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g. Vers un « anarcho-capitalisme » ?

Cette expression déroutante a été employée, finalement à bon escient, pour désigner l’aboutissement extrême du libéralisme. L. von Mises réduisait le rôle de l’État à la protection de la liberté économique car il pensait que « chaque mesure qu’un gouvernement prend, au-delà de l’accomplissement de ses fonctions essentielles qui sont d’assurer le fonctionnement régulier de l’économie de marché à l’encontre de l’agression, que les perturbateurs soient des nationaux ou des étrangers, est un pas de plus sur une route qui mène directement au régime totalitaire où il n’y a pas de liberté du tout »[1]. Et, nous l’avons vu, Hayek défend une position semblable comme nous l’explique encore un de ses commentateurs: « le Droit est spontané, il est le produit des forces sociales, il est l’oeuvre de la société et non celle de l’État. (…) L’égalitarisme conduit, inéluctablement au totalitarisme. Hayek est donc contre l’État interventionniste et pour le respect de la tradition du capitalisme. (…) Hayek est convaincu que la morale est beaucoup plus efficace que le droit positif pour discipliner les comportements humains, et permettre le fonctionnement d’une société civilisée, c’est-à-dire libre, c’est-à-dire ouverte, c’est-à-dire capitaliste, ce qui ne peut être qu’à condition que l’État soit un État minimum, limité. (…) Pour Hayek, le progrès ne peut résulter que de la compétition. Or la compétition ne peut exister que si la Société est libre, ouverte, décentralisée. L’État n’a pas à intervenir dans les affaires privées, sinon pour permettre leur développement en garantissant la paix sociale de par l’existence d’une administration qui maintienne l’ordre capitaliste, l’ordre de la société ouverte »[2].

Mieux encore, la société idéale, pour certains, serait « une société où il n’y aurait plus de règlements, de service militaire obligatoire, de sécurité sociale, etc., où il n’y aurait plus de police d’État, de raison d’État…​ où toutes les fonctions actuellement dévolues à l’appareil coercitif de l’État seraient exercées par une multitude de communautés ou de firmes privées offrant leurs services sur une base contractuelle (toujours révocable) dans le cadre d’un système de concurrence généralisée garantissant à chacun la liberté de ses choix (…) Où ceux qui veulent vivre selon leur conception d’une société « vertueuse » seraient libres de le faire en association avec ceux qui partagent leur conception de la vertu, mais sans pour autant imposer leurs conceptions à ceux qui ont une autre idée de la morale humaine…​ Où personne, enfin, n’aurait le droit de contraindre qui que ce soit à faire ou à penser quoi que ce soit, même au nom de principes « démocratiques » qui ne sont bien souvent que la négation de la liberté des minorités…​ »[3]

Ces auteurs rêvent donc, comme Marx⁠[4], d’une disparition de l’État car, disent-ils⁠[5],  »L’État est la plus vaste et la plus formidable organisation criminelle de tous les temps, plus efficace que n’importe quelle mafia dans l’histoire ». Non seulement parce que que l’impôt c’est le vol mais aussi parce que « la guerre c’est le crime et le service miltaire c’est l’esclavage ». Ils refusent même la notion d’État minimum car « l’intérêt public, cela n’existe pas ; tout, par nature est privé, et rien n’est public ». Dès lors, tout peut être privatisé, la justice comme la sécurité⁠[6] et même les rues : « Des sociétés privées propriétaires des rues en feraient payer l’accès et auraient intérêt à en garantir la bonne tenue. Si toutes les voies publiques des grandes villes étaient privatisées, la sécurité serait bien mieux assurée ». « La société libertaire, concèdent-ils, serait un peu désordonnée, mais moins dangereuse que le monde actuel, régulé par les gouvernements ». « Dans la société libertarienne, chacun est propriétaire de lui-même et vit comme il l’entend : la drogue, le jeu, la prostitution sont donc des affaires purement personnelles. Naturellement, rien ne peut s’opposer à l’immigration régulée par le marché, pas par la police »[7]

