L’Ancien testament, dès le livre de la Genèse nous révèle que le mal et donc l’injustice sont imputables à l’homme. Dans l’expérience du mal dont il est responsable, l’homme prend conscience de sa liberté mais cette liberté est « captive du mal, incapable de pratiquer la justice. »[1]
Mais l’histoire du mal s’inscrit dans le cadre de l’Alliance entre Dieu et les hommes. La rupture de l’Alliance avec Dieu, première injustice[2], provoque immédiatement rupture entre l’homme et la femme[3], rupture avec la nature[4] et rupture avec les autres hommes[5]. Les prophètes ne manqueront pas, nous l’avons vu, de dénoncer les injustices des hommes qui ne respectent pas la loi du Seigneur. En même temps, les prophètes rappellent que celui qui reste, malgré tout, le Dieu de l’Alliance[6] est un Dieu de justice qui punit les pécheurs, châtie les ennemis du peuple élu, prend soin de son peuple[7], un Dieu qui aime la justice[8] et s’y complaît[9] ; un Dieu qui ne supporte pas le culte que les hommes lui rendent alors qu’ils n’exercent pas la justice[10].
Est juste celui qui, aux yeux de Dieu, est sans péché, celui qui respecte la Loi[11].
La justice de Dieu demande clairement et avec insistance, nous le savons, que l’on fasse d’abord droit au pauvre, à l’étranger, à la veuve. Mais la justice de Dieu n’est pas seulement de châtier ceux qui s’opposent à son dessein, elle se révèle aussi miséricordieuse[12] et salvatrice[13]. La justice, les hommes ne pourront l’établir mais Dieu l’instaurera par la Messie à venir[14]. Il y a plus encore dans la révélation de la justice de Dieu dans l’Ancien testament, nous y reviendrons, mais attardons-nous un instant à ce qui peut directement éclairer notre réflexion sur la justice sociale proprement dite.
Quelle conception de la justice sociale, les juifs ont-ils développée à partir de leur tradition ?
Une claire présentation nous est offerte par G. Hansel[15] qui, d’emblée, souligne que la Bible comme le Talmud[16] au lieu de rechercher, comme les idéologies modernes, une plus grande égalité des revenus, par exemple, ne s’attachent pas, prioritairement, à réduire les inégalités. Même la notion de « juste salaire » est, nous dit-il, étrangère à la tradition juive. En fait, l’objectif qui anime la législation sociale juive, « c’est la lutte contre la pauvreté avec comme objectif ultime sa suppression. » La Bible indique clairement qu’il faut faire justice au pauvre, au sens matériel du terme, à la veuve, à l’orphelin, à l’étranger ; et le Talmud ajoute : au sourd-muet, à l’idiot, au captif.
Quels moyens mettre en œuvre pour éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes ?
Ils sont divers mais la tradition juive accorde une attention spéciale à la tsedaka, c’est-à-dire « l’aide matérielle que doit accorder celui qui en a la possibilité à celui qui en a besoin »[17]. Hansel explique : « il ne s’agit pas de procéder à une redistribution des richesses mais de garantir à chacun la satisfaction de ses besoins essentiels. La tsedaka est une obligation stricte ; elle ne se limite pas à la charité que le riche fait au pauvre selon sa bonne volonté. Lorsque cela est nécessaire, l’autorité peut et doit imposer à chacun de donner ce qu’il convient, au besoin par la contrainte ?[18] La tsedaka a donc par là le caractère d’un impôt. C’est une générosité éventuellement obligatoire et les sommes ainsi collectées peuvent être considérables »[19]. Le refus de la tsedaka est assimilé à l’idolâtrie, « la pire déviation idéologique ». La tsedaka est souvent présentée comme « le commandement », « le premier principe de la justice, le fondement de l’ordre politique, le point de départ de l’espérance messianique et finalement caractéristique de la définition même de l’identité juive. »[20]
Pour Maïmonide dont s’inspire particulièrement l’auteur, « il existe 8 degrés de valeur croissante dans l’accomplissement de la tsedaka. Le plus élevé consiste à soutenir la personne qui s’est effondrée, soit par un don, soit par un prêt, soit en s’associant avec elle, soit en lui fournissant un travail, de sorte de l’affermir suffisamment pour qu’elle n’ait plus besoin de demander l’assistance d’autrui. »[21] Et donc, commente Hansel, « le but ultime ne consiste pas seulement à fournir à chacun la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Il faut faire en sorte qu’il échappe à la situation d’assisté. (…) La plus haute valeur sociale, le principe qui doit constamment nous guider, est de soutenir chaque membre de la collectivité suffisamment pour qu’il ne perde pas son autonomie ou la retrouve s’il l’a perdue. »
Fidèle à la tradition ainsi rappelée, Hansel, se penchant sur la crise actuelle, déclare, on ne s’en étonnera guère, que « la cause de la persistance de la misère n’est pas économique, elle est morale. »
« Voici qu’un roi régnera avec justice et des princes gouverneront selon le droit. Chacun sera comme un abri contre le vent, un refuge contre l’averse, comme des ruisseaux sur une terre aride, comme l’ombre d’une roche solide dans un pays désolé. Les yeux des voyants ne seront plus englués, les oreilles des auditeurs seront attentives. Le cœur des inconstants s’appliquera à comprendre, et la langue des bègues dira sans hésiter des paroles claires. On ne donnera plus à l’insensé le titre de noble, ni au fourbe celui de grand » (Is 32, 1-5).