Il importe de redécouvrir ce qui, naturellement, rend la famille fondée sur le mariage irremplaçable sur le plan personnel et social étant donné l’extrême confusion des pensées en la matière et l’incidence funeste de cette confusion sur l’état de la société.
Tout d’abord, il n’est pas possible rationnellement de suivre l’homme politique qui affirmait la nécessité de « reconnaître l’égalité et la légitimité de toutes les formes d’union »[1]. Cette égalité et cette légitimité découleraient du seul lien affectif entendu, semble-t-il, comme désir, pulsion, émotion, sentiment plus ou moins durable, plus ou moins fragile. Encore faut-il considérer à quoi ce mouvement subjectif aboutit ! Si l’affection qui lie un homme à un homme peut théoriquement être égale à celle qui unit un homme et une femme, les unions ne sont pas égales d’emblée puisque la procréation est possible à l’une et non à l’autre. Et même, l’union qui se veut conditionnelle ou passagère peut-elle être considérée comme l’égale d’une union qui veut s’inscrire dans la durée indépendamment de tout aléa ? Les unions sont si peu égales que les partisans de l’ouverture du concept « famille » opposent la famille traditionnelle « cimentée par une « morale du devoir » et fondée sur une valeur-princeps : la fidélité » à ce que l’un d’eux appelle « le périple conjugal (qui) n’est plus soumis qu’aux seules volontés individuelles »[2].
Adam et Eve : modèle dépassé ?
Allons plus loin. Toute union est-elle légitime, c’est-à-dire juste ou, mieux encore, conforme au droit naturel[3] ? A ce point de vue, seule l’union d’un homme et d’une femme, en fonction de la simple complémentarité des sexes, est légitime. Si la tendance homosexuelle existe et peut se révéler, en dehors de tout accident, dans l’histoire d’un individu qui ne peut, en aucune façon, en être tenu pour responsable et a fortiori pour méprisable[4], il est impossible de ne pas considérer que l’acte homosexuel ne peut que caricaturer l’acte hétérosexuel.
Certains ont beau déclarer que la prééminence de l’hétérosexualité ne repose que sur le mythe protecteur de la complémentarité[5], l’absence de complémentarité idéale dans l’hétérosexualité n’empêche pas les hétérosexuels d’être, en principe, plus complémentaires que les homosexuels.
La société ne peut se construire que sur la différence entre l’homme et la femme[6]. Comme l’écrivent les évêques français, la recherche du semblable conduit à des exclusions. Ajoutons qu’elle est mortifère[7] puisque, une fois encore, il faut bien reconnaître que seul le couple hétérosexuel est vraiment capable de paternité et de maternité, au sens plein des termes.
Si l’on se place maintenant du point de vue de l’enfant, même si une famille traditionnelle peut être un lieu traumatisant ou frustrant, ce n’est pas du fait de la présence durable d’un homme et d’une femme mais de déficiences personnelles, culturelles ou sociales. On ne peut tirer argument de ces mauvais exemples pour proposer l’alternative homosexuelle dans la mesure où on y trouverait des « familles » sans violence. La psychologie insiste largement sur l’importance du père et de la mère dans le développement de l’enfant même en cas de divorce. Toute famille incomplète, disloquée, recomposée d’une manière ou d’une autre est une famille à risques[8], a fortiori une « famille » construite sur l’homosexualité.
d’autres subvertissent le sens métaphysique du mot « nature » et ne craignent pas, dès lors, d’écrire que « le multipartenariat sexuel est la pente naturelle de l’espèce humaine, la monogamie, et même les polygamies institutionnalisées sont des conventions sociales « contre nature » qu’on essaie de faire respecter au prix de conditionnements, d’interdits et de dispositifs répressifs parfois féroces »[9]. Il s’agirait donc de se laisser aller aux injonctions de la « nature » entendue comme tendance instinctive. Ce multipartenariat comme la dissociation systématique entre la sexualité et la procréation sont-ils des comportements vraiment typiques de l’espèce humaine ? Comme l’écrit avec rudesse mais pertinence J. Duchesne, « ce qui différencie le genre humain n’est pas la faculté de dissocier la sexualité de la procréation. Les chiens en font autant. Mais c’est de prouver que l’amour dépasse largement l’érotique et le corporel sans les nier »[10]. S’il était humain de se laisser aller à « sa pente naturelle », il faudrait accepter la volonté de puissance et l’égoïsme qui sont aussi les pentes naturelles de l’espèce humaine !
