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a. Le financement des cours philosophiques.

En Belgique⁠[1], dans les écoles officielles, les élèves ont, dans leur grille-horaire, le choix entre l’enseignement de différentes religions reconnues⁠[2] et de la morale non confessionnelle⁠[3], à raison de deux heures par semaine durant toute la période de scolarité obligatoire. La loi du Pacte scolaire du 29-5-1959 a consacré et clarifié une situation qui existait depuis le XIXe siècle et, en 1988, la Constitution a inscrit cette obligation en son article 24 (anciennement 17). Au contraire de ce qui se passe pour des cours de morale non confessionnelle, les programmes, les désignations de professeurs et l’inspection sont du seul ressort des « organes chefs de culte respectifs ». Notons encore qu’après les examens, les décisions des professeurs de cours philosophiques ne sont pas soumis à délibération.

A l’intérieur des universités catholiques (UCL et KUL)subventionnées comme les autres universités libres, les étudiants en théologie, sciences religieuses et droit canon, sont comptabilisés comme les autres étudiants. De même, les pouvoirs publics financent la Faculté de théologie protestante et l’Institut du judaïsme.

Il est heureux que cette situation ne soit pas exceptionnelle en Europe occidentale. On la retrouve sous des formes plus ou moins semblables un peu partout sauf en France, victime d’une laïcité très fermée, à l’exception des deux diocèses de Strasbourg et de Metz soumis au Concordat de 1801⁠[4].

En France donc⁠[5], un cours d’« instruction morale et civique » remplaça dès 1882 le cours d’ »instruction morale et religieuse » qui était obligatoire depuis 1850. Toutefois, pour respecter le principe du libre exercice des cultes par les élèves, les pouvoirs publics, dès 1905, durent prendre en charge des services d’aumônerie dans les établissements où cette institution était nécessaire (comme les internats) et dans le respect des horaires de l’enseignement public⁠[6].

Aujourd’hui, si des voix réclament l’intégration de l’instruction religieuse dans les rythmes scolaires⁠[7], de très nombreuses personnes, catholiques ou non, croyantes ou non réclament un enseignement sur les religions vu leur intérêt culturel et éducatif.⁠[8]

En Belgique aussi, certains ont réclamé l’instauration d’un cours pluraliste d’histoire des religions mais pour remplacer les cours philosophiques existants. C’est le même esprit qui en a poussé d’autres à souhaiter un cours d’éducation citoyenne ou encore un cours de philosophie. Cette dernière proposition qui fut soutenue énergiquement par le gouvernement « arc-en-ciel » en ce début de XXIe siècle a provoqué l’opposition massive des professeurs de religion et de morale non confessionnelle. On peut penser, bien sûr, à un réflexe « alimentaire » mais bien des défenseurs de l’enseignement officiel estiment qu’il ne faut pas « dissuader certains parents soucieux de l’éducation religieuse de leurs enfants de choisir l’enseignement officiel »[9] et qu’il vaut mieux maintenir les cours philosophiques dans leur état actuel.

Il n’empêche qu’à partir de 2016, les parents ont dû choisir, dans l’enseignement officiel, entre une heure de philosophie/citoyenneté plus une heure de religion/morale ou deux heures de philosophie/citoyenneté. Durant l’année scolaire 2018-2019, plus de 40.000 élèves de l’enseignement obligatoire n’ont suivi de cours ni de morale ni de religion.

Afred Hernandez, directeur général de l’OIDEL⁠[10], a remarqué qu’ »on se rend compte de plus en plus dans les pays européens de l’importance des valeurs religieuses, et de la nécessité d’une éducation sur les valeurs sociales fortes.

Il faut envisager l’enseignement des religions d’une manière différente de l’éducation laïque traditionnelle qu’on a connue dans nos sociétés. On ne peut pas envisager la laïcité dans les mêmes termes qu’avant. Dans le contexte multiculturel d’aujourd’hui, il faut s’appuyer sur les traditions religieuses plurielles pour faire vivre la société.

