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Chapitre 3 : L’organisation subsidiaire

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, « la famille et la société ont des rôles complémentaires dans la défense et la promotion des biens communs à tous les hommes et _ tout homme. Mais la société, et plus précisément l’État, doivent reconnaître que la famille est une « société jouissant d’un droit propre et primordial » (Dignitatis humanae, 5) et ils ont donc la grave obligation, en ce qui concerne leurs relations avec la famille, de s’en tenir au principe de subsidiarité.

En vertu de ce principe, l’État ne peut pas et ne doit pas enlever aux familles les tâches qu’elles peuvent fort bien accomplir seules ou en s’associant librement à d’autres familles ; mais il doit au contraire favoriser et susciter le plus possible les initiatives responsables des familles. Les autorités publiques, convaincues du fait que le bien de la famille est pour la communauté civile une valeur indispensable à laquelle on ne saurait renoncer, doivent s’employer le plus possible à procurer aux familles toute l’aide - économique, sociale, éducative, politique, culturelle - dont elles ont besoin pour remplir de façon vraiment humaine l’ensemble de leurs obligations »[1].


1. Familiaris consortio (FC), n° 45.

⁢i. Les corps intermédiaires

La famille ne peut à elle seule assurer à ses membres tous les services nécessaires. Elle aura besoin d’une école pour poursuivre l’instruction de enfants, d’un hôpital, d’une entreprise pour réaliser certains travaux ou pour trouver un moyen de subsistance, d’un service public ou privé de distribution d’eau, de gaz, d’électricité, de moyens de protection, de la force des familles regroupées au sein de structures politiques plus ou moins vastes, etc. On a pris l’habitude, dans l’enseignement social de l’Église, d’appeler toutes ces associations à finalités économiques, sociales, culturelles et politiques : les corps intermédiaires. Ces corps intermédiaires qui se situent entre la famille et l’État, sont subsidiaires par rapport à la famille. Leur raison d’être est d’aider les familles là où les pouvoirs propres de celles-ci font défaut.

Ils sont nombreux et variés : la commune, la province, la région, l’école, la maison de culture, l’entreprise, le syndicat, le club de sport, l’association d’anciens combattants, etc.. Leur existence se justifie non seulement par le service qu’ils assurent mais aussi par la nature sociale de l’homme. « Du fait, écrivait Jean XXIII, que l’être humain est ordonné à la vie en société découle le droit de réunion et d’association, celui de donner aux groupements les structures qui paraissent mieux servir leurs buts, le droit d’y assumer librement certaines responsabilités en vue d’atteindre ces mêmes buts.

L’encyclique Mater et Magistra dit à bon droit que la création de bon nombre d’associations ou corps intermédiaire, capables de poursuivre des objectifs que les individus ne peuvent atteindre qu’en s’associant, apparaît comme un moyen absolument indispensable pour l’exercice de la liberté et de la responsabilité de la personne humaine »[1].

Plus ces groupes sont proches des personnes, mieux ils sont susceptibles de connaître leurs besoins et d’y répondre. En principe, les responsables d’une commune sont mieux placés que les dirigeants de l’État ou les fonctionnaires d’une organisation internationale pour traiter un certain nombre de problèmes locaux auxquels les familles-membres peuvent être confrontées.

Si la priorité de la famille impose qu’on n’enlève pas « aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens », la subsidiarité des corps intermédiaire et le souci de leur efficacité auprès des familles imposent l’idée qu’il « serait injuste et dangereux de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes »[2]

On ne peut tirer prétexte des dérives égoïstes de l’« esprit de clocher » pour systématiquement vouloir transférer les pouvoirs à des entités plus vastes en affirmant que plus une institution est vaste, plus elle est juste et efficace. L’affirmation « l’État n’a qu’à » est dangereuse.


1. Pacem in terris (PT), 1963, n° 25-26.
2. PIE XI, Quadragesimo anno (QA), 1931, n° 86-88.

⁢ii. Nécessité et fonctionnement

Les corps intermédiaires sont nécessaires pour la mise en pratique de la liberté et de la solidarité.

En effet, si l’initiative individuelle ou associative vient à faire défaut, la tyrannie politique s’installe et des secteurs perdent leur vitalité. Le pouvoir public ne doit pas se substituer à ces initiatives, leur faire obstacle, ni empêcher leurs activités légitimes et efficaces. Il doit plutôt les favoriser. Elles sont le prolongement et la manifestation de la liberté humaine et donc un moyen irremplaçable d’épanouissement personnel et de « personnalisation » par la mise en œuvre des « talents » de chacun. d’autant plus, comme nous le verrons plus loin à travers quelques exemples, que chaque corps intermédiaire, comme la famille d’ailleurs, doit mettre lui-même en application, en son sein, le principe de subsidiarité. Il serait aberrant qu’un principe réclamé comme essentiel à l’organisation sociale globale ne soit pas mis en œuvre à l’intérieur de chaque société particulière. Les corps intermédiaires, comme la famille, sont donc un lieu d’apprentissage personnel de la liberté et de la responsabilité en fonction des compétences de chacun. Le dynamisme et le foisonnement des corps intermédiaires conçus eux-mêmes sur le schéma de la subsidiarité sont le meilleur remède à la marginalisation que l’on déplore tant aujourd’hui. Ce sont des communautés vivantes où tout l’homme peut s’épanouir et pas seulement des rassemblements d’intérêts, liés à la seule rentabilité. Ce sont enfin des lieux au sein desquels l’individu peut, en principe⁠[1], mieux se protéger des forces massifiantes, oppressives et anonymes qu’elles soient organisées ou culturelles. Pensons aux lobbies financiers, aux puissances économiques, aux idéologies, aux mouvements politiques de masse et même à l’État lorsqu’il veut jouer au léviathan.⁠[2]

De plus, comme l’homme est un être social et qu’il doit développer son sens de la solidarité vis-à-vis de l’ensemble de la société, de l’État et de la communauté internationale, il a précisément l’occasion, au sein des groupes et institutions intermédiaires, de nourrir et pratiquer la solidarité, de se « socialiser ».

Les corps intermédiaires ne peuvent être « personnalisants » et « socialisants » que s’ils se présentent comme des communautés vivantes qui offrent à ceux qui s’y engagent, une authentique possibilité de développer leurs responsabilités à travers les services qu’ils peuvent rendre.

Toutefois, pour être capables de développer le sens de l’initiative et de la solidarité de leurs membres, les corps intermédiaires doivent être eux-mêmes conçus sur le double principe d’une certaine autonomie et de la solidarité.


1. Nous disons « en principe » car un des drames les plus graves de la vie économique d’aujourd’hui est certainement la globalisation des capitaux, des marchés et des entreprises qui paraît irréversible et où seul le plus fort survit. Nous y reviendrons.
2. Léviathan est un monstre à plusieurs têtes évoqué dans les Psaumes, le livre d’Isaïe ou encore dans le livre de Job. C’est aussi le titre d’un livre de Thomas Hobbes, paru en 1651, où le monstre désigne l’État.

⁢iii. Autonomie relative

Pour éduquer à la liberté, les corps intermédiaires doivent être relativement mais effectivement autonomes.

Trois conditions garantissent cette autonomie.

Première condition : les corps intermédiaires ne seront pas imposés par l’État, mais créés spontanément par les intéressés. Les papes ont réfléchi à cette question à propos des associations professionnelles ou corporations dont la création et le dynamisme devaient juguler les méfaits du libéralisme et du socialisme en redonnant une cohérence pacifiante à toute la société. Dans Rerum novarum[1], Léon XIII salue ceux qui « s’occupent de fonder des corporations assorties aux divers métiers et d’y faire entrer les ouvriers ». tout en s’en réjouissant, le saint Père souhaitait « que la prudence préside toujours à leur organisation ». Il précisait : « Que l’État protège ces sociétés fondées selon le droit ; que, toutefois, il ne s’immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts intimes qui leur donne la vie ; car le mouvement vital procède essentiellement d’un principe intérieur et s’éteint très facilement sous l’action d’une cause externe ». Il poursuivait : « Si donc, comme il est certain, les citoyens sont libres de s’associer, ils doivent l’être également de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu’ils poursuivent. Nous ne croyons pas qu’on puisse donner des règles certaines et précises pour déterminer le détail de ces statuts et règlements. Tout dépend du génie de chaque nation, des essais tentés et de l’expérience acquise, du genre de travail, de l’extension du commerce, et d’autres circonstances de choses et de temps qu’il faut peser avec maturité ». Pie XI confirmera cette sagesse⁠[2] en rappelant que « les hommes sont libres d’adopter telle forme d’organisation qu’ils préfèrent, pourvu qu’il soit tenu compte des exigences de la justice et du bien commun ». Et de développer : « Mais, comme les habitants d’une cité ont coutume de créer aux fins les plus diverses des associations auxquelles il est loisible à chacun de donner ou de refuser son nom, ainsi les personnes qui exercent la même profession gardent la faculté de s’associer librement en vue de certains objets qui, d’une manière quelconque, se rapportent à cette profession. Comme ces libres associations ont été clairement et exactement décrites par Notre illustre Prédécesseur, il suffira d’insister sur un point : l’homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d’ordre et de droit privé, mais encore de leur « donner les statuts et règlements qui paraissent les plus appropriés au but poursuivi ». La même faculté doit être reconnue pour les associations dont l’objet déborde le cadre propre des diverses professions ».

La constitution des corps intermédiaires apparaît donc très clairement comme une application du droit d’association inhérent à l’homme, social par nature.

La deuxième condition découle tout naturellement de la première : les pouvoirs publics doivent les aider, mais non les détruire ou les absorber. Léon XIII⁠[3] avait bien expliqué les rapports entre ce qu’il appelait les « petites sociétés » et la « grande » c’est-à-dire l’État : « Entre ces petites sociétés et la grande, il y a de profondes différences qui résultent de leur fin prochaine. La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens, car elle réside dans le bien commun, c’est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. C’est pourquoi on l’appelle publique, parce qu’elle réunit les hommes pour former une nation (S. Thomas, Contra impugnantes Dei cultum et religionem, c. II). Au contraire, les sociétés qui se constituent dans son sein sont tenues pour privées et le sont en effet, car leur raison d’être immédiate est l’utilité particulière et exclusive de leurs membres.

