Il n’est pas inutile, à cet endroit, d’essayer de savoir comment nos contemporains perçoivent la démocratie.
On se souvient peut-être de ce dialogue entre Roger Lallemand et le cardinal Danneels, où le sénateur socialiste définit la démocratie comme « le pouvoir de l’homme sur l’homme »[1]. Cette définition sommaire est purement idéologique et même inquiétante car ce pouvoir semble sans limite. On veut penser qu’elle a été dictée par une trop grande ferveur laïciste face au primat de l’Église catholique de Belgique.
Plus intéressante, la définition donnée un jour par l’écrivain Pierre Mertens[2] : « la démocratie, c’est ce qui distribue le pouvoir tout en le limitant ». Cette affirmation met en avant le caractère participatif que doit avoir la démocratie et la nécessité, contrairement à la réflexion emportée de Roger Lallemand, de donner des limites au pouvoir. reste, bien sûr, à connaître ces limites et leur fondement.
C’est aussi la participation que les juristes évoqueront volontiers comme le fondement même de la démocratie. Et ils en préciseront deux aspects : un aspect passif qui s’exprime par le respect des droits de l’homme et un aspect actif qui lui se traduit par le vote, l’éligibilité et l’accès à la fonction publique.
On en arrive alors à une définition plus savante et plus complète où la démocratie est présentée comme « un pouvoir par le peuple et pour le peuple[3], respectueux des droits fondamentaux du citoyen grâce à l’indépendance du pouvoir judiciaire, sourcilleux à l’égard des abus de pouvoir notamment grâce à l’existence d’un organe suprême de contrôle (conseil constitutionnel ou Cour suprême[4]), ouvert au débat politique du fait de l’opposition des partis, et bénéficiant de la légitimité progressivement étendue du suffrage universel »[5]. Autrement dit encore, c’est un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple où le pouvoir est contrôlé grâce au régime représentatif et à la séparation des pouvoirs dans un état de droit où la loi est le fruit du débat et de la discussion[6].
d’autres auteurs font, à juste titre, semble-t-il, remarquer que « la démocratie n’est pas seulement une forme politique - le gouvernement du peuple par le peuple -, mais aussi une forme de société - une société dont les membres sont égaux en droit, solidaires les uns des autres, et qui respecte leur dignité et leur liberté - et une pratique, un type de comportement qui appelle un apprentissage »[7].
Autrement dit, la démocratie ne se résume pas à un ensemble de principes institutionnels : suffrage universel, conditions d’éligibilité, possibilité réelle de choix entre divers candidats représentants et entre divers programmes. Ces règles et procédures sont nécessaires mais non suffisantes : Hitler ne fut-il pas élu démocratiquement, de m_me, plus près de nous, que Jorg Haider, en Autriche, considéré comme un avatar néo-fasciste ?
La démocratie apparaît donc comme un régime qui demande plus que le respect de quelques mécanismes.
C’est ce qui transparaît aussi dans l’enquête réalisée, en 1996, par les élèves de 4e secondaire de l’Athénée Fernand Blum[8]. Ils ont regroupé dans une publication[9] leurs définitions et celles qui leur ont été envoyées par toute une série de personnalités qu’ils avaient sollicitées. Il est intéressant de constater que les jeunes et leurs interlocuteurs ont mis en évidence des valeurs plutôt que des mécanismes. Pour eux, la démocratie se caractérise par la contestation, la participation, le bien-être de tous, le bonheur, la liberté, l’égalité, la liberté d’expression, la fraternité, la lutte contre l’indifférence, l’hospitalité, la paix, la justice, la solidarité, la tolérance, la transparence. Ce sont clairement des biens universels à connotation morale[10]. En ce qui concerne les moyens de mettre en œuvre toutes ces valeurs, seuls sont cités le referendum et les élections.
A la lumière de ce sondage, on peut donc affirmer que « la démocratie est aujourd’hui une philosophie, une manière de vivre, une religion et, presque accessoirement, une forme de gouvernement. Une signification aussi riche lui vient tant de ce qu’elle est effectivement que de l’idée que s’en font les hommes lorsqu’ils placent en elle leur espérance d’une vie meilleure »[11].
d’une part, la démocratie est incontestablement, dans les débats politiques, une référence forte et permanente et, en même temps, elle est l’objet de bien des critiques et déceptions. Elle est le régime dont rêvent tous les hommes, surtout les opprimés dans leur infinie variété mais elle ne semble réalisée en aucun endroit du monde.