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c. Le règne de l’opinion ?

On se souvient peut-être de ces remarques acides et pessimistes de René Guénon : « la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » (…) l’incompétence des politiciens les plus « en vue », semble n’avoir qu’une importance relative ; (…) cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, étant ainsi à son image, car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause »[1]

Ce texte excessif a au moins le mérite de mettre en évidence l’importance capitales des qualités intellectuelles, en démocratie, et donc aussi sur la formation et l’information des citoyens.

En principe, en démocratie, chacun peut exprimer son opinion et la loi est présentée comme le fruit de la volonté populaire. Nous avons vu précédemment qu’il fallait, dans la réalité, relativiser cette conception fort théorique et hypothétique.

Quoi qu’il en soit, il est clair, aujourd’hui, en maints pays, que la démocratie peut se définir comme un « pouvoir de l’homme sur l’homme », pour reprendre l’expression de Roger Lallemand, parce qu’elle place l’origine des pouvoirs uniquement dans la volonté collective des citoyens⁠[2] exprimée par le suffrage universel.

L’idée est dans le texte fondateur de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1789⁠[3] et on la retrouve dans les analyses incontournables du philosophe Claude Lefort : « La démocratie s’institue et se maintient dans la dissolution des repères de la certitude. Elle inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l’épreuve d’une indétermination dernière, quant au fondement du Pouvoir, de la Loi et du Savoir(…) »[4]. Jean Weydert qui cite ce texte explique qu’il ne peut en être autrement puisque « la démocratie (…) part de l’idée que l’individu est premier et qu’il faut engendrer la société à partir de lui »[5]. Très précisément, la démocratie moderne surgit de la proclamation de l’égalité des citoyens et de leur liberté d’opinion et d’expression. Dès lors, la société démocratique, « se donnant à elle-même sa propre loi, est par là même incapable de se donner un point d’arrêt »[6].

Le nouveau prince s’appellera donc majorité. C’est un prince dangereux dans le contexte relativiste où nous vivons. Tocqueville l’avait bien remarqué et ne craignait pas de parler de la tyrannie de la majorité en termes très forts : « Ce que je reproche, écrivait-il, au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux États-Unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie.

Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? A l’opinion publique ? c’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? la force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre »[7].

Certes, ce texte devrait être nuancé et adapté mais il met bien, par ses excès, en évidence un problème réel. Kolm parlait de la « séduction-viol du peuple »[8], Léo Moulin ne craint pas d’affirmer qu’il ne croit pas « que la majorité, forte de sa légitimité, ne fera pas de la souveraineté du nombre, une tyrannie nouvelle (…) sans oublier l’action des partis politiques au pouvoir qui n’inclinent guère, par nature, à tolérer les « courants », les « ressourcements » et, moins encore les dissidences »[9]. M. Schooyans explique, quant à lui, ce paradoxe : « la démocratie repose sur l’égalité de tous, sur la liberté de pensée, d’expression, d’association, etc. ; mais, lorsqu’elle est absolutisée, la règle de la majorité fait que les « valeurs » de la démocratie dérivent de la prépondérance de certaines voix. Par conséquent, les valeurs ainsi définies n’ont aucune chance d’être jamais acceptées comme universelles, alors qu’elles ont la prétention de s’imposer à tous au nom d’une fiction : la volonté générale, censée s’exprimer à la majorité des voix.

En conséquence, la règle de la majorité, dans son interprétation abrupte, est non seulement insuffisante mais dangereuse, si elle n’est pas surplombée par des références morales et assortie de ces correctifs essentiels que sont la vérité et la solidarité (ou sociabilité). La règle formelle de la majorité « légitime » a priori la tyrannie des plus nombreux et de leurs meneurs. Cette même règle implique une indifférence de principe face à la vérité et face au bien. (…) Le rôle accordé à la majorité explique la fonction essentielle laissée à l’opinion et aux sentiments, qu’il faut travailler et manipuler. De plus, comme la majorité est censée refléter l’opinion générale, il faut qu’elle appelle à l’existence un tribunal permanant chargé de désigner la dissidence et de la condamner.

En somme, l’indifférence méthodique vis-à-vis de la question de la vérité engendre fatalement l’aveuglement vis-à-vis du bien comme du mal ; elle est une des causes principales de la facilité avec laquelle les idéologies totalitaires ont été introjectées au XXe siècle »[10].

L’auteur dénonce aussi ce que certains appellent « la tyrannie du consensus » plus subtile mais tout aussi dangereuse⁠[11]. Dans un premier sens, le mot « consensus » ou, plus rarement « consentement » signifie le « jugement concordant des hommes, par lequel on affirme la vérité de certaines propositions ». Mais, ce n’est pas en ce premier sens que le mot « consensus » est employé aujourd’hui, dans les milieux politiques en général : « consensus » « signifie alors l’ »acquiescement donné à un projet » ; la « décision de ne pas s’y opposer » (Robert). Foulquié⁠[12] est encore plus précis : « Acte par lequel quelqu’un donne à une décision dont un autre a eu l’initiative l’adhésion personnelle nécessaire pour passer à l’exécution. »