La société privée est celle qui se forme dans un but privé, comme lorsque deux ou trois s’associent pour exercer ensemble le négoce. Or, de ce que les sociétés privées n’ont d’existence qu’au sein de la société civile, il ne suit pas, à ne parler qu’en général et à ne considérer que leur nature, qu’il soit au pouvoir de l’État de leur dénier l’existence. Le droit à l’existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l’anéantir ? C’est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s’attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, tirent leur origine d’un même principe, la naturelle sociabilité de l’homme ».

En bref, Jean-Paul II dira : « une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun »[4].

Non seulement, comme nous le verrons plus loin, l’État a un rôle de coordination mais il peut et doit aussi exercer un certain contrôle. Continuons à lire Léon XIII : « Assurément, il y a des conjonctures qui autorisent les lois à s’opposer à la fondation d’une société de ce genre. Si une société, en vertu même de ses statuts organiques, poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l’État, les pouvoirs publics auraient le droit d’en empêcher la formation at, si elle était formée, de la dissoudre. Mais encore faut-il qu’en tout cas ils n’agissent qu’avec une très grande circonspection, pour éviter d’empiéter sur les droits des citoyens et de statuer sous couleur d’utilité publique quelque chose qui serait désavoué par la raison. Car une loi ne mérite obéissance qu’autant qu’elle est conforme à la droite raison (S. Thomas, Summa Thelogica Ia-IIae, q. XIII, a. 3) ».

De leur côté, il est évident que les citoyens doivent éviter de conférer à ces pouvoirs publics une trop grande puissance. En effet, s’ils s’adressent à l’État d’une manière intempestive pour réclamer des secours et des avantages excessifs, ils risquent d’amoindrir la responsabilité des personnes, des familles et des groupes sociaux et de perdre purement et simplement des espaces de liberté.

Enfin, il va de soi que les corps intermédiaires, nés de l’initiative des personnes intéressées, ne peuvent s’imposer aux individus.C’est ce qui s’est malheureusement passé, entre les deux guerres, dans ce qu’on a appelé « la déviance corporatiste »[5] qui a dénaturé le principe de subsidiarité en suscitant des corporations d’État et non des corporations d’association⁠[6] telles qu’elles étaient recommandées par l’Église⁠[7].

En 1935, un Jésuite belge entreprend une étude comparative des expériences corporatistes à l’œuvre dans de nombreux pays européens à l’époque. Face aux exemples italien, portugais, allemand, autrichien et bulgare, il se demande si le corporatisme peut se concevoir en dehors de la dictature. Sa réponse est nette : « Un vrai et sincère régime corporatif est, à nos yeux, absolument incompatible avec la dictature (…). Cette dictature est, par essence, centralisatrice. Ayant réuni tous les pouvoirs entre ses mains, il lui répugne d’en soustraire, au profit d’organismes autonomes, la moindre parcelle. C’est une loi historique que tout gouvernement autoritaire incline à prendre ombrage des groupements puissants, capables de gérer en pleine indépendance, au besoin de défendre contre ses empiètements, les intérêts de leurs membres »[8]. Précisément, à propos du régime portugais⁠[9], Chantal Delsol a montré comment les corporations conçues, au départ, comme un moyen de lutter contre l’hypertrophie de l’État, de protéger la liberté individuelle et l’économie privée, de marier l’économique et le social, de garantir la solidarité⁠[10], deviennent des organisations obligatoires, de droit public, contrôlées par l’État, insérées dans sa structure politique, qui étouffent finalement la liberté qu’elles prétendaient protéger⁠[11]. « Le corporatisme, écrit-elle, a contribué par ses erreurs à reléguer le principe de subsidiarité dans les oubliettes de la mauvaise réputation. Il consiste à vouloir institutionnaliser et rendre obligatoire les groupes intermédiaires, autrement dit à l’époque, la corporation. Ni Léon XIII ni Pie XI ne sont les artisans du corporatisme. Celui-ci émane d’un courant au départ chrétien, issu de René de la Tour du Pin[12], et qui passera par Maurras[13], Massis[14] et Ploncard d’Assac[15], pour influencer notamment deux hommes d’État : Salazar et Mussolini[16]. Par ce biais inattendu, l’idée subsidiaire va engendrer des dictatures.

Le corporatisme croit édifier une organisation politique qui concrétise parfaitement l’idée de subsidiarité : comme si cette idée anti-systématique trouvait ici, paradoxalement, son idéologie. (…) Le corporatisme dérive d’une nostalgie (ou d’une réinvention ?) de la société du Moyen Age. Ici les corps sont obligatoires, institutionnels et surtout censés représenter naturellement la société. On leur attribue un statut, un rôle précis dans la gestion du bien commun, et ceci quelles que soient les capacités des individus et des groupes inférieurs. Contrairement au libéralisme, le corporatisme part du principe de l’incapacité des individus, et les place sous la tutelle des groupes, de crainte de la tutelle de l’État. Il va donc, en définitive, à l’encontre du principe dont il se réclame, puisqu’il gèle les rôles sans préjuger du développement des situations ou de la capacité virtuelle des individus. De plus, il développe rapidement une faute majeure : les corps, qui sont des « États dans l’État », vont bientôt mêler le bien commun qui leur est à charge avec leurs intérêts particuliers. La corporation aboutit au corporatisme au sens péjoratif moderne. Elle pétrifie les droits et s’oppose au développement économique. Pour l’empêcher d’abuser de son pouvoir, l’État devra intervenir : par exemple, pour protéger le consommateur lésé. Pour avoir voulu restaurer une société passée - forme de pensée utopique -, cet antiétatisme aboutit à l’étatisme »[17].

Déjà, en 1931, à propos de l’organisation fasciste, Pie XI, après avoir reconnu les avantages de l’organisation syndicale et coopérative, note qu’« il ne manque pas de personnes qui redoutent que l’État ne se substitue à l’initiative privée, au lieu de se limiter à une aide ou à une assistance nécessaire et suffisante. On craint que la nouvelle organisation syndicale et corporative ne revête un caractère exagérément bureaucratique et politique, et que, nonobstant les avantages généraux déjà mentionnés, elle ne risque d’être mise au service de fins politiques particulières, plutôt que de contribuer à l’avènement d’un meilleur équilibre social »[18]. Ailleurs, il dénoncera la « statolâtrie païenne » de l’idéologie fasciste⁠[19].


1. RN, 490 in Marmy.
2. QA, 576 in Marmy.
3. RN, 486-487 in Marmy.
4. Centesimus annus (CA), n° 48. Dans QA, Pie XI écrivait : « L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber » (572 in Marmy).
5. Cf. DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, Que sais-je ?, PUF, 1993, pp. 29-32.
6. Cette distinction a été étudiée, à l’époque, par MULLER Albert s.j., in La politique corporative, Essais d’organisations corporatives, Rex, 1935. A ceux qui font remarquer que le corporatisme n’est réalisé, à l’époque, que dans des régimes dictatoriaux comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, l’auteur fait remarquer très justement qu’« un vrai et sincère régime corporatif est (…) absolument incompatible avec la dictature au sens moderne du mot » (pp. 212-213). Toutefois, par manque de recul peut-être, parce qu’il ne pouvait, en 1935, percevoir l’évolution du système, le Père Muller trouve l’expérience portugaise intéressante.
7. Nous reviendrons plus loin sur ce problème des « corporations » ou syndicats mixtes que l’Église n’a jamais présenté comme l’unique forme d’association possible.
8. MULLER Albert, op. cit., pp. 212-213.
9. Etabli par Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970), président du Conseil de 1932 à 1968.
10. Ces différentes « vertus » sont énumérées par Salazar, dans un discours du 23 juillet 1942, repris in Dictionnaire politique de Salazar, SNI, 1964, pp. 54-55.
11. Op. cit., pp. 29-32.
12. René de La Tour du Pin, 1831-1924. Il fut un des pionniers du catholicisme social en France.
13. Charles Maurras, 1868-1952. Ecrivain et homme politique nationaliste.
14. Henri Massis, 1886-1970. Disciple de Charles Maurras, élu à l’Académie française en 1960.
15. Jacques Ploncard d’Assac, 1910-2005. Ecrivain, disciple de Charles Maurras.
16. Benito Mussolini, 1883-1945.
17. DELSOL Chantal, La subsidiarité dans les idées politiques, in ONORIO J.-B., La subsidiarité, De la théorie à la pratique, op. cit., p. 50.
18. QA, 581 dans Marmy.
19. Non abbiamo bisogno, 226 in Marmy. A propos des attaques du pouvoir fasciste contre l’Action catholique et des mesures d’embrigadement de la jeunesse italienne, Pie XI rappelle qu’ »une conception qui fait appartenir à l’État les jeunes générations, entièrement et sans exception, depuis le premier âge jusqu’à l’âge adulte, n’est pas conciliable pour un catholique avec la doctrine catholique ; elle n’est pas même conciliable avec le droit naturel de la famille. Ce n’est pas, pour un catholique, chose conciliable avec la doctrine catholique que de prétendre que l’Église, le Pape, doivent se limiter aux pratiques extérieures de la religion (la messe et les sacrements) et que le reste appartient totalement à l’État » (id. 235). Le même Pie XI rappellera aussi aux Allemands sous le régime nazi que si l’État fonde une organisation obligatoire de la jeunesse, ce doit être « sans préjudice des droits des associations religieuses » et dans le respect des consciences alors que le régime met « la conscience des parents chrétiens dans une insoluble alternative, puisqu’ils ne peuvent donner à l’État ce qu’il exige qu’en dérobant à Dieu ce qui est à Dieu » (Mit brennender Sorge, 273 in Marmy).

⁢iv. Solidarité

Nous avons beaucoup insisté précédemment sur la nécessité de lier droits et devoirs. Ce qui est vrai sur le plan personnel, l’est aussi sur le plan social. Le droit d’un groupe, quel qu’il soit est associé à des devoirs. L’harmonie d’un groupe, écrivait Jean XXIII, réclame « la reconnaissance et l’accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre, chacun est appelé à concourir généreusement à l’avènement d’un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux droits et aux obligations »[1]. Une conception individualiste du droit risque d’entraîner les corps intermédiaires dans la défense d’intérêts privés au détriment de l’ensemble social.