Le philosophe Luc Ferry a déclaré que la laïcité a tenu parce qu’il y avait un substrat chrétien, mais qu’elle a lâché quand il a disparu. Ce substrat permettait une coexistence pacifique. On ne peut pas faire tenir la société occidentale sans référence aux valeurs judéo- chrétiennes fondatrices. Une éducation aux valeurs qui est dépourvue de ces racines ne peut pas être efficace.

En matière de liberté d’enseignement, le défi sera le suivant : au lieu de se refuser à parler des valeurs religieuses, on y éduquera, mais on éduquera aussi à la tolérance mutuelle et au respect de l’autre. Dans sa dernière encyclique Fides et ratio, le pape Jean-Paul II dit que « le nouveau défi pour les chrétiens est d’établir un dialogue sur les valeurs communes avec tous les hommes de bonne volonté, de toute conviction et de toute culture ». »[11]

L’OIDEL rappelle qu’une centaine de pays ont ratifié la Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16-12-1966) qui, dans ses articles 13 et 14, reconnaît la liberté des parents non seulement de choisir des établissements autres que ceux des pouvoirs publics mais aussi « de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ». L’État a le devoir de garantir le droit à l’éducation et, dans la mesure où elle est obligatoire, en s’efforçant d’instaurer la gratuité, ce qui ne lui absolument pas le droit - sous peine de contredire le Pacte - de dicter l’organisation de l’enseignement particulièrement en ce qui concerne les programmes et la pédagogie.


