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b. Le temps de la justice sociale

A partir de Léon XIII, l’Église se rend compte, vu l’ampleur et la gravité des problèmes sociaux qui sont le signe d’un désordre profond, politique, économique, moral, religieux, qu’il faut plus que la bienveillance individuelle, plus que le bon vouloir des riches. d’autre part, depuis le XVIIe siècle et surtout le XVIIIe siècle, en Angleterre d’abord, les pouvoirs publics commencent à se pencher sur le problème de la pauvreté. Enfin, il faut bien reconnaître que la pensée marxiste⁠[1] et les divers mouvements socialistes ont été des incitants importants et parfois déterminants.

Léon XIII tient un langage nouveau dans la mesure où il dépasse le discours habituel sur l’aumône comme remède à la misère matérielle mais il reste néanmoins très tributaire - mais pouvait-il en être autrement ? - de l’enseignement traditionnel. Cet extrait de Rerum novarum, nourri de la pensée de saint Thomas, est éclairant à cet égard : « La juste possession des biens se distingue de leur juste usage. La propriété privée (…) est pour l’homme de droit naturel, et faire usage de ce droit, en particulier dans la vie sociale, est non seulement chose permise, mais véritablement nécessaire.

Mais si on demande quel doit être l’usage des biens, l’Église répond sans aucune hésitation : « Sous ce rapport l’homme ne doit pas posséder ces biens comme s’ils lui étaient propres, mais comme étant à tous, en ce sens qu’il doit les partager volontiers avec les nécessiteux. Ainsi Paul écrit-il : « Recommande aux riches de ce monde…​ de donner de bon cœur et de savoir partager » (1 Tm 6, 17 s). Certes il n’est demandé à personne d’aider autrui avec ce qui lui est nécessaire )à lui et aux siens, ni même de donner à autrui ce dont il a besoin pour le maintien de ce qui convient à la personne et de ce qui est bienséant. …​Mais dès que l’on a satisfait à ce qui est nécessaire et à ce qui convient, c’est un devoir de donner de ce qui reste à ceux qui sont dans le besoin. « Ce qui reste, donnez-le en aumône » (Lc 11, 41). C’est là un devoir non de justice, sauf situation extrême, mais de charité chrétienne dont on ne peut urger l’accomplissement par voie de justice. Mais au-dessus des lois et des tribunaux des hommes, il y a la loi et le tribunal du Christ, de Dieu, qui de multiples manières appelle à la largesse…​ et qui jugera ce qui aura été accordé ou refusé » (Mt 25, 34 s). »[2]

On est frappé par le souci du Souverain Pontife de présenter le devoir de partager le superflu comme un devoir de charité et non de justice, par peur du socialisme sans doute et avec une prudence qui aurait paru bien frileuse à certains Pères de l’Église. Il est clair aussi que le don demandé est un don pris sur les « biens » qui excèdent le nécessaire et le « convenable ».

Toutefois, Léon XIII introduit un principe très important qui va progressivement être développé par le Magistère, s’imposer et changer le regard porté sur la pauvreté. C’est le principe de solidarité : « il a été énoncé à plusieurs reprises, explique Jean-Paul II, par Léon XIII sous le nom d’ »amitié » que nous trouvons déjà dans la philosophie grecque. Pie XI le désigna par le terme non moins significatif de « charité sociale », tandis que Paul VI, élargissant le concept en fonction des multiples dimensions modernes de la question sociale, parlait de « civilisation de l’amour ». »[3]

Or , la solidarité n’est pas « un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous. » Il s’agit désormais « de se dépenser pour le bien du prochain en étant prêt, au sens évangélique du terme, à « se perdre » pour l’autre au lieu de l’exploiter, et à « le servir » au lieu de l’opprimer à son propre profit. »[4]

C’est dans cet esprit que Léon XIII prêchera pour l’union des classes, la protection, par l’État, des droits des citoyens et surtout des plus faibles, le respect du travailleur, le juste salaire, le droit à l’association professionnelle, etc.. Le souci d’une vraie justice sociale et de ses conditions, est en train de prendre le pas sur le remède traditionnel et désormais radicalement insuffisant, de l’aumône.

Pie XI rappellera, bien sûr, le « très grave précepte de pratiquer l’aumône, la bienfaisance et la magnificence » mais il parlera aussi du don du travail : « Consacrer des revenus qui sont plus larges à ce qu’il y ait des possibilités plus grandes de travail rémunérateur , dès lors que ce travail est employé à produire des biens réellement utiles, doit être considéré comme un exercice de la vertu de magnificence particulièrement remarquable et approprié aux besoins de notre temps, ainsi qu’on peut le déduire des principes du Docteur angélique. »[5] Ce don est le fruit d’une vertu : la force.

Par ailleurs, de la manière la plus nette qui soit, Pie XI, nous l’avons vu, donnera la justice et la charité sociales comme couronnement et mesure à toute l’organisation politique sociale et économique parce que la liberté du marché et de la concurrence ne permet pas l’avènement d’un régime économique bien ordonné. « Il est donc absolument nécessaire de replacer la vie économique sous la loi d’un principe directeur juste et efficace. (…) C’est donc à des principes supérieurs et plus nobles qu’il faut demander de gouverner avec une sévère intégrité ces puissances économiques, c’est-à-dire à la justice et à la charité sociales. Cette justice doit pénétrer complètement les institutions mêmes et la vie tout entière des peuples ; son efficacité vraiment opérante doit surtout se manifester par la création d’un ordre juridique et social qui informe en quelque sorte toute la vie économique. Quant à la charité sociale, elle doit être l’âme de cet ordre que les pouvoirs publics doivent s’employer à protéger et à défendre efficacement (…). »⁠[6]

Pie XII affirmera clairement, non plus comme Léon XIII, les droits qui résultent du travail - un « salaire suffisant » et l’acquisition « d’un modeste patrimoine » - mais le droit au travail. Nous sommes désormais, de plein pied, sur le terrain de la justice : « Au devoir personnel du travail imposé par la nature correspond et s’ensuit le droit naturel de chaque individu à faire du travail le moyen de pourvoir à sa vie propre et à celle de ses fils (…) ».⁠[7] Le Concile de Trente demandait que l’on travaille éventuellement pour les pauvres mais non de travailler à ce que les pauvres puissent travailler et acquérir leur indépendance comme le souhaitera le concile Vatican II.