Réaffirmant, après les dérives étatiques, l’importance des corps intermédiaires, Pie XII mettra l’accent sur le danger d’une dérive d’« organisations qui, pour la défense des intérêts de leurs membres, ne recourraient plus aux règles du droit et du bien commun, mais s’appuieraient sur la force du nombre organisé et sur la faiblesse d’autrui »[2]. Quelques années plus tard, il décrira avec sévérité ces « groupes d’intérêts, puissants et actifs » : « qu’il s’agisse de syndicats patronaux ou ouvriers, de trusts économiques, de groupements professionnels ou sociaux - dont certains même sont au service direct de l’État, - ces organisations ont acquis une puissance qui leur permet de peser sur le gouvernement et la vie de la nation. Aux prises avec ces forces collectives, souvent anonymes, et qui parfois, à un titre ou à un autre, débordent les frontières du pays, comme aussi bien les limites de leur compétence, l’État démocratique issu des normes libérales du XIXe siècle parvient difficilement à maîtriser des tâches chaque jour plus vastes et plus complexes »[3]. Pie XII soulignait un phénomène qui a pris aujourd’hui une ampleur toute particulière et qui menace incontestablement la justice sociale et les démocraties elles-mêmes. Songeons aux lobbies économiques et aux puissances financières qui semblent échapper à toute règle.

C’est pourquoi plusieurs auteurs⁠[4] ont souligné la nécessité de toujours tenir compte, dans l’application du principe de subsidiarité, de l’exigence de la liberté et de l’exigence de la solidarité. Indissociables dans tous les cas, elles peuvent, suivant les circonstances, être l’objet d’une insistance particulière. Face aux pouvoirs totalitaires ou centralisateurs, on mettra l’accent sur l’autonomie des corps intermédiaires, comme le fit Pie XI, en 1931. Face à l’individualisme libéral ou néo-libéral, il faut rappeler l’importance de la solidarité qui mesure et oriente la liberté. Ainsi Léon XIII insistera sur le rôle des pouvoirs publics qui doivent assurer, aux plus pauvres et aux plus fragiles, « une défense et une protection réclamées par la justice »[5]. Et Jean-Paul II rappellera qu’en matière de conditions de travail, par exemple, l’État interviendra « directement (…) en imposant, pour la défense des plus faibles, certaines limites à l’autonomie des parties qui décident des conditions du travail, et en assurant dans chaque cas un minimum vital au travailleur sans emploi »[6].

Dans la réalité changeante des époques et des lieux, il y a un équilibre à trouver. C’est la tâche délicate des responsables appelés à exercer, au delà de leurs compétences politiques, sociales, économiques, une vertu essentielle dans toute action politique : la prudence. Nous en reparlerons dans la dernière partie consacrée à l’action.

Disons tout de même que la pratique de la solidarité réclame « la maturité morale de chaque citoyen », son « désintéressement dans le service », son « respect des devoirs de justice et de charité »[7]. Il doit en être de même, évidemment, pour les responsables des corps intermédiaires car si ceux-ci « ne savent pas élargir leurs horizons aux perspectives de la nation, s’ils ne savent pas sacrifier leur prestige et, éventuellement, leur avantage immédiat à la loyale reconnaissance de ce qui est juste, ils entretiennent dans le pays un état de tension nuisible, ils paralysent l’exercice du Pouvoir politique et compromettent finalement la liberté de ceux mêmes qu’ils prétendent servir »[8].

Il est capital que le souci du bien commun soit général. A ce moment, tout en poursuivant leurs objectifs spécifiques, les corps intermédiaires pourront entretenir des rapports de loyale collaboration et coordonner leurs efforts lorsque ce sera nécessaire. L’État, gardien privilégié du bien commun, a donc un rôle capital à jouer dans la construction subsidiaire.


1. PT, 518.
2. Radiomessage, Noël 1950.
3. Lettre à M. Charles Flory, Président des semaines sociales de France, 14 juillet 1954.
4. Notamment DELSOL Chantal, op. cit., pp. 27-28 et CASTERA Bernard de, Ouvrez les frontières, Introduction à la doctrine sociale de l’Église, Mame, 1991, pp. 90-91.
5. RN 471 in Marmy.
6. CA 15.
7. PIE XII, Lettre à M. Charles Flory, op. cit..
8. Id. C’est effectivement une des raisons de l’emprise grandissante de l’État dans le système corporatiste portugais.

⁢v. Le rôle de l’État

Vis-à-vis des corps intermédiaires qui « groupent des personnes privées pour des buts variés (d’ordre économique, social, culturel ou même politique) »[1], l’État doit avoir une attitude ferme et nuancée.

Il doit préserver la liberté tout en veillant au respect des objectifs communautaires auxquels les initiatives privées doivent collaborer. Le rapport entre l’État et les corps intermédiaires doit être un rapport de coopération. Il s’agit, bien sûr de coordonner les initiatives pour qu’elles servent le bien commun mais aussi de susciter par des impulsions appropriées les institutions qui feraient défaut, de suppléer momentanément aux faiblesses de groupes sociaux trop faibles ou en voie de constitution et enfin de contrôler si l’activité de ces groupes sert ou dessert le bien commun.

L’abstention de l’État conduit au désordre ou à la tyrannie de certains de ces corps. De son côté, l’intervention intempestive affaiblit le dynamisme social et conduit à l’hypertrophie de l’appareil public. Alors la bureaucratie l’emporte sur le service et les dépensent s’accroissent démesurément.

Nous aurons l’occasion de développer ces principes notamment quand nous étudierons l’attitude de l’État face aux problèmes économiques mais nous pouvons ici déjà illustrer la théorie en réfléchissant d’abord au rôle de la commune et ensuite et surtout à ce corps intermédiaire capital dans toute société : l’école.


1. COSTE René, Les communautés politiques, Desclée, 1967, p. 123.

⁢vi. L’exemple de la commune

Pourquoi prendre l’exemple de la commune ? Si les pouvoirs de cette institution ont toujours été très variables à travers l’histoire, il n’empêche qu’elle « reste, après la famille, le lieu des échanges humains les plus fréquents et les plus indispensables. Elle établit d’ordinaire entre ses habitants une façon analogue de parler, de penser et de sentir ; elle leur propose les mêmes problèmes à résoudre et sollicite directement leur esprit d’entraide et de collaboration.

Bien que les populations actuelles utilisent largement les moyens de transport, devenus nombreux et commodes, et s’écartent plus aisément de leur domicile, elles n’en restent pas moins attachées à ce milieu, où s’entretiennent des contacts plus familiers et plus constants. C’est là que l’idée de patrie trouve, pour le grand nombre, sa racine la plus profonde, car on y expérimente plus vivement les bienfaits d’une bonne organisation de la société, ses conditions indispensables, et parfois les erreurs dommageables et les fautes à éviter. Aussi la commune a-t-elle rempli et remplit-elle encore dans l’éducation civique des citoyens une fonction de premier plan »[1]. Comme nous allons le voir, ce texte, même s’il est déjà un peu ancien, met en évidence des éléments toujours vérifiables, que ce soit l’attachement des populations à leur commune, ou le fait qu’elle est le premier lieu politique subsidiaire de la famille au niveau du service rendu comme au niveau de l’apprentissage de la citoyenneté.


1. PIE XII, Discours aux membres du XIIe Congrès international des villes et des pouvoirs locaux, 30-9-1955.

⁢a. Le sentiment communal

Au point de vue de l’attachement des populations, par exemple, un journaliste⁠[1] faisait remarquer qu’en Belgique, à la fin du XXe siècle, les citoyens restaient très attachés aux pouvoirs de proximité : « Interrogés sur le groupe géographique auquel ils se sentent appartenir avant tout, 43% des Wallons, 48% des Flamands et 36% des Bruxellois privilégient leur ville ou leur localité. L’identité nationale vient ensuite (26% des Wallons et autant des Bruxellois, 18% des Flamands), suivie par les identités mondiale (10% des Wallons et autant des Flamands, 13% des Bruxellois), régionale (10% des Wallons, 18% des Flamands, 4% des Bruxellois) et européenne (8% des Wallons, 4% des Flamands, 18% des Bruxellois)[2] ». Et il ajoutait en se référant aux « Indicateurs régionaux flamands (Vrind), édités par l’administration ad hoc, que le gouvernement et le Parlement flamands ne figurent qu’aux neuvième et dixième rangs dans le palmarès de la confiance accordée par les néerlandophones aux institutions, alors que l’enseignement et la commune en sortent vainqueurs[3] ».


1. NICOLAS Paul, Des pouvoirs locaux à reconquérir, in Cohérence, n°121, juillet-août-septembre 2000, p.3.
2. VERJANS Pierre, Le politique, Une diversité de clivages, in Belges heureux et satisfaits. Les valeurs des Belges dans les années 90 ; co-auteurs : VOYE Liliane, BAWIN-LEGROS Bernadette, KERKOFS Jan et DOBBELAERE Karel, Bruxelles, De Boeck Université - Fondation roi Baudouin (coll. « Ouvertures sociologiques »), 1992, pp. 239-285 (267-270).
3. La Libre Belgique, 11 février 1998.

⁢b. L’action subsidiaire

L’attachement à la commune s’explique par les liens de proximité tissés entre les citoyens mais aussi du fait que la commune rend aux familles des services essentiels et immédiats : distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité, enseignement, santé, voirie, environnement, loisirs, sécurité, aide sociale…​ Ce qu’on appelle l’ »intérêt communal » recouvre des matières très vastes et beaucoup plus nombreuses que dans le passé.

⁢c. L’apprentissage de la participation

La commune joue enfin, par l’attraction particulière qu’elle exerce, un rôle primordial dans l’éducation civique, comme disait Pie XII. On doit même reconnaître qu’elle est le premier lieu de participation des citoyens à la vie publique, la « cellule de base de la démocratie »[1](Crisp). N’a-t-elle pas été, d’ailleurs, historiquement, le lieu « de l’affranchissement progressif du système féodal devenu caduc », lieu où ont été vécues « l’affirmation pratique et la protection de la liberté et de la dignité des individus »[2] ?

La commune est le lieu de naissance de nombreuses associations souvent spontanées et indépendantes des partis politiques, du moins au départ, qui s’attachent à des problèmes strictement communaux, liés à l’environnement, au patrimoine architectural, aux traditions locales, à la vie d’un quartier, à une animation culturelle, sportive, éducative, à une radio ou une télévision locales, etc. Ces associations peuvent être subsidiées par la commune qui peut aussi mettre des locaux à leur disposition ou les inviter comme interlocuteurs dans la préparation de certains dossiers. De plus, on a constaté (Crisp) que « les personnes qui participent le plus à la vie politique communale sont aussi celles qui participent le plus à la vie associative dans des domaines différents. Il y a un aspect cumulatif de la participation ». On peut ajouter aussi qu’ »un mandat communal constitue dans bien des cas la première étape d’une carrière politique ».