Et les pauvres ? « Dans une société libertarienne, répondent-ils, la croissance économique serait rapide, car l’État ne la freinerait plus par ses prélèvements et ses réglementation : il y aurait donc beaucoup moins de pauvres. Et la charité serait réhabilitée. Dans le système actuel, face à la misère, notre réaction est de dire : « Que l’État s’en occupe ! » Dans la société libertaire, les sentiments de solidarité et d’entraide communautaire renaîtraient. »

L’homme est donc bon et c’est donc l’État qui le corrompt⁠[8].

H. Lepage, grand vulgaristeur et partisan du libéralisme, parle ici, à juste titre, d’ »utopie »[9] mais il n’empêche que les esprits qui la nourrissent, enseignent dans les universités…​


1. In L’action humaine, 1985, p. 29, cité par LEPAGE H., Demain le capitalisme, op. cit., p. 253.
2. Cf. La morale du capitaliste heureux de F. von Hayek, http://membres.lycos.fr/ideologues/Hayek.htlm.
3. FRIEDMAN David, The Machinery of Freedom, cité in LEPAGE H., op. cit., pp. 318-319.
4. Cf. HOPPE Hans-Hermann (université de Las Vegas), L’analyse de classe marxiste et celle des Autrichiens (disponible sur www.lemennicer.com). Ce n’est pas le communisme qui mènera au dépérissement de l’État : « Bien au contraire, le dépérissement de l’État, et avec lui la fin de l’exploitation et le début de la liberté ainsi que d’une prospérité économique inouïe, impliquent l’avènement d’une société de pure propriété privée sans autre régulation que celle du droit privé ».
5. C’est le cas de Murray Rothbard, interviewé par SORMAN G., op. cit., pp. 254-261.
6. Les services de police pourraient être rendus par les compagnies d’assurances (id. p. 256).
7. A propos d’immigration, P. Salin déclare que « L’étatisation du territoire a (…) une double conséquence : non seulement elle crée une incitation à immigrer qui, sinon, n’existerait pas, mais cette incitation joue uniquement pour les moins productifs, ceux qui reçoivent plus qu’ils ne fournissent, alors qu’elle décourage les immigrants productifs, ceux qui paieraient plus d’impôts qu’ils ne recevraient en biens publics. Comme toute politique publique elle crée donc un effet -boomerang. En effet, elle fait naître des sentiments de frustration de la part de ceux qui supportent les transferts au profit des immigrés et elle est donc à l’origine de réactions de rejet : le racisme vient de ce que l’État impose aux citoyens non pas les étrangers qu’ils voudraient, mais ceux qui obtiennent arbitrairement le droit de vivre à leurs dépens. (…​) Aucun compromis ne pourra jamais être trouvé entre les tenants de la préférence nationale et les chantres de la lutte contre le racisme. Seul en est enrichi le fonds de commerce des politiciens et des animateurs de télévision populaires qui trouvent ainsi matière à d’inépuisables débats. (…) L’unique solution, conforme aux principes d’une société libre, consisterait évidemment à reconnaître la liberté d’immigration, à supprimer les encouragements indirects à l’immigration, que provoque la « politique sociale » et à rendre aux individus la liberté de leurs sentiments et de leurs actes. »(Libéralisme, op. cit., pp. 236-242).
8. Rappelons-le une fois encore : tous ne vont pas si loin. Ainsi, pour H. Lepage, (Demain le capitalisme, op. cit., pp. 176-177), il faut sortir d’une « vision manichéenne » qui oppose le marché « vertueux » à l’État « vicieux » ; il faut « réintroduire un peu de bon sens et ne choisir l’État que lorsqu’il est prouvé ou évident que la solution du marché est réellement plus coûteuse que la solution de l’intervention publique ».
9. Op. cit., p. 318.