Avec un certain retard, le concept de justice sociale s’est imposé au cœur d’une véritable doctrine sociale. La justice sociale, rappelons-le, est bien « celle que tend à réaliser une société dont les membres œuvrent à un projet commun. Cette fin vers laquelle tend tout le corps social requiert d’une part le respect des personnes entre elles ; d’autre part l’acceptation, par les personnes, de devoirs envers la société, et, par les institutions dont se dote le corps social, des devoirs de cette société vis-à-vis des personnes. Procédant d’un approfondissement des exigences de la justice distributive, la justice sociale donne sa forme concrète à la justice générale et dès lors un contenu concret aux exigences du bien commun. La justice sociale est donc celle qu’une société tend à instaurer par des institutions publiques et privées en vue de promouvoir la dignité des personnes et le respect des communautés humaines. »[8]

« Charité » ou justice sociale ?

La charité plutôt que la justice ?

L’encyclique Rerum Novarum, nous l’avons déjà évoqué, va diviser les chrétiens. Certains n’accepteront pas cet enseignement, d’autres vont l’interpréter en sens divers.

En 1886, Paul-Gabriel comte d’Haussonville⁠[9], écrivait : « A quelque point de vue qu’on se place, il est impossible de ne pas arriver à une même conclusion, c’est-à-dire à reconnaître la permanence et l’indestructibilité des causes qui engendrent la misère. Tout ce qu’on peut espérer c’est de trouver des palliatifs qui l’adoucissent. Il en est un, le plus efficace de tous, auquel il faudra toujours revenir : ce palliatif, j’oserai presque dire ce remède, c’est la charité »[10].

Après la publication de Rerum Novarum, il réaffirmera, en réponse au chrétien social à Albert de Mun⁠[11], la nécessité de la charité plutôt que de la justice. A. de Mun accusait la Révolution, insurrection de l’homme contre Dieu, d’être responsable du triste état social de la France. Plus précisément, pout lui, c’est la suppression irrémédiable des corporations au nom de la liberté qui avait engendré la misère et « substitué une inégalité à une autre, un esclavage d’un nouveau genre à celui des temps passés ». A partir de ce moment, « l’ardeur de la spéculation envahit tout ; la lutte sans merci a pris la place de l’émulation féconde, la petite industrie est écrasée ; le travail personnel tombe en désuétude ; les salaires s’avilissent ; le paupérisme s’étend comme une lèpre hideuse ; l’ouvrier exploité sent germer dans son cœur le ferment d’une haine implacable. Il n’a d’asile que dans la résistance et de recours que dans la guerre ». Pour A. de Mun, un remède majeur serait l’établissement d’une législation sociale : « que la loi intervienne au nom de la justice ».⁠[12] Haussonville considère que la nostalgie du passé et les difficultés présentes ont poussé A. de Mun à idéaliser quelque peu la situation du travailleur sous l’ancien régime et se demande « si beaucoup de souffrances que nous croyons nouvelles ne demeuraient pas autrefois tout simplement ignorées, et si la grande différence du passé au présent n’est pas surtout celle du silence à la plainte ». Il concède toutefois à son interlocuteur que même si la cordialité entre patrons et ouvriers règne dans un grand nombre d’entreprises, il est regrettable que la Révolution, après avoir proclamé, à juste titre, la liberté du travail, ait « interdit aux travailleurs de se concerter et de s’associer pour la défense de leurs intérêts communs ». Haussonville réclame donc, comme A. de Mun, « le vote d’une loi intelligente, qui accorderait à tous les citoyens, quelque opinion qu’ils professent, quelque habit qu’ils portent, la liberté d’association ». Mais en ce qui concerne l’établissement d’une législation sociale, il ne peut suivre son interlocuteur. Il ne croit pas que la loi pourrait « guérir ces trois plaies (…), l’insuffisance du salaire, la fréquence du chômage et la concurrence de la machine ». Arguant qu’en Angleterre, l’interdiction du travail de nuit a « fait quelque peu baisser le salaire moyen déjà très faible », Haussonville conclut que « les mesures législatives par lesquelles on prétend régler les conditions de travail exercent souvent ainsi des répercussions dont (les économistes) (…) sont moins surpris que les législateurs ». Le remède alors que préconise l’orateur, c’est « l’influence sociale de l’Église ». Mais, qu’entend-il par là ? Simplement : la charité qui peut, comme elle l’a fait pendant dix-huit siècles, « d’une façon beaucoup plus efficace que la législation, tempérer par son action incessante la dureté des lois économiques, et empêcher (…) que l’humanité ne soit sacrifiée à la liberté. Aux conséquences brutales de l’offre et de la demande, elle oppose en effet l’obligation morale⁠[13] du juste salaire qui n’abuse point de la détresse de l’ouvrier, et tient compte de ses besoins légitimes. Elle proclame hautement que, si le travail est une marchandise, il n’en est pas de même du travailleur, et que celui qui paye équitablement le prix de la marchandise n’en est pas quitte pour cela avec ce créancier d’un nouveau genre vis-à-vis duquel lui reste encore des devoirs à remplir. Elle rappelle à ceux qui détiennent les biens de ce monde qu’ils sont comptables de leur emploi aux yeux du Maître qui les leur a dispensés, et qu’ils doivent en prélever la dîme au profit de ceux qui en sont dépourvus. Elle adoucit l’âpreté des luttes inévitables ; elle panse les plaies des vaincus, et impose mansuétude aux vainqueurs. Elle est enfin la meilleure garantie de la vraie liberté, car elle parle au nom de Celui, comme une femme l’a dit dans un vers admirable : Dont les deux bras cloués ont brisé tant de fers ».

