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v. Rapide retour à l’anthropologie chrétienne.

Nous avons, dès la première partie, répondu à cette question⁠[1] mais il n’est pas inutile d’y revenir pour, cette fois, montrer le lien entre les caractères essentiels de l’homme et un certain nombre de pratiques économiques que nous étudierons de manière détaillée plus tard.

Nous savons que « tout homme, quelle que soient ses convictions personnelles, porte en lui l’image de Dieu et mérite donc le respect »[2]. Par nature, il est « sujet de droits que personne ne peut violer, ni l’individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État. La majorité d’un corps social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité pour la marginaliser, l’opprimer, ou pour tenter de l’anéantir »[3]. Le chrétien ne peut tolérer aucun système social oppressif. « L’homme, dit le Concile, est la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même »[4] Image visible du Dieu invisible, la personne est investie d’une dignité transcendante. La transcendance humaine s’explique par le rapport qui existe entre l’homme et Dieu et aussi par le fait que l’homme transcende toutes les choses puisqu’il parvient par son intelligence et sa volonté à les dominer⁠[5]. Cette transcendance est merveilleusement confirmée par l’incarnation du Fils qui, pourrait-on dire, recrée l’homme par la rédemption⁠[6]. Car l’homme est aussi pécheur. Il faudra toujours tenir compte à la fois de son éminente dignité et de sa faiblesse⁠[7]. Ce réalisme éclairera singulièrement le problème de la propriété privée⁠[8] et justifiera les efforts de libération temporelle⁠[9]

Il n’empêche, le prix de l’homme est inestimable comme on le voit, de manière saisissante dans l’Évangile : le Christ guérit un homme en sacrifiant un troupeau d’environ deux mille porcs⁠[10]. « Que sert donc à l’homme, dira le Christ, de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ? »[11] Le cardinal Cardijn traduira cette histoire dans son fameux slogan : « Un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde »[12]. Pense-t-on dans la pratique économique que « les biens du monde ne comptent pas autant que le bien de la personne, le bien qui est la personne même » ? Et Jean-Paul II ajoute : « toute violation de la dignité personnelle de l’être humain crie vengeance en présence de Dieu et devient une offense au Créateur de l’homme. En vertu de sa dignité personnelle, l’être humain est toujours une valeur en lui-même et pour lui-même, et il doit être considéré et traité comme tel ; jamais il ne peut être considéré et traité comme un objet dont on se sert, un instrument, une chose »[13].

Ce qui est dit de l’homme s’entend, il ne faut pas non plus l’oublier, de tout homme.« Il s’agit de chaque homme, parce que chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s’est uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère »[14]. Dans la Genèse déjà, il était souligné que les biens de la terre étaient destinés à Adam, c’est-à-dire à tous les hommes. Il faudra s’en souvenir d’autant plus que tous ces hommes, fils d’un même Père, sont frères en Jésus-Christ. « Il n’y a plus, écrit saint Paul, ni juif, ni grec, il n’y a plus d’esclave ni d’homme libre ; il n’y a plus homme et femme ; vous êtes tous un seul dans le Christ Jésus »[15].

Sur la dignité de chaque homme, se fonde l’égalité entre les hommes et leur solidarité⁠[16] qui, dans la perspective chrétienne, culmine dans la communion et donc dans le don⁠[17]. La Genèse définit l’homme comme homme et femme⁠[18] soulignant, à sa manière, et dans son fondement, la caractère social de l’homme qui « ne s’épuise pas dans l’État mais se réalise de même dans divers groupes intermédiaires, de la famille[19] aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturels qui, découlant de la même nature humaine, ont -toujours à l’intérieur du bien commun- leur autonomie propre »[20]. Dans la vie économique aussi, soit dit en passant, doit s’appliquer le principe de subsidiarité. Mais, pour revenir à la socialité de l’homme, elle ne devient collaboration effective qu’à travers le dialogue⁠[21] et vraie solidarité, comme nous l’avons vu, qu’à partir du moment où l’amour anime les relations sociales. Si nous acceptons le fait que « la personne se réalise pleinement dans le libre don de soi »[22], le don rend l’homme plus homme et donc plus activement « social », c’est-à-dire solidaire. Or l’histoire et l’actualité nous montrent cr_ment que le collectivisme⁠[23] et l’individualisme détruisent l’amour et donc toute solidarité vivante, toute collaboration franche.

La transcendance de l’homme, avons-nous dit, se manifeste par la recherche de la vérité et l’exercice de sa volonté.