Alors qu’au premier sens, l’accent est mis sur l’assentiment de l’esprit à une réalité qui est affirmée, dans le deuxième sens, l’accent est mis sur l’entente des personnes en vue d’un projet d’action. Pour faire bref : accord général des intelligences dans le premier cas ; accord des volontés individuelles dans le second. Dans l’usage qui en est fait aujourd’hui, le mot consensus est donc un terme très ambigu puisque l’on glisse facilement de la deuxième signification à la première. Le terme donne faussement à penser que l’on renvoie à des propositions à la vérité desquelles on marque son assentiment alors qu’il renvoie à l’adhésion à des décisions volontaires dont le rapport à la vérité n’est nullement pris en compte ». La pensée du philosophe américain John Rawls⁠[13] a donné, entre autres, une caution intellectuelle à cette technique. Pour lui, « il est vain de vouloir s’entendre sur quelques vérités fondamentales, sur quelques normes morales universelles. Les nécessités de la pratique sont cependant là: nous devons agir « justement ». Et pour agir justement nous devons engager une procédure au cours de laquelle nous, qui devons décider, ferons attention courtoisement aux positions de chacun, puis nous trancherons, nous déciderons. La décision sera juste, non parce qu’elle honore des droits de l’homme que l’on aurait reconnus et que l’on respecterait, mais parce qu’elle est l’expression d’un consensus, acquis éventuellement au terme d’un vote majoritaire ».

La seule valeur qui subsiste, indiscutable et intangible, est la démocratie elle-même.

Au risque de se contredire

La démocratie, lieu de l’incertitude et de l’absence de transcendance des normes, comme le montre Lefort⁠[14] , est vite confrontée à une angoissante contradiction qui avait déjà été soulignée lors de l’élection des dictateurs Mussolini et Hitler et qui fut ranimée lors de la victoire en Carinthie, en février 2000, du leader de l’extrême-droite autrichienne Jorg Haider. Cette élection souleva l’inquiétude et l’indignation du monde politique européen. Or, si la démocratie est strictement le régime de la souveraineté populaire et si le droit est entièrement positif, fruit de cette même volonté populaire, au nom de quoi peut-on condamner le choix d’une personnalité controversée ? Un journaliste fit remarquer que face à un tel événement il était « bien de rappeler les principes démocratiques et éthiques »[15] . Mais si l’exercice de la volonté populaire est mesuré par des valeurs qui échappent au suffrage des hommes, il faudrait les affirmer, les fonder et les faire respecter dans tous les cas. On songe aux droits de l’homme mais nous avons vu que la tendance actuelle est de les relativiser ou de les réinterpréter au nom précisément d’une meilleure adaptation aux réalités humaines⁠[16].

Cette contradiction théorique se double d’une contradiction pratique. On fait comme si la démocratie reposait sur des principes universels qui ne sont malheureusement pas nettement affirmés. Mais le droit explicite ou implicite auquel on se réfère doit être indivisible sous peine de perdre son sens. Si donc on condamne, par exemple, la présence de l’extrême-droite dans la vie politique autrichienne parce qu’elle menace la démocratie, toute présence ou inspiration anti-démocratique doit être dénoncée. Or l’Europe sourcilleuse devant le cas autrichien n’a pas manifesté, à la même époque, la même sévérité vis-à-vis de la Turquie dont le gouvernement était marqué par l’extrême-droite, ni vis-à-vis de la Chine, de Cuba ou de la Russie⁠[17] où les droits de l’homme étaient ou sont bafoués à grande échelle.

A la recherche d’une cohérence sociale

Revenons encore à Claude Lefort. « La démocratie s’institue et se maintient dans la dissolution des repères de certitudes »[18], réaffirme-t-il. Dès lors, ce sont des opinions diverses qui s’affrontent. L’opinion majoritaire s’impose à l’opinion minoritaire ce qui risque de conduire à des frustrations intolérables qui peuvent s’exprimer par diverses sortes de protestations physiques : manifestations, grèves, émeutes, terrorisme. Ce schéma simpliste paraît bien dépassé aujourd’hui où l’opinion s’est considérablement morcelée ( à la limite, il y a autant d’opinions que d’individus !). Les grands modèles politiques se sont effrités sous les coups de l’individualisme et de la méfiance vis-à-vis des idéologies, des modèles politiques tout faits. De plus en plus, les majorités sont le fruit de coalitions diverses. S’instaure le règne du débat et du compromis.

On peut s’en réjouir car, comme l’écrit Jean Weydert⁠[19] : « Les conflits qui divisent les esprits ne sont-ils pas paradoxalement des ferments d’unité ? Dans le débat démocratique, des préoccupations communes ne peuvent-elles pas apparaître et des projets collectifs se former ? N’est-il pas important, pour le succès de la discussion, que des convictions solidement argumentées s’affrontent et pas seulement des impressions, des intuitions ou des émotions ? Les vrais dangers ne sont-ils pas l’indifférence, une sorte de tolérance molle, la passivité que peuvent entretenir le consumérisme, le conformisme ou certaines utilisations des médias ? »

Cette réflexion est pleine de sagesse mais elle suppose que les interlocuteurs soient des hommes de bonne volonté, cherchant honnêtement le mieux-être d’une population. Malheureusement, les vices dénoncés plus hauts (électoralisme, groupes d’influence, réflexes idéologiques ou sociologiques, etc.) piègent les délibérations. Les frustrations ne disparaissent pas, elles peuvent s’étendre jusque dans le sein des majorités⁠[20] et, pire encore, « …​quand la société apparaît non seulement divisée, mais morcelée, le risque se fait jour de voir se substituer à l’attachement à la démocratie la quête d’un pouvoir autoritaire qui peut sembler rassurant »[21].

