La doctrine de saint Thomas sur les rapports entre loi éternelle, loi
naturelle et loi humaine n’a pas cessé de fournir son ossature à la
réflexion de l’Église.
Tout d’abord, celle-ci, à la suite d’Aristote et de saint Thomas, a
clairement établi que le souci majeur des chrétiens engagé en politique
devait être non le type de régime mais la nature de la loi.
Ainsi Léon XIII rappelle aux catholiques français qui rechignent devant
la république, que le vrai terrain du combat politique est la loi:
« Voilà précisément le terrain sur lequel, tout dissentiment politique
mis à part, les gens de bien doivent s’unir comme un seul homme, pour
combattre, par tous les moyens légaux et honnêtes, ces abus progressifs
de la législation. Le respect que l’on doit aux pouvoirs constitués ne
saurait l’interdire : il ne peut importer, ni le respect, ni beaucoup
moins l’obéissance sans limites à toute mesure législative quelconque,
édictée par ces mêmes pouvoirs. Que l’on ne l’oublie pas, la loi est une
prescription ordonnée selon la raison et promulguée, pour le bien de la
communauté, par ceux qui ont reçu à cette fin le dépôt du
pouvoir ».
Et tout près de nous, la Catéchisme déclare : « Il est préférable que
tout pouvoir soit équilibré par d’autres pouvoirs et par d’autres
compétences qui le maintiennent dans de justes limites. C’est là le
principe de l’État de droit » dans lequel la souveraineté appartient à la
loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes ».
A propos de la loi, maintenant, le Catéchisme reprend très exactement
les termes de saint Thomas : « La législation humaine ne revêt le
caractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à la juste raison ; d’où
il apparaît qu’elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure
où elle s’écarterait de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car
elle ne vérifierait pas la notion de loi ; elle serait plutôt une forme
de violence ».
Dans sa description de la loi naturelle, le
Catéchisme s’appuie sur Gaudium et Spes
, et Léon XIII garantissant ainsi la
pérennité de la doctrine mais cite saint Thomas et puise, dans ses
sources, des textes de saint Augustin et de Cicéron. Si la loi
naturelle est universelle, son application, comme saint Thomas l’a
montré, varie beaucoup : « elle peut requérir une réflexion adaptée à la
multiplicité des conditions de vie, selon les lieux, selon les époques,
et les circonstances. Néanmoins, dans la diversité des cultures, la loi
naturelle demeure comme une règle reliant entre eux les hommes et leur
imposant, au-delà des différences inévitables, des principes communs ».
Elle est immuable et permanente : « elle subsiste sous le flux des idées
et des mœurs et en soutient le progrès. Les règles qui l’expriment
demeurent substantiellement valables. Même si l’on renie jusqu’à ses
principes, on ne peut pas la détruire ni l’enlever du cœur de l’homme.
Toujours elle resurgit dans la vie des individus et des
sociétés ».
La loi naturelle sert de fondement aux règles morales, « pose aussi la
base morale indispensable pour l’édification de la communauté des
hommes. Elle procure enfin la base nécessaire à la loi civile qui se
rattache à elle, soit par une réflexion qui tire les conclusions de ses
principes, soit par les additions de nature positive et juridique ». Il
faut éviter toutefois de confondre morale et droit. Certes, ils ne sont
pas radicalement séparables car, écrit un moraliste, « comme le droit a
pour visée cet ordre juste des relations humaines qui est, du point de
vue philosophique, l’objet de la vertu morale de justice, il est clair
que, dans cette mesure, l’ordre juridique s’intègre dans l’ordre moral,
dès lors qu’il contribue à préciser la rectitude d’un certain type de
comportements (le rapport à l’État, la pratique du commerce, l’emploi
d’ouvriers, l’acquisition d’un véhicule, l’exercice d’une profession,
etc.).(…) Véhiculant certaines valeurs morales et précisant certains
aspects de leur incarnation historique, le droit positif n’est donc pas
séparable de l’ordre moral, lequel, inversement, a besoin de l’ordre
juridique afin de pénétrer efficacement les mœurs humaines
effectives ». Ceci dit, il est clair aussi que les deux ordres ne
coïncident pas. L’obligation légale, en fait, « ne doit porter que sur
les normes morales les plus indispensables à la vie en société ». La
morale perdrait de son côté son sens si toutes ses dispositions étaient
sanctionnées juridiquement. Où serait la liberté ? Il faut donc trouver
un équilibre pour que « le droit positif aide l’exigence morale à se
réaliser concrètement, mais avec la discrétion et la réserve suffisantes
pour que la vie morale demeure, substantiellement, le fruit d’un
engagement libre. « Non seulement, le domaine
du droit positif est plus restreint que celui de la morale puisqu’il
s’intéresse à la justice c’est-à-dire à la situation de l’homme en
société, mais, de plus, droit positif et morale « abordent
l’agir humain sous des angles différents » : « le premier s’occupe
« plutôt » du for externe du comportement et la seconde « plutôt » du for
interne de la conscience ». Il s’agit, bien sûr, « d’une priorité et non
d’une exclusive ».
Il faudrait encore préciser que le droit naturel »occupe une position
médiane entre l’ordre moral et l’ordre politique ». Le droit naturel est
« l’aspect explicitement social (…) de la loi naturelle » et le
« droit positif bien compris, prolonge et incarne les exigences du droit
naturel ».
Mais revenons au Catéchisme qui, pour terminer, fait remarquer, et
ceci est très important, que « les préceptes de la loi naturelle ne
sont pas perçus par tous d’une manière claire et immédiate. Dans la
situation actuelle, la grâce et la révélation sont nécessaires à l’homme
pécheur pour que les vérités religieuses et morales puissent être
connues « de tous et sans difficulté, avec une ferme certitude et sans
mélange d’erreur ». La loi
naturelle procure à la loi révélée et à la grâce une assise préparée par
Dieu et accordée à l’œuvre de l’Esprit ».
La loi naturelle, donc, est constituée d’orientations générales dont le
contenu se précisera suivant les situations historiques variées et
changeantes, mais elle contient aussi des normes morales précises,
immuables et inconditionnées. Elle est, rappelons-le aussi, le « le
fondement sur lequel repose la doctrine sociale de
l’Église »
La personne humaine étant le principe, le sujet et la fin de toutes
les institutions sociales, la société doit protéger les valeurs humaines
fondamentales d’autant plus que le droit et la morale ne se confondent
pas.
Quant aux lois de la société, elles ne sont pas une fin en soi : elles
sont au service de l’homme et de la communauté dans laquelle il vit. A
travers les divers systèmes juridiques positifs, elles s’efforcent donc
de se perfectionner en respectant toujours mieux les normes inscrites
dans la nature humaine.
Ce rapprochement constant des lois positives et de la loi naturelle est
source de bienfaits.