Nous savons que la liberté, l’activité créatrice de l’homme et donc son esprit d’initiative et d’entreprise, est « un signe privilégié de l’image divine »[24]. Mais nous constatons aussi que les désordres sur le terrain économique et social sont la conséquence d’une erreur qui « consiste en une conception de la liberté humaine qui la soustrait à l’obéissance à la vérité et donc aussi au devoir de respecter les droits des autres hommes. Le sens de la liberté se trouve alors dans un amour de soi qui va jusqu’au mépris de Dieu et du prochain, dans un amour qui conduit à l’affirmation illimitée de l’intérêt particulier et ne se laisse arrêter par aucune obligation de justice »[25]. Il faut rappeler sans cesse « le lien constitutif de la liberté humaine avec la vérité, lien si fort qu’une liberté qui refuserait de se lier à la vérité tomberait dans l’arbitraire et finirait par se soumettre elle-même aux passions les plus dégradantes et par s’autodétruire. d’où viennent, en effet, tous les maux que veut combattre Rerum novarum sinon d’une liberté qui, dans le domaine de l’activité économique et sociale, s’éloigne de la vérité de l’homme ? »[26] Sont nécessaires à la paix sociale « la tension morale et la force de rendre consciemment témoignage à la vérité »[27]. Pas de liberté sans vérité mais pas de vérité sans liberté. Si effectivement « l’homme est avant tout un être qui cherche la vérité et qui s’efforce de vivre selon cette vérité, de l’approfondir dans un dialogue constant qui implique les générations passées et à venir »[28], cette recherche doit se faire, en conscience et sans contrainte⁠[29]. Or, « dans les régimes totalitaires et autoritaires, on a poussé à l’extrême le principe de la prépondérance de la force sur la raison. L’homme a été contraint d’accepter une conception de la réalité imposée par la force et non acquise par l’effort de sa raison et l’exercice de sa liberté. Il faut inverser ce principe et reconnaître intégralement les droits de la conscience humaine, celle-ci n’étant liée qu’à la vérité naturelle et à la vérité révélée »[30].

La vérité dont il est question est, d’abord et avant tout, la vérité sur l’homme considéré dans toute sa dignité et sa complexité. C’est cette vérité sur l’homme intégral qui doit guider toute la pratique économique. Celle-ci, ordonnée au développement de l’homme, ne peut donc négliger sa dimension verticale : « (…)Le développement ne doit pas être compris d’une manière exclusivement économique, mais dans un sens intégralement humain. Il ne s’agit pas seulement d’élever tous les peuples au niveau dont jouissent aujourd’hui les pays les plus riches, mais de construire, par un travail solidaire, une vie plus digne, de faire croître réellement la dignité et la créativité de chaque personne, sa capacité de répondre à sa vocation, et donc à l’appel de Dieu. Au faîte du développement, il y a la mise en œuvre du droit et du devoir de chercher Dieu, de le connaître et de vivre selon cette connaissance ».⁠[31]

Si, par sa raison, l’homme peut avoir l’intuition de sa qualité et si l’homme contemporain y est tout particulièrement sensible⁠[32], au vu de tout ce qui précède et des insistances religieuses, il est clair que seule la foi révèle pleinement cette dignité transcendante⁠[33]. Dès lors, « la négation de Dieu prive la personne de ses racines et, en conséquence, incite à réorganiser l’ordre social sans tenir compte de la dignité et de la responsabilité de la personne »[34]. L’athéisme parce qu’il « prive l’homme de l’une de ses composantes fondamentales »[35], conduit à la destruction du milieu naturel⁠[36] et humain⁠[37] à l’aliénation de l’homme.

Très lucidement, Pie XI qui reconnaissait, en 1931, qu’un « socialisme mitigé » n’était pas très éloigné de ce que les chrétiens souhaitent n’en maintenait pas moins que « socialisme religieux, socialisme chrétien, sont des contradictions » pour la raison fondamentale que le socialisme construit une société fermée sur le temporel, ordonnée au « seul bien-être », subordonnant ou sacrifiant les biens les plus élevés de l’homme⁠[38].

Jean XXIII dira que « l’aspect le plus sinistrement typique de notre époque moderne se trouve dans la tentative absurde de vouloir bâtir un ordre temporel solide et fécond en dehors de Dieu, unique fondement sur lequel il puisse subsister, et de vouloir proclamer la grandeur de l’homme en le coupant de la source dont cette grandeur est issue et où elle s’alimente ; en réprimant, et si possible en éteignant, ses aspirations vers Dieu »[39].