Sept ans après Rerum Novarum, Haussonville⁠[14] ne craint pas de souligner que le rôle essentiel des ministres de l’Église est de « prêcher » et « pratiquer la charité », de « sagement (…) continuer à en rappeler les préceptes et à en donner l’incessant exemple, plutôt que de s’appliquer avec trop d’ardeur à la discussion de problèmes économiques dont la solution est souvent incertaine, et où la moindre erreur compromettrait en apparence l’autorité de l’Église elle-même ». Sans prendre parti d’avance, que les prêtres s’interposent entre patrons et ouvriers, « en s‘adressant à la conscience des uns, à la sagesse des autres, mais en rappelant avec force à ceux qui l’emportent par la richesse et les lumières que leur responsabilité morale est en proportion directe de leurs lumières et de leur richesse ».

Une solution : le patronage ?

En 1810, Henri De Gorge⁠[15] développe le site industriel du Grand-Hornu, près de Mons, et crée, pour la première fois en Europe, à côté du complexe industriel une cité de 425 maisons confortables dotées chacune d’un jardin. Dans cette cité, furent construits une école, une bibliothèque, un établissement de bains, une salle de danse et un hôpital.

En 1859 par J.-B. Godin⁠[16], ancien ouvrier devenu patron d’une poêlerie, fonde le Familistère de Guise. Le bâtiment abritait 1200 personnes avec des magasins, une « nourricerie » (de 0 à 2 ans), un « pouponnat » (de 2 à 4 ans), une école (laïque, gratuite, obligatoire jusqu’à 14 ans, mixte), une bibliothèque, un théâtre, une société de musique, une coopérative d’achats, un lavoir obligatoire, une piscine, et un jardin. Sont organisés des services sanitaires, un enseignement professionnel pour les adultes et des caisses de retraite. Le patron a un très grand souci de l’hygiène et de la moralité mais il n’a pas prévu d’église car il est anticlérical.⁠[17] Le Familistère est réservé aux travailleurs les plus talentueux. Ils peuvent devenir  »membres associés » et jouir d’un système d’actionnariat complexe de participation aux bénéfices en plus d’un meilleur salaire⁠[18]. Les autres travailleurs habitant Guise ou les alentours sont « membres sociétaires » ou « membres participants ».

A partir de 1887, William Hesketh Lever se met à construire à côté de son usine de Port Sunlight, des logements et des infrastructures pour ses ouvriers, « il avait en effet réalisé que plus ses ouvriers étaient heureux, plus ils étaient productifs »[19]. Il construit ainsi une galerie d’art, une église et un presbytère, une école, un théâtre, un réfectoire réservé aux femmes.

Outre ces réalisations spectaculaires, il ne manque pas de patrons qui mettent sur pied des œuvres d’éducation, des économats ou qui construisent des maisons pour leurs ouvriers.

Cette pratique fut dénoncée comme paternaliste et les différentes mesures généreuses furent reconnues comme inefficaces et humiliantes. Ainsi, lors de l’exposition de Paris en 1867, les délégués des travailleurs invités par Frédéric Le Play⁠[20], purent communiquer leurs remarques. Ils réclamèrent notamment des salaires équivalents pour les femmes qui accomplissent le même travail que les homme, la fixation d’un salaire minimum, la liberté de s’associer en syndicats, la suppression du livret ouvrier, le développement de sociétés coopératives, etc..⁠[21]. Et sur le sujet qui nous occupe, ils s’exprimèrent aussi en ces termes : « ce que nous n’admettrons jamais, c’est cette existence en dehors du droit commun, ce casernement dans un quartier spécial, qui ferait de nous une classe à part dans la société ; nous sommes dans un pays où l’égalité est trop enracinée dans les mœurs, pour jamais consentir à accepter même un don dans ces conditions »[22]

C’est dans cet esprit que le Congrès ouvrier de 1876 rejeta ces initiatives de « bourgeois bien intentionnés ».

En général, il est reproché à l’employeur de chercher son intérêt plutôt que celui des ouvriers, de les détacher du syndicat, de paralyser les revendications, et d’accroître la production. Par ailleurs, les coopératives et entreprises participatives sont vulnérables en cas de crise, de chômage et d’inflation. Enfin, comment calculer et réaliser la répartition des bénéfice lorsqu’elle est prévue ? En un mot, l’employé soumis au bon vouloir de l’employeur.⁠[23]

L’erreur serait de compter sur le dévouement de la classe dirigeante comme si rien n’était à changer dans les structures. La faute est aussi de considérer la charité comme un pouvoir.

La justice sociale plutôt que la charité ?

La réorientation du discours de l’Église rejoint donc les désirs des travailleurs. Et il est clair qu’il ne peut y avoir de conflit entre la charité et la justice. Si le Concile Vatican II dit bien qu’ »il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice de peur que l’on n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice », et il est entendu que « la charité représente le plus grand commandement social. Elle respecte autrui et ses droits. Elle exige la pratique de la justice et seule nous en rend capables. »[24]

En quelques mots clairs, est défini l’essentiel d’un vrai programme social. L’amour est premier, comme moteur, comme motivation, mais il doit entraîner d’abord la justice avant le « don de la charité ».

