la misère d’autrui.
Saint Thomas ne va pas au delà et ne s’interroge pas sur la valeur
intrinsèque du travail, sur sa capacité plus profonde de collaborer à la
formation de la personne, d’être un lien social, un facteur de progrès
non seulement matériel mais aussi spirituel.
Notons encore que saint Thomas considère comme travail manuel, le
travail qui met en œuvre « les mains, les pieds ou la langue ». Le
travail manuel est, pour lui, le travail par excellence, comme chez la
plupart des théologiens qui l’ont précédé et suivi. Ce qui explique que
les « œuvres serviles » ont été principalement interdites lors du repos
dominical. Pour J. Leclercq, une des explications
de cette prédilection des auteurs chrétiens « se trouve sans doute
(…), et sans même qu’ils s’en rendent compte, dans leur amour des
humbles et leur souci de réagir contre le mépris aristocratique du
travail manuel. » Il nous montre aussi que, d’une certaine manière,
le travail intellectuel n’est pas considéré comme un vrai travail dans
la mesure où il ne produit pas de »choses », de valeurs économiques mais
se présente plutôt comme un service qui ne se paie pas : ce sont,
d’ailleurs, les « choses », les marchandises que l’on paie et non le
travail.
A la suite de saint Paul, saint Thomas va tout de même corriger un peu
cette conception. Toujours à propos des religieux, à la question de
savoir s’ils peuvent vivre d’aumônes, saint Thomas fait remarquer que
« celui-là ne vit pas oisif qui, sous une forme quelconque, sert à
quelque chose ». Ailleurs et
plus précisément à propos des avocats, se demandant s’ils peuvent
recevoir des honoraires, il écrira que « lorsqu’on n’est pas obligé de
rendre un service à quelqu’un, on peut, en toute justice, exiger une
rétribution après l’avoir rendu. Or il est clair qu’un avocat n’est pas
toujours obligé d’accorder son assistance et ses conseils aux
justiciables. Aussi bien ne commet-il pas d’injustice s’il fait payer
son assistance ou ses conseils. Le même principe vaut pour le médecin
qui se dévoue au chevet d’un malade et pour tous ceux qui remplissent
des emplois analogues, à condition toutefois que leurs honoraires soient
raisonnables et tiennent compte de la situation sociale de leurs
clients, de la nature des services rendus, du labeur fourni et des
coutumes du pays. » Il est toutefois symptomatique que saint
Thomas, dans son argumentation, souligne le fait que le travail de
l’avocat est, in fine, une sorte de travail manuel : « Si la possession
de la science juridique est un bien spirituel, son usage exige un
travail matériel, pour la rétribution duquel on peut recevoir de
l’argent ; sinon aucun artisan ne pourrait vivre de son
art. »
Ailleurs encore, condamnant la simonie, saint Thomas notera qu’ »à celui qui possède la science et n’a
point cependant un office qui l’oblige à la communiquer aux autres, il
lui est permis de recevoir le prix de son enseignement ou de son
conseil. Non point qu’il vende la vérité ou la science : il loue son
travail. »
Même si, pour saint Thomas et combien d’autres théologiens à travers
l’histoire, le travail manuel est le travail par excellence, on voit que
le Docteur angélique reconnaît, ne fût-ce qu’indirectement, la dignité
du travail intellectuel et son droit à la rémunération.
Thomas va également poser le problème de la mesure du travail, de la
quantité de travail à laquelle on est tenu. Y a-t-il un minimum
exigible, y a-t-il un maximum à ne pas dépasser ?
Le travail minimum exigible est le travail nécessaire à la vie d’une
personne, c’est-à-dire à sa subsistance physique, certes, mais aussi, en
fonction même de ce qu’est une personne, être spirituel et être en
relation : ce qui est nécessaire à la formation, aux bonnes mœurs, à la
condition sociale, à l’entretien d’une famille, etc. : « c’est là le
premier devoir : procurer à soi-même et aux siens ce qu’on dit être
nécessaire à la personne, ce mot désignant aussi bien la condition et le
rang ». « Chacun dans la
vie a des convenances à garder ».
Il va sans dire que ce minimum variera selon les conditions et les
époques. La question du maximum est importante car elle est liée à
l’accumulation des richesses. Thomas sait que la cupidité « n’a pas de
bornes et tend à acquérir sans fin ».
Or, Il nous a bien dit que « les biens extérieurs ont le caractère de
moyens relatifs à une fin. Leur usage sera donc bon, s’il est
proportionné, si l’homme recherche la richesse dans la mesure où elle
est nécessaire à sa vie et à sa condition.« Il en conclut que
« dépasser cette mesure, vouloir acquérir ou amasser plus que de raison,
c’est pécher ». On a, dès lors,
l’impression que le maximum permis se confond avec le minimum exigible
ou, en tout cas, n’en est guère éloigné.
Max Weber dont nous allons bientôt parler prétendra que le dynamisme de
l’économie moderne est le fruit de la Réforme. Les catholiques, à la
suite de saint Thomas étant restés attachés à une vision très statique
de l’économie, vision liée à une conception sociale fixe empêchant tout
progrès.