Tout d’abord, il garantit seul la vie d’une société qui respecte l’homme
intégral, le défende et le protège au-delà de la pluralité des
croyances, des idéologies et des philosophies. Sans référence à la loi
naturelle, les communautés, organismes, états, cités, activités diverses
s’écroulent ou se déshumanisent. Le mépris des valeurs humaines
fondamentales sape l’ordre social et menace l’homme lui-même au plus
profond de sa dignité.
Il garantit, ensuite, par la fidélité à la vérité sur l’homme et aux
exigences morales qui en découlent, une unité fondamentale. Celle-ci
passe avant tout pluralisme et, seule, permet au pluralisme d’être non
seulement légitime mais aussi souhaitable et fécond.
Enfin, il accroît la communicabilité entre les différents systèmes à
travers le monde et offre les bases d’une civilisation universelle.
La relation nécessaire de la loi positive à une loi qui la dépasse, la
mesure et l’ordonne à la raison divine, se trouve dans tout
l’enseignement des pontifes contemporains.
Dans son célèbre Radio-message de Noël 1944, Pie XII écrit : « L’ordre
absolu des vivants et la fin même de l’homme - de l’homme libre, sujet
de devoirs et de droits inviolables, de l’homme origine et fin de la
société - regardent aussi la cité comme communauté nécessaire et dotée
de l’autorité ; sans celle-ci pas d’existence, pas de vie pour le
groupe… Suivant la droite raison et surtout la foi chrétienne, cet
ordre de toute chose ne peut avoir d’autre origine qu’en Dieu, être
personnel et notre Créateur à tous ; par conséquent les pouvoirs publics
reçoivent leur dignité de ce qu’ils participent d’une certaine façon à
l’autorité de Dieu lui-même ».
Ce thème est omniprésent dans Pacem in terris où Jean XXIII le
rappelle à plusieurs reprises : « Pourtant le Créateur du monde a inscrit
l’ordre au plus intime des hommes : ordre que la conscience leur révèle
et leur enjoint de respecter : « Ils montrent gravé dans leur cœur le
contenu même de la Loi, tandis que leur conscience y ajoute son
témoignage » (Rm 2, 15). Comment n’en irait-il pas ainsi, puisque toutes
les œuvres de Dieu reflètent son infinie sagesse, et la reflètent
d’autant plus clairement qu’elles sont plus élevées dans l’échelle des
êtres (cf. Ps 18, 8-11) ».
« Dans la vie en société, tout droit conféré à une personne par la
nature crée chez les autres un devoir, celui de reconnaître et de
respecter ce droit. Tout droit essentiel de l’homme emprunte en effet sa
force impérative à la loi naturelle qui le donne et qui impose
l’obligation correspondante. Ceux qui, dans la revendication de leurs
droits, oublient leurs devoirs ou ne les remplissent qu’imparfaitement
risquent de démolir d’une main ce qu’ils construisent de
l’autre ».
« Il ne faut pas penser pour autant que l’autorité soit libre de toute
sujétion ; au contraire, comme elle procède de la faculté de commander
selon la raison droite, c’est à juste titre que l’on considère qu’elle
tire sa force d’obligation de l’ordre des mœurs, lequel à son tour a
Dieu pour principe et fin.«
« Puisque la faculté de commander est exigée par l’ordre des choses
incorporelles et émane de Dieu, s’il arrive aux dirigeants de la chose
publique d’édicter des lois ou de prescrire quelque chose contre ce même
ordre, et par conséquent contre la volonté de Dieu, alors ni ces lois ni
ces autorisations ne peuvent obliger les consciences des citoyens ; car
« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29) » ; bien plus, en
pareil cas, l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression ;
selon l’enseignement de saint Thomas d’Aquin : « La loi humaine n’a raison
de loi qu’autant qu’elle se conforme à la raison droite ; et à ce titre
il est manifeste qu’elle dérive de la loi éternelle. Mais dans la mesure
où elle s’écarte de la raison, elle est déclarée une loi inique, et dès
lors n’a plus raison de loi, mais est plutôt une forme de
violence » (I-II, 93, 3, ad 2) ».
Dans tous les dossiers délicats de l’heure, l’Église ne cessera de
rappeler que la loi n’est pas le pur et simple produit de la volonté
humaine mais qu’elle doit tenir compte de valeurs, de droits, de
principes qui échappent au caprice humain.
Ainsi, parlant de la démocratie, nous l’avons vu, Jean-Paul II déclare
sans ambages qu’« il ne peut y avoir de vraie démocratie si l’on ne
reconnaît pas la dignité de toute personne et si l’on ne respecte pas
les droits. » Le prince
moderne ressemble à Ponce Pilate, le sceptique, qui demande « qu’est-ce
que la vérité ?… » et s’en remet à la foule. C’est ainsi que naît un système totalitaire : « Le totalitarisme
naît de la négation de la vérité au sens objectif du terme : s’il
n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle
l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe
aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes.
Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent
inévitablement les uns aux autres. Si la vérité transcendante n’est pas
reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser
jusqu’au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses
intérêts ou ses opinions, sans considération pour les droits des
autres… Il faut donc situer la racine du totalitarisme moderne dans la
négation de la dignité transcendante de la personne humaine, image
visible du Dieu invisible et, précisément pour cela, de par sa nature
même, sujet de droits que personne ne peut violer, ni l’individu, ni le
groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État. la majorité d’un corps
social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité
pour la marginaliser, l’opprimer, l’exploiter, ou pour tenter de
l’anéantir ». Ces lignes de Jean-Paul II
pourraient servir de commentaire à l’aventure d’Antigone…
Et le Saint Père insiste : « Dans de nombreux pays, après la chute des
idéologies qui liaient la politique à une conception totalitaire du
monde - la première d’entre elles étant le marxisme -, un risque non
moins grave apparaît aujourd’hui à cause de la négation des droits
fondamentaux de la personne humaine et à cause de l’absorption dans le
cadre politique de l’aspiration religieuse qui réside dans le cœur de
tout être humain: c’est le risque de l’alliance entre la démocratie et
le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute
référence morale sure et la prive, plus radicalement, de l’acceptation
de la vérité. »
« L’Église apprécie le système démocratique, comme système qui assure la
participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux
gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants,
ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s’avère opportun.
Cependant, l’Église ne peut approuver la constitution de groupes
dirigeants restreints qui usurpent le pouvoir de l’État au profit de
leurs intérêts particuliers ou à des fins idéologiques.