Or souvent l’amour manque. Dans ces conditions est-il encore possible de parler de justice ? En février 2004, le rapport annuel sur la pauvreté fut présenté au parlement de la Région bruxelloise devant un hémicycle presque vide…​⁠[25]. Et est-il possible de délimiter les objectifs entre charité et justice ? Gaudium et Spes parle bien de « la règle de justice, inséparable de la charité »[26]. « Les actions propres à la justice, ajoutent des commentateurs, ne sont ni oubliées ni annulées par cette intervention de la charité, mais c’est elle qui les provoque et les commande. Quand l’Église vise à donner à chacun son dû, œuvre relevant éminemment de la justice, elle ne se satisfait pas d’avoir mesuré ce dû, mais se préoccupe bien davantage de toute la personne du « chacun ». L’Église ne pose jamais sur ses yeux le bandeau de la justice ; nourrissant une estime de fond pour tout l’homme, elle n’est pas tentée pour autant d’avantager l’un au détriment de l’autre. Cette motivation de charité décante les interventions de l’Église dans l’intérêt de la promotion intégrale, et leur confère leur qualité propre comme elle détermine son objet premier ».⁠[27]

Il était important de rappeler que l’Église tout en s’attachant à ce que « justice soit faite », va au delà par souci constant et constitutif du développement de tout l’homme dans tout homme⁠[28].

C’est pourquoi, contrairement à ce que pensait Léon XIII qui présentait l’aumône comme œuvre de charité plutôt que de justice, le Catéchisme de l’Église catholique ne craint pas d’encadrer la fameuse citation d’Apostolicam Actuositatem, d’une part de cette autre citation très représentative de saint Jean Chrysostome : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs »[29] ; et, d’autre part, de ce passage éclairant de saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n’accomplissons un acte de charité ».⁠[30] Les textes sont juxtaposés sans commentaire mais on peut tout d’abord affirmer que l’enseignement de Vatican II est bien conforme à celui des Pères ; ensuite, que l’insistance des Pères sur l’acte de justice aurait dû ou pu susciter plus tôt une réflexion sur une obligation légale comme conséquence partielle de l’obligation morale d’agir en faveur des pauvres, à l’instar de ce que l’Ancien Testament nous révèle. En effet, « Dès l’Ancien Testament, toutes sortes de mesures juridiques (année de rémission, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d’un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à l’exhortation du Deutéronome : « Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi Je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays » (Dt 15, 11). Jésus fait sienne cette parole : « Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous : mais Moi, vous ne M’aurez pas toujours » (Jn 12, 8). Par là il ne rend pas caduque la véhémence des oracles anciens : « parce qu’ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales…​ » (Am 8, 6), mais il nous invite _ reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères (…) ».⁠[31]

L’aumône est-elle, pour autant, désormais obsolète ?

Certes non. Nous l’avons vu et nous le reverrons, bien des misères échappent à l’application de la justice et réclament l’investissement désintéressé, généreux des personnes, des associations voire des États.

A l’endroit même où le concile Vatican II proclame qu’ »il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice de peur que n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice », il rappelle aussi que les  »œuvres de charité et de secours mutuel » sont « aujourd’hui (…) beaucoup plus pressantes et doivent davantage prendre les dimensions de l’univers car (…) les habitants du monde entier deviennent comme les membres d’une même famille. L’action de la charité peut et doit atteindre aujourd’hui tous les hommes et toutes les détresses. (…) Cette obligation s’impose en tout premier lieu aux hommes et aux peuples qui sont les mieux pourvus. »[32]

Evidemment, on ne parlera plus d’aumône car le mot évoque, de nos jours, « une pratique condescendante et par trop individualiste »[33], on emploiera plutôt, avec bonheur, les mots de partage et de solidarité. Et Jean-Paul II n’hésitera pas, alors que Léon XIII invitait à partager le superflu, à solliciter le partage du nécessaire devant des situations dramatiques: famines, catastrophes, dettes exorbitantes, etc..

Aujourd’hui, certains chrétiens veulent remettre la dîme à l’honneur. Ils se demandent s’il ne serait « pas profondément évangélique de considérer que la somme des multiples collectes puisse atteindre le niveau de la dîme dont il est question dans la Bible (10% des revenus) ?

Nous serions encore loin, ajoutent-ils, de nous hisser à la hauteur de la veuve de l’Évangile : elle n’a pas donné de son superflu, mais de « ce qui lui était nécessaire pour vivre » (Lc 21, 1-4). Nous serions encore loin de répondre aux besoins criants des 2,8 milliards d’êtres humains qui n’ont pas deux dollars par jour pour vivre. Mais nous serions sur la route de l’appel évangélique au partage. Les Pères de l’Église, au début du christianisme, donnaient ce point de repère : « la mesure du dépouillement doit être l’échelle de l’infortune de ceux qui n’ont rien ». »[34] Ce qui est une manière d’inviter à rechercher une certaine égalité.

Mais, comme il a été dit plus haut, la justice, aussi perfectionnée soit-elle, ne peut assurer tout le développement de l’homme dans son intégralité. Ceux qui ont cherché la justice parfaite et définitive dans l’égalitarisme le plus strict, ont détruit la société et pervertit la personne.⁠[35]

Justice sociale et tempérance

En tout cas, la pratique de la justice sociale ou de la solidarité réclament, comme l’aumône, la pratique des vertus de prudence, de libéralité, de magnificence et donc de tempérance.