On peut s’étonner de devoir rappeler de telles évidences mais, pour y être contraints, nous nous rendons compte que nous sommes immergés dans une culture qui, sous l’effort de lobbies médiatiques[11], se distille et se propage sans références à une conception correcte de l’homme et de la société[12].
Le mariage ?
[13]
Mais pourquoi défendre encore le mariage vu le nombre de divorces ? Pourquoi ne pas laisser l’alliance entre l’homme et la femme dans la sphère privée où elle est née ? Pourquoi la rendre publique, l’institutionnaliser ? Pourquoi vouloir, par l’institution matrimoniale rendre, comme dit Xavier Dijon, le corps et l’état des personnes indisponibles ?[14].Pourquoi déplorer la cohabitation vu son succès ?
Certes, la conjugalité et la famille naissent et se déploient dans l’autonomie et la gratuité. Chacun conviendra que leur fondement doit être l’amour et que celui-ci, sous peine de perdre tout son sens, implique la liberté. Nul ne peut être contraint à aimer, nul ne peut être contraint à se marier. La chose est entendue. Toutefois, il faut bien considérer que l’amour au sens plein du terme implique tout l’être, et ne peut être réduit à une envie. Le mot sentiment lui-même peut-être trompeur car on le réduit aisément à la passion, surtout dans la mouvance romantique. On ne commande pas cette passion, on ne la maîtrise pas, elle vient, elle s’en va, malgré nous. L’amour véritable , sans nier la part de désir et de convoitise qu’il comporte, s’attache à rechercher le bien de l’autre. Aimer c’est aimer quelqu’un, désirer prioritairement le bonheur de l’autre. Cela demande du temps, le temps de l’autre, le temps de sa vie entière. L’amour devient conjugal à partir du moment où, essentiellement, par un acte de volonté, je m’engage, en connaissance de cause[15], à le vivre « comme une chose due en justice »[16]. Comme le dit Jean-Paul II, « une fois que l’engagement est donné et accepté par l’intermédiaire du consentement, l’amour devient conjugal et ne perd jamais ce caractère. Ce qui est ici en jeu, c’est la fidélité de l’amour, qui s’enracine dans l’obligation librement assumée ». Il ne faut pas confondre le mariage avec le rite qui l’accompagne, le mariage « consiste essentiellement, nécessairement et uniquement dans le consentement mutuel qu’expriment ceux qui vont se marier (…). Ce consentement n’est autre que la prise d’un engagement, consciente et responsable, au moyen d’un acte juridique par lequel, dans la donation réciproque, les époux se promettent un amour total et définitif. Ils sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis d’une manière également libre ; mais au moment où ils posent cet acte, ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui est dû, et qui a également des conséquences de caractère juridique »[17]
Le mariage s’enracine donc dans la liberté et il est bon que cet espace de liberté soit reconnu et, en quelque sorte, délimité car les personnes ne passent pas toute leur vie dans cette sphère privée. Elles s’engagent dans la vie économique, sociale, politique où elles doivent être identifiées comme sujets de droits.
L’institution est aussi une aide pour les époux qui, dans leur fragilité, peuvent s’appuyer sur elle pour faire durer leur engagement, c’est-à-dire le don mutuel qu’ils désirent définitif.
Enfin, il faut bien se rappeler que ni les parents, ni les enfants qu’ils mettront au monde ne sont maîtres du lien qui les unit. L’indisponibilité de la filiation née dans le don mutuel des époux est liée à l’indisponibilité voulue par le mariage.
En fait, la culture individualiste dans laquelle nous sommes immergés a perdu de vue la relation étroite qui existe entre mariage, famille et société. L’homme est un être social, qu’il le veuille ou non. L’oublier porte préjudice à la dignité de la personne et est dommageable pour l’ordre social.
Le cardinal Tettamanzi, se penchant sur le problème des unions de fait souligne qu’« on doit préciser que la stabilité proprement matrimoniale et familiale n’est pas exclusivement confiée à l’intention et à la bonne volonté des individus concernés, mais qu’elle revêt un caractère institutionnel, à la suite de la publicisation, c’est-à-dire de la reconnaissance juridique de la part de l’État du choix de vie conjugale. Une telle stabilité existe dans l’intérêt de tous, mais bénéficie en particulier aux plus faibles, c’est-à-dire aux enfants »[18].
Seul le mariage, engagement public, durable et officialisé, peut garantir la stabilité de la famille.
Cette stabilité est bénéfique génétiquement pour la procréation des enfants et donc pour le renouvellement des générations sans lequel la société périclite.