Saint Thomas est-il vraiment l’ennemi du progrès économique et doit-il
dans la réflexion contemporaine être, d’office, banni ?
Certes, saint Thomas est tributaire du système économique de son temps,
mais, une fois encore, il est dangereux de ne tenir compte que de tel ou
tel passage de son œuvre. Il faut tenir compte de tous les éléments
épars dans son œuvre qui tourne autour de la question économique. Or,
que constate-t-on ?
Au delà ce qui est nécessaire à la subsistance et à la condition, Thomas
va-t-il limiter la recherche du superflu s’il sert au soulagement des
pauvres ? Il ne faut pas oublier que les biens extérieurs sont des moyens
au service d’une fin qui en mesure la qualité morale relative.
Thomas précise que l’avarice, « amour
immodéré de posséder » et donc péché, introduit un désordre social et un
désordre intérieur.
Un désordre social car l’avare en acquérant et en détenant plus qu’il ne
convient « pèche directement contre son prochain : les mêmes richesses ne
pouvant être possédées à la fois par plusieurs, la surabondance chez les
uns entraîne nécessairement la pénurie chez les autres. » Mais s’il ne
s’agit pas de posséder, au plein sens du terme, mais de rechercher la
« surabondance » pour la faire servir au bien commun ou parce qu’elle est
indispensable à l’exercice d’une fonction sociale, peut-on encore parler
d’avarice, de péché ?
L’avarice est aussi le signe d’un désordre intérieur, un « dérèglement
du cœur » par « l’attachement aux richesses, que l’on peut désirer ou
aimer, ou dans lesquelles on peut se complaire, avec excès ». Ce
dérèglement devient « un péché contre Dieu, comme l’est tout péché
mortel, pour autant que les biens temporels font mépriser les biens
éternels ». Mais y a-t-il dérèglement, y a-t-il péché si le souci du
temporel ne l’emporte pas sur le spirituel ?
Si la justice sociale est respectée, le désir et l’acquisition des
richesses peuvent-elles être considérées comme avarice ?
Bien sûr, à lire saint Thomas, on constate que l’accent est nettement
mis sur le juste nécessaire mais cette insistance qu’on peut relier à la
vie socio-économique du temps n’est-elle pas justement contingente
puisque liée au style d’une époque déterminée ?
Reste intacte l’idée essentielle de la primauté de la fin sur les
moyens, des biens moraux et spirituels sur les moyens matériels. A
propos du commerce dont Thomas, à la suite d’Aristote, se méfie, le
théologien note que « si le gain, qui est la fin du commerce, n’implique
de soi aucun élément honnête ou nécessaire, il n’implique pas non plus
quelque chose de mauvais ou de contraire à la vertu. Rien n’empêche donc
de l’ordonner à une fin nécessaire, ou même honnête ». Mais il ajoutera immédiatement qu’il s’agira de
toute façon d’un « gain modéré ».
La notion de progrès n’est pas étrangère à saint Thomas. Parlant des
rôles du roi, il lui donne comme mission « d’abord d’instituer une vie
bonne dans la multitude qui lui est soumise ; deuxièmement, l’ayant
établie, la conserver ; troisièmement, l’ayant conservée, la faire
progresser ». Ce souci du progrès, précise Thomas, doit s’appliquer
« sur tous les points » et donc aussi à la recherche d’ »une quantité
suffisante de choses nécessaires au bien-vivre ».
On peut déduire de tout ce qui précède, que les richesses sont bonnes si
elles servent au bien personnel et bien social.
Johannes Haessle résume ainsi la position thomiste : « Le monde est un
ordre, ordre stable et invariable, car les lois qui lient toutes ses
parties entre elles culminent dans la « lex divina ». Le travail de
l’homme dans le monde a une fin qui n’est pas dans le monde, fin pour
laquelle l’homme et le monde ont été créés, à laquelle les choses sont
nécessairement ordonnées et à laquelle l’homme doit se soumettre
librement. Toute vie, vie économique comprise, n’a de sens qu’en
réalisant la loi fondamentale : à nécessité naturelle, obligation
morale. L’économie, comme tout travail appartiennent à l’ordre de la
civilisation doit être un moyen de libération spirituelle, et seule la
vertu libère l’esprit. La vertu, de son côté, n’est qu’un moyen de
posséder le Souverain Bien, qui est la vision de Dieu. (…) Mettre
au contraire le désir au-dessus de la possession, préférer l’exaltation
de la recherche à la paix de la béatitude, comme le Faust de Goethe
(…), c’est ôter tout sens à l’infini de l’inquiétude et du désir.
Car tout mouvement vit du pressentiment d’un repos. Le mouvement de la
vie économique ne peut donc se suffire à lui-même ; relatifs, les biens
économiques ne peuvent être désirés que relativement, car le désir,
l’action, l’effort, si infatigables soient-ils, n’ont jamais, par
eux-mêmes, de valeur absolue : ils valent ce que vaut leur fin. La
rationalisation capitaliste est purement technique, la « rationalisation
du thomisme est morale et vise à la perfection de
l’âme ». »