1. Cf. HUSSON J.-Fr., Le financement public des cultes, de la laïcité et des cours philosophiques, Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1703-1704, 2000, pp. 72-78 ; SÄGESSER C. et COOREBYTER V., Cultes et laïcité en Belgique, Dossiers du CRISP, n°51, pp. 28-29.
2. Il s’agit des religions catholique, protestante, israélite, islamique et orthodoxe. S’ajoute en région flamande la religion anglicane. La Communauté flamande contrairement à la Communauté Wallonie-Bruxelles autorise les élèves qui ne se reconnaissent dans aucun des cours proposés (les Témoins de Jéhovah, par exemple) à ne suivre aucun cours philosophique ou de suivre le cours de Cultuurbeschouwing (civisme).
3. Le programme de ce cours précise que les principes de cette morale ne se réfèrent pas à une puissance transcendante mais ne présente pas cette morale comme « laïque ». Le Centre d’action laïque (CAL) reconnaissaient en 1996 que « nombre de professeurs de morale récusent l’appartenance du cours de morale à la laïcité » (La problématique du cours de morale, CAL, 4-12-1996, cité in CRISP, n°1703-1704, op. cit., p 72)
4. Ce Concordat entre le gouvernement du Premier consul Bonaparte et Pie VII a été abrogé en 1905 par la loi de séparation de l’Église et de l’État qui laïcisa les institutions et l’enseignement. Comme l’Alsace-Lorraine depuis 1871 était annexée à l’Empire d’Allemagne et fut seulement rendue à la France en 1918, cette région conserva son statut vu l’attachement des populations à ce concordat. Encore aujourd’hui donc, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les membres du clergé sont rémunérés par l’État (art. 14) mais les nominations épiscopales sont réservées au chef de l’État (art. 4 et 5), l’institution canonique étant donnée par bulle pontificale, bien sûr.
5. Cf. LEMOYNE de FORGES J.-M., La religion dans l’école laïque, in La laïcité au défi de la modernité, Actes du Xe Colloque national des Juristes catholiques, 1989, Téqui, 1990, pp. 145-170.
6. Actuellement, « il est possible d’organiser des aumôneries dans tous les établissements du second degré. Elles peuvent fonctionner dans l’établissement ou à l’extérieur. Elles sont créées par le rectorat, sur demande des familles. L’autorité religieuse choisit celui à qui les fonctions d’aumônier sont confiées. Créées par décision de l’autorité administrative, les aumôneries de l’enseignement public ne perçoivent cependant, en fait, aucune subvention sur fonds publics.(…) Elles fonctionnent grâce aux cotisations des familles et aux aides accordées par le diocèse. L’élève - ou ses parents s’il est mineur - décide librement s’il souhaite fréquenter l’aumônerie. Aucune note, aucune appréciation ne sont attribuées. L’aumônier ne participe pas aux décisions concernant l’élève qui sont prises par l’école » ( GAUDEMET-BASDEVANT B., op. cit.).
7. On peut dire que l’Islam est favorisé dans la mesure où dans le cadre des cours de « langues et cultures d’origine », dans certaines écoles publiques, de nombreux él_ves musulmans reçoivent un enseignement du Coran. (Le Monde, 23-11-1989, cité in LEMOYNE de FORGES J.-M., op. cit., p. 164).
8. Régis Debray, par exemple, « redoute qu’une laïcité mal comprise (…) se révèle suicidaire si elle s’obstine à proscrire de l’école l’histoire des religions ». « Veut-on, déclare l’ancien compagnon de Che Guevara, avec l’illettrisme montant, faire demain des monastères l’ultime abri des Lumières, des vertus de doute et du libre-examen ? » (BELLEFROID Eric de, Debray sur la piste de Dieu, in La Libre Culture, 6-2-2002, à propos du livre de Debray, Dieu, un itinéraire, Odile Jacob, 2002). L’auteur renchérit en 2016 en écrivant : « La République, par bonheur, respecte toutes les croyances, mais la croyance elle-même, tenue pour une faiblesse, n’est guère prise au sérieux par nos savants. Comme si nous n’étions pas tous en dette avec cette faculté capitale, sans laquelle nous n’aurions ni avenir ni société ni entreprise. savoir et croyance ne se font pas concurrence : rendons à chacun son dû. » (DEBRAY Régis, Allons aux faits, Croyances historiques, réalités religieuses, Gallimard/France Culture,2016, p. 141.)
   A l’occasion de l’ordination épiscopale de Mgr Doré, nouvel archevêque de Strasbourg, le 23-11-1997, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur (1997-2000), président de 1993 à 2001 du MDC (Mouvement des citoyens), chargé des Cultes, prononça une allocution particulièrement intéressante (cf. DC n° 2173, 4-1-1998, pp. 12-16). Il y souligne l’intérêt du fait religieux de sorte qu’ »il est normal, dit-il, que le gouvernement, qui s’en tient évidemment au régime de la séparation de l’Église et de l’État, s’en préoccupe ». La république « entend distinguer les genres, le public et le privé, la raison naturelle et la foi, le citoyen et la personne » mais, en même temps, elle « ne peut ignorer le fait religieux ». Pour le ministre, les religions sont importantes sur les plans philosophique, culturel et politique et ont engendré l’idée même de progrès. Ainsi, les religions « ont puissamment contribué au progrès moral de l’humanité, la