Elle est indispensable culturellement à l’éducation des enfants : la famille est le « lieu primordial de transmission et de sauvegarde des valeurs »[19], des expériences. Elle évite la désocialisation qui touche tant de jeunes aujourd’hui, laissés sans repères solides.
Elle est bienfaisante psychologiquement pour tous ses membres car cimentée par la fidélité elle constitue de l’aveu même de ceux qui la discréditent « un antidote efficace à la peur de la solitude et à la réalité de la finitude »[20]. Les enfants y trouvent la sécurité affective et y enracinent non seulement leur identité génétique et biologique mais aussi leur identité biographique et historique[21]. Les grands-parents y sont aussi sécurisées et revalorisés par leurs services ne serait-ce qu’à travers le dialogue intergénérationnel
Pour toutes ces raisons, elle nourrit la cohésion de la société entière d’autant mieux qu’elle éduque ses membres, citoyens et futurs citoyens, travailleurs et futurs travailleurs, au jeu complexe mais vital des droits et des devoirs réciproques. Il est vrai, comme le dit un psychologue[22] que la famille « traditionnelle » vit par une « morale du devoir » mais cette morale du devoir n’est-elle pas indispensable à l’expression des droits et donc à l’émergence de vraies libertés ? Sans les devoirs qui y correspondent, les droits sont inopérants, vides de sens.
La famille comme la « cellule originelle de la vie sociale »[23] ? C’est en elle, comme nous l’avons déjà vu, que naissent les citoyens et qu’ils font l’apprentissage de la vie sociale. C’est en elle que peut le mieux se développer le vrai sens de l’autorité, de la liberté et de la fraternité. C’est en elle que s’expérimentent le mieux les bienfaits de la sécurité, de la participation, de la solidarité. C’est dans cette société que s’ajustent les revendications de la personne et du groupe, que chacun peut apprendre à s’ouvrir à l’autre et éventuellement à Dieu.
d’une certaine manière, on peut dire qu’une société vaut ce que valent ses familles puisque c’est en leur sein que se forment les citoyens[24]. Tant qu’on n’admettra pas que nos sociétés sont en crise parce que les familles se disloquent au gré de mariages ou de cohabitations temporaires, rien ne sera restauré en profondeur. Si l’institution familiale se dégrade, toute la société en pâtit : « loin de contribuer à accroître la liberté individuelle, le démembrement de la famille rend les individus plus vulnérables et sans défense face au pouvoir de l’État, qui de son côté a besoin d’une juridiction de plus en plus complexe qui l’appauvrit »[25].
La société doit donc veiller à placer les familles dans les meilleures conditions possibles de développement.
Il faut méditer le poids des mots. Lorsque l’on dit, comme dans la Déclaration universelle des droits de l’homme que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société »[26] cela signifie bien que la famille est non seulement conforme à la nature (au sens métaphysique) de l’homme et qu’elle est la base déterminante et constitutive de la société[27]. C’est pourquoi, toujours selon le même article de la Déclaration des droits de l’homme, la famille « a droit à la protection de la société et de l’État ». Dans l’intérêt général et d’abord des plus faibles, c’est-à-dire des enfants, il est indispensable que la stabilité familiale soit défendue et promue par le pouvoir politique.
Dans une culture obsédée par l’efficacité, l’État a intérêt à être le pouvoir subsidiaire de la famille car si elle venait à disparaître, il devrait « se substituer à elle dans les fonctions qui lui sont propres par nature »[28]. L’État a intérêt économiquement à protéger et promouvoir la famille ne serait-ce que parce que « les caisses de retraite et leurs créanciers s’enrichissent grâce à l’activité parentale » [29]./ de plus, « lorsque la famille se brise, l’État doit multiplier ses interventions pour résoudre directement des problèmes qui devraient rester dans la sphère privée et u trouver une solution, avec les coûts élevés qui en résultent tant sur le plan psychologique qu’économique »[30].
N’oublions pas non plus que les entreprises dépendent des marchés, des personnes et donc des familles qui consomment ce qui est produit. Non seulement, l’enfant « futur producteur de biens et de « services » économiques »[31] est une « valeur » créée par les parents mais on peut considérer la famille comme une « première école de travail »[32]. En effet, c’est en son sein qu’on fait le premier apprentissage de sa capacité d’initiative, de la responsabilité et de la convivialité si importante dans l’entreprise moderne.
Si la vie de la famille est marquée par la situation de l’entreprise où les parents travaillent, inversement, l’entreprise profitera de la bonne santé psychologique des travailleurs vivant dans des familles stables et paisibles.