Il y a plus encore. Même si la gestion d’une commune obéit à des règles et s’attache aujourd’hui à des problèmes parfois complexes⁠[3] mais « on peut observer (…) une demande de participation plus grande des citoyens à la vie politique et notamment au niveau communal.

Cette tendance correspond tout à la fois à une demande des citoyens, qui souhaitent être associés à certaines décisions politiques, et à une demande des autorités, qui souhaitent, en vue d’un meilleur choix, élargir aux personnes concernées le cadre des décisions qu’elles doivent prendre dans certains domaines. C’est pourquoi on dit souvent aujourd’hui que la démocratie participative devrait compléter le cadre existant de la démocratie représentative » (Crisp). On constate aussi qu’en Belgique, par exemple, où le vote est obligatoire, le taux d’absentéisme et de votes blancs ou nuls, est moins élevé lors des élections communales que lors des autres élections.

Ce sont des signes qui n’ont pas échappé aux responsables qui, d’une manière générale ou, pour certaines modalités, en maints endroits, ont eu souci de rendre possible et vivante la participation de tous à la gestion commune en organisant l’information⁠[4], des enquêtes publiques, des séances de concertation avec des représentants des habitants, des consultations populaires⁠[5] même à la demande des habitants, des conseils (ou commissions) consultatifs qui donnent des avis ou formulent des propositions au conseil communal sur des matières précises (jeunesse, famille, personnes âgées, culture, sport, enseignement, aménagement du territoire, immigrés, etc.). Il arrive aussi souvent que « des équipements et des services locaux soient gérés de manière pluraliste, en dépassant le clivage entre majorité et opposition. Des organisations représentatives des milieux intéressés et des organismes spécialisés sont ainsi associés directement à la gestion de maisons de jeunes, de centres culturels ou sportifs, etc., qui dépendent de la commune, leur intervention dans la gestion se faisant notamment par leur présence au conseil d’administration de ces institutions. Dans ces différents cas, la gestion est assurée par l’institution mais sous le contrôle du pouvoir communal » (Crisp).


1. Désormais, toutes les citations marquées (Crisp) et les informations concernant l’exemple belge, renvoient à La commune, dossier du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), Bruxelles, disponible sur son site http://www.crisp.be.
2. PIE XII, Discours aux représentants des communes d’Italie, 23-10-1950. Dans son Discours au Conseil des communes d’Europe (3-12-1957), il déclarera : « Le caractère fortement centralisateur des nations modernes ayant pour conséquence de réduire à l’excès les libertés des communautés locales et des individus, vous rappelez le primat des valeurs personnelles sur les valeurs économiques et sociales ; le bien commun en vue duquel le pouvoir civil est établi, culmine dans la vie autonome des personnes ».
3. Il faut bien s’en rendre compte : « Quelles que soient les formes adoptées, l’expérience a montré que la participation, que ce soit sous sa forme consultative ou sous la forme d’un mandat au conseil communal, est très exigeante. Pour faire convenablement son travail, pour bien comprendre les dossiers et se faire une idée de la politique de la commune, les personnes sont souvent amenées à investir beaucoup de temps et d’énergie. C’est pourtant l’une des conditions essentielles au fonctionnement des institutions démocratiques » (Crisp). S’adressant à des maires et administrateurs provinciaux italiens (22-7-1956), Pie XII leur disait : « Sans la capacité technique, aucune honnête volonté ne suffirait pour diriger convenablement une administration quelle qu’elle soit ». Le bon administrateur « doit avoir toutes les connaissances nécessaires sur les divers aspects de la vie et de l’activité locales (…) ».
4. Disponibilité de l’ordre du jour du conseil communal, publicité des séances du conseil et interpellations du public, publication des délibérations, règlements, ordonnance, d’un bulletin communal, etc..
5. En Belgique, l’article 41 de la Constitution (dernier alinéa) stipule : « Les matières d’intérêt communal ou provincial peuvent faire l’objet d’une consultation populaire dans la commune ou la province concernée. La loi règle les modalités et l’organisation de la consultation populaire ». Notons que les résultats d’une consultation ne sont pas contraignants comme peuvent l’être ceux d’un referendum.

⁢d. Les aléas d’un corps intermédiaire

Avec beaucoup de réalisme, Pie XII, dans le texte déjà cité⁠[1], attire aussi l’attention sur un problème de plus en plus aigu aujourd’hui. Les communes, écrit-il, « sont insérées dans un État plus ou moins centralisé ; elles ont perdu une large part de leur initiative et de leur indépendance pour faire droit aux exigences de relations sociales qui s’étendent sur de larges fractions de continents et débordent même au-delà ».

Un rapide coup d’œil sur l’origine et l’histoire des communes, en Belgique particulièrement, fait apparaître une tension perpétuelle entre autonomie et centralisation.

L’origine des communes remonte au Moyen-Age et est liée à l’apparition de villes sous le régime seigneurial. Elles « se font concéder par les seigneurs des libertés dans beaucoup de domaines (…) Certaines libertés sont acquises par la force, d’autres sont achetées ou négociées…​ Mais aucune ville n’a été totalement libre.

Ainsi seigneurs et communautés établissent leurs droits respectifs et s’engagent mutuellement par un serment commun. Ce régime de communauté est fort répandu. Ces droits et obligations sont consignés dans des chartes de franchises et de cette communauté naîtra beaucoup plus tard le mot commune, qu’on emploiera aussi dans un sens territorial, très éloigné du sens originel » (Crisp).

Au cours de l’histoire, souvent, après les XIIIe et XIVe siècles, les princes mèneront une politique centralisatrice. L’étendue des libertés diminuera mais les pouvoirs locaux conserveront toujours une part de liberté et garderont leurs particularismes.

Sous le régime français (1795-1815), la Convention (assemblée législative) imposera son décret du 14 -12 1789 distinguant les fonctions propres au pouvoir municipal et les fonctions relevant de l’administration générale de l’État. On assista à « une grande centralisation au profit de l’État. Finalement les communes sont devenues de simples subdivisions administratives du pouvoir central, pratiquement sans aucune autonomie. Les dirigeants des communes ont cessé d’être des élus et sont devenus des fonctionnaires nommés par l’autorité supérieure » (Crisp)

Sous le régime hollandais (1815-1830), après un retour à une certaine liberté, on imposa une organisation plus centralisée.

Ce rapide survol nous montre bien ce qui est en question : « Autonomie communale ou centralisation administrative : tel est le dilemme qui se pose à tous ceux qui vont devoir organiser les institutions communales » (Crisp). Disons que tout corps intermédiaire parce qu’intermédiaire précisément jouit d’une certaine autonomie et subit nécessairement des pressions centralisatrices dont certaines sont inévitables et nécessaires. Le problème est de trouver le bon équilibre, de laisser, suivant le principe de subsidiarité, la commune s’occuper des services qu’elle est seule à pouvoir rendre ou qu’elle rend mieux qu’une autre instance mais en n’oubliant pas qu’elle-même a besoin de forces et de soutiens et qu’elle s’inscrit dans un ensemble d’institutions qui doivent respecter le bien commun et manifester un minimum de cohérence.

Si, comme l’écrit aussi Pie XII⁠[2], les « magistrats communaux (…) ne peuvent être de simples exécutants des décisions prises par l’État », et si, ajoute-t-il, « une autonomie assez large constitue un stimulant efficace des énergies, profitable à l’État lui-même, à condition que les autorités locales s’acquittent avec compétence de leur office et se gardent de tout particularisme étroit », l’autonomie radicale est bien sûr impensable, pour une question de bon sens : « On ne peut pas parler, au sens propre, de souveraineté au niveau de la commune car les habitants d’une commune n’ont de pouvoir que parce que la Constitution et les lois en ont disposé ainsi » (Crisp). Ainsi, la commune n’a pas de souveraineté sur son territoire. Ajoutons que la commune, comme la province ou la région, sert aussi d’organe de transmission de décisions prises à l’échelon supérieur et qu’elle reste soumise aux exigences du bien commun. « L’intérêt communal ne peut être contraire à l’intérêt général ; de même les décisions prises par les autorités communales doivent s’intégrer dans un cadre plus vaste et, pour cette raison, elles sont soumises à un contrôle supérieur (la tutelle) qui peut, suivant les cas, les approuver ou les annuler, ou même parfois les changer pour les rendre conformes à l’intérêt général » (Crisp). De là naissent la tentation récurrente, de la part des instances supérieures, de limiter les pouvoirs de la commune ou la mise en difficulté involontaire de ce premier échelon institutionnel suite à des exigences démesurées.

Le dossier Crisp décrit bien cette situation en Belgique : « Petit à petit, le champ d’action des communes s’est étendu de façon considérable, à la fois à l’initiative des élus locaux et sous l’impulsion des pouvoirs supérieurs, qui leur ont confié de multiples tâches d’intérêt général. (…) A de nombreuses reprises, des accords gouvernementaux ont prévu la valorisation du niveau communal. L’intention a été plusieurs fois affirmée d’opérer une plus grande décentralisation et une plus grande déconcentration des pouvoirs de l’État au profit des communes (…).

La pratique a cependant contredit les intentions : c’est vers une centralisation toujours plus grande que l’on s’est, dans les faits, orienté. L’État, suivi récemment par les Régions et les Communautés, s’est très souvent substitué aux communes en réglementant de nombreux domaines. En témoignent les mesures prises en matière d’aménagement du territoire, de protection de l’environnement, de travaux publics, de sécurité routière, de services d’incendie, de politique hospitalière, de réforme de la police locale dans le cadre de la réforme globale des polices, etc.. »

La commune est donc sous contrôle⁠[3] et se voit imposer des obligations par les pouvoirs supérieurs puisqu’elle est un relais des instances qui la dépassent.

Il ne faut pas trop rapidement s’en inquiéter. Comme le fait remarquer Pie XII⁠[4], « qu’il existe (…) une légitime sujétion des communes à l’égard de la nation, personne ne le contestera ; c’est la contrepartie d’une assistance désormais nécessaire pour que la commune puisse rester, dans l’État moderne, à la hauteur de ses tâches multiples et garantir à ses ressortissants tous les services auxquels ils ont droit ».