sommant de s’interroger sur ses fins dernières, l’arrachant à ses attaches matérielles, l’invitant à se dépasser. Il manquerait quelque chose à l’humanité, si elle était privée de cette exigence qui procède du sens de la transcendance ». Ainsi, l’échec de l’utopie communiste « atteste que les sociétés humaines ne sauraient vivre sans qu’existe en leur sein quelque forme de transcendance ». Sur le plan culturel, « le judaïsme et le christianisme (…) ont tellement imprégné notre civilisation millénaire (…) que notre patrimoine culturel, qu’il soit littéraire ou philosophique, pictural ou architectural, serait indéchiffrable à celui qui ne saurait ou ne voudrait en reconnaître la composante religieuse ». En France comme dans toute l’Europe d’ailleurs, « on ne peut concevoir (…) une solide formation intellectuelle, fût-elle élémentaire, qui ignorerait la contribution des religions monothéistes…​ » Le ministre n’hésite pas à se demander : « Que serait la philosophie moderne sans le thomisme…​ ? » Dans cet esprit, comme ministre de l’Education nationale, en 1986, il a introduit des éléments d’histoire des religions dans les programmes scolaires de l’enseignement secondaire. Politiquement, il invite à reconnaître que les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, « sont pour une large part des valeurs chrétiennes laïcisées ». Et de préciser : « La liberté, inséparable de la responsabilité de la personne, et surtout l’égalité des hommes entre eux, par-delà leurs différences ethniques, sociales, physiques ou intellectuelles, sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité, si contraire à l’apparence immédiate, on ne peut qu’admirer l’audace à proprement parler révolutionnaire des Évangiles, faisant surgir cette idée neuve, contraire à toutes les normes et les idées d’un monde romain à la culture fortement hellénisée. Quant à la fraternité, elle est une traduction, à peine une adaptation de l’ »agapè » du Nouveau Testament ». Enfin, »l’idée même du progrès procède d’une origine judéo-chrétienne. Alors que toute la pensée grecque n’a jamais conçu le temps que dans un mouvement circulaire, le messianisme judaïque, par la perspective du salut, donne un sens au temps, c’est-à-dire à l’histoire, comme le fera aussi le christianisme en proposant l’horizon d’un jugement dernier et en incarnant Dieu dans un homme, indiquant ainsi l’avant et l’après de cet événement pour lui fondateur ; une fois encore, l’histoire universelle se trouvait par là orientée. » Et il ajoute : « Toute la philosophie du XVIIIe siècle et Condorcet qui la conclut, ont, à leur manière, laïcisé cette idée de progrès ».
9. SÄGESSER C. et COOREBYTER V. de, op. cit., p. 29.
10. Organisation internationale pour le droit à l’éducation et la liberté de l’enseignement. Cette organisation non gouvernementale indépendante a été fondée, en 1985, à Genève (32, rue de l’Athénée, CH-1206). Elle jouit d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU, de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe. L’OIDEL a 5 grandes orientations:
   1. « Collaborer avec les organisations internationales et les organes internationaux de protection des droits de l’homme à la promotion et à la sauvegarde des libertés éducatives » ;
   2. « Intervenir auprès des gouvernements pour élargir ou défendre la liberté d’enseignement, et les aider à ajuster leur politique éducative aux principes de la liberté d’enseignement énoncés dans les instruments internationaux qu’ils ont ratifiés, notamment la Charte des droits de l’homme » ;
   3. « Informer l’opinion publique sur l’état de la liberté d’enseignement dans le monde et sur ses violations, afin de créer un mouvement favorable à sa défense et à son développement » ;
   4. « Promouvoir et coordonner des recherches et des études sur la liberté d’enseignement et son état dans différents pays, afin d’élaborer des instruments utiles à la promotion de cette liberté » ;
   5. « Conseiller les personnes et/ou les institutions intéressées par la création, la gestion et le financement d’établissements éducatifs ».
   Cette organisation a été mise en place suite au « constat que, dans de nombreux pays, on procède à une interprétation « très restrictive » de deux libertés éducatives fondamentales, à savoir « la liberté des parents, premiers responsables de l’éducation, de choisir l’école de leurs enfants et de créer eux-mêmes des centres scolaires », et « la liberté des directeurs d’établissement et des enseignants de proposer un projet pédagogique original et de s’organiser de manière autonome ». (Cf. La liberté d’enseignement en Europe et dans le monde, in Famille chrétienne, n° 1122, 15-7-1999, pp. 10-15).
11. In La liberté d’enseignement en Europe et dans le monde, op. cit., p. 12. Jean-Daniel Nordmann, directeur-adjoint de l’OIDEL précise : « Le réel est trop complexe pour être mis sous la coupe d’une « pensée unique ». Sa complexité implique une pluralité du regard. Ainsi, on ne doit pas avoir peur de donner des éclairages différents du christianisme, parce que c’est une réalité, certes unique, mais à facettes multiples ».