Si le but de la vie économique est la prospérité, celle-ci est relative et toujours à rechercher mais elle « est impossible contre la famille. Le développement économique passe par la formation de capital humain ; celui-ci se constitue d’abord au sein de cette communauté de personnes qu’est la famille. La vie économique doit être organisée autour de la personne et en particulier elle ne peut ignorer l’existence de la réalité familiale. Enfin une économie prospère implique une vision dynamique, d’où l’importance de raisonner sur plusieurs générations » [33]
Selon A. Sauvy[34] « on ne connaît pas d’exemple de pays ayant assuré son développement économique dans la stagnation démographique »[35]. La pression démographique incite à la création de nouvelles richesses et est favorable à l’épargne et aux placements à long terme alors qu’une faible fécondité entraîne, par le vieillissement de la population active, moins de flexibilité, de mobilité, rend les innovations plus difficiles et accroît l’influence des personnes âgées dans les prises de décision[36].
On peut donc affirmer que « l’existence de la famille apparaît essentielle au développement économique, ne serait-ce que par la quantité de richesses qu’elle produit »[37]. Richesses humaines surtout, richesses décisives dans toute la vie sociale mais aussi dans le monde du travail. C’est par la famille que se transmettent l’éducation, la culture, la mémoire, le sens de l’effort, la solidarité volontaire, le respect des autres, de la discipline, de l’autonomie responsable[38].
Et la cohabitation légale ?
Au vu de ce que nous avons dit du mariage et de la famille, il est impossible, sur un plan toujours rationnel, d’accepter les lois ou projets de lois qui veulent, sous un titre ou l’autre, légaliser la cohabitation.
Que celle-ci suscite des problèmes sociaux et économiques, c’est certain : statut des enfants, problèmes de protection et d’héritage, etc.[39]. S’il est nécessaire de prévoir des mesures pour éviter des marginalisations, il est aberrant de vouloir accorder une reconnaissance officielle à de telles unions[40]. Pour des raisons essentielles développées dans les documents ecclésiaux déjà cités.
Une contradiction fondamentale.
Les unions libres sont le fruit d’un choix individuel, privé. En fonction de leur liberté, des individus décident de s’unir en renonçant à l’affirmation publique de leur engagement. Dans cet esprit, il est illogique de chercher une reconnaissance publique[41], de vouloir instituer une association née de tendances purement subjectives. Les unions de fait prennent des formes diverses et singulières selon le caprice humain. Si celui-ci, doit, dans une certaine mesure, être respecté, il n’a pas à réclamer de statut objectif même si, comme nous venons de le dire, il est légitime et nécessaire que des mesures soient prévues pour rencontrer les difficultés qu’engendrent, dans la pratique, ces unions[42].
Une injustice
Si on accorde aux unions de fait un statut juridique similaire ou équivalent à celui accordé à la famille fondée sur le mariage, on lui porte préjudice.
En effet, on ne peut, en justice, traiter également des réalités différentes. Une union de fait ne se constitue pas sur un engagement de fidélité, de mise au monde et d’éducation d’enfants, elle n’assure pas à la société le service rendu par une famille fondée sur le mariage.
Un grave désordre social
La reconnaissance légale des « formes alternatives de vie commune » déstabilise l’organisation sociale pour deux raisons.
Tout d’abord, parce qu’elle dissocie les droits et les devoirs. Les statuts légaux octroient des droits mais ceux-ci ne sont pas, comme dans le mariage, ordonnés à autant d’obligations[43]. Alain-Charles Van Gysel (chargé de cours à l’ULB) et Solange Brat (assistante à l’ULB), avocats au Barreau de Bruxelles et membres de l’Unité de droit familial de l’ULB notent que, chez les non-mariés, la « première différence sensible se marque dans l’absence des quatre obligations qui naissent du mariage » : fidélité, cohabitation, secours et assistance. « Les concubins, le plus souvent, ne veulent pas se marier précisément parce qu’ils ne veulent pas se soumettre à toutes les obligations qui naîtraient de leur mariage, et auxquelles ils devraient souscrire « en bloc » »[44]. C’est pourquoi l’Unité de droit familial de l’ULB, avec une certaine logique et non sans justesse, à mon avis, conclut : « La solution n’est sans doute pas une assimilation législative de l’union libre au mariage, ni surtout à un sous-mariage à effets limités dont peu de concubins voudraient probablement (sauf les homosexuels, mais parce que le mariage leur est pour l’instant fermé), mais à une conception radicalement différente de ce type d’union, qui préserverait, à côté d’une protection minimale (du cadre de vie et de la possibilité d’un recours à un juge pour obtenir des mesures urgentes et provisoires), une large possibilité d’organisation du mode de vie du couple par les concubins eux-mêmes »[45]. Solange Brat se demande si le statut juridique de cohabitation légale va faire des heureux parmi les personnes visées. « Peut-être, écrit-elle[46], parmi les milieux homosexuels dans le sens où il s’agit là, en quelque sorte, d’une première reconnaissance de leur statut. Par contre, il me semble que les concubins hétérosexuels n’y verront guère une amélioration de leur condition ». Et elle ajoute, en note : « Il se peut même qu’ils y voient un recul dès lors que le projet consacre la solidarité pour les dettes de ménage, disposition qui ne présente guère d’avantages pour eux ».