Une démocratie authentique n’est possible que dans un État de droit et
sur la base d’une conception correcte de la personne humaine. Elle
requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des
personnes, par l’éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi
l’épanouissement de la « personnalité » de la société, par la création de
structures de participation et de coresponsabilité. On tend à affirmer
aujourd’hui que l’agnosticisme et le relativisme sceptique représentent
la philosophie et l’attitude fondamentale accordées aux formes
démocratiques de la vie politique… A ce propos, il faut observer que,
s’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action
politique, les idées et les convictions peuvent être exploitées au
profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement
en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre
l’histoire. »
A propos des contrats de vie commune, le cardinal Tettamanzi dénoncera
le piège du pragmatisme : « Trop souvent, les états modernes recherchent
à travers alliances et coalitions de forces politiques diverses un
certain équilibre où chaque partie puisse, dans une certaine mesure, se
retrouver. Ce souci pragmatique s’exprime au détriment de principes
fondamentaux. On peut affirmer que bien des maux actuels dérivent de ce
pragmatisme. Les états manquent de projets clairvoyants et solides dans
la mesure où de tels projets supposent une réflexion sur les valeurs.
Nos contemporains y sont indifférents ou relativisent toute notion de
valeur au nom de la liberté et de la démocratie ». Il y a certes une
distinction entre loi morale et loi civile mais « la distinction n’est
pas synonyme de séparation, et encore moins de contradiction. (…) La
loi est légitime si elle n’est pas en contradiction avec la loi
naturelle. La loi doit prendre acte de certaines situations existant
dans la société. Elle doit être même tolérante mais elle ne peut se
limiter à enregistrer les situations, à les accepter, à les légaliser.
La compréhension n’implique pas nécessairement la justification. La loi
a une tâche éducative, pédagogique, une tâche de promotion
morale ».
A propos de la loi dépénalisant l’avortement, les évêques belges
déclareront : « …on avance qu’une bonne démocratie doit limiter au
maximum les interventions de l’autorité publique dans la vie privée des
citoyens. elle doit promouvoir la liberté des personnes et non pas s’y
substituer. C’est à cet impératif que répondrait la nouvelle loi. Mais
l’exercice de la liberté des personnes privées trouve sa limite dans les
droits fondamentaux des autres, en premier lieu dans leur droit à la
vie. L’acte d’un individu ne peut supprimer volontairement la vie d’un
autre. Une démocratie authentique doit fermement protéger le droit à
l’existence de chacun »
Plus radicalement, Jean-Paul II rappelle que « …tuer directement et
volontairement un être humain innocent est toujours gravement immoral.
Cette doctrine, fondée sur la loi non écrite que tout homme découvre
dans son cœur à la lumière de la raison (cf. Rm 2, 14-15), est
réaffirmée par la Sainte Écriture, transmise par la Tradition de
l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et
universel ».
Réfléchissant à « la manière dont l’État organise par des lois la vie
publique », le cardinal Danneels s’inquiète du « fossé grandissant »
entre la pratique législative actuelle de l’État et « les convictions
privées des citoyens.(…)
Seul un consensus de base sur les grands principes de la morale et sur
un code de valeurs essentielles peut fournir ici la solution ».
Les chrétiens se trouvent donc en porte-à-faux avec la manière dont la
loi est conçue aujourd’hui dans une optique agnostique et sceptique. Le
divorce est tel, comme le faisait remarquer Jean-Paul II, « que ceux qui
sont convaincus de connaître la vérité et qui lui donnent une ferme
adhésion ne sont pas dignes de confiance du point de vue démocratique,
parce qu’ils n’acceptent pas que la vérité soit déterminée par la
majorité, ou bien qu’elle diffère selon les divers équilibres
politiques ».
Aujourd’hui, contrairement à ce que les philosophes anciens, païens ou
chrétiens, ont établi, la loi se veut strictement positive sans
référence à la loi naturelle telle qu’elle a été définie.
Histoire d’une rupture
Chez Platon comme chez Aristote, la pensée politique est dominée par
l’idée de fin. Chaque être est appelée par nature à la réalisation
d’une fin qui lui est propre. L’homme est appelé par nature à devenir ce
qu’il est, c’est-à-dire toujours plus homme. C’est en cela que consiste
la vertu : accomplir sa propre nature. Dès lors, le bon régime est celui
qui permet à l’homme de devenir vertueux, d’accomplir sa nature.
Saint Thomas reprend cette idée mais la corrige. Vu le poids du péché
originel, la nature ne peut parvenir par elle-même à l’achèvement de sa
fin. Elle a besoin de la grâce. d’autre part, tandis que chez Platon
comme chez Aristote, malheureusement, tous les hommes n’ont pas la même
finalité essentielle et que tous ne peuvent être des citoyens à part
entière, saint Thomas insiste sur le fait que l’homme, quel qu’il soit,
n’atteint son bien qu’en communauté. Le rôle de la loi est donc
d’ajuster les actions individuelles au bien commun.
Malgré les différences signalées, la réflexion des trois penseurs, comme
celle des stoïciens, est dominée par cette idée de bien à réaliser. Un
bien que la raison peut objectivement définir, un bien d’ordre moral qui
mesure la loi positive.
Cet édifice lentement mûri à travers les siècles, va subir divers
assauts.
La contestation de la loi naturelle
Par le nominalisme
Très tôt, la conception thomiste sera combattue par Dun Scot puis par Guillaume d’Ockham. Le
premier, par exemple, considérera que, dans les 10 « commandements »,
seuls les trois premiers sont de loi naturelle, les autres étant
contingents.
Par le scepticisme
Au 16e siècle, Montaigne défendra l’idée que « …notre devoir n’a
d’autre règle que fortuite (…). La vérité doit avoir un visage
pareil et universel. (…) Il n’est rien sujet à plus continuelle
agitation que les lois. (…)
Que nous dira donc en cette nécessité la philosophie ? Que nous
suivions les lois de notre pays ? c’est-à-dire cette mer flottante des opinions d’un peuple ou
d’un prince qui me peindront la justice d’autant de couleurs et la
réformeront en autant de visages qu’il y aura en eux de changements de
passion ? (…)
Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui
se tient au-delà ?
Mais ils sont plaisants quand, pour donner quelque certitude aux lois,
ils disent qu’il y en a certaines fermes, perpétuelles et immuables,
qu’ils nomment naturelles, qui sont empreintes dans l’humain genre par
la condition de leur propre essence. Et de celles-là, qui en fait le
nombre de trois, qui de quatre, qui plus, qui moins : signe que c’est une
marque aussi douteuse que le reste. Or ils sont si infortunés (car
comment puis-je nommer autrement cela qu’infortune, que d’un nombre de
lois si infini il ne s’en trouve pas au moins une que la fortune et le
hasard du sort ait permis être universellement reçue par le consentement
de toutes les nations ?), ils sont, dis-je, si misérables que de ces
trois ou quatre lois choisie il n’y en a une seule qui ne soit
contredite et désavouée, non par une nation mais par plusieurs. Or c’est
le seul signe vraisemblable, par lequel ils puissent prouver quelques
lois naturelles, que l’universalité de l’approbation. Car ce que nature
nous aurait véritablement ordonné nous l’ensuivrions sans doute d’un
commun consentement. Et non seulement toute nation, mais tout homme
particulier, ressentirait la force et la violence que lui ferait celui
qui le voudrait pousser au contraire de cette loi.(…)
Le meurtre des enfants, meurtre des pères, trafic de voleries, licence
à toutes sortes de voluptés, il n’est rien en somme si extrême qui ne se
trouve reçu par l’usage de quelque nation.