Alors que le marxisme croyait que l’aliénation dépendait uniquement des rapports de production et de propriété et qu’elle se résoudrait par le collectivisme⁠[40], Jean-Paul II la situe précisément dans la fermeture au spirituel, dans « la perte du sens authentique de l’existence » à l’œuvre aussi bien dans les sociétés occidentales que dans les sociétés collectivistes : « il est nécessaire, précise le Saint Père, de rapprocher le concept d’aliénation de la vision chrétienne des choses, pour y déceler l’inversion entre les moyens et les fins : quand il ne reconnaît pas la valeur et la grandeur de la personne en lui-même et dans l’autre, l’homme se prive de la possibilité de jouir convenablement de son humanité et d’entrer dans les relations de solidarité et de communion avec les autres hommes pour lesquelles Dieu l’a créé. En effet, c’est par le libre don de soi que l’homme devient authentiquement lui-même, et ce don est rendu possible parce que la personne humaine est essentiellement « capable de transcendance ». L’homme ne peut se donner à un projet seulement humain sur la réalité, à un idéal abstrait ou à de fausses utopies. En tant que personne, il peut se donner à une autre personne ou à d’autres personnes et, finalement, à Dieu qui est l’auteur de son être et qui, seul, peut accueillir pleinement ce don. L’homme est aliéné quand il refuse de se transcender et de vivre l’expérience du don de soi et de la formation d’une communauté humaine authentique orientée vers sa fin dernière qu’est Dieu. Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don et la constitution de cette solidarité entre les hommes »[41]. Dans un langage plus classique, on pourrait appeler aliénée, ou plutôt aliénante, la société qui freine, détourne, corrompt, étouffe l’amour de Dieu et du prochain, qui contredit donc ou du moins contrecarre, d’une manière ou d’une autre, le premier et le plus grand commandement. Si, « dans la société occidentale, l’exploitation a été surmontée, du moins sous la forme analysée et décrite par Karl Marx (…), l’aliénation n’a pas été surmontée dans les diverses formes d’exploitation lorsque les hommes tirent profit les uns des autres et que, avec la satisfaction toujours plus raffinée de leurs besoins particuliers et secondaires, ils se rendent sourds à leurs besoins essentiels et authentiques qui doivent régir aussi les modalités de la satisfaction des autres besoins »[42].

On comprend mieux, à lire ces insistances sur l’ouverture, le don à Dieu et aux autres, que Jean-Paul II ait pu écrire qu’il n’existe pas de véritable solution de la « question sociale » hors de l’Évangile et que, d’autre part, les « choses nouvelles » peuvent trouver en lui leur espace de vérité et la qualification morale qui convient »[43].

Pour faire court, on peut dire que l’éthique chrétienne est et doit être l’« expression active, au plan temporel, de la transcendance »[44]. Transcendance de l’homme qui doit être respectée, protégée, défendue, favorisée et transcendance du Royaume qui, au-delà du monde est déjà présent et doit être rendu toujours plus présent. Un homme qui doit toujours être plus à l’image de Dieu et une société toujours plus à l’image du Royaume. Telles sont nos références constantes, définitives⁠[45].


