A l’expérience, et malgré les problèmes auxquels elle est confrontée, la famille apparaît néanmoins nécessaire. Son absence ou ses carences entraînent des drames bien visibles et malheureusement monnaie courante aujourd’hui.
Déjà en 1978, un juge de la jeunesse la défendait en disant : « mieux que des discours et des analyses, il suffit de pousser la porte de tous les endroits où se cachent ou plutôt où l’on cache les enfants en difficulté : délinquants, handicapés psychologiques, inadaptés, caractériels, instables. Toujours il y a une carence de la famille, soit son absence ou son incompétence, ou son refus, poussant les enfants et les jeunes dans les refuges de l’illusion avec ses faux remèdes : la délinquance, l’agressivité, la violence, la drogue, l’alcool. »[1] Jean-Paul II ne dit pas autre chose mais de manière positive : « La famille favorise la socialisation des jeunes et contribue à endiguer les phénomènes de violence, par la transmission des valeurs, ainsi que par l’expérience de la fraternité et de la solidarité qu’elle permet de réaliser chaque jour »[2]
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L’expérience de la situation dramatique du « quart-monde » dans nos sociétés « développées » a fait écrire que « la famille est le dernier bastion de résistance à la misère, l’expression du refus de s’y résigner, dernier et premier espace d’humanité, de dignité humaine où tout homme fait l’expérience qu’il compte pour quelqu’un, si bafoué soit-il par ailleurs… C’est peut-être pour cela que les très pauvres luttent pour vivre en famille, et qu’ils appellent tellement à la reconnaissance de tous pour y aboutir. »[3] Une interprétation un peu hâtive de la carence familiale, matérielle, affective, et de l’intérêt de l’enfant a inspiré longtemps une politique de placement en institution publique ou de transfert dans une famille adoptive. A la fin du XXe siècle, la formulation d’un véritable « droit à la famille » a inversé ce mouvement qui confirmait « le mal au lieu de le guérir »[4]. Joseph Wrésinski, fondateur du mouvement ATD Quart-Monde, dans un rapport officiel sur la pauvreté[5] faisait remarquer que « la cellule familiale est à protéger en tant que structure de base fondamentale pour le développement de la personnalité et de la socialisation, ainsi que comme lieu par excellence de la sécurité d’existence ». Il en concluait qu’« il convient de prendre des dispositions pour éviter dans la mesure du possible son éclatement en milieu de grande pauvreté. Aussi, les parents devraient pouvoir trouver auprès des instances chargées de la protection de l’enfance et de la famille le dialogue et le soutien nécessaires pour pouvoir assumer leurs responsabilités ». Les Conventions internationales vont dans ce sens ; que ce soit la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1989) ou la Convention européenne des droits de l’homme, il est bien indiqué qu’il vaut mieux aider la famille plutôt que la disloquer[6] et lorsque des mesures d’éloignement s’imposent vraiment pour le bien des enfants, elles sont prises dans le respect de la filiation avec éventuellement l’espoir d’une restauration[7].
En soi, la famille est la meilleure école sociale dans la mesure où elle se construit sur l’amour indispensable, dans le respect des droits et devoirs de la personne. Elle est un lieu particulièrement propice à la conversion personnelle au contact immédiat des besoins réels de ses membres. Cette conversion qui est d’abord ouverture à l’autre, est nécessaire dans toute vie sociale mais d’abord et avant tout dans sa cellule originelle. Elle implique les parents c’est-à-dire ceux qui exercent l’autorité. Ce qui n’est jamais aisé car « le métier de parents est le plus difficile et le plus improvisé. Ce n’est pas parce qu’on a un enfant que l’on est tout à coup pourvu en même temps de générosité, d’abnégation, d’intelligence et de courage. Le métier de parents, comme tout apprentissage de responsabilité, exige une maturation lente[8] ». Cette conversion implique, aussi, bien sûr, les enfants qui y font l’apprentissage des équilibres fragiles à trouver entre le personnel et le social, entre les aspirations légitimes à l’autonomie sans quoi la vie sociale se sclérose et les exigences du collectif sans lequel la personne ne peut croître.
Même un économiste peut écrire : « C’est la famille en tant que telle, cellule de base de la société, premier lieu d’apprentissage des relations sociales, qui est le creuset de toute vie humaine » parce qu’elle est un « lieu d’enracinement, de mémoire, de solidarité, de responsabilité »[9]. Lieu de stabilité, liberté, solidarité, responsabilité, amour, tendresse , écrit S. Boonen[10].
C’est évidemment le refus de l’autre, le « non serviam », qui en détruit l’esprit. Mais c’est aussi l’État moderne, dans son indifférence ou dans son hostilité, qui l’empêche de vivre, de prospérer, de s’épanouir.
« Pour un parent et son enfant, être ensemble constitue un élément fondamental de la vie familiale et la prise en charge d’un enfant par les autorités publiques ne met pas fin aux relations familiales naturelles » (cf. arrêt Eriksson, par. 58, arrêt Andersson, par. 72).
Plus précisément,
« La cour rappelle que, dans de telles affaires, le droit d’un parent et d’un enfant au respect de leur vie familiale, garanti par l’article 8, implique un droit à des mesures destinées à les réunir » (arrêt Andersson, par. 91, cf. arrêt Olson I, par. 81 et arrêt Eriksson, par. 71).
En jugeant, sur la base de ces principes, que telle ou telle restriction à l’échange (par exemple téléphonique ou épistolaire) entre un enfant placé en institution et sa famille excède « dans une société démocratique » les exigences du but légitime poursuivi, la cour de Strasbourg rappelle la philosophie fondamentale du placement : il ne s’agit pas de briser le lien qui relie l’enfant à ses auteurs, mais d’aménager ce lien de façon provisoire dans le but, prévisible à plus ou moins long terme, de le restaurer autant que possible ».