Tel est bien le problème crucial aujourd’hui. Les demandes de services ont augmenté, les tâches se sont accumulées mais pour faire face, il est de plus en plus nécessaire de disposer des moyens appropriés.


1. Discours du 30-9-1955.
2. Discours du 30-9-1955.
3. La tutelle, en Belgique, est assurée par les provinces et surtout les régions. Elle « consiste en un ensemble de moyens dont disposent les autorités supérieures :
   -pour obliger la commune à observer la loi (contrôle de légalité) et à respecter l’intérêt général (contrôle d’opportunité) ;
   -pour vaincre, dans les cas où cela s’avère nécessaire, l’inertie des pouvoirs locaux.
   Il faut cependant souligner que la tutelle, à son tour, ne peut s’exercer que dans les limites définies par la loi, le décret ou l’ordonnance : le pouvoir de tutelle ne peut restreindre illégalement l’autonomie communale. En pratique, les cas de suspension ou d’annulation de décisions communales par l’autorité de tutelle sont rares (…) » (à l’exception des contentieux linguistiques) (Crisp).
4. Discours du 30-9-1955.

⁢e. Où trouver l’argent ?

Dans la mesure où l’impôt ne peut être accru indéfiniment et est tributaire de la dimension des communes, il faut bien trouver des formules qui ne porteront pas trop préjudice à l’autonomie. « Les finances, écrit encore Pie XII, tiennent une place prépondérante parmi les facteurs qui conditionnent cette autonomie »[1].

En Belgique, par exemple, on a créé des intercommunales, des associations de communes pour résoudre des problèmes comme la distribution de l’eau et des énergies ou encore pour assurer un développement économique. On a envisagé aussi des fédérations de communes et des agglomérations de communes pour résoudre des questions d’aménagement du territoire, de santé et de sécurité publiques, de transports en commun, etc.. En 1977, une solution plus radicale fut choisie : le regroupement territorial de petites entités : la fusion de communes. On est passé ainsi de 2.492 communes à 589.

Cette fusion n’a pas résolu tous les problèmes et elle a suscité deux inconvénients. d’une part, « en de nombreux endroits, l’opération a éloigné le pouvoir communal des habitants » (Crisp). d’autre part, « ces fusions ont vu l’entrée des partis politiques là où ils n’étaient pas présents auparavant[2] et ont donc eu un impact de « politisation » des scrutins locaux » (Crisp).

Le premier inconvénient a été si mal ressenti que la loi a prévu, en 1999, la création de conseils de districts⁠[3] dans les communes de plus de 100.000 habitants pour « permettre une certaine décentralisation des pouvoirs au sein même des communes fusionnées » (Crisp), plus exactement, la décentralisation de certaines matières gérées par la commune.

Tous ces tribulations nous montrent clairement qu’un corps intermédiaire comme la commune se doit de rester proche des personnes bien concrètes qui forment sa population pour la qualité du service et permettre la participation⁠[4]. Elle doit donc jouir d’une certaine autonomie ne serait-ce que parce que les besoins varient d’une population à l’autre : « l’intérêt communal (…) peut sur certains points être différent selon les communes » (Crisp). Mais il est clair aussi qu’en bien des matières, la commune non seulement n’est pas seule compétente mais qu’elle a besoin du secours d’autres instances.


1. Id..
2. Dans de nombreuses petites entités, il y avait des listes d’ »intérêts communaux » ou listes « du bourgmestre » qui n’étaient pas nécessairement assimilables aux partis nationaux.
3. Les districts créés à l’initiative du conseil communal sont gérés par un conseil élu au suffrage direct. Ce conseil est l’équivalent du conseil communal ; son bureau rappelle le collège des bourgmestre et échevins, son président et son secrétaire sont les équivalents du bourgmestre et du secrétaire communal.est comme une commune
4. PIE XII soulignait, à cet égard, un autre rôle important que la commune doit jouer plus encore aujourd’hui qu’en son temps : « La voix des autonomies locales, leurs aspirations et leurs préoccupations, constituent un élément à la fois stimulant et pondérateur dans l’élaboration de l’unité fédérale européenne qui se cherche ». Stimulant dans la propagation de l’idéal européen ; pondérateur face aux velléités trop centralisatrices.(Discours au Conseil des communes d’Europe, 3-12-1957).

⁢vii. L’exemple de l’école

Si la commune est « un pouvoir autonome sous tutelle et subordonné » (Crisp) qui, malgré tout conserve encore plus ou moins d’autonomie, l’école qui devrait aussi être un pouvoir autonome sous tutelle voit parfois son autonomie rétrécir comme peau de chagrin sous une subordination de plus en plus envahissante.

L’enjeu est de taille, comme nous allons le voir.

Il est difficile, en effet, de nier l’importance personnelle et sociale de l’éducation. Nous l’avons déjà dit, l’homme n’est pas un être « programmé » mais « programmable ». Il grandit dans et par la culture ; elle est, selon l’expression de Jean-Paul II, « ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme »[1] et « la tâche première et essentielle de la culture en général, et aussi de toute culture, est l’éducation »[2].

Cette éducation qui n’est pas réductible à l’instruction⁠[3] implique toute la personne, physique, morale, intellectuelle, sexuelle, religieuse et est le fait de toute la vie. Tous les hommes doivent être éduqués et ont donc droit à l’éducation⁠[4].

Les premiers et principaux éducateurs sont les parents. C’est l’acte de procréation qui fonde le devoir et le droit des parents : « Les parents, parce qu’ils ont donné la vie à leurs enfants, ont la très grave obligation de les élever et, à ce titre, doivent être reconnus comme leurs premiers et principaux éducateurs. Le rôle éducatif des parents est d’une telle importance que, en cas de défaillance de leur part, il peut être difficilement suppléé »[5]. Si les parents sont tenus à l’éducation de leurs enfants, ils en ont par conséquence le droit, « droit inaliénable parce qu’inséparablement uni au strict devoir corrélatif, droit antérieur à n’importe quel droit de la société civile et de l’État, donc inviolable par quelque puissance terrestre que ce soit »[6].

Il est très important de garder présents à l’esprit ces principes fondamentaux pour apprécier justement les rôles respectifs que l’école et l’État vont jouer dans l’œuvre éducative

L’école est un lieu d’éducation important pour le développement intellectuel, culturel, moral, professionnel, social de l’enfant. Elle prolonge et complète l’action éducative des parents qui est toujours limitée⁠[7] : « dans la structure de la société moderne, la fonction éducative dépasse bien souvent, semble-t-il, les possibilités et la préparation de la famille, surtout en raison de l’énorme masse de connaissances qui constitue aujourd’hui le patrimoine culturel.

A cela s’ajoute la difficulté pour les parents d’exercer, de manière globale, leur mission éducative, en raison de l’éloignement de leur lieu de travail, de la difficulté à suivre le rapide progrès des connaissances, de la distance entre les générations, de l’autonomie toujours plus précoce des enfants par rapport à leurs parents, de l’énorme influence des instruments de communication sociale sur l’intelligence et l’imagination des enfants dès l’âge le plus tendre. Il est donc indispensable que, dans le domaine éducatif, il y ait une collaboration complémentaire et subsidiaire de la société, une collaboration qui se réalise principalement dans l’école et par le moyen de l’école »[8].

Toutefois, les parents, en vertu ce qui vient d’être dit, ont le droit de choisir, selon leur conscience, l’école qui les relaiera⁠[9] et dont ils suivront et soutiendront le travail, surtout sur le plan moral⁠[10], à travers des associations de parents⁠[11]. En effet, comme l’écrivait Pie XI, les éducateurs n’ont pas sur l’enseignement « un droit absolu, mais un droit de participation »[12].

Il découle naturellement de ce qui précède qu’il n’y a rien d’anormal à ce que l’Église revendique « pour les familles catholiques le droit qui appartient à toutes les familles d’éduquer leurs enfants en des écoles qui correspondent à leur propre vision du monde, et en particulier le droits strict des parents croyants à ne pas voir leurs enfants soumis, dans les écoles, à des programmes inspirés par l’athéisme »[13]. Jean-Paul II explique pourquoi « les parents doivent pouvoir choisir le type d’école qui répond le mieux au modèle d’éducation qu’ils désirent pour leurs enfants » : « Le principe de la liberté d’enseignement, déclare-t-il, trouve son fondement dans la nature et la dignité de la personne humaine. En effet, celle-ci est une réalité antérieure à toute organisation sociale - même si elle est destinée à s’insérer dans la société - et a droit à l’autodétermination, de son propre développement et aux moyens nécessaires dans ce but, sans que cette capacité d’autodétermination soit limitée par des impositions arbitraires venues de l‘extérieur.

L’éducation pour qu’elle soit un authentique progrès d’acquisition et de maturation, doit porter le sceau de cette liberté qui est « dans l’homme le signe privilégié de l’image divine » (Gaudium et spes, 17), et est essentiel à la personne. Sans liberté, la personne resterait privée d’autonomie dans sa formation propre et dans le choix des motivations et des valeurs qui doivent inspirer sa conduite en harmonie avec ses convictions les plus profondes, en particulier avec celles qui concernent la signification totale de l’existence »[14].

Ceci étant dit, quel est le rôle des pouvoirs publics selon le principe de subsidiarité ?

Ils doivent, nous l’avons vu, protéger, encourager, suppléer, coordonner et contrôler. Ils doivent protéger et défendre les libertés des citoyens, parents et éducateurs, et, pour cela, dans le cas présent, « veiller à la justice distributive en répartissant l’aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d’une authentique liberté dans le choix de l’école... ».

Ils doivent promouvoir l’éducation, « veiller à ce que tous les citoyens parviennent à participer véritablement à la culture et soient préparés comme il se doit à l’exercice des devoirs et des droits du citoyen. L’État doit donc garantir le droit des enfants à une éducation scolaire adéquate…​ »[15].

Il s’agit d’aider les parents et les éducateurs, et donc, « en cas de défaillance des parents ou à défaut d’initiatives d’autres groupements, c’est à la société civile, compte tenu cependant des désirs des parents, d’assurer l’éducation » et, « dans la mesure où le bien commun le demande, elle fonde ses écoles et institutions éducatives propres »[16].

