La liberté est certes le signe de la transcendance de l’homme et de son éminente dignité. Par là, il est naturel que tout homme cherche à prendre en main sa destinée personnelle et collective et à participer, notamment, à la vie publique. Mais, comme nous l’avons déjà médité dans la première partie, cette liberté s’exerce, de manière responsable, en relation avec la vérité.
« Dans un peuple digne de ce nom, écrit Pie XII, le citoyen a conscience de sa propre personnalité, de ses devoirs et de ses droits ; la conscience de sa propre liberté se joint au respect de la liberté et de la dignité des autres ». Par contre, dans un État démocratique « laissé au caprice arbitraire de la masse », la liberté « en tant que devoir moral de la personne, se transforme en une prétention tyrannique de donner libre essor aux impulsions et aux appétits humains aux dépens d’autrui »[1].
Pour le Concile Vatican II, « il est pleinement conforme à la nature de l’homme que l’on trouve des structures politico-juridiques qui offrent sans cesse davantage à tous les citoyens, sans aucune discrimination, la possibilité effective de prendre librement et activement part tant à l’établissement des fondements juridiques de la communauté politique qu’à la gestion des affaires publiques, à la détermination du champ d’action et des buts des différents organes, et, à l’élection des gouvernants. Que tous les citoyens se souviennent donc à la fois du droit et du devoir qu’ils ont d’user de leur libre suffrage, en vue du bien commun. »[2]
Jean-Paul II confirme : « .. L’Église, en réaffirmant constamment la dignité transcendante de la personne, adopte comme règle d’action le respect de la liberté. Mais la liberté n’est pleinement mise en valeur que par l’accueil de la vérité : en un monde sans vérité, la liberté perd sa consistance et l’homme est soumis à la violence des passions et à des conditionnements apparents ou occultes. Le chrétien vit la liberté (cf. Jn 8, 31-32) et il se met au service de la liberté, il propose constamment, en fonction de la nature missionnaire de sa vocation, la vérité qu’il a découverte. Dans le dialogue avec les autres, attentif à tout élément de la vérité qu’il découvre dans l’expérience de la vie et de la culture des personnes et des nations, il ne renoncera pas à affirmer tout ce que sa foi et un sain exercice de la raison lui ont fait connaître. (…) On tend à affirmer aujourd’hui que l’agnosticisme et le relativisme sceptique représentent la philosophie et l’attitude fondamentale accordées aux formes démocratiques de la vie politique. (…) A ce propos, il faut observer que, s’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire »[3].
« L’erreur (…) consiste en une conception de la liberté humaine qui la soustrait à l’obéissance à la vérité et donc aussi au devoir de respecter les droits des autres hommes. Le sens de la liberté se trouve alors dans un amour de soi qui va jusqu’au mépris de Dieu et du prochain, dans un amour qui conduit à l’affirmation illimitée de l’intérêt particulier et ne se laisse arrêter par aucune obligation de justice. »[4]
« Quand on n’observe pas (ces principes), le fondement même de la convivialité politique fait défaut et toute la vie sociale s’en trouve progressivement compromise, menacée et vouée à sa désagrégation (cf. Ps 14, 3-4 ; Ap 18, 2-3 ; 9-24). Dans de nombreux pays, après la chute des idéologies qui liaient la politique à une conception totalitaire du monde - la première d’entre elles étant le marxisme-, un risque non moins grave apparaît aujourd’hui à cause de la négation des droits fondamentaux de la personne humaine et à cause de l’absorption dans le cadre politique de l’aspiration religieuse qui réside dans le cœur de tout être humain: c’est le risque de l’alliance entre la démocratie et le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute référence morale sûre et la prive, plus radicalement, de l’acceptation de la vérité. ( cf. CA 46). Dans tous les domaines de la vie personnelle, familiale, sociale et politique, la morale - qui est fondée sur la vérité et qui, dans la vérité, s’ouvre à la liberté authentique - rend donc un service original, irremplaçable et de très haute valeur, non seulement à la personne pour son progrès dans le bien, mais aussi à la société pour son véritable développement »[5]
Très précisément, « seul le respect de la vie peut fonder et garantir les biens les plus précieux et les plus nécessaires de la société, comme la démocratie et la paix. En effet, il ne peut y avoir de vraie démocratie si l’on ne reconnaît pas la dignité de toute personne et si l’on n’en respecte pas les droits. Il ne peut y avoir non plus une vraie paix si l’on ne défend pas et si l’on ne soutient pas la vie ».[6]
« …le totalitarisme naît de la négation de la vérité au sens objectif du terme : s’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent inévitablement les uns aux autres. Si la vérité transcendante n’est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser jusqu’au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses intérêts ou ses opinions, sans considération pour les droits des autres. Alors l’homme n’est respecté que dans la mesure où il est possible de l’utiliser aux fins d’une prépondérance égoïste. Il faut donc situer la racine du totalitarisme moderne dans la négation de la dignité transcendante de la personne humaine, image visible du Dieu invisible et, précisément pour cela, de par sa nature même, sujet de droits que personne ne peut violer, ni l’individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État. La majorité d’un corps social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité pour la marginaliser, l’opprimer, l’exploiter, ou pour tenter de l’anéantir ».[7]
La démocratie authentique balise donc l’exercice de la liberté humaine et l’oriente vers le bien commun qui « pour la pensée contemporaine (…) réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine ; dès lors, le rôle des gouvernants consiste principalement à garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion, et en conséquence à faciliter à chaque citoyen l’accomplissement de ses devoirs ».[8]
Le « succès de l’idéal démocratique dans le monde, allant de pair avec une grande attention et une vive sollicitude pour les droits de l’homme, (…) il est nécessaire que les peuples qui sont en train de réformer leurs institutions donnent à la démocratie un fondement authentique et solide grâce à la reconnaissance explicite de ces droits ».
Malheureusement, « même dans les pays qui connaissent des formes de gouvernement démocratique, ces droits ne sont pas toujours respectés. Et l’on ne pense pas seulement au scandale de l’avortement, amis aussi aux divers aspects d’une crise des systèmes démocratiques qui semblent avoir parfois altéré la capacité de prendre des décisions en fonction du bien commun. Les requêtes qui viennent de la société ne sont pas toujours examinées selon les critères de la justice et de la moralité, mais plutôt d’après l’influence électorale ou le poids financier des groupes qui les soutiennent. De telles déviations des mœurs politiques finissent par provoquer la défiance et l’apathie, et par entraîner une baisse de la participation politique et de l’esprit civique de la population, qui se sent atteinte et déçue. Il en résulte une incapacité croissante à situer les intérêts privés dans le cadre d’une conception cohérente du bien commun. Celui-ci, en effet, n’est pas seulement la somme des intérêts particuliers, mais il suppose qu’on les évalue et qu’on les harmonise en fonction d’une hiérarchie des valeurs équilibrée et, en dernière analyse, d’une conception correcte de la dignité et des droits de la personne ».[9]
Ce texte indique déjà clairement que la démocratie authentique ne se construit pas seulement dans les textes de lois mais surtout, peut-être, dans le cœur et la volonté des hommes.