La reconnaissance publique d’unions de fait crée un cadre juridique asymétrique : la société se donne des obligations vis-à-vis de personnes unies de fait qui ne s’engagent à rien vis-vis d’elle.
d’autre part, la reconnaissance légale d’un choix purement subjectif aux formes donc diverses conforte l’individualisme et consacre la précarité et l’irresponsabilité qui dissolvent déjà, depuis trop de temps, la famille et la société. Patrick Traube remarque lui-même que l’« éthique de la liberté » qui a remplacé l’« éthique du devoir » et bouleversé la famille traditionnelle en privilégiant l’authenticité des sentiments « flirte du même coup avec l’égoïsme, le refus de l’engagement et l’insoutenable légèreté des « amours papillonnantes » »[47].
Enfin, il est malvenu, en matière de conjugalité et de famille, de se référer au respect démocratique des droits individuels « alors que d’une part la famille, composée certes d’individus, insiste cependant d’emblée sur le lien qui unit tous ses membres, que d’autre part le droit, en sa nature, part de la relation, du lien ». Il est important de savoir, comme l’écrit encore X. Dijon, « si le droit résulte d’un certain nombre de décisions que les sujets prennent à partir de leur stricte individualité ou s’il exprime d’abord les liens qui relient déjà les sujets entre eux, en l’occurrence de l’enfant aux parents et donc de l’homme à la femme »[48]. Autrement dit encore, il s’agit de choisir « soit de transposer dans l’intimité familiale les droits de l’homme conçus comme autant de possibilités pour un sujet de se libérer des liens de parole et de corps qu’il assume pourtant nécessairement dès sa naissance, soit d’accepter la réalité comme ce qui institue son propre discours sur la famille, à savoir la fécondité par la rencontre, en corps et en parole, de l’altérité »[49]. Nous traiterons ce problème plus loin dans le cadre plus général de la loi et de son origine. La question est de savoir si tout le droit peut être positif, fruit de la seule volonté des hommes, ou si ce droit positif accepte de se mesurer à un droit dit naturel découlant de la nature même de l’homme et échappant donc à sa volonté.
La responsabilité des institutions
Si théoriquement, les vertus de l’institution familiale sont largement reconnues, il faut donc préciser aujourd’hui ce que l’on entend par « famille » et reconnaître qu’elle n’est pas appuyée par une politique appropriée. Elle est au mieux livrée à l’indifférence des pouvoirs publics. Mais elle est aussi, en maints endroits l’objet d’une certaine hostilité de la part de certains lobbies et parfois même des autorités politiques. Il est clair qu’actuellement la vie familiale est rendue de plus en plus difficile ce qui n’est pas sans conséquence sur la désaffection vis-à-vis du mariage et de la famille. « La lacune la plus grave des semblants de politique familiale pratiqués dans les pays européens est, écrit Lecaillon, de ne pas préciser de quelle famille il s’agit et pourquoi celle-ci doit être promue ». Or, note l’auteur avec pertinence, « la neutralité n’existe pas : l’État est toujours conduit à privilégier un modèle, à choisir une vision anthropologique »[50]. Une politique familiale est indispensable et, selon ce que nous avons déjà dit plus haut, une politique vraiment humaine doit d’abord avoir le souci de la famille[51]. « d’une certaine manière, confirme Jean-Paul II, une société et son avenir dépendent de la politique familiale qui est mise en œuvre »[52].
Quand une société est privée de ces vertus et comportements, tous les secteurs de la vie publique en pâtissent : enseignement et culture, services de santé et attitude vis-à-vis des handicapés, économie, politique et justice » (Evêques de Belgique, op. cit., p. 11)