C’est aussi la tâche de l’autorité publique de « veiller à la capacité des maîtres, au niveau des études, ainsi qu’à la santé des élèves, et d’une façon générale développer l’ensemble du système scolaire sans perdre de vue le principe de subsidiarité…​ »[17].

Dès lors, on voit immédiatement quels sont les dangers à éviter. Si les parents se déchargent des tâches éducatives qui sont prioritairement les leurs, ils surchargent l’école et risquent de paralyser son action ou de la déstabiliser. d’autre part, s’il est invraisemblable qu’un État se désintéresse de l’œuvre éducative, la tentation est largement répandue de restreindre d’une manière ou d’une autre les libertés surtout si celles-ci ne sont pas exercées. S’il est nécessaire, au nom du bien commun, de coordonner l’œuvre éducative des différentes écoles du même niveau en réclamant, par exemple, un minimum de programme commun et un bon enchaînement des différents niveaux, dans de nombreux pays, on a vu l’État imposer des réformes qui ne respectent pas la liberté des éducateurs. L’État s’immisce dans le détail des programmes, des méthodes, des structures, des techniques d’évaluation, etc.. La liberté de choix devient ainsi un leurre dans la mesure où les pouvoirs publics imposent ces mesures dans toutes les écoles quels que soient leurs pouvoirs organisateurs⁠[18]. Le rêve du monopole qui caractérisa les régimes totalitaires⁠[19] reste vivace dans les sociétés démocratiques. Or tout monopole est « opposé aux droits innés de la personne humaine, au progrès et à la diffusion de la culture elle-même, à la concorde entre les citoyens, enfin au pluralisme qui est aujourd’hui la règle dans un grand nombre de sociétés »[20].

Toute une idéologie cherche à justifier la mainmise des pouvoirs publics en raison d’une certaine incompétence générale des parents et du droit de l’enfant qui prime sur le droit des parents. Un rapport officiel de l’OCDE remarquait que « les progrès de l’enseignement sont gênés par l’ingérence fréquente de personnes dénuées de toute qualification. Parce que donner le jour et élever un enfant appartient d’abord à la biologie, parce que chacun a aujourd’hui fréquenté l’école, chacun a un avis sur la façon d’éduquer et d’instruire ». Le même document dénonce aussi ces maîtres qui « ne possèdent ni une culture, ni un niveau intellectuel suffisants pour comprendre, par exemple, les théories psychologiques nécessaires au bon exercice de leur fonction »[21]. On l’a compris, l’éducation, dans cet esprit, est d’abord l’affaire de spécialistes en psycho-pédagogie. Les parents, par nature, n’en sont certainement pas : « même lorsque la femme se consacre entièrement à son foyer et à ses enfants, il est psychologiquement détestable pour l’enfant, comme pour la mère, que ces deux êtres soient liés l’un à l’autre d’une façon trop étroite et trop exclusive. d’abord parce que les premières années sont d’une importance extraordinaire pour le développement ultérieur de l’enfant et qu’elles ne peuvent être réduites aux possibilités d’un milieu familial toujours limité et dépourvu de perspective. Dans les conditions sociales actuelles et même dans des conditions sociales idéales, les familles sont incapables de fournir à l’enfant le milieu psychologique et moral nécessaire à sa formation. Le cadre familial, même dans les meilleures conditions, est un cadre trop étroit, aux horizons et aux moyens limités. (…) Il faut ajouter que la compétence psychologique des familles est superficielle et souvent erronée et que leur action risque d’être faussée par des éléments sentimentaux et subjectifs certes nécessaires, mais qui ne peuvent remplacer la compétence »[22]. Or, « seuls les pouvoirs publics possèdent les moyens, les possibilités indispensables à la construction des écoles, à l’entretien et à l’organisation des services médicaux et psychologiques, à la satisfaction féconde des loisirs. Seuls ils possèdent une information suffisamment large et objective pour comprendre les besoins de la Nation et réaliser cette organisation harmonieuse et souple sans laquelle l’éducation de la communauté ne sera qu’improvisation et trompe-l’œil »[23]. Il ne s’agit donc plus, pour les pouvoirs publics, d’aider ou de suppléer mais d’être l’acteur principal et finalement unique dans l’œuvre d’éducation. En revient-on pour autant aux pratiques totalitaires ? Certainement pas dans l’esprit des auteurs car leur volonté est de prendre comme critère fondamental la liberté de l’enfant qui prime la traditionnelle « liberté du père de famille ». « La vraie liberté éducationnelle exclut toute entreprise, toute velléité même, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle émane, (serait-ce même d’un groupe majoritaire), d’aller à l’encontre de la liberté individuelle. (…) Toute liberté d’enseignement, toute prétention d’une autorité particulière quelconque (Église, parti politique, simple particulier) qui va à l’encontre de ce droit fondamental de l’enfant en tant que personne humaine, est à rejeter comme une aberration anti-démocratique. (…) La liberté du père de famille ne peut donc jouer que dans les limites du respect de la liberté de l’enfant et de son droit le plus absolu : l’accès à toutes les valeurs morales et spirituelles qui constituent notre héritage et qui préparent notre avenir. Accordons au père de famille la liberté de choisir pour ses enfants l’école qu’il préfère, les maîtres en qui il a confiance. Mais ce choix doit se faire entre des écoles et des maîtres qui, par l’esprit qui les anime et leurs intentions réelles, assurent à l’enfant sa liberté et son droit et lui permettent de l’exercer dans le sens de son plus grand intérêt moral et intellectuel. Or seuls les pouvoirs publics, parce qu’ils représentent la variété des opinions et des tendances, des idéaux et des intérêts, sont qualifiés pour réaliser ces conditions et en assurer le maintien »[24]. Il n’ya donc plus qu’un seul réseau d’enseignement. Au lieu d’un pluralisme scolaire qui, dit-on, partage la société en castes rivales qui paralysent l’esprit critique, on en arrive ainsi à une » école pluraliste » qui permet seule l’ouverture démocratique, le progrès pédagogique et de substantielles économies.

Ce projet qui continue à guider certaines politiques vise à mettre un hiatus entre l’école et la famille sous prétexte d’incompétence⁠[25] et d’enfermement. Ces dangers existent, bien sûr, mais au lieu d’aider, de suppléer, de contrôler, les pouvoirs publics veulent s’attribuer ici la mainmise sur l’éducation. Dans la perspective décrite ci-dessus, ils instaurent au mieux, si l’on peut dire, un relativisme philosophique et moral purement idéel car comment pratiquement permettre objectivement aux enfants de se situer par rapport à un ensemble de valeurs et de systèmes qui devraient être tous présentés avec les mêmes rigueur et honnêteté ? On imagine qu’à travers un cours d‘histoire des religions et des philosophies, des maîtres asexués étaleront de manière sereine et équilibrée, sans parti-pris, « toutes les valeurs morales et spirituelles » dont ils auront, au préalable, pénétré l’esprit avec intelligence et respect ! En réalité, le but est d’en finir avec l’école confessionnelle et le pouvoir se donne, avec l’apparence du respect de toutes les opinions, la possibilité d’influencer dans un sens précis les esprits en formation. Comme l’a très bien vu Jean-Paul II, « la convivence pacifique et respectueuse de tous les groupes humains, au sein d’une société pluraliste, ne signifie pas que l’on doive adopter à l’école un neutralisme philosophique et religieux, parce que cela équivaudrait à imposer arbitrairement aux élèves une vision du monde agnostique ou évasive, et à les empêcher de donner un sens unitaire et harmonieux à leurs connaissances »[26]. Il y a là un totalitarisme subtil et, en plus, un danger réel de sclérose pédagogique dans l’uniformité d’un enseignement qui devient le jouet des théoriciens et de leurs porte-parole politiques.

Reste la question de savoir quel est le droit premier : celui de l’enfant ou celui de la famille ?

Saint Thomas nous donne une réponse simple et claire : « le fils, écrit-il, est par nature quelque chose du père…​ ; il s’ensuit que, de droit naturel, le fils, avant l’usage de la raison, est sous la garde de son père. Ce serait donc aller contre la justice naturelle si l’enfant, avant l’usage de la raison, était soustrait aux soins de ses parents ou si l’on disposait de lui en quelque façon contre leur volonté »[27]. Pie XI ajoute cette remarque : « puisque les parents ont l’obligation de donner leurs soins à l’enfant jusqu’à ce que celui-ci soit en mesure de se suffire, il faut admettre qu’ils conservent aussi longtemps le même droit inviolable sur son éducation »[28] car, comme le dit encore saint Thomas : « la nature ne vise pas seulement à la génération de l’enfant, mais aussi à son développement et à son progrès pour l’amener à l’état parfait de l’homme en tant qu’homme, c’est-à-dire à l’état de vertu »[29].

Ce « pouvoir » des parents sur l’enfant n’est évidemment ni arbitraire, ni absolu dans la mesure où, tout d’abord, il est limité dans le temps (« jusqu’à ce qu’il soit en mesure de se suffire » disait Pie XI ; « jusqu’à sa majorité ou son émancipation » disent les codes civils). De plus, dans la mesure où il découle de la volonté du Créateur ou de la « nature », il est soumis à leurs exigences⁠[30] telles qu’elles sont formulées par l’Église d’une part et par l’État d’autre part. Rappelons encore que la famille n’est pas une société parfaite puisqu’elle ne possède pas en elle-même tous les moyens nécessaires à son perfectionnement et qu’elle a besoin de la société.

Jacques Maritain⁠[31] récuse ces « défenseurs de l’éducation religieuse qui se fondent sur le principe du droit de propriété de la famille sur l’enfant. A leurs yeux, puisque l’enfant appartient à la famille, celle-ci aurait le droit de disposer comme de sa propriété de la conscience de l’enfant et de lui imposer à ce titre les croyances auxquelles le groupe familial est attaché ». Cette conception, explique le philosophe, « déforme et trahit la vérité qu’elle prétend établir. L’enfant « appartient » à la famille en ce sens qu’il en est membre, non en ce sens qu’il serait pour elle un objet de propriété. En ce qui regarde la destinée de son âme, l’enfant n’appartient qu’à Dieu. La famille n’a pas sur la conscience de l’enfant un droit en vertu duquel elle pourrait lui imposer les croyances qu’elle tient pour liées à son patrimoine et à sa cohésion de groupe social. Elle a le devoir de l’engendrer à Dieu et à la vérité selon qu’elle les connaît, et c’est à ce titre qu’elle a, de par la loi naturelle, le droit de l’élever dans ses propres croyances religieuses ».