Il est croyable qu’il y a des lois naturelles, comme il se voit chez
les autres créatures ; mais en nous elles sont perdues, cette belle
raison humaine s’ingérant partout de maîtriser et commander, brouillant
et confondant le visage des choses selon sa vanité et
inconstance. »
A sa suite, au XVIIe siècle, Pascal écrira, copiant
parfois son modèle : « …Sur quoi fondera-t-il l’économie du monde qu’il
veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de quelque particulier ? Quelle
confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore.
Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime,
la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes : que chacun
suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait
assujetti tous les peuples, et les législateurs n’auraient pas pris pour
modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les
caprices des Perses et des Allemands. On la verrait plantée par tous les
États du monde et dans tous les temps ; au lieu qu’on ne voit rien de
juste ou d’injuste qui ne change de qualité, en changeant de climat.
Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un
méridien décide de la vérité. En peu d’années de possession, les lois
fondamentales changent ; le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au
Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une
rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà.
Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, mais qu’elle
réside dans les lois naturelles, communes en tout pays. Certainement ils
le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les
lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais
la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien
diversifié qu’il n’y en a point. Le larcin, l’inceste, le meurtre des
enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses.
Se peut-il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce
qu’il demeure au delà de l’eau, et que son prince a querelle contre le
mien, quoique je n’en aie aucune contre lui ?
Il y a sans doute des lois naturelles ; mais cette belle raison
corrompue a tout corrompu (…). »
La contestation du bien comme fin de la politique
Pour Machiavel, il n’y a plus
de science politique dans la mesure où il n’y a plus de règles générales
mais des faits particuliers qui nous obligent sans cesse à inventer et à
nous adapter. L’action doit réussir indépendamment d’un bien en soi.
Tout n’est plus qu’une qustion de moyens à trouver ou à choisir pour la
réussite de l’entreprise.
La politique rompt avec la morale. Seul compte l’intérêt de l’État qui
se confond avec la personne du Prince.
Il n’est pas inutile de relire quelques extraits du célèbre chapitre
XVIII du Prince qui illustre parfaitement le changement radical de
perspective:
« Chacun entend assez qu’il est fort louable à un prince de maintenir
sa foi et vivre en intégrité, non pas avec des ruses et
tromperies. Néanmoins on voit par expérience de notre temps que ces
princes se sont faits grands qui n’ont pas tenu grand compte de leur
foi, et qui ont su par ruse circonvenir l’esprit des hommes, et à la fin
ils ont surpassé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.
Il faut donc savoir qu’il y a deux manières de combattre, l’une par les
lois, l’autre par la force : la première sorte est propre aux hommes, la
seconde propre aux bêtes ; mais comme la première bien souvent ne suffit
pas, il faut recourir à la seconde. Ce pourquoi est nécessaire au prince
de savoir bien pratiquer la bête et l’homme. (…) Il faut qu’un
prince sache user de l’une ou l’autre nature, et que l’une sans l’autre
n’est pas durable. Puis donc qu’un prince doit savoir bien user de la
bête, il en doit choisir le renard et le lion ; (…) renard pour
connaître les filets, et lion pour faire peur aux loups. Ceux qui
simplement veulent faire les lions, ils n’y entendent rien. Partant le
sage seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à
rebours, et que les causes qui l’ont induit à promesse soient éteintes.
d’autant que si les hommes étaient tous gens de bien, mon précepte
serait nul, mais comme ils sont méchants et qu’ils ne te la garderaient
pas, toi non plus tu n’as pas à la leur garder. Et jamais n’a eu défaut
d’excuses légitimes pour colorer son manque de foi ; et s’en pourraient
alléguer infinis exemples du temps présent, montrant combien de paix,
combien de promesses ont été faites en vain et mises à néant par
l’infidélité des princes, et qu’à celui qui a mieux su faire le renard,
ses affaires vont mieux. Mais il est besoin de savoir bien colorer cette
nature, bien feindre et déguiser ; et les hommes sont tant simples et
obéissent tant aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera
toujours quelqu’un qui se laissera tromper.
(…) Il n’est (…) pas nécessaire à un prince d’avoir toutes les
qualités dessus nommées, mais bien il faut qu’il paraisse les avoir. Et
même, j’oserai bien dire que, s’il les a et qu’il les observe toujours,
elles lui portent dommage ; mais faisant beau semblant de les avoir,
alors elles sont profitables ; comme de sembler être pitoyable, fidèle,
humain, intègre, religieux ; et de l’être, mais arrêtant alors ton esprit
à cela que, s’il faut ne l’être point, tu puisses et saches user du
contraire. Et il faut aussi noter qu’un prince, surtout quand il est
nouveau, il ne peut bonnement observer toutes ces conditions par
lesquelles on est estimé homme de bien ; car il est souvent contraint,
pour maintenir ses États, d’agir contre sa parole, contre la charité,
contre l’humanité, contre la religion. Ce pourquoi il faut qu’il ait
l’entendement prêt à tourner selon que les vents de fortune et
variations des choses lui commandent, et, comme j’ai déjà dit, ne
s’éloigner pas du bien, s’il peut, mais savoir entrer au mal, s’il y a
nécessité.
Le prince doit donc soigneusement prendre garde que jamais ne lui sorte
de la bouche propos qui ne soit plein des cinq qualités que j’ai dessus
nommées, et sembler, à qui l’oit et voit, toute miséricorde, toute
fidélité, toute intégrité, toute religion. Et n’y a chose plus
nécessaire que de sembler posséder cette dernière qualité. Les hommes,
en général, jugent plutôt aux yeux qu’aux mains, car chacun peut voir
facilement, mais sentir, bien peu. Tout le monde voit bien ce que tu
sembles, mais bien peu ont le sentiment de ce que tu es ; et ces peu-là
n’osent contredire à l’opinion du grand nombre, qui ont de leur côté la
majesté de l’État qui les soutient ; et pour les actions de tous les
hommes et spécialement des princes (car là on n’en peut appeler à autre
juge), on regarde quel a été le succès. qu’un prince donc se propose
pour son but de vaincre, et de maintenir l’État : les moyens seront
toujours estimés honorables et loués de chacun ; car le vulgaire ne juge
que de ce qu’il voit et de ce qui advient ; or, en ce monde il n’y a que
le vulgaire ; et le petit nombre ne compte point, quand le grand nombre a
de quoi s’appuyer ».