Pour éviter ce pire qui n’est pas une menace rêvée mais qui s’est insinué dans l’apparition de mouvements d’extrême-droite, il faut que la démocratie trouve un lien ou un liant qui donne de la cohérence à l’ensemble de la société. En effet, la démocratie ainsi livrée à la mouvance et aux tiraillements des opinions risque de s’atomiser c’est-à-dire de sombrer dans l’anarchie ou, au contraire, de se retourner contre elle-même.

Alexis de Tocqueville⁠[22], dans son analyse célèbre De la démocratie en Amérique, a montré que la démocratie engendre l’individualisme⁠[23] qui s’accroît au furet à mesure que les conditions s’égalisent. Les communautés ont alors tendance à se dissoudre car « non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le refermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur »[24]. Préoccupé seulement de lui-même, l’individu « abandonne volontiers la grande société à elle-même »[25]. Un despotisme nouveau risque d’apparaître : « …​je vois, écrit Tocqueville, une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilité leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leurs industries, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur retirer entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »[26] On a reconnu dans cette vision ce qu’on a appelé l’État-providence dont le rêve a marqué bien des démocraties à l’époque contemporaine. A travers cette peinture, se révèle le danger de ce qu’on a appelé la « dictature du consensus »[27] dont le principe est expliqué ainsi par Tocqueville : « Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. »[28]

Les démocraties modernes flottent entre l’anarchie et cette dictature du consensus à la recherche d’un lien social nouveau.

En effet, elles ne peuvent s’appuyer, comme la démocratie américaine, à l’origine, sur des communautés rassemblées par un fort sentiment religieux, par la lutte à la fois contre les aventuriers et les velléités centralisatrices. Le problème des démocraties aujourd’hui est bien celui du lien social ou plus exactement de son fondement.

Certains répondront que les démocraties se réfèrent à des « valeurs communes », « consacrées par des textes, inscrites dans les codes, les lois, les traités »[29]. Mais quelles sont ces valeurs ? La liberté et en particulier la liberté de conscience et donc le pluralisme ; la souveraineté du peuple, la limitation et le contrôle du pouvoir, la réduction des inégalités, Nous voilà, en fait revenus à notre point de départ. La démocratie se fonde sur elle-même mais cette foi démocratique partagée, à l’évidence, ne suffit pas à la convivialité et à la solidarité. Les valeurs démocratiques consacrées ne sont qu’un lien juridique. Ce lien juridique, ce contrat, si l’on veut, présuppose, comme l’a montré Joël Roman⁠[30], un « fondement extra-juridique », une confiance, une volonté de vivre ensemble, bref, un lien d’un autre type, un lien de vie, plus intime, plus profond.

Excluons d’emblée du débat les idéologies. Même si elles ne sont pas tout à fait mortes puisqu’on parle de néo-marxisme, de néo-fascisme, elles sont plus que suspectes aux yeux des démocrates contemporains car elles sont la négation même de la démocratie au même titre d’ailleurs que les intégrismes religieux qui confondent temporel et spirituel ou les nationalismes qui renaissent ici et là inspirant des « purifications » ethniques, linguistiques ou religieuses.

La religion ?

Tocqueville⁠[31], encore lui, soulignait l’importance des religions pour le bonheur terrestre des hommes en général et spécialement pour les « hommes qui vivent dans les pays libres ». « Quand la religion, explique-t-il, est détruite chez un peuple, le doute s’empare des portions les plus hautes de l’intelligence et il paralyse à moitié toutes les autres. Chacun s’habitue à n’avoir que des notions confuses et changeantes sur les matières qui intéressent le plus ses semblables et lui-même ; on défend mal ses opinions ou on les abandonne, et, comme on désespère de pouvoir, à soi seul, résoudre les plus grands problèmes que la destinée humaine présente, on se réduit lâchement à n’y point songer.

Un tel état ne peut manquer d’énerver les âmes ; il détend les ressorts de la volonté et il prépare les citoyens à la servitude.

Non seulement il arrive alors que ceux-ci laissent prendre leur liberté, mais souvent ils la livrent.

Lorsqu’il n’existe plus d’autorité en matière de religion, non plus qu’en matière politique, les hommes s’effrayent bientôt à l’aspect de cette indépendance sans limites. Cette perpétuelle agitation de toutes choses les inquiète et les fatigue. Comme tout remue dans le monde des intelligences, ils veulent, du moins, que tout soit ferme et stable dans l’ordre matériel, et, ne pouvant plus reprendre leurs anciennes croyances, ils se donnent un maître ». L’auteur se demande alors « si cette grande utilité des religions n’est pas plus visible encore chez les peuples où les conditions sont égales, que chez tous les autres.