1. On peut lire aussi l’excellente synthèse de CALVEZ J.-Y., L’homme dans le mystère du Christ, Desclée De Brouwer, 1993.
2. CA, 22.
3. CA, 44.
4. GS, 24.
5. CA, 31.
6. « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n’est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en Lui leur source et atteignent en Lui leur point culminant. « Image du Dieu invisible » (Col 1, 15), il est l’Homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en Lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (GS, 22). Cet admirable enseignement explique bien pourquoi « cet homme est la première route que l’Église doit parcourir en accomplissant sa mission (…), route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption » (RH, 14).
7. « Quand les hommes croient posséder le secret d’une organisation sociale parfaite qui rend le mal impossible, ils pensent aussi pouvoir utiliser tous les moyens, même la violence ou le mensonge, pour la réaliser. La politique devient alors une « religion séculière », on croit pouvoir bâtir le paradis en ce monde » (CA, 25).
8. Cf. CA, 25.
9. Comme l’explique bien J.-Y. Calvez, « la condition de péché entraîne pour l’homme le besoin de libération (…). La rédemption par le Christ est la libération fondamentale. Mais la libération reçue doit aussi être mise en œuvre, en raison des conséquences du péché, dans la vie de chaque chrétien, de chaque homme: dans l’existence terrestre. Elle a des dimensions psychologiques et spirituelles, culturelles et sociales, économiques et politiques » (L’homme dans le mystère du Christ, op. cit., p. 39).
10. Mc 5, 1-20.
11. Mc 8, 36.
12. Cf. JEAN-PAUL II, Homélie à la basilique de Saint-Denis (France), 31-5-1980, in DC n° 1788, 15-6-1980, pp. 571 et svtes.
13. Exhortation apostolique Christifideles laici (CL), 30-12-1988, n° 37.
14. CA, 53.
15. Ga 3, 28.
16. « La dignité personnelle constitue le fondement de l’égalité de tous les hommes entre eux. De là, la nécessité absolue de refuser toutes les formes, si diverses, de discrimination, qui, hélas ! continuent à diviser et à humilier la famille humaine, discriminations raciales, économiques, sociales, culturelles, politiques, géographiques, etc. Toute discrimination constitue une injustice absolument intolérable, non pas tant en raison des tensions et des conflits qu’elle peut engendrer dans le tissu social qu’en raison du déshonneur infligé à la dignité de la personne : et non seulement à la dignité de qui est victime de l’injustice, mais, davantage encore, de qui la commet. Base de l’égalité de tous les hommes entre eux, la dignité de la personne est aussi le fondement de la participation et de la solidarité des hommes entre eux : le dialogue et la communion s’enracinent finalement en ce que les hommes « sont » plus encore qu’en ce que les hommes « ont ». La dignité personnelle est une propriété indestructible de tout être humain. Il est fondamental de noter toute la force explosive de cette affirmation qui se base sur l’unicité irremplaçable de toute personne » (CL, 37).
17. « A la lumière de la foi, la solidarité tend à se dépasser elle-même, à prendre les dimensions spécifiquement chrétiennes de la gratuité totale, du pardon et de la réconciliation. Alors le prochain n’est pas seulement un être humain avec ses droits et son égalité fondamentale à l’égard de tous, mais il devient l’image vivante de Dieu le Père, rachetée par le sang du Christ et objet de l’action constante de l’Esprit Saint. Il doit donc être aimé, même s’il est un ennemi, de l’amour dont l’aime le Seigneur, et l’on doit être prêt au sacrifice pour lui, même au sacrifice suprême : « Donner sa vie pour ses frères » (cf. Jn 3, 16).
   Alors la conscience de la paternité commune de Dieu, de la fraternité de tous les hommes dans le Christ, « fils dans le Fils », de l’action vivifiante de l’Esprit Saint, donnera à notre regard sur le monde comme un nouveau critère d’interprétation. Au-delà des liens humains et naturels, déjà si forts et si étroits, se profile à la lumière de la foi un nouveau modèle d’unité suprême, reflet de la vie intime de Dieu un en trois Personnes, est ce que nous, chrétiens, désignons par le mot « communion » » (SRS, 40).
18. « L’homme est devenu image et ressemblance de Dieu non seulement par sa propre humanité mais aussi par la communion des personnes que l’homme et la femme forment dès le début » (JEAN-PAUL II, A l’image de Dieu, homme et femme, Cerf, 1980, p. 77).
19. Rappelons que la famille est le lieu privilégié où l’homme grandissant dans l’apprentissage de l’amour prend conscience de sa dignité. La famille est la première « communauté de travail et de solidarité » (CA, 49).
20. CA, 13.
21. Cf. CA 60-61.
22. CA 43. Rappelons que pour le philosophe E. LEVINAS, ( cf. Totalité et infini, Biblio-Essais, Livre de poche, 1990), « sortir de soi », s’occuper de l’autre, de sa souffrance, de sa mort, avant de s’occuper de sa propre mort, « c’est la découverte du fond de notre humanité, la découverte même du bien (…) ». C’est ainsi qu’il définit la sainteté: « Elle ne tient pas du tout aux privations, elle est dans la certitude qu’il faut laisser à l’autre en tout la première place - depuis l’ »après vous » devant la porte ouverte jusqu’à la disposition - à peine possible mais la Sainteté le demande - de mourir pour l’autre.