Machiavel sait ce qu’est le bien et le mal. Mais le souci de
l’efficacité le conduit à conseiller de les utiliser indifféremment en
fonction seulement du but à atteindre. Et pour la simple raison que
cette pratique existe et que les hommes sont « méchants ». Qui plus est,
il recommande d’utiliser uniquement le bien en « image », pour le paraître
dans la mesure où la plupart ne jugent que sur les apparences et sur les
résultats. Cette page cynique mais lucide de Machiavel semble bien
expliquer pourquoi tant de politiciens corrompus gardent les faveurs
d’un public qui ne retient que la bonhomie manifestée et les services
rendus.
La référence à une autre « nature »
Hobbes
Il est impératif d’évoquer une fois de plus la pensée de Thomas
Hobbes qui, dans son célèbre
Léviathan va,
selon les meilleurs spécialistes, jeter
les bases de la « modernité » politique.,
Hobbes décrit l’homme dans l’ »état de nature » qui est une sorte d’état
primitif avant toute organisation sociale.
La nature a fait les hommes égaux dans leurs aptitudes et dans leurs
désirs. Désirant la même chose, ils deviennent ennemis. Se méfiant les
uns des autres, ils se font la guerre, préoccupés de préserver leur vie
et, pour cela, d’étendre leur pouvoir. Dans cette guerre de tous contre
tous, il n’y a pas d’injustice puisqu’il n’y a pas de loi. En effet,
« aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas
entendus sur la personne qui doit la faire ».
La nature a doté l’homme d’un droit, « droit de nature, que les auteurs
appellent généralement jus naturale ». C’est « la liberté qu’a chacun
d’user, comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de
sa propre nature, autrement dit de sa propre vie et, en conséquence de
faire tout ce qu’il considérera, selon son jugement et sa raison
propres, comme le moyen le mieux adapté à cette fin. » Pour atteindre la paix et vivre en sécurité, il faut que les
hommes se dessaisissent mutuellement de leur droit en l’abandonnant, par
contrat, à un « Léviathan » qui est l’instance suprême
rassemblant tous les pouvoirs cédés qu’il exercera rationnellement pour
maintenir la paix.
Cette recherche de paix et ce dessaisissement mutuel sont deux « lois de
nature » dont « découle une troisième qui est celle-ci : que les hommes
s’acquittent de leurs conventions, une fois qu’ils les ont passées. Sans
quoi les conventions sont sans valeur, et ne sont que paroles vides ; et
le droit de tous sur toutes choses subsistant, on est encore dans l’état
de guerre.
Et c’est en cette loi de nature que consiste la source de la justice.
Car là où nulle convention n’est intervenue antérieurement, aucun droit
n’a été transmis, et chacun a un droit sur toute chose. En conséquence,
aucun ne peut être injuste. Mais quand une convention est faite, alors
il est injuste de l’enfreindre. Car la définition de l’injustice n’est
rien d’autre que la non-exécution des conventions. Est juste tout ce qui
n’est pas injuste ».
Tout ce qui précède se résume bien dans ce texte où Hobbes décrit la
génération de la République telle qu’il la souhaite:
« La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les
gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire
les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur
industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et
vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir, et toute leur
force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire
toutes leurs volontés, par règle de la majorité, en une seule volonté.
Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer
leur personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme
l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui
concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur
personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son
jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée.
Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s’agit d’une unité
réelle de tous en une seule personne, unité réalisée par une convention
de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun
disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui
abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu
lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la
même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne
est appelée une République, en latin Civitas. Telle est la génération de
ce grand Léviathan, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de
ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et
notre protection. Car en vertu de cette autorité qu’il a reçue de chaque
individu de la République, l’emploi lui est conféré d’un tel pouvoir et
d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui permet de modeler
les volontés de tous, en vue de la paix à l’intérieur et de l’aide
mutuelle contre les ennemis de l’extérieur. En lui réside l’essence de
la République, qui se définit : une personne unique telle qu’une grande
multitude d’hommes se sont faits, chacun d’entre eux, par des
conventions mutuelles qu’ils ont passées l’un avec l’autre, l’auteur de
ses actions, afin qu’elle use de la force et des ressources de tous,
comme elle le jugera expédient, en vue de leur paix et de leur commune
défense.
Le dépositaire de cette personnalité est appelé Souverain, et l’on dit
qu’il possède le pouvoir souverain ; tout autre homme est son
sujet ».
Ce Souverain, Hobbes le présentera aussi comme le Représentant puisque
chacun doit se retrouver en lui. Inutile de dire que ce Souverain ainsi
défini, ne peut être ni déchu, ni contesté.
Comme Bossuet cherchait dans les Écritures des arguments pour justifier
la monarchie absolue française, Hobbes va longuement et minutieusement
scruter aussi les textes sacrés pour conforter son point de vue. On ne
sera pas étonné d’apprendre que Dieu lui apparaît essentiellement sous
l’aspect de sa puissance : « c’est en vertu de cette puissance qu’il
appartient naturellement au Dieu tout-puissant d’exercer la royauté sur
les hommes, et le droit de les affliger à son gré ; non comme créateur et
dispensateur de faveurs, mais comme tout-puissant ». Considérant, par ailleurs,
que Dieu a fait un pacte avec Abraham puis avec Moïse, il affirmera que
le « royaume de Dieu est un royaume civil », la souveraineté de Dieu étant instituée par un pacte (les lois
apportée du Sinaï par Moïse) sur un peuple particulier. Disparaît ainsi
la différence entre royaume temporel et royaume spirituel. Disparaît
aussi l’idée d’une église universelle : « il n’est pas sur terre d’église
universelle, à laquelle tous les chrétiens soient tenus d’obéir : en
effet, il n’est pas de pouvoir sur terre auquel toutes les autres
Républiques soient assujetties ?. Il y a des Chrétiens dans les empires
des différents princes et États ; mais chacun d’entre eux est assujetti à
la république dont il est lui-même membre, et, par conséquent, une
église, j’entends une église ayant pouvoir d’ordonner, de juger,
d’absoudre, de condamner, ou d’accomplir toute autre action, ne diffère
en rien d’une République civile constituée de Chrétiens ; on l’appelle
état civil, en considération que ses sujets sont des hommes , et église,
en considération de ce que ce sont des Chrétiens. Gouvernement temporel
et gouvernement spirituel, ce sont là deux mots qu’on a introduits dans
le monde afin que les hommes voient double et se méprennent sur leur
souverain légitime. Sans doute, les corps des fidèles, après la
résurrection, seront non seulement spirituels, mais éternels ; mais dans
cette vie ils sont grossiers et corruptibles. En conséquence il n’y a
pas d’autre gouvernement en cette vie, ni de l’État, ni de la religion,
qui ne soient temporels ; ni d’enseignement d’une doctrine quelconque
auquel il soit légitime, pour un sujet de s’adonner, sui celui qui
gouverne en même temps l’État et la religion l’a interdit. Et ce
gouverneur doit être unique : autrement il s’ensuivra nécessairement des
factions et la guerre civile dans la République entre l’église et
l’État ; entre les spiritualistes et les temporalistes, entre le glaive
de la justice et le bouclier de la foi, et, qui plus est, dans le cœur
de tout homme chrétien, entre le Chrétien et l’homme. »
Le souverain civil est le « pasteur suprême » et c’est de lui « que
découle le droit de tous les autres pasteurs d’enseigner, prêcher, et,
en général, d’exercer toutes les activités qui relèvent de cette
fonction ; et (…) ils ne sont que ses ministres, de même que les
magistrats municipaux, les juges des cours de justice et le commandant
des armées ne sont que les ministres de celui qui est le magistrat de
toute la République, le juge de toutes les causes, et le chef de toutes
les forces armées ; et celui-là c’est toujours le souverain
civil ». « Par cette indivisibilité du
droit politique et ecclésiastique chez les souverains chrétiens, il est
évident qu’ils ont sur leurs sujets toute espèce de pouvoir qui peut
être donné à l’homme pour le gouvernement des actions extérieures des
hommes, tant en politique qu’en religion, et qu’il leur est loisible de
faire les lois qu’ils jugeront eux-mêmes les plus appropriées pour le
gouvernement de leurs propres sujets, car ceux-ci sont à la fois la
république et l’Église : en effet, l’État et l’Église sont composés des
mêmes hommes. (…) Ceux qui sont les représentants du peuple chrétien
sont les représentants de l’Église : car une Église et la République d’un
peuple chrétien, c’est tout un ».