Il faut reconnaître que l’égalité, qui introduit de grands biens dans le monde, suggère cependant aux hommes (…) des instincts fort dangereux ; elle tend à les isoler les uns des autres, pour porter chacun d’eux à ne s’occuper que de lui seul.

Elle ouvre démesurément leur âme à l’amour des jouissances matérielles.

Le plus grand avantage des religions est d’inspirer des instincts tout contraires. Il n’y a point de religion qui ne place l’objet des désirs de l’homme au-delà et au-dessus des biens de la terre, et qui n’élève naturellement son âme vers des régions fort supérieures à celles des sens. Il n’y en a point non plus qui n’impose à chacun des devoirs quelconques envers l’espèce humaine, ou en commun avec elle, et qui ne le tire ainsi, de temps à autre, de la contemplation de lui-même ? Ceci se rencontre dans les religions les plus fausses et les plus dangereuses.

Les peuples religieux sont donc naturellement forts précisément à l’endroit où les peuples démocratiques sont faibles ; ce qui fait bien voir de quelle importance il est que les hommes gardent leur religion en devenant égaux ».

Il est vrai que, traditionnellement, la religion a constitué un lien social particulièrement fort. Les hommes étant rassemblés dans une même conception du monde, par de mêmes rites, une même manière de vivre, de penser même s’il s’agissait souvent de pur conformisme ou de convenance sociale. En attendant les effets d’une nouvelle évangélisation qui sera toujours incomplète et toujours à reprendre, il n’en est plus de même aujourd’hui. L’athéisme a progressé mais il ne peut lui-même fournir le lien souhaité dans la mesure où, tout comme le sentiment religieux, il est devenu, dans l’inflation individualiste, multiforme.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la démocratie moderne, dans de nombreux pays européens, s’est construite explicitement ou implicitement sur la mise à l’écart délibérée de tout fondement religieux. Ce problème a déjà été soulevé à propos des Constitutions et de la présentation qu’elle faisait des droits de l’homme.

La définition la plus simple du dictionnaire le dit bien : « la démocratie place l’origine des pouvoirs dans la volonté collective des citoyens »[32]. C’est un écho des articles 3 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » ; « La loi est l’expression de la volonté générale ». Tels sont les fondements de la démocratie que nous appellerons libérale qui inquiète un auteur comme B.-H. Lévy, au même titre que le système totalitaire: « C’est la première fois aujourd’hui, écrit-il, que (le monde) se passe d’un référent ; d’un accrochage au divin. C’est la première fois qu’il rompt avec ce théisme diffus sans quoi les sociétés n’ont jamais fonctionné. Crépuscule des dieux, prélude au crépuscule des hommes »[33].

La culture ?

La culture a subi le même mouvement. On a longtemps beaucoup insisté sur la culture comme moyen essentiel de développer l’esprit et la sensibilité de l’homme au contact d’objets intellectuels et artistiques qui affirmaient, d’une manière ou d’une autre, l’éminence de la vie avec la pensée. Cette culture profondément humaniste et critique pouvait se prétendre universelle dans la mesure où elle transcendait les conditions historiques et les accidents de l’individualité pour s’attacher à ce qui est le plus humain dans l’homme. Dans le même temps, l’ethnologie utilisait le mot culture pour désigner tout signe humain. Dans le premier sens, classique dirons-nous, on considère qu’un concerto brandebourgeois mérite plus place dans la formation humaine qu’une cafetière dans la mesure où il est plus chargé de significations importantes pour l’esprit et la sensibilité que la cafetière. Dans le second sens, ethnologique, une petite auto en matière plastique est autant « signe humain », autant culturelle que la Vénus de Milo.

On constate aujourd’hui que la culture au sens classique, critique puisqu’elle instaure une hiérarchie, universelle puisqu’humaniste bat en retraite devant une « culture » particularisée et, à la limite, éparpillée dans les choix changeants et incohérents des individus, une « culture » qui instaure l’équivalence de tous les produits culturels.

On parle de société multiculturelle c’est-à-dire d’une société où se mélangent, du fait de l’immigration, des cultures et des ethnies différentes. Cette société multiculturelle réclame une éducation interculturelle qui prenne en compte les différences et s’ouvre à la diversité des valeurs.

A Finkielkraut⁠[34] a montré la contradiction inhérente au rêve de société pluriculturelle : « Il faut choisir en effet : on ne peut célébrer simultanément la communication universelle et la différence dans ce qu’elle a d’intransmissible (…). il y a contradiction insurmontable à vouloir fonder l’hospitalité sur l’enracinement ». Pour échapper (pense-t-on) à la contradiction, on promeut une « pédagogie de la relativité » : « toutes les cultures sont également légitimes et tout est culturel ». Dans l’espoir que l’Européen, par exemple, qui spontanément aime mieux l’Europe, vainque ses préférences naturelles, le Conseil de l’Europe demande aux enseignants qu’ils « luttent contre l’ethnocentrisme et les stéréotypes négatifs ». Ce relativisme militant détruit l’esprit de l’Europe qui « ne ressent plus son unité spirituelle »[35]. Ce relativisme détruit la vraie culture qui suppose choix, hiérarchie, valeurs et dissout précisément la culture européenne ou occidentale dans ce qu’elle avait d’essentiel : l’universalisme. Comme l’écrit J.-M. Paupert, elle « semble atteinte de la peste, la peste de l’impuissance et de la désespérance, la peste du découragement et de la démission, la peste de la démesure et du déséquilibre ».⁠[36]

