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iv. Solidarité

Nous avons beaucoup insisté précédemment sur la nécessité de lier droits et devoirs. Ce qui est vrai sur le plan personnel, l’est aussi sur le plan social. Le droit d’un groupe, quel qu’il soit est associé à des devoirs. L’harmonie d’un groupe, écrivait Jean XXIII, réclame « la reconnaissance et l’accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre, chacun est appelé à concourir généreusement à l’avènement d’un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux droits et aux obligations »[1]. Une conception individualiste du droit risque d’entraîner les corps intermédiaires dans la défense d’intérêts privés au détriment de l’ensemble social.

Réaffirmant, après les dérives étatiques, l’importance des corps intermédiaires, Pie XII mettra l’accent sur le danger d’une dérive d’« organisations qui, pour la défense des intérêts de leurs membres, ne recourraient plus aux règles du droit et du bien commun, mais s’appuieraient sur la force du nombre organisé et sur la faiblesse d’autrui »[2]. Quelques années plus tard, il décrira avec sévérité ces « groupes d’intérêts, puissants et actifs » : « qu’il s’agisse de syndicats patronaux ou ouvriers, de trusts économiques, de groupements professionnels ou sociaux - dont certains même sont au service direct de l’État, - ces organisations ont acquis une puissance qui leur permet de peser sur le gouvernement et la vie de la nation. Aux prises avec ces forces collectives, souvent anonymes, et qui parfois, à un titre ou à un autre, débordent les frontières du pays, comme aussi bien les limites de leur compétence, l’État démocratique issu des normes libérales du XIXe siècle parvient difficilement à maîtriser des tâches chaque jour plus vastes et plus complexes »[3]. Pie XII soulignait un phénomène qui a pris aujourd’hui une ampleur toute particulière et qui menace incontestablement la justice sociale et les démocraties elles-mêmes. Songeons aux lobbies économiques et aux puissances financières qui semblent échapper à toute règle.

C’est pourquoi plusieurs auteurs⁠[4] ont souligné la nécessité de toujours tenir compte, dans l’application du principe de subsidiarité, de l’exigence de la liberté et de l’exigence de la solidarité. Indissociables dans tous les cas, elles peuvent, suivant les circonstances, être l’objet d’une insistance particulière. Face aux pouvoirs totalitaires ou centralisateurs, on mettra l’accent sur l’autonomie des corps intermédiaires, comme le fit Pie XI, en 1931. Face à l’individualisme libéral ou néo-libéral, il faut rappeler l’importance de la solidarité qui mesure et oriente la liberté. Ainsi Léon XIII insistera sur le rôle des pouvoirs publics qui doivent assurer, aux plus pauvres et aux plus fragiles, « une défense et une protection réclamées par la justice »[5]. Et Jean-Paul II rappellera qu’en matière de conditions de travail, par exemple, l’État interviendra « directement (…) en imposant, pour la défense des plus faibles, certaines limites à l’autonomie des parties qui décident des conditions du travail, et en assurant dans chaque cas un minimum vital au travailleur sans emploi »[6].

Dans la réalité changeante des époques et des lieux, il y a un équilibre à trouver. C’est la tâche délicate des responsables appelés à exercer, au delà de leurs compétences politiques, sociales, économiques, une vertu essentielle dans toute action politique : la prudence. Nous en reparlerons dans la dernière partie consacrée à l’action.

Disons tout de même que la pratique de la solidarité réclame « la maturité morale de chaque citoyen », son « désintéressement dans le service », son « respect des devoirs de justice et de charité »[7]. Il doit en être de même, évidemment, pour les responsables des corps intermédiaires car si ceux-ci « ne savent pas élargir leurs horizons aux perspectives de la nation, s’ils ne savent pas sacrifier leur prestige et, éventuellement, leur avantage immédiat à la loyale reconnaissance de ce qui est juste, ils entretiennent dans le pays un état de tension nuisible, ils paralysent l’exercice du Pouvoir politique et compromettent finalement la liberté de ceux mêmes qu’ils prétendent servir »[8].

Il est capital que le souci du bien commun soit général. A ce moment, tout en poursuivant leurs objectifs spécifiques, les corps intermédiaires pourront entretenir des rapports de loyale collaboration et coordonner leurs efforts lorsque ce sera nécessaire. L’État, gardien privilégié du bien commun, a donc un rôle capital à jouer dans la construction subsidiaire.


1. PT, 518.
2. Radiomessage, Noël 1950.
3. Lettre à M. Charles Flory, Président des semaines sociales de France, 14 juillet 1954.
4. Notamment DELSOL Chantal, op. cit., pp. 27-28 et CASTERA Bernard de, Ouvrez les frontières, Introduction à la doctrine sociale de l’Église, Mame, 1991, pp. 90-91.
5. RN 471 in Marmy.
6. CA 15.
7. PIE XII, Lettre à M. Charles Flory, op. cit..
8. Id. C’est effectivement une des raisons de l’emprise grandissante de l’État dans le système corporatiste portugais.