   Dans cette attitude de sainteté, il y a un tel retournement de l’ordre normal des choses, du naturel des choses, de la persistance dans l’être de l’ontologie des choses et du vivant, que c’est pour moi, là, le moment où par l’humain, l’au-delà de l’être - Dieu - me vient à l’idée » (POIRIE François, LEVINAS Emmanuel, Essai et entretiens, Babel, 1996, pp. 103-106). Notons encore que découvrir « l’autre plus grand que soi » est, pour l’auteur, le seul moyen d’arriver à une vraie égalité, de dépasser l’individualisme libéral où chacun se disant l’égal de tous en campant sur ses droits, bloque, en fait, tout le mécanisme social.
23. Ce n’est pas pour rien que l’antidote efficace au communisme polonais s’est appelé Solidarnosc !
24. GS, 17.
25. CA, 17.
26. CA, 4.
27. CA, 27.
28. CA, 4.
29. C’est toute la problématique de la liberté religieuse que Jean-Paul II résume dans Centesimus annus (13) : Dieu appelle et l’homme est responsable personnellement de sa réponse.
30. CA, 29.
31. CA, 29. Jean-Paul II le répète : « Aucun progrès authentique n’est possible sans respect du droit naturel élémentaire de connaître la vérité et de vivre selon la vérité. A ce droit se rattache, comme son exercice et son approfondissement, le droit de découvrir et d’accueillir librement Jésus-Christ, qui est le vrai bien de l’homme ».
32. RH, 11.
33. CA, 54.
34. CA, 13.
35. CA, 55.
36. CA, 37.
37. CA, 38.
38. QA, 590-597 (Marmy).
39. MM, 218. Cf. Ps CXXVI, 1: « Si ce n’est pas Dieu qui bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent ».
40. « Dans la marchandise, dans l’argent (solidaires de la division du travail, de la propriété privée et de l’échange), l’activité humaine s’est nécessairement aliénée » (LEFEBVRE H., Pour connaître la pensée de Karl Marx, Bordas, 1966, p. 238). Notons que Jean-Paul II ne retient que cet aspect de la théorie marxiste de l’aliénation. Celle-ci inclut aussi la religion car « en créant Dieu, l’homme s’est dépouillé de lui-même ; il a attribué à Dieu une puissance et un pouvoir de maîtrise sur la nature qui, en fait, n’appartiennent qu’à l’homme lui-même. Ce dépouillement de l’homme par l’homme, au profit de l’idée de Dieu, s’appelle, en langue marxiste, « aliénation humaine ». L’homme, dans la religion, aliène son pouvoir au profit de l’idée de Dieu (…). Il appartient à la critique marxiste de dénoncer cette illusion, de récupérer les forces humaines aliénées et de rendre l’homme à sa véritable destinée humaine » ( BAAS E., Introduction critique au marxisme, Alsatia, 1953, p. 23).
41. CA, 41.
42. Id..
43. Id., 5.
44. ARONDEL Philippe, Morale sociale chrétienne et discours libéral, Mame, 1991, p. 32. Cet ouvrage a été réalisé dans le cadre de la convention conclue entre la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales).
45. Est-ce à dire que les non-chrétiens ou les incroyants ne sont pas invités à cet engagement temporel ? Nous étudierons dans la dernière partie les possibilités et les conditions de collaboration mais disons, tout de suite, qu’il y a « minimum anthropologique » qui peut être acceptable pour diverses religions et visions du monde, un minimum indispensable, en tout cas, pour garantir, comme nous l’avons vu, une vraie démocratie et, comme nous le verrons, une économie libre (cf. ZIEBA M., op. cit., pp. 210-211) ? Dans ce minimum, nous pouvons ranger, en tête, le respect de la dignité de l’homme et donc du travailleur, dans tout homme puisque « croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet » (GS, 12). En découlent la conviction que tout ce qui favorise la personnalité de l’homme et de la société, la convivialité, le dialogue, la solidarité, la liberté religieuse est bon et la condamnation de ce qui rend impersonnel, exploite, marginalise, réifie, réduit à l’état de producteur de consommateur. Qui ne pourrait souscrire à cette dénonciation de l’aliénation qui « au niveau de la consommation (…) engage l’homme dans un réseau de satisfactions superficielles et fausses, au lieu de l’aider à faire l’expérience authentique et concrète de sa personnalité ». Aliénation qui « se retrouve aussi dans le travail, lorsqu’il est organisé de manière à ne valoriser que ses productions et ses revenus sans se soucier de savoir si le travailleur, par son travail, s’épanouit plus ou moins en son humanité, selon qu’augmente l’intensité de sa participation à une véritable communauté solidaire, ou bien que s’aggrave son isolement au sein d’un ensemble de relations caractérisé par une compétitivité exaspérée et des exclusions réciproques, où il n’est considéré que comme un moyen, et non comme une fin » (CA, 41). Dans cet esprit, un chrétien tirera grand profit, par exemple, de la lecture de livres comme celui de CLOUSCARD Michel, Le capitalisme de la séduction, Ed. Sociales, 1981 ou encore de BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Idées-Gallimard, 1981 Nous y reviendrons.