L’évocation insistante de la culture européenne⁠[37] risque de passer, aux yeux de beaucoup, pour une manifestation de chauvinisme alors que nous sommes obligés de reconnaître simplement un fait : « L’homme qui est allé dans la lune, l’homme qui s’apprête à gagner Mars, le système solaire, la galaxie, à voyager entre les astres, c’est l’héritier de la sagesse grecque, de la mystique juive et chrétienne, de l’ordre romain, Athènes, Rome, Jérusalem : on ne peut manquer de les retrouver. Athènes a fourni le logos, elle a brillé des lumières et des feux de la raison raisonnable, elle a engendré le germe de toutes les sciences philosophiques et positives ; toutes nos mathématiques, toutes nos biologies, presque toutes nos philosophies sont écloses de cet œuf aux formes parfaites. Jérusalem, c’est, en contrepoids de ce cerveau, l’âme judéo-chrétienne, c’est l’inspiration mystique, c’est le « sed contra » perpétuel, la contestation permanente, au nom de l’Esprit, de toutes les autorités et de toutes les lois trop rationnelles, c’est l’allègement de toutes les pesanteurs, c’est le souffle divin. Rome, enfin, fusionna le tout, fournit le corps, ordonna les muscles et les nerfs, équilibra les forces, donna l’assise paysanne et la correction juridique »[38]. Les 3 en synergie, « en leurs apports conflictuels et complétifs ».⁠[39]

Si la culture européenne a un tel statut, c’est qu’à travers ses arts, ses philosophies, ses progrès techniques, et fondamentalement grâce aux valeurs chrétiennes qui l’informent, elle fut profondément humaniste et par là universelle, comme l’a souligné à de nombreuses reprises Léo Moulin⁠[40]. De même Vaclav Havel⁠[41] déclarait naguère : « en revendiquant notre appartenance à ce que l’on appelle l’Occident, nous revendiquons avant tout et essentiellement notre identité avec une civilisation, une culture politique, des valeurs spirituelles concrètes et des principes universels ».

Malheureusement, cette culture est en crise depuis le XIXe siècle avec l’éveil et l’exaltation des nationalismes et des particularismes.

Alain Finkielkraut a écrit l’histoire de cette « défaite »⁠[42]. Pour lui, trois forces ont travaillé à l’élimination de l’idée d’une culture universelle:

Tout d’abord, la théorie de l’allemand Johan Herder (1744-1803) qui lança le mouvement littéraire Sturm und drang (tempête et élan), qui prônait le sentiment face au rationalisme et exalta le Volksgeist (l’esprit du peuple). Pour lui, il n’y a pas de valeur universelle mais seulement des valeurs régionales. Il oppose la culture nationale à l’idée de civilisation. Qui pourrait concerner tous les hommes. L’invasion napoléonienne va, bien sûr, favoriser l’essor de cette conception qui influencera, par exemple, Goethe, du moins dans sa jeunesse.

Face à cette théorie, le « traditionalisme » français, initié par Joseph de Maistre (1753-1821) ou de Louis de Bonald (1754-1840), qui opposera le « génie » français à l’esprit égalitariste de la révolution puis au « génie » allemand lorsque les conflits menaceront⁠[43]. Ce traditionalisme contredisait la pensée d’un Ernest Renan affirmant qu’« avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a une culture humaine ».

Enfin, ces conceptions seraient restées peut-être accidentelles sans l’action politique et culturelle de l’Unesco qui va les amplifier à l’échelle du monde en déclarant que « les êtres humains tirent toute leur substance de la communauté à laquelle ils appartiennent ; que l’identité personnelle des individus se confond avec leur identité collective ; que tout en eux - croyances, valeurs, intelligence ou sentiments - procède de ce complexe de climat, de genre de vie, de langue qu’on appelait jadis Volksgeist et que l’on nomme aujourd’hui culture ; que l’important c’est l’intégrité du groupe et non l’autonomie des personnes, que le but de l’éducation n’est pas de donner à chacun les moyens de faire le tri dans l’énorme masse de croyances, d’opinions, de routines et d’idées reçues qui composent son héritage, mais bien au contraire de l’immerger dans cet océan (…) »⁠[44].

Dès lors, deux idées majeures s’imposent. Dans l’espace tout d’abord, il n’existe plus que des cultures toutes équivalentes quelles qu’elles soient (l’européenne n’est pas plus intéressante que la bantoue) et, dans le temps, la culture n’étant pas transmissible, il n’y a pas de continuité. Il est vain de vouloir retrouver dans nos ancêtres une image ou une esquisse de nous-mêmes. Il n’y a pas de caractères humains immuables, pas de progrès, pas de hiérarchie possible de valeurs. Seules des raisons socio-politiques peuvent nous amener à privilégier la musique de Bach plutôt que le rap. Bien plus, la distinction entre l’œuvre, le document et le divertissement est effacée⁠[45].

Finkielkraut relève ensuite 5 conséquences de cette égalisation des cultures.