Il peut paraître irréaliste de parler de tempérance à une époque marquée surtout par la production intensive, la consommation, l’inflation des besoins, le désir de possession, le gaspillage, mais, outre que la vérité doit être dite à temps et à contretemps, pourquoi les chrétiens seraient-ils complexés pour prêcher la mesure au moment où des mouvements écologistes ou altermondialistes s’emploient à contester et calmer ces dérives contemporaines, à « maîtriser notre maîtrise » sur le monde !⁠[36]

La tempérance a mauvaise réputation dans la mesure où beaucoup la confondent avec la continence alors qu’on pourrait la considérer comme « la vertu du plaisir »[37] et exactement le contraire de la continence. Ni passion de jouir, ni insensibilité, « la tempérance est (…) bien meilleure que la continence puisqu’elle consiste dans la justesse du désir lui-même. Le continent en reste au tumulte des convoitises, auquel il résiste par un prodige de volonté. Mais il ne modère pas son désir charnel lui-même, et il souffre de cette contradiction interne. Au contraire, le tempérant a modéré son désir, et lorsqu’il jouit d’un objet mesuré, il ne souffre pas de ne pas jouir plus ».

Nous nous sommes demandé ce que cette vertu peut avoir de spécifiquement chrétien non seulement parce saint Thomas rappelle constamment, comme les Grecs, la mesure de la raison pour justifier la tempérance⁠[38] mais aussi parce qu’on peut interpréter ces textes et leurs sources comme un art de jouir. C’est la lecture plus qu’épicurienne à laquelle se livre Comte-Sponville⁠[39]. A partir d’Aristote, d’Epicure, de Lucrèce⁠[40], de Montaigne⁠[41] mais aussi de saint Thomas, l’auteur va montrer que cette vertu qui n’est pas opposée au plaisir nous permet, au contraire, de mieux jouir. d’une part, parce que « nous restons maîtres de nos plaisirs, au lieu d’en être esclaves » , ils seront plus « purs », plus « joyeux ». Si « être tempérant (…) c’est pouvoir se contenter de peu (…) ce n’est pas le peu qui importe : c’est le pouvoir, et c’est le contentement. » Autrement dit, « il s’agit de jouir le plus possible, le mieux possible, mais par une intensification de la sensation ou de la conscience qu’on en prend, et non par la multiplication indéfinie de ses objets ». Dans ce sens, si Comte-Sponville se montre soucieux de ne pas sombrer dans l’insatisfaction et l’esclavage évidemment, l’essentiel n’est pas d’abord de vivre selon la raison mais, très sensuellement, de préférer la qualité du plaisir à sa quantité.⁠[42]

Voilà une accentuation inattendue de la pensée du Docteur angélique, mais non un pur détournement !

Dans une société comme la nôtre, érotisée et consommatrice, l’accent doit rester de mise sur la tempérance vis-à-vis de tous les appétits sensibles qui peuvent nous absorber, nous asservir mais aussi attenter au bien d’autrui, dans le sens le plus large. Comte-Sponville souligne d’ailleurs que « la leçon vaut surtout pour nos sociétés d’abondance, où l’on meurt et souffre plus souvent par intempérance que par famine ou ascétisme ».⁠[43] Mais, en tout temps, ajoute-t-il encore, elle est difficile parce qu’elle porte sur « les désirs les plus nécessaires à la vie de l’individu (boire, manger) et de l’espèce (faire l’amour), qui sont aussi les plus forts et, partant, les plus difficiles à maîtriser ».⁠[44] C’est presque mot pour mot ce que dit saint Thomas⁠[45].

La tempérance est nécessaire à la pratique de l’aumône comme à l’exercice de la justice sociale mais sa dimension altruiste, dynamique au delà de notre construction personnelle par la maîtrise de nos appétits, ne peut lui être donnée vraiment que par une compréhension profonde, évangélique, de la charité. Comme l’écrit très justement Benoît Lobet, dans un texte plus chatoyant que celui de saint Thomas, trop prisonnier de la rationalité grecque, la tempérance chrétienne est « adossée à la découverte toujours étonnée que le salut, et avant lui, la vie elle-même, sont don et grâce ». Dès lors, « même dans ses formes les plus extrêmes (l’érémitisme, le monachisme), la tempérance chrétienne ne prétend pas, ou du moins pas seulement, être le fruit d’un effort humaniste de maîtrise de soi. Elle est action de l’Esprit, dans le cœur du croyant, pour qu’il accueille les plaisirs nécessaires de la vie, qu’il en jouisse et en fasse jouir d’autres (le frère innombrable et multiple), surtout ceux qui en sont privés, petits et sans-grade, mais tout cela dans la mesure. Et la mesure, dans cette optique chrétienne, n’est qu’un autre nom de l’action de grâce ».⁠[46] Texte admirable non seulement parce qu’il résout le paradoxe suscité à l’intérieur du message chrétien par l’appel à une maîtrise de soi qui ne peut « être disjointe du don fondateur de la foi, de son excès et de sa folie »[47], mais aussi parce qu’il montre que la lutte contre les pauvretés est, sous l’éclairage de la foi, diffusion de la joie. En effet, « être sobre, ce n’est pas être petit et calculer serré. C’est donner pleinement, entièrement parce qu’on est libre de soi, léger. Se déposséder n’a de sens que si cela nous donne du temps pour rendre heureux. (…) Choisir de se dessaisir d’une multitude d’objets, d’assurances, ce n’est sûrement pas devenir meilleur, ni même différent. Seulement plus proche …​ de Dieu, des autres et de cette dimension du temps qui est donnée et reçue. Cette dimension qui rejoint les béatitudes : « joie, simplicité, miséricorde » et que nous aimons appeler : légèreté.