On ne peut plus fermement établir la puissance totale du souverain ni la
nécessité de l’obéissance.
La lecture biblique de Hobbes est politique et polémique dans la mesure
où elle est, on ne s’en étonnera pas, une mise en question de l’Église
romaine. Et toute sa pensée est un renversement est total par rapport à
la pensée gréco-chrétienne.
La nature ne désigne plus l’achèvement de l’homme, ce qui doit être mais
désigne ce qu’il y a en lui de primitif, de sauvage.
Chez Aristote et saint Thomas, par nature, l’homme est un être social et
recherche un bien. En politique, il s’agira de réaliser le bien commun
et tous les hommes participant à la même nature, sont capables, en
principe, d’accéder à la gestion de la Cité.
Chez Hobbes, les hommes sont des individus séparés et l’accord entre les
hommes, il le dit lui-même, n’est pas naturel, « venant seulement des
conventions, (il) est artificiel ». Le but
de la politique n’est plus de rechercher un bien mais d’éviter le mal de
la guerre. La politique, par ailleurs, est l’affaire exclusive du
Souverain, homme ou assemblée, spécialiste, pourrait-on dire, de la
gestion politique.
Quant à la loi, elle n’a plus comme balise l’exigence morale qui
caractérisait la nature humaine (devenir ce que l’on est, réaliser sa
fin). Elle ne vise pas le bien moral. Au contraire, « c’est la loi
civile qui est la mesure des actions bonnes ou mauvaises ; et (…) C’est
le législateur (lequel est toujours le représentant de la République)
qui en est le juge ». Le but de la loi est
d’éliminer la guerre et de permettre aux individus de se réaliser comme
individus. Comme la loi n’est que pure convention, nous sommes désormais
en plein positivisme juridique : toute loi est valable à condition
qu’elle soit énoncée par l’autorité qui a le pouvoir de la faire
respecter. L’objet du droit est, comme dit Pierre Manent, de « rendre
compossibles les libertés ».
On pourrait pour simplifier la confrontation, dire que, dans la
perspective gréco-chrétienne, la pensée politique prend une dimension
verticale, préoccupée qu’elle est de réaliser le bien, quelque
définition qu’en donnent les philosophes, tandis que les modernes,
renonçant à toute transcendance, sont attachés comme Hobbes et
Rousseau, à trouver le meilleur moyen de faire vivre ensemble des
hommes libres et égaux. Si l’on veut, le bien n’est plus le bien commun
des anciens, mais la liberté et l’égalité : « Si l’on recherche, écrit
Rousseau, en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui
doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se
réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité : la liberté
parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au
corps de l’État ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans
elle ».
Remplaçons « toute dépendance particulière » par « toute aliénation », on
entrevoit la société communiste, sa puissance étatique et, contrairement
à ce que Rousseau pensait, la destruction d’une liberté authentique par
l’obsession de l’égalitarisme.
A propos de la liberté, précisément, on s’étonne souvent que le système
de Hobbes, comme celui de Rousseau que nous avons étudié précédemment
aboutissent à des conceptions étatiques totalitaires. Mais, est-il
possible de concevoir, comme nous l’avons déjà remarqué plusieurs fois,
la liberté sans la vérité, de préserver la liberté sans réfléchir aux
biens auxquels elle doit s’ordonner sous peine de s’autodétruire ?
Chez Hobbes comme chez Rousseau, une illusion de liberté est entretenue
par l’idée que, pour le premier, je me retrouve dans le Représentant
puisque je lui ai abandonné mon pouvoir et, pour le second, que la
volonté générale est bien ma volonté. Les individus sont tenus ensemble
par le « haut », par l’autorité structurante. On aboutit, pourrait-on dire
aussi, à une liberté négative dans la mesure où l’essentiel est
d’empêcher que l’autre m’impose son pouvoir, entrave le chemin que je me
suis choisi. C’est très clair chez Locke pour qui la fin de la société
civile est « de remédier aux inconvénients qui se trouvent dans l’état
de nature, et qui naissent de la liberté où chacun est, d’être juge dans
sa propre cause ; et dans cette vue d’établir une certaine autorité
publique et approuvée, à laquelle chaque membre de la société puisse
appeler et avoir recours, pour des injures reçues, ou pour des disputes
et d es procès qui peuvent s’élever, et être obligés d’obéir
(…) ».
Désormais, les mots « philia », solidarité, civilisation de l’amour,
sonnent creux dans cette société d’individus confédérés
contractuellement, soucieux avant tout de leurs droits.
Spinoza
Le philosophe hollandais a lu Hobbes. Il va se différencier de lui sur
certains points mais nous allons retrouver dans le Tractatus
theologico-politicus, une démarche semblable.
Spinoza part d’une définition nouvelle du droit naturel qui, selon lui,
« désigne tout simplement les règles de la nature de chaque type réel,
suivant lesquelles nous concevons chacun d’entre eux comme naturellement
déterminé à exister et à agir d’une certaine manière. Par exemple, les
poissons sont déterminés, de par leur nature, à nager et les plus gros à
manger les petits ; en conséquence, les poissons sont maîtres de l’eau et
les plus gros mangent les petits, d’après un droit naturel souverain.