Tout d’abord, la communication devient difficile car « ne parler de culture qu’au pluriel, (…) c’est refuser aux hommes d’époque diverses ou de civilisations éloignées la possibilité de communiquer autour de significations pensables et de valeurs qui s’exhaussent du périmètre où elles ont surgi »[46].

En même temps, « il n’y a plus ni vérité ni mensonge, ni stéréotype, ni invention, ni beauté, ni laideur, mais une palette infinie de plaisirs différents et égaux. La démocratie qui impliquait l’accès de tous à la culture se définit désormais par le droit de chacun à la culture de son choix ou à nommer culture sa pulsion du moment »[47].

Dans cette perspective, le racisme et la censure sont justifiés non plus, bien sûr, en fonction de l’infériorité de l’autre mais précisément à cause de la proclamation du caractère absolu des différences. Tout ce qui peut transcender la diversité est exclu.

L’exaltation de l’identité culturelle, aussi curieux que cela puisse paraître, apporte des arguments au xénophobe et au xénophile. Le xénophobe dira, devant l’invasion du tiers-monde en Europe : « préservons notre culture non pas qu’elle soit nécessairement supérieure mais simplement du fait qu’elle est nôtre ». Le xénophile répondra : « nous n’avons pas le droit de nous préférer, créons une société pluriculturelle et si l’Européen préfère spontanément l’Europe, il faut vaincre cette préférence naturelle par une pédagogie de la relativité qui proclame la déchéance des valeurs universelles et l’abolition de toute hiérarchie de valeurs

Est-il enfin nécessaire de rappeler que la promotion du volksgeist a favorisé l’éveil des nationalismes et des sous-nationalismes et nourrit donc les conflits armés ou non qui déchirent bien des régions d’Europe.

qu’espérer alors dans cette crise de la culture⁠[48] que certains estiment dépassée dans la mesure où nous assisterions en réalité à une destruction de la culture⁠[49] ?

Le travail ?

Dans l’effondrement général des références traditionnelles, le travail est apparu « comme le grand organisateur de l’échange social »[50].

Il est incontestable que le monde du travail est très « structurant » sur le plan personnel comme sur le plan social. Mais indépendamment du fait qu’il ne peut à lui seul construire la personne, il est lui aussi en crise et en mutation aujourd’hui. Que devient la force 'structurante » lorsque la durée du travail diminue, lorsque le travail devient précaire, lorsque l’on est privé de travail et que les tâches qui subsistent ou se créent, s’individualisent, se mondialisent ou se « technicisent » de plus en plus ? Comment espérer que le travail puisse encore remplir pleinement sa fonction sociale lorsque sous les coups de l’économisme libéral, il génère tant d’inégalités ?

Nous y reviendrons dans la troisième partie mais on peut dès à présent méditer cette réflexion de Jacques Attali⁠[51] :  »Je crois que le marché et la démocratie, qui sont pourtant deux valeurs que nos sociétés défendent depuis au moins le XVe siècle, se contredisent largement. Or, dans un univers où nous assistons à la victoire évidente du marché sur la démocratie, il est impératif de redonner à la collectivité et à ses structures représentatives - si possibles mondiales - les outils pour rééquilibrer la balance. J’ai relevé trois contradictions entre ces deux valeurs. Primo, celle liée à la durée - le marché privilégie le court terme alors que la société exige des décisions à long terme ; secundo, celle qui concerne les frontières - le marché n’en a cure, la démocratie en a un besoin vital pour donner un sens à la notion de citoyenneté ; et tertio, celle relative à la recherche du bien-être collectif - le marché prétend y parvenir par la juxtaposition des égoïsmes individuels, la démocratie affirme au contraire la primauté de la collectivité sur les intérêts particuliers. Ne pas remédier à cela, c’est courir le risque d’une aliénation complète de la démocratie aux principes du marché ».

Par ailleurs, nous y reviendrons aussi, de grandes puissances économiques et financières se sont constituées dans la seconde moitié du XXe siècle et favorisées par le néo-libéralisme triomphant depuis la chute de l’empire communiste, elles sont tentées de contrôler d’une manière ou d’une autre la vie sociale et politique. On sait que la corruption n’est plus seulement un mal qui ronge le tiers-monde mais une réalité quotidienne dans les pays dits développés.

La vieille intuition de Montesquieu affirmant que la frugalité est nécessaire à la démocratie semble hélas parfaitement confirmée : « moins il y a de luxe dans une république, écrivait-il, plus elle est parfaite. Il n’y en avait point chez les premiers Romains ; il n’y en avait point chez les Lacédémoniens ; et dans les républiques où l’égalité n’est pas tout à fait perdue, l’esprit de commerce, de travail et de vertu fait que chacun y peut et que chacun y veut vivre de son propre bien, et que par conséquent il y a peu de luxe. (…)

A mesure que le luxe s’établit dans une république, l’esprit se tourne vers l’intérêt particulier. A des gens à qui il ne faut rien que le nécessaire, il ne reste à désirer que la gloire de la patrie et la sienne propre. Mais une âme corrompue par le luxe a bien d’autres désirs ? Bientôt elle devient ennemie des lois qui gênent. »[52]

Rappelons-nous aussi que Tocqueville⁠[53] n’imaginait pas de démocratie sans limites à la rationalité économique ou à l’individualisme et que pour lui, une des faiblesses de ce régime était précisément son esprit mercantile⁠[54].


1. GUENON René, La crise du monde moderne, Gallimard, 1946, pp. 88-89.
2. C’est la définition du Robert.
3. Art. 6: « La loi est l’expression de la volonté générale ».
4. LEFORT Claude, Essais sur le politique, Seuil, 1986 p. 29. Cf. également : L’invention démocratique, Livre de poche, 1981.
5. Op. cit., p. 82.
6. ROMAN Joël, qu’est-ce qui fait lien ?, in Fragile démocratie, op. cit., pp. 97-98.
7. De la démocratie en Amérique, Gallimard, 1968, p. 147.
8. Op. cit., pp. 131-135.
9. Moi…​ et les autres, Petit traité de l’agressivité au quotidien, Labor, 1996, p. 75. L’auteur cite en note le Dictionnaire politique de 1842, s.v° Minorité et TALMON J.-L., Les origines de la démocratie totalitaire, Paris, 1966.
10. La face cachée de l’ONU, Le Sarment, 2000, pp. 43-44.
11. Id., pp. 38-41.
12. FOULQUIE Paul, Dictionnaire de la langue philosophique, PUF, 1962.
13. Théorie de la justice, Le Seuil, 1987, pp. 595-596. Rawls trouve, par exemple, « démente » la hiérarchie des valeurs morales qu’Ignace de Loyola établit ; cf. DELSOL Ch., Le souci contemporain, Ed. Complexe, 1996, pp. 115-120.
14. L’invention démocratique, op. cit..
15. LEPAIGE Hugues, RTBf (radio), 17-2-2000, 7h30.
16. Ainsi, le droit à la vie a-t-il été entamé par le droit à l’avortement et à l’euthanasie. On ne peut même plus affirmer que quoi qu’il en soit, chacun reste libre de se conformer à sa conscience. En effet, en France, depuis la loi du 30-5-2001, l’entrave à l’avortement (y compris par pressions morales) est désormais un délit inscrit dans le code pénal. La même loi supprime les sanctions prévues auparavant pour incitation à l’IVG. Par ailleurs, un chef de service hospitalier qui, pour des raisons de conscience, refuse de pratiquer des avortements devra s’assurer que son service puisse les pratiquer. Mesure qui, évidemment, réduit la liberté de conscience. (Cf. ZENIT.org, 30-5-2001)
17. Le ministre belge des Affaires étrangères fut le plus virulent vis-à-vis de l’Autriche, conseillant même d’éviter ce pays comme lieu de vacances et refusant de serrer la main d’un ministre autrichien qui n’appartenait pas au parti de Haider. Mais le même ministre, le 26-3-2000, envoyait un télégramme de félicitations à Vladimir Poutine pour son élection à la présidence russe. Il y affirmait qu’ »une nouvelle génération porte les espoirs et l’avenir de ce grand pays ». Comme le faisait remarquer un journaliste, « en fait de nouvelle génération, M. Poutine a déjà une longue carrière derrière lui ; un passé au service du KGB soviétique, de la Stasi est-allemande, du FSB russe et, plus récemment, de la mafia du Kremlin » (La Libre Belgique, 29-3-2000). Le ministre belge avait aussi oublié la guerre en Tchétchénie qui tint lieu de principal programme électoral à V. Poutine. Il ne craignit pas le ridicule en précisant, dans son télégramme, qu’il espérait qu’« une issue politique pourra être trouvée dans les meilleurs délais à la crise de Tchétchénie ». Il y avait, à ce moment, trois mois que Grozny, la capitale avait été détruite.
18. Essais sur le politique, Seuil, 1986, p. 29. Rappelons-nous Platon soulignant le danger d’une liberté totale qui se moque « des lois écrites et non écrites » !
19. Op. cit., p. 11.
20. Une belle illustration a été fournie par la coalition « arc-en-ciel » qui présida à la destinée de la Belgique autour de l’an 2000. Les socialistes durent se libéraliser, les libéraux se socialiser et les écologistes perdirent nombre de leurs illusions.
21. WEYDERT Jean, op. cit., p. 9.
22. 1805-1859.
23. Tocqueville distingue l’individualisme de l’égoïsme : « L’égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l’homme à ne rien rapporter qu’à lui seul et à se préférer à tout.
   L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis…​ » (op. cit., II,II,II, p. 125).
24. De la démocratie en Amérique, II, partie II, chapitre II, Garnier-Flammarion, 1981, p. 130.
25. Id., p. 128.
26. Id., II, partie IV, chapitre VI, pp. 385-386.
27. BERNARDI Bruno, in La démocratie, Corpus, GF Flammarion, 1999, p. 157.
28. De la démocratie en Amérique, op. cit., p. 396.
29. REMOND René, Forces et faiblesses de la démocratie en Europe, in Fragile démocratie, op. cit., p. 87.
30. qu’est-ce qui fait lien ?, in Fragile démocratie, op. cit., pp. 97-107.
31. De la démocratie en Amérique, op. cit., n° 17, pp. 220-230.
32. Robert.
33. La barbarie à visage humain, op. cit., p. 160.
34. La défaite de la pensée, Gallimard, 1987, pp. 109-122..
35. KUNDERA Milan, in La Libre Belgique, 28-4-1983.
36. PAUPERT J.-M., Les mères patries, Jérusalem, Athènes et Rome, Grasset, 1982, p. 17.
37. A propos de la philosophie, Edmund Husserl, philosophe autrichien (1859-1938) , parlait de la « mission rectrice de l’Europe ». Pour le meilleur et à travers le pire, pourrait-on ajouter. Pensons à cette réflexion d’Emmanuel Lévinas (philosophe juif d’origine lituanienne) (1905-1995) : « L’Européen, je ne sais si c’est très populaire de dire cela, pour moi l’homme européen est central, malgré tout ce qui nous est arrivé en ce siècle(…). L’Europe a beaucoup de choses à se reprocher, son histoire a été une histoire de sang et de guerre aussi, mais c’était le lieu où ce sang et cette guerre ont été regrettés et constituent une mauvaise conscience, une mauvaise conscience de l’Europe qui est le retour de l’Europe, non vers la Grèce, mais vers la Bible ». (POIRIE François, LEVINAS Emmanuel, Essai et entretiens, Babel, 1987, p. 136).
   On peut aussi évoquer l’influence considérable que la philosophie européenne a exercé ou exerce encore aux États-Unis ou au Japon où des pensées originales n’ont pu se former qu’à partir des modèles européens (Cf. LAUGIER Sandra, Recommencer la philosophie, La philosophie américaine aujourd’hui, PUF, 1999 ; STEVENS Bernard, Topologie du néant, Une approche de l’école de Kyôto, Peeters, 2000). Tout confirme l’affirmation de Jean Brun (in L’Europe philosophe, Stock, 1988, p. 16) : « d’Europe sont parties des idées qui abordèrent peu à peu tous les continents ». On peut parler de sagesses aux quatre coins du monde, la philosophie est essentiellement européenne.
38. PAUPERT, op. cit., id.
39. Id., p. 314.
40. Cf. notamment : L’occident n’est pas un accident, in Géopolitique, Hiver 87-88, n° 20 pp. 57-62
41. L’angoisse de la liberté, Ed. De l’Aube, 1994, p.153
42. FINKIELKRAUT Alain, La défaite de la pensée, Gallimard, 1987.
43. Ainsi en fut-il vers 1870 avec Maurice Barrès (1862-1923) et vers 1914 avec Charles Maurras (1868-1952).
44. FINKIELKRAUT A., op. cit., pp. 100101.
45. Cette vision a influencé très nettement l’enseignement de la littérature, par exemple. Dans la préface d’un manuel utilisé dans l’enseignement secondaire belge (HAMBURSIN M., Textes en archipels, De Boeck-Duculot, 1990, p. IX), on peut lire cette citation qui soutient la perspective fondamentale du livre : « Il n’y a plus « une » grande culture, faite d’un ensemble fini d’œuvres qu’il serait impératif de connaître, et qui dépendrait du jugement des intellectuels de quelques grandes métropoles, mais une pluralité de cultures, ayant chacune leurs références propres et qui cohabitent ou rivalisent au sein d’un même milieu socio-culturel » (QUILLOT Roland, Un nouvel âge de la culture ?, in Le Débat, mars-avril 1989, Questions à la littérature, p. 38).
46. Id., p. 153.
47. Cf. aussi cette réflexion de C. Castoriadis à propos de la création culturelle depuis 1950 :  »…​impossible de sous-estimer la montée de l’éclectisme, du collage, du syncrétisme invertébré, et surtout, la perte de l’objet et la perte du sens, allant de pair avec l’abandon de la recherche de la forme, la forme qui est toujours infiniment plus que forme puisque, comme le disait Victor Hugo, elle est le fond qui monte à la surface » (op. cit., p. 204).
48. Cf. ARENDT Hannah, La crise de la culture, Idées Gallimard, 1972.
49. C’est la thèse de Michel Henry, in La barbarie, Grasset, 1987. La position de cet auteur est tout à fait radicale. Ce n’est pas le refus d’une culture universaliste qu’il déplore mais la possibilité même d’une culture définie comme « l’auto-transformation de la vie, le mouvement par lequel elle ne cesse de se modifier soi-même, afin de parvenir à des formes de réalisation et d’accomplissement plus hautes, afin de s’accroître ».(p. 14). L’objectivité technique et ses moyens médiatiques condamnent la culture à une clandestinité qui la rend inopérante dans la société.
50. ROMAN Joël, op. cit., p. 101.
51. Entretien in La libre Belgique, 11-3-1999. J. Attali, conseiller d’État français, fut un proche du président français François Mitterand et président de la Banque européenne de développement.
52. L’esprit des lois, Livre VII, chap. II, op. cit., pp. 104-105.
53. Cf. SIEDENTOP Larry, Revenir à Tocqueville, in Géopolitique, Hiver 1991-1992, n°36, pp. 24-25.
54. Les autres faiblesses sont, pour lui, la tendance au nivellement intellectuel et la médiocrité des ambitions de la démocratie.