On se souvient aussi du conseil de Paul : « Pères, n’agacez point vos enfants de peur qu’ils ne se découragent[32]  ». L’autorité est « un don redoutable. Si vous le possédez, disait Pie XII, n’en abusez pas dans vos rapports avec vos enfants : vous risqueriez d’emprisonner leurs âmes dans la crainte, d’en faire des esclaves et non des fils aimants »[33].

Et le maître doit être, pour l’enfant, comme un « ami » et « un grand frère »[34] qui doit « créer un bon rapport avec l’adolescent ; avant tout avec le respect, fait de délicatesse et de charité, qu’il mérite comme créature faite à l’image de Dieu. Ce respect résulte de la reconnaissance de sa valeur personnelle, et, spécialement, de sa fin surnaturelle, qui, à l’école également comme dans toute activité humaine, doit être prise en considération, si l’on ne veut pas s’écarter de l’ordre établi par Dieu.

Tout l’ensemble des activités scolaires contribuent à établir ce rapport équilibré ; elles ne signifient pas une imposition de connaissances par l’extérieur et d’en-haut, mais une recherche affectueuse, faite avec passion et patience par les deux parties, des vérités et des beautés de la vie et de la culture, de la science et des lettres, de l’histoire et des mœurs des peuples ; en suscitant l’activité et la collaboration de l’adolescent ; en le traitant avec bienveillance, compréhension, justice et miséricorde, pour le développement harmonieux des valeurs affectives, à côté des valeurs intellectuelles »[35]. Jean XXIII insistera sur l’éducation par l’exemple, à la suite de Pie XII⁠[36] qui rappelait aussi la nécessité, au delà des connaissances, du savoir-faire pédagogique, de la connaissance de l’élève, de l’art de lui parler, de le traiter individuellement, d’une sagesse, en fait, plus que d’une science.

L’éducation religieuse engagée, que beaucoup redoutent et veulent exclure du système scolaire n’est pas en contradiction, comme on le croit trop souvent, avec le principe de la liberté de conscience. L’Église a toujours reconnu que « la conscience est comme le noyau le plus intime et secret de l’homme. C’est là qu’il se réfugie avec ses facultés spirituelles dans une solitude absolue : seul avec soi-même, ou mieux, seul avec Dieu - dont la voix se fait entendre à la conscience - et avec soi-même. C’est là qu’il se détermine pour le bien ou pour le mal ; c’est là qu’il choisit entre le chemin de la victoire ou de la défaite. Même s’il le voulait, l’homme ne réussirait jamais à s’en débarrasser ; avec elle, soit qu’elle l’approuve, soit qu’elle le condamne, il parcourra tout le chemin de la vie, et avec elle encore, témoin véridique et incorruptible, il se présentera au jugement de Dieu. La conscience est donc, pour prendre une image antique mais tout à fait juste, un sanctuaire, sur le seuil duquel tous doivent s’arrêter ; tous, même le père et la mère, lorsqu’il s’agit d’un enfant. Seul le prêtre y entre[37] comme médecin des âmes et comme ministre du sacrement de pénitence ; mais la conscience ne cesse pas pour autant d’être un sanctuaire jalousement gardé, dont Dieu lui-même veut que le secret soit préservé sous le sceau du plus sacré des silences »[38].

Ceci établi, peut-on envisager une éducation de la conscience ?

Je dirais que non seulement la conscience peut être éduquée mais qu’elle doit l’être. Et il n’y a là aucune contradiction avec le caractère éminemment libre de la conscience. Certes, il ne manque pas de gens aujourd’hui qui prétendent remettre « tout critère éthique à la conscience individuelle, fermée jalousement sur elle-même et rendue arbitre absolu de ses déterminations »[39]. Cette conception est tout à fait illusoire. La conscience morale, nous l’avons vu, est propre à chaque sujet et nul n’a le droit de la contraindre⁠[40] mais, dans tous les cas, cette conscience est « éclairée », d’une manière ou d’une autre. Une conscience à l’état brut, sauvage, spontanée, n’existe pas. Dans un texte célèbre⁠[41], J.-J. Rousseau définit la conscience comme un « instinct divin », une « immortelle et céleste voix (…) ; juge infaillible du bien et du mal…​ ». A sa suite, tout un courant de pensée proclamera l’autonomie radicale de la conscience⁠[42]. Cette position radicalement subjectiviste est indéfendable. Il faudrait admettre que tout et le contraire de tout peut être un bien moral : au nom de quoi protesterait-on contre le crime et comment vivre en société si chacun décide du bien ? Ou bien, , comme Rousseau, on prétendra que la conscience choisit toujours ce que nous appelons le bien moral conformément à la tradition. Le bien serait ainsi programmé. La démonstration de Rousseau ne résiste pas à l’expérience. Selon cet auteur, nous serions spontanément heureux du bonheur d’autrui et du bien que nous faisons ; nous serions accablés par la vue des malheurs et des crimes ! Nous savons malheureusement qu’il n’en est pas ainsi. Nous nous réjouissons parfois du malheur d’autrui et jalousons sa réussite. En fait, la conscience est toujours, qu’on le veuille ou non, une conscience formée, dans un sens ou l’autre, grossièrement ou avec raffinement. Personne n’est vierge d’une influence éducatrice de son milieu puisque chaque être humain grandit en société, que ce soit la famille qui l’influence, ou une église, une institution, un groupe, peu importe⁠[43]. Même le laisser-faire et le laisser-aller, s’il était radicalement possible, serait encore un choix. La vraie conscience morale n’est pas pure créativité pas plus qu’elle ne peut être pure passivité, obéissance à une loi extérieure. Dans les deux cas, il est difficile de parler de liberté. Si c’est évident dans la perspective d’une morale imposée du dehors, ce n’est pas moins vrai dans l’hypothèse libertaire car le subjectivisme n’est que la voix insidieuse des modes, du conformisme, des conditionnements ou des pulsions instinctives. La vraie liberté demande de poser le problème du choix inéluctable en termes de vérité et d’adhésion personnelle. Seule la vérité intériorisée libère : « Agir en conscience, écrit Livio Molina, signifie précisément dépasser les sollicitations subjectives et intéressées, les pressions du milieu, pour affirmer la propre liberté de cette conscience, justement en se liant à la vérité, connue intimement »[44]. Et l’auteur se résume parfaitement en soulignant qu’ »entre passivité et créativité, il y a place pour la participation subjective à travers la maturation de dispositions qui rendent possible l’accueil de la vérité morale »[45].

Encore faut-il croire qu’une vérité soit possible. Si l’on croit que Jésus est la Voie, la Vérité et la Vie⁠[46], « il suit de là que former la conscience chrétienne d’un enfant ou d’un jeune homme consiste avant tout à éclairer leur esprit sur la volonté du Christ, sa loi, le chemin qu’il indique, et en outre à agir sur leur âme autant que cela peut se faire du dehors, afin de les amener à accomplir toujours librement la volonté divine »[47]. Et il est bien entendu que cette éducation chrétienne de la conscience, « est bien loin de négliger la personnalité et de juguler l’initiative. Car toute saine éducation vise à rendre l’éducateur peu à peu inutile, et l’éduqué indépendant entre les justes limites »[48].

Mais, dans un milieu qui ne croit pas au Christ, comment justifier encore l’éducation chrétienne ? A la méthode « descendante » de Pie XII, on peut substituer ou juxtaposer la méthode « ascendante » suggérée par Jean-Paul II⁠[49] qui n’hésite pas à maintenir que « l’éducation de la conscience religieuse est un droit de la personne humaine ». Partant des aspirations les plus profondes et s’appuyant sur la nécessité d’une formation culturelle intégrale, le Saint-Père justifie ce droit en faisant remarquer que « le jeune exige d’être acheminé vers toutes les dimensions de la culture et veut aussi trouver à l’école la possibilité de prendre connaissance des problèmes fondamentaux de l’existence. Parmi ceux-ci, le problème de la réponse qu’il doit donner à Dieu occupe la première place. Il est impossible d’arriver à d’authentiques choix de vie quand on prétend ignorer la religion qui a tant à dire, ou bien quand on veut la restreindre à un enseignement vague et neutre, et par conséquent inutile, parce qu’il est dépourvu de relation à des modèles concrets et cohérents avec la tradition et la culture d’un peuple ».

A travers les argumentations complémentaires des deux souverains pontifes, on peut comprendre pourquoi le Concile Vatican II n’a pas rompu avec la tradition et a rappelé le devoir qu’a l’Église de « veiller assidûment à l’éducation morale et religieuse de tous ses enfants » et « d’être présente, avec une affection et une aide toute particulière, aux très nombreux enfants qui ne sont pas élevés dans des écoles catholiques ». C’est pourquoi, à cette occasion, elle a félicité « les autorités et les sociétés civiles qui, compte tenu du caractère pluraliste de la société moderne, soucieuses du droit à la liberté religieuse, aident les familles à assurer à leurs enfants, dans toutes les écoles, une éducation conforme à leurs principes moraux et religieux »[50].

Quand nous étudierons les rapports parfois difficiles entre la démocratie et l’éducation, nous aurons la possibilité de méditer une autre argumentation élaborée par Jacques Maritain au lendemain de la seconde guerre mondiale pour l’enseignement public français mais qui est parfaitement transposable dans le contexte de tout enseignement organisé par l’État.