(…) Le droit de chacun s’étend jusqu’aux bornes de la puissance
limitée dont il dispose. Nous formulerons donc ici la loi suprême de la
nature : toute réalité naturelle tend à persévérer dans son état, dans la
mesure de l’effort qui lui est propre, sans tenir compte de quelque
autre que ce soit. (…) Le droit naturel de chaque homme est donc
déterminé non par la saine raison, mais par le désir et la puissance.
(…) Il s’ensuit que la loi d’institution naturelle, sous laquelle tous
les hommes naissent et, pour la plupart vivent, n’interdit aucune
action, à l’exception de celles que nul ne désirerait ni ne pourrait
accomplir » .
On conçoit aisément que les hommes, suivant leur droit « d’exister et
d’agir », livrés à leur plaisir, aux « lois de la
convoitise » risquent de vivre dans la crainte
de l’autre et, sans entraide, dans la misère. Ils vont donc, pour
trouver la sécurité et par intérêt, passer un pacte entre eux et
constituer une société. Perdront-ils ou trahiront-ils, pour autant, leur
droit naturel ? Non. « Voici (…) de quelle façon une société humaine
peut se constituer et tout engagement être toujours strictement
respecté, sans que le droit naturel des individus s’y oppose le moins du
monde. Il suffit que chaque individu transfère la puissance totale dont
il jouit à cette société ; ainsi, elle seule détiendra le droit naturel
souverain en tous domaines, c’est-à-dire la souveraine autorité à
laquelle tout homme se verra dans l’obligation d’obéir, soit du fait de
son libre choix, soit de crainte du châtiment. (…) Donc, à moins que
nous ne voulions nous comporter en ennemis de l’État et aller contre la
raison qui nous conseille de maintenir cet État de toutes nos forces,
nous sommes dans l’obligation d’exécuter rigoureusement tous les ordres
de la souveraine Puissance, fussent-ils d’une extrême
absurdité ». Spinoza nous rassure
immédiatement en montrant qu’il y a vraiment peu de chances qu’une telle
extrémité se produise surtout dans un régime démocratique mais le
principe est établi de la nécessité d’obéir à l’autorité publique. Le
citoyen n’y perd pas son être ni sa liberté : « le sujet (…)
accomplit sur l’ordre de la souveraine Puissance des actions, visant à
l’intérêt général et qui sont par conséquent aussi dans son intérêt
particulier. (…) Dans la démocratie, en effet, nul individu humain
ne transfère son droit naturel à un autre individu (au profit duquel,
dès lors, il accepterait de ne plus être consulté). Il le transfère à la
totalité de la société dont il fait partie ; les individus demeurent
ainsi tous égaux, comme naguère dans l’état de
nature ».
La position de Spinoza est plus radicale que ne le sera celle de
Rousseau dans la mesure où, même s’il préfère la
démocratie, sa
description vaut, en principe, pour tout régime qui, en vertu de sa
puissance, doit être obéi. En effet, « quelle que soit la personne
détentrice de la puissance souveraine, la situation est invariable ; peu
importe qu’Elle s’identifie à un individu, à quelques individus, à tous
les individus, il est évident qu’elle jouit du droit souverain de
commander tout ce qu’elle veut. De plus, quiconque a, de force ou de
plein gré, transféré à une certaine personne sa puissance de se
défendre, a sans aucun doute fait abandon de son droit naturel et, par
conséquent, a décidé d’obéir en tout à cette personne ; il reste dans
l’obligation de ne rien changer à son attitude aussi longtemps que le
roi, ou les nobles, ou le peuple continuent à jouir de la puissance
souveraine (sur l’acceptation de laquelle par lui reposait le transfert
de droit). (…) La violation de droit, par suite, ne se conçoit que
dans l’état de société. Mais jamais elle ne saurait être imputée à la
souveraine Puissance de l’État considéré - la souveraine puissance ayant
le droit de se conduire comme il lui plaît à l’égard de ses sujets ? La
violation de droit au sein d’un État ne peut avoir lieu qu’entre des
particuliers, astreints par la loi à ne pas se porter tort l’un à
l’autre ».
qu’en est-il dans cet état, du droit divin et de la religion ?
Pour Spinoza, l’état de nature est antérieur à la religion et « la
nature n’a jamais enseigné à personne que l’homme est obligé d’obéir à
Dieu ; aucune réflexion raisonnable même ne saurait le lui apprendre.
Seule la révélation, confirmée par des signes, est en mesure de le
faire. Par conséquent, avant la révélation, nul ne saurait être obligé
par le droit divin, dont il ne saurait avoir aucune connaissance. On se
gardera donc bien de confondre l’état de nature avec l’état de religion,
c’est-à-dire qu’il faudra concevoir le premier comme étranger à la
religion et à la loi, ainsi, par suite, qu’à la faute et à la violation
de droit. » C’est à partir du moment où les hommes ont conclu un pacte
avec Dieu qu’ils promettent d’obéir au droit divin fruit unique d’une
révélation. Et s’il y a conflit entre ce droit divin et la
souveraine Puissance de l’État, qui doit l’emporter ? « Supposons,
explique Spinoza, que la souveraine Puissance refuse d’obéir à Dieu
dans le domaine du droit divin révélé, elle en aurait la liberté
stricte, au risque d’en devoir subir quelque préjudice ; du moins, nul
droit positif ni naturel ne s’y opposerait. Le droit positif dépend, en
effet, exclusivement de son vouloir à elle ; quant au droit naturel, il
dépend des lois de la nature échappant à tout rapport avec la religion
(dont l’unique objet est l’intérêt humain), mais accordées avec
l’ordonnance de la nature entière (c’est-à-dire le vouloir éternel de
Dieu, inconnu de nous). »
Il en découle très logiquement que « la souveraine Puissance qui, tant
en vertu du droit divin que du droit naturel, a la charge de conserver
et protéger la législation de l’État, dispose du droit souverain de
prendre, concernant la religion, toutes les mesures jugées opportunes ;
d’autre part, tous les individus sont obligés d’obéir aux décisions
prises et aux ordres donnés par elle, s’ils ne veulent point manquer à
la fidélité civique, dont Dieu ordonne le respect
rigoureux ».
Telle est la souveraine Puissance à laquelle les particuliers ont
transféré leur propre puissance. Mais ce transfert ne peut être parfait
ou intégral : « Nul ne saurait, de son propre chef, non plus que
contraint, transférer à qui que ce soit la totalité de son droit
naturel, ni son aptitude à raisonner et juger librement en toute
circonstance. (…) En effet, tout homme jouit d’une pleine
indépendance en matière de pensée et de croyance ; jamais, fût-ce de bon
gré, il ne saurait aliéner ce droit individuel ». Comment marier alors le droit que la souveraine
Puissance exerce en tout domaine et ce droit individuel irrépressible ?