La foi n’est-elle pas simplement cet espace qui s’ouvre en nous pour accueillir la question que Dieu nous pose : Veux-tu être ma joie ? »[48]

Dans le même esprit, Mgr Van Luyn, évêque de Rotterdam, va montrer toute l’importance de la tempérance, non seulement pour rendre effective la charité sociale mais aussi pour nous mettre en état d’aimer Notre Seigneur : « L’attitude de vie personnelle qui est le préliminaire pour une authentique spiritualité et solidarité[49], c’est la sobriété qui signifie prendre ses distances à l’égard de la société de consommation et du matérialisme moderne en tempérant ses propres exigences et aspirations et en concentrant l’attention sur la responsabilité propre envers Dieu et envers le prochain, spécialement envers ceux qui vivent la pauvreté et l’exclusion, et envers les générations futures en exploitant de manière adéquate les ressources de la nature. La sobriété suppose que nous combattions l’exaltation de l’argent et du confort, le gaspillage et la frénésie, le rythme continu de l’économie. Sobriété signifie aussi que nous mettions, à la disposition des autres, temps et attention, écoute et dialogue, intérêt vrai pour le prochain, échange et partage pour réfléchir ensemble sur le vrai sens de l’existence humaine, afin de nous orienter à la lumière que le Christ nous offre dans son Évangile ».⁠[50]

Au lendemain de la guerre, le P. Y. Congar, « pour vivre et diffuser le mystère sauveur de Pâques, la mission exige un appauvrissement volontaire, dans la suite de celui du Christ. Il faut qu’après lui les chrétiens, afin d’accomplir le dessein de Dieu - qui veut que les hommes faits à son image vivent et s’accomplissent dans la dignité et la liberté -, acceptent de s’appauvrir eux-mêmes pour éliminer la misère dégradante, soit en limitant la jouissance des biens dont ils disposent, soit en descendant dans la pauvreté pour être avec de plus pauvres et les aider à sortir de leur misère. »[51]

La tempérance ou l’esprit de pauvreté, si l’on préfère, concerne tous les hommes, les riches et les pauvres car rappelle le P. Georges Cottier, « si travailler à supprimer la misère dont nos frères sont victimes est un devoir impératif, cette suppression n’a pas pour elle-même valeur de fin. Vaincre la pauvreté pour déchaîner les concupiscences du lucre et de la puissance, c’est passer d’une misère à une autre. Les richesses sont trompeuses ; elles peuvent attiser la soif de l’homme pour les biens terrestres jusqu’à le détourner des vraies richesses qui sont celles du Royaume. La cupidité, l’avidité, l’avarice sont à la racine de tous les maux ; elles rendent l’homme égoïste, dur et orgueilleux, elles l’enferment dans les horizons de cette terre ; elles sont l’expression de ce « monde » pour lequel le Seigneur n’a pas prié. Il faut donc tout ensemble combattre la misère et se garder de la richesse. L’Église doit, part la parole et par l’exemple, prêcher la pauvreté. Mais, notons-le, il s’agit de la pauvreté voulue et choisie en vue du Royaume, non de la pauvreté sociologique subie et dégradante pour l’homme. »[52]

Le pape François insistera sur la « sobriété » rappelant que « la spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. » Il ajoute que « la sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachent jouir des choses les plus simples. […] Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. »[53]