1. Discours à l’UNESCO, 2-6-1980, n° 7.
2. Id., n° 11.
3. « …dans l’ensemble du processus de l’éducation, de l’éducation scolaire en particulier, un déplacement unilatéral vers l’instruction n’est-il pas intervenu ? Si l’on considère les proportions prises par ce phénomène, ainsi que l’accroissement systématique de l’instruction qui se réfère uniquement à ce que possède l’homme, n’est-ce pas l’homme lui-même qui se trouve de plus en plus obscurci ? Cela entraîne alors une véritable aliénation de l’éducation : au lieu d’œuvrer en faveur de ce que l’homme doit « être », elle travaille uniquement en faveur de ce dont l’homme peut se prévaloir dans le domaine de l’ »avoir », de la « possession ». L’étape ultérieure de cette aliénation est d’habituer l’homme, en le privant de sa propre subjectivité, à être objet de manipulations multiples... » (Id.).
4. « Toute personne a droit à l’éducation (…) L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948, art. 26).
5. Déclaration sur l’éducation chrétienne (Gravissimum educationis momentum), Concile Vatican II, 1965, n°3.
6. PIE XI, encyclique Divini illius Magistri, 31-12-1929, 369 in Marmy.
7. « ...l’école est de sa nature une institution auxiliaire et complémentaire de la famille et de l’Église » (Id., 391).
8. JEAN-PAUL II, A des juristes catholiques italiens, 7-12-1981. L’importance de la famille et ensuite de l’école a été rappelée aussi face aux secousses socio-culturelles contemporaines: « Dans une société caractérisée par un véritable déferlement de mutations et d’interrogations, de relations et de tensions, de libertés et d’expériences, comment les enfants et les jeunes pourraient-ils, seuls, pourvoir à l’acquisition des connaissances nécessaires à la vie, développer harmonieusement leur personnalité, donner à leur existence un sens profond et plénier qu’ils ont de la peine à découvrir du fait de leur propre instabilité, encore augmentée par l’instabilité de la société contemporaine ? Il faut proclamer, aussi bien pour les peuples jeunes que pour les nations de culture plus ancienne, le rôle éducatif et inaliénable de la famille qui aura toujours besoin d’être complété par celui de l’école, dans un climat de compréhension et de collaboration, encore susceptible de grands progrès » ( JEAN-PAUL II, Discours au congrès de l’UNAPEL, juin 1979).
9. « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (Déclaration universelle des Droits de l’homme, art. 26). « Les droit et devoir, premiers et inaliénables, d’éduquer leurs enfants reviennent aux parents. Ils doivent donc jouir d’une liberté véritable dans le choix de l’école » (Id., n° 6).
10. Par exemple, « l’Église rappelle ainsi la loi de subsidiarité, que l’école est tenue d’observer lorsqu’elle coopère à l’éducation sexuelle, en se plaçant dans l’esprit qui anime les parents » (JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris consortio, 22-11-1981, n° 37).
11. « ...tous ceux qui dans la société sont à la tête des écoles ne doivent jamais oublier que les parents ont été institués par Dieu lui-même premiers et principaux éducateurs de leurs enfants, et que c’est là un droit absolument inaliénable.
   Mais, corrélativement à leur droit, les parents ont la grave obligation de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour entretenir des relations cordiales et constructives avec les enseignants et les responsables des écoles » (Id., n° 40).
12. Encyclique Divini illius magistri, op. cit. 382.
13. Discours à l’UNESCO, op. cit., n° 18.
14. A des juristes catholiques italiens, op. cit..
15. Déclaration sur l’éducation chrétienne, op. cit., n° 6.
16. Id., n°3. « Car l’État, plus que tout autre, est pourvu de ressources, mises à sa disposition pour subvenir aux besoins de tous, et il est juste qu’il en use à l’avantage de ceux-là mêmes dont elles proviennent » (PIE XI, Discours aux élèves du Collège di Mondragone, 14 mai 1929, cité in Divini illius magistri, op. cit., n° 376).
17. Id., n° 6.
18. A propos des restrictions à la liberté d’enseignement en Belgique, on peut lire PETITJEAN A., En Belgique : la liberté d’enseignement, Action des parents, sd. qui couvre la période de 1830-1970 et L’État contre la liberté, Secrétariat autonome de recherches pédagogiques et scolaires, sd. qui analyse la rénovation de l’enseignement entre 1971 et 1978.
19. Pie XI a dénoncé cette volonté des régimes communiste (Divini redemptoris, 19-3-1937, 133 in Marmy), nazi (Mit brennender Sorge, 14-3-1937, 273-274 in Marmy) et fasciste (Non abbiamo bisogno, 29-6-1931, 219 in Marmy).
20. Id..
21. L’enseignant face à l’innovation, vol. I, Rapport général, OCDE, Paris, 1974, pp. 396-398.
22. CLAUSSE A., Une doctrine socialiste de l’éducation, Amicale fédérale du personnel enseignant socialiste de l’arrondissement de Liège, 1955, pp. 164-165. L’auteur a défendu les mêmes idées dans Philosophie et méthodologie d’un enseignement rénové, Georges Thone, Liège, 1972, notamment pp. 134-135.
23. Id., pp. 177-178.
24. Id., p. 179.
25. Pie XII lui aussi et de manière plus crue, a évoqué ces mères « inaptes à comprendre même l’objet de l’éducation, ignorantes de la plus élémentaire pédagogie, non formées ou déformées qu’elles sont elles-mêmes, préoccupées uniquement soit de leur tranquillité ou de leurs plaisirs égoïstes, soit de leurs intérêts matériels sur lesquels elles concentrent leurs pensées ». Et aussi les autres qui, « malgré leur bonne volonté et leur dévouement, se trouvent aujourd’hui plus que jamais, par suite des dures et inexorables conditions de la vie, dans l’impossibilité de remplir pleinement leur devoir ». Mais c’est pour rappeler que les maîtres à qui les enfants de ces femmes sont confiés, sont les « délégués et représentants des parents pour accomplir une telle mission en leur nom » (Aux maîtres catholiques italiens, 4-11-1945).
26. A des juristes catholiques italiens, op. cit..
27. Somme théologique, II-II, qu. 10 a. 12.
28. Divini illius Magistri, op. cit., 369.
29. Somme théologique, III, supplém., qu. 41 a. 1.
30. Divini illius Magistri, op. cit., 371 et 375
31. Pour une philosophie de l’éducation, Fayard, 1969, pp. 190-191.
32. Col., 3, 21.
33. PIE XII, Aux jeunes époux, 24-9-1941.
34. JEAN-PAUL II, Discours aux instituteurs catholiques chrétiens, 7-12-1979
35. JEAN XXIII, Discours à l’Union catholique de l’enseignement secondaire, 19-3-1960.
36. Discours aux maîtres catholiques italiens, 4-11-1955.
37. J’ajouterais : non pas par effraction mais seulement s’il y est invité. Notons, sans vouloir nier les bienfaits de certains traitements psychologiques ou psychanalytiques, que leurs méthodes sont parfois des moyens détournés de pénétrer dans le secret des consciences.
38. PIE XII, Radio-message pour la Journée de la famille, 23-3-1952.
39. Id..
40. En la matière, l’enseignement le plus constant de l’Église remonte à Paul lui-même qui, parlant de la conscience renouvelée par la foi, déclare que « tout ce qui n’est pas en conscience est péché » (Rm 14, 23 b). Dans cette conception, « la conscience morale apparaît comme l’instance ultime du jugement et de la décision moraux » ( BRUGUES J.-L, Dictionnaire de morale catholique, C.L.D., 1991).
41. Profession de foi du vicaire savoyard, in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, 1959.
42. Le théologien moraliste allemand Bruno Schüller, reprend presque textuellement la définition de Rousseau : « la conscience, écrit-il, ne peut se tromper sur le bien et sur le mal. Ce qu’elle ordonne est toujours et infailliblement un bien moral » (Cité in MELINA Livio, La morale entre crise et renouveau, Culture et vérité, 1995, p. 110).
43. Jacques Maritain considère comme « erronée » et plus précisément « entièrement chimérique » la position de ceux « qui se fondent sur le principe du droit de l’enfant à une complète indétermination à l’égard de ce qu’il ne peut encore juger par lui-même, considérée comme la préservation de sa future liberté. A leurs yeux, l’enfant étant destiné à devenir un homme qui disposera librement de lui-même, devrait rester exempt de toute formation religieuse jusqu’au moment où, parvenu à l’âge adulte, il pourra librement faire son choix en matière de religion ». Voici les arguments qu’il avance : « d’une part, le principe (invoqué) est en réalité la négation de toute éducation, car à l’égard de tout ce qui lui est enseigné l’enfant doit commencer par croire avant de juger par lui-même. Et si sa future liberté était lésée parce qu’on lui communique des certitudes religieuses, elle serait également lésée parce qu’on lui communique des certitudes morales qui, les unes et les autres, seront soumises plus tard à son jugement d’adulte. Faut-il au nom de sa liberté s’abstenir de lui apprendre les préceptes moraux reconnus par le groupe social dont il est membre et lui laisser découvrir à lui tout seul les règles de la conduite humaine ? d’autre part, c’est précisément à condition d’être instruite que sa future liberté sera préservée. L’indétermination, l’ignorance et le vide ne préservent pas, ils tuent la liberté. C’est une condition de la liberté humaine de ne pouvoir s’exercer que si elle est équipée par la connaissance et formée par l’intelligence. Et c’est seulement si l’enfant a cru à une religion qu’il la connaîtra. Si plus tard il se prononce contre elle, ce sera librement, et en connaissance de cause. Si plus tard il persévère en elle, ce sera librement, et en connaissance de cause. Il n’est rien de plus libre que l’acte de foi. Et si la vertu de foi, qui n’est pas une habitude humaine, mais un don de la grâce, s’est déjà enracinée dans l’âme pendant les années d’enfance, la liberté de l’adhésion qu’elle comporte n’en sera pas diminuée mais fortifiée au moment des prises de conscience et des grands débats du passage à l’âge adulte. Ajoutons ici une remarque par parenthèse : si dans les diverses régions du globe l’individu professe généralement les croyances religieuses traditionnelles de la population dont il fait partie, ce n’est pas que le déterminisme de l’habitude ait en cela le pas sur la liberté, c’est plutôt que la liberté humaine s’exerce de fait sur les matériaux mis à sa portée par le milieu : aussi bien les faits de conversion religieuse et les grands phénomènes d’évangélisation, comme inversement le scepticisme pratique de ceux qui ne professent leur religion que par habitude ou conformisme social, témoignent-ils de l’essentielle liberté impliquée par la croyance quand elle est réelle et engage véritablement la personne ». (Pour une philosophie de l’éducation, Fayard, 1969, pp. 190-191).
44. Op. cit., p. 117.
45. Id., p. 118.
46. Jn 14, 16.
47. PIE XII, Radio-message pour la Journée de la famille, 23-3-1952.
48. PIE XII, Discours aux jeunesses catholiques féminines, 18-4-1952.
49. Homélie à Porto Alegre, 5-7-1980.
50. Déclaration sur l’éducation chrétienne, op. cit.. Pour réfléchir à la place et à la spécificité de l’école catholique aujourd’hui, on peut lire L’école catholique de la Congrégation pour l’éducation catholique du 19-3-1977.