Spinoza va résoudre le problème en séparant pensée et action. Il
rappelle que les hommes ont voulu, par le pacte initial, ne plus vivre
dans la crainte mais être libre en toute sécurité. Si tous les hommes
avaient continué à agir « sous l’impulsion de leur décision
personnelle », les affrontements auraient été inévitables ! En passant à
l’état de société, ils ont établi que « toute puissance de décision
devait, à l’avenir, prendre son origine soit en la collectivité même de
tous les membres de la société, soit en quelques-uns, soit en un seul
d’entre eux ». Ainsi, « chaque individu a bien renoncé à son droit
d’agir selon son propre vouloir, mais il n’a rien aliéné de son droit de
raisonner, ni de juger. (…) Nul ne saurait, sans menacer le droit de
la souveraine Puissance, accomplir une action quelconque contre le
vouloir de celle-ci ; mais les exigences de la vie en une société
organisée n’interdisent à personne de penser, de juger et, par suite, de
s’exprimer spontanément. A condition que chacun se contente d’exprimer
ou d’enseigner sa pensée en ne faisant appel qu’aux ressources du
raisonnement et s’abstienne de chercher appui sur la ruse, la colère, la
haine ; enfin, à la condition qu’il ne se flatte pas d’introduire la
moindre mesure nouvelle dans l’État, sous l’unique garantie de son
propre vouloir ». Pour éviter donc toute dislocation du corps social, il
suffit que chaque individu « laisse à l’Autorité politique toute
décision active, puis qu’il n’entreprenne jamais rien contre la mesure
adoptée par elle. » Plus précisément
encore, en démocratie, « sachant qu’ils ne peuvent tous former toujours
la même opinion, (les citoyens) s’engagent à faire appliquer celle
autour de laquelle le nombre le plus grand de suffrages se sera rallié
(…). » Et « si l’on a résolu d’assurer à la
communauté la plus grande sécurité possible, il faut que toute la
ferveur dévote ou la religion se réduisent à la pratique de la justice
et à celle de la charité ; il faut que la législation de la souveraine Puissance,
tant dans le domaine sacré que dans le domaine profane, vise
exclusivement les actions des sujets, mais par ailleurs, ménage à chacun
la liberté de pensée et d’expression ».
Rousseau
Désormais, le contrat remplace la loi naturelle telle qu’elle fut
définie, et consacre le positivisme juridique. Nous venons de le voir
dans le Léviathan et dans le Tractatus theologico-politicus, nous
l’avons vu aussi, rappelons-nous, dans le Contrat social où J.-J.
Rousseau nous dit très clairement que « les lois ne sont proprement que
les conditions de l’association civile. Le peuple, soumis aux lois, en
doit être l’auteur ; il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de régler
les conditions de la société ».
Après avoir distingué trois sortes de lois, lois politiques, les lois
civiles et les lois criminelles, Rousseau en ajoute une quatrième : « A
ces trois sortes de lois il s’en joint une quatrième, la plus importante
de toutes, qui ne se grave ni sur le marbre, ni sur l’airain, mais dans
les cœurs des citoyens ; qui fait la véritable constitution de l’État ;
qui prend tous les jours de nouvelles forces ; qui lorsque les autres
lois vieillissent ou s’éteignent, les ranime ou les supplée, conserve un
peuple dans l’esprit de son institution, et substitue insensiblement la
force de l’habitude à celle de l’autorité ». Le lecteur un peu distrait
pourrait croire que cette loi gravée dans le cœur est bien la loi
naturelle. En effet, de saint Augustin à Jean-Paul II, c’est ainsi
qu’elle fut présentée. Mais Rousseau balaie immédiatement notre espoir:
« Je parle des mœurs, des coutumes, et surtout de l’opinion ; partie
inconnue à nos politiques, mais de laquelle dépend le succès de toutes
les autres ; partie dont le grand législateur s’occupe en secret, tandis
qu’il paraît se borner à des règlements particuliers, qui ne sont que le
cintre de la voûte, dont les mœurs, plus lentes à naître, forment enfin
l’inébranlable clef ». Nos politiques
et nos juristes modernes n’ont-ils pas bien compris la leçon de
Rousseau, eux qui sont bien soucieux d’adapter les lois aux mœurs et à
l’opinion ?
Le positivisme contemporain
Le positivisme inauguré par ces ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles
culmine, à l’époque contemporaine, dans l’œuvre d’Hans
Kelsen dont la
pensée a exercé et exerce encore aujourd’hui une influence majeure.
En bref, Kelsen proclame l’autonomie du droit dégagé de tout élément qui
ne serait pas juridique, qu’il soit psychologique, sociologique,
politique, éthique ou religieux. Le droit est donc exclusivement et
purement positif.
Se pose alors la question que l’on peut poser à tout positiviste:
comment garantir la validité objective de la norme ? La réponse de Kelsen
est simple : elle est strictement liée à la procédure de sa formation.
Une norme est valide « si elle est conforme à la norme supérieure de la
procédure selon laquelle elle a été posée ». Conforme à cette norme ou,
du moins, compatible avec elle, « ce qui veut dire que la loi doit être
formellement conforme à la constitution, le décret d’application doit
être formellement conforme à la loi, l’arrêté doit être formellement
conforme au décret, la décision juridictionnelle doit respecter la
procédure, etc.. »
Cette conception identifie évidemment le droit à l’État. L’expression
« État de droit » trouve donc son sens plénier et désigne « un ordre
juridique positif dans lequel le pouvoir ne peut être exercé que dans la
forme juridique par des dirigeants juridiquement désignés sur des
dirigés juridiquement définis ».
Le droit n’est plus qu’une technique de régulation au service de l’État.
Toutefois, une question se pose encore : chaque norme ne pouvant trouver
sa validité que dans la norme supérieure, sur quoi se fonde la validité
de la Constitution qui se trouve au sommet de cette pyramide de normes
hiérarchisées ?
Pour Kelsen, la Constitution est une fiction à laquelle on doit obéir.
On ne peut, pour lui, la justifier moralement ou religieusement.
L’obéissance à la Constitution est une « nécessité
fonctionnelle ».
Enfin, entre le droit interne et le droit international, qui a la
préséance ? La réponse de Kelsen ne surprendra pas si l’on se souvient de
sa logique hiérarchique. Le droit international est supérieur aux droits
internes qui, depuis la fondation de l’ONU, doivent respecter ses
normes. »Les constitutions des États ne sont valides que si leurs
gouvernements sont légitimes parce qu’effectifs, c’est-à-dire parce
qu’opérationnels pour faire appliquer le droit
international ».
Comment ce droit international se constitue-t-il actuellement ?
Respecte-t-il des normes ? De quelle nature ? Quels sont les enjeux de
cette prééminence du doit international ? Telles sont les questions qui
restent en suspens et que nous aborderons plus loin.