1. A.-D. Sertillanges considère le marxisme comme une hérésie chrétienne et l’on peut estimer qu’ »elle systématise la faillite chrétienne en matière pratique, et qu’à ce titre elle est utile à la manière d’un épouvantail (…). Voilà où mène logiquement la trahison de la société croyante à l’égard des conséquences de sa foi. » ( in Le christianisme et les philosophes, tome II, Les temps modernes, Aubier, 1941, p. 224). M.-D. Chenu rejoint, à sa manière, son illustre prédécesseur en soulignant que, face à l’aliénation capitaliste, la ferveur des chrétiens « ne leur donna pas l’intelligence des causes , elle ne s’exprima pas dans un savoir : expérience, théorie économique, technique, philosophie des besoins et des valeurs, postulant au sommet une sagesse théologique. Cette défaillance fort explicable de la pensée mit en échec les intuitions évangéliques elles-mêmes : aveuglement sur l’injustice triomphante, insensibilité à la misère, méconnaissance des exigences de la fraternité et des violences de l’amour, indifférence au destin, voire au salut, de la masse. Lorsqu’ils se décidèrent à faire la critique de la société capitaliste et libérale, ce fut dans des conditions graves d’infériorité psychologique, sociale, politique et sans faire avancer d’un pas la révolution nécessaire.
   Marx, lui, construisait une métaphysique du travail, une sociologie de la communauté, une dialectique de l’histoire (…) C’est là de quoi faire une révolution. Il construisit même, son messianisme à lui seul en fait foi, une religion, une « théologie ». Mais ce fut dans l’athéisme. » (Pour une théologie du travail, Seuil, 1955, p. 61). Le jugement de Chenu sur la faiblesse ou la défection chrétienne peut paraître sévère voire injuste. Il faudrait évidemment, ce que ne fait pas l’auteur, préciser les dates dans lesquelles s’inscrivent ces faits. Toujours est-il qu’incontestablement, les chrétiens trop attachés peut-être à la problématique classique et séculaire de l’aumône et paralysés, sans doute, par la crainte d’une révolution, ont pris du retard dans la constitution d’une morale sociale globale et plus encore dans l’élaboration d’une théologie du travail qui, selon Chenu, commence à naître à l’époque de la seconde guerre mondiale.
2. RN, in Marmy 452-454.
3. CA, n° 10. Jean-Paul II se réfère à RN, n° 25 ; QA, n° 3 ; Homélie de clôture de l’Année sainte, 1975.
4. SRS, n° 38. C’est l’auteur qui souligne.
5. QA, in Marmy 555. Pie XI fait allusion à ce passage de saint Thomas : « La magnificence a pour but de faire une œuvre grande. Mais celle-ci, pour être faite comme il faut, exige des dépenses proportionnées : à grandes œuvres, grands frais. Il appartient donc à la magnificence de donner largement pour mener à bien une grande œuvre. » (IIa IIae, qu. 134, art. 3)
6. QA, n° 88.
7. Radio-message La Solennità, 1-6-1941, in Marmy, 667. Ce droit au travail sera réaffirmé dans le radio-message Con Sempre, Noël 1942, in Marmy, 793.
8. SCHOOYANS M., op. cit., pp. 96-97. C’est l’auteur qui souligne.
9. 1843-1924. Fils d’un député conservateur, il écrivit de nombreux ouvrages traitant des questions sociales de l’histoire littéraire. Il fut élu à l’Académie française en 1888 et à l’Académie des sciences morales en 1904.
10. In Etudes sociales : Misères et remèdes, cité par JACCARD P., in Histoire sociale du travail de l’antiquité à nos jours, Payot, 1960, p. 281. Pierre Jaccard fut Président de l’Ecole des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.
11. Albert comte de Mun (1841-1914), fondateur des Cercles catholiques d’ouvriers (1871), de la revue L’Association catholique (1881). Partisan de l’union syndicale des patrons et des ouvriers, ce député monarchiste convaincu se rallia à la république après la publication de l’encyclique Au milieu des sollicitudes par Léon XIII (1892).
12. Ces citations d’Albert de Mun sont extraites du Discours de P.-G. d’Hassonville, Séance publique au palais de l’Institut, le 10 mars 1898, disponible sur www.academie-francaise.fr
13. C’est moi qui souligne.
14. Il terminera son discours en évoquant le « touchant appel » lancé depuis 20 ans par « le grand pontife » à une élite d’ »hommes de bien et de bonne foi » : « son large cœur les convie tous à ce grand œuvre de soulagement de la souffrance humaine. (…) Aucune main, de quelque côté qu’elle vienne, ne doit être repoussée si elle tente d’essuyer quelques-unes des larmes qui, depuis l’origine du monde, coulent sans trêve des yeux de l’humanité ».
15. 1774-1832. Fut élu sénateur en 1831. (Cf. www.ise-mons.be).
16. 1817-1888. C’est la pensée de Charles Fourier (1772-1837) qui l’influença. Celui-ci pensait que l’association volontaire supprimerait la concurrence et le salariat. Il proposa la création de « phalanstères », sociétés rurales de production et de consommation installées une sorte de grand hôtel confortable. Sociétés autosuffisantes dont chacun est propriétaire, employé et gestionnaire. L’idée passa aux États-Unis mais les tentatives de réalisation (à Brookfarm (1840), Red Bank (1843), au Texas 1852) échouèrent et ruinèrent leurs promoteurs dont Victor Considérant qui fut le disciple le plus zélé de Fourier comme en témoigne sa Doctrine sociale (1834-1844) (Mourre). La Société du familistère de Guise fut dissoute en 1968. Les appartements (de 2 à 6 pièces) furent mis en vente.
17. Cf. www.sciences-sociales.ens.fr.
18. Godin nourrissait aussi le projet d’accorder la propriété de l’entreprise aux employés.
19. Cf. www.ise-mons.be.
20. 1806-1870. Ingénieur de l’Ecole des Mines, étudia l’organisation du travail à travers l’Europe (cf. La Réforme sociale, 1864), fut chargé de l’organisation de l’exposition où il favorisa la présence de délégations ouvrières et instaura « un nouvel ordre de récompenses en faveur des personnes, des établissements ou des localités qui, par une organisation ou des institutions spéciales auront développé la bonne harmonie entre ceux qui coopèrent aux mêmes travaux et assuré aux ouvriers le bien-être matériel, moral et intellectuel ». ( cité sur http://tecfa.unige.ch). Pour Le Play, la réforme sociale doit être avant tout morale par l’application des principes du décalogue et la restauration de l’autorité tutélaire, altruiste, compréhensive du chef sur le groupe, du patron dans l’entreprise et du père dans la famille. C’est le « paternalisme » au sens strict.
22. Cf. JACCARD P., op. cit., p. 301.
23. Id., pp. 302-303.
24. CEC, n° 1889. Le Catéchisme rappelle que la charité « inspire une vie de don de soi : « Quiconque cherchera à conserver sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvera » (Lc 1 7, 33) ».
25. JT de la RTBf, 20-2-2004, 19h30.
26. GS, 69.
27. RIEDMATTEN Henri de et GROSSRIEDER Paul, L’Église et la promotion humaine, in Communio, tome III, n° 2, mars 1978, p. 66. Les auteurs sont tous deux dominicains et suisses. C’est bien ce que Paul VI rappelait, en 1976: « de la libération que l’évangélisation annonce et s’efforce de mettre en œuvre, il faut dire (…):
   - elle ne peut pas se cantonner dans la simple et restreinte dimension économique, politique, sociale ou culturelle, mais elle doit viser l’homme tout entier, dans toutes ses dimensions, jusque et y compris dans son ouverture vers l’Absolu de Dieu ;
   - elle est donc rattachée à une certaine conception de l’homme, à une anthropologie qu’elle ne peut jamais sacrifier aux exigences d’une quelconque stratégie, d’une praxis ou d’une efficacité à court terme. » (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n° 33).
28. Cf. PP, 14.
29. Lazarum 1, 6 cité in CEC, n° 2246.
30. Regula pastoralis 3, 21 in CEC, n° 2246.
31. CEC, n° 2449.
32. AA, n° 8.
33. Bruguès.
34. Déclaration du Conseil national de la solidarité et de la Commission sociale des évêques de France, DC, n° 2229, 2-7-2000, p. 640. Un peu plus loin, le texte ajoute : « Le partage ne peut se réduire à une contribution financière. Donner de l’argent sans se donner soi-même est un mensonge. Partager veut dire, dans la mesure de ses moyens, donner de son temps, de son avoir, de son pouvoir, de ses qualifications, des dons reçus. C’est aussi participer à l’une ou l’autre des associations de solidarité ».
35. « La recherche d’égalitarisme, écrit un cadre, que généreusement certains confondent avec la lutte contre l’injustice, ne peut en rien s’identifier avec celle-ci et m’apparaît contraire à la réalité profonde du monde, qui est de diversité, de démesure et de particularisme. Pire, elle prend le risque de stéréotyper les individus dans leurs aptitudes et leurs comportements. Que de frustrations et d’injustices peuvent en découler ! Le sentiment de l’injustice éprouvé par chacun correspond au poids des rapports de force qui ne lui sont pas favorables, qui le mettent dans la dépendance d’un autre au profit de celui-ci. Celui qui le ressent s’estime méprisé, réduit, infériorisé, exploité individuellement ou collectivement par un ou des exploiteurs. Il vit la tension sociale par excellence. (…)
   Les cibles à détruire sont claires : l’excès des inégalités d’abord, parce qu’il engendre les privilèges et la « supériorité », ensuite ses corollaires, l’envie et la méfiance qui entretiennent par des formes sans cesse renouvelées, au fur et à mesure que sont contraintes de disparaître celles devenues trop criardes, une distance globale entre les hommes. Au niveau de l’avoir, (…) si des écarts peuvent se justifier par la différence des responsabilités et des apports dans la vie économique et sociale, ils ne doivent pas entraîner, ce qui est hélas le cas aujourd’hui, un modèle dominant de niveau de vie auquel la majorité n’a pas accès, cause profonde de frustration , d’envie, de révolte.
   Les excès du pouvoir et du savoir s’incarnent dans l’autoritarisme et l’arrogance. » Il faut « diminuer la « distance » entre les hommes ». (FLINOIS Jean-Luc, Qui ose parler de justice ?, in Communio, tome III, n° 2, mars 1978, p. 73 et pp. 75-76). L’auteur était directeur commercial des marchandises à la Société Nationale des Chemins de fer Français.
36. SERRES M., Le Contrat naturel, François Bourin, 1990, p. 61.
37. C’est le titre d’un article consacré à la tempérance par Hélène Machefert, in Communio, n° XXV, 5, septembre-octobre 2000, pp. 49-60. Nous lui empruntons les citations qui suivent.
38. La vertu, disait déjà Aristote, est une « disposition à agir d’une façon délibérée, consistant en un juste milieu relatif à nous, lequel est rationnellement déterminé ». (Ethique à Nicomaque, II, 6, 1107a).
39. COMTE-SPONVILLE A., Petit traité des grandes vertus, Puf, 1995, pp. 52-58.
40. Dans le De natura rerum.
41. « L’intempérance est peste de la volupté et la tempérance n’est pas son fléau : c’est son assaisonnement » (Essais, III, 13).
42. Comme saint Thomas, Comte-Sponville est bien conscient que « les plaisirs du corps, par leur accroissement ou leur seule prolongation, passent la limite de l’équilibre naturel et deviennent objet de dégoût » (Ia IIae, qu. 33, art. 2).
43. Op. cit., p. 57.
44. Id., p. 58.
45. IIa IIae, qu. 141, art. 7et 8.
46. LOBET B., L’éléphant est-il chrétien, Propos sur la tempérance, in Oser la tempérance, Cahiers de Paraboles, n° 9, juin 2000, p. 20. B. Lobet fut professeur à l’Ecole de la Foi et des Ministères de Tournai. Actuellement doyen de Bruxelles-centre.
47. Id., p. 18. Cf. Ga 5, 19-23: « On sait ce que produit la chair : débauche, impureté, libertinage, idolâtrie, magie, inimitiés, discordes, jalousies, emportements, cabales, dissensions, factions, envie, ivrognerie, orgies et autres excès de ce genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui s’y livrent n’hériteront pas du royaume de Dieu. Le fruit de l’Esprit au contraire, c’est charité, joie, paix, longanimité, affabilité, bonté, fidélité, douceur, tempérance. »
48. GHEUR Michèle et Jean, Une aventure de sobriété, in Oser la tempérance, op. cit., pp. 37-38.
49. L’évêque précise que « la solidarité est liée étroitement à la spiritualité, elle en est la conséquence et la condition. Le service de l’Église au monde a toujours envisagé les deux dimensions de spiritualité et de solidarité comme deux faces inséparables de « l’unique nécessaire » : l’amour envers Dieu et l’amour envers le prochain. Nous touchons ici, ajoute Mgr Van Luyn, à l’essence de l’Évangile et de ceci l’Église tire sa raison d’être ».
50. Cf. SCOLAS Paul, Spiritualité, solidarité, sobriété, in Oser la tempérance, op. cit., pp. 40-41.
51. CONGAR Y. M.-J., op, L’application des exigences évangéliques, in Église et pauvreté, Ouvrage collectif, Cerf, 1965, p. 154. Le Père Congar (1904-1995) fut élevé au cardinalat en 1994.
52. COTTIER G., Dimensions actuelles de la pauvreté, in Église et pauvreté, op. cit., pp. 50-51.
53. Encyclique Laudato Si’ (LS) 222-225.