Avec beaucoup de réalisme, Pie XII, dans le texte déjà
cité, attire aussi l’attention sur un
problème de plus en plus aigu aujourd’hui. Les communes, écrit-il,
« sont insérées dans un État plus ou moins centralisé ; elles ont perdu
une large part de leur initiative et de leur indépendance pour faire
droit aux exigences de relations sociales qui s’étendent sur de larges
fractions de continents et débordent même au-delà ».
Un rapide coup d’œil sur l’origine et l’histoire des communes, en
Belgique particulièrement, fait apparaître une tension perpétuelle entre
autonomie et centralisation.
L’origine des communes remonte au Moyen-Age et est liée à l’apparition
de villes sous le régime seigneurial. Elles « se font concéder par les
seigneurs des libertés dans beaucoup de domaines (…) Certaines
libertés sont acquises par la force, d’autres sont achetées ou
négociées… Mais aucune ville n’a été totalement libre.
Ainsi seigneurs et communautés établissent leurs droits respectifs et
s’engagent mutuellement par un serment commun. Ce régime de communauté
est fort répandu. Ces droits et obligations sont consignés dans des
chartes de franchises et de cette communauté naîtra beaucoup plus tard
le mot commune, qu’on emploiera aussi dans un sens territorial, très
éloigné du sens originel » (Crisp).
Au cours de l’histoire, souvent, après les XIIIe et XIVe siècles, les
princes mèneront une politique centralisatrice. L’étendue des libertés
diminuera mais les pouvoirs locaux conserveront toujours une part de
liberté et garderont leurs particularismes.
Sous le régime français (1795-1815), la Convention (assemblée
législative) imposera son décret du 14 -12 1789 distinguant les
fonctions propres au pouvoir municipal et les fonctions relevant de
l’administration générale de l’État. On assista à « une grande
centralisation au profit de l’État. Finalement les communes sont
devenues de simples subdivisions administratives du pouvoir central,
pratiquement sans aucune autonomie. Les dirigeants des communes ont
cessé d’être des élus et sont devenus des fonctionnaires nommés par
l’autorité supérieure » (Crisp)
Sous le régime hollandais (1815-1830), après un retour à une certaine
liberté, on imposa une organisation plus centralisée.
Ce rapide survol nous montre bien ce qui est en question : « Autonomie
communale ou centralisation administrative : tel est le dilemme qui se
pose à tous ceux qui vont devoir organiser les institutions communales »
(Crisp). Disons que tout corps intermédiaire parce qu’intermédiaire
précisément jouit d’une certaine autonomie et subit nécessairement des
pressions centralisatrices dont certaines sont inévitables et
nécessaires. Le problème est de trouver le bon équilibre, de laisser,
suivant le principe de subsidiarité, la commune s’occuper des services
qu’elle est seule à pouvoir rendre ou qu’elle rend mieux qu’une autre
instance mais en n’oubliant pas qu’elle-même a besoin de forces et de
soutiens et qu’elle s’inscrit dans un ensemble d’institutions qui
doivent respecter le bien commun et manifester un minimum de cohérence.
Si, comme l’écrit aussi Pie XII, les
« magistrats communaux (…) ne peuvent être de simples exécutants des
décisions prises par l’État », et si, ajoute-t-il, « une autonomie assez
large constitue un stimulant efficace des énergies, profitable à l’État
lui-même, à condition que les autorités locales s’acquittent avec
compétence de leur office et se gardent de tout particularisme étroit »,
l’autonomie radicale est bien sûr impensable, pour une question de bon
sens : « On ne peut pas parler, au sens propre, de souveraineté au niveau
de la commune car les habitants d’une commune n’ont de pouvoir que parce
que la Constitution et les lois en ont disposé ainsi » (Crisp). Ainsi,
la commune n’a pas de souveraineté sur son territoire. Ajoutons que la
commune, comme la province ou la région, sert aussi d’organe de
transmission de décisions prises à l’échelon supérieur et qu’elle reste
soumise aux exigences du bien commun. « L’intérêt communal ne peut être
contraire à l’intérêt général ; de même les décisions prises par les
autorités communales doivent s’intégrer dans un cadre plus vaste et,
pour cette raison, elles sont soumises à un contrôle supérieur (la
tutelle) qui peut, suivant les cas, les approuver ou les annuler, ou
même parfois les changer pour les rendre conformes à l’intérêt général »
(Crisp). De là naissent la tentation récurrente, de la part des
instances supérieures, de limiter les pouvoirs de la commune ou la mise
en difficulté involontaire de ce premier échelon institutionnel suite à
des exigences démesurées.
Le dossier Crisp décrit bien cette situation en Belgique : « Petit à
petit, le champ d’action des communes s’est étendu de façon
considérable, à la fois à l’initiative des élus locaux et sous
l’impulsion des pouvoirs supérieurs, qui leur ont confié de multiples
tâches d’intérêt général. (…) A de nombreuses reprises, des accords
gouvernementaux ont prévu la valorisation du niveau communal.
L’intention a été plusieurs fois affirmée d’opérer une plus grande
décentralisation et une plus grande déconcentration des pouvoirs de
l’État au profit des communes (…).
La pratique a cependant contredit les intentions : c’est vers une
centralisation toujours plus grande que l’on s’est, dans les faits,
orienté. L’État, suivi récemment par les Régions et les Communautés,
s’est très souvent substitué aux communes en réglementant de nombreux
domaines. En témoignent les mesures prises en matière d’aménagement du
territoire, de protection de l’environnement, de travaux publics, de
sécurité routière, de services d’incendie, de politique hospitalière, de
réforme de la police locale dans le cadre de la réforme globale des
polices, etc.. »
La commune est donc sous contrôle et se
voit imposer des obligations par les pouvoirs supérieurs puisqu’elle est
un relais des instances qui la dépassent.
Il ne faut pas trop rapidement s’en inquiéter. Comme le fait remarquer
Pie XII, « qu’il existe (…) une
légitime sujétion des communes à l’égard de la nation, personne ne le
contestera ; c’est la contrepartie d’une assistance désormais nécessaire
pour que la commune puisse rester, dans l’État moderne, à la hauteur de
ses tâches multiples et garantir à ses ressortissants tous les services
auxquels ils ont droit ».
Tel est bien le problème crucial aujourd’hui. Les demandes de services
ont augmenté, les tâches se sont accumulées mais pour faire face, il est
de plus en plus nécessaire de